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N° 3741

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20 février 2007.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,

FAMILIALES ET SOCIALES

sur

les conditions de transfert
des joueurs professionnels de football
et le rôle des agents sportifs

ET PRÉSENTÉ

par M. Dominique JUILLOT

Député.

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I - L'OPACITÉ DES TRANSFERTS 15

A. LES TRANSFERTS SONT AU CœUR DU FOOTBALL D'AUJOURD'HUI 15

1. Qu'est-ce qu'un transfert ? 15

a) Une pratique ancienne qui a connu un développement important depuis une dizaine d'années 17

● Un lien historique étroit avec la professionnalisation (de 1863 à 1995) 17

● De 1995 à 2001, l'application du droit européen conduit à une évolution décisive du système des transferts 18

● Un marché européen dopé par la manne télévisuelle 20

● L'évolution des comptes des clubs professionnels français doit être replacé dans le contexte européen 23

b) Une opération délicate, faute d'une réglementation spécifique 25

● Les clubs employeurs ne sont plus les seuls acteurs impliqués dans les transferts 26

● L'indemnité de transfert n'a plus vocation à réparer la rupture de contrat mais à rémunérer la mutation d'un joueur 28

● La difficulté de qualifier les transferts en droit interne est source d'insécurité juridique 30

2. À quoi servent les transferts ? 32

a) À assurer la performance sportive et la qualité du spectacle 32

b) À apporter une source de financement aux clubs professionnels 35

B. LE LIEN ENTRE TRANSFERTS ET PRATIQUES FRAUDULEUSES TRADUIT L'INEFFICACITÉ DES CONTRÔLES 38

1. Le constat des pratiques frauduleuses 38

a) Des montages complexes 38

● Les raisons des pratiques frauduleuses 39

● Des fraudes difficiles à décrypter mais dont les mécanismes sont identifiés 39

● Des difficultés pratiques de qualification, malgré l'arsenal répressif 42

b) De mauvaises justifications 44

● Le diktat des résultats sportifs 44

● La valeur relative de l'argument des différentiels de fiscalité au niveau européen 45

c) Des risques sous-estimés 46

● Par les joueurs 46

● Par les clubs 47

2. Des contrôles inefficaces 48

a) Des informations dispersées 48

● Dans la comptabilité des clubs 48

● Dans les synthèses comptables nationales 48

b) Une logique de contrôle trop étroite 49

● La Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) n'est pas en mesure d'assurer le contrôle des opérations de transfert 49

● Les autres contrôles administratifs sont insuffisants 52

● Le champ des contrôles doit être élargi au périmètre réel des opérations de transfert 54

3. Un défi commun aux pays de l'Union européenne 55

a) L'absence de coordination internationale est un obstacle à la maîtrise des dérives 55

b) Le rôle de l'Union européenne est toujours en question 56

● L'absence de compétence spécifique constitue un obstacle majeur à l'instauration d'une politique européenne du sport 56

● Dans le silence des traités, la jurisprudence a tenté de définir le champ de l' « exception sportive » 58

● Les institutions européennes en marche vers une meilleure prise en compte de la spécificité du sport. 59

c) Les instances sportives internationales conservent un rôle moteur 64

● La FIFA et l'UEFA au sommet d'un ordre juridique transnational 64

● Une coordination nécessaire 66

II.- LES CONDITIONS D'EXERCICE DE LA PROFESSION D'AGENT SPORTIF : DES FACTEURS DE RISQUE POUR L'ÉTHIQUE SPORTIVE 69

A. L'ENCADREMENT DE LA PROFESSION : UN SOUCI DE MORALISATION 69

1. Qu'est ce qu'un agent sportif ? 69

a) Un intermédiaire dont le rôle économique est reconnu 69

b) Un intermédiaire entre les joueurs et les clubs et un conseiller 70

● L'activité de conseil et d'assistance au joueur 70

● L'activité de prospection et de recherche des joueurs pour les clubs 72

● L'interdiction du double mandatement 72

c) Le point de rencontre de différents intérêts 73

● Les risques du métier d'intermédiaire 73

● Certains agents exercent un dangereux pouvoir de marché 74

● Les modalités de rémunération des agents 75

2. L'encadrement de la profession : la coexistence de normes nationales et internationales 76

a) L'absence de cadre normatif international contraignant 76

● Une compétence communautaire limitée en matière sportive 76

● Un règlement international théoriquement sans valeur juridique mais appliqué en pratique 77

b) Une réglementation française de la profession d'agent sportif 79

● Une législation nécessaire mais dont les contours demeurent imparfaits 79

● L'applicabilité de la loi française en présence d'un élément d'extranéité 81

B. L'ACCÈS À LA PROFESSION : DES GARANTIES RELATIVES À LA QUALIFICATION JURIDIQUE ET PROFESSIONNELLES MAIS DES ZONES D'OMBRE 83

1. Un bon niveau de compétences juridiques et professionnelles est assuré 83

a) Une activité subordonnée à la délivrance d'une licence 83

● La mise en place d'un examen constitue une garantie de compétences 83

● Le déroulement des épreuves est satisfaisant 84

b) Des équivalences largement accordées aux « agents historiques » 85

c) Une procédure de renouvellement d'une utilité discutée 87

d) Une situation juridiquement peu satisfaisante pour les agents étrangers 87

2. Des zones d'ombre 89

a) Des risques de conflits d'intérêt liés à une définition trop restrictive des incompatibilités 89

● Des dispositions législatives non respectées 90

● Des situations porteuses de risques 90

b) Des garanties d'intégrité et de moralité encore insuffisantes 90

C. LES CONDITIONS D'EXERCICE DE LA PROFESSION : NI LA LETTRE, NI L'ESPRIT DE LA LOI NE SONT RESPECTÉS AU MÉPRIS DE L'EXIGENCE DE TRANSPARENCE 91

1. L'exercice par des personnes non autorisées 91

a) L'exercice de la profession par de « faux agents » 91

b) L'exercice de la profession par les personnes morales et les collaborateurs d'un agent sportif 93

● L'octroi de la licence à des personnes morales 93

● Le statut des collaborateurs d'agents sportifs 94

2. Le dépôt des mandats et la rémunération par le mandataire : de petits arrangements avec la loi à la source de graves dérives 95

a) L'habillage juridique d'un contournement de la loi 95

● Des dispositions législatives claires 95

● Le dévoiement du principe du paiement de l'agent par le joueur 95

● Un habillage juridique hypocrite 96

b) Un détournement de la loi essentiellement lié à la pratique des rétrocommissions 97

● Le paiement des commissions d'agents par les clubs est lié aux intérêts des différentes parties. 97

● La pratique des rétro-commissions est fréquente et complexe 98

3. Le contrôle insuffisant de l'activité des agents 100

a) Une gamme de sanctions incomplète 100

● Les sanctions disciplinaires ne sont pas adaptées 100

● Les sanctions civiles sont limitées 101

● Les sanctions pénales ne sont pas dissuasives 101

b) Un contrôle encore limité 101

● Des progrès sont perceptibles 101

● Le contrôle se heurte toutefois à deux limites. 103

III.- PROPOSITIONS DE LA MISSION 107

UN PRÉALABLE : LA RESPONSABILISATION DE TOUS LES ACTEURS 108

A. RENFORCER LE STATUT DES AGENTS SPORTIFS 109

1. En élaborant un code de déontologie des agents sportifs 109

2. En révisant les modalités d'accès à la profession 110

3. En aménageant les modalités d'exercice de la profession 113

4. En assurant un contrôle financier de la profession d'agent sportif 116

5. En aménageant le régime des sanctions disciplinaires et pénales 118

B. AMÉLIORER LA TRANSPARENCE DES OPÉRATIONS DE TRANSFERT 119

1. En assurant la traçabilité comptable des flux financiers 120

2. En affirmant le rôle de la Direction nationale du contrôle et de la gestion (DNCG) en tant qu'organe de contrôle interne à l'organisation sportive 121

C. PRENDRE TOUTE LA MESURE DE L'INTERNATIONALISATION 124

CONTRIBUTION DES MEMBRES DE LA MISSION APPARTENANT AU GROUPE SOCIALISTE 127

TRAVAUX DE LA COMMISSION 131

ANNEXES 133

Annexe 1 composition de la mission 135

Annexe 2 comptes-rendus des auditions 137

Audition conjointe de MM. Frédéric BOLOTNY et Didier PRIMAULT, économistes au Centre de droit et d'économie du sport (14 novembre 2006) 137

Audition de MM. Arnaud PÉRICARD et Christian CHEVALIER, avocats (15 novembre 2006) 151

Audition de M. Noël PONS, inspecteur des impôts au service central de prévention de la corruption (SCPC), service interministériel placé auprès du ministre de la justice 159

Audition de M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN et Mlle Catherine SUEUR, inspecteurs des finances, et de M. Pierre FRANÇOIS, inspecteur général de la jeunesse et des sports 165

Audition conjointe de MM. René CHARRIER, vice-président de l'Union nationale des footballeurs professionnels et Bernard GARDON, directeur du service des transferts, membre de l'UNFP (21 novembre 2006) 178

Audition conjointe de MM. François Raud, directeur de la société Bridge Asset International, Jean-Christophe Lapouble, maître de conférences à l'université Victor Segalen Bordeaux 2, et Jean-Marc Pélissier, ancien directeur administratif et financier des clubs de Troyes et de Sedan (21 novembre 2006) 189

Audition de M. Philippe DIALLO, directeur de l'Union des clubs professionnels de football (UCPF) 202

Audition de M. Philippe FLAVIER, coprésident de l'Union des agents sportifs de football (UASF) 212

Audition de M. Frédéric THIRIEZ, président de la Ligue de Football professionnel (LFP), accompagné de M. Arnaud ROUGER, directeur des activités sportives 218

Audition de M. Jacques LAGNIER, secrétaire général de la commission de contrôle des clubs professionnels de la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) (28 novembre 2006) 257

Audition de M. Christophe DROUVROY et de Mme Élodie MALBOS, du département juridique de la Fédération française de football (FFF) (29 novembre 2006) 269

Audition de M. Jean-Paul CLÉMENÇON, directeur de cabinet du président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), et de Mme Lisa SINANIAN, conseillère juridique au cabinet du président du CNOSF 277

Audition de M. Bertrand CAULY, membre du Collectif 2006 des agents sportifs 283

Table ronde des journalistes sportifs réunissant : M. Jérôme JESSEL (VSD) et M. Alain VERNON (France Télévisions - Stade 2) 290

Audition de représentants de la Direction de la législation fiscale du ministère des finances : M. Jacques RAYNAL, inspecteur principal des impôts, bureau A ; M. David TRUTET, inspecteur principal des impôts, bureau B1 ; M. Ludovic HALBWAX, inspecteur principal des impôts, bureau D1 ; M. Grégory ABATE, adjoint au chef du bureau A (6 décembre 2006) 309

Audition de M. Jean-Luc BENNAHMIAS, député européen 316

Audition de M. Michel PLATINI, vice-président de la Fédération française de football (FFF) 325

Audition de M. Jean-Pierre BERNÈS, agent sportif (19 décembre 2006) 334

Audition de M. José Luis ARNAUT, ancien vice-premier ministre portugais, rapporteur de l'Étude indépendante sur le sport européen (19 décembre 2006) 342

Audition de M. Charles MOLINARI, Président du Football Club de Metz 350

Audition de M. Guy ROUX, ancien entraîneur de l'AJ Auxerre 360

Table ronde n° 1, ouverte à la presse : le contrôle du respect des réglementations nationales et internationales est-il suffisant pour mettre fin aux dérives constatées dans les transferts de joueurs professionnels de football et l'exercice du métier d'agent sportif ? réunissant : M. Fabrice Rizzo et M. Jean-Michel Marmayou, directeurs du centre de droit du sport de la faculté d'Aix-Marseille ; M. Philippe Piat, président de l'Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP) et M. Bernard Gardon, Eurosport management ; M. Frédéric Thiriez, président de la Ligue de football professionnel (LFP) et M. Arnaud Rouger, directeur des activités sportives de la LFP ; M. Laurent Davenas, avocat général près la Cour de cassation, président de la commission d'appel de la Ligue de football professionnel ; M. Jacques Lagnier, secrétaire général de la commission des clubs professionnels à la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) ; M. Christophe Drouvroy, directeur juridique adjoint à la Fédération française de football (FFF) ; M. Philippe Diallo, directeur de l'Union des clubs professionnels de football (UCPF) ; M. Bertrand Cauly, agent, président du Collectif agents 2006, accompagné de MM. Éric Compi, Jean-Philippe Soubeyre et Tanguy Debladis ; M. Philippe Flavier, agent, co-président de l'Union des agents sportifs de football (UASF) ; M. Jean-Luc Bennahmias, député européen ; Mme Sabine Foucher, direction des sports, ministère des sports ; M. Patrick Mendelewitsch, agent, et M. François Raud, directeur de la société Bridge Asset ; M. Alain Vernon, journaliste à France Télévisions ; M. Jérôme Jessel, journaliste au magazine VSD (10 janvier 2007) 371

Audition de M. Pierre MAIRESSE, directeur « jeunesse, sport et relations avec le citoyen » de la Direction générale éducation et culture de la Commission européenne (10 janvier 2007) 401

Table ronde n° 2, ouverte à la presse : débat sur les voies d'amélioration de la pratique des transferts et de l'exercice de la profession d'agent sportif réunissant : M. Fabrice RIZZO et M. Jean-Michel MARMAYOU, directeurs du centre de droit du sport de la faculté d'Aix-Marseille ; M. Philippe Piat, président de l'Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP) et M. Bernard Gardon, Eurosport management ; M. Frédéric Thiriez, président de la Ligue de football professionnel (LFP) et M. Arnaud Rouger, directeur des activités sportives de la LFP (excusés) ; M. Christophe Drouvroy, directeur juridique adjoint à la Fédération française de football (FFF) (excusé) ; M. Jacques Lagnier, secrétaire général de la commission des clubs professionnels à la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) (excusé) ; M. Phillippe Diallo, directeur de l'Union des clubs professionnels de football (UCPF), (excusé) M. Laurent Davenas, avocat général près la Cour de cassation, président de la commission d'appel de la Ligue de football professionnel, accompagné de M. Jean-Pierre Klein ; M. Bertrand Cauly, agent, président du Collectif agents 2006, accompagné de M. Tanguy Debladis ; M. Philippe Flavier, agent, co-président de l'Union des agents sportifs de football (UASF) ; M. António Campinos, représentant M. José-Luis Arnaut, auteur de l'Étude indépendante sur le football européen ; M. Gianni Infantino, directeur juridique de l'Union of European Football Association (UEFA) ; M. Patrick Mendelewitsch, juriste et analyste financier, agent de la Fédération française de football (FFF), et M. Jean-Christophe Lapouble, universitaire à l'Université de Bordeaux II et avocat (représentant la société Bridge Asset) ; M. Serge Agreke, membre de la direction des sports du ministère de la jeunesse et des sports ; M. Jérôme Jessel, journaliste au magazine VSD (17 janvier 2007) 410

Audition de M. Rodolphe ALBERT, ancien directeur financier du Paris Saint-Germain (31 janvier 2007) 437

Audition par visioconférence de M. Jérôme CHAMPAGNE, délégué du président de la Fédération internationale de football association (FIFA), et de M. Omar ONGARO, chef du département du statut du joueur de la direction juridique de la FIFA (13 février 2007) 447

Annexe 3 glossaire 459

PROPOSITIONS

Un préalable : la responsabilisation de tous les acteurs

A. Renforcer le statut des agents sportifs

1.-  En élaborant un code de déontologie des agents sportifs

2.-  En révisant les modalités d'accès à la profession

●  Supprimer la possibilité pour des personnes morales de détenir une licence d'agent sportif ;

●  Encadrer l'activité des collaborateurs ;

●  Préciser le statut des agents étrangers ;

●  Durcir le régime des incompatibilités et des incapacités.

3.-  En aménageant les modalités d'exercice de la profession

●  Dissocier l'activité de conseil au joueur et l'activité d'intermédiaire de transfert ;

● Assurer la régularité juridique des relations contractuelles entre l'agent et le joueur ;

● Aménager le renouvellement triennal de la licence ;

●  Organiser la formation continue.

4.-  En assurant un contrôle financier de la profession d'agent sportif

●  Soumettre les agents sportifs au contrôle d'un commissaire aux comptes ;

●  Préciser les règles relatives au montant de la commission.

5.-  En aménageant le régime des sanctions disciplinaires et pénales

●  Clarifier les conditions d'exercice du pouvoir disciplinaire fédéral ;

●  Étendre la gradation des sanctions disciplinaires ;

●  Aggraver les sanctions pénales.

B. Améliorer la transparence des opérations de transfert

1.-  En assurant la traçabilité comptable des flux financiers

●  Dédier des comptes bancaires spécifiques aux opérations de transfert ;

● Assurer un suivi comptable de l'activité d'acquisition et de cession des contrats de joueurs.

2.-  En affirmant le rôle de la Direction nationale de contrôle de gestion (DNCG) en tant qu'organe de contrôle interne à l'organisation sportive

●  Préciser les missions et le champ de contrôle de la DNCG ;

●  Centraliser les flux financiers relatifs aux transferts auprès de la DNCG ;

●  Centraliser les informations contractuelles et financières relatives aux transferts auprès de la DNCG ;

●  Renforcer les moyens de contrôle de la DNCG.

C. Prendre toute la mesure de l'internationalisation

●  Encourager l'harmonisation des réglementations nationales relatives aux transferts et au statut des agents sportifs, sur la base des normes les plus protectrices ;

●  Promouvoir la constitution d'un réseau d'organismes nationaux de centralisation des paiements permettant de sécuriser le versement des indemnités de transferts en Europe, voire au niveau mondial ;

●  Promouvoir l'adoption de dispositifs de transparence et de coordination des structures nationales de contrôle, notamment dans le cadre du système de licence de club UEFA ;

● Favoriser une application uniforme de la réglementation FIFA sur le statut des agents sportifs au sein de l'Union européenne.

INTRODUCTION

Par nature, le sport doit représenter des valeurs morales d'épanouissement personnel, d'esprit d'équipe et de performance. Or, de profondes mutations allant à l'encontre de l'éthique sportive, ont ces dernières années affecté ce secteur. Argent et dopage sont à la source de dérives qui, si elles ne sont pas nouvelles
- parmi les missions de la FIFA créée en 1904 figurait déjà la régulation des transferts - ont pris une ampleur particulière avec la médiatisation et la mondialisation des événements sportifs. En supprimant les quotas de joueurs liés à la nationalité au nom de libre circulation des travailleurs entre les États membres, l'arrêt rendu le 15 décembre 1995 par la Cour de justice des Communautés européennes dans l'affaire Bosman a ouvert la voie à une dérégulation du marché des transferts, changeant le paysage du sport européen et mondial et creusant le fossé entre les clubs les plus riches qui achètent des joueurs et les clubs qui s'appuient eux sur la formation des joueurs.

Les enjeux financiers, aujourd'hui considérables, sont à l'origine de pratiques frauduleuses favorisées par le flou juridique et les difficultés de la mise en œuvre d'une régulation internationale constituent autant de failles dont profitent des individus peu soucieux d'éthique sportive.

Ainsi, en France sont pendants devant les tribunaux de nombreux litiges particulièrement complexes, qui laissent entrevoir affairisme, corruption, évasion fiscale et blanchiment d'argent. Nos collègues du groupe socialiste, dont MM. Gaëtan Gorce, Alain Néri et Henri Nayrou, avaient déposé le 22 juin 2006 une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions de transfert des joueurs professionnels de football et le rôle des agents sportifs. La présente mission d'information, créée le 25 octobre 2006 par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, poursuit le même objectif.

Sur un sujet qui dépasse largement les clivages politiques, la mission a nourri sa réflexion en procédant à 29 auditions de personnalités de l'ensemble du secteur du sport : instances fédérales, joueurs, agents, juristes spécialisés, journalistes... Dans la mesure où, d'une part, lors des auditions, pouvaient être évoquées des affaires judiciaires dans lesquelles des personnes sont mises en cause et afin, d'autre part, que les témoins disposent d'une totale liberté de parole dans un domaine où la place du non-dit est très importante, la mission a, dès le début de ses travaux, fait le choix de ne pas ouvrir ses auditions à la presse, à l'exception de deux tables rondes. Ces deux tables rondes avaient pour objectif de réaliser une confrontation ouverte des points de vue des diverses parties prenantes - la plupart déjà auditionnées - afin de permettre à la mission d'effectuer une synthèse et de définir les solutions les plus pertinentes.

Les travaux de la mission se sont particulièrement focalisés sur le football professionnel, mais son constat et ses propositions ont vocation à s'appliquer à l'ensemble des disciplines sportives, le football portant en germe les dérives qui pourront se transmettre aux autres sports qui, de plus en plus, sont courtisés par les investisseurs à la recherche de spectacles sportifs susceptibles de figurer dans le paysage audiovisuel (basket-ball, rugby...).

Les auditions conduites par la mission ont confirmé les dérives affectant le monde du sport : manne des droits audiovisuels provoquant une envolée du montant des transferts, surenchère pour acquérir ceux qui sont supposés être les meilleurs joueurs, transformation du sport en « business ». Pour lutter contre ces dérives, est apparue toute une strate de réglementations nationales, européennes et internationales qui ne sont ni de même nature, ni de même force juridique, ni exhaustives, ni appliquées et difficilement contrôlables. Ces dispositifs juridiques sont, en tout état de cause, loin d'être stabilisés.

La France est l'un des pays dont la réglementation est la plus élaborée ; celle-ci s'articule autour d'un mécanisme particulier d'intervention et de délégation par lequel l'État affirme son rôle, pose des règles, puis délègue ses responsabilités à une organisation préexistante, rattachée au système sportif international. La loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives a, dans son article 17, posé le principe de la délégation : « Dans chaque discipline sportive et pour une période déterminée, une seule fédération reçoit délégation du ministre chargé des sports pour organiser les compétitions sportives... »

Ainsi, le contrôle de l'activité des agents sportifs, encadrée par des dispositions législatives, incombe t-il à l'instance fédérale. Mais force est de constater que la loi est aujourd'hui contournée : les mandats ne sont pas déposés à la fédération, les agents ne sont pas rémunérés par les joueurs. Devant ces pratiques courantes, et à l'origine de manipulations frauduleuses, il était permis de se demander si la loi n'était pas passée à côté de la réalité et si elle ne devrait donc pas être modifiée.

Enfin, compte tenu de la mondialisation du sport, il est certain que rien ne se fera sans une mobilisation des instances internationales et l'audition de ses représentants, y compris M. Michel Platini quelques semaines avant son élection à l'UEFA, laisse espérer une réelle volonté d'action à ce niveau. Dans ce contexte, il est de la responsabilité de la France de montrer le chemin, la valeur d'exemplarité de la législation française pouvant, à l'image de ce qui s'est passé en matière de dopage, avoir un effet d'entraînement.

En tout état de cause, il s'agit de revenir aux sources et à l'intégrité du sport et de rétablir l'incertitude des résultats, actuellement mise à mal par le système des transferts.

I - L'OPACITÉ DES TRANSFERTS

Les transferts apparaissent comme une particularité du football professionnel, la distinguant des autres sports collectifs. Les sommes payées par les clubs européens pour acquérir les meilleurs joueurs internationaux se chiffrent en millions d'euros et l'on ne comprend pas toujours quels sont les enjeux sous-jacents.

Dans le même temps, parallèlement à l'inflation des sommes échangées pour le transfert des joueurs, la chronique judiciaire révèle un développement des cas de pratiques frauduleuses, dont les tenants et les aboutissants n'apparaissent pas très clairement.

En abordant le sujet des transferts, la mission est partie de questions simples : à quoi correspondent les montants astronomiques des transferts annoncés dans la presse sportive ? Comment se justifient-ils ? Par quels mécanismes les opérations de transfert donnent-elles lieu à des fraudes, et pourquoi les contrôles actuels sont-ils impuissants ?

Les transferts de joueurs en usage dans le football professionnel sont apparus comme une pratique consacrée par la réglementation sportive, dont la grande majorité des personnes auditionnées ne peuvent imaginer la disparition, même s'ils en reconnaissent les défauts, tant elle est au cœur de l'organisation du football moderne.

A. LES TRANSFERTS SONT AU CœUR DU FOOTBALL D'AUJOURD'HUI

On s'attarde peu généralement sur le détail de l'architecture juridique sous-jacente aux opérations de transfert. Pourtant, ainsi que l'a relevé M. Jean-François Lamour, ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative, que la mission a entendu le 31 janvier 2006, la complexité attachée aux opérations de transfert commence dès le stade de la définition de ces opérations et leur opacité tient pour partie à l'absence d'un support juridique approprié.

1. Qu'est-ce qu'un transfert ?

Le terme de « transfert » fait référence à trois réalités :

-  les opérations de mutation des joueurs professionnels, organisées entre les clubs sportifs ;

-  l'ensemble des règles édictées par les instances sportives pour encadrer la mobilité des joueurs, qui prennent aujourd'hui l'aspect d'un véritable « système », voire d'un « marché », des transferts ;

-  les indemnités de transfert versées par les clubs dans le cadre des échanges de joueurs.

À partir des textes émanent des instances sportives fédérales (1), on peut définir l'opération de transfert comme l'opération par laquelle un joueur détenteur d'une licence professionnelle obtient des autorités sportives son changement d'affectation pour un nouveau club professionnel.

La mutation d'un joueur de football entre deux clubs professionnels résulte donc de la seule décision des instances sportives, en l'absence de toute intervention directe de l'État. La gestion des affectations et des mutations repose sur un dispositif juridique, de nature privée, communément désigné sous le terme de « système des transferts ». Ainsi que l'explique la FIFA, « Les relations contractuelles entre joueurs et clubs doivent être gérées par un système réglementaire qui répond aux exigences spécifiques du football, instaure un équilibre entre les intérêts des joueurs et des clubs, et préserve l'intégrité d'une compétition sportive(2) »

Selon que le transfert a lieu au sein de la même fédération nationale ou entre deux clubs relevant de fédérations nationales distinctes, le régime applicable est différent.

Pour les transferts intervenant au sein de la même fédération, le règlement de la FIFA relatif au statut et au transfert des joueurs renvoie au règlement spécifique édicté par la Fédération concernée. Il s'agit pour la France de la Charte du football professionnel, rédigée par la Fédération française de football (FFF), ainsi que du règlement de la Ligue de football professionnel, qui a reçu une délégation de compétence de la FFF pour la gestion du football professionnel. Les deux règlements sont conformes aux orientations définies par le règlement FIFA.

C'est la Ligue de football professionnel qui autorise les mouvements de joueurs entre les clubs professionnels dans le cadre d'une procédure d'homologation des contrats de travail conclus entre les joueurs et les clubs, (article 254 de la Charte du football professionnel). L'homologation du contrat par la Ligue de football professionnel est une condition suspensive de la validité du contrat de travail (3).

En cas de transfert international, le règlement FIFA (4) prévoit qu'un Certificat international de transfert (CIT) sera émis par la fédération nationale du club auquel était rattaché le joueur transféré, afin d'attester de la régularité de la position juridique du joueur au regard des règlements de la fédération. Le défaut d'enregistrement d'un joueur ayant participé à un match officiel entraîne la sanction du joueur et de son club (5).

a) Une pratique ancienne qui a connu un développement important depuis une dizaine d'années

 Un lien historique étroit avec la professionnalisation (de 1863 à 1995)

Très tôt dans l'histoire du football, il est apparu nécessaire d'encadrer la mobilité des joueurs entre les équipes, afin d'éviter que ces dernières ne soient déstabilisées en permanence par le mouvement de leurs meilleurs éléments. L'approche historique des transferts réalisée par MM. Jean-Jacques Gouguet et Didier Primault (6) montre le lien étroit qui existe entre le développement des transferts et le mouvement de professionnalisation.

L'histoire moderne du football débute en 1863, lorsqu'est fondée à Londres la plus ancienne fédération de football du monde, la Football Association. Les premiers cas de professionnalisme sont identifiés en 1876 à Sheffield, et la Football league est créé en 1888 autour de trois objectifs : l'organisation de compétitions entre les clubs professionnels, la mise en place d'un plafond de salaire des joueurs et l'obligation faite aux joueurs d'obtenir l'accord de leur ancien employeur pour changer de club.

En France, le football s'implante, comme ailleurs en Europe, via les ports, avec la naissance du Havre Athlétique Club en 1872, puis il gagne Paris avec la création du Racing et du Stade Français (1882). En 1919, la Fédération française de football association (FFFA) est créée par transformation du Comité français interfédéral, qui regroupait depuis 1907 les clubs de football de France et organisait les compétitions nationales ainsi que les matchs internationaux de la sélection de France depuis la fondation de la Fédération internationale de football association (FIFA) en 1904. Le 18 avril 1925, la FFFA prend la décision de subordonner l'octroi d'une licence A, en cas de changement de club, à l'accord du club quitté. Le premier championnat professionnel se déroule au cours de la saison 1932-1933 et l'Amicale des clubs amateurs utilisant des joueurs professionnels, ancêtre de l'actuelle Ligue de football professionnel, est fondée le 23 octobre 1932.

La période 1930-1995 est une phase de lente montée en puissance du football professionnel en France. Les transferts y sont limités en raison d'un rapport de force salarial défavorable aux joueurs, qui se voient imposer des contrats dit « à vie » (jusqu'à 35 ans). Au début des années 1970, au terme d'actions revendicatives, et notamment d'une grève en 1972, les joueurs obtiennent l'instauration du contrat à durée déterminée et la négociation d'une charte du football professionnel, sous la direction d'un jeune haut fonctionnaire, M. Philippe Séguin, en 1973.

 De 1995 à 2001, l'application du droit européen conduit à une évolution décisive du système des transferts

L'arrêt Bosman rendu en 1995 (7) par la Cour de justice des Communautés européennes a provoqué un démantèlement rapide du système de transfert en vigueur.

Jean-Marc Bosman, joueur professionnel au Royal Club Liégeois, s'était retrouvé au chômage à l'issue de son contrat, après l'échec d'une tentative de mutation au club de l'US Dunkerque. Son club, qui souhaitait renouveler son contrat de travail avec une baisse substantielle de son salaire, n'a pas accepté l'offre d'achat présentée par le club français. Jean-Marc Bosman a porté plainte auprès de la justice belge. Saisie par la cour d'appel de Liège sur deux questions préjudicielles, la Cour de justice des Communautés européennes fait droit à la plainte du joueur, et a déclaré non-conformes au principe de libre circulation des travailleurs salariés deux éléments essentiels du système des transferts internationaux : d'une part, l'obligation faite à un club de verser une indemnité libératoire au club quitté par un joueur professionnel parvenu à la fin de son contrat, d'autre part, le principe des quotas limitant le nombre de joueurs étrangers dans les équipes des championnats nationaux. Bien qu'il ne vise directement que les transferts internationaux organisés entre les fédérations nationales, l'arrêt Bosman entraîne un aggiornamento rapide des systèmes nationaux de transfert, ceux-ci étant dès lors placés en situation de concurrence.

Les clubs employeurs sont parvenus à compenser en partie les effets de l'interdiction de l'indemnité de transfert versée en fin de contrat par un allongement de la durée des contrats. Comme l'a indiqué M. Pierre Mairesse, directeur « Jeunesse, sport et relations avec le citoyen » à la Direction générale éducation et culture à la Commission européenne lors de son audition par la mission : « l'arrêt Bosman avait un but premier : que les joueurs qui arrivaient en fin de contrat soient libres, ce qui n'était pas le cas à l'époque. Cet objectif était assez légitime. Cela étant, l'arrêt Bosman a eu des effets secondaires. En particulier, les joueurs se sont vu offrir par les clubs qui pouvaient se le permettre des contrats d'une durée relativement longue, afin justement de ne jamais se trouver en fin de contrat et de pouvoir ainsi négocier à leur aise les conditions d'un transfert. (8) »

En revanche, l'interdiction des quotas nationaux a eu un impact profond et durable sur l'organisation, à l'échelle européenne, du marché du travail pour les joueurs professionnels. Le décloisonnement imposé par les autorités communautaires a provoqué une globalisation très rapide du marché, sur lequel des mouvements de joueurs sont observés dès l'été 1996. En France notamment, la plupart des joueurs évoluant en équipe nationale partent pour l'étranger et acquièrent une expérience du haut niveau dont les résultats seront précieux pour la coupe du monde de 1998. À l'échelle européenne se reproduit un phénomène de concentration des talents dans les clubs les plus riches, déjà observé au niveau national. La Cour de justice des Communautés européennes en avait elle-même envisagé une telle hypothèse dans un des considérants de son jugement (9).

Le 5 mars 2001, l'accord signé entre la Commission européenne et la FIFA, aménageant la réglementation édictée par celle-ci, met la pratique sportive en accord avec le droit européen. Le nouveau règlement pose les principes de l'interdiction des transferts internationaux des joueurs de moins de 18 ans, d'une indemnisation de la formation auprès des clubs formateurs, de la durée minimum et maximum des contrats (10), d'une limitation à un seul transfert par an par joueur, et de la création d'un tribunal arbitral du football. Cet accord a été validé par le tribunal de première instance de la Cour de justice des Communautés européennes en 2002 à l'occasion de l'arrêt Piau (11).

 Un marché européen dopé par la manne télévisuelle

Une fois le marché européen des transferts activé, une envolée spectaculaire des transactions est observée dans toute l'Europe du football, à laquelle les droits télévisuels ont apporté une contribution majeure.

Le sport et la télévision entretiennent des relations traditionnelles, fondées sur la convergence d'intérêts. Le spectacle sportif attire la télévision car il constitue un gisement d'audience important, ainsi que le confirment les records d'audience réalisés à l'occasion des retransmissions d'événements sportifs internationaux. De son côté, la télévision assure par le biais d'émissions dédiées la promotion des activités sportives. Elle a de plus transformé le sport en support majeur de communication pour les marques de grande consommation, attirant les firmes les plus renommées. Mais surtout, s'imposant comme la principale source de financement des clubs professionnels de football - à hauteur de 50 % de l'ensemble de leurs ressources - elle a fait entrer le spectacle sportif dans l'ère industrielle (12).

Plus que les autres disciplines sportives, le football a tiré profit de l'apparition des réseaux de télévision payante, dont il constitue, avec le cinéma, un des éléments déterminant de la stratégie de recrutement et de fidélisation des abonnés. M. Patrick Le Lay, président-directeur général de TF1, a ainsi déclaré, en 2003, que « le succès d'une chaîne de télévision payante repose en France, comme partout ailleurs en Europe, essentiellement sur la diffusion de deux types de programmes : les films et les matches de championnat national de football » et a précisé que les films en première exclusivité ayant perdu leur attrait, « la détention des droits de retransmission des matches de football est devenue le principal produit d'appel des chaînes payantes et en conséquence, un enjeu stratégique pour elles(13»

Les revenus des droits de rediffusion perçus par les ligues des cinq grandes nations du football européen ont ainsi connu à partir du milieu des années 1990 une très forte croissance. En Italie, ils ont été multipliés par 5,5 en 5 ans, passant de 100 millions d'euros pour la saison sportive 1995/96 à près de 550 millions pour la saison 2000/2001. En France, le phénomène se produit avec retard et par paliers : de 1995 à 2000, la progression des revenus est régulière, puis double en 2000 pour se stabiliser dans une fourchette de 300 à 400 millions d'euros par an jusqu'en 2005 (cf. tableau 1 ci-après). Pour la saison 2005/2006, les droits progressent à nouveau de 300 millions d'euros pour atteindre près de 600 millions d'euros annuels.

De tels paliers sont la conséquence des modalités particulières de négociation des droits de retransmission du championnat français. Ces droits représentent, selon les années, entre 60 et 85 % des recettes télévisuelles du football professionnel (14) et leur commercialisation fait l'objet d'un monopole légal au profit de la Ligue de football professionnel (15). La dernière négociation, portant sur un contrat de retransmission de 3 ans, a ainsi permis à la Ligue de football professionnel de tirer le meilleur avantage d'une situation de concurrence exacerbée entre les deux réseaux de télévision payante, Canal + et TPS, pour lesquels l'attribution des droits télévisés représentait alors un enjeu de survie (16). À l'issue de la procédure d'enchères, Canal + a emporté le marché, sur la base d'une offre de 480 millions d'euros annuels comprenant 190 millions d'euros annuels pour les droits de retransmission et une prime de 290 millions d'euros annuels pour l'obtention de l'exclusivité. Grâce à cette manne financière, le montant total des recettes des clubs français de Ligue 1 rejoint, pour 3 ans au moins, le niveau de leurs homologues européens qui disposent de ressources pourtant plus importantes en provenance de la vente de billets et du merchandising (17). L'aubaine reste toutefois susceptible de se transformer en cadeau empoisonné pour les clubs français, dans la mesure où ceux-ci n'ont jusqu'à présent jamais eu à faire face à une baisse de leurs ressources financières, telle qu'elle pourrait se produire à la fin du contrat actuel.

TABLEAU 1- ÉVOLUTION DES DROITS TÉLÉVISUELS PERÇUS DEPUIS DIX ANS
ET IMPACT SUR LE BUDGET DES CLUBS DE LIGUE 1, HORS TRANSFERTS

(en millions d'euros)

Saison

96/97

97/98

98/99

99/00

00/01

01/02

02/03

03/04

04/05

05/06

Droits télévisuels

94

137

164

342

308

333

357

305

389

574

Revenus des clubs de L1

(nombre de clubs)

293


(20)

323


(18)

393


(18)

607


(18)

644


(18)

643


(17)

689


(18)

655


(20)

680


(20)

990


(20)

Part des revenus totaux


32 %


42 %


42 %


56 %


48 %


52 %


52 %


47 %


57 %


58 %

Source : Ligue de football professionnel

Dopé par l'envolée des revenus de diffusion qui donnent de nouvelles marges financières aux clubs européens les plus en vue, le marché des transferts européen a connu un point culminant lors de la saison 2000-2001, dans un contexte de surenchère salariale et de déséquilibres financiers majeurs parmi les principaux clubs européens.

Les causes de l'emballement du marché européen des transferts sont encore mal cernées. Les études de MM. Frédéric Bolotny et Didier Primaut, économistes au Centre de droit et d'économie du sport de Limoges (CDES), auditionnés par la mission le 14 novembre 2006, montrent la présence, lors de la saison 2000-2001, de déficits considérables, affectant l'ensemble des ligues européennes. En Italie, la dette totale des 18 clubs du Calcio, estimée à 1,9 milliard d'euros - alors que le chiffre d'affaire annuel est de 1,15 milliard d'euros - a nécessité une double intervention du gouvernement italien dans un premier temps, pour allonger la durée d'amortissement comptable des transferts (18), puis pour étaler le paiement de la dette fiscale et sociale des clubs. En Angleterre, le déficit cumulé des clubs de la Premier League a atteint 922 millions d'euros, celui des clubs allemands de la Bundesliga 700 millions d'euros et celui des clubs espagnols de la Liga de 1,6 milliard d'euros - avant l'effacement de la dette du Real de Madrid par les produits d'une opération immobilière de 430 millions d'euros, qui a fait l'objet d'un « sérieux doute » de la part de la Commission européenne sur sa compatibilité avec le droit communautaire (19) (20).

L'explication aujourd'hui la plus communément admise sur les raisons d'une telle crise financière est que les grands clubs européens sont désormais plus dépendants financièrement des résultats sportifs obtenus par leurs équipes, en raison des clés de répartition utilisées pour redistribuer les droits télévisuels (21). Cette dépendance les aurait conduits dans une spirale de surenchères sur le marché des transferts, pour acheter les meilleurs joueurs disponibles, garantir leurs résultats sportifs et maximiser leurs recettes.

Les clubs auraient ainsi chacun anticipé davantage de gains sportifs que ne permettait d'en distribuer l'ensemble des ressources disponibles. Ce raisonnement de type spéculatif ne semble toutefois pas de nature à expliquer l'ampleur des déficits observés parmi un si grand nombre de clubs européens, pour un montant parfois supérieur à leur chiffre d'affaire annuel.

 L'évolution des comptes des clubs professionnels français doit être replacé dans le contexte européen

Depuis les années 1990, le plan comptable utilisé par les clubs de football professionnel distingue le résultat d'exploitation attaché à l'activité traditionnelle du club - la « contribution-compétition » - du résultat commercial des opérations d'achats et de vente de joueurs - la « contribution-mutation » ou « balance des transferts ». Cette distinction est très utile pour suivre séparément l'évolution des charges salariales et des transferts dans les comptes globaux des clubs professionnels rassemblés par la Ligue de football professionnel. Elle est surtout salutaire, car du fait de leur importance financière, les transferts modifient considérablement le montant et la structure du budget des clubs sportifs.

Les chiffres montrent que la masse salariale des clubs professionnels a connu une très forte croissance entre 1996 et 2001, de l'ordre de 30 % par an (22). Mais cette évolution n'a jamais menacé l'équilibre de leur budget de fonctionnement, en raison de l'augmentation concomitante des recettes télévisuelles. Depuis dix ans, la part de la masse salariale dans les charges dites de « compétition » reste relativement stable autour de 60 % du total. Rapportée au montant des produits de compétition, la masse salariale varie davantage, selon un ratio fluctuant entre 53 % (pour la saison 1999/00) et 69 % (un niveau atteint quatre fois en dix ans), du fait de l'augmentation moins régulière des recettes. Pour autant, il n'est pas possible de parler de maîtrise des coûts salariaux, au regard notamment du triplement de la masse salariale observé entre 1995 et 2001. Celui-ci résulte de la conjonction des augmentations de salaires consenties et de la croissance des effectifs rendue nécessaire par l'intensification des compétitions.

Cependant, lorsque des déficits globaux importants ont été constatés - en 2000/2001 - ceux-ci ont dû être principalement attribués non pas à la contribution-compétition, mais à la contribution-mutation - c'est-à-dire la balance des transferts.

La balance des transferts fait aujourd'hui l'objet d'un suivi attentif par les instances sportives, prenant en compte trois types de variables : le montant brut des cessions et des acquisitions, les échanges avec l'étranger et réalisés entre clubs français, enfin le solde de la balance des transferts.

La variable la plus simple à analyser est la balance des transferts, qui représente la différence entre toutes les cessions et toutes les acquisitions réalisées par les clubs professionnels. Cette balance est traditionnellement positive, ce qui signifie que les clubs français parviennent en principe à « vendre » leurs joueurs plus cher qu'ils ne les « achètent » (23). Elle est devenue négative entre 1998 et 2001, atteignant un déficit maximal de 125 millions d'euros, avant de revenir à un quasi équilibre entre 2001 et 2003, puis à un solde positif depuis (cf. tableau 2 ci-après).

En ce qui concerne les échanges avec l'étranger, le suivi sur les dix dernières années met en relief un phénomène important : en moyenne, les clubs français répartissent à part égale, du point de vue de la valeur globale, leurs transferts entre les clubs étrangers et les clubs français. L'importance des échanges avec les clubs étrangers tient au fait que les clubs préfèrent voir partir leurs meilleurs joueurs à l'étranger, plutôt que de les retrouver dans des équipes adverses en championnat national.

Depuis la saison 2004-2005, la Ligue de football professionnel publie de nouvelles données sur le montant des transactions de transfert qui mettent en relief l'augmentation de la « valeur marchande » des joueurs. Ainsi, lors de la saison 2004/2205, les clubs de Ligue 1 ont acheté 67 contrats de joueurs à des clubs étrangers pour un montant total de 73 millions d'euros, alors qu'ils n'ont vendu que 22 contrats de joueurs mais pour un montant supérieur, atteignant des contrats de 97 millions d'euros. Par ailleurs, les clubs de Ligue 1 échangent un nombre réduit de joueurs avec les clubs de Ligue 2, de l'ordre d'une quinzaine, mais ils les payent plus cher qu'ils ne les vendent : 12 contrats de joueurs ont été achetés pour 14 millions d'euros, alors qu'au cours de la même saison, 15 contrats de joueurs ont été vendus pour moins de 3 millions d'euros. Enfin, les échanges entre les clubs de Ligue 1 représentent moins de la moitié des recrutements de ces clubs
- 42 joueurs échangés sur 121 joueurs recrutés -, pour un montant total de 78 millions d'euros.

Ces statistiques, si elles se trouvent confirmées dans les prochaines années, accréditent l'idée, parfois évoquée lors des auditions de la mission, que les clubs français occupent une place intermédiaire en matière de transferts internationaux. Les clubs français ont tendance à faire venir en France des joueurs étrangers peu coûteux en termes d'indemnités de transfert, mais ils « vendent » des joueurs fortement valorisés sur le marché européen des clubs les plus riches. Ils restent pourtant tributaires de la situation du marché européen des transferts, ainsi que le montre les deux années de déficit importants enregistrés lors de l'emballement du marché et avant son retournement en 2001.

Les enjeux financiers que représentent les transferts dans le football sont donc considérables. La somme des frais de transferts payés par les clubs de Ligue 1 représente en moyenne 150 millions d'euros, avec toutefois de très fortes variations d'une année sur l'autre : 300 millions d'euros pour la saison 2000-2001, 100 millions d'euros pour la saison 2004-2005.

TABLEAU 2 - ÉVOLUTION DE LA BALANCE DES TRANSFERTS
POUR LES CLUBS DE LIGUE 1

(en millions d'euros)

Saison

96/97

97/98

98/99

99/00

00/01

01/02

02/03

03/04

04/05

Cessions

75

141

224

228

278

235

102

216

179

Acquisitions

44

156

280

353

393

229

111

124

166

Solde

31

- 15

- 56

- 125

- 115

6

- 9

92

13

Source : Ligue de football professionnel.

b) Une opération délicate, faute d'une réglementation spécifique

Au regard de l'organisation sportive, et notamment des normes réglementaires dont elle s'est dotée, l'opération de transfert est le changement d'affectation d'un joueur entre deux clubs sportifs. Au regard du droit commun français, il n'y a pas de « transfert », mais simplement un salarié qui quitte un employeur pour un autre. Enfin du point de vue économique, on tend à considérer aujourd'hui qu'un club cède à un autre club un contrat de joueur, dans le cadre d'une transaction financière.

Les trois facettes de l'opération de transfert s'articulent mal. Elles contribuent chacune à leur façon à alimenter la difficulté pratique des opérations de transfert :

- la réglementation sportive édictée par la FIFA fait des clubs professionnels les seuls acteurs des transferts. Pourtant, dans la pratique d'autres protagonistes interviennent ;

- d'un point de vue économique, le versement opéré de club à club en contrepartie de la mutation du joueur a perdu son caractère indemnitaire. Le versement n'est désormais plus considéré comme un acte d'indemnisation du club quitté visant à compenser la perte d'un membre de ses effectifs sportifs, mais comme l'acte d'achat d'un contrat de joueur ;

- l'absence de support juridique approprié conduit à une instabilité des rapports contractuels entre le joueur et son employeur.

 Les clubs employeurs ne sont plus les seuls acteurs impliqués dans les transferts

L'article 106 du règlement de la Ligue de football professionnel (24) prohibe l'intervention d'investisseurs privés non sportifs dans le système des transferts. Mais cette interdiction de principe ne suffit plus pour empêcher l'intervention d'acteurs extérieurs attirés par les intérêts en jeu.

Ainsi, des sociétés non sportives obtiennent de la part des clubs, le paiement de droits à l'image attachés à des joueurs transférés. Un récent contentieux devant la cour d'appel de Lyon éclaire les motifs qui conduisent les clubs professionnels à accepter de verser des sommes à de telles sociétés dans le cadre d'opérations de transferts.

Dans son recours contre la décision en première instance du Tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon, l'Olympique Lyonnais contestait la décision de l'URSSAF de réintégrer une somme de plus de 2,6 millions euros dans l'assiette des cotisations sociales dues sur au titre des salaires de deux joueurs transférés (25).

Les deux footballeurs professionnels avaient conclu en 1996 et 1997 un contrat avec la société Chaterella Holding Limited, aux termes duquel ils cédaient notamment leur image moyennant le paiement d'une somme forfaitaire. Ces deux joueurs étant transférés en août 2000 et en juillet 2001 auprès de l'Olympique Lyonnais, le club avait souscrit en août 2001 un contrat de cession de l'exploitation des droits sur l'image des deux joueurs brésiliens moyennant des redevances forfaitaires annuelles. Le total des sommes contestées dans le cadre du contentieux avait été réglé par l'Olympique Lyonnais en exécution dudit contrat, assorti de TVA (26).

Par ailleurs, les clubs français se trouvent contraints de verser des indemnités à des sociétés non sportives pour des transferts internationaux, dans des conditions de sécurité réduites. À plusieurs reprises ont été évoqués au cours des auditions, les problèmes que pose la détention par des sociétés non sportives de droits dits « fédératifs » à l'égard de joueurs sud-américains.

Dans un certain nombre de pays sud-américains, dont le Brésil, le système de transfert national permet en effet la cession de tout ou partie des « droits à indemnité », normalement détenus par les clubs sur les contrats de joueurs, à des sociétés non-sportives. Ces sociétés font valoir leurs droits auprès des clubs français lors de la négociation de transferts internationaux. Bien que la propriété de ces droits ne paraisse pas toujours clairement établie (27), les clubs français peuvent difficilement les ignorer, sous peine de ne pas pouvoir obtenir de la fédération sud-américaine le certificat autorisant la sortie du joueur transféré.

Le président du Football Club de Metz, M. Charles Molinari, a ainsi illustré les difficultés de ces situations : « il arrive que l'on nous demande de payer un transfert qui n'en est pas forcément un : ce fut le cas avec un joueur étranger. Ce garçon était libre, à ceci près qu'il existe dans son pays deux types de contrats : le contrat sportif, déposé à la fédération et le contrat dit « commercial » : le joueur appartient à une société. Autrement dit, il y a les droits du foot et les droits commerciaux. Vis-à-vis de la fédération, le joueur était libre, mais pour qu'il soit autorisé à sortir du pays, il fallait que l'investisseur puisse récupérer son argent. Nous avons payé environ 3 millions de francs à l'époque, soit 450 000 euros, pour le libérer, moyennant facture en bonne et due forme. Survient un contrôle fiscal : la facture n'émanant pas du club d'origine, les sommes correspondantes sont considérées comme un salaire déguisé et l'on nous réclame les charges sociales et fiscales afférentes. Nous avons évidemment contesté cette interprétation devant le tribunal administratif de Strasbourg, persuadés de notre bonne foi : la FIFA elle-même ne s'oppose pas à cette pratique, qui est la règle dans certains pays. Il nous est évidemment impossible de prouver que cet argent est effectivement allé à la société concernée ; sans doute des intermédiaires ont-ils touché, et peut-être même le joueur. Mais comment le savoir et comment éviter un tel système, parfaitement naturel dans ce pays ? L'affaire est toujours pendante devant le tribunal administratif. (28»

M. Jean-Michel Marmayou, professeur de droit, directeur du centre de droit du sport à la faculté d'Aix-Marseille, est revenu sur les aspects juridiques de la question lors de la table ronde organisée par la mission le 10 janvier 2007 : « le droit fédératif, les procès en cours le montrent, pose effectivement une série de problèmes. Ce droit sur le joueur appartient non pas à un club, mais à une société, éventuellement off shore, autrement dit installée dans un pays à faible pression fiscale. La question est de savoir comment une instance française, fédération ou ligue, pourrait interdire le paiement de droits fédératifs à ce type de société, sachant que la pratique est légale en Amérique du Sud, mais également en Europe, au Portugal notamment, et qu'ils peuvent quelquefois être vendus aux enchères... Comment une fédération française, même avec une délégation de service public, peut-elle ne pas reconnaître cette réalité ? Sur quel fondement une instance de contrôle au sein de la ligue pourrait-elle refuser de payer ? De quelle compétence pourrait-elle se prévaloir ? Est-ce à dire que l'État français ne reconnaît pas le droit brésilien ? Les droits brésiliens et les droits français s'appliquent, se combinent en vertu d'une série de règles ; mais l'État français ne saurait balayer d'un revers de main un mécanisme juridique en vigueur dans un autre pays, et la FIFA encore moins. (29»

Le système des « sociétés de joueurs » en cours dans les pays d'Amérique du Sud est considéré par un responsable de la Direction du contrôle et de la gestion (DNCG) de la Ligue de football professionnel comme une pratique inquiétante (30). Le paiement de droits fédératifs à une société de joueurs est d'ailleurs contraire au règlement FIFA sur les transferts internationaux. M. Gianni Infantino, directeur juridique auprès de l'UEFA l'a clairement spécifié lors de la table ronde organisée par la mission le 17 janvier 2007 : « Le règlement FIFA indique clairement que les transferts ne peuvent s'opérer que de club à club. Autrement dit, il ne saurait y avoir de paiement à une société tierce. Si de tels faits se produisent, ils sont contraires au règlement (31). »

 L'indemnité de transfert n'a plus vocation à réparer la rupture de contrat mais à rémunérer la mutation d'un joueur

L'indemnité de transfert trouve son origine dans l'article 264 de la Charte du football professionnel selon lequel : « Lorsque cette résiliation, dans le cas particulier des joueurs professionnels, se situe pendant la période officielle des mutations en vue de la signature d'un nouveau contrat dans un autre club, l'accord des trois parties concernées est nécessaire. Cette résiliation donne lieu au versement par le club nouveau au club quitté d'une indemnité de mutation, dont le montant est fixé de gré à gré entre les deux clubs ». Cette disposition est prise en application de l'article 17 du règlement FIFA 2005 relatif aux transferts (32).

Le versement d'une indemnité financière entre clubs, contrepartie de la mutation d'un joueur, est une pratique ancienne. MM. Jean-Jacques Gouguet et Didier Primault (33) en rappellent l'origine : « Le 18 avril 1925, le Conseil de la Fédération française de football association décide qu'une licence A peut-être délivrée en cas de changement de club, pourvu que le club donne son accord. Cet accord sera monnayé : le transfert s'impose en France officiellement. »

L'indemnité libératoire est donc un élément essentiel du système des transferts. L'importance que lui attachent les autorités sportives transparaît notamment dans le dispositif juridique établi à l'article 112 du règlement administratif de la Ligue, à l'encontre des clubs et des joueurs qui souhaiteraient s'affranchir du système des transferts dans le cadre d'un autre arrangement contractuel (34). Les signataires de clauses prohibées encourent des sanctions disciplinaires personnelles, dans le cadre de la licence de joueur professionnel ou de dirigeant de clubs qu'ils détiennent.

Dans la pratique, le versement opéré de club à club au moment du transfert revêt à la fois le caractère d'une indemnité et celui d'une transaction commerciale. L'aspect indemnitaire porte principalement sur l'indemnisation de la formation qui fait maintenant l'objet d'un mécanisme de redistribution entre les clubs sportifs. Le caractère commercial transparaît notamment à travers les clauses d'intéressement, qui prévoient un partage des plus-values obtenues lors de la revente ultérieure du contrat de joueur par le club acheteur (35).

Le caractère indemnitaire du transfert se traduisait jusqu'à présent par le fait que les sommes payées étaient assimilées sur le plan comptable à des dommages et intérêts à caractère exceptionnel, non imposables à la TVA. La charge représentée par le versement des indemnités pouvait ainsi être étalée sur plusieurs exercices lorsque le club choisissait la méthode des transferts de charges (36). Mais les droits contractuels détenus à l'égard d'un nouveau joueur, contrepartie matérielle au versement, n'étaient pas pris en compte dans le bilan du club.

Sur la base des nouvelles normes comptables IFRS (International financial reporting standards) et des récentes dispositions législatives (37), le Conseil national de la comptabilité, autorité administrative responsable de la normalisation des méthodes comptables, a récemment reconnu la valeur d' « actif » aux droits contractuels détenus par les clubs à l'égard des joueurs. Ainsi, depuis 2005 (38), les opérations de mutation d'un joueur professionnel sont assimilées à la vente ou à l'acquisition d'un élément d'actif, correspondant aux droits contractuels détenus par les clubs sportifs. Les transactions sont alors soumises au régime de la TVA, ce qui n'est pas sans effet pour le calcul de la fraction du chiffre d'affaire soumise à la taxe sur les salaires (39).

Dans son avis rendu le 23 juin 2004, le Conseil national de la comptabilité justifie ce traitement comptable en arguant que ces droits contractuels présentent les caractéristiques d'une immobilisation incorporelle : l'élément inscrit à l'actif est une ressource individualisable ayant une valeur économique positive, contrôlée par la société et susceptible d'être détachée de l'activité de l'entité dans le cadre d'une vente, d'un transfert ou d'un échange.

Il s'agit d'une évolution importante des pratiques comptables, dans le sens d'une approche pragmatique de l'activité d'acquisition et de cession de contrats de joueurs par les clubs. D'un point de vue comptable, les droits correspondant aux contrats de joueurs peuvent être inscrits au bilan des clubs sportifs parmi les comptes d'immobilisations incorporelles. Et les charges liées à l'acquisition d'un joueur font désormais l'objet d'une répartition sur la durée du nouveau contrat de travail par le mécanisme de l'amortissement et non plus par celui des charges à répartir.

Cette reconnaissance sur le plan comptable est la traduction de la régularité qu'ont prise les opérations de transfert dans l'économie du football moderne et de l'objectif des autorités administratives de rapprocher la formalisation comptable de cette réalité économique. Elle est aussi conforme à l'esprit des nouvelles normes comptables IFRS, qui incitent à comptabiliser, dans le bilan des entreprises, des éléments que celles-ci contrôlent sans en détenir la propriété juridique.

Toutefois ce progrès repose sur une reconnaissance ambiguë des droits que fait naître un contrat de travail au bénéfice d'une société, comme en témoigne un considérant de l'avis du Conseil national de la comptabilité (40).

 La difficulté de qualifier les transferts en droit interne est source d'insécurité juridique

Si d'un point de vue économique, on parle aujourd'hui de « cession » ou d' « acquisition » d'un contrat de joueur, la réalité juridique est autre. Dans les faits, les clubs professionnels n'échangent aucun droit contractuel, mais il y a rupture négociée du contrat de travail qui liait le joueur à son ancien employeur et passation d'un nouveau contrat de travail avec un antre club. À cela s'ajoute la signature d'une convention de transfert entre les deux clubs, qui ne trouve pas sa place dans le droit du travail (41).

La pratique systématique du contrat à durée déterminée (CDD) dit « d'usage » dans le football professionnel en France implique que la résiliation de l'ancien contrat de travail soit négociée. En effet, à la différence du contrat de travail à durée indéterminée, le contrat à durée déterminée ne peut être rompu unilatéralement par une des parties - sauf en cas de faute grave -. L'article L. 122-1-1 alinéa 3 du code du travail permet le recours aux contrats à durée déterminée (CDD) dans certains secteurs d'activité « en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ». Le sport professionnel figure parmi les secteurs d'activité où le recours au CDD est ainsi autorisé par décret (article D. 121-2 du code du travail).

La résiliation négociée de l'ancien contrat de travail, la passation du nouveau et la convention de transfert forment ensemble le support juridique de l'opération de transfert. Cependant, cet ensemble ne peut être considéré juridiquement comme un accord global tripartite, du point de vue de sa mise en œuvre, qu'après analyse au cas par cas des clauses contractuelles de la convention de transfert. Il s'agit là d'un facteur certain d'insécurité juridique- on n'est jamais sûr des conséquences qu'entraînerait la nullité d'une des pièces contractuelles -peu compatible avec les enjeux financiers attachés aujourd'hui aux transferts.

Parmi les pièces contractuelles du transfert, les deux premières (ancien et nouveau contrat de travail) doivent satisfaire un ensemble contraignant de prescriptions résultant à la fois du droit du travail français et des normes édictées par la FIFA, tandis que la convention de transfert, signée entre les deux clubs et qui détermine en particulier le montant de l'indemnité de transfert, est soumise aux seules règles du droit contractuel privé, ce qui donne aux parties une grande liberté contractuelle.

Dans l'ordre juridique français, la compatibilité entre le droit du travail et les normes édictées par la FIFA en matière de stabilité des liens salariaux et des transferts est assurée par l'intégration des normes sportives dans la charte du football professionnel, qui a valeur de convention collective selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation. Il revient donc aux rédacteurs de la Charte, sous l'égide de la Fédération française de football d'assurer la compatibilité du système français des transferts avec le droit du travail.

Tous les problèmes juridiques ne sont pas pour autant réglés. Par exemple, le règlement FIFA prévoit que les contrats peuvent être rompus unilatéralement en cas de « juste cause sportive ». Cette cause de rupture n'est pas reconnue par la législation française, et la Cour de cassation a considéré comme abusive en 1999, le licenciement d'un joueur de l'Olympique Lyonnais pour inaptitude physique définitive, à la suite d'un accident du travail (Arrêt Bare du 23 mars 1999, Cour de cassation, Chambre sociale).

De fait, le statut juridique des transferts fait l'objet de beaucoup d'interrogations. On notera à cet égard, la tentative de la commission d'appel de la Ligue de football professionnelle de qualifier l'opération de transfert en dehors des obligations liées aux contrats de travail en recourant à la notion de « droit de jouer », celui-ci devenant l'objet juridique de la transaction de transfert, elle-même distincte des contrats de travail.

2. À quoi servent les transferts ?

a) À assurer la performance sportive et la qualité du spectacle

Les transferts permettent de concilier la mobilité des acteurs sportifs et la stabilité des équipes toutes deux nécessaires à la performance sportive.

La mobilité des joueurs est un des éléments nécessaires à l'obtention des bons résultats sportifs dans un sport collectif. La qualité du jeu collectif résulte en effet d'une alchimie entre les joueurs, dont la responsabilité appartient à l'entraîneur, qui décide de la stratégie de jeu, ainsi qu'aux dirigeants, qui décident de la composition de l'équipe. C'est un facteur décisif de réussite d'une équipe, ainsi que l'ont démontré les épopées de l'équipe de France de football en Coupe du monde.

Cette mobilité appelle toutefois un encadrement justifié par le souci des autorités sportives d'assurer la stabilité des équipes nécessaire à l'obtention de bonnes performances sportives. De leur côté, les économistes soulignent qu'une régulation de la mobilité permet aussi de maintenir l'équilibre compétitif qui fait l'attrait du spectacle sportif.

La stabilité des équipes, et donc celle des relations contractuelles entre joueurs et clubs employeurs, est un des principaux objectifs de la réglementation FIFA sur les transferts. Elle est assurée au cours de la saison sportive par la détermination de deux périodes d'enregistrement des joueurs. La période estivale, couvrant l'intersaison permet d'organiser la mobilité des joueurs entre les différentes équipes. Les dates en sont fixées par la Ligue professionnelle de football. Pour la saison 2006/2007, la période officielle des transferts s'est ouverte le 15 mai pour se clore le 31 août 2006. La seconde période des transferts, le mercato, a lieu au mois de janvier, pendant la pause hivernale et permet aux clubs de réaliser des ajustements d'effectifs en cours de saison. En dehors de ces périodes, les clubs n'ont droit qu'à un seul transfert ou au recrutement de joueurs libres de tout contrat.

Les auditions de la mission ont montré que le mercato est contesté, en raison de ses effets déstabilisateurs sur les équipes et sur les joueurs. Ainsi, les représentants de l'Union nationale des footballeurs professionnels, tout en rappelant que « Le mercato était destiné à procéder à des ajustements, par exemple quand un joueur jouait peu dans son club et souhaitait en changer », ont noté qu'« aujourd'hui, c'est devenu un second marché des transferts, qui peut donner lieu, dans un club, au remplacement de sept ou huit joueurs. (42) » Interrogé sur ce point lors de son audition par la mission, M. Michel Platini a de la même façon estimé que l'existence d'une période de transfert à mi-saison se justifiait, même si elle pouvait être davantage encadrée.

L'encadrement des mutations trouve un fondement théorique dans les travaux des économistes du sport. Les économistes justifient la régulation de la circulation des « facteurs de performance sportifs » par le paradoxe de Neale-Sloane (43) (1971). Ce dernier met en relief la divergence entre les objectifs des organisateurs de compétition et ceux des compétiteurs : alors que les compétiteurs cherchent à asseoir leur domination sur leurs concurrents par la mobilisation des moyens à leur disposition, les organisateurs ont au contraire tout intérêt à limiter la domination d'un compétiteur sur les autres, afin de préserver l'incertitude des résultats et l'attrait du spectacle sportif auprès du public. Les autorités sportives seraient donc fondées à agir pour préserver « la glorieuse incertitude du sport. »

Le principe de la régulation des transferts par les autorités sportives en raison de la particularité de leurs objectifs est en fait largement admis, y compris par les institutions de l'Union européenne (44).

Le sport américain et ses ligues fermées sont un bon exemple d'encadrement réglementaire des recrutements. Regroupés au sein de ligues fermées, les clubs sportifs américains restreignent en effet la mobilité des joueurs par une clause de réserve liant les joueurs à un club pendant la durée de leur carrière et par un ensemble de règles organisant la concurrence entre les clubs de la même ligue à l'égard des joueurs. Ces règles limitent le nombre de joueurs pouvant être recrutés chaque année, fixent une période délimitée pour la réalisation des transferts ainsi qu'un prix de transfert uniforme pour tout joueur en activité. À l'égard des jeunes joueurs entrant dans la profession, le système de la « rookie draft » accorde aux équipes les moins bien classées un droit de recrutement préférentiel sur les meilleurs joueurs des nouvelles promotions. Enfin, en matière salariale, un plafond de la masse salariale, le « salary cap », est négocié entre les clubs et les syndicats de joueurs, au début de chaque saison (45). La mise en place de ces instruments est justifiée par le souci de maintenir l'équilibre compétitif des rencontres. L'opportunité de les transposer dans le contexte du football européen a fait l'objet d'un certain nombre d'études théoriques (46). En tout état de cause, ainsi que l'a souligné M. Michel Platini, lors de son audition par la mission, certains d'entre eux, tels le salary cap, ne sont légalement pas applicables en Europe.

À l'opposé du système américain, le modèle européen du sport a fait le choix d'une régulation économique de la circulation des acteurs sportifs. Celle-ci se caractérise par la création d'un marché spécifique, le marché des transferts, par lequel les clubs peuvent échanger des joueurs. Les clubs ont ainsi la possibilité d'améliorer leur potentiel sportif en fonction de leurs moyens financiers. La régulation économique favorise donc la concentration des talents au sein des clubs les plus riches, ce qui ne va pas sans nuire à l'équilibre compétitif des championnats et des ligues. Pour cette raison, son incidence sur les résultats sportifs des clubs fait régulièrement l'objet d'évaluations approfondies par les spécialistes qui étudient les corrélations entre les moyens financiers engagés pour chaque équipe et les résultats sportifs obtenus (47). De même, le représentant de la FIFA, M. Jérôme Champagne, a déclaré à la mission : « si l'argent, pour nécessaire qu'il soit, n'est pas contrôlé, il entraînera un déclin de l'incertitude du résultat sportif, ce qui ne signifie pas moins que la mort du football.  (48) »

La régulation actuelle du football européen n'est pas parfaite.

L'abrogation des quotas limitant le nombre de joueurs étrangers dans une équipe, ajoutée à la concentration des talents dans les équipes les plus riches, peut produire des résultats extrêmes. Le 13 février 2005, l'équipe du club d'Arsenal, vainqueur lors d'un match de championnat anglais contre l'équipe du Crystal Palace sur le score de 5 buts à 1, ne comptait dans ses rangs aucun joueur britannique, y compris sur le banc des remplaçants. C'est pourquoi, un certain nombre de responsables sportifs plaident en faveur de la restauration des quotas nationaux, sur le principe du 6 + 5 (6 joueurs locaux et 5 étrangers maximum), afin de favoriser l'ancrage local des équipes. Ainsi M. Jean-Luc Bennahmias, député européen, auditionné par la mission le 19 décembre 2006, a fait sienne cette proposition dans le rapport qu'il a présenté à la Commission de l'emploi et des questions sociales du Parlement européen (49).

La dérégulation des transferts a permis un développement des mouvements de joueurs entre les clubs. Il y a quelques années, les transferts ne concernaient guère qu'une centaine de joueurs par an. Aujourd'hui, le nombre annuel de transfert est estimé à 3 500, auxquels il faut ajouter 900 joueurs sud-américains, comme l'a indiqué M. Jérôme Jessel, journaliste, lors de la table ronde par la mission organisée le 6 décembre 2006 (50).

Une telle multiplication des transferts n'est pas sans justifications sportives : l'intensification des compétitions a provoqué une augmentation des effectifs de chaque équipe, ne serait-ce que pour faire face aux risques accrus de blessures. Ainsi, l'effectif moyen des clubs professionnels de Ligue 1 et 2 est passé de 20 joueurs par équipe jusqu'en 1996 à plus de 24 joueurs par équipe depuis 2001, soit une augmentation de plus de 100 joueurs au total - sur un ensemble de 866 joueurs en 1996 (51).

Mais pour beaucoup, cette augmentation s'explique principalement par la dimension économique qu'a prise pour les clubs professionnels l'activité d'acquisition et de cession de contrats de joueurs.

b) À apporter une source de financement aux clubs professionnels

Prises individuellement, les opérations de cession de contrat de joueurs apparaissent comme des transactions financièrement intéressantes pour les clubs qui les réalisent. Mais le départ d'un joueur doit être compensé au sein de l'équipe par l'arrivée d'un autre, et les joueurs suscitant l'intérêt d'autres clubs comptent souvent parmi les meilleurs éléments de l'équipe. La plupart du temps, un transfert de joueur en appelle un autre et c'est le solde financier des opérations de transfert qui constitue en réalité une source de financement ou de déficit éventuel pour les clubs.

L'enjeu des opérations de transfert justifie un suivi en termes de gestion financière, comme le souligne l'Olympique Lyonnais, dans la brochure éditée à l'occasion de son introduction en Bourse : « La politique de cession de joueurs fait partie intégrante de l'activité normale du Groupe Olympique Lyonnais. (52) » C'est pourquoi, le plan comptable établi par la Ligue de football professionnel à destination des clubs de football professionnel distingue depuis les années 1990, comme on l'a vu, le résultat d'exploitation attaché à l'activité traditionnelle du club - la « contribution-compétition » - du résultat des opérations d'achats et de vente de joueurs - la « contribution-mutation. »

Pour les clubs, l'acquisition d'un contrat de joueur présente un double enjeu : c'est une opération de recrutement d'un joueur, qui devra trouver sa place au sein de l'équipe et augmenter le potentiel sportif de celle-ci, mais c'est également une transaction d'achat de droits contractuels, qui sont inscrits désormais à l'actif dans le bilan du club et peuvent faire l'objet d'une plus value à venir.

Ainsi définie, l'opération de transfert réalise une subtile combinaison entre la logique sportive et la logique marchande. Pour le club acquéreur, l'opération de transfert est un pari à la fois sportif et économique, qui peut s'intégrer dans une stratégie sportive et financière à moyen terme. Pour le club quitté, le montant de l'indemnité de transfert doit permettre de compenser les pertes sportives et financières associées à l'absence du joueur au sein de l'équipe professionnelle.

M. Charles Molinari, président du Football Club de Metz, a abordé cette question devant la mission. Évoquant le souhait d'un de ses meilleurs joueurs de partir pour un autre club, il décrit les arbitrages qui s'imposent à lui : « De mon côté, j'ai des impératifs sportifs et je ne peux pas laisser partir notre numéro 1 tant que je ne suis pas certain de notre accession en ligue 1. Si j'avais soixante points, peut-être le ferais-je ; avec quarante-six points, j'ai une avance importante, mais si l'équipe se met à mal fonctionner et si je rate la montée, que vais-je récupérer ? 500 000 euros, 1 million d'euros ? Cela ne m'intéresse pas. Je les retrouverai largement en ligue 1. C'est le genre de choses auxquelles est confronté un dirigeant de club... Sans oublier nos supporters - 16 000 personnes en moyenne : ils ne comprendraient pas si nous laissions partir notre meilleur joueur au risque de rater notre accession en ligue 1. C'est pourquoi j'ai prévenu le patron du club intéressé que je ne pouvais faire autrement que d'exiger 3 millions pour ce joueur, même s'il ne lui reste que six mois de contrat. Trois millions, je peux, à la limite, le justifier. Mais s'il me répond qu'il est d'accord, cela ne m'arrangera pas tellement... Imaginez qu'au moment de recevoir Manchester United en Ligue des champions, Lille transfère Bodmer, son meilleur joueur, à Lens ou à Lyon ! Le patron du club me répondra qu'il n'a pas plus que nous l'intention de faire n'importe quoi, et qu'il ne donnera pas 3 millions. Et moi, je prends le risque de voir le joueur libre au mois de juin ; en attendant, j'aurai mis tous les atouts de mon côté pour revenir en ligue 1.  (53) »

Si le solde entre les cessions et acquisitions est tendanciellement positif, certains clubs professionnels peuvent tirer avantage du système des transferts et peuvent financer, par exemple, un centre de formation des jeunes joueurs efficace qui leur permettra de réduire encore la part des coûts d'acquisition des contrats de joueur à venir. L'AJ Auxerre, dont la mission a auditionné l'ancien entraîneur, M. Guy Roux, a ainsi créé un centre de formation qui a formé plus d'une trentaine de joueurs internationaux français.

Un mécanisme de solidarité spécifique, institué par la FIFA et associé aux transferts, vient compléter ce mode de financement de la formation des joueurs. Lorsqu'un joueur professionnel est transféré avant l'expiration de son contrat, une partie de l'indemnité de transfert versée au club quitté est redistribuée aux clubs qui ont participé à la formation du joueur. En application des dispositions prises à cet effet dans le règlement FIFA, ces indemnités de formation sont dues aux anciens clubs du joueur lorsqu'un joueur signe son premier contrat en tant que professionnel et lors de chaque transfert jusqu'au 23ème anniversaire du joueur.

Plusieurs intervenants ont toutefois souligné que le fonctionnement du marché des transferts n'était pas satisfaisant et ne paraissait plus en mesure d'assurer un financement correct de la formation des jeunes joueurs. Ils ont notamment regretté que la réglementation FIFA n'encadre pas davantage la mobilité des jeunes joueurs pour la formation desquels ils ont consentis des investissements importants.

Enfin, pour d'autres intervenants, la multiplication des transferts est le signe que dans la gestion de certains clubs, les objectifs financiers ont pris le pas sur les objectifs sportifs.

Ainsi, M. Laurent Davenas, président de la commission d'appel de la Ligue de football professionnel, souligne que « dans le meilleur club français actuel, l'Olympique Lyonnais, il n'y a pas plus de trois ou quatre transferts par an, de sorte qu'on peut penser qu'ils ont une finalité purement sportive, tandis que, au PSG et à l'Olympique de Marseille, c'est une noria de joueurs plus ou moins connus qui transitent par le club. (54)» M. Noël Pons relève également qu'« un suivi des mouvements de joueurs (transferts, prêts et retour de prêts) auxquels ont procédé le Paris Saint-Germain et l'Olympique de Marseille comptabilise 141 mouvements pour Marseille entre 2001 et 2005 et 107 pour le Paris Saint-Germain. (55) »

Ainsi que le souligne M. Michel Platini, la valeur d'un joueur sur le marché des transferts, quel qu'il soit, est relative : « Le montant des transferts est d'ailleurs très subjectif. Le transfert de Zinedine Zidane aurait pu être de 10 millions d'euros, ou de 20 millions ou de 100 millions(56» Le marché des transferts peut être le vecteur d'une spéculation sur la valeur marchande des joueurs.

Mais le contexte favorable à la spéculation, marqué par l'inflation du montant des transferts, qui a caractérisé la période 1995-2001, a aujourd'hui disparu. Le montant des transactions s'est considérablement réduit dès 2002 : selon le « top 50 » des transferts, classement régulièrement réactualisé par le Centre de droit et d'économie du sport de Limoges (CDES), on ne compte parmi les 50 transferts les plus coûteux recensés depuis 1997 que 13 opérations postérieures à 2002, concentrées pour l'essentiel en bas de tableau (57). La bulle spéculative des années 2000 fait aujourd'hui clairement partie du passé. Mais elle reste très présente dans les esprits.

B. LE LIEN ENTRE TRANSFERTS ET PRATIQUES FRAUDULEUSES TRADUIT L'INEFFICACITÉ DES CONTRÔLES

1. Le constat des pratiques frauduleuses

a) Des montages complexes

La mission a débuté ses travaux dans un contexte très marqué par les « affaires » dont la presse, aussi bien généraliste que spécialisée s'est largement fait l'écho.

Deux des clubs de football professionnels français les plus connus, le Paris Saint-Germain et l'Olympique de Marseille, font actuellement l'objet de poursuites judiciaires pour des faits entrant dans le champ d'investigation de la mission.

En ce qui concerne le Paris Saint-Germain, le Parquet de Paris a ouvert le 3 janvier 2005 une information judiciaire sur les transferts de joueurs du club parisien entre 1998 et 2003. L'enquête préliminaire de six mois qui a précédé l'ouverture de cette procédure a mis en lumière des montages financiers complexes, accompagnés de commissions élevées. Cette procédure d'instruction est actuellement en cours.

En ce qui concerne l'Olympique de Marseille, le tribunal correctionnel de Marseille a condamné le 9 juin dernier treize des quatorze prévenus dans une affaire des transferts suspects entre 1997 et 1999, parmi lesquels plusieurs agents de joueurs. Les deux principaux condamnés, l'actionnaire principal du club et l'entraîneur, ont interjeté appel de cette décision.

Comme cela a déjà été souligné, le but de cette mission n'était pas d'examiner ou de commenter les cas de transferts de joueurs faisant l'objet de poursuites judiciaires. Tel n'est pas le rôle du Parlement. La mission a d'ailleurs auditionné un grand nombre d'acteurs des transferts, provenant d'horizons très différents, en dehors de toute polémique judiciaire, afin d'identifier les mécanismes qui peuvent mener à des pratiques non conformes à la réglementation, de prendre la mesure de leur caractère exceptionnel ou banalisé, et de parvenir à dégager des voies d'amélioration sur le fonctionnement des opérations de transferts.

La mission a pu constater au cours de ces auditions la réelle inquiétude des responsables gouvernementaux et européens vis-à-vis des pratiques frauduleuses liées aux transferts et des menaces qu'elles représentent pour les valeurs sportives à moyen terme.

Ainsi, M. José-Luis Arnaut, ministre portugais, présentant à la mission les conclusions de l'étude européenne indépendante qu'il a dirigée, a estimé que « 90 % des scandales qui ont éclaté (dans le football) concernent les transferts et les agents, et cela dans tous les pays. »

 Les raisons des pratiques frauduleuses

La mission a auditionné M. Noël Pons, représentant le Service central de répression de la corruption, qui, dans le cadre de plusieurs rapports annuels (1993, 1999 et 2003), a étudié les pratiques frauduleuses à l'œuvre dans le sport (58). Selon M. Noël Pons, plusieurs caractéristiques de l'économie actuelle du football professionnel expliqueraient sa vulnérabilité aux montages frauduleux, en particulier à l'occasion des opérations de transferts.

Tout d'abord, les opérations de transfert donnent lieu à des flux financiers importants, qui s'expriment en millions d'euros et qui représentent des occasions de mouvements de fonds frauduleux.

Par ailleurs, à l'instar du commerce d'objets d'art, les transferts constituent un support intéressant en raison de l'incertitude de leur valeur. Le montant d'un transfert est variable et n'obéit à aucune logique affirmée. En l'absence de référence externe fiable, le prix d'un transfert ne s'explique que par la rencontre de deux volontés, celle du club vendeur et celle du club acheteur. Il est donc facile de surévaluer la valeur d'un transfert, avec l'accord du partenaire contractuel, pour disposer plus tard du surplus.

Enfin, l'activité sportive, et en particulier le football professionnel, a pris une dimension mondiale générant des flux financiers internationaux, qui par nature échappent facilement aux contrôles des États. Les joueurs de haut niveau évoluent désormais sur un marché du travail unifié au niveau mondial, et fortement concurrentiel sur le continent européen à l'égard des clubs employeurs. Le parcours des meilleurs joueurs européens les conduit à passer fréquemment d'un club européen à un autre, dans une atmosphère de surenchère financière. D'autres éléments dépassent également de plus en plus fréquemment le cadre national : la couverture médiatique des évènements sportifs, l'exploitation des droits d'image des sportifs engagés ainsi que la taille des entreprises associées par le sponsoring. Cette mondialisation trouve peut-être actuellement sa meilleure illustration dans les tournées promotionnelles internationales que les clubs anglais organisent à l'étranger, en faveur de leurs supporters.

 Des fraudes difficiles à décrypter mais dont les mécanismes sont identifiés

Une fraude doit être appréhendée dans son ensemble. Elle n'est pas seulement caractérisée par la méthode frauduleuse utilisée (surfacturation, versement sur un compte bancaire inconnu, option d'achat non levée,...), mais aussi par le circuit des intermédiaires utilisés ainsi que par le support mobilisé (le motif officiel de la transaction comptable). La notion de montage financier associe ces trois éléments, qui sont toujours liés par un lien d'opportunité. Par exemple, un montage peut être considéré comme efficace par ses initiateurs, alors même que l'artifice comptable employé est très grossier, si le circuit des intermédiaires permet de dissimuler efficacement l'identité des bénéficiaires finaux.

Par ailleurs, la complexité est dans une certaine mesure inhérente à la nature frauduleuse des agissements en cause. Les personnes qui organisent ces montages frauduleux s'efforcent, pour dissimuler leur implication, d'y associer un certain nombre d'autres participants, afin de pouvoir détourner l'attention en cas de découverte. Les montages frauduleux sont donc par nature compliqués et imbriqués, pratiquant facilement le mélange des genres et impliquant une série d'acteurs d'horizons variés.

Lorsque des transferts de joueur sont concernés par des méthodes frauduleuses, ils sont eux-mêmes le support des montages ou bien donnent lieu à des montages ultérieurs.

- Les engagements comptables ne correspondent pas toujours aux engagements réels

Comme support d'opérations frauduleuses, les transferts sont utilisés pour réaliser des sorties de fonds injustifiés sans laisser de trace dans le système comptable du club.

La typologie des sorties de fonds frauduleuses présentée par le Service central de prévention de la corruption dans son rapport d'activité en 1993 est toujours d'actualité. Elle distingue différents niveaux de sophistication, en fonction des effets sur la traçabilité de l'opération et de l'implication du partenaire contractuel :

- l'achat fictif d'un joueur : le montant du transfert est versé en intégralité sur un compte secret. C'est la technique des fausses factures, où le partenaire contractuel est fictif ;

- le montant du transfert payé est surévalué : le surplus sera reversé par le partenaire contractuel sur un compte secret. C'est la technique des surfacturations (59) ;

- le joueur « acheté » ne joue finalement pas dans le club qui a acquis son contrat : le club d'arrivée verse une compensation financière sur un compte secret. Il s'agit de prêts sans contrepartie ;

- le paiement par le club d'une option d'achat sans intention réelle d'acquisition : le partenaire reverse la somme payée sur un compte secret. C'est la méthode frauduleuse la plus discrète du point de vue comptable.

Sur le territoire national, quel que soit l'artifice comptable employé, les instigateurs de sorties de fonds frauduleuses encourent toujours le risque d'être découvert par une action ciblée des services de contrôle sur le système d'information comptable du club, quant elle est associée à une vérification de la réalité des engagements contractuels auprès des partenaires du club. La mise en place de contrôles est donc fondamentale.

Par contre, le contrôle des transferts internationaux se heurte au problème de l'entraide des autorités de contrôles, et constitue une véritable faille de sécurité pour le contrôle financier. Ceci est d'autant plus inquiétant que 50 % des transferts sont organisés avec des clubs étrangers.

De fait, les auditions ont montré que les sorties de fonds frauduleuses utilisant les transferts comme support affectent prioritairement les transferts internationaux et que leur emploi est rare, car risqué, dans les transferts entre clubs français.

- Les transferts donnent parfois lieu à des montages ultérieurs

Les opérations de transfert donnent lieu à une série de transactions financières ultérieures, dont l'existence ne s'explique que par le souci d'honorer des engagements officieux pris dans le cadre du transfert.

Les acteurs du transfert peuvent avoir ainsi prévu, par des clauses non écrites ou gardées secrètes, de compléter leurs engagements financiers contractuels par des versements complémentaires. Les fonds promis sont fractionnées entre plusieurs paiements et versés par des tiers, à travers des contrats de merchandising ou d'exploitation d'image surévalués. Les sommes versées par les tiers sont ensuite remboursées par le club acheteur, parfois par le jeu de compensation de créances, dans le cadre de relations contractuelles régulières. La difficulté principale que ce type de montage pose aux enquêteurs réside dans le suivi des versements fractionnés et l'identification du lien avec l'opération initiale.

- Les transferts cumulent parfois les deux fonctions, de support et d'objet, dans des opérations d'évasion ou de dissimulation fiscale

Il en est ainsi, par exemple, du versement de « compléments de rémunération » à un joueur professionnel, dans le cadre d'une opération de transfert. La motivation de ces pratiques est d'échapper au paiement des cotisations sociales et des impôts normalement dus sur tout revenu salarial.

Il s'agit dans les faits de manœuvres d'évasion ou de dissimulation fiscale et sociales, utilisant les circuits usuels de ce type de fraude ou, d'une manière plus spécifique, la fiscalité plus avantageuse des autres grandes nations du football européen (Angleterre, Italie, Espagne et Allemagne).

En conclusion, compte tenu de la variété des montages rencontrés, on retiendra qu'il existe trois types de montages frauduleux :

- la majoration du montant des transferts versés à un club étranger, soit pour des motifs d'évasion fiscale, soit dans le but de constituer une réserve d'argent non déclaré ;

- le paiement indirect de joueurs par des sociétés tierces, par exemple, par des contrats d'exploitation d'image surévalués ;

- le paiement des commissions à un tiers, le plus souvent un agent sportif, qui sont rétrocédées soit au joueur, soit à certains membres du club payeur.

 Des difficultés pratiques de qualification, malgré l'arsenal répressif

Les fraudes sont des agissements illicites portant atteinte aux intérêts financiers de tiers (actionnaires d'un club sportif, État ou organismes de sécurité sociale) à l'encontre desquels le législateur français a établi un arsenal répressif important.

Certaines fraudes sont érigées en infraction et font l'objet d'une incrimination spécifique dans le code pénal. La fraude est alors constitutive d'un délit financier, dont la recherche et la poursuite relèvent de l'action publique.

Les infractions pénales évoquées dans le cadre d'activités sportives concernent tout d'abord les délits d'abus de biens sociaux, qui caractérisent le détournement des fonds d'une société en vue d'un enrichissement personnel (60).

Les soupçons d'activité de blanchiment sont parfois également évoqués. Le délit de blanchiment est classé parmi les délits de connivence : il vise à rompre le lien entre les produits d'un délit et l'infraction initiale (61). Il s'agit d'une forme de délit de complicité qui fait l'objet d'une incrimination spécifique par le législateur français depuis le 13 juillet 1996, incrimination qui reste d'un emploi difficile. Quelle que soit la nature des produits blanchis, l'accusation doit identifier l'infraction dont ils sont issus, et la preuve est d'autant plus difficile à apporter que l'infraction a été commise, le plus souvent, à l'étranger et s'intègre dans les multiples trafics d'une organisation criminelle internationale.

Enfin, les fraudes fiscales peuvent également faire l'objet d'incriminations spécifiques, décrites au chapitre II du livre II du Code général des impôts. Le délit général de fraude fiscale, visé à l'article 1741 du code général des impôts, est assorti d'une sanction pénale pouvant aller jusqu'à 5 ans d'emprisonnement et 37 500 euros d'amende (62).

La mise en œuvre des sanctions pénales reste toutefois une procédure très lourde : elle suppose des investigations poussées, l'intervention des personnes habilitées, ainsi qu'une analyse juridique approfondie des faits en cause, établissant clairement la responsabilité des auteurs.

Les fraudes peuvent toutefois être sanctionnées de manière plus opérationnelles par des dispositifs administratifs, dans lesquels elles sont considérées comme des irrégularités entraînant un préjudice financier et sont sanctionnées par des mesures administratives. Alors que les sanctions pénales requièrent une identification précise de l'auteur de l'infraction et la mise en évidence de son intention coupable, les dispositifs administratifs peuvent être mis en œuvre par des procédures moins lourdes qui leur donnent toute leur efficacité.

Ainsi l'article 155 du Code général des impôts établit que les versements effectués à l'étranger, en contrepartie d'un service rendu par une personne domiciliée en France, sont présumés avoir été réalisés au profit direct de cette dernière, dès lors que celle-ci n'est pas en mesure de prouver le contraire. Un club ne peut donc pas effectuer des versements en faveur d'un joueur sur un compte à l'étranger, sans que celui-ci ne soit contraint d'intégrer ce versement dans son revenu imposable. Les infractions sont sanctionnées dans un cadre administratif par un « redressement fiscal ».

Dans la pratique, l'articulation entre les régimes de sanctions pénales et administratives demande une analyse des irrégularités détectées, afin de déterminer si elles sont l'indice d'un montage frauduleux plus global et de préciser la nature de ce montage. Ainsi que l'a résumé M. David Trutet, inspecteur principal des impôts devant la mission « on dispose d'ores et déjà d'un arsenal assez complet pour lutter contre l'évasion fiscale, le problème se pose essentiellement au niveau de l'identification des fraudes et des intervenants. (63» Une analyse approfondie est souvent indispensable pour dénouer la complexité des montages que les fraudeurs ont mis en œuvre pour masquer leur identité.

Ainsi, le montant excessif d'une transaction commerciale peut révéler en première analyse l'existence d'un montage de nature fiscale - une « rétro commission » reversée comme « complément de salaire non-déclaré » à un joueur salarié -, mais peut aussi masquer une seconde commission s'apparentant à un détournement de fonds pour constituer une « caisse noire ». Il est également difficile d'évaluer le bien-fondé de certains abandons de créance consentis par des sociétés, qui apparaissent à l'issue d'un montage de dissimulation fiscale.

L'analyse de ces montages exige une capacité d'investigation qui n'est pas toujours à la disposition des contrôleurs qui détectent des irrégularités. Et les irrégularités détectées ne sont pas toujours de nature à motiver une saisine de l'appareil judiciaire, surtout lorsqu'elles dépassent les frontières.

b) De mauvaises justifications

 Le diktat des résultats sportifs

Un livre récent (64) s'applique ainsi à justifier la mise en œuvre des montages financiers qu'il détaille, par la volonté des clubs d'acquérir par tous les moyens les joueurs les plus performants.

Ces opérations, qui allègent le montant des charges sociales versées en France, seraient réalisées « dans le but de dégager les plus grandes marges de manœuvres financières possibles pour acquérir des joueurs les plus chers et donc les plus performants sur le plan sportif. »

L'argument sportif n'est pas nouveau. Les propos de M. Roger Rocher, qui a présidé à l'épopée historique des Verts de l'AS Saint Etienne jusqu'au début des années 1980, reviennent en mémoire : « J'ai été dans l'obligation de dissimuler certaines recettes afin de verser des rémunérations non déclarées à des joueurs qui seraient partis dans d'autres clubs où des avantages leur étaient proposés. Ce qui a été fait à Saint-Étienne était à la dimension du club et je ne suis pas seul à avoir pratiqué ce genre de chose. Je me sens coupable devant le fisc. Je ne me sens pas coupable devant les systèmes qui sont imposés par le jeu. (65) »

La persistance des pratiques qui ont provoqué la chute du célèbre club de football montre à quel point la fascination des résultats sportifs prévaut souvent sur une évaluation des risques financiers.

Elle souligne l'intérêt qu'il y a à utiliser les sanctions sportives pour réprimer efficacement les infractions financières, ainsi que le prévoit déjà l'échelle des sanctions à la disposition de la Direction nationale du contrôle et de la gestion (DNCG) (66).

 La valeur relative de l'argument des différentiels de fiscalité au niveau européen

L'existence d'un différentiel de fiscalité entre la France et les autres grandes nations du football européen est fréquemment avancée pour expliquer la pratique de montages financiers au sein des clubs professionnels. Ces différentiels qui affectent les sportifs de haut niveau et leur incidence sur la compétitivité des clubs sportifs ont été étudiés dans plusieurs rapports publics et ont fait l'objet de plusieurs mesures correctrices.

Les simulations établies en 2003 par les clubs sur les revenus de joueurs les plus élevés montraient que pour verser un euro de rémunération nette de tout impôt ou prélèvement obligatoire, un club français devait réserver trois euros de sa masse salariale. Pour leur part, les clubs des autres championnats européens
- allemands, espagnol, italien ou anglais - bénéficiaient de ratios plus favorables, oscillant entre 1/1,8 et 1/2. Le versement de 100 000 euros mensuels « nets d'impôts » amputait donc de 300 000 euros la masse salariale d'un club français, mais de 180 000 à 200 000 euros seulement la masse salariale d'un club anglais, italien ou espagnol. En conséquence, ces clubs étrangers étaient en mesure de promettre un salaire plus élevé et ainsi attirer les meilleurs joueurs.

Les disparités observées tiennent en réalité à l'existence, dans les autres grandes nations, de régimes de cotisations sociales spécifiques applicables au sport professionnel. Un calcul réalisé en 2003 par un cabinet d'audit a ainsi montré que le montant des charges sociales payés par l'employeur, pour un salaire de 1 800 000 euros annuels, était de 1 392 262 en France, alors qu'il n'était que de 335 392 euros au Royaume-Uni, de 15 965 euros en Italie, de 6 832 euros en Allemagne et de 10 469 euros en Espagne. Ces écarts s'expliquent par un plafonnement strict des cotisations - c'est le cas en Allemagne - ou par l'application d'un régime dérogatoire pour les joueurs - c'est le cas en Italie où le taux de cotisation de droit commun applicable en matière de retraite est de 32,7% (67).

Cependant, plusieurs éléments conduisent à relativiser l'influence de ce facteur.

D'une part, le différentiel constaté n'explique qu'une partie du handicap compétitif dont font état les clubs français. Ainsi que le montre un calcul effectué par M. Yvon Collin, sénateur (68), rapporté au budget moyen d'un club français, le différentiel des taux de prélèvement obligatoire ne représentait, en 2003, que deux cinquième du handicap économique des clubs français par rapport à leurs voisins. La différence tient aux recettes moindres des clubs français.

De plus, le différentiel a été réduit par une meilleure prise en compte de la rémunération du droit à l'image des joueurs, lorsque celui-ci est exploité dans un cadre collectif. Les clubs ont ainsi la possibilité d'intégrer la rémunération de l'exploitation de ce droit d'image dans le cadre du salaire versé au joueur, jusqu'à hauteur de 30 % du total, en exonération de charges sociales. L'impact de cette mesure, qui date de 2004, sur le montant des charges sociales acquitté reste toutefois à préciser.

Enfin, l'observation des dérives mises à jour dans les autres pays européens montre bien que le niveau de fiscalité n'est pas un facteur déterminant dans la décision des acteurs tentés par des montages illicites. Alors que le niveau des prélèvements obligatoire est en France bien supérieur à celui qui est appliqué aux joueurs de football professionnels dans les autres pays, tous les observateurs s'accordent à considérer que les dérives y sont nettement moins fréquentes qu'en Angleterre ou en Italie, par exemple.

c) Des risques sous-estimés

Un certain nombre de montages frauduleux concernent, en tout ou partie, le versement au joueur de rémunérations qui ne sont pas déclarées auprès des organismes fiscaux et sociaux. Il s'agit non seulement d'une pratique frauduleuse mais également d'une réelle prise de risque pour ceux qui les pratiquent ou qui y sont associés.

 Par les joueurs

Les joueurs sont implicitement rendus responsables des versements frauduleux dont ils bénéficient. Plusieurs personnes auditionnées ont regretté que les joueurs de haut niveau disposent d'un pouvoir de marché tel qu'ils exigent, au moment de la négociation salariale, que les offres leur soient présentées « nettes de tout prélèvement fiscal ou social », à charge pour les clubs d'aboutir, par des versements ultérieurs, au salaire promis.

On peut certes admettre que, dans la phase de négociation préalable à la signature d'un contrat, les discussions salariales puissent porter sur le revenu disponible du joueur après imposition et paiement des cotisations sociales. Mais il revient au club employeur de calculer le montant de la rémunération contractuelle propre à honorer ses engagements verbaux. Tout contrat portant la mention écrite d'une rémunération « nette d'impôts » est l'indication d'une intention frauduleuse, car il sous-entend que les sommes versées sur le compte du sportif ne seront pas déclarées.

Or il semble que les joueurs n'aient pas toujours conscience de l'objectif attaché à de tels engagements écrits, comme l'illustrent les arrêts de Bétancourt (du 3 février 1993) et Steck (du 4 février 1994) de la Cour de cassation. Dans ces deux affaires, les plaignants avaient saisi la juridiction judiciaire, et épuisé toutes les voies de recours, pour obtenir le paiement des rémunérations « nettes d'impôts » promises dans le cadre de contrats non homologués auprès de la Ligue de football professionnel.

Le fait d'être participant à titre passif, en tant que destinataire de fonds non déclarés, ne protège pas les joueurs des sanctions qu'ils encourent comme principaux redevables des sommes non versées aux organismes fiscaux et sociaux, quand bien même ils ne seraient pas les initiateurs des fraudes.

Le président de la commission d'appel de la Ligue de football professionnel, M. Laurent Davenas, a ainsi rappelé que plusieurs procédures de redressement de l'Union pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) ou des services fiscaux sont actuellement en cours et que certains joueurs se retrouvent ruinés du fait des mauvais conseils qui leur ont été prodigés (69).

 Par les clubs

Les fonds nécessaires à la satisfaction des exigences salariales des joueurs sont d'une telle importance que le risque est grand pour les clubs de basculer dans l'économie souterraine.

Ce risque n'est pas nouveau. En 1978, le dirigeant du club Paris Saint-Germain était contraint de démissionner de ses fonctions après la mise à jour de pratiques de double billetterie. Une partie des billets - près de 10 000 selon un décompte réalisé grâce à une méthode photographique - était vendue sans enregistrement comptable, dans le but d'alimenter une caisse noire destinée à verser des compléments de rémunération aux joueurs et entraîneurs.

La tentation que représentait le maniement de volumes importants d'espèces au moment des ventes à la billetterie a disparu en France avec la numérotation des places, mais la structure du budget des clubs sportifs, avec la montée en puissance des recettes provenant du sponsoring et du merchandising, offrent d'autres possibilités de constitution de « caisses noires ».

Le risque d'installation d'une économie souterraine existe dès lors que l'argent illicite (« noir ») circule de manière régulière entre plusieurs acteurs économiques, qui ont chacun mis en place à cette fin une « caisse noire », le plus souvent adossée à des comptes bancaires  « offshore » (dans des pays à faible fiscalité et faible contrôle bancaire). Le fonctionnement de ce type d'économie parallèle peut alors entraîner le « noirciment » d'argent, pour alimenter en tant que de besoin une « caisse noire » (70).

Alors que l'importance de ces risques justifierait la plus grande vigilance de la part des pouvoirs publics, les contrôles réalisés sur les flux financiers des clubs professionnels ne semblent aujourd'hui ni suffisamment efficaces, ni de nature à encadrer les transferts internationaux.

2. Des contrôles inefficaces

a) Des informations dispersées

 Dans la comptabilité des clubs

Au niveau des clubs, les instruments comptables actuels ne permettent pas un suivi approprié de l'activité d'acquisition et de cession de contrats de joueurs, en dépit de l'importance économique de cette activité (71).

L'information comptable sur les opérations de transferts est peu lisible, du fait de la dispersion des informations entre des comptes de nature différente ou entre plusieurs exercices comptables. Lorsqu'un contrat de joueur est acquis, l'indemnité de transfert est traitée comme le coût d'acquisition d'un actif incorporel, mais certains frais annexes, telles que les commissions versées aux agents sportifs, sont intégrés dans les charges générales.

Du point de vue de l'évaluation patrimoniale, la valeur initiale des contrats acquis est réduite du montant des amortissements pratiqués, qui sont étalés sur toute la durée des contrats. Lors de la cession d'un contrat, la valeur nette inscrite dans le système comptable sera donc très inférieure au coût d'achat initial. Dès lors, il est fréquent d'enregistrer une plus-value comptable, même lorsqu'un contrat de joueur est revendu à une valeur moindre que son coût d'achat - ce qui correspond à une moins value économique.

Le système d'enregistrement comptable actuel ne permet donc pas un suivi adéquat des opérations sur contrats de joueurs. Ce fait a été relevé dans le cadre de la procédure d'octroi de la licence de club UEFA qui impose aux candidats à la licence un suivi comptable à part entière de la valeur des contrats de joueurs détenus, sous la forme d'un tableau des joueurs spécifique reprenant l'ensemble des informations disponibles pour chaque contrat de joueur. (72)

 Dans les synthèses comptables nationales

Du fait des méthodes d'imputation comptables utilisées jusqu'à présent par les clubs, les données fournies par la Ligue ne permettent pas un contrôle de vraisemblance sur le montant des indemnités de mutation versées par les clubs.

Ainsi les données publiées par la DNCG pour la saison 2004/2005 correspondant aux contrats de transferts enregistrés par la Ligue de football professionnel - les engagements financiers des clubs - ne peuvent être confrontées au montant des paiements réalisés par les clubs pendant la même saison.

En effet, une variété de mécanismes comptables interfèrent et empêchent toute comparaison. Jusqu'en 2005, les indemnités de mutations reçues étaient comptabilisées dans leur intégralité en produits dans le compte de résultat, alors que la charge des indemnités de mutations versées était étalée sur toute la durée du contrat, grâce au mécanisme de transfert de charge. Depuis 2005, les opérations sur contrats de joueurs font apparaître au bilan consolidé des clubs la seule variation des immobilisations incorporelles, non représentative des montants échangés, et de nouvelles charges et produits comptables sont imputés dans le compte de résultat : l'amortissement comptable des contrats de joueurs en cours et le résultat exceptionnel des plus-values comptables enregistrées à l'occasion des vente de contrats de joueurs. Il est impossible, à la lecture des données comptables consolidées, de connaître le montant des indemnités payées par les clubs français pendant une saison sportive et a fortiori de les comparer aux montants des engagements contractuels.

b) Une logique de contrôle trop étroite

 La Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) n'est pas en mesure d'assurer le contrôle des opérations de transfert

- Du conseil au « contrôle de gestion sportif ».

Le décret n° 85-238 du 13 février 1985 a posé le principe d'un contrôle de gestion interne à chaque sport placé sous la responsabilité des fédérations nationales.

En quinze ans, le principe d'un contrôle financier spécifique aux clubs sportifs a lentement progressé pour répondre à la nécessité d'assainir les comptes des clubs professionnels mais avec la crainte, de la part des institutions sportives, de voir leur responsabilité financière engagée par des créanciers lésés en cas de liquidation judiciaire d'un club (73).

Plus durement touché que les autres sports par des faillites retentissantes, parfois suscitées par des malversations financières, le monde du football s'est doté bien avant les autres disciplines sportives d'un service de contrôle interne. À la fin des années 1980, les instances nationales ont mis en place une instance de conseil en gestion à destination des clubs, la Commission nationale de conseil en gestion. En 1989, le rapport Sastre ayant préconisé un renforcement du dispositif de contrôle, la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) a été créée au sein de la Fédération française de football.

Cette initiative a permis de montrer l'efficacité d'un tel dispositif pour prévenir ou limiter les effets des faillites des clubs de football, en Ligue 1
- affaires des Girondins, de l'Olympique de Marseille, ou plus récemment de Toulouse -, en Ligue 2 et dans le football amateur. Elle a également permis d'établir, sur le plan théorique, la notion de « contrôle de gestion sportif », qui permet de rattacher le contrôle financier des clubs sportifs à l'objectif de sauvegarde de l'intégrité des compétitions, lequel relève des attributions des autorités sportives.

Selon la doctrine, « les organismes sportifs de contrôle de gestion ont ainsi pour but principal de veiller à ce que le club qui commence un championnat, quel qu'il soit, soit en mesure de le terminer. Il s'agit donc de faire en sorte que la compétition ne soit pas faussée par le dépôt de bilan de l'un des participants en cours de saison, et qu'elle se déroule dans la plus grande intégrité possible, afin d'éviter que l'un des clubs concourant pour le même titre sportif ne puisse, avec des moyens financiers dont il ne dispose pas en réalité, engager des joueurs qui lui donneront un avantage compétitif.  (74) »

La loi n° 2000-627 du 6 juillet 2000, modifiant la loi du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, a consacré cette démarche en étendant à l'ensemble des disciplines sportives ayant une composante professionnelle la mission d'organiser un contrôle financier à finalité sportive : « chaque fédération disposant d'une ligue professionnelle crée un organisme assurant le contrôle juridique et financier des associations et sociétés mentionnés à l'article 11. Cet organisme est notamment chargé de contrôler que les associations et les sociétés qu'elles ont constituées répondent aux conditions fixées pour prendre part aux compétitions qu'elle organise. »

Ainsi que le souligne la doctrine, les textes, muets sur les modalités de mise en œuvre des dispositions de la loi de 2000, ont laissé la plus grande liberté aux fédérations pour la mise en place de ces instruments de contrôle. Chaque fédération a donc la responsabilité d'organiser en interne le déroulement des opérations de contrôle de gestion.

Les instances de contrôle mises en place dans les autres disciplines sportives se sont souvent expressément référées à l'exemple du football, en reprenant les termes de Direction nationale du contrôle et de la gestion des clubs sportifs (DNCG). C'est le cas notamment des disciplines collectives, telles que le basket-ball, le handball, le rugby et le volley-ball.

Confortées dans le rôle de précurseur que leur a ainsi implicitement reconnu la loi du 6 juillet 2000, les instances du football ont repris les termes de la loi relatifs aux missions de l'organisme de contrôle, dans l'article premier du règlement de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), sans en clarifier le contenu.

- Le choix d'un contrôle limité et non systématique n'a pas permis à la DNCG de disposer des informations financières relatives aux transferts de joueurs :

Par nature, le contrôle de gestion sportif s'apparente au contrôle de gestion interne dont les sociétés se dotent pour surveiller l'activité de leurs services ou de leurs filiales. Le contrôle de gestion a pour double objectif de donner aux dirigeants une image fidèle de l'activité de leur entreprise et de leur permettre d'évaluer les performances de leurs services au regard des objectifs qu'ils ont fixés. De ce point de vue, la lecture du règlement de la DNCG montre que celle-ci a reçu de la part des instances nationales du football français - la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel - des attributions ainsi que des moyens juridiques et matériels lui permettant de réaliser pleinement les missions qui lui ont été fixées.

Le système d'information sur lequel s'appuie tout contrôle de gestion doit assurer la fiabilité des données transmises, mais il est également organisé pour répondre aux objectifs spécifiques qui sont assignés au contrôle. En fonction de ces orientations, la collecte et le traitement des informations peuvent perdre une partie de leur caractère systématique et le contrôle de gestion une partie de son caractère prudentiel. À cet égard, les auditions organisées par la mission ont permis de mettre en évidence les lacunes du contrôle assuré par la DNCG en charge du football professionnel.

Le responsable de la Commission de la DNCG, M. Jacques Lagnier, a indiqué que la DNCG opère un contrôle des clubs à deux niveaux, fondé sur une procédure de simple surveillance à l'égard de l'ensemble des clubs, destinée à détecter les clubs en difficulté, et une procédure de contrôle renforcé pour les clubs aux difficultés avérées. Le circuit des informations suit cette logique duale : la DNCG ne reçoit communication que d'une partie des contrats de joueurs, alors que la Commission juridique de la Ligue examine pour homologation la totalité des contrats de joueurs transférés. Ce circuit résulte de l'article 254 de la Charte du football professionnel, qui restreint de fait le périmètre de contrôle de la DNCG aux seuls contrats de joueurs signés par les clubs faisant l'objet d'une mesure d'encadrement.

Interrogé sur la pertinence de cette limitation non inscrite au règlement de la DNCG, au regard des enjeux financiers que représentent les transferts, les responsables de la Ligue et de la DNCG ont estimé que les informations transmises à la DNCG sont actuellement suffisantes, compte tenu de la finalité sportive du contrôle de la DNCG.

Toutefois, les informations recueillies par la mission, notamment lors de l'audition des responsables de la Ligue professionnelle de rugby, montrent qu'il s'agit là d'un choix propre aux instances du football. Dans d'autres disciplines, une organisation appropriée du circuit de l'information permet de ne pas mettre la structure de contrôle à l'écart des informations collectées sur les transferts.

La mission regrette que l'on ait ainsi renoncé à la fonction prudentielle du contrôle de gestion, qui peut être pratiquée, même en l'absence d'obligation légale. À cet égard, les procédures de contrôle adoptées dans d'autres disciplines sportives paraissent plus satisfaisantes.

Par ailleurs, il est surprenant, au regard de l'indépendance de la DNCG si souvent mise en avant, que le circuit des informations parvenant à la DNCG soit décidé par les instances nationales du football et entériné dans la Charte du football professionnel.

La mission a pu constater qu'il ne s'agit pas d'un exemple unique et que les prérogatives de la DNCG sont parfois reprécisées au détour d'un article du règlement administratif de la Ligue de football professionnel, tel l'article 106.

Les rapports entre la DNCG et les instances nationales du football devraient être clarifiés, afin de donner à cette structure de contrôle interne les moyens d'une indépendance effective dans l'organisation de ses tâches.

 Les autres contrôles administratifs sont insuffisants

Plusieurs personnes auditionnées ont souligné que les pratiques frauduleuses interviennent, alors même que les clubs français font l'objet d'un grand nombre de contrôles de la part des services fiscaux et de l'URSSAF.

La mission a auditionné des représentants du ministère des finances, le 6 décembre 2006, pour connaître les procédures de vérification appliquées par les contrôleurs des services fiscaux. Elle s'est notamment attachée à comprendre pourquoi les infractions à l'article L 222-10 du Code du sport n'étaient pas sanctionnées dans le cadre de contrôles fiscaux, ainsi qu'en témoigne une circulaire d'instruction du ministère en date du 29 juin 2006 (75). Ces dispositions sont en effet importantes du point de vue de la prévention des fraudes : elles interdisent aux clubs de rémunérer les agents de joueurs et de verser plus de 10 % de commissions dans un transfert, afin d'éviter l'apparition de « rétro-commissions » faisant des agents de joueur des relais pour des pratiques frauduleuses.

Les interlocuteurs de la mission ont défendu l'autonomie du droit fiscal au regard des réglementations sectorielles, telle que la « réglementation sportive ». L'un d'eux a rappelé que : « le droit fiscal se caractérise par une certaine autonomie vis à vis des autres branches du droit : c'est un droit non pas immoral, mais amoral, en ce sens que l'on ne cherche pas nécessairement à se caler sur une réglementation autre que fiscale pour apprécier les conditions de déductibilité d'une dépense au regard de la TVA ou de l'impôt sur les sociétés (...) Le même principe prévaut pour les commissions versées à des agents par des clubs. (76) » Cette position est justifiée par une attitude de prudence à l'égard des contentieux que pourrait occasionner une interprétation trop extensive des règles de droit. « En l'absence de texte fiscal établissant la connexion entre les règlements sportifs et le code général des impôts, l'administration se heurterait inévitablement à la censure du juge de l'impôt.» Pour l'administration fiscale, « si demain le législateur décidait d'établir une connexion entre la fiscalité, et notamment la déductibilité des charges afférentes aux commissions d'agent, et les lois et règlements régissant le monde sportif, l'administration fiscale sera tenue d'en tirer les conséquences. En l'absence de toute connexion de ce genre, les principes généraux du droit fiscal prévalent. (77) »

Les représentants du ministère ont tenu à souligner que la « réglementation sportive » n'était pas pour autant ignorée lors des contrôles fiscaux. « La règle communément suivie par nos contrôleurs était de remettre en cause la réalité de la charge, dès lors que les versement étaient effectués en dehors de la réglementation purement sportive. » La réglementation sportive semble être utilisée comme un indicateur des pratiques en vigueur : pour le montant de la commission, « en dessous de 10 %, on est dans ce qui se pratique ; a priori, le niveau de la rémunération peut être considéré comme normal. Au-dessus de 10 %, la charge de la preuve est inversée : c'est au club de démontrer que des éléments particuliers propres à ce transfert justifiaient un tel montant. (78) » Ces propos sont conformes aux termes de la circulaire d'instruction ministérielle précitée : « Au-delà de ce taux de 10 %, il appartient aux clubs de justifier de la normalité de la rémunération versée, ainsi que de son intérêt à verser cette rémunération excédentaire. » (79)

En ce qui concerne l'interdiction faite aux clubs de rémunérer les agents de joueurs, la circulaire ministérielle l'exclut expressément du champ des contrôles fiscaux, puisqu'elle précise que du point de vue fiscal, « il sera admis que la condition relative à l'exigence d'un mandat soit satisfaite par un club lorsque ce dernier est en mesure de démontrer qu'il a rémunéré un agent habilité à représenter un joueur en vertu d'un mandat écrit passé par le joueur.  (80) »

Cette logique de contrôle étroit explique sans doute en partie pourquoi certaines pratiques frauduleuses ne pas relevées, ni même détectées, à l'occasion des contrôles auxquels sont soumis les clubs de football professionnels.

La mission considère en l'occurrence que les arguments avancés par les représentants du ministère des Finances concernant l'autonomie du droit fiscal ne concernent pas dispositions visées à l'article L 222-10 du Code du sport, en raison du régime de sanction prévu par cet article.

Le législateur a en effet voulu sanctionner fermement les infractions à ces dispositions qui visent à prévenir les fraudes, en précisant que : « toute convention contraire aux disparitions du présent article est réputée nulle et non écrite. » En toute logique, cette disposition n'est pas sans effet sur le droit à déductibilité des commissions versées en infraction à l'article L 222-10 : privées de support juridique, ces commissions devraient être considérées comme ayant été versées sans motif et devraient être réintégrées dans le résultat imposable.

Il revient aux services du ministère des finances d'apprécier si ces dispositions doivent être intégrés dans le corpus des textes fiscaux pour pouvoir être pris en compte dans le cadre des contrôles fiscaux.

 Le champ des contrôles doit être élargi au périmètre réel des opérations de transfert

La lutte contre les fraudes requiert des investigations spécifiques. Les pratiques frauduleuses prennent autant que possible les aspects de la normalité, notamment au niveau des enregistrements comptables. C'est pourquoi l'examen des informations comptables disponibles ne livre souvent que des indices, se présentant sous la forme d'anomalies qui exigeraient des contrôles plus approfondis pour vérifier la réalité des transactions.

En ce qui concerne les opérations de transfert, compte tenu des types de des fraudes identifiés par la mission, il est possible de distinguer trois périmètres d'investigation :

- la transaction de transfert (son objet, le montant des flux financiers et leurs destinataires) : il s'agit de vérifier que la totalité des sommes versées est parvenue à leur destinataire officiel ;

- l'usage des fonds par leur destinataire : il faut contrôler l'utilisation des fonds reçus par le club vendeur et les intermédiaires, afin de vérifier que ceux-ci ne reversent pas une partie des fonds reçus sur un compte convenu d'avance avec le club acheteur ;

- les possibilités de financements croisés : il faut identifier les partenaires habituels du club sur des contrats d'image, afin de vérifier que ceux-ci n'ont pas effectué de versements pour le compte du club faisant l'objet d'une régularisation par la suite.

Pour être efficaces sur ces trois périmètres, les organes de contrôle spécialisés doivent disposer de la compétence territoriale et technique nécessaires, ainsi que des prérogatives d'investigation appropriées. Ce n'est pas le cas des organismes actuellement impliqués dans le contrôle des clubs sportifs, enfermés dans des logiques de contrôle trop étroit ou ne disposant pas des prérogatives suffisantes (cas de la DNCG).

On peut regretter que les lacunes des contrôles ne permettent pas de mettre à jour les montages frauduleux et que ceux-ci résultent davantage des procédures d'enquêtes judiciaires, au détriment de l'image du sport.

3. Un défi commun aux pays de l'Union européenne

Comme cela a été souligné, 50 % des transferts - effectués par les clubs français - en valeur, sont réalisés avec l'étranger et c'est sur ces transferts que se concentrent certains types de fraudes.

Les problèmes que pose l'opacité des transferts internationaux tiennent autant de l'absence ou de l'insuffisance d'une régulation effective au niveau national que de l'enchevêtrement des compétences des institutions internationales, la Fédération internationale de football association (FIFA), l'Union des associations européennes de football (UEFA) et l'Union européenne. Comme le résume M. José-Luis Arnaut, ministre du Portugal et auteur d'un récent rapport européen, « (Au niveau international), le système des transferts soulève le problème de sa gouvernance. (81) »

a) L'absence de coordination internationale est un obstacle à la maîtrise des dérives

Le caractère international d'une transaction est un obstacle toujours important à la réalisation des contrôles, malgré l'existence de procédures de coopération. La coopération d'une instance de contrôle peut être plus facilement obtenue dans le cadre de l'instruction d'une infraction déjà constituée, ou lorsqu'il existe un soupçon étayé, que lorsqu'il s'agit de mettre en place des procédures de contrôle systématique.

Ainsi que l'a mentionné M. José-Luis Arnaut lors de son audition , « s'agissant des agents et des transferts, on observe l'apparition d'investisseurs étrangers à l'Union européenne qui achètent des clubs, dans un intérêt purement financier. Une même société peut être propriétaire de trois ou quatre clubs européens. (82)»

Cette multipropriété des clubs sportifs, autorisée par certaines législations ou résultant d'investissements réalisés dans plusieurs pays, risque d'engendrer de nouveaux types de fraudes : « En Belgique, un homme d'affaires chinois a acheté des clubs de première division tout en étant propriétaire d'une société de paris. Un club belge a essuyé une improbable défaite contre un club finlandais lors d'un match truqué. (83) »

Les soupçons d'activité de blanchiment sont parfois évoqués à propos des flux financiers ayant pour support des opérations de transfert qui se développent au niveau international entre clubs de football, parfois détenus par le même propriétaire. Le service central de prévention de la corruption a consacré un chapitre de son rapport d'activité 2003 aux phénomènes de blanchiment d'argent dans le sport, évoquant le rôle que peuvent y jouer les flux financiers associés aux transferts. De la même façon, le Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux (GAFI) rappelle que le commerce international permet de couvrir des opérations de blanchiment « ou constituer un mécanisme à part entière de blanchiment de capitaux (...) Un des moyens de blanchir des capitaux d'origine illégale consiste à sous ou sur-facturer des transactions transnationales. Dans une affaire, on a ainsi pu identifier un négociant qui avait versé d'importantes sommes d'argent pour des marchandises sans valeur. (84)»

La conjonction des phénomènes de multipropriété des clubs autorisés par certains pays, d'incertitude sur la valeur intrinsèque des transferts et d'absence de coordination internationale permet d'utiliser les opérations de transfert comme support privilégié pour des pratiques frauduleuses de niveau international. Un joueur peut ainsi faire l'objet d'un transfert international entre deux clubs détenus par le même propriétaire, pour une valeur surévaluée, dans le but, par exemple, de le revendre plus cher que sa valeur marchande auprès d'un troisième club, ou bien de réaliser une opération de blanchiment.

Il revient aux autorités publiques, de niveau national et international de veiller à ce que les opérations internationales de transfert de joueurs ne s'intègrent pas dans les réseaux de la criminalité internationale.

b) Le rôle de l'Union européenne est toujours en question

 L'absence de compétence spécifique constitue un obstacle majeur à l'instauration d'une politique européenne du sport

Le modèle sportif européen doit concilier des visions parfois très différentes parmi les Etats membres sur les rapports entre les instances sportives et les autorités étatiques.

Ainsi que le souligne M. Gérald Simon (85), l'organisation sportive est ambivalente. Elle peut être appréhendée comme le regroupement volontaire d'individus qui y participent ou comme le lieu d'expression d'une volonté unilatérale, qui se manifeste dans la définition des règles du jeu, des modalités de participation aux compétitions et de l'organisation de la discipline.

Le modèle libéral, anglo-saxon, reprenant le principe associatif, tend ainsi à reconnaître l'autonomie d'organisation des instances sportives et leur pleine compétence pour édicter des normes sur les sujets qui les concernent.

En France prévaut, au contraire, une vision hiérarchique des normes, qui justifie leur soumission au droit commun. En droit français, depuis 1945, le pouvoir des fédérations d'édicter des normes sportives tient sa source des prérogatives qui leur ont été confiées par les pouvoirs publics, dans le cadre d'une délégation de mission de service public. Toutefois, selon le Conseil d'État, il ne saurait y avoir d'autonomie ni d' « exception sportive », comme il le rappelle en introduction à une étude sur l'exercice des pouvoirs disciplinaires au sein des fédérations sportives (86).

Comme cela a été précédemment expliqué, cette soumission de principe n'exclut cependant pas qu'il puisse y avoir des tensions entre le droit français et les normes sportives, surtout lorsque celles-ci dérivent de normes édictées par des instances sportives internationales : c'est le cas du système des transferts qui interagit avec le droit du travail français. Mais les tensions ne se limitent pas à ce domaine.

Entre ces deux visions antagonistes de l'autonomie du mouvement sportif, tous les pays européens ont été conduits à réaliser leur propre synthèse, en tenant compte de leur contexte national, ainsi que le met en lumière un récent rapport de Mme Arlette Franco, députée, sur l'organisation et le financement du sport en Europe (87).

Cette situation n'est certainement pas sans rapport avec le fait que les traités constitutifs de la Communauté européenne, puis de l'Union européenne ne confient aucune compétence à l'Union européenne, ni en matière de sport en général, et a fortiori en matière de football professionnel.

La jurisprudence communautaire ayant contribué à préciser les interactions entre le droit européen et le sport, une première déclaration sur le sport amateur est annexée au traité d'Amsterdam en 1997. Elle a été complétée en 1999 par une seconde déclaration, annexée au traité de Nice, explicitant le point de vue du Conseil européen sur différentes questions touchant au sport. Le Conseil européen reconnaît la compétence de ces organismes pour édicter des « règles spécifiquement sportives » dans la réalisation de leur mission de promotion et d'organisation de leur discipline.

Enfin, le sport a fait l'objet d'un article spécifique dans le projet de Traité constitutionnel européen - article III-182 relatif au rôle éducatif et social du sport - et figure à l'article 16 relatif au champ des mesures de coordination, de complément ou d'appui du même projet.

 Dans le silence des traités, la jurisprudence a tenté de définir le champ de l' « exception sportive »

Les activités sportives n'étant pas expressément exclues du champ d'application du droit communautaire commun, le sport est a priori soumis aux règles générales des Traités et en particulier le sport professionnel, en tant qu'activité économique, aux règles communautaires de concurrence et de libre circulation des travailleurs. Cette règle a été confirmée dans son principe par un arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européenne de justice de 1974,
- l'arrêt Walrave-Koch -  mais à cette occasion la Cour a reconnu l'existence de règles «intéressant uniquement le sport», pour lesquelles la législation européenne ne s'applique pas.

Ont ainsi été rattaché au domaine des règles bénéficiant du régime de l' « exception sportive », les règles régissant la composition d'équipes sportives nationales (88), les modalités de sélection des sportifs par les fédérations pour participer aux compétitions internationales (89), l'obligation de jouer le match à domicile dans son propre stade (90) ou une limitation temporelle de la retransmission des compétitions de l'UEFA (91). Mais le champ des règles sportives a parfois aussi été défini de manière négative, notamment lorsque avec l'arrêt Bosman, la Cour de justice a estimé que le système des transferts de joueurs était soumis au droit communautaire, en dépit des observations de l'UEFA sur les conséquences d'une décision qui « remettrait en cause l'organisation du football dans son ensemble. (92) »

Cette construction jurisprudentielle a toutefois été récemment remise en cause par la Cour de justice des Communautés européennes elle-même dans l'arrêt Meca-Medina du 18 juillet 2006. Dans cet arrêt très discuté (93), la Cour, cassant le jugement du Tribunal de première instance, a considéré que les règles du Comité olympique international interdisant l'usage de produits dopants entraient bien dans le champ d'application du droit communautaire de la concurrence et a contrôlé la légitimité et la proportionnalité des restrictions de concurrence en cause. Elle a ajouté que « la seule circonstance qu'une règle aurait un caractère purement sportif ne fait pas pour autant sortir la personne qui exerce l'activité régie par cette règle ou l'organisme qui a édicté celle-ci (le CIO) du champ d'application du traité. (94» Cette position a été interprétée comme une remise en cause de la notion d'exception sportive, qui constitue, du point de vue des autorités sportives internationales, la reconnaissance à leur égard d'un domaine de pleine compétence réglementaire.

 Les institutions européennes en marche vers une meilleure prise en compte de la spécificité du sport.

Un nouveau consensus s'est fait jour entre les parties - institutions sportives internationales et institutions européennes, le Conseil européen, la Commission européenne et le Parlement européen - pour chercher à donner davantage de sécurité juridique aux règlements édictés par les institutions sportives internationales et préciser la politique des institutions européennes à l'égard des « règles spécifiquement sportives » visées par le traité de Nice.

- Les propositions du rapport Arnaut (octobre 2006)

Plusieurs rencontres ont eu lieu en 2005 entre les responsables de la FIFA et de l'UEFA et les représentants des instances européennes, pour mieux cerner la spécificité du sport professionnel et la présidence britannique a pris l'initiative de mettre en œuvre une « étude indépendante sur le sport européen » dont la conduite a été confiée à un comité de référence, composé du ministre des sports britannique, des ministres des sports de certains pays de l'Union et de représentants de l'UEFA. La rédaction du rapport a été confiée à M. José-Luis Arnaut, ministre du Portugal, qui a remis les conclusions définitives de son rapport en octobre 2006, peu avant son audition par la mission parlementaire le 6 décembre 2006.

Selon M. José-Luis Arnaut, le rapport poursuivait trois objectifs majeurs : « la définition du modèle sportif européen ; la reconnaissance de la spécificité du sport ; l'inventaire des instruments juridiques aux niveaux européen et national. (95) »

Le rapport relève que les règles édictées par les instances sportives se rattachent à trois domaines : la régularité et le fonctionnement des compétitions, l'intégrité du sport et l'équilibre des compétitions. Il rappelle les instruments juridiques dont disposent les autorités européennes, en l'état actuel du droit, pour prendre en compte la spécificité de ces règles : elles peuvent décider l'application du régime d'exemption par catégorie pour sortir des règles du champ du droit de la concurrence communautaire ou publier des lignes directrices définissant leur position sur certains sujets. Elles peuvent enfin prendre des directives pour réglementer des activités afférentes au sport.

Le rapport dresse une liste des « règles sportives » qui devraient être « automatiquement compatibles » avec le droit communautaire, tandis que d'autres règles « liées au sport » pourraient être soumises au droit communautaire sous réserve que « la spécificité du sport soit prise en compte ». Il invite ainsi les institutions de l'Union européenne à utiliser ces instruments pour régler les problèmes juridiques identifiés sur un certain nombre de points, tels que la procédure d'octroi de licence aux clubs, la commercialisation centralisée des droits, le système européen de réglementation des transferts de joueurs ou la réglementation des agents de joueurs.

Parallèlement, le rapport invite les instances sportives internationales, et en particulier l'UEFA, à exercer davantage leur pouvoir réglementaire pour régler les problèmes du football identifiés sur le territoire de compétence. C'est ainsi qu'il préconise par exemple un renforcement du système de licence de clubs UEFA, afin de mettre en œuvre un dispositif européen de « chambre de compensation » sécurisant les transactions de transfert de joueurs. Il préconise de même l'instauration de règlements adaptés au contexte européen, établissant notamment un système de transfert à l'échelle européenne et une réglementation spécifique des agents de joueurs.

Lors de son audition par la mission parlementaire, M. José-Luis Arnaut est revenu sur le rôle que devrait jouer l'UEFA pour la régulation des transferts européens : « Les transferts au niveau national doivent relever de la compétence nationale, ceux réalisés au niveau européen doivent être appréhendés par des organismes européens et les transferts intercontinentaux doivent relever de la FIFA. Nous sommes d'accord avec les principes de base qui ont été posés par la FIFA, mais il faudrait les appliquer. L'Europe est prête à réglementer les transferts à partir de ces normes de base. Sur le plan législatif, l'Europe pourrait créer des réglementations relatives aux transferts à partir des standards établis par la FIFA, mais il faudrait que les fédérations et les législations nationales mettent en œuvre des procédures visant à les faire appliquer effectivement. C'est ainsi que l'UEFA devrait créer une « central clearing house », un organisme destiné à assurer la transparence, et par lequel tous les transferts devraient passer. C'est d'ailleurs le système qui a été créé par la ligue anglaise pour les transferts nationaux. Seule l'UEFA a les moyens d'imposer ce système. (96)»

En ce qui concerne les agents de joueur, qui font actuellement l'objet d'une réglementation édictée par la FIFA, M. José-Luis Arnaut a expliqué à la mission les raisons qui l'ont conduit à préconiser l'encadrement de leur profession dans le cadre d'une directive européenne : « La profession d'agent est la seule à n'être soumise à aucune législation professionnelle. Une directive européenne porte sur la profession d'agent commercial, mais ne s'applique pas aux agents sportifs. Pour sa part, la FIFA n'a pas les moyens juridiques d'agir. C'est pourquoi nous considérons que ce problème doit relever de la responsabilité de l'État ou de l'Union européenne. Il n'existe pas à l'heure actuelle des critères exigeants pour accéder à la profession. Il n'y a pas de transparence (...) Une législation doit être adoptée, soit au niveau national, soit au niveau européen. Nous préconisons l'adoption d'une directive, à partir du modèle de la directive relative aux agents commerciaux, qui devrait s'appliquer au sport en tenant compte de ses spécificités. (97)»

Selon l'analyse de M. José-Luis Arnaut, le défaut de la réglementation actuelle édicté par la FIFA pour les agents de joueur tient moins à une insuffisance de son contenu qu'au fait qu'elle n'est pas appliquée. C'est ce qui justifie une intervention à l'échelon européen : « Le système prévu par la FIFA ne fonctionne pas, parce que la FIFA n'a pas les moyens de le faire appliquer. C'est aux pouvoirs publics qu'il appartient d'intervenir, en incitant l'UEFA à créer un système de transferts s'imposant aux clubs, et en adoptant une législation spécifique pour réglementer la profession d'agent sportif. (98)»

- Les propositions du Parlement européen pour le football professionnel en Europe

Les députés du Parlement européen se sont également saisis de la question et un projet de résolution du Parlement européen sur « l'avenir du football professionnel en Europe » a été élaboré par M. Ivo Belet, député européen, rapporteur pour la Commission de la culture et de l'éducation.

Ce projet constate la situation d'insécurité juridique dans laquelle sont placées les institutions sportives internationales quant à leur capacité à édicter des règlements sur des sujets affectant le football européen. Il souligne que les règles « purement sportives » n'entrent pas par principe dans le champ d'application du droit communautaire mais que les aspects économiques du sport professionnel y sont soumis en tenant compte des caractéristiques spécifiques du sport. Il invite la Commission à élaborer un plan d'action pour le football européen identifiant les questions ainsi que les instruments juridiques à employer.

En ce qui concerne les transferts, le projet de résolution souhaite un renforcement du système de licence de club de l'UEFA par l'introduction d'un « système de contrôle des coûts » permettant de garantir des conditions de concurrence équitables entre les clubs et de contribuer à leur stabilité financière. Il demande à l'UEFA que ce système soit mis en œuvre sous la responsabilité d'un organe de contrôle indépendant.

Quatre autres commissions du Parlement européen ont été saisies pour avis, parmi lesquelles la Commission de l'emploi et des affaires sociales qui a nommé comme rapporteur M. Jean-Luc Bennahmias, auteur d'un précédent rapport sur le sujet (99). La Commission de l'emploi et des affaires sociales a adopté le 23 novembre 2006 un avis recommandant notamment la création d'une agence européenne pour la transparence financière dans les clubs de football européen, dénommée « Agence du sport », chargée de veiller à la santé financière de l'ensemble des clubs européens et dotée de pouvoirs de sanction. Il préconise également l'instauration d'un statut européen pour les agents sportifs, dont le respect serait contrôlé par un organisme de certification. Enfin il soutient la demande de la FIFA et de l'UEFA en faveur d'une restauration des quotas de joueurs nationaux garantissant 6 joueurs nationaux pour 5 joueurs étrangers.

M. Jean-Luc Bennahmias a précisé lors de son audition par la mission parlementaire, le 19 décembre 2006, que l'organisme de contrôle et de transparence financière qu'il envisageait était une instance indépendante de l'Union européenne, et que sa mise en œuvre pouvait dans son esprit être également du ressort des instances sportives internationales : « Si vos initiatives sont limitées au niveau national dans la mesure où toute législation serait inefficace dès lors qu'elle n'existerait pas dans les autres pays, nous le sommes tout autant au niveau européen, car l'Union européenne n'a pas de compétence en matière sportive. Qu'un seul pays ne s'intéresse pas à la question au niveau européen, et l'on ne peut plus avancer. C'est pour cela que je réfléchis à la capacité des instances du football à prendre les choses en main, à la place de la Cour européenne de justice.  (100) »

- La Commission européenne reste réservée sur le rôle qu'elle pourrait jouer dans le cadre juridique actuel

La Commission européenne prépare actuellement un Livre Blanc abordant le rôle de l'Union européenne en matière de sport, sur lequel peu d'informations ont été rendues publiques.

Selon M. Pierre Mairesse, en charge de la direction « jeunesse, sport et relations avec le citoyen » de la Commission européenne, auditionné le 7 janvier 2007, « (la Commission européenne a) réfléchi aux moyens de prendre, malgré tout, des initiatives. C'est le sens de la rédaction du Livre Blanc, qui sera prochainement publié. Ce document politique sera une synthèse de nos réflexions sur les principales questions qui touchent le sport. Il couvrira l'ensemble des sports, amateur comme professionnel. Ce Livre Blanc abordera les questions liées au rôle spécifique du sport dans la société, notamment son rôle éducatif, social, citoyen. Il devrait également traiter de son impact économique et des questions relatives à l'organisation du sport et au rôle de l'Union européenne, de l'autonomie des fédérations, des relations entre les fédérations internationales et l'Union européenne.  (101)»

M. Pierre Mairesse précise que : « le Livre Blanc ne sera pas une étude, un document d'analyse. Il fera des propositions. Je ne suis pas sûr qu'il fera celles que vous attendez, mais il fera des propositions très concrètes.  (102) »

La question des transferts et des agents de joueur fait ainsi actuellement l'objet d'une réflexion spécifique par les services de la Commission européenne. Pour ce qui concerne les transferts, au sein des services de la Commission semblent assez réservés. Selon M. Pierre Mairesse : « La question qui se pose est de savoir si la solution des problèmes qui se posent en matière de contrôle des flux financiers passe par la création d'une agence européenne. Je ne peux pas le dire aujourd'hui. À mon avis, ce sera difficile. » « À ce stade, à la Commission européenne, nous pensons plutôt qu'il faut compter sur l'autorégulation. Il nous semble assez difficile de mettre en place au niveau européen des instances de nature publique ou parapublique qui contrôleraient les transferts.  (103)» En revanche, les problèmes d'harmonisation du statut des agents sportifs au sein des pays européens pourraient justifier l'adoption une directive européenne. « Le problème des agents est un sujet majeur, sur lequel la dimension européenne est assez forte. Si certains pays ont déjà adopté des règles en la matière, c'est loin d'être le cas de tous les pays. » « En faveur d'une directive, il y a le fait que l'Union européenne a déjà adopté une directive relative aux agents commerciaux. Malheureusement, elle ne s'applique qu'au commerce de marchandises. La dimension européenne du problème et le manque d'harmonisation entre les différents pays militent également pour l'adoption d'une directive.  (104)»

En tout état de cause, la mise en oeuvre de tels dispositifs exige une volonté forte de la part des États membres. L'absence d'une telle volonté apparaît en fait comme le principal obstacle actuellement.

M. Pierre Mairesse a ainsi estimé peu probable la création d'une Agence centrale européenne des transferts, compte tenu de l'unanimité requise pour ce type de décision : « s'il n'y a pas un accord sur ce point entre les Vingt-Sept, et étant donné que la Commission européenne n'a pas de compétence en la matière, on se heurte à des obstacles pratiques et juridiques.  (105)»

En ce qui concerne le statut européen des agents sportifs, ce sont des considérations similaires qui l'incitent également à la prudence : « Actuellement, il n'y a pas de volonté forte de la Commission européenne de proposer de nouvelles directives. Avant qu'elle en propose une dans le domaine qui nous intéresse ici, il devra être procédé à une évaluation très forte de la demande, de la justification politique d'une telle initiative. On a beaucoup reproché à l'Union européenne de trop légiférer, et sur trop de sujets. La question des agents est très importante dans le domaine du sport, mais dans l'ensemble des problèmes européens, elle constitue un sujet particulier. Il y a peut-être d'autres priorités.  (106)»

c) Les instances sportives internationales conservent un rôle moteur

 La FIFA et l'UEFA au sommet d'un ordre juridique transnational

Dans un ouvrage récent consacré au football (107), M. Pascal Boniface, directeur de l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), souligne la fonction de régulation assumée par les institutions du football mondial, en comparant la FIFA à l'ONU, les fédérations nationales à des États, et les clubs professionnels aux sociétés nationales.

Fondée à Paris le 21 mai 1904 à l'initiative d'un journaliste français, par les fédérations de huit pays au sein desquels figure la France, la FIFA connaît une augmentation régulière du nombre de fédérations adhérentes au cours du XXème siècle, au rythme de l'extension du football dans le monde et de la multiplication du nombre d'États. Hormis l'exception historique des 4 fédérations de football britanniques, la FIFA n'admet en effet l'adhésion que d'une seule fédération pour chaque État. En 1930, année de la première coupe du monde, elle compte 36 fédérations affiliées, et en 1950 au moment de la troisième coupe du monde, celles-ci sont au nombre de 73. À l'heure actuelle, la FIFA compte environ 207 associations nationales affiliées dans toutes les parties du monde. Sur la seule période 1975-2002, plus de 60 associations nationales ont été acceptées en tant que membres.

La FIFA organise plusieurs compétitions de niveau international, principalement destinées aux équipes nationales constituées par les fédérations affiliées. La compétition phare est la Coupe du monde de football. Mais la FIFA a également un rôle de régulation du football mondial qu'elle assume pleinement, avec, en particulier, le concours des fédérations affiliées.

La FIFA est d'une part étroitement associée à la définition des règles du jeu, au sein de l'institution qui en a historiquement la charge, l'International football association board (FIAB), dont elle est membre à part égale avec l'ensemble des quatre fédérations de football britanniques fondatrices (108).

D'autre part le souhait de maîtriser le déroulement des compétitions a conduit à l'édiction de normes réglementaires, parmi lesquelles les conditions de participation aux différentes épreuves, les modalités d'accueil du public dans les infrastructures, les règles de diffusion télévisuelle et de publicité, le statut sous lesquels opèrent les compétiteurs ou les personnels amenés à les encadrer, ainsi que la régulation des transferts. Les fédérations sont chargées de transcrire ces normes dans leur contexte national.

Enfin, d'un point de vue juridique, l'organisation sportive est structurée par le lien d'affiliation qui relie chaque niveau de compétence territoriale. La FIFA et les six confédérations continentales n'acceptent l'affiliation que de fédérations nationales. En vertu des statuts standards préparés par la FIFA, ces fédérations elles-mêmes reçoivent l'affiliation d'autres catégories de membres : clubs, associations régionales, ligues ou groupements de personnes physiques. Dans son dernier étage, la pyramide des liens d'affiliation atteint les personnes physiques, pour lesquels ce lien se traduit par la délivrance d'une licence, spécifique pour chaque catégorie de personnes (joueur amateur, joueur professionnel, entraîneur, dirigeant de clubs, agent de joueur). À chaque niveau, le lien d'affiliation donne aux personnes ou organismes affiliés le droit d'accès aux compétitions organisées par les instances sportives dans le cadre des règles fixées.

À l'instar de la FIFA, l'Union des associations européennes de football (UEFA) est une association de fédérations nationales, à l'échelle du continent européen. Fondée en 1954, elle regroupe 52 fédérations nationales. Sa mission est de promouvoir le football, en particulier par l'organisation de compétitions européennes.

À la différence des compétitions de la FIFA qui sont réservées pour l'essentiel aux équipes nationales, les compétitions se déroulant sous l'égide de l'UEFA sont destinées aux équipes des clubs professionnels. Les clubs sont sélectionnés sur la base d'un classement des différentes fédérations nationales et des différents clubs.

Le président de l'UEFA est élu tous les quatre ans au moment de son congrès annuel Le 26 janvier 2007, les membres de la mission parlementaire se sont réjouis de l'élection à la présidence de l'UEFA de son nouveau président, M. Michel Platini, qu'ils avaient auditionné un mois auparavant.

 Une coordination nécessaire

- Le rôle de l'UEFA s'est récemment affirmé

L'UEFA a introduit depuis la saison 2004/2005 un système de licence de club subordonnant la participation aux compétitions qu'elle organise à la détention par les clubs d'une licence spécifique. Cette licence est délivrée par les fédérations nationales sur la base d'un ensemble de critères sportifs, de qualité des infrastructures, d'organisation administrative et de gestion financière, rassemblés dans un manuel de procédure établi par l'UEFA. Chaque fédération affiliée a la responsabilité de définir un manuel national fixant de manière plus précise les règles s'appliquant aux clubs, dans le respect des orientations fixées par l'UEFA.

En matière financière, les procédures mises en place par l'UEFA visent à assurer la transparence des comptes des clubs et  le contrôle de leur équilibre financier. Les informations demandées font l'objet d'une procédure d'évaluation, pouvant aller de la certification à l'audit, par un organisme externe qui est en France la DNCG. En pratique, par le jeu de l'autonomie de décision laissée aux fédérations nationales, le circuit d'informations financières décrit dans le manuel français pour la licence UEFA semble proche de celui qui préexistait dans le cadre du contrôle national assuré par la DNCG.

Les travaux de l' « étude indépendante sur le sport » conduite par M. José-Luis Arnaut et ceux menés par le Parlement européen ont appelé à un renforcement des critères financiers de la licence UEFA. Ils ont aussi demandé une application plus homogène de ces critères financiers parmi les fédérations, notamment grâce à des audits décidés au niveau européen.

M. Gianni Infantino, directeur juridique à l'UEFA, a apporté des précisions sur les projets de la confédération pour renforcer les contrôles, lors de la table ronde du 17 janvier 2007 : « Nous parvenons précisément à contrôler 80 % des cas. À partir de l'année prochaine, nous allons mettre en place trois échelons de contrôle des licences des clubs : un premier au niveau de la fédération nationale qui les attribuera sur la base de critères fixés par l'UEFA ; un deuxième au niveau d'un département spécialisé de l'UEFA qui effectuera des spot checks, autrement dit des contrôles inopinés avec l'aide d'auditeurs extérieurs dans dix fédérations par an pour vérifier si elles appliquent correctement le dispositif et éventuellement prendre des sanctions.(...) Nous commençons l'année prochaine. Nous en avons fait un en France l'an dernier, mais nous sommes encore en phase-test. Troisièmement, nous avons mandaté la Société générale de surveillance, qui délivre les certifications ISO, pour contrôler les cinquante-deux fédérations et certifier leurs procédures.  (109)»

En ce qui concerne les transferts, il a ajouté qu' « un nouveau système entrera en vigueur en 2008-2009, qui visera précisément à renforcer la transparence des transferts : afin de pouvoir exercer un véritable contrôle, nous demanderons à l'ensemble des clubs de dresser la liste de tous les transferts.  (110)»

- la FIFA travaille elle-même à la mise en place d'instruments spécifiques.

La FIFA a décidé en septembre 2005, lors de son Congrès de Marrakech, la mise en place d'une task force « Pour le bien du jeu », se composant de trois groupes de travail. Les propositions du groupe de travail sur les questions financières portent sur cinq domaines :

-  les mesures concernant les prises de participation ou les prises d'intérêts dans les clubs ;

-  les mesures visant à obtenir l'information sur les transferts des joueurs ;

-  les mesures concernant les agents de joueurs ;

-  les mesures concernant les paris ;

-  les mesures en vue de créer un système de licence de club au niveau mondial.

En ce qui concerne les transferts, la FIFA souligne l'absence d'informations des instances internationales, FIFA et UEFA, et des fédérations nationales relatives aux paiements de transferts. La FIFA prévoit de mettre en œuvre au plus tard à partir de la saison 2008/2009 une base de données permettant aux clubs de déclarer les informations financières et contractuelles relatives à chaque transfert. Ces données seraient saisies de manière séparée par les deux clubs concernés par un transfert. Elles comprendraient l'identité du joueur, les caractéristiques de la transaction (montant, conditions de paiement, comptes bancaires d'opération) ainsi que tous les détails utiles (présence d'un agent de joueur,...).

En ce qui concerne les agents de joueur, le groupe de travail de la FIFA fait le constat que certaines dispositions du règlement relatif aux agents ne sont pas bien appliquées, et propose de lancer une concertation avec les acteurs concernés pour renforcer les règlements actuels.

Enfin, le groupe de travail de la FIFA propose de fonder la base réglementaire pour un système de licence de club mondial, qui en définisse les principaux objectifs, ainsi que les critères minimums requis pour permettre aux clubs d'accéder aux compétitions organisées à leur intention par les confédérations.

La mission se félicite que ces orientations correspondent globalement aux solutions qu'elle propose de mettre en place dans notre pays le plus rapidement possible.

II.- LES CONDITIONS D'EXERCICE DE LA PROFESSION D'AGENT SPORTIF : DES FACTEURS DE RISQUE POUR L'ÉTHIQUE SPORTIVE

Le développement du sport professionnel, après la première guerre mondiale, a suscité l'apparition des premiers intermédiaires, à l'origine de la profession d'agents sportifs (111). Leur nombre a augmenté de façon significative dans les années quatre vingt ; c'est particulièrement vrai dans le secteur du football où une économie en forte croissance a attisé les convoitises. Les agents sportifs jouent ainsi un rôle d'intermédiaire en particulier dans les opérations de transferts. Le souci de moralisation de leurs activités a conduit la FIFA à édicter une réglementation spécifique de cette profession.

A. L'ENCADREMENT DE LA PROFESSION : UN SOUCI DE MORALISATION

Le législateur français partageant le souci des instances internationales, a adopté une série de dispositions encadrant l'activité des 187 agents en activité recensés par la Fédération française de football pour un marché français de près de 2 000 joueurs professionnels.

1. Qu'est ce qu'un agent sportif ?

a) Un intermédiaire dont le rôle économique est reconnu

D'une manière générale, dans des conditions parfaites de marché, la confrontation directe entre une offre et une demande pour un bien conduit à un équilibre. Dans la réalité, des facteurs externes, notamment des défauts dans la diffusion de l'information, entraînent des défaillances du marché, ce qui justifie la présence d'un intermédiaire. Comme M. Didier Primault, économiste au Centre de droit et d'économie du sport, l'a indiqué à la mission : « Sur un plan économique, l'agent est un intermédiaire, comme on en trouve dans le système bancaire ou sur le marché de l'immobilier. Le rôle d'un intermédiaire, dans un marché, est de remédier à ce que les économistes appellent l'asymétrie de l'information, c'est-à-dire le fait que les acteurs d'un marché ne partagent pas tous la même qualité d'information.  (112)»

Cette fonction de régulation économique est admise par le Service central de prévention de la corruption (SCPC) pour lequel l'activité des agents sportifs « consiste à rechercher la meilleure utilisation possible de ces professionnels car ils sont de bons connaisseurs des techniques et des besoins des clubs.  (113)»

Le rôle économique des agents explique sans doute qu'ils aient, pendant des années, exercé leur activité en contradiction avec le principe du monopole public de placement appartenant à l'Agence nationale pour l'emploi (114). L'encadrement de la profession d'agent sportif par le code du sport en 1992 a donc eu pour objet de soustraire l'activité de ces agents à la prohibition des opérations de placement payant instaurée par l'article L. 312-7 du code du travail mais aussi d'en contrôler l'exercice, ainsi que l'a rappelé M. Pierre François, Inspecteur général de la jeunesse et des sports : « Vous avez posé la question de l'utilité des agents sportifs. Rappelons qu'il s'agit d'un système dérogatoire au droit commun qui interdit le placement payant. La loi de 1992 a fait une exception pour les agents. Était-ce pour mieux encadrer ou pour reconnaître ? C'est un problème de philosophie législative... Reste qu'il s'agit bien d'un système dérogatoire, et qu'à ce titre il est encadré.  (115)»

b) Un intermédiaire entre les joueurs et les clubs et un conseiller

Aux termes de l'article L. 222-6 du code du sport, l'intermédiaire sportif est défini comme « toute personne exerçant à titre occasionnel ou habituel, contre rémunération, l'activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d'un contrat relatif à l'exercice rémunéré d'une activité sportive. »

Cette définition couvre à la fois le rôle des agents auprès des joueurs et auprès des clubs. En effet, l' « activité sportive » visée par ce texte peut être celle exercée par le sportif lui-même ou bien par une personne appartenant à l'encadrement sportif d'un club. Le rôle d'intermédiaire correspond à plusieurs activités distinctes.

 L'activité de conseil et d'assistance au joueur

Cette activité est, et devrait rester, la mission première des agents sportifs.

Historiquement, les joueurs ne se sont pas toujours trouvés dans une situation où les rapports de force leur étaient favorables. MM. Jean-Jacques Gouguet et Didier Primault, économistes du sport, rappellent ainsi qu'au début du professionnalisme dans le football, « le joueur était devenu une marchandise. Il est vendu et acheté par les clubs qui spéculent sur sa valeur... On a alors comparé le footballeur non à un salarié libre de s'employer auprès du patron de son choix mais à un véritable esclave qu'un propriétaire peut vendre à un autre propriétaire. De nombreux exemples sont donnés montrant comment les dirigeants ont fait prévaloir leurs intérêts contre ceux des joueurs dans l'impossibilité de se défendre. (116) » Dans son livre « Agents de sportifs », Mme Delphine Verheyden rappelle que des agents sont apparus très tôt pour qu'il n'y ait plus de joueurs (117) comme Marius Trésor qui signe seul en 1971 à l'AC d'Ajaccio, un contrat de huit ans pour 2 500 francs par an, contrat qu'il parviendra heureusement à rompre en 1972. À partir des années 70, le football connaît une inversion des rapports de force défavorables aux joueurs : la première grève des joueurs en 1972 débouche sur la signature de la Charte du football en juin 1973. M. Michel Platini a rappelé le rôle joué alors par les agents pour la défense des intérêts des joueurs : « Je crois pour ma part que les agents jouent un rôle important. Ils peuvent aider les joueurs, qui sont jeunes - entre 14 et 30 ans - à se défendre contre les présidents de clubs, qui les ont exploités pendant de très nombreuses années, jusqu'à la Charte du football professionnel de 1973, et même jusqu'à l'arrêt Bosman(118»

Dans ce contexte, la situation des joueurs s'est améliorée et ces mêmes auteurs donnent comme élément d'explication, « l'arrivée massive des intermédiaires. En effet, depuis le milieu des années 80, les agents s'imposent aux clubs et aux joueurs, ces derniers leur confiant la gestion de leur carrière. Les clubs ne peuvent plus imposer leurs conditions à des joueurs désarmés comme à la période précédente.  (119) »

Cette évolution ne doit pas faire oublier que les clubs disposent encore de pouvoirs importants car, au-delà du marché des joueurs vedettes, il existe un marché des joueurs plus anonymes qui ont donc besoin d'être défendus. C'est comme le rappelle M. Frédéric Thiriez, président de la Ligue de football professionnel, « le schéma normal et l'activité quotidienne des agents, comme du reste de la Ligue : on compte à peu près 5 000 contrats et avenants de ce genre par an.  (120) »

M. Bertrand Cauly, agent sportif et membre du Collectif 2006 des agents sportifs, estime que « l'essence de notre métier ... consiste en premier lieu à défendre et à représenter des joueurs entre 16 et 30 ans face à des dirigeants d'entreprise fort habiles en affaires. Nous sommes donc agents de joueurs et nous défendons les joueurs. (121) »

La profession d'agent apparaît donc aujourd'hui indispensable dans le monde du football, dans la mesure où ces professionnels sont les mieux placés pour défendre les intérêts des joueurs, notamment lors de la phase de négociation de leur embauche par les clubs. Cette mission s'avère d'autant plus importante que, la majorité des joueurs n'ayant pas le statut de vedette, ils ont besoin d'être assistés par une personne compétente lors de leur recrutement.

 L'activité de prospection et de recherche des joueurs pour les clubs

Pour la prospection et le recrutement de joueurs, les clubs disposent - du moins les plus importants - de cellules de recrutement au sein desquelles travaillent des salariés. Ainsi, selon M. Alain Vernon, journaliste à France 2, « Marseille en a cinq, Paris quatre, Saint-Étienne trois, Lens un. (122) »

Mais un club, quelle que soit la taille de sa cellule de recrutement, ne peut connaître, sans les agents, la totalité des sportifs susceptibles d'intégrer son effectif et de correspondre à ses exigences.

Les agents sportifs facilitent le travail de prospection et de recherche des joueurs et ils reçoivent pour cela un mandat de recherche.

La nécessité de cette fonction a pourtant été plusieurs fois remise en question devant la mission ; non seulement parce qu'à cette occasion, peuvent être signés certains types de contrats dont on ne sait pas très bien ce qu'ils recouvrent et qui peuvent cacher des transactions irrégulières (« contrats de supervision » ou « contrat de valorisation » mentionnés par M. Rodolphe Albert, ancien directeur financier du Paris Saint Germain (123)), mais surtout parce qu'elle est au cœur des dérives constatées lorsqu'elle est exercée en dehors de sa vraie finalité (cf. infra).

 L'interdiction du double mandatement

La possibilité laissée aux agents sportifs d'exercer leur profession tant au bénéfice des joueurs qu'auprès des clubs comporte des dangers évidents : conflits d'intérêts et mélange des genres. Aussi, l'article L. 222-10 du code du sport prohibe-t-il le double mandat dans les termes suivants : « Un agent sportif ne peut agir que pour le compte d'une des parties au contrat qui lui donne mandat et peut seule le rémunérer... Toute convention contraire aux dispositions du présent article est réputée nulle et non écrite. » Rappelons que, selon le droit commun des contrats de mandat, l'exécution doit être loyale et diligente, ce qui interdit à l'agent d'agir dans son intérêt personnel. Ainsi l'agent de joueur doit mettre en œuvre son pouvoir d'initiative et de conseil au mieux des intérêts financiers et sportifs de son client, ce qui n'est guère réalisable lorsque l'agent a signé un contrat à la fois avec le joueur et le club.

Or, l'interdiction de double mandatement est souvent contournée par la pratique du paiement de l'agent par les clubs et non par les joueurs
(cf. C-2-a : L'habillage juridique d'un contournement de la loi).

c) Le point de rencontre de différents intérêts

La mission des agents sportifs, dés lors qu'elle est exercée avec la compétence, la diligence et la mesure que commande la réussite des relations contractuelles qu'elle engendre, est d'une incontestable utilité sociale, économique et humaine. Malheureusement, l'incompréhension par de trop nombreux agents sportifs, dirigeants de clubs et sportifs eux-mêmes de la réelle finalité de cette activité conduit souvent à des comportements non conformes à leurs missions.

 Les risques du métier d'intermédiaire

Ces dérives sont liées à la place même des agents sportifs dans le système. Dans son rapport pour 1998-1999, le Service central de prévention de la corruption (SCPC) indiquait que d'une manière générale - ce n'est pas spécifique au secteur du sport - les activités de conseil et d'intermédiaire constituent des vecteurs de montage frauduleux, en ce sens qu'ils sont des « facilitateurs d'opérations. (124) » Dans son rapport d'activité pour 2003 précité, cet organisme fait état des « risques posés par les agents et par le métier lui-même » et estime que « la sécurité d'une structure se mesure à l'aune du maillon le plus faible car c'est par lui que les flux vont transiter. »

Dans le même sens, M. Didier Primault, économiste au Centre de droit et d'économie du sport, estime que les agents sportifs constituent un des maillons faibles du système : « À l'heure actuelle, il y a deux maillons faibles, sur lesquels se greffent un certain nombre d'opérations frauduleuses. Ce sont, d'une part, les transferts, qui sont peu ou pas contrôlés, et d'autre part, les agents. Ceux-ci ne sont pas mauvais par nature. Mais dans notre système, ils sont en relation avec différents acteurs et ont une facilité particulière à jouer sur la dimension internationale. L'une des meilleures façons de lutter contre les dérives est d'organiser la transparence de l'information. ». Il ajoute que les agents « sont souvent, dans les faits, au cœur des dérives. Mais ils ne sont pas par nature responsables de ces dérives. Ils cristallisent les dérives de l'ensemble du système. (125) »

Cette analyse rejoint celle de M. René Charrier, vice-président de l'Union nationale de footballeurs professionnels, pour qui « les agents sont la plaque tournante des affaires mais ils n'en sont pas toujours les instigateurs. (126»

Ces dérives sont principalement liées au versement de commissions qui sont l'occasion d'organiser des montages financiers illicites.

 Certains agents exercent un dangereux pouvoir de marché

Si les agents ne sont souvent que le « support de montage (127) » d'opérations financières frauduleuses, ils peuvent aussi en être à l'origine du fait de la pression qu'ils sont en mesure d'exercer sur les clubs. En effet, la profession d'agent sportif se caractérise par une forte concentration de l'activité par certains agents. Ainsi, M. Laurent Davenas, président de la commission d'appel de la Ligue de football professionnel, estime que « 90 % des gros transferts sont assurés par à peine 10 % des agents dans le football français. (128) » Pour M. Philippe Flavier, coprésident de l'Union de agents sportifs de football, « sur 100 agents, 40 grosso modo travaillent, dix sont influents(129) »

Cette concentration de l'activité donne à certains agents sportifs un « pouvoir de marché, qui sort du rôle de l'intermédiaire », selon M. Didier Primault, et qui constitue un « pouvoir de nuisance » (130) pouvant prendre différentes formes.

Ainsi, dans son livre « Cols blancs et mains sales (131) », M. Noël Pons, inspecteur des impôts au Service central de prévention de la corruption (SCPC) dénonce le pouvoir excessif de certains agents quand ils détiennent dans leur « portefeuille » un nombre important de joueurs évoluant dans le même club. Dans ce cas, l'agent  « dispose d'un moyen de pression considérable sur le président du club. Les diverses possibilités de manipulations, grèves de joueurs, fausses blessures deviennent aisément réalisables. »

Devant la mission, M. Noël Pons a donné une autre illustration du pouvoir excessif de certains agents sportifs : « Certains agents font même payer la simple rencontre en vue de négocier. Chaque étape de la négociation devient payante. Si les présidents refusent de jouer le jeu, la négociation ne se fait pas. (132) »

Par ailleurs, les agents peuvent se servir de leur position dominante pour imposer des pratiques illégales comme l'encaissement, dès la signature du contrat du joueur (pour plusieurs années), de l'intégralité de leur commission, en sachant qu'en cas de rupture du contrat (fréquente), ils percevront de nouveau pour la même période une commission liée au nouveau contrat (133). Les modalités de rémunérations des agents favorisent d'ailleurs ce type de comportements.

 Les modalités de rémunération des agents

Ces modalités sont sensiblement différentes selon qu'ils interviennent pour le compte d'un joueur dans le cadre d'un contrat de travail, ou pour le compte d'un club dans le cadre d'un transfert.

Selon l'article L. 222-10 du code du sport, « Le mandat précise que le montant de cette rémunération ne peut excéder 10 % du montant du contrat conclu. Toute convention contraire aux dispositions du présent article est réputée nulle et non avenue. »

Il est admis (134)que l'expression « contrat conclu » utilisée dans cet article doit être comprise comme renvoyant au contrat pour la négociation duquel l'agent est effectivement intervenu. Dès lors, le contrat conclu qui doit permettre de déterminer le montant des honoraires de l'agent, tels qu'ils sont encadrés par la loi, peut être tant le contrat relatif à l'exercice d'une activité sportive visée à l'article L. 222-6 du code du sport que le contrat de transfert établi entre deux clubs. Une différence existe cependant quant aux modalités de versement de la rémunération. Ainsi, si un joueur conclut avec un club un contrat de travail d'une durée de trois ans pour une rémunération annuelle fixée à 150 000 euros, la commission maximale de son agent s'élèvera à 15 000 euros par an sur trois ans, soit 45 000 euros. Parallèlement, les clubs, vendeurs ou acquéreurs, peuvent disposer de leur propre agent intervenant dans la négociation du contrat de transfert. Si le montant de l'indemnité de mutation s'élève à un million d'euros, chacun des agents - y compris l'agent du joueur si son mandat est occulte - pourra recevoir une commission d'un montant maximum de 100 000 euros, payable en une seule fois car la durée du contrat de travail n'entre pas en ligne de compte. Par ailleurs, si l'engagement d'un sportif par un club est le résultat de l'intervention de plusieurs agents, les termes de l'article L. 222-10 précité ne s'opposent pas à ce que chacun des intermédiaires bénéficient d'une rémunération s'ils ont effectivement accompli une prestation le justifiant (135). Cette situation explique que les opérations de transferts permettent la délivrance de commissions diverses, les agents n'en étant d'ailleurs pas les seuls bénéficiaires. Il faut toutefois noter qu'une jurisprudence constante et ancienne reconnaît aux tribunaux le pouvoir de diminuer les honoraires des intermédiaires lorsqu'ils les jugent excessifs.

Le versement de ces commissions, souvent d'un montant conséquent, sont autant d'occasions de manœuvres contraires à la loi (cf. C-2-a : L'habillage juridique d'un contournement de la loi).

Ces risques de pratiques frauduleuses justifient l'adoption de règles encadrant la profession d'agent sportif. Ainsi, le législateur de 1992, dans un souci de moralisation des activités physiques et sportives, a voulu « mettre un terme à certaines dérives » liées au « caractère plus ou moins occulte de ce type d'activités.  (136) »

2. L'encadrement de la profession : la coexistence de normes nationales et internationales

a) L'absence de cadre normatif international contraignant

 Une compétence communautaire limitée en matière sportive

Bien que le sport en général, et le football en particulier, revêtent une forte dimension internationale et donc européenne, ils n'entrent pas expressément dans le champ de compétence de la Communauté européenne, puisque aucun article du Traité instituant la Communauté européenne n'y fait référence. On utilise ainsi souvent l'expression d'« exception sportive ».

La spécificité du sport a été consacrée par un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes « Walrave et Koch (137», affirmant clairement que la législation européenne ne s'appliquait pas aux règles « intéressant uniquement le sport », car ces règles sont étrangères aux activités économiques visées par le Traité instituant la Communauté européenne. Cette solution a été ultérieurement confirmée par un arrêt de la Cour de justice, en date du 18 juillet 2006, « Meca-Medina  (138», d'ailleurs discuté pour son défaut de clarté.

Comme cela a déjà été souligné, cet état du droit était en passe d'évoluer avec le projet de Traité établissant une constitution pour l'Europe de 2004 qui comportait une section 5 « Éducation, jeunesse, sport et formation professionnelle » et traitait spécifiquement du sport en son article III-182. Ce projet n'ayant pas abouti, le sport attend toujours d'entrer dans les textes communautaires.

Cependant, si le droit communautaire ne traite pas du sport en tant que tel, il l'appréhende indirectement à travers l'application des grands principes communautaires - libre circulation, libre concurrence, libre prestation de services et liberté d'établissement -, ou par le biais de dispositions ponctuelles visant certains aspects du sport qui relèvent de sa compétence.

À ce titre, l'activité d'agent sportif entre dans le champ de l'article 47 du Traité instituant la Communauté européenne, relatif aux activités non salariées, qui donne compétence au Conseil de l'Union européenne pour arrêter « des directives visant à la coordination des dispositions législatives, règlementaires et administratives des États membres concernant l'accès aux activités non salariées et à l'exercice de celles-ci. » Ainsi, l'activité d'agent sportif est notamment soumise à la directive du Conseil de l'Union européenne du 18 décembre 1986 (139) concernant les agents commerciaux indépendants.

Le football ayant une dimension mondiale évidente et le droit international - notamment le droit communautaire - ne se reconnaissant pas compétents en ce domaine, c'est à la Fédération internationale de football association (FIFA) qu'incombe la mission de fixer les règles applicables à l'échelle mondiale.

 Un règlement international théoriquement sans valeur juridique mais appliqué en pratique

Comme cela a déjà été souligné à propos des transferts, la Fédération internationale de football association (FIFA) est une association à but non lucratif, relevant du droit helvétique et regroupant près de deux cents associations nationales. Par conséquent, en tant que sujet de droit privé, elle ne dispose pas de compétences normatives propres qui lui permettraient d'édicter des règles juridiquement contraignantes, opposables à tous les acteurs du monde du football. Pour qu'une fédération sportive dispose d'un tel pouvoir règlementaire, elle doit être habilitée par le biais d'une délégation de pouvoir, accordée par la loi nationale. Or, si les principales fédérations sportives font l'objet de telles délégations, celles-ci se limitent à l'organisation de compétitions et ne constituent, en aucun cas, des délégations de pouvoir à caractère général.

La question se pose alors de la valeur à conférer au règlement de la Fédération internationale de football association (FIFA) relatif à l'activité d'agent de joueurs. La jurisprudence tant française que communautaire a une position non équivoque sur ce point, consistant à dénier toute valeur normative générale à ce texte.

S'agissant des tribunaux français, on peut citer à titre d'exemple, un arrêt de la Cour d'appel de Metz en date du 20 mars 2002 (140), rendu à l'occasion d'un litige antérieur à la loi du 6 juillet 2000 instituant la licence d'agent sportif délivrée par la Fédération française de football. À cette occasion, le juge avait été saisi du recours d'un agent contre un joueur qui, ayant fait appel à ses services, refusait de lui verser sa rémunération, invoquant son défaut d'habilitation la FIFA.

La cour d'appel, a rejeté le recours de l'agent pour insuffisance de preuve, mais affirmé que l'absence d'agrément de l'intermédiaire par la FIFA n'était pas une cause d'illicéité du mandat, car le règlement FIFA dont se prévalait le joueur n'a aucune valeur normative d'ordre public.

Cette position est partagée par le juge administratif. Par un arrêt du 8 novembre 2006 (141), le Conseil d'État a rappelé que la réglementation d'une fédération internationale n'a aucun effet direct dans l'ordre juridique interne.

Au niveau communautaire, le Tribunal de première instance des Communautés européennes a, dans le même sens, exprimé ses réticences à l'égard de la réglementation dans un arrêt du 26 janvier 2005 « Laurent Piau c/Commission européenne et FIFA» (142). Si le tribunal a reconnu la conformité du règlement FIFA au droit communautaire, il a émis des doutes quant à la légitimité de cette instance sportive internationale à imposer sa réglementation, sans disposer d'une délégation de pouvoir normatif émanent d'une autorité publique compétente.

Pour autant, l'absence de force contraignante à caractère général du règlement de la FIFA ne signifie pas qu'il n'a aucune valeur en pratique.

Rappelons que la FIFA regroupe deux cents sept fédérations nationales. En y adhérant, au titre du principe de l'autonomie des volontés qui régit le droit des contrats, ces associations nationales ont accepté de se soumettre aux règles qu'elle édicte. Les règlements de la Fédération nationale ont donc valeur contraignante pour ses membres.

Le principe de l'effet relatif des conventions implique que seules les fédérations parties au contrat sont tenues au respect des règlements de la FIFA, à l'exclusion de tout autre acteur du football. En réalité, l'effet relatif attaché aux règlements de la FIFA relève davantage de la théorie que de la pratique car le football international est organisé selon un schéma pyramidal dans lequel tous les acteurs sont liés. De fait, le rayonnement de ces règlements dépasse donc largement la sphère contractuelle.

En conséquence, si l'on suit ce raisonnement, et que l'on suppose, comme cela devrait être le cas, que le joueur est le mandant de l'agent, le règlement de la FIFA relatif à l'activité d'agent de joueur trouvera à s'appliquer en toutes ses dispositions.

Cependant, l'absence d'autorité directe des textes fédéraux internationaux dans l'ordre interne conduira le juge français, en cas de litige impliquant des acteurs du football, à appliquer la loi française, ou tout autre loi nationale désignée par les règles de conflit de lois.

b) Une réglementation française de la profession d'agent sportif

 Une législation nécessaire mais dont les contours demeurent imparfaits

- La compétence règlementaire de la Fédération française de football

La Fédération française de football (FFF) a transposé le règlement de la Fédération internationale (FIFA) relatif à l'activité d'agent de joueurs, en l'aménageant conformément à la législation française. Mais, ce règlement, tout comme celui de la FIFA ne produit pas d'effet direct dans l'ordre juridique français.

En revanche, à la différence de la Fédération internationale, la FFF dispose d'une véritable compétence normative qu'elle tire de la délégation de pouvoir qui lui a été consentie par le ministre chargé des Sports pour des matières limitativement énumérées - délivrance, renouvellement et retrait de la licence, contrôle du contenu des contrats d'agent et pouvoir de sanction disciplinaire -.

- Les raisons qui ont présidé à l'émergence d'une législation nationale encadrant la profession d'agent sportif

La justification première de l'intervention du législateur résidait dans le constat que l'ampleur prise par le sport professionnel et le football en particulier, rendait indispensable l'intervention d'intermédiaires dans les relations entre sportifs et groupements sportifs.

Cependant, malgré la reconnaissance de leur utilité, les agents sportifs ont été contraints d'exercer leur profession contra legem jusqu'en 1992, puisqu'elle est assimilable à une activité de placement contre rémunération, expressément prohibée par le droit du travail français (143) et dont l'exercice à titre gratuit est réservé à l'Agence nationale pour l'emploi.

Le législateur a donc créé, par la loi du 13 juillet 1992 (144), un régime spécial applicable à l'activité d'agent sportif dérogeant au droit commun.

- L'évolution de la législation

L'activité d'agent sportif a fait l'objet d'un encadrement législatif en plusieurs temps, qui demeure, aujourd'hui encore, lacunaire et peu satisfaisant sur certains points.

La loi du 16 juillet 1984 (145) ne régissant pas l'activité d'agent sportif, le législateur a comblé cette lacune en y introduisant un article 15-2 par la loi du 13 juillet 1992. Le texte dans sa nouvelle version, assortie de son règlement d'application (146), a officialisé et encadré la profession par diverses dispositions, telles que l'obligation pour l'agent de faire une déclaration préalable auprès du ministre de la jeunesse et des sports, l'instauration d'un régime d'incompatibilités et d'incapacités, la fixation d'un plafond de rémunération de l'agent, ainsi que par la mise en place d'un système de contrôle et de sanctions de l'irrespect de la réglementation.

Ce dispositif n'ayant pas donné entière satisfaction, le législateur l'a réformé par la loi du 6 juillet 2000 (147) qui avait pour but la sauvegarde des principaux acteurs du sport professionnel et la régulation économique de la profession.

Elle visait à « garantir l'éthique sportive » par une « indispensable moralisation de la profession des agents intermédiaires du sport. » Le rapport de M. Patrick Leroy, au nom de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, sur le projet de loi (148) rappelait que l'intervention du législateur avait été rendue nécessaire en 1992 pour moraliser une profession ; il décrivait les dérives auxquelles elle avait donné lieu : imprécision des clauses relatives au mandat comme à celles du contrat liant le joueur à son employeur, stipulations présentant un caractère manifestement léonin, activité illicite de placement, doubles rémunérations perçues à la fois auprès des joueurs et des employeurs.

Ce nouveau texte est plus contraignant que le précédent. Il crée la licence délivrée par la FFF, en s'inspirant de la licence des agents artistiques, soumet l'agent à une obligation de dépôt de son mandat et renforce le contrôle de la profession en instaurant les sanctions de retrait ou de non renouvellement de la licence.

Enfin, par ordonnance du 23 mai 2006 (149), les règles relatives à l'exercice de la profession d'agent sportif ont été introduites dans le code du sport aux articles L 222-6 à L 222-11.

Malgré le renforcement progressif de la législation, la multiplication des scandales impliquant des agents sportifs tend à démontrer que les objectifs d'encadrement et de moralisation de la profession n'ont pas été pleinement atteints.

- Les divergences avec les règles de la Fédération internationale de football association

Indépendamment des difficultés majeures liées à l'irrespect de la législation en vigueur par le monde du football, l'inefficacité de la loi française peut s'expliquer par les divergences de certaines de ses dispositions avec celles contenues dans le règlement de la FIFA. À titre d'exemple, si la loi française autorise la délivrance d'une licence à une personne morale, la Fédération internationale l'interdit. Quant au régime des sanctions, les dispositions françaises ne visent que les agents sportifs, alors que la réglementation FIFA prévoit également des mesures à l'encontre des clubs et des joueurs. Enfin, les deux textes ne s'accordent pas sur la nécessité de plafonner la rémunération des agents.

La réglementation applicable à la profession d'agent sportif est donc imparfaite et les difficultés se multiplient lorsque intervient un élément étranger, non seulement, parce qu'il n'existe pas d'harmonisation des règles au niveau international, ni même au niveau européen, mais aussi parce que rares sont les États s'étant dotés d'une législation interne régissant l'activité d'agent sportif (150).

 L'applicabilité de la loi française en présence d'un élément d'extranéité

Que l'agent sportif soit recruté ponctuellement par un club pour servir d'intermédiaire dans une opération de transfert ou qu'il soit agent de joueur recherchant un club pour son mandant, la dimension internationale de son activité ne peut être négligée.

Les situations comportant un élément d'extranéité sont en effet nombreuses : l'agent opérant en France peut être étranger ou domicilié à l'étranger, il peut placer un joueur français ou étranger, traiter avec des clubs internationaux... Ces hypothèses très fréquentes en raison de l'internationalisation du marché du football posent la question de la loi applicable par le juge français, en cas de litige.

En vertu du principe de l'autonomie de la volonté qui régit les relations contractuelles, y compris internationales, les parties au contrat sont libres de désigner la loi de l'État de leur choix pour régir la convention, quand bien même, cette loi n'aurait aucun lien avec le contrat : il peut s'agir d'une loi qui n'est pas celle de ou des États dont les parties ont la nationalité, ni la loi de l'État où le contrat est conclu, ni la loi où s'exécute la prestation qui fait l'objet du contrat, donc d'une loi totalement étrangère au contrat et aux parties.

Les difficultés apparaissent lorsque les parties n'ont pas désigné de loi pour régir leur contrat. Deux hypothèses doivent êtres alors à envisagées à la lumière des règles de conflit de lois.

Si l'on considère que la législation française (151) n'a pas la force d'une loi de police - c'est-à-dire de règle reconnue par le législateur lui-même comme nécessaires à la sauvegarde de l'organisation politique, sociale et économique du pays (152) - la Convention de La Haye du 14 mars 1978 trouvera à s'appliquer, puisqu'elle fixe les règles de conflit de lois relatives à « l'activité d'intermédiaire consistant à recevoir et communiquer des propositions ou à mener des négociations pour le compte d'autres personnes ». Selon l'article 1 alinéa 1 de cette convention, la loi régissant le contrat sera alors la « loi interne de l'État dans lequel, au moment de la formation du rapport de représentation, l'intermédiaire a son établissement professionnel ou, à défaut, sa résidence habituelle. »

En revanche, si l'on considère que les articles L. 222-5 et suivants du code du sport revêtent la qualité de loi de police, ils s'imposeront à toute autre loi étrangère (153), entraînant de ce fait, une extension du champ d'application de la loi française au niveau international.

La question est donc de savoir si la législation régissant l'activité d'agent sportif entre dans le champ de cette qualification ? Certains auteurs, tels que M. Bernard Audit (154) ou M. Fabrice Rizzo (155) l'affirment. Pour celui-ci, le caractère de loi de police des articles L. 222-5 et suivants du code du sport découle des lois antérieures à la codification de 2006.

La loi du 13 juillet 1992, par sa volonté d'assainir la profession d'agent sportif en instaurant des sanctions pénales et administratives ainsi qu'en plafonnant la rémunération des agents, avait cette force.

La loi du 6 juillet 2000 allait même plus loin encore en s'auto-affirmant loi de police car elle renforçait le contrôle des autorités administratives et délimitait son propre domaine international de compétence.

La Cour de cassation, par un arrêt en date du 24 janvier 2006 (156), est venue confirmer cette interprétation en retenant que la réglementation relative aux agents sportifs est d'application extraterritoriale, sans avoir à recourir à la médiation des règles de conflit de lois. Elle a ainsi consacré clairement la qualité de loi de police et de sûreté (157) des articles L. 222-5 et suivants du code du sport.

Cependant, il ressort des travaux de la mission que les objectifs de la législation relative à l'activité d'agent sportif ne sont que très imparfaitement atteints. Il n'est que de voir les affaires judiciaires liées à l'exercice de la profession d'agent sportif portées à la connaissance des média : ouvertures d'enquêtes sur les comptes - avec un éclairage particulier sur les commissions versées à des intermédiaires - des clubs de football de Marseille, Paris et Bastia et mises en examen d'intermédiaires exerçant l'activité d'agents sportifs sans y être habilités. Même si certaines d'entre elles portent sur des faits antérieurs à la loi du 6 juillet 2000, les différentes auditions réalisées par la mission laissent à penser que l'objectif de moralisation poursuivi par le législateur reste d'actualité.

B. L'ACCÈS À LA PROFESSION : DES GARANTIES RELATIVES À LA QUALIFICATION JURIDIQUE ET PROFESSIONNELLES MAIS DES ZONES D'OMBRE

1. Un bon niveau de compétences juridiques et professionnelles est assuré

a) Une activité subordonnée à la délivrance d'une licence

 La mise en place d'un examen constitue une garantie de compétences

Le législateur de 1992 avait prévu un premier encadrement de la profession d'agent caractérisé par l'obligation faite aux candidats d'adresser une déclaration préalable auprès du ministre de la jeunesse et des sports. Cette déclaration permettait notamment de s'assurer que la personne concernée ne tombait sous le coup d'aucune incapacité ou incompatibilité prévue par les textes. Le régime mis en place n'a pas donné satisfaction en raison notamment, de l'absence de sanctions des abus résultant de l'incompétence et de la moralité douteuse de quelques agents qui ont terni l'image de la profession.

Aux termes de l'article L. 222-6 du code du sport issu de la loi du 6 juillet 2000, l'agent sportif doit maintenant obtenir une licence délivrée par la fédération délégataire dans la discipline sportive dans laquelle il exerce sa profession. Ce système d'examen s'inspire d'ailleurs du dispositif instauré dès 1995 par la FIFA qui soumet désormais l'activité d'agent sportif de football à la détention d'une licence subordonnée à la réussite à un examen. Celui-ci était oral et prenait la forme d'un entretien jusqu'en 2001 ; il est désormais uniquement écrit.

Toutefois, l'existence d'un examen n'offre pas de garantie d'éthique ou de professionnalisme ni même d'exercice effectif de la profession dans un milieu où les relations et les contacts revêtent la plus grande importance. Ainsi, M. Jean-Christophe Lapouble, maître de conférences à l'université Victor Segalen Bordeaux 2, a fait remarquer qu' « aujourd'hui, il faut passer un examen pour être agent. En fait, il arrive fréquemment que de brillants étudiants réussissent cet examen, reçoivent la qualification d'agents, et ne négocient qu'un seul contrat en trois ans. Visiblement, le fait d'avoir passé un examen ne suffit pas pour exercer effectivement cette profession. Le contact se fait ailleurs. De pseudo-agents s'adressent à ceux qui ont la licence pour couvrir un certain nombre de choses. (158) » Pour autant, les compétences techniques et juridiques sont indispensables comme le reconnaît M. Aimé Jacquet, ancien directeur technique national de la Fédération française de football, « Prendre au départ un jeune, le conduire, le soutenir, l'encadrer et le protéger. Pour cela, il faut des gens de grande compétence morale et juridique, connaissant bien tous les problèmes pour permettre cela. Il faut des gens de très haut niveau. (159»

À cet égard, votre rapporteur relève d'ailleurs qu'au cours des auditions, l'exigence d'un examen préalable pour obtenir la licence n'a jamais été remise en cause.

 Le déroulement des épreuves est satisfaisant

Les modalités d'attribution, de délivrance et de retrait de la licence d'agent sportif par la fédération sont définies par le décret n°2002-649 du 29 avril 2002.

Il était en effet nécessaire de s'assurer de la pertinence des épreuves subies par les candidats pour éviter les risques soulignés par le Service central de prévention de la corruption dans son rapport d'activité pour 2003 précité: « En ce qui concerne les modalités de l'examen oral des intermédiaires notamment, des systèmes de contournement ont été mis en place. Dans certains pays, il s'agit réellement d'un examen, dans d'autres, d'une gentille « discussion. » »

Le législateur a confié aux fédérations sportives la mission de délivrer les licences et par là, il reconnaît leur crédibilité. Le crédit ainsi accordé aux instances fédérales les contraint à s'acquitter de leur mission avec diligence, rigueur et compétence. Le comité directeur est chargé de délivrer la licence après avis de la commission des agents à qui sont déléguées les missions de vérifier les exigences légales, d'élaborer les sujets d'examens et de se constituer en jury d'examen.

La délivrance de la licence est soumise à un contrôle préalable des connaissances. Cet examen doit permettre deux vérifications d'aptitudes. La première porte sur les connaissances de la réglementation nationale du candidat (partie générale) et la deuxième porte sur ses connaissances de la réglementation sportive (partie spécifique). L'épreuve générale permet d'évaluer l'aptitude du candidat à exercer l'activité d'agent sportif en s'assurant qu'il possède les connaissances utiles à l'exercice de l'activité, notamment en matière fiscale, sociale, contractuelle et dans le domaine de l'assurance. L'épreuve spécifique permet de vérifier sa connaissance de la réglementation applicable aux activités physiques et sportives et des règlements nationaux et internationaux dans la discipline. Les programmes des épreuves sont homologués par le délégué à l'emploi et aux formations du ministère chargé des sports.

Un récent rapport de l'Inspection générale de la Jeunesse et des sports et de l'Inspection générale des Finances (160) indique que les conditions de déroulement des épreuves sont conformes aux dispositions du décret du 29 avril 2002. Par ailleurs, les sujets traités par les candidats lors des différentes sessions d'examen témoignent d'un niveau pouvant être considéré comme relativement sélectif, comme le montrent les taux de réussite. Ainsi pour les deux session de 2003, le taux de réussite a été de 7,4 % (à la session de printemps : 14 reçus sur 189 candidats) et de 7,5 % (à la session d'automne : 12 reçus sur 164 candidats). En 2004, 12,8 % des candidats (21 sur 164) ont été reçus à la session de printemps et ils étaient 8,6 % (13 sur 151) à être reçus à la session d'automne.

Cette appréciation positive du rapport rejoint celle de Mme Sabine Foucher qui représentait la direction des sports au ministère de la Jeunesse et des sports lors de la table ronde organisée par la mission le 10 janvier 2007 : « Pour avoir participé au précédent projet avec Mme Marie-George Buffet, je peux attester que, sur la question de la délivrance même de la licence, les fédérations ont bien travaillé, dans le football comme ailleurs. »

Il semble donc, s'agissant de la délivrance de la licence, qu'ait été conjuré le risque souligné par M. Jean-Michel Marmayou, directeur du Centre de droit du sport à la faculté d'Aix-Marseille, lié à la composition de la commission des agents : « la licence obligatoire pose un certain nombre de problèmes. En premier lieu, elle est délivrée par la fédération, après l'intervention de la commission des agents, dont la composition peut être à l'origine de conflits d'intérêts. (161»

b) Des équivalences largement accordées aux « agents historiques »

Ayant mis en place dès 1995 un système d'examen destiné à apprécier les compétences des intermédiaires sportifs candidats titulaires d'une licence FIFA, la Fédération française de football (FFF) a demandé à maintes reprises de régulariser la situation des agents sportifs ayant obtenu une licence conformément à la réglementation FIFA avant le vote de la loi du 6 juillet 2000 et de les dispenser de passer un nouvel examen.

Aussi le décret n° 2004-371 du 27 avril 2004 relatif à l'activité d'agent sportif lui a-t-il donné satisfaction, en ouvrant une période de six mois au cours de laquelle dans chaque fédération, « la commission examine la situation des intermédiaires du sport, régulièrement déclarés à l'autorité administrative compétente et détenteurs d'une licence délivrée, à la suite d'un examen organisé par une fédération sportive, pour apprécier si les intéressés peuvent être dispensés de tout ou partie de l'examen écrit. »

La Fédération française de football a largement eu recours à ce système dérogatoire. En effet, sur les 129 personnes ayant passé avec succès l'examen nécessaire à l'obtention d'une licence d'agent FIFA entre 1995 et 2002, pas moins de 109 ont bénéficié de la dérogation en application du décret du 27 avril 2004. Par rapport au nombre total d'agents licenciés (187), ces agents historiques sont donc très largement représentés.

M. François Raud, directeur de la société Bridge Asset, s'est interrogé devant la mission sur la pertinence du décret d'équivalence : « Je précise que le fameux décret d'équivalence a été examiné par deux fois par le Conseil d'État, avec avis défavorable. Il est très rare qu'un ministère passe en force, malgré deux avis défavorables du Conseil d'État. Votre collègue Thierry Mariani a posé sur ce point une question écrite au ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative. Il a reçu une réponse que l'on peut qualifier de discourtoise. La question méritait pourtant d'être posée : pourquoi certaines personnes ont-elles absolument tenu à ce que ce décret valide la licence des agents historiques, les agents dits FIFA, ceux qui déposaient une caution bancaire ? Comme par hasard, ce sont tous ceux que l'on retrouve dans les journaux.  (162) »

Question n°38 339

« Suite à sa question écrite n° 23207 du 4 août 2003, M. Thierry Mariani prie M. le ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative de bien vouloir lui indiquer les motifs des deux avis défavorables du Conseil d'État relatifs au décret du 29 avril 2002 concernant le statut professionnel des intermédiaires sportifs. Il souhaite en effet savoir si les avis défavorables du Conseil d'État sont motivés par des conditions de forme, de fond ou d'opportunité. »

Réponse du ministre le 6 juillet 2004 : « Le décret d'application n° 2002-649 du 29 avril 2002 a précisé les modalités d'attribution, de renouvellement et de retrait de la licence d'agent sportif. Il prévoit notamment que cette licence est délivrée, par le comité directeur de la fédération, aux personnes physiques ou aux représentants des personnes morales ayant satisfait aux épreuves d'un examen écrit. En tout état de cause, il est rappelé à l'honorable parlementaire que les avis rendus par le Conseil d'État dans sa mission de conseil du Gouvernement n'ont pas vocation à être rendus publics. »

Par ailleurs, la FFF n'a vérifié que l'une des deux conditions posées par le décret du 27 avril 2004 concernant les possibilités de recours au dispositif dérogatoire. Ce texte précise en effet que les agents devaient avoir été régulièrement déclarés à l'autorité administrative compétente. Or la FFF n'a pas pris l'attache du ministère des sports pour s'assurer que les agents licenciés FIFA demandant la régularisation de leur situation avaient bien effectué cette démarche. Le rapport d'inspection précité de l'IGJS et l'IGF nuance toutefois cette critique en rappelant qu'elle ne vaut que pour les agents ayant obtenu leur licence entre 2000 et 2002. Avant le vote de la loi du 6 juillet 2000, n'étaient admises à passer l'examen FIFA que les personnes ayant présenté, dans leur dossier de candidature, une copie de leur déclaration d'activité aux services déconcentrés du ministère de la jeunesse et des sports. La FFF pouvait donc être sûre que les agents licenciés avant 2000 avaient été déclarés.

c) Une procédure de renouvellement d'une utilité discutée

En application de l'article L. 222-6 du code du sport et du décret n° 2002-649 du 29 avril 2002, la licence d'agent sportif est renouvelée annuellement, sauf dénonciation par le comité directeur trois mois avant l'expiration de la durée annuelle de validité, par tacite reconduction pendant une période de trois ans. Au plus tard, deux mois avant la fin de cette période de trois ans, l'intéressé doit demander le renouvellement de sa licence. Cette demande doit être accompagnée d'un bilan d'activité, de la liste des mandats et contrats signés et, s'il y a lieu, d'un état des litiges relatifs à ces contrats.

La rédaction des textes est ambiguë. En effet, doit-on considérer que la communication des documents suffit ou doit-on exiger un niveau particulier d'activité, une parfaite rédaction des contrats et un faible taux de litiges ? Faute de réponses claires des textes, la FFF, interprétant les dispositions du décret, a refusé de renouveler la licence de neuf agents en raison principalement de leur absence d'activité.

Par ailleurs, les textes ne précisent pas si, lors du renouvellement de la licence, les fédérations disposent de la possibilité de contrôler si l'agent a connaissance de l'évolution des règles applicables à l'exercice de son activité. Le renouvellement n'est donc pas subordonné au succès à de nouveaux examens : une instruction ministérielle du 12 novembre 2003 n'exige comme condition du renouvellement que la seule obligation de production des documents cités ci-dessus.

Dès lors que ce renouvellement ne sert pas à s'assurer de l'actualisation des compétences de l'agent, on peut s'interroger, comme le fait le rapport précité de l'IGJS et IGF, sur le bien-fondé du maintien d'une procédure lourde, qui n'existe pas pour d'autres professions dont l'exercice est de la même façon soumis à la réussite à un examen initial.

d) Une situation juridiquement peu satisfaisante pour les agents étrangers

Compte tenu de l'internationalisation des pratiques sportives, l'exercice de la profession d'agent sportif sur le territoire français par des intermédiaires étrangers est inévitable. Or, la réglementation est sur ce point inadaptée. Selon M. Jean-Michel Marmayou, directeur du centre du droit du sport à la faculté d'Aix-Marseille : « Les textes sont (...) extrêmement flous et ambigus en ce qui concerne la situation des étrangers, ce qui empêche de déterminer la situation juridique de ressortissants de l'Union européenne comme d'États tiers. On ignore ainsi si l'on doit exiger une licence française d'agents étrangers domiciliés sur le territoire français ou de ressortissants français ou étrangers qui ont obtenu une licence FIFA dans un autre pays. Doit-on leur donner une équivalence totale ou partielle ? Bien que le contrôle des connaissances ne soit pas organisé de la même façon La FFF a opté pour une équivalence totale, tout simplement parce que la FIFA oblige les fédérations nationales à reconnaître sa propre licence.  (163) »

Le statut des agents étrangers au regard du dispositif français ressort des articles L. 222-6 et 9 du code du sport et des articles 10-1 et 19 du décret n°2002-649 du 29 avril 2002 relatif à la licence d'agent sportif.

- Les ressortissants d'un état membre de l'Union européenne (UE) ou de l'Espace économique européen (EEE) non domicilié en France et exerçant leur activité à titre occasionnel en France

Ces agents ne sont soumis qu'aux conditions de moralité applicables aux agents français (article L. 222-9 du code du sport), ce qui soulève deux problèmes : la vérification des conditions de moralité est difficile et la notion d'exercice occasionnel est imprécise.

- Les ressortissants d'un état de l'UE ou de l'EEE exerçant habituellement leur activité sur le territoire français.

Ces agents doivent :

- soit être titulaires d'une licence délivrée par une fédération sportive française ;

- soit produire une licence délivrée dans un de ces États ;

- soit présenter des titres ou une qualification professionnelle permettant d'exercer cette activité.

La commission des agents de chaque fédération sportive française peut accorder une licence française à ces agents, soit au vu de la licence produite par l'intéressé, soit en vérifiant les titres et les qualifications dont il se prévaut. La France est un des rares pays à avoir mis en place un système de licence. Dès lors une licence française ne peut être délivrée qu'au vu des titres et qualifications du demandeur étranger. Faute de précisions sur la nature des titres et des qualifications exigés pouvant ouvrir droit à équivalence, les fédérations ne traitent pas les demandes de licences et n'accordent donc pas d'équivalence.

Pour le football, l'existence d'une licence FIFA devrait en théorie faciliter la tâche de la Fédération française de football, les titres et qualifications pouvant être attestées par une licence FIFA. Cependant, le nombre d'agents européens FIFA non français est d'environ 1 300, chacun pouvant potentiellement faire une demande d'équivalence. Devant ce risque d'engorgement, la solution adoptée par la FFF consiste à ne pas délivrer de licence sur équivalence et à laisser tout agent européen titulaire de la licence FIFA exercer en France.

- Les intermédiaires étrangers ressortissants de pays non membres de l'Union européenne ou de l'EEE

Sur ce point, les textes législatifs et réglementaires étant muets, une application stricte de l'article L. 222-6 du code du sport impliquerait que ces intermédiaires soient titulaires de la licence française. Cependant, si de rares candidatures à l'obtention de cette licence ont été enregistrées dans les fédérations, les intermédiaires étrangers, dont certains résident sur le territoire national, exercent la plupart du temps leur activité sans détenir la licence, causant ainsi une concurrence déloyale aux agents français. M. Bernard Cauly, membre du Collectif 2006 des agents sportifs, a ainsi rappelé qu' « au Congrès des jeunes joueurs africains, M. Diallo (164) a parlé des « agents de malheur », entretenant ainsi la confusion entre les vrais et faux agents et omettant de rappeler que les agents licenciés auprès de la Fédération française de football subissaient un minimum de contrôle... Mais, pendant que les beaux discours se succédaient à la tribune, la confusion la plus totale régnait dans les couloirs où les intermédiaires distribuaient leurs cartes de visite à tour de bras. (165) »

2. Des zones d'ombre

a) Des risques de conflits d'intérêt liés à une définition trop restrictive des incompatibilités

Pour éviter toute influence néfaste ou équivoque, l'article L. 222-7 du code du sport prévoit que l'agent ne doit pas exercer, directement ou indirectement, en droit ou en fait, à titre bénévole ou rémunéré, de mission de direction ou d'encadrement sportif au sein d'une association ou société employant des sportifs ou organisant des manifestations sportives ou, encore, au sein d'une fédération sportive. Cette interdiction joue si l'agent a exercé une telle fonction dans l'année écoulée.

La philosophie générale inspirant ces dispositions est d'éviter les collusions d'intérêt car les problèmes éthiques peuvent, en la matière, être très nombreux. Ils peuvent être liés soit au non respect des dispositions législatives, soit à leur lacune. M. Jean-Michel Marmayou, directeur du Centre du droit du sport à la faculté d'Aix-Marseille  a ainsi regretté que ces incompatibilités « ne présentent pas de caractère universel. (166) »

 Des dispositions législatives non respectées

L'article L. 222-7 du code du sport prévoit une incompatibilité de l'exercice concomitant de l'activité d'agent sportif et d'une activité d'encadrement administratif ou sportif dans les clubs. Un membre de club ne peut devenir agent que passé un délai d'un an. Le rapport précité de l'IGJS et de l'IGF montre que cette disposition n'est pas toujours respectée et que certains membres de la direction d'un club sont devenus agents sans respecter le délai imparti par la loi (167).

 Des situations porteuses de risques

Certaines situations, quoique non visées par l'article L. 222-7 du code du sport, sont en elles-mêmes porteuses de risques.

- l'existence de liens familiaux entre certains agents et des responsables de clubs - même si l'on ne peut légalement rien leur reprocher - mérite une vigilance particulière de la part des fédérations ;

- des agents sportifs licenciés détiennent des parts de capital social d'un club (168). La loi ne prohibe pas la situation dans laquelle l'agent est également associé d'une société sportive ;

- des agents sportifs licenciés cessent leur activité pour devenir membres de l'encadrement d'un club, sans avoir à respecter le moindre délai car la loi ne l'impose pas. Or il est évident comme le souligne M. Frédéric Thiriez, qu'« il y a une incompatibilité évidente entre la fonction d'agent et celle de direction dans un club sportif. Il faut compléter la loi en imposant une symétrie dans les incompatibilités : pour l'heure, un agent sportif peut devenir immédiatement dirigeant d'un club. C'est anormal et cela prête à tous les soupçons. » En effet, les agents sportifs devenus dirigeants auront sans doute la forte tentation de faciliter le recrutement de joueurs avec qui ils étaient auparavant en relation.

b) Des garanties d'intégrité et de moralité encore insuffisantes

L'article L. 222-7 du code du sport prévoit que nul ne peut obtenir ou détenir une licence s'il a fait l'objet d'un certain nombre de condamnations pénales définies à cet article. Il s'agit des agressions sexuelles, du trafic de stupéfiants, d'actes de proxénétisme, d'escroquerie, d'abus de confiance, de fraude fiscale.

Il faut noter que le délit de corruption ne figure pas dans cette liste.

Par ailleurs, le contrôle du respect de ces dispositions par les fédérations n'est pas aisé.

En effet, quand il n'y a pas eu de condamnation, il convient de reconnaître que la capacité de réaction de la fédération est limitée. Ainsi, les procédures de redressement fiscal sont couvertes par le secret fiscal ; pour d'autres affaires, les agents sont doublement protégés par le secret de l'instruction et la présomption d'innocence tant que les affaires ne sont pas jugées.

Par ailleurs, l'intervention d'un tel jugement ne règle pas automatiquement le problème. En effet, un arrêté du 16 juillet 2002 dresse une liste des pièces devant être fournies à l'appui de la demande de licence. Au titre de ces pièces, figure une attestation sur l'honneur par laquelle le candidat reconnaît être en conformité avec les incapacités et incompatibilités visées à l'article L. 222-7 du code du sport. N'y figure pas la possibilité d'exiger un extrait de casier judiciaire attestant qu'ils n'ont pas été condamnés pour un crime ou un délit entraînant une interdiction d'exercer. Les fédérations n'en ont donc pas forcément connaissance. Cette situation a été dénoncée au cours des travaux de la mission. M. Philippe Flavier, coprésident de l'Union de agents sportifs de football a notamment précisé : « On exige un casier judiciaire vierge, mais ce n'est pas le bon casier : il faut avoir tué son voisin ou presque. Je préférerais de beaucoup qu'un agent condamné en première instance pour des malversations dans l'exercice de son métier n'ait plus le droit d'exercer.  (169) »

C. LES CONDITIONS D'EXERCICE DE LA PROFESSION : NI LA LETTRE, NI L'ESPRIT DE LA LOI NE SONT RESPECTÉS AU MÉPRIS DE L'EXIGENCE DE TRANSPARENCE

1. L'exercice par des personnes non autorisées

L'exigence légale de la licence pour exercer la profession d'agent peut être contournée. Il a ainsi fait état devant la mission de différentes pratiques contraires à la loi.

a) L'exercice de la profession par de « faux agents »

L'article L. 222-6 du code du sport est très clair : « Toute personne exerçant à titre occasionnel ou habituel, contre rémunération, l'activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d'un contrat relatif à l'exercice rémunéré d'une activité sportive doit être titulaire d'une licence d'agent sportif. »

Il est vrai, comme cela a été souligné, que la détention d'une licence par un agent sportif ne suffit pas nécessairement en soi pour exercer effectivement et avec compétence une profession qui nécessite l'expérience d'un milieu dans lequel les contacts et la connaissance des différents acteurs sont indispensables. Ainsi, M. Christophe Drouvroy, du département juridique de la Fédération française de football, a souligné que le marché est « saturé et que nombre d'agents, quoique détenant la licence, n'exercent pas l'activité de façon effective, faute d'être introduits parmi les joueurs. » Mais inversement, l'absence de détention de licence n'est apparemment pas rédhibitoire pour pouvoir exercer la profession...

La pratique des « faux agents » a ainsi été dénoncée à plusieurs reprises devant la mission : « Faux agents, c'est-à-dire sans licence » (M. Frédéric Thiriez, président de la Ligue de football professionnel (170)), « Certaines personnes, au contraire, ne possèdent pas la licence mais étant très bien intégrées, jouent le rôle de prête-noms, de faux agents » (M. Christophe Drouvroy, directeur juridique adjoint de la Fédération Française de football (FFF) (171)).

Il s'agit d'une pratique numériquement importante. Selon l'estimation de M. Bernard Cauly, membre du Collectif 2006 des agents sportifs, ces faux agents seraient : « trois fois plus nombreux que les vrais, puisqu'il y en a certainement entre de 400 à 500 pour 180 titulaires d'une licence.  (172) »

Le recours à de faux agents se fait ouvertement et cette pratique est connue de l'ensemble de la profession, comme en a témoigné M. Bernard Cauly: « Ces faux agents ne se cachent nullement : je vous ai apporté une annonce parue dans France Football - mais on en trouve très régulièrement d'identiques dans L'Équipe -, dans laquelle une « importante société de management spécialisée dans le milieu des transferts en France et à l'étranger depuis plus de quinze ans » recherche « plusieurs collaborateurs pour des postes d'agents commerciaux ».... En dehors même de ces annonces, chaque jour L'Équipe fait référence à des agents qui n'en sont pas. Nous réfléchissons d'ailleurs à la possibilité d'intenter des actions en justice à ce propos.  (173) »

Les instances fédérales sont apparemment conscientes du problème mais le rapport d'inspection précité de l'IGJS et l'IGF note qu'elles ont toutefois attendu le mois de novembre 2003 pour adresser une première lettre de saisine à la justice.

b) L'exercice de la profession par les personnes morales et les collaborateurs d'un agent sportif

 L'octroi de la licence à des personnes morales

L'article L. 222-8 du code du sport permet de délivrer la licence d'agent sportif à une personne morale. Des règles spécifiques sont d'ailleurs prévues dans le décret du 29 avril 2002 et l'arrêté du 16 juillet 2002 qui prévoient que, dans cette hypothèse, la licence ne peut être délivrée qu'à une société commerciale.

Cette possibilité est source de difficultés et comporte des risques certains de détournements de la législation qui impose qu'un agent sportif soit titulaire d'une licence pour exercer.

- La licence devant être délivrée à la personne morale pour trois ans et son représentant légal ayant passé l'examen d'agent pouvant être révoqué à tout moment ou pouvant se retirer de la société, il peut arriver qu'une personne morale exerce l'activité d'agent sportif par l'intermédiaire de représentants n'ayant pas démontré leurs compétences, mais agissant au bénéfice d'une licence régulièrement obtenue au nom d'une personne morale. Le contrôle de la fédération n'interviendra qu'au terme de la période triennale de validité de la licence.

- Si une personne physique a obtenu la licence d'agent en tant que personne physique et qu'elle décide de créer une société, elle sera tenue de repasser l'épreuve spécifique au nom de la personne morale, car la licence d'une personne physique ne permet pas d'exercer pour le compte d'une personne morale. De même, la personne physique qui passe l'examen au nom et pour le compte d'une personne morale, doit, si elle se retire de cette dernière, repasser l'examen en vue de l'obtention de la licence de personne physique.

- L'article L. 222-10 du code du sport prévoit qu'un agent sportif ne peut agir que pour le compte d'une des parties au même contrat (cf. l'interdiction du double mandatement). Cette disposition peut être détournée dans l'hypothèse où une personne physique est titulaire d'une licence d'agent sportif mais qu'elle est également représentante d'une personne morale et détient à ce titre une licence d'agent. Comment s'assurer de l'absence de double mandatement, dans la mesure où cette personne pourrait éventuellement vouloir représenter les deux parties au même contrat, pour l'une en sa qualité de personne physique et pour l'autre en sa qualité de représentant de la personne morale ?

- Lorsqu'une licence est accordée à une personne morale, l'ensemble des collaborateurs est en quelque sorte couverts par la licence ; ceux-ci pourraient s'en prévaloir pour accomplir la totalité des actes relatifs à la mise en rapport d'un joueur et d'un club. Ce danger a été souligné par M. Jean-Philippe de Saint-Martin, inspecteur des finances : « Dès lors que la licence est accordée à une personne morale, tous les collaborateurs que celle-ci emploie peuvent d'une certaine manière se prévaloir de la qualité d'agent sportif.  (174) »

Par ailleurs, une personne n'étant pas parvenue à obtenir la licence pour différentes raisons (compétences, incompatibilités, incapacités...) pourrait se placer sous le couvert d'une personne morale l'ayant obtenue par l'entremise d'une tierce personne qui s'en désintéresserait par la suite.

Il faut noter qu'une telle possibilité n'a été que peu utilisée dans les faits ; ainsi, la FFF n'a jamais accordé de licence à ce titre, se conformant de fait à la réglementation de la FIFA. Une unanimité s'est dégagée lors des travaux de la mission contre l'octroi de la licence à une personne morale et une modification de la loi en ce sens apparaît indispensable.

 Le statut des collaborateurs d'agents sportifs

La question du statut des collaborateurs revêt une acuité particulière dans le cas où une personne morale est titulaire de la licence. Mais elle se pose également quand le titulaire est une personne physique. Un agent peut en effet se faire aider par des collaborateurs dont le statut n'est pas défini. M. Frédéric Thiriez a reconnu que « la question des collaborateurs pose elle aussi un véritable problème. Beaucoup de personnes se prétendent agent, alors qu'elles ne sont que collaborateurs. (175) »

Le code du sport évoque dans son article L. 222-8 les préposés de l'agent sportif. Une seule précision est donnée : l'indication qu'ils sont soumis aux mêmes incompatibilités et incapacités que l'agent sportif. Force est de reconnaître que se posent à propos des collaborateurs de nombreuses interrogations :

- quel est leur statut : salarié, prestataire de services indépendant ou autre ?

- quel peut être leur mode de rémunération : salaire, honoraires, partage de commission ?

- quelles peuvent être leurs activités : doit-on les cantonner aux tâches administratives ou peuvent-ils exercer des fonctions commerciales et de conseil?

- quelle est l'autonomie du collaborateur ? Peut-il intervenir pour le compte de plusieurs agents licenciés ?

Ces incertitudes peuvent à l'évidence être source de détournements de la loi.

2. Le dépôt des mandats et la rémunération par le mandataire : de petits arrangements avec la loi à la source de graves dérives

a) L'habillage juridique d'un contournement de la loi

 Des dispositions législatives claires

L'article L. 222-10 du code du sport prohibe le double mandat dans les opérations de placement des sportifs auprès des clubs. L'agent ne peut être mandaté que par une partie au contrat conclu entre un sportif et un club. Par ailleurs, la partie (sportif ou club) qui a mandaté l'agent est la seule débitrice de la commission due à ce dernier.

Par ailleurs, il incombe aux fédérations de vérifier l'application de ces dispositions en obligeant les parties à leur communiquer l'ensemble des mandats et des contrats de travail.

 Le dévoiement du principe du paiement de l'agent par le joueur

M. Jean-Michel Marmayou, directeur du Centre de droit du sport à la faculté d'Aix-Marseille, a ainsi résumé les pratiques : « Le texte nous dit que l'agent n'intervient que pour une seule partie au contrat et que c'est cette partie qui doit le payer. Dans la majeure partie des cas c'est donc le joueur qui devrait payer l'agent. Mais dans la pratique, les choses ne se passent pas comme cela : le joueur ne veut pas payer son agent et c'est le club qui le rémunère.  (176) »

La pratique du paiement de l'agent par le club a fréquemment été relatée devant la mission. En effet, les joueurs ont pris l'habitude de formuler leurs exigences en « revenu net d'impôts ». Refusant que la commission dont ils sont redevables vis-à-vis de leurs agents vienne diminuer leur enveloppe salariale, ils exigent du club employeur un complément de rémunération pour couvrir la commission de l'agent. Cependant, si le complément réclamé par le joueur est versé par le club employeur, il est juridiquement assimilé à un salaire. En conséquence, le club doit être assujetti au versement des cotisations sociales et le joueur intégrer cette somme dans sa déclaration fiscale.

Le fait que le complément accordé au joueur par le club soit assimilé à un salaire et assujetti aux cotisations sociales explique donc l'intérêt pour les clubs de recourir à de telles pratiques.

Le paiement par le club a pour autre avantage de permettre la déduction du montant de la commission pour le calcul de la TVA.

 Un habillage juridique hypocrite

Il ressort de l'ensemble des auditions que se sont développées plusieurs pratiques juridiques que M. Jean-Michel Marmayou a qualifié d' « ingénierie juridique ».

La première consiste à établir entre le club et l'agent un mandat, artificiel et le plus souvent anti-daté, juste avant la conclusion du mandat d'engagement du sportif. Ce mandat double vraisemblablement un contrat que l'agent avait auparavant signé avec le joueur mais qui n'a pas été déposé.

Cette pratique, contraire à l'interdiction du double mandat, peut entraîner des conséquences graves :

- l'agent risque une suspension de sa licence ou même une interdiction d'exercice ;

- les sommes réglées par le club peuvent être requalifiées comme salaires. Cela peut avoir des conséquences fâcheuses pour les joueurs, comme l'a souligné M. Laurent Davenas, président de la commission d'appel de la Ligue de football professionnel : « L'Union pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) commence à aller chatouiller certains joueurs qui sont en instance de divorce. Il y a deux ou trois procédures en cours. Certains avocats défendent des joueurs qui se retrouvent complètement ruinés par leur ex-épouse parce que pas du tout conseillés. Le fisc découvre qu'ils n'ont payé ni leur agent, ni leurs impôts, et considèrent cela comme des avantages en nature. (177) » Par ailleurs, les clubs peuvent être soumis à un redressement de charges sociales.

D'autres pratiques ont cours afin d'échapper à la réglementation fiscale et sociale.

- L'agent peut se contenter d'un engagement verbal de fidélité de la part du joueur.

- Une autre pratique consiste à signer avec le joueur un contrat d'entreprise non soumis au code du sport, permettant de signer également un contrat de médiation avec le club, car dans ce cas, il ne se trouvera pas juridiquement en situation de double mandatement interdit.

Toutes ces pratiques sont indirectement attestées par le faible nombre de contrats de mandat effectivement signés entre un agent et un joueur. Ainsi, la FFF a procédé au printemps 2004, à un comptage des contrats de travail ou avenants homologués par la Ligue française de football. Il apparaît que seuls 14 % des joueurs concernés déclaraient avoir un agent : il s'agit d'une proportion très éloignée de la réalité si l'on en juge les propos de M. Philippe Diallo, directeur de l'Union des clubs professionnels de football : « Vous constaterez en allant à la Fédération française de football que très peu de mandats sont déposés, qui lient des agents à des joueurs... Est-ce à dire qu'ils n'ont pas d'agent ? Faux : pratiquement tous les joueurs en ont (178) », ou ceux de M. Christophe Drouvroy, du département juridique de la Fédération française de football : « Nous nous contentons de gérer l'hypocrisie du secteur. Neuf joueurs professionnels sur dix, en France, déclarent ne pas faire appel à un agent, alors que la réalité est inverse : en Ligue 1, pas un joueur ne se passe des services d'un agent. Sur les vingt-deux joueurs sélectionnés pour le dernier match de l'équipe de France contre la Grèce, onze évoluent dans les clubs français et aucun d'entre eux n'a officiellement recours à un agent. (179) »

Au demeurant ces pratiques ne satisfont pas tous les agents, ainsi que l'a reconnu M. Philippe Flavier, co-président de l'Union des agents sportifs de football (UASF) : « Nous sommes sur le trapèze : depuis quelques années, les agents ne signent plus de contrat avec leur joueur, au risque de le perdre à tout moment. Non seulement cela ne renforce pas la transparence, mais le fait que les joueurs se sentent totalement libres ouvre la porte à tous ceux qui cherchent à s'immiscer dans les dossiers, ce qui complique encore plus le système. (180) »

b) Un détournement de la loi essentiellement lié à la pratique des rétrocommissions

 Le paiement des commissions d'agents par les clubs est lié aux intérêts des différentes parties.

l'intérêt du joueur qui raisonne en revenu net, ainsi que l'a résumé M. Laurent Davenas : « Un joueur professionnel de football ne veut rien payer. Alors qu'il est un salarié comme un autre, il est incapable de négocier un contrat de travail et ne veut pas payer ses impôts ni son agent. (181» ;

- l'intérêt du club qui, ainsi, ne paie pas de charges sociales sur une partie de la rémunération du joueur. Il ne faut pas non plus négliger que le paiement par le club place celui-ci dans un rapport de forces qui lui est favorable ; en payant directement l'agent, il pourra exercer plus de pouvoirs à la fois sur l'agent et sur le joueur ;

l'intérêt des agents qui, inquiets de la solvabilité des joueurs, ont ainsi plus de garantie de paiement de leurs honoraires. Devant la mission, les représentants des agents sportifs ont à plusieurs reprises exprimé leurs inquiétudes quant au paiement de leurs honoraires. Devant la mauvaise volonté des joueurs à les payer, ils n'ont souvent que la solution judiciaire. M. Philippe Flavier, de l'UASF, a regretté qu'en cas de problèmes de ce type, les instances fédérales n'aient ni la volonté, ni les pouvoirs d'intervenir : « S'agissant du paiement, tout le monde est convaincu d'un point de vue intellectuel que le joueur doit payer son agent. Mais en pratique, aucun joueur ne peut et ne souhaite le faire. Par ailleurs, si la réglementation de la Fédération française et de la FIFA impose aux agents un grand nombre de devoirs, ces instances ne leur sont d'aucun secours lorsqu'ils rencontrent un problème, par exemple de paiement de la part d'un joueur, et elles se contentent de leur conseiller de se tourner vers la justice. Mais si on demande aux agents d'être plus transparents et de mieux travailler, on ne peut pas aussi leur demander d'accepter d'être payés par les tribunaux, au bout de trois ou quatre ans, voire jamais si le joueur est insolvable ! Il faut parvenir à un système dans lequel chacun puisse travailler. À défaut, si les agents continuent à ne pas pouvoir être payés, on va assister à une véritable épuration et l'on n'en comptera bientôt plus qu'une dizaine. (182»

 La pratique des rétro-commissions est fréquente et complexe

Les agents sportifs sont souvent considérés comme la pierre angulaire des malversations, dans la mesure où « tout flux financier peut être source de fraudes (183», comme l'a très clairement exprimé M. Rodophe Albert, ancien directeur financier du PSG. Les commissions des agents sportifs peuvent être perçues à de nombreuses occasions : négociation d'un contrat de travail ou transfert. L'utilisation d'un agent sportif pour payer des rétrocommissions est un des montages frauduleux constatés dans le monde du football. Il est aussi le plus direct de ces mécanismes et de ce fait, probablement le plus fréquent. M. Frédéric Thiriez, président de la ligue de football a fait état de « surfacturations de commissions de transfert permettant de rétrocéder des rémunérations à X ou Y. (184) »

Les commissions perçues annuellement par les agents sportifs ont été estimées à 30 millions d'euros (185). Ce montant apparaît largement suffisant pour permettre nombre de reversements et de partages de commissions. Au sein de ces mouvements financiers, il faut certes distinguer - ce qui n'est pas toujours facile dans la pratique - les reversements auxquels l'agent est en droit de procéder pour rétribuer ses partenaires occasionnels ou réguliers, et les rétro-commissions qui sont les reversements illicites pour lesquels l'agent sportif sert d'intermédiaire pour un abus de bien social ou pour une fraude aux organismes fiscaux et sociaux.

Dans une contribution écrite à la mission, M. Jean-Michel Marmayou et M. Fabrice Rizzo ont apporté les précisions suivantes sur la distinction entre les pratiques autorisées, celles qui sont soumises au respect de certaines conditions et celles qui sont interdites :

Ce qui est autorisé : un agent peut rémunérer les services d'intermédiation rendus par un autre agent dans l'opération de transfert ou de placement d'un joueur, dès lors que cet autre intermédiaire dispose d'une licence. Sur le plan juridique, cela se traduit par l'établissement entre les deux agents d'un contrat de sous-agence ou bien de co-agence ;

Ce qui est soumis au respect de certaines conditions : un intermédiaire sportif peut rétribuer toute personne non titulaire d'une licence d'agent dès lors que l'activité de celle-ci se limite à la délivrance de simples conseils au profit de l'intermédiaire Dans ce cas, le conseiller agit sur le fondement d'un contrat d'entreprise qui ne se trouve pas soumis aux dispositions des articles L. 222-5 et suivants du code du sport ;

- Ce qui est interdit : pour des raisons évidentes de conflit d'intérêts, un agent ne peut, sous peine de sanctions pénales, rémunérer un membre de la direction ou de l'encadrement sportif du club recruteur.

La pratique des rétro-commissions est facilitée par le paiement des rémunérations des agents par les clubs. Une partie des commissions versées à cette occasion aux agents sportifs est en réalité destinée à être reversée de manière officieuse au joueur, à l'insu des services fiscaux et des organismes sociaux, ou bien à des responsables du club payeur, en dehors de tout contrôle comptable. L'enquête relative à l'affaire du Paris Saint-Germain/Nike aurait ainsi relevé plusieurs de ces pratiques de rétrocessions à des joueurs ou à des dirigeants. Ces pratiques seraient courantes et ont été mises en évidence dans les enquêtes ouvertes par la justice sur les comptes de plusieurs clubs.

Au cours des auditions de la mission, il a été souligné de façon réitérée que si les dispositions légales relatives à la rémunération des agents de joueurs étaient respectées et non contournées comme elles le sont actuellement, ces pratiques de rétro-commissions seraient significativement réduites. Ainsi, lors de son audition du 6 décembre 2006, M. Alain Vernon, journaliste à France Télévisions-Stade 2, a notamment déclaré : « Si l'on permet aux agents d'être payés par les clubs, on se fourvoie totalement, car c'est là qu'est la source de la corruption. Sur 177 agents officiels en France, seulement vingt travaillent très bien et tout le temps. Pour quelle raison ? Tout simplement, parce qu'ils acceptent de verser des rétro-commissions aux dirigeants. »

3. Le contrôle insuffisant de l'activité des agents

Le constat établi par M. Bertrand Cauly, président du Collectif agent 2006, est sévère : « Il est clair que le contrôle a failli. (186) » Les défaillances sont liées tant au caractère incomplet des sanctions prévues qu'aux modalités de leur mise en œuvre.

a) Une gamme de sanctions incomplète

 Les sanctions disciplinaires ne sont pas adaptées

Ces sanctions disciplinaires doivent être appliquées en cas de manquement aux dispositions de l'article L. 222-10 du code du sport qui dispose qu' « au titre de la délégation de pouvoir qui leur est concédée, les fédérations délégataires veillent à ce que les contrats préservent les intérêts des sportifs et de la discipline concernée. À cet effet, les contrats et les mandats sont communiqués aux fédérations. Les fédérations édictent des sanctions en cas de non communication des contrats et des mandats. » L'agent doit transmettre à la fédération le contrat dans un délai d'un mois au plus après la signature.

Les fédérations ont donc une double mission. D'une part, elles doivent vérifier que les documents énoncés par les textes ont bien été envoyés dans les délais impartis. D'autre part, elles doivent contrôler le contenu des contrats et dénoncer les dispositions contraires au dispositif légal.

D'une manière générale, les sanctions disciplinaires peuvent être appliquées en cas de manquement à toutes les dispositions des articles L. 222-5 et suivants du code du sport.

L'instance chargée des sanctions disciplinaires est « l'instance dirigeante compétente », c'est-à-dire la fédération, qui doit être sollicitée dans le cadre d'une procédure contradictoire. La commission des agents sportifs peut à tout moment saisir le comité directeur de la fédération pour des faits commis par un agent et qui lui sembleraient contraires aux lois et règlements. Les agents sont alors convoqués devant la commission ou le comité directeur.

Les sanctions pouvant être infligées sont le blâme, l'avertissement, la suspension et le retrait de la licence (article 14 du décret n° 2002-649 du 29 avril 2002). Si la procédure de suspension existe bien, les fédérations ne peuvent y recourir que préalablement à la mise en œuvre de la procédure de retrait et pour une période n'excédant pas trois mois. Elle est donc normalement indissociable de la procédure de retrait. Toutefois certaines fédérations l'ont introduite en tant que véritable sanction autonome dans leur règlement des agents sportifs. En pratique, la Fédération de football professionnel (FFF) prononce également des suspensions d'une durée supérieure à trois mois.

Entre les sanctions qui ne sont guère dissuasives - comme l'avertissement et le blâme - et le retrait, procédure lourde et définitive (il doit être prononcé par le comité directeur, après avis de la commission des agents), il n'y a pas de sanction intermédiaire, ce qui amoindrit les possibilités d'actions dont disposent les instances de contrôle.

 Les sanctions civiles sont limitées

L'article L. 222-10 du code du sport précise que toute convention contraire à la prohibition du double mandat et à la limitation du montant de la commission est réputée nulle et non écrite. De même, l'article L. 222-5 du code du sport indique que toute convention contraire à la prohibition de rémunération en cas de contrat passé avec un mineur est nulle.

Par contre, les violations des autres dispositions relatives à l'activité des agents sportifs, telle l'obligation de détenir une licence ou les incompatibilités ne font pas l'objet de sanctions civiles.

 Les sanctions pénales ne sont pas dissuasives

Selon l'article L. 222-11 du code du sport, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende le fait d'exercer l'activité d'agent sportif sans avoir obtenu la licence ou en méconnaissance d'une décision de non renouvellement ou de retrait de cette licence ou en violation des dispositions des articles des articles L. 222-7 à L. 222-9 (incapacités et incompatibilités et exercice à titre occasionnel par un ressortissant de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen).

Si la peine d'emprisonnement est dissuasive, il apparaît que le montant de l'amende est insuffisant au regard des sommes en jeu pour certaines opérations. Par ailleurs, aucune peine complémentaire n'étant prévue, les tribunaux doivent choisir entre la peine d'emprisonnement prévue à l'article L. 222-11 du code du sport et l'interdiction d'exercice de l'article L. 131-6 du code pénal (187).

b) Un contrôle encore limité

Tout régime de sanctions - si complet soit-il - n'est efficace que si tous les organes de contrôle sont prêts à jouer le jeu et s'ils en ont les moyens.

 Des progrès sont perceptibles

- S'agissant des sanctions disciplinaires, la Fédération française de football a transmis à la mission un récapitulatif des sanctions infligées à des agents sportifs par la commission des agents sportifs depuis la saison 2004/2005. Ainsi, 68 sanctions disciplinaires ont été infligées pour les motifs suivants :

- 45 pour non transmission des mandats ;

- 10 pour double mandatement ;

- 9 pour violation des dispositions relatives aux incapacités et incompatibilités ;

- 2 pour violation des dispositions relatives au paiement de l'agent par le joueur (mandat prévoyant la possibilité de rémunération par le club, alors que le mandant est un joueur) ;

- 1 pour représentation de deux clubs pour un même joueur ;

- 1 pour incitation de l'agent à la rupture du contrat de joueur de son mandant.

Rapportées au nombre d'agents, ces statistiques sont édifiantes.

Quant au quantum de la sanction, il ne s'agit en majorité que de suspension avec sursis (un mois : 23, deux mois : 7, trois mois : 29, quatre mois : 2 et six mois : 2). Les suspensions fermes n'ont concerné que quatre agents sportifs (suspension de deux mois pour un agent et suspension de six mois pour trois agents).

Il faut toutefois relativiser la portée concrète de certaines suspensions dans la mesure où elles peuvent s'appliquer pendant une période où n'ont pas lieu de transferts et où de facto, l'activité des agents est moindre. M. Philippe Flavier, co-président de l'Union des agents sportifs de football (UASF) l'a rappelé : « des interdictions temporaires de licence sont appliquées en dehors de la période des transferts. À quoi une suspension intervenant au mois de mars gênerait-elle un agent, puisqu'il est en vacances ? (188) »

- S'agissant des sanctions pénales à l'encontre des personnes exerçant illégalement la profession (sans détenir de licence (189)), il faut souligner que s'il est malaisé d'agir contre les agents licenciés, il est encore plus difficile de le faire contre ceux qui exercent sans licence, en marge du système. Là encore plus qu'ailleurs, contre la solidarité du milieu, c'est la volonté commune de moraliser la profession qui permettra de sanctionner les pratiques illicites.

Or jusqu'à présent, la profession n'a pas fait montre d'une volonté active de mettre fin à ces pratiques. En effet, le rapport de l'IGF-IGJS note que si la Fédération française de football est convenue en octobre 2003, avec la section financière du Tribunal de grande instance de Paris, de saisir le parquet au cas où des irrégularités seraient constatées, « Force est de constater que la communication de la FFF sur sa politique de contrôle sur l'activité des agents sportifs reste des plus limitées. Les procès verbaux de la commission des agents ne mentionnent notamment jamais la décision initiale de la FFF de se rapprocher de la justice et des signalements qui ont suivi. Ces points ne font de même l'objet que d'une seule allusion, sous le titre « affaire FFF/agents sportifs non licenciés », dans les procès-verbaux des comités fédéraux, qui apparaissent par contraste particulièrement prolixe sur des sujets apparemment plus mineurs. »

Toutefois, une inflexion de la position de la FFF est perceptible. Le rapport précité note que jusqu'à janvier 2005,  « différents parquets ont été saisis... dont neuf au cours des mois de décembre 2004 et janvier 2005 - au sujet d'intermédiaires non licenciés, encore appelés « faux agents ». Deux des personnes concernées ont été mises en examen et de nouvelles transmissions sont encore à prévoir. »

Lors de son audition par la mission, M. Jean-François Lamour, ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative, a fait état, depuis 2005, du dépôt de vingt plaintes auprès du procureur de la République pour exercice illégal de la profession d'agent sportif (190).

 Le contrôle se heurte toutefois à deux limites.

- La Fédération française de football n'a pas mis en place les moyens matériels d'un contrôle efficace. Ainsi, le rapport précité de l'IGJS et de l'IGF note-t-il des insuffisances dans le système de suivi des contrats de mandat et de travail. Ce système s'articule en effet autour d'une application informatique sur laquelle sont déclarés et enregistrés les contrats de travail. Sur le logiciel, une case doit être cochée pour signaler le recours à un éventuel agent. La validation de cette case entraîne alors l'ouverture d'une liste déroulante répertoriant l'ensemble des agents agréés. Il n'y a pas d'entrée libre : le logiciel ne peut donc pas prendre en compte un intermédiaire non licencié. La Fédération française de football qui a accès à ce logiciel peut donc s'assurer, dès lors que l'intervention d'un agent est signalée, qu'un contrat de mandat a effectivement été déposé. Si elle ne reçoit pas le contrat de mandat, elle peut relancer l'agent concerné. Elle n'a cependant pas organisé de suivi informatisé des procédures de relance, ce qui ne permet pas d'avoir une vision globale du respect des règles relatives à l'obligation de dépôt de mandat. Il est encore nécessaire de procéder à un dépouillement manuel des contrats de travail et de contrat de mandat pour vérifier si les agents mentionnés comme étant intervenus dans une transaction entre un joueur et un club ont bien signé un contrat de mandat.

M. Christophe Drouvroy, du département juridique de la Fédération française de football, regrette pour sa part que la Fédération n'ait pas d'accès à certaines informations financières : « Depuis deux ou trois ans, nous préconisons le croisement de nos informations avec celles que détient la DNCG. Peut-être ne dispose-t-elle pas de suffisamment de moyens. (191) »

- S'agissant des compétences et de la composition des organes chargés du contrôle, le nombre d'intervenants et le mélange des genres peut être préjudiciable à la portée du contrôle.

Trois organes au sein de la fédération disposent de compétences en matière d'agents sportifs et de contrôle de leurs activités : le comité directeur, la commission des agents et l' « instance dirigeante compétente ». Le comité directeur est chargé de délivrer la licence après avis de la commission des agents à qui sont déléguées les compétences légales d'élaborer les sujets d'examen et de constituer en jury. Le comité directeur est aussi appelé à renouveler ou à retirer les licences après avis conforme de la commission des agents. Pour ce qui concerne les sanctions disciplinaires, c'est l'instance dirigeante compétente qui doit être sollicitée, le retrait de la licence ne pouvant être prononcée que par le comité directeur après avis de la commission des agents.

Comme le rappelle M. Christophe Drouvroy, « La commission des agents sportifs a donc deux missions : l'organisation de l'examen et la délivrance de la licence ; le contrôle de l'activité des agents, pour préserver les intérêts de la discipline. (192) » Le cumul de ces deux rôles conduit inévitablement à un mélange des genres, d'autant que la composition de la commission est par elle-même discutable. La commission des agents sportifs pour le football est composée comme suit :

- le président de la commission,

- deux personnalités choisies en raison de leurs compétences dans le football et en matière juridique,

- un représentant des footballeurs,

- un représentant des agents sportifs,

- un représentant de la ligue professionnelle de football,

- un représentant des sociétés sportives,

- un représentant des éducateurs.

Ont par ailleurs voix consultative, un représentant de la Direction technique nationale, un représentant du Comité national olympique et sportif français et un représentant de l'Agence nationale pour l'emploi. La présence en son sein de représentants de joueurs, de sociétés sportives, d'agents sportifs, des éducateurs est susceptible d'engendrer des conflits d'intérêt, ce qui n'est pas de nature à renforcer la crédibilité des décisions prises, ainsi que l'a exposé M. Jean-Michel Marmayou : « la composition peut être à l'origine de conflits d'intérêts, puisqu'on y trouve des représentants non seulement des agents, mais aussi des clubs et des joueurs, qui sont tous concernés par les activités des agents. La commission qui statue sur l'accès à la profession est donc composée de personnes potentiellement parties prenantes dans des opérations éventuellement litigieuses, et qui peuvent être amenées à se prononcer sur des opérations les concernant directement. (193»

*

* *

Toutes ces dérives liées à l'exercice de la profession d'agent sportif sont en fait la conséquence de la difficulté à réguler l'ensemble du système. En complément de la réglementation de la profession d'agent, afin que ceux-ci ne constituent plus un maillon faible, il est indispensable de mener une réflexion sur l'ensemble du sport professionnel pour diminuer les risques de voir les agents sportifs s'engouffrer dans les failles du système. La situation est classique dans monde sportif et le dopage en offre un autre exemple : tous les acteurs semblent être au courant des dérives et chacun paraît y trouver son compte.

III.- PROPOSITIONS DE LA MISSION

Les travaux de la mission ont confirmé l'importance des problèmes de corruption que pose le développement excessif des transferts et certaines formes d'exercice de la profession d'agent au regard de l'éthique sportive du football professionnel. Ils ont également mis en relief la complexité des mécanismes en jeu, en partie liée à la dimension internationale de ces questions car, de fait, les difficultés se concentrent essentiellement sur les transferts comportant un élément étranger.

La mission a également constaté - pour s'en féliciter - que les instances internationales ont engagé des réflexions approfondies sur ce dossier, dans le cadre de leur réflexion plus globale sur le sport qu'il s'agisse des instances sportives européenne et internationale - UEFA et FIFA, en liaison avec les instances sportives françaises -, ou bien des institutions européennes - la Commission européenne avec son futur Livre blanc sur « le rôle de l'Union en matière de sport » ou le Parlement européen avec les travaux qu'il conduit sur « l'avenir du sport européen ».

La gestion internationale de ces questions devrait donc évoluer dans les prochaines années. Mais les membres de la mission se sont accordés pour estimer que notre pays doit prendre les devants en identifiant dès à présent les voies d'améliorations nécessaires sur son propre territoire, ne serait-ce que pour mettre fin à une situation qui se caractérise par le non respect de la loi en vigueur, du moins dans son esprit. Au demeurant, l'interaction des travaux conduits aux plans national et international permettra sans doute d'accélérer la prise de décision au niveau le plus pertinent qui est celui des autorités sportives internationales.

Après le bilan établi sur le fonctionnement des opérations de transfert et les difficultés liées à l'exercice de la profession d'agent, les propositions concrètes de la mission répondent au double objectif :

- de renforcer le statut des agents sportifs parce qu'ils sont au cœur des dérives observées - bien qu'ils n'en soient pas, et de loin, les seuls responsables - et parce qu'il faut moraliser l'exercice de cette activité, nécessaire, en imposant que les pratiques changent pour que les principes de la loi soit respectés,

- et de garantir la transparence des opérations de transfert, en assurant la traçabilité des flux financiers et en renforçant le rôle de la DNCG en tant qu'organe de contrôle indépendant à l'intérieur de l'organisation sportive. Sur ce point, la mission a fait le choix pragmatique de faire confiance au mouvement sportif dont les responsables devront tirer toutes les conséquences de leur volonté d'autonomie en termes de responsabilité et d'éthique.

À travers plusieurs recommandations, la mission exprime également son souci que les instances compétentes profitent de la volonté qui semble se dégager à tous les niveaux, comme ce fut le cas sur la question du dopage, pour prendre l'entière mesure de l'internationalisation du football professionnel et du sport en général.

UN PRÉALABLE :
LA RESPONSABILISATION DE TOUS LES ACTEURS

Comme cela a été souligné à maintes reprises lors des auditions, les agents ne peuvent être tenus pour seuls responsables des dérives observées dans le monde du football. En effet, les joueurs se montrent souvent réticents à l'idée de payer eux mêmes leurs agents et les clubs signent des contrats de mandat au dernier moment avec les agents pour pouvoir les rémunérer, alors qu'ils sont en réalité agents de joueurs. Comme l'a souligné M. Jean-Philippe de Saint-Martin, inspecteur des finances, « les comportements n'évolueront qu'à condition que les bénéficiaires du système soient tous sanctionnées. (194) »

Or, l'article L. 222-10 du code du sport, qui prévoit les modalités d'exercice de l'activité d'agent sportif, ne sanctionne les manquements à ces règles que par la nullité de la convention.

Par ailleurs, au titre des sanctions pénales, l'article L. 222-11 ne vise que l'exercice illégal de la profession d'agent sportif.

Enfin, en matière disciplinaire, le règlement de la Fédération française de football ne prévoit de régime de sanction qu'à l'égard des agents sportifs, contrairement au règlement FIFA qui comporte des mesures disciplinaires visant également les clubs et les joueurs.

La mission met donc l'accent sur la nécessité de responsabiliser tous les acteurs du football, en instituant des sanctions financières et sportives à l'encontre des clubs et des joueurs. Ces sanctions relèveraient de la compétence des fédérations et pourraient, par exemple, prendre la forme de retraits de points dans les classements pour les clubs et de suspensions pour les joueurs.

Proposition 1 : Inciter la Fédération française de football à sanctionner, par des sanctions financières et sportives, les clubs et les joueurs qui contreviennent aux dispositions de son règlement.

A. RENFORCER LE STATUT DES AGENTS SPORTIFS

1. En élaborant un code de déontologie des agents sportifs

La multiplication des garde-fous légaux et réglementaires prolongeant la longue succession de textes relatifs à la profession d'agent sportif ne sera que d'une efficacité limitée si les acteurs ne se sentent pas investis d'une mission particulière de défense de l'éthique sportive et n'ont pas une volonté commune de moraliser la profession. Au cours de ses travaux, la mission a pu constater que les agents sportifs étaient soucieux que leur profession ne soit pas frappée d'anathème. Il convient de distinguer le bon grain de l'ivraie, selon l'expression de M. Christian Chevalier, avocat : « Nous travaillons depuis plus de dix ans sur ce secteur et s'il est vrai qu'il y a eu des dérives, nous assistons également au renouvellement de la génération d'agents et il faut trier entre le bon grain et l'ivraie. (195) »

La responsabilité des acteurs passe donc par le respect d'une déontologie professionnelle. Selon le règlement de la FIFA, tout candidat à la profession d'agent doit signer un code de déontologie lui imposant les principes de conscience professionnelle, de transparence, de sincérité et de gestion juste des intérêts des différentes parties. De même, en rugby, selon les dispositions de l'IRB (International rugby board) et de la Fédération française de rugby, l'agent doit s'engager à se conduire de manière conforme à l'éthique et doit être intègre et juste dans les négociations.

Un code de déontologie, inspiré du code de déontologie de la FIFA, pourrait être annexé au règlement des fédérations et être signé par les candidats lors de l'attribution de la licence d'agent.

Au-delà des obligations générales des agents, telles que l'engagement de n'approcher en aucun cas un joueur sous contrat en cours avec un club dans l'intention délibérée de persuader le joueur en question de résilier prématurément son contrat, ce code de déontologie prévoit que :

- l'agent est tenu d'exercer son activité avec conscience professionnelle et d'adopter une attitude digne de la fonction qu'il exerce ;

- l'agent du joueur s'engage à toujours agir avec sincérité, transparence et objectivité vis-à-vis de son mandat mais aussi des parties négociatrices et de tiers ;

- l'agent de joueur gère les intérêts de son mandant avec justice et équité et veille toujours à assurer une situation juridique claire et précise ;

- l'agent de joueur s'engage à toujours respecter les droits des parties négociatrices et de tiers. Il respecte en particulier les relations contractuelles de ses collègues et n'agit aucunement de manière à essayer de débaucher des mandants ;

- l'agent de joueur doit tenir des registres de comptabilité dans une mesure raisonnable. Il doit en particulier veiller à ce que ses efforts puissent à tout moment être justifiés au moyen des pièces correspondantes et autres dossiers ;

- l'agent de joueur s'engage, dans des cas disciplinaires et autres litiges le concernant, à soumettre sur demande aux instances chargées de l'enquête les registres et pièces directement liés au cas à examiner ;

- l'agent de joueur renseigne d'emblée le mandant sur ses honoraires.

Certaines précisions mériteraient d'être ajoutées concernant, par exemple, le problème de la concentration de joueurs d'une même équipe dans l'« écurie » d'un même agent.

Les manquements au code de déontologie devraient pouvoir être sanctionnés par les fédérations et les syndicats d'agents devraient pouvoir en dénoncer les manquements auprès des instances fédérales.

Proposition 2 : Annexer un code de déontologie des agents sportifs au règlement des fédérations et subordonner la délivrance de la licence à sa signature par les candidats.

2. En révisant les modalités d'accès à la profession

 Supprimer la possibilité pour des personnes morales de détenir une licence d'agent sportif

Cette possibilité ouverte par l'article L. 222-8 du code du sport crée des risques de contournement de la législation relative à l'obligation de détention de licence.

Selon l'expression de M. Jean-François Lamour, ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative, cette suppression serait de « bon sens », d'autant que cette possibilité n'a été que peu utilisée. Le rapport de l'IGJS et de l'IGF fait état de quatre personnes morales licenciées en basket-ball et quatorze en rugby. La Fédération française de football (FFF) n'a délivré quant à elle aucune licence à une personne morale. Elle s'aligne déjà sur la réglementation de la FIFA dont l'article premier du règlement gouvernant l'activité des agents de joueurs dispose que : « seules des personnes physiques peuvent obtenir une licence. Les candidatures d'entreprises ou de clubs ne sont pas recevables. » La FFF doit donc actuellement concilier deux normes contradictoires : d'un côté, la législation interne lui impose d'instruire les dossiers de candidature émanant de sociétés et lui permet de délivrer des licences à ces dernières ; de l'autre, la FIFA à laquelle la fédération est soumise en tant que membre, le lui interdit formellement.

En conséquence de la suppression de l'attribution de la licence d'agent sportif à des personnes morales, et à titre transitoire, les licences antérieurement délivrées à des personnes morales seraient attribuées à ceux de leurs représentants ayant accompli les formalités d'obtention de la licence au nom de ces sociétés.

Proposition 3 : Supprimer la possibilité pour les personnes morales de détenir une licence d'agent sportif et attribuer les licences antérieurement délivrées à des personnes morales aux représentants ayant accompli les formalités d'obtention de la licence au nom de ces sociétés.

 Encadrer l'activité des collaborateurs

La suppression de la licence des personnes morales devrait être l'occasion de préciser le statut des collaborateurs qui n'est évoqué dans le code du sport que par la mention des « préposés » figurant à l'article L. 222-7. En l'absence de définition de cette notion, on peut se demander si elle vise les salariés ou tous les collaborateurs habituels, ou occasionnels, sur lesquels l'agent a un pouvoir de direction ou de garde au sens de l'article 1384 du code civil. Afin de mettre fin à cette insécurité juridique, qui est également source de détournement de la loi, il serait nécessaire de préciser :

- que les collaborateurs doivent être salariés ;

- qu'ils ne peuvent accomplir que des tâches administratives, à l'exception des fonctions de conseil.

Proposition 4 : Élaborer un statut des collaborateurs d'agents sportifs précisant qu'ils sont salariés et ne doivent être chargés que de fonctions administratives.

 Préciser le statut des agents étrangers

- Les conditions d'exercice des agents non ressortissants de l'Union européenne et de l'espace économique européen (EEE) :

Pour l'heure, les textes sont muets sur leur situation : ces intermédiaires qui ne sont soumis à aucun contrôle ni de compétences, ni de moralité font une concurrence déloyale aux agents titulaires de la licence. Ceux qui souhaitent intervenir sur le territoire français, même de manière occasionnelle, devraient, pour ce faire, obtenir une licence française, qui pourra être délivrée à l'agent étranger détenteur d'un titre équivalent dans son État d'origine.

- Les conditions d'exercice des agents ressortissants de l'Union européenne et de l'espace économique européen (EEE) :

Pour tous les agents sportifs résidant en France et pour ceux exerçant leur activité habituelle en France, il est nécessaire de poser l'obligation de détenir une licence française. À cette fin, la notion de titres et de qualifications permettant d'obtenir une équivalence devrait être précisée.

Par ailleurs, pour ceux qui veulent exercer leur activité de manière occasionnelle, les textes devraient également préciser si la notion d' « exercice occasionnel » doit prendre en considération la totalité de l'ensemble du territoire de l'EEE ou si l'on doit, au contraire, limiter l'appréciation au seul territoire français.

Proposition 5 : Soumettre les intermédiaires étrangers non ressortissants de l'Union européenne et de l'EEE à l'obligation de détention de la licence française. Pour les ressortissants de l'Union européenne et de l'EEE résidant en France ou exerçant à titre habituel leur activité en France, préciser les titres et qualifications ouvrant droit à équivalence.

 Durcir le régime des incompatibilités et des incapacités

- Les incompatibilités

Le dispositif législatif doit être complété afin d'éviter au maximum les collusions d'intérêts.

- Si les membres de l'encadrement d'un club doivent respecter le délai d'un an avant de pouvoir exercer la profession d'agent sportif, ce délai n'est pas imposé aux agents cessant leur activité pour devenir membre d'un club. Il est en conséquence nécessaire d'établir une identité de délai entre ces deux cas de figure. En effet, ainsi que le souligne le rapport précité de l'IGJS et de l'IGF « même si elles ont effectivement remis leur licence, rien ne vient (...) garantir que les personnes concernées ont abandonné tous les intérêts économiques qu'elles pouvaient détenir en tant qu'agents sportifs. »

Par ailleurs, s'agissant du délai d'un an, il serait nécessaire de préciser s'il s'agit d'année civile ou d'année sportive, cette dernière notion apparaissant plus pertinente.

- Actuellement, la loi n'interdit pas à un agent sportif de détenir des parts de capital social d'un club. Cette situation est regrettable car un actionnaire d'une société sportive est souvent plus influent qu'un simple dirigeant. Aussi la mission préconise-t-elle que la loi interdise un tel cumul. MM. Didier Primault et Frédéric Bolotny, économistes au Centre de droit et d'économie du sport estiment que cette proposition est prioritaire (196). Cette mesure pourrait être renforcée en prévoyant que l'activité d'agent sportif est interdite à toute personne ayant un intérêt direct ou indirect, en droit ou en fait, à titre bénévole ou rémunéré, soit dans une association ou une société employant des sportifs contre rémunération ou organisant des manifestations sportives, soit dans une fédération sportive. Il s'agit d'éviter que les agents puissent profiter d'une faille du système et contourner la loi.

Proposition 6 : Interdire à un agent sportif d'une part de devenir membre de l'encadrement d'un club avant un délai d'un an et d'autre part d'être actionnaire d'un club.

- Les incapacités

L'article L. 222-7 du code du sport énonce un certain nombre d'incapacités s'opposant à la détention ou la délivrance de la licence d'agent sportif. Cependant le contrôle par les fédérations est rendu difficile car au nombre des pièces devant être fournies pour obtenir la licence ne figure qu'une attestation sur l'honneur et non un extrait de casier judiciaire.

Or l'article 776 du code de procédure pénale dispose que les administrations ou organismes chargés par la loi ou le règlement du contrôle de l'activité professionnelle ou sociale lorsque cet exercice fait l'objet de restrictions expressément fondées sur l'existence de condamnations pénales, peuvent se voir délivrer un extrait de casier judiciaire du candidat. Une fédération devrait donc pouvoir à ce titre demander à obtenir un extrait de casier judiciaire. Cependant, cette pièce ne figurant pas dans les pièces énumérées par l'arrêté du 16 juillet 2002, une fédération pourrait se voir opposer un refus au motif que cet arrêté ne prévoit qu'une attestation sur l'honneur.

L'article L. 222-7 du code du sport gagnerait donc à être modifié afin que soit exigé des candidats à la délivrance d'une licence d'agent sportif la présentation d'un extrait de casier judiciaire. Pourraient opportunément être ajoutées une attestation de régularité de situation fiscale ainsi que la liste des sociétés dans lesquelles ils détiennent des intérêts.

Enfin, il semble indispensable de compléter l'article L. 222-7 précité afin d'y intégrer les délits financiers. Il conviendrait d'ajouter notamment le délit de corruption (articles 445-1 et suivants du code pénal), les atteintes aux systèmes de traitement informatisé des données (articles 323-1 et suivants du code pénal), le blanchiment (articles 324-1 et suivants du code pénal), et les atteintes à l'action de la justice (articles 434-1 et suivants du code pénal).

Proposition 7 : Introduire les délits financiers dans l'article L. 222-7 du code du sport relatif aux incapacités et subordonner l'octroi de la licence à la présentation d'un extrait de casier judiciaire.

3. En aménageant les modalités d'exercice de la profession

 Dissocier l'activité de conseil au joueur et l'activité d'intermédiaire de transfert

Les agents sportifs peuvent exercer leur activité de conseil à la fois auprès des joueurs et auprès des clubs. Si le double mandatement est interdit par le code du sport à l'occasion d'une même opération de négociation de contrat de travail, il est possible que l'agent d'un joueur intervienne, au nom d'un club, dans le cadre d'un transfert ultérieur du joueur avec qui il a été lié par contrat. Cette possibilité peut provoquer des comportements peu conformes à l'éthique sportive : un agent sportif peut être tenté de multiplier les opérations de transferts lucratives et, par exemple, être amené à exercer une pression sur le joueur afin qu'il accepte une opération de transfert.

La mission estime donc indispensable d'interdire l'intervention de l'agent sportif d'un joueur dans une opération de transfert concernant le joueur avec lequel il est contractuellement lié et en conséquence, d'exclure cet agent de toute rémunération à l'occasion de ce transfert.

Proposition 8 : Interdire l'intervention et la rémunération d'un agent sportif dans une opération de transfert d'un joueur avec lequel il est lié par contrat.

 Assurer la régularité juridique des relations contractuelles entre l'agent et le joueur

Les auditions menées par la mission ont montré que les dispositions de l'article L. 222-10 du code du sport interdisant une prise en charge par les clubs de la rémunération des agents de joueurs font l'objet de détournements systématiques. On ne sait pas si les joueurs ont des agents ou pas, on ne sait pas qui travaille avec qui, des mandats sont déposés au dernier moment entre un club et un agent, les joueurs n'hésitent pas à changer d'agent et le font d'autant plus facilement qu'ils ne sont liés par aucun contrat... Cette situation de flou juridique, qui a été développée dans la deuxième partie du rapport, est contraire à l'exigence de transparence et de sécurité juridique qui devrait prévaloir et favorise toutes les dérives, comme le paiement le paiement de rétro-commissions.

Dans ce contexte, il est essentiel de garantir :

- la transparence et la régularité des situations juridiques liant le joueur, son agent et son club ;

- la stabilité des relations contractuelles entre l'agent et le joueur ;

- la sécurité du paiement de la commission de l'agent car les agents se plaignent systématiquement de ne jamais être sûrs d'être payés par leurs joueurs.

Les propositions suivantes semblent à même de répondre à ces trois objectifs.

- Afin d'éviter que les contrats ne soient signés à la dernière minute, contrairement à l'exigence de transparence, la mission propose que le joueur ait l'obligation de déclarer, en début de saison sportive, le nom de son agent, ou l'absence d'agent. Elle prévoit également qu'il ne sera pas possible à un joueur de signer un contrat avec un club par l'intermédiaire d'un agent avec lequel il est lié depuis moins de six mois. Cette double sécurité permettra d'éviter les changements intempestifs d'agents, sources de dérives.

- Par ailleurs, il est proposé que les fédérations fixent une grille de rémunération pour encadrer et clarifier le montant des commissions versées aux agents.

- Votre rapporteur estime que si ces deux conditions sont réunies, une convention tripartite entre le joueur, l'agent et le club pourra être signée. Elle pourra prévoir la rémunération de l'agent par le club. Cette convention garantira à l'agent le paiement de sa commission et en outre, permettra au joueur - ce qui n'est pas le cas actuellement - d'avoir connaissance du coût de son agent et ainsi, de le responsabiliser.

Certains membres de la mission ayant considéré que cette dernière proposition nécessitait une expertise plus poussée, elle n'a pas été adoptée par la mission (cf. la contribution annexée).

Proposition 9 :

- Mettre à la charge des joueurs une obligation de déclarer, à chaque début de saison sportive , s'ils font ou non appel aux services d'un agent et interdire à un joueur de signer un contrat avec un club par l'intermédiaire d'un agent avec lequel il est lié par un contrat depuis moins de six mois;

- Demander aux fédérations d'élaborer une grille de rémunération pour déterminer le montant des commissions versées aux agents sportifs.

 Aménager le renouvellement triennal de la licence

La procédure de renouvellement de la licence prévue par l'article L. 222-6 du code du sport et les articles 12 et 13 du décret n° 2002-649 du 29 avril 2002 présente l'avantage de permettre qu'à cette occasion soit dressé un bilan de l'activité des agents. Cependant, on peut noter que :

- aucune profession à laquelle il est possible d'accéder après un examen n'est soumise à une exigence d'activité minimale, ce qui est le cas pour les agents sportifs. Une telle exigence n'est en tout état de cause pas une garantie de moralité de l'agent et risque de figer la composition d'une profession où les contacts sont plus importants que les compétences juridiques et techniques.

- la combinaison d'une procédure de renouvellement annuel tacite et d'une procédure plus formalisée tous les trois ans n'est pas favorable au développement du contrôle entre ces périodes.

La procédure de renouvellement triennal perdrait une grande partie de son sens, dès lors que les propositions tendant à mieux contrôler les agents sportifs doivent permettre un suivi plus efficace de leur activité.

La mission est donc favorable à la simplification de la procédure de renouvellement triennal de la licence qui pourrait être tacite et non subordonnée à la production des documents actuellement exigés.

Proposition 10 : Alléger la procédure actuelle de renouvellement triennal de la licence en rendant ce renouvellement tacite.

 Organiser la formation continue

Le ministère des sports, dans une instruction ministérielle du 12 novembre 2002, a eu l'occasion de préciser que bien que le renouvellement triennal de la licence ne soit pas subordonné à un nouvel examen, les fédérations sportives délégataires peuvent proposer aux agents sportifs des formations de suivi de l'activité, ceux-ci étant libres de les suivre ou pas.

Dans la logique selon laquelle le renouvellement de la licence deviendrait tacite, il serait utile que les fédérations organisent systématiquement des sessions de mise à niveau des agents et incitent fermement ceux-ci à les suivre. Ces sessions permettraient également d'entretenir un lien entre le système fédéral et les agents.

Proposition 11 : Inciter les fédérations à organiser des sessions de formation continue pour les agents sportifs.

4. En assurant un contrôle financier de la profession d'agent sportif

 Soumettre les agents sportifs au contrôle d'un commissaire aux comptes

Du point de vue financier, l'activité professionnelle des agents est soumise à un certain nombre de règles relatives à l'emploi des sommes qu'ils reçoivent en rémunération de leurs services.

Les agents sportifs ne peuvent pas partager les commissions qu'ils reçoivent de la part des clubs qui les mandatent avec des personnes non titulaires de la licence d'agent sportif - sous peine de se rendre complice de l'infraction d'exercice illégal de la profession d'agent sportif -, ni avec le joueur transféré
- sous peine de se rendre complice d'une fraude selon le mécanisme des rétro-commissions -, ni avec des personnes appartenant au club - sous peine de se rendre complice d'un détournement des fonds du club.

De fait, leur position s'apparente à celle que connaissaient d'autres professions qui ont à intervenir dans des situations telles que les procédures de redressement ou de liquidation judiciaires et qui doivent pouvoir justifier de l'emploi des fonds qu'elles manipulent. Ces professions font l'objet depuis longtemps d'un contrôle financier par des commissaires aux comptes, quel que soit leur niveau d'activité.

C'est pourquoi la mission préconise d'imposer le recours à un commissaire aux comptes pour contrôler si les fonds reçus par les agents ont une destination conforme à la réglementation.

Le commissaire aux comptes, désigné dans des conditions qui assurent son indépendance, attestera de manière spécifique que l'usage par l'agent sportif des fonds qu'il a reçus respecte bien les règles auxquelles celui-ci est soumis. Cette attestation pourrait être transmise annuellement à la Direction nationale du contrôle et la gestion (DNCG).

Proposition 12 : Ajouter les agents de joueurs à la liste des professions et des organismes pour lesquelles la nomination d'un commissaire aux comptes est obligatoire.

 Préciser les règles relatives au montant de la commission

Plusieurs analyses juridiques ont souligné l'imprécision de la formulation du plafond de 10 % du montant du contrat négocié fixé par la loi pour les commissions versées à des agents sportifs.

La mission considère qu'en aucun cas un club ne peut payer plus de 10 % du montant d'un contrat conclu, sous la forme de commissions à des tiers. En effet, dans une négociation donnée, il ne peut y avoir qu'un seul mandat de négociation par partie concernée. Si plusieurs agents sportifs sont impliqués dans la négociation pour le compte d'une partie, ils doivent être considérés comme co-titulaires du mandat et le plafond de 10 % doit alors s'appliquer à l'ensemble des commissions versées à ces agents.

Il s'agit notamment d'éviter que des agents, autres que ceux impliqués dans la négociation, demandent une commission aux clubs pour « rétribuer leur inaction » - c'est-à-dire, pour renoncer à faire monter les enchères de manière fictive - (197). Il permet également d'éviter qu'un club ne verse des commissions à la fois à son propre agent et à l'agent officieux de son joueur.

Toute convention ne respectant pas le plafond légal de 10 % étant, de par la loi, « réputée nulle et non écrite », les commissions versées dépassant ce plafond doivent être considérées comme versées sans motifs et par conséquent non déductibles du résultat imposable. La mission propose que les instructions données aux fonctionnaires de la Direction générale des impôts soient précisées dans ce sens.

Proposition 13 : Sanctionner fiscalement le versement de commissions dont le montant total dépasse 10 % du montant du contrat conclu.

5. En aménageant le régime des sanctions disciplinaires et pénales

 Clarifier les conditions d'exercice du pouvoir disciplinaire fédéral

Il ressort de façon récurrente des auditions de la mission, une volonté d'accroître le pouvoir disciplinaire de la commission des agents sportifs en lui donnant davantage de moyens. Or, au regard des textes en vigueur, le pouvoir disciplinaire appartient au bureau du conseil fédéral. En pratique, la commission instruit les affaires qui concernent des agents sportifs, lesquelles sont ensuite reprises par le bureau du conseil fédéral.

La répartition des compétences entre ces deux organes est peu claire car elle diverge selon que l'on se place du côté de la législation française (la loi et le décret) ou du coté du règlement de la Fédération française de football (FFF).

Proposition 14 : Clarifier les compétences respectives du bureau du conseil fédéral, chargé de la discipline, et de la commission des agents sportifs, qui vient en soutien du bureau pour les questions touchant aux agents.

 Étendre la gradation des sanctions disciplinaires

L'échelle actuelle des sanctions est trop restrictive. Aujourd'hui, les seules sanctions auxquelles les fédérations peuvent recourir sont soit peu dissuasives (avertissement ou blâme) soit trop lourdes (retrait de licence). La suspension de la licence doit quant à elle être liée à une procédure de retrait et ne peut être supérieure à trois mois. La procédure de retrait, définitive, peut intervenir soit directement au cours de la période de trois ans qui s'écoule entre la réussite à l'examen (ou un renouvellement triennal) et un premier renouvellement triennal, soit indirectement dans le cadre de la procédure de renouvellement triennal à travers un refus de renouvellement.

Le pouvoir disciplinaire relève de la compétence des organes fédéraux. La mission suggère de les doter d'un arsenal disciplinaire plus dissuasif en mettant à leur disposition une échelle plus graduée des sanctions. Ils devraient notamment pouvoir imposer des sanctions financières en cas de non respect par l'agent de ses obligations, comme par exemple les manquements répétés à l'obligation de dépôt de mandat.

Par ailleurs, une possibilité de suspension d'une durée supérieure à trois mois - que la FFF utilise d'ores et déjà - et déconnectée de la procédure de retrait devrait être prévue expressément. La mission est donc favorable à la mention dans le décret de la double fonction de la suspension de licence qui peut constituer une mesure conservatoire préalable à la mise en œuvre d'une procédure de retrait (l'actuel article 14 du décret) ou une sanction disciplinaire à part entière, comme le prévoit le règlement de la FFF.

Enfin, il est nécessaire de clarifier le régime juridique du retrait aujourd'hui ambigu. En effet, l'article 12 du décret n° 2002-649 du 29 avril 2002 le place dans le champ des règles liées à l'accès à la profession d'agent sportif et non pas dans la liste des sanctions disciplinaires, comme le fait explicitement l'article 24 du règlement de la FFF.

Le décret n° 2002-649 du 29 avril 2002 devrait être modifié afin de placer le retrait au nombre des sanctions disciplinaires.

Proposition 15 : Augmenter le nombre des sanctions disciplinaires à la disposition des instances fédérales: sanctions financières, suspension et retrait de la licence.

 Aggraver les sanctions pénales

La peine d'amende de 15 000 euros prévue à l'article L. 222-11 du code du sport devrait être revue à la hausse pour tenir compte des intérêts financiers en jeu, souvent considérables. Un montant de 50 000 euros serait susceptible d'être davantage dissuasif, étant rappelé qu'il s'agit d'un plafond en deçà duquel le juge est libre de fixer le montant de l'amende. La peine d'emprisonnement, fixée actuellement à un an, pourrait par ailleurs être doublée. Enfin, des peines complémentaires devraient être prévues. Ainsi, il serait plus dissuasif de permettre au juge de cumuler le régime de sanctions actuel avec l'interdiction d'exercice prévue par l'article 131-6 du code pénal, en introduisant cette possibilité dans la loi.

Proposition 16 :

- Augmenter sensiblement le montant de l'amende et la durée d'emprisonnement prévues à l'article L. 222-11 du code du sport ;

- Prévoir la possibilité de cumuler les peines d'amende et d'emprisonnement avec l'interdiction d'exercice de la fonction d'agent sportif.

B. AMÉLIORER LA TRANSPARENCE DES OPÉRATIONS DE TRANSFERT

Les dispositifs qui contribuent à la transparence des opérations de transfert jouent un rôle préventif important à l'égard de la fraude. Ils sont dissuasifs car ils facilitent les recherches des services de contrôle : l'accessibilité des données permet une détection plus rapide des anomalies et la traçabilité des flux financiers augmente les chances de démasquer les auteurs de montage frauduleux.

La sécurisation des opérations de transfert suppose un ensemble cohérent de mesures à caractère prudentiel, garantissant la transparence financière et contractuelle des opérations de transfert, associé à un dispositif de contrôle efficace, vérifiant de manière systématique le respect des règles et doté des moyens nécessaires.

1. En assurant la traçabilité comptable des flux financiers

La mission recommande l'instauration de nouvelles règles à caractère prudentiel renforçant la transparence des opérations de transfert par une meilleure traçabilité des flux financiers associés aux transferts.

 Dédier des comptes bancaires spécifiques aux opérations de transfert

Les premières mesures nécessaires pour assurer la traçabilité des flux financiers concernent l'utilisation de comptes bancaires réservés à cet usage, à la fois pour les clubs et les agents.

Proposition 17 :

- Assujettir les clubs professionnels à l'obligation d'utiliser un compte bancaire unique pour recevoir les versements des fonds relatifs aux transferts ;

- Assujettir les agents sportifs à l'obligation d'utiliser un compte bancaire unique pour recevoir les versements des commissions reçues dans le cadre des opérations de transferts.

 Assurer un suivi comptable de l'activité d'acquisition et de cession des contrats de joueur

Le système d'enregistrement comptable actuel des clubs ne permet pas un suivi adéquat des opérations effectuées sur les contrats de joueur.

Un tel suivi suppose des instruments comptables spécifiques, tel qu'un document d'enregistrement particulier s'apparentant à un journal auxiliaire et rassemblant toutes les écritures comptables liées aux transferts. Par ailleurs, une annexe au bilan devrait permettre de suivre la valeur des contrats de joueurs en mettant en regard les coûts d'acquisition initiaux, la valeur vénale du contrat sur le marché des transferts, l'indemnité de transfert perçue lors de la vente du contrat, les indemnités de formation éventuelles et les compléments de prix reçus dans le cadre des clauses d'intéressement. Cette annexe permettrait de répondre aux exigences relatives au tableau des joueurs prévu par la procédure UEFA pour l'octroi d'une licence de club (198). Les documents comptables devraient bien entendu être intégrés aux opérations de certification réalisées par les commissaires aux comptes au niveau des contrôles internes aux clubs.

Propositions 18 :

- Créer dans la comptabilité des clubs un journal auxiliaire rassemblant toutes les écritures comptables liées aux transferts ;

- Introduire une annexe au bilan des clubs permettant de suivre la valeur des contrats de joueur acquis.

2. En affirmant le rôle de la Direction nationale du contrôle et de la gestion (DNCG) en tant qu'organe de contrôle interne à l'organisation sportive

 Préciser les missions et le champ de contrôle de la DNCG

Le contrôle interne, tel que le pratiquent, par exemple, les corps de contrôle dans le secteur des banques et assurances, a pour objet de garantir la pérennité économique des acteurs concernés, en vérifiant que les règles prudentielles édictées à cette fin sont respectées.

La lutte contre les fraudes entre dans le champ de ce type de contrôle, puisque les fraudes peuvent porter atteinte à l'équilibre financier des clubs professionnels et donc à leur pérennité économique. Le but du contrôle prudentiel n'est pas de traquer les fraudes ou les infractions par des investigations spécifiques - c'est la mission des organes de contrôle qui disposent des prérogatives et des compétences nécessaires -, mais de contrôler systématiquement le respect des règles prudentielles et de faciliter la tâches des services de contrôle externe en rendant l'information facilement accessible.

Les règles du contrôle prudentiel mis en oeuvre dans le secteur des banques et assurances sont transposables au contrôle interne des fédérations sportives dont l'objectif est d'assurer la pérennité économique des clubs pour garantir le bon déroulement des compétitions. C'est pourquoi la lutte contre la fraude doit figurer expressément parmi les missions de la DNCG.

Les règles « prudentielles » entrant dans le champ du contrôle de la DNCG ne sont pas seulement comptables et financières, elles peuvent être également d'ordre juridique.

Il faut en particulier considérer que les dispositions de l'article L. 222-10, relatives à la rémunération de l'agent sportif et au plafond de 10 % du montant du contrat, présentent le caractère de règles prudentielles.

 Centraliser les flux financiers relatifs aux transferts auprès de la DNCG

La Ligue professionnelle de football propose de reprendre le dispositif de centralisation du paiement des indemnités de transfert en vigueur en Angleterre. Il s'agit de demander aux clubs français de transmettre à la Ligue, les indemnités de transfert qu'ils doivent verser à des clubs français ou étrangers pour l'acquisition de nouveaux contrats de joueur, à charge pour la Ligue de débloquer les fonds en faveur des destinataires. Ce dispositif de transparence, même s'il ne permet pas d'éviter tous les types de fraudes, s'inscrit clairement dans une perspective très prometteuse de mise en réseau des organismes ayant une fonction similaire dans chaque pays européen. Il doit à ce titre être fortement encouragé.

Toutefois, la mission propose que cette centralisation soit effectuée non pas auprès de la Ligue mais auprès de la DNCG elle-même, organe autonome au sein de l'instance sportive.

De plus, la mission recommande que le déblocage des fonds par la DNCG en faveur de leur destinataire ne soit effectué qu'après contrôle de la conformité des versements aux montants prévus dans les conventions de transfert, grâce aux pièces contractuelles qui lui seront remises.

 Centraliser les informations contractuelles et financières relatives aux transferts auprès de la DNCG

L'information financière relative aux transferts doit être rassemblée de manière homogène et exhaustive, afin de permettre son exploitation par les organes de contrôle. Ceci suppose une organisation appropriée du système d'information au sein de l'organisation sportive.

Le système d'information doit être organisé de manière à ce que toutes les données financières et contractuelles disponibles sur les contrats de transfert soient centralisées auprès de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), qui en tant qu'organe de contrôle interne à la Ligue a la responsabilité d'un contrôle « prudentiel ».

La DNCG devrait pouvoir recueillir toutes les pièces contractuelles attachées à chaque opération de transfert : contrat de travail présenté à l'homologation, contrat de rupture négociée du précédent contrat de travail, convention de transfert, mandats détenus par les agents sportifs intervenants et autres pièces annexes.

Ces pièces devraient être transmises à la DNCG par les intéressés eux-mêmes, clubs ou agents sportifs. Une obligation de dépôt devrait être ainsi instituée pour chaque type de pièce à l'égard de son détenteur - elle existe parfois déjà -, assortie de sanctions dissuasives en cas de manquement. Dans le cas où une obligation de communication existerait à l'égard d'un autre organisme, telle que la commission des agents sportifs pour les mandats, un dispositif de coordination pourrait être envisagé.

Par ailleurs, la DNCG devrait disposer des informations comptables synthétiques pertinentes - telles que définies précédemment - sur les transferts opérés par les clubs, issues du système comptable de ces derniers.

C'est à ces conditions que le rapprochement des données collectées sera à même de réaliser un véritable contrôle de vraisemblance entre les engagements et les paiements associés aux opérations de transferts.

La centralisation des informations permettrait également une meilleure identification des problèmes rencontrés par les clubs dans l'organisation des transferts

 Renforcer les moyens de contrôle de la DNCG

Les investigations réalisées par la mission sur la manière dont la DNCG remplit ses fonctions montrent que ses missions seraient remplies de façon plus satisfaisante si elle disposait d'une autonomie d'organisation suffisante dans l'exécution de ses tâches.

Il est par exemple surprenant que le circuit des informations sur les contrats de transfert parvenant à la DNCG soit décidé par les instances nationales du football et entériné dans la Charte du football professionnel.

Pour réaliser un travail efficace, la DNCG doit disposer d'une autonomie d'organisation de ses moyens, dans un cadre d'intervention clarifié où ses missions et ses prérogatives sont définies de manière évidente, ses ressources clairement identifiées et renforcés sensiblement notamment en moyens humains.

Proposition 19 :

- Inscrire la lutte contre les fraudes parmi les missions expressément dévolues à la Direction nationale du contrôle et de la gestion (DNCG) ;

- Renforcer les moyens de contrôle de la DNCG pour affirmer son autonomie ;

- Confier le suivi des opérations de transferts à la DNCG ;

- Centraliser les indemnités de transferts versées par les clubs français auprès de la DNCG, qui serait chargée de les reverser à leurs destinataires ;

- Rassembler l'ensemble des pièces contractuelles et informations relatives à chaque transfert : nouveau contrat de travail, contrat de rupture négociée du précédent contrat de travail, convention de transfert, mandats détenus par les agents sportifs intervenant et autres pièces annexes ;

- Effectuer, préalablement au déblocage des fonds par la DNCG, un contrôle de conformité du montant du versement aux engagements contractuels ;

- Établir un suivi de la valeur de chaque joueur évoluant en championnat français dans un « livret de joueur » tenu par la DNCG ;

- Identifier les problèmes rencontrés par les clubs dans l'organisation des transferts.

Par ces propositions, la mission prend le parti de faire confiance aux fédérations sportives pour assurer un contrôle efficace, dans le cadre de la mission de service public qui lui est dévolue.

C. PRENDRE TOUTE LA MESURE DE L'INTERNATIONALISATION

Dans le cas de transferts internationaux, les services de contrôle nationaux ne disposent que d'une partie des informations nécessaires pour mener à bien leurs tâches. L'efficacité des contrôles dépend pourtant d'une coordination des structures concernées au niveau européen.

L'impulsion décisive donnée par les institutions sportives internationales lors de la création de l'Agence mondiale antidopage (AMA) montre à quel point les autorités sportives peuvent jouer aujourd'hui un rôle moteur dans toute dynamique d'élaboration d'une réglementation relative à l'exercice du sport professionnel.

L'AMA a été créée le 10 novembre 1999, à la suite de la Conférence mondiale sur le dopage organisée sous l'égide du Comité international olympique avec la participation des gouvernements intéressés et d'organisations internationales, telles que le Conseil de l'Europe, pour promouvoir et coordonner au niveau international la lutte contre le dopage. Elle s'est dotée en 2003 d'un code mondial antidopage approuvé par les acteurs du monde sportif (fédérations sportives et les gouvernements...) lors d'une conférence mondiale contre le dopage dans le sport. Ce code comporte diverses normes techniques, ainsi que des règles d'organisation devant être transposées en droit interne et une définition des responsabilités de chaque acteur en matière de contrôle antidopage. Le code est complété par l'adoption de standards internationaux et de modèles de bonnes pratiques.

L'ensemble des normes a été élaboré indépendamment de tout aspect réglementaire, l'AMA, structure de droit privé, ne disposant pas de la compétence pour édicter des normes contraignantes envers les États. Ce n'est que récemment que pour pallier cette insuffisance, l'UNESCO a adopté le 19 octobre 2005, une convention internationale contre le dopage dans le sport qui est entrée en vigueur le 1er février 2007, le seuil minimum de 30 ratifications ayant été atteint.

Cet exemple montre qu'il n'est pas nécessaire que le débat sur les compétences de l'Union européenne soit tranché pour que l'on progresse dans la définition des mesures à prendre pour améliorer la sécurité des opérations de transfert.

De ce point de vue, la licence de club UEFA constitue le support le plus approprié. Depuis 2005, cette licence définit l'ensemble des critères qui doivent être satisfaits par les clubs pour participer aux compétitions organisées par l'UEFA. Parmi les critères financiers figure déjà un suivi comptable de l'activité d'acquisition et de cession de contrats de joueurs.

Ces critères financiers pourraient utilement être complétés d'exigences relatives à la transparence des opérations de transfert, sur le modèle de mesures proposées pour la France par la mission, ainsi qu'à la communication d'informations d'ordre comptable, sur leur requête, aux organismes de contrôle nationaux habilités.

La licence de club UEFA constitue le cadre expérimental par excellence pour valider l'efficacité de mesures de transparence et de coordination des contrôles. Il conviendra, dans un deuxième temps, d'en envisager une extension à l'ensemble des clubs professionnels, dans le cadre d'un règlement édicté par la FIFA, à transposer en droit interne par chaque fédération nationale.

À terme, il est possible, si le modèle s'en généralise ou si l'UEFA est en mesure de l'imposer dans le cadre de la licence de club, d'envisager la mise en réseau des agences nationales qui centraliseraient les indemnités de transferts versées par leurs clubs lorsqu'ils ont un caractère international.

Par l'adoption sur son territoire de nouvelles mesures améliorant la transparence et l'efficacité du contrôle préventif des opérations de transfert, la France conservera le rôle de précurseur qu'elle a eu par le passé dans ce domaine, en créant un statut des agents sportifs.

Proposition 20 :

- Encourager l'harmonisation des réglementations nationales relatives aux transferts et au statut des agents sportifs, sur la base des normes les plus protectrices ;

- Promouvoir la constitution d'un réseau d'organismes nationaux de centralisation des paiements permettant de sécuriser le versement des indemnités de transfert en Europe, voire au niveau mondial ;

- Promouvoir l'adoption de dispositifs de transparence et de coordination des structures nationales de contrôle, notamment dans le cadre du système de licence de club UEFA ;

- Favoriser une application uniforme de la réglementation FIFA sur le statut des agents sportifs au sein de l'Union européenne.

*

* *

Le rapport et les propositions ont été adoptés par la mission lors de sa réunion du 20 février 2007.

CONTRIBUTION DES MEMBRES DE LA MISSION
APPARTENANT AU GROUPE SOCIALISTE

Plusieurs rapports ont mis en lumière en 2003, 2004 et 2005 des dérives très graves laissant entrevoir des soupçons d'affairisme, de corruption, d'évasion fiscale et de blanchiment d'argent à l'occasion des transferts de joueurs de football professionnels.

Face à l'étonnante passivité du ministre de la jeunesse et des sports, nous avons demandé au premier semestre 2006, au nom du Groupe socialiste, la constitution d'une commission d'enquête parlementaire dans le but de procéder à une évaluation des pratiques dans la profession, afin d'apprécier l'ampleur des dérives, rechercher les mesures aptes à encadrer davantage la profession d'agent et moraliser les transferts et enfin pour suggérer des mesures de contrôle plus poussées qui permettraient de préserver la confiance entre le football professionnel et le public.

D'abord réticente, la majorité UMP de l'Assemblée nationale a fini par accepter que soit créée non pas une commission d'enquête, mais une simple mission d'information sur les conditions de transferts des joueurs professionnels de football et le rôle des agents sportifs, dont la présidence a été confiée à M. Dominique Juillot, député UMP.

Après avoir procédé à une trentaine d'auditions de responsables sportifs, d'agents de joueurs, de juristes, la mission a rendu son rapport le 20 février 2007, ce qui constitue une première étape vers une réforme en profondeur d'un système qui nuit à la crédibilité du sport professionnel et qui favorise de graves irrégularités.

D'ores et déjà, cette mission a permis à la fois de mettre à jour les dysfonctionnements du système, de montrer les faiblesses des dispositifs actuels et le manque d'implication des instances sportives et enfin de renoncer à la proposition de loi n° 2062 présentée par MM. Edouard Landrain et François Rochebloine relative au statut des agents sportifs, qui tendait à la légalisation des pratiques illégales actuelles.

Plusieurs pistes de reformes et propositions concrètes ont pu ainsi être débattues et il est désormais avéré que nous ne pourrons pas faire l'économie d'une régulation globale du système sportif professionnel avec la mise en place de nouveaux instruments de contrôle, de formation et de solidarité.

Une régulation au niveau de l'Union européenne, en partenariat avec les fédérations internationales, apparaît indispensable afin de dépasser les difficultés qui se posent mécaniquement lorsqu'on essaye de mettre en place un dispositif contraignant au niveau national, alors que le niveau international reste très peu régulé.

Nous nous félicitons de la prise en compte de nos préconisations dans le rapport concernant :

● les mesures tendant à assurer une plus grande transparence et un meilleur contrôle sur le marché des transferts :

- la non remise en cause du paiement de l'agent par le joueur et le maintien de l'interdiction du double mandat ;

- le principe de mise en place d'un organisme centralisateur des transferts ;

- a mise en place de comptes dédiés aux opérations de transfert

● les mesures tendant à assurer un meilleur encadrement de la profession d'agent :

- l'octroi de la licence aux seules personnes physiques.

- la révision du système des équivalences, particulièrement ambigü et incomplet.

-l'instauration d'un mécanisme de formation continue

- la clarification de la situation des agents étrangers non communautaires

- l'amélioration du contenu des dispositions relatives aux incapacités et aux incompatibilités (interdiction faite à un ancien agent d'exercer une fonction dans un organisme de sport professionnel s'il possède encore des liens directs ou indirects avec son ancienne entreprise et interdiction pour un agent d'être également associé dans d'une société sportive).

● les mesures tendant à responsabiliser l'ensemble des intervenants

- le principe d'échelonner le règlement sur la durée du contrat et la sécurisation du paiement de l'agent.

- l'aggravation des sanctions sur le plan pénal, sportif et financier à l'égard des agents mais aussi à l'égard des joueurs et des clubs.

Si nous avons globalement approuvé les dispositifs proposés, parce qu'ils marquent une véritable inflexion, certains points mériteraient selon nous une approche plus poussée, et nous prenons date pour que les points suivants soient remis en débat quand le pouvoir issu des prochaines élections examinera ces propositions :

- Nous avons exprimé notre désaccord avec l'idée émise par le rapporteur de permettre aux clubs, à certaines conditions, de rémunérer les agents de joueurs dans le cadre d'une convention tripartite joueur-agent-club. Cette mesure exige, en l'état, une expertise plus poussée parce qu'elle pourrait à nouveau conduire aux dérives qui sont précisément à l'origine de la création de cette mission d'information.

- L'allégement de la procédure de renouvellement de licence nous paraît être contre-productif dans une optique d'assainissement de la profession car nombre d'agents ont pu régulariser leur situation sans examen de connaissances, dans le cadre du dispositif dérogatoire d'octroi de la licence d'agent sportif. Renforcer ce dispositif serait de bonne gouvernance afin d'opérer, à cette occasion, un contrôle des connaissance des évolutions de la réglementation en la matière. Une mise à plat de l'ensemble des licences existantes nous paraît indispensable pour repartir sur des bases saines.

- Nous prenons acte de la proposition visant à confier la mission de contrôle et de centralisation des transferts à la DNCG, mais nous formulons le souhait que cette instance, qui a vocation à devenir européenne et même mondiale, témoigne de son indépendance vis-à-vis des institutions dont elle est l'émanation, indépendance garante de son efficacité.

- Enfin, s'agissant du traitement pénal des dérives, le fait de centraliser au sein d'un même parquet les actions menées pour exercice illégal de la profession d'agent sportif pourrait également être une piste intéressante.

À travers leur travail au sein de cette mission, les députés socialistes tiennent à réaffirmer leur attachement aux valeurs sportives et leur inquiétude de voir celles-ci remises en question mois après mois, y compris à travers des initiatives législatives douteuses comme l'introduction en bourse des clubs professionnels, ce qui accentue la dérégulation du secteur sportif professionnel.

En conclusion, l'initiative de cette mission parlementaire, d'ailleurs saluée par toutes les composantes du football français, ainsi que les propositions qui en découlent, ne représentent, à nos yeux, qu'une première étape sur la voie d'une meilleure régulation du sport professionnel, afin que l'éthique et la morale y soient respectées.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné le présent rapport d'information au cours de sa réunion du mardi 20 février 2007.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Georges Colombier, président, a remercié M. Dominique Juillot et ses collègues pour le travail accompli, qui montre à quel point la création de cette mission était justifiée. Il appartiendra à la prochaine majorité, quelle qu'elle soit, de faire en sorte que les propositions qui viennent d'être faites ne demeurent pas lettre morte.

M. Henry Nayrou a rappelé que le groupe socialiste avait demandé la création d'une commission d'enquête - qui est à l'origine de cette mission d'information - au motif que la loi était détournée et que les journaux titraient sur les problèmes rencontrés par le monde du sport, non pas sur les terrains mais dans les prétoires, en raison de transferts frauduleux. Il lui avait semblé en outre, que le ministère de la jeunesse et des sports faisait preuve d'une étonnante passivité, sans doute parce qu'il acceptait l'idée sous-tendant une proposition de loi déposée par le regretté Édouard Landrain et par M. François Rochebloine, selon laquelle quand une pratique est illégale, il faut légaliser la pratique. Peut-être croyait-on protéger ainsi les intérêts du sport français par rapport à ses concurrents européens ? Mais, ce faisant, les dirigeants sportifs et parfois les dirigeants politiques allaient davantage dans le sens de leurs intérêts que dans celui de l'histoire, comme le montre l'exemple du dopage.

À travers cette mission, dont la nécessité vient d'être clairement rappelée, l'Assemblée nationale a valorisé son rôle de contrôle. On peut toutefois regretter l'absence massive des membres du groupe UMP aux réunions de la mission, ce qui met en lumière, par contraste, le rôle majeur de son président et rapporteur M. Dominique Juillot, parfait connaisseur du sport professionnel et de l'action de ses dirigeants, dont il faut louer l'honnêteté intellectuelle, personnelle et politique.

Les membres de la mission n'étaient ni juge, ni policier, ni gendarme, mais simplement des députés s'efforçant d'y voir clair dans un maquis où à peu près tout est permis. En ce qui concerne les transferts, ils ont constaté que des sommes énormes naviguent sans contrôle, grâce à une entente tacite entre les clubs, les agents et les joueurs. Tout cela n'était d'ailleurs pas contraire à la lettre de la loi, le paiement de l'agent par le club étant autorisé dans la mesure où l'agent du joueur devenait agent du club la veille de la transaction... L'hypocrisie était ainsi institutionnalisée, l'esprit de la loi bafoué et l'éthique ridiculisée.

Les auditions ont fait apparaître clairement deux camps. D'un côté, les institutionnels du football ont affirmé leur souhait de voir légaliser une pratique illégale, afin que les clubs continuent à payer les agents ; il faut d'ailleurs regretter qu'ils aient tous boycotté la deuxième table ronde. De l'autre côté, les sportifs - avec comme figure de proue M. Michel Platini, avant même qu'il ne devienne président de l'UEFA - qui ont clairement affirmé qu'ils n'étaient pas favorables au paiement de l'agent par les clubs, les représentants des joueurs ayant en outre fait part de leur souhait de responsabiliser leurs mandants plutôt que de les infantiliser.

Parmi les 19 propositions de la mission, trois seulement posent problème au groupe socialiste :

- l'idée de confier la centralisation des flux financiers, des contrôles et des sanctions à la DNCG, organe interne à la fédération sportive ;

- la proposition du rapporteur d'instituer une convention tripartite entre le club, l'agent et le joueur pour le paiement de la rémunération de l'agent, ce qui reviendrait à conserver la situation antérieure, qui a précisément motivé la création de cette mission ;

- le fait que l'on n'aille pas assez loin dans la remise à plat de la profession d'agent sportif et, au-delà, de toute l'organisation du sport professionnel qui vit un peu trop en marge des lois, comme si le fait de procurer de la joie et des émotions à un grand nombre de Français l'y autorisait.

Cependant, le bilan de la mission est très largement positif. Ses propositions, première étape sur la voie de la normalisation, émanent de députés qui, connaissant le sport et ses valeurs, ne souhaitent pas qu'elles soient galvaudées.

M. Georges Colombier, président, a salué en M. Henri Nayrou un passionné du sport et l'a remercié d'avoir évoqué la mémoire d'Édouard Landrain, trop tôt disparu, qui avait beaucoup œuvré dans ce domaine. Peut-être convient-il, enfin, d'atténuer la critique relative à l'absentéisme de certains membres de la mission, en rappelant combien la charge de travail de chacun est importante en cette fin de législature.

Le rapporteur a souligné à quel point la mission s'était déroulée dans des conditions de transparence, d'écoute et de respect mutuel. Elle a fait un bon travail et ses membres sont globalement d'accord sur ses conclusions, les points de divergence apparaissant marginaux. Ses propositions n'ont rien de définitif, elles ne sont que des outils mis à la disposition des dirigeants du sport professionnel afin d'aller vers une plus grande transparence dans l'exercice de leur fonction de contrôle, comme ils paraissent le souhaiter, à charge pour eux de mettre ces outils en place. Les parlementaires resteront attentifs à cette mise en œuvre.

*

La commission a décidé, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

ANNEXES

- Annexe 1 : composition de la mission

- Annexe 2 : comptes-rendus des auditions

- Annexe 3 : glossaire

Annexe 1
composition de la mission

M. Dominique Juillot, président-rapporteur, député de la Saône-et-Loire

M. Édouard Courtial, député de l'Oise

M. Bernard Depierre, député de la Côte-d'Or

M. Jean-Marie Geveaux, député de la Sarthe

M. Denis Jacquat, député la Moselle

M. Céleste Lett, député de la Moselle

M. Gaëtan Gorce, député de la Nièvre

M. Henri Nayrou, député de l'Ariège

M. Alain Néri, député du Puy-de-Dôme

M. François Liberti, député de l'Hérault

Annexe 2
comptes-rendus des auditions

(par ordre chronologique)

Audition conjointe de MM. Frédéric BOLOTNY et Didier PRIMAULT,
économistes au Centre de droit et d'économie du sport


(14 novembre 2006)

Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui MM. Frédéric Bolotny et Didier Primault, économistes au Centre de droit et d'économie du sport que je remercie d'avoir répondu à notre invitation dans de si brefs délais.

Notre mission d'information sur les conditions de transfert des joueurs professionnels de football et le rôle des agents sportifs a été constituée le 25 octobre dernier par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale. Elle est composée de dix membres représentatifs de tous les groupes de l'Assemblée.

Elle a tenu mercredi dernier sa première réunion et a prévu de rendre ses conclusions en février 2007.

Cette mission n'a pas pour objet d'examiner ou de commenter les situations de transferts de joueurs faisant l'objet de poursuites judiciaires. Tel n'est pas le rôle du Parlement. Elle souhaite entendre les différents acteurs des transferts de joueurs en dehors de toute polémique judiciaire et parvenir à proposer des voies d'amélioration sur le fonctionnement des opérations de transferts et l'exercice de la profession d'agent sportif.

Dans ce but, elle cherchera à identifier les mécanismes qui peuvent mener à des pratiques non conformes à la réglementation lors des transferts de joueurs et à prendre la mesure de leur caractère exceptionnel ou banalisé. Elle tiendra compte aussi de ce qui se passe dans les autres disciplines sportives. À l'issue de cette mise à plat, la mission a pour objectif de faire des recommandations pour sécuriser juridiquement les transferts et l'exercice de la profession d'agent sportif.

Nous procédons aujourd'hui à nos premières auditions et, compte tenu du caractère éminemment économique du dossier, nous avons pensé qu'il était indispensable de commencer par comprendre les mécanismes économiques en jeu dans les transferts de joueurs.

Monsieur Bolotny, vous êtes économiste, responsable de la communication et des relations commerciales au Centre de droit et d'économie de sport (CDES). Je précise que le CDES est un laboratoire spécialisé de la faculté de droit et des sciences économiques de l'Université de Limoges créé en 1978.

Par ailleurs membre de la Direction nationale de contrôle et de gestion de la Ligue de football professionnel - mais vous n'êtes pas entendu ici en cette qualité - vous êtes également l'auteur d'un ouvrage sur les clubs de football paru en 2002.

Monsieur Primault, vous êtes directeur administratif au sein du CDES et vous êtes également économiste. À ce titre, vous avez récemment rédigé une analyse économique du marché des transferts dans le football professionnel, en collaboration avec M. Jean-Jacques Gouget.

Vous figurez donc tous deux parmi les personnes les plus à même d'apporter à la mission parlementaire un éclairage économique sur la vie du football professionnel français et sur le fonctionnement du marché des transferts.

Nous souhaiterions qu'au cours de cette réunion vous expliquiez à la mission de quelle façon il faut appréhender les relations financières que l'on observe entre les clubs à l'occasion des transferts nationaux ou internationaux de joueurs professionnels.

Nous souhaitons également aborder les problèmes attachés aux transferts de joueurs professionnels en cours de contrat et les pratiques des agents sportifs.

Sur tous ces points, des solutions ont déjà été envisagées, sur lesquelles nous aimerions connaître votre analyse.

S'agissant de l'économie de football professionnel français et de la place des transferts de joueurs, y a-t-il un modèle français ? Quelles sont les spécificités du modèle français de football professionnel ?

Pourriez-vous par ailleurs nous donner une estimation du montant des indemnités de transfert versées annuellement par l'ensemble des clubs de football français ? Quelle part les transferts internationaux représentent-t-ils, à l'achat ou à la vente ? Quelle est l'incidence des indemnités de transfert sur les comptes des clubs sportifs professionnels ? Un rapport du Sénat indique que le solde des transferts avec l'étranger est devenu négatif en 2003. Cette tendance s'est-elle confirmée depuis ? Les indemnités de transfert actuelles sont-elles trop élevées au regard des budgets des clubs ? Y a-t-il une justification économique des indemnités de transfert ? Existe-il des phénomènes spéculatifs attachés aux échanges de joueurs ?

Nous vous interrogerons également sur le fonctionnement du marché du travail dans le football professionnel. Comment se déroulent les négociations relatives aux transferts ? Comment s'articulent la négociation salariale entre le joueur et le futur club et la négociation du montant du transfert entre les deux clubs ? Faut-il les considérer comme une négociation globale ou comme deux transactions séparées ?

Comment améliorer la réglementation des transferts de joueurs ? Quels exemples de réglementations étrangères vous paraissent-ils pouvoir inspirer une réforme de notre propre réglementation ? Faut-il contrôler davantage les flux financiers liés aux transferts ? On parle beaucoup d'une centralisation du paiement des indemnités de transferts, est-ce praticable ?

M. Henri NAYROU : Notre souci n'est pas de faire de la « mission d'information spectacle », ni de nous substituer aux autorités qui traitent des dérives que l'on constate. Nous nous plaçons sur le plan strictement législatif, en nous appuyant sur le fameux article 15-2 de la loi de 1984, qui a été constamment transgressé.

En matière de transfert, la question essentielle est de savoir si le législateur peut intervenir tout en respectant la liberté des contrats.

M. Didier PRIMAULT : L'industrie du spectacle sportif présente une particularité assez forte : la réussite du produit est très largement liée à l'incertitude du résultats. Des études menées aux Etats-Unis ont mis en évidence une corrélation entre le degré d'incertitude d'un championnat et le niveau des audiences, dans les stades ou à la télévision. Je n'aborderai pas les autres déterminants, d'ordre sociologique.

Je ne sais s'il existe un modèle français dans le domaine du football, mais il y a des caractéristiques françaises. Des cinq grands championnats européens - en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne et en France -, le championnat français est celui qui s'est le plus attaché à mettre en place des outils visant à préserver l'incertitude. Notre système est plus encadré et plus solidaire.

Cette régulation repose sur trois piliers. Le premier lieu est lié au contrôle, en particulier financier. Le deuxième est celui qui organise une solidarité financière, laquelle se traduit notamment par une négociation collective des droits télévisés. Le troisième concerne la formation. Dans ces trois domaines, la France a mis en œuvre un encadrement juridique plus contraignant que dans les autres pays.

Le regard des Anglo-Saxons sur le système français a évolué au cours des dernières années. Alors qu'il était considéré comme inutilement contraignant, il apparaît aujourd'hui comme permettant des équilibres qui évitent les dérives les plus dangereuses que l'on a pu constater ailleurs, notamment dans le domaine financier.

Les difficultés liées au marché des transferts ont été dans l'ensemble mieux gérées en France que dans les autres pays, lesquels ont connu beaucoup plus d'excès.

M. Frédéric BOLOTNY : Dans l'industrie du spectacle sportif, l'incertitude est en effet au centre de la création de valeur. En dehors des transferts, les recettes des clubs professionnels sont en relation avec l'audience globale, laquelle dépend de l'incertitude. L'objectif de tout organisme, qu'il soit étatique ou fédéral, doit donc être de réguler le marché en vue de maximiser cette incertitude. Le championnat de France connaît actuellement une incertitude insuffisante.

Deux leviers principaux permettent de réguler l'incertitude. Le premier joue sur l'allocation des talents au sein du marché du travail. C'est ainsi qu'ont été mis en place aux Etats-Unis la Rooky Draft ou le salary cap. En France, avant l'arrêt Bosman de 1995, les outils de régulation étaient les quotas de nationalité et les transferts, puisque ceux-ci, même si leur masse financière s'est élevée dans de trop grandes proportions, constituent un outil de régulation, comme les indemnités de formation, qui permettent aux petits clubs d'obtenir des recettes. On a pu également jouer sur la répartition des recettes télévisuelles, ce qui est un outil de régulation majeur.

Il faut avoir présent à l'esprit que, dans le domaine du football, les lois naturelles du marché ne sont pas efficaces en termes de maximisation économique. Une politique trop libérale peut aussi, en raison de l'importance des flux financiers occasionnés par les transferts, engendrer une économie souterraine.

Un club de football a deux métiers. Il doit, c'est son premier métier, organiser des spectacles sportifs, économiquement et sportivement. Il doit également gérer un effectif de joueurs. Dans les comptes des clubs apparaît une contribution « compétition » et une contribution « mutation », qui correspond aux opérations sur joueurs. Les droits de retransmission télévisuelle représentent 60 % des ressources des clubs, hors transfert.

Le problème est qu'au début des années 2000, beaucoup d'acteurs du marché avaient intérêt à organiser l'instabilité dans les carrières des joueurs. Les clubs ont eu tendance à oublier leur premier métier pour donner plus d'importance au second. C'est ainsi qu'est née une sorte de bulle spéculative des transferts, qui a été génératrice de déficits énormes. En 1999 et 2000, la balance des transferts des clubs français a été très largement déficitaire. Or, un transfert s'amortit sur la durée. Les dépenses engagées produisent donc un effet retard, ce qui explique pourquoi le football français n'est pas redevenu rentable depuis, malgré l'augmentation des droits de retransmission télévisuels.

Les « années folles », en ce qui concerne les transferts, se sont arrêtées en 2001. Parce que le système français est plus encadré qu'ailleurs, les clubs français n'ont pas été autorisés à dépenser autant d'argent sur le marché des transferts qu'ils ne l'auraient fait dans une économie sans contrôle de gestion. Pour engager telle somme sur tel joueur, il fallait soit des garanties financières, des recettes certaines, soit une garantie de l'actionnaire. Or, quand les gens jouent avec leur propre argent, ils font plus attention.

M. Didier PRIMAULT : L'industrie du spectacle sportif est une industrie de main-d'œuvre, qui fonctionne essentiellement sur les talents des joueurs et de l'encadrement. Le marché du travail est donc un élément décisif. S'agissant des transferts, d'un point de vue économique, deux éléments se rencontrent : le consentement des clubs à payer un certain prix pour s'attacher les services d'un joueur doit rencontrer le consentement du club vendeur.

Il est important de souligner qu'il n'existe pas un marché du travail mais « des » marchés du travail. Le marché des plus grands joueurs et celui des joueurs de second rang ne se rencontrent pas, ils sont quasiment étanches. Depuis l'arrêt Bosman, on assiste à un processus de dérégulation, de sorte que les stars ont un pouvoir de négociation qui, en l'absence de régulation, se renforce considérablement et aboutit à la création d'un marché spécifique. On peut prendre l'exemple d'un basketteur français qui quitte son club de formation en 1994 pour un autre club français. À cette époque, son salaire est de 200 000 francs par mois et seuls trois ou quatre clubs français ont les moyens de se payer ses services. En 1996, après l'arrêt Bosman, il quitte son club et les meilleurs clubs espagnols, italiens, grecs souhaitent s'attacher ses services. Ces clubs, en particulier les clubs grecs, ne subissent pas les contraintes du contrôle de gestion français, et leurs ressources sont très nettement supérieures. Dans son nouveau club en Italie, son salaire est plus que triplé, de l'ordre de 750 000 francs net mensuels.

La plus grande segmentation du marché du travail est une évolution que l'on a également constatée dans le football, et de façon encore beaucoup plus importante. Les acteurs qui en profitent le plus sont, après les joueurs, les agents qui négocient pour eux. Les mouvements s'accroissent, ainsi que les rémunérations, ce qui amène le marché à sortir du cadre national.

Enfin, il est difficile, s'agissant d'un marché de ce type, de raisonner dans un cadre purement national.

M. Frédéric BOLOTNY : C'est ici que nous touchons aux limites du système de compétitions emboîtées qui caractérise le football. Sans le remettre en cause, on ne peut que constater qu'il est très difficile à réguler. Le contrôle de gestion est très positif. C'est lui qui a permis à la France de réagir après les deux « années folles » qu'elle a connues. Je pense ici aux flux financiers, non à la régularité des transferts.

Mais pour les clubs à vocation européenne, qui sont le plus soumis à des aléas, le contrôle de gestion, qu'il ne s'agit surtout pas de remettre en cause, constitue une distorsion de concurrence supplémentaire.

De même, si nous voulons que le championnat de France soit le plus ouvert possible, nous devons répartir les droits télévisuels à parts égales. Si nous adoptons une telle mesure, aucun club ne sera concurrentiel au plan européen.

Toute régulation supplémentaire peut ainsi constituer une distorsion de concurrence supplémentaire.

Le football français a une croissance économique par plateaux. Le chiffre d'affaires des clubs n'augmente qu'à chaque augmentation des droits télévisuels. Avant 1999, ceux-ci représentaient moins d'un tiers du budget des clubs. Cette proportion a aujourd'hui atteint un niveau proche de 60 %.

Lors de la première augmentation de ces droits, les clubs français ont éprouvé une grande frustration du fait qu'ils disposaient de moins de moyens que les clubs étrangers, donc moins de résultats, puisque les régulations avaient disparu depuis l'arrêt Bosman. À ce moment-là, les clubs ont sans doute trop dépensé sur le marché des transferts. Lors de la saison 1999-2000, le solde des transferts a été négatif, s'établissant à 125 millions d'euros de déficit. À cette époque, le triplement des droits télévisuels s'est accompagné du passage du budget moyen des clubs de première division de 21 à 32 millions d'euros. Aujourd'hui, le budget moyen des clubs se situe entre 40 et 45 millions d'euros.

M. Henri NAYROU : Notre mission d'information porte sur les transferts et sur le rôle des agents. Vous avez dit, monsieur Bolotny, qu'il fallait éviter d'introduire des contraintes supplémentaires.

M. Frédéric BOLOTNY : Non. Nous sommes de fervents défenseurs de la régulation. J'ai dit qu'une contrainte supplémentaire nationale engendrait une nouvelle distorsion de concurrence. Cela étant, il faut peser le pour et le contre.

M. Henri NAYROU : Les conditions dans lesquelles se font les transferts sont-elles normales ? On pourrait, après tout, penser qu'elles le sont au vu des arrêts européens. Est-il normal, en particulier, que la durée des contrats s'allonge et qu'ils soient rompus bien avant terme ? Est-il normal que l'on assiste à une multiplication des transferts donnant lieu à des surenchères ?

Les policiers, les gendarmes, les juges, les journalistes ont enquêté sur un certain nombre de pratiques.

M. Frédéric BOLOTNY : J'ai parlé d'une bulle spéculative des transferts autour de l'année 2000. L'augmentation du volume des transferts est de nature à compromettre l'équilibre financier des clubs et elle engendre une économie souterraine. La déflation des transferts est donc très positive.

M. Henri NAYROU : Nous sommes en quête de solutions. Encore une fois, le système français n'est pas le pire. Mais en tant que sportif et que parlementaire, je ne peux pas me satisfaire de pratiques qui conduisent des présidents de clubs devant les tribunaux.

Quel est votre avis sur l'allongement de la durée des contrats, lesquels sont souvent rompus avant leur terme, ce qui donne lieu à des surenchères visibles - celles qui portent sur le montant des transferts - comme à d'autres surenchères portant sur des rétro-commissions ? La loi peut-elle contrôler ces flux, limiter le nombre de transferts tout en respectant la liberté du travail et la liberté des contrats ? Faut-il adopter un contrôle législatif ou un contrôle interne, et celui-ci devrait-il être confié à la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) ou à une DNCG européenne ?

Enfin, comment contrôler le cheminement de sommes très importantes entre le point de départ et le point d'arrivée de la transaction ?

M. Didier PRIMAULT : D'un point de vue purement économique, le transfert, dans l'absolu, n'est pas illégitime. Un club, pour une raison ou pour une autre, peut vouloir se séparer d'un joueur qui n'est pas en fin de contrat et répondre à l'offre d'un autre club.

M. le Président : Dans ce cas, on considère le transfert comme une indemnisation au prorata du salaire dû jusqu'à la fin du contrat, et qui permet de revaloriser le salaire à un moment donné. Il y a donc un lien direct entre le transfert et la rémunération future du joueur. Or, normalement, il n'y a aucune raison pour qu'il y ait un lien direct entre ces deux opérations différentes.

M. Didier PRIMAULT : Un transfert, c'est le départ d'un club, un autre club étant prêt à faire une proposition au joueur en termes de salaire.

M. le Président : Au joueur ou au club ?

M. Didier PRIMAULT : Au joueur et au club. Deux opérations vont être conjointement menées. Le transfert des droits d'un joueur donne lieu à une discussion entre les deux clubs, en même temps qu'est négocié le nouveau contrat que va signer le joueur. Même si les deux opérations sont différentes, elles sont liées, de fait.

Sur un plan économique, cette situation n'est pas forcément condamnable.

M. le Président : Il est tout de même très rare que, dans une activité commerciale, quelle qu'elle soit, on valorise en même temps les actifs de la société et le savoir-faire du personnel. Car le savoir-faire du personnel est inclus dans les actifs de la société. Or, dans le cas des transferts, on sépare l'actif de la société - qui est la valeur du joueur - du salaire de celui-ci.

M. Henri NAYROU : Le mot a été prononcé : c'est une économie particulière.

M. Didier PRIMAULT : Une économie particulière qui est liée à la relation particulière qu'entretient ce salarié avec son club. Il a un contrat à durée déterminée. Il ne peut pas négocier aussi facilement que s'il avait un contrat à durée indéterminée.

M. le Président : Quand Microsoft va chercher un ingénieur chez Apple, il paie plus cher le salaire de l'ingénieur. Il n'y a pas de transfert.

M. Didier PRIMAULT : Et l'ingénieur n'est pas enregistré par une instance supérieure qui gérerait le secteur pour autoriser l'ingénieur à changer d'entreprise.

M. le Président : Si je fais cette remarque, c'est parce que je pense qu'il va falloir se rapprocher de règles existantes dans les autres secteurs.

M. Didier PRIMAULT : Nous avons forcément affaire à quelque chose de particulier. Les deux opérations dont je parlais ne sont pas choquantes sur un plan économique, y compris quand les montants sont très élevés. On peut considérer, par exemple, que le transfert de Zinedine Zidane au Real Madrid n'est pas totalement dénué d'une certaine réalité, étant donné les revenus futurs anticipés par le club.

Le problème naît du manque de transparence, qui permet que le transfert s'accompagne d'autres transactions, beaucoup moins légitimes, voire frauduleuses.

M. Henri NAYROU : Pour reprendre l'exemple du président, quand un ingénieur passe de Microsoft à Apple, Apple ne dédommage pas Microsoft. Par contre, un club de football désireux de s'attacher les services d'un joueur paiera à la fois ce joueur et le club que ce joueur quitte. C'est une économie particulière. Cela étant, il faut se demander s'il est admissible de voir rompre allègrement des contrats de longue durée. Si ces ruptures se multiplient, on peut supposer que c'est parce qu'elles s'accompagnent d'opérations qui peuvent être assimilées à des malversations.

M. Frédéric BOLOTNY : Tout ce qui pourra réduire la durée des contrats est souhaitable.

M. le Président : Il faut se demander pourquoi les clubs signent des contrats longs. D'abord, ils permettent d'amortir le prix du transfert sur une durée plus longue. Le débours de trésorerie peut s'étaler dans le temps, proportionnellement à la durée du contrat. Ensuite, le club a une chance de percevoir une forte indemnité en cas de rupture du contrat. Si le joueur ne signait que pour deux ans, il serait libre de tout engagement à l'issue de son contrat.

Le système est donc pervers. Plus le transfert est élevé, plus il est nécessaire d'en étaler le coût en signant pour une durée plus longue, sachant que cette durée plus longue permet au club d'espérer s'y retrouver, puisqu'il y aura divorce à un moment donné, avec indemnité.

M. Frédéric BOLOTNY : Le système est encore plus pervers dans le contexte actuel du football français. Les droits de télévision, je le répète, représentent 60 % du budget des clubs. Au-delà de 2007 ou 2008, on ne sait pas ce qui va se passer. Par conséquent, signer aujourd'hui un gros contrat d'une durée de cinq ans est un risque, car les recettes des clubs peuvent chuter de 20 ou 30 % du jour au lendemain. Cela pose le problème du contrôle de gestion, de son champ et de ses pouvoirs d'investigation.

M. le Président : Indépendamment des malversations éventuelles, cette situation constitue un véritable problème pour le gestionnaire du club. Quelles solutions peut-on envisager pour régler ce problème ?

M. Didier PRIMAULT : Le marché du travail étant segmenté, il faut souligner que cette situation ne concerne malgré tout qu'une partie des joueurs. Le club signera des contrats longs avec les joueurs susceptibles d'avoir une forte valeur marchande sur le marché des transferts, mais pas avec des joueurs d'appoint. Avec ceux-ci, le club a plutôt intérêt à signer des contrats d'un an ou deux.

Revenons aux raisons qui ont conduit à cette situation. Celle-ci est due en partie à la dérégulation. Quand des joueurs ont un fort pouvoir de négociation, il est très difficile de réguler le marché. Avec ou sans transferts, ils imposeront les règles du jeu qui leur sont favorables. En l'absence de transferts, ils imposeront des salaires très élevés, et peut-être aussi des commissions très élevées pour leurs agents.

Il faut donc adopter des mesures spécifiques sur ce marché, mais aussi un encadrement général qui limite le pouvoir de négociation des meilleurs joueurs comme celui des clubs financièrement les plus puissants. Il n'y aura pas de solution portant uniquement sur le marché des transferts.

M. Henri NAYROU : Le principe du transfert en tant que tel n'est pas le problème. Mais certains transferts posent problème, par exemple celui du joueur argentin Eduardo Tuzzio à Marseille, via le Servette de Genève, transfert qui semble avoir donné lieu à des surfacturations. Il nous faut trouver des solutions adaptées, qui respectent la morale sportive.

M. Frédéric BOLOTNY : Il convient de distinguer entre deux niveaux de pratique illégale. L'un correspond à l'évasion fiscale et sociale, l'autre à l'enrichissement personnel.

S'agissant des pratiques liées aux primes de départ, elles s'inscrivent plus dans une logique de minoration des charges sociales lorsque le joueur vient d'un pays où les charges sociales sur les hauts salaires sont moins élevées.

Le deuxième niveau d'illégalité, celui qui vise à l'enrichissement personnel, est plus grave. Il est pervers en ceci qu'il génère l'instabilité. Trop d'acteurs du marché ont eu intérêt à organiser l'instabilité de la carrière d'un joueur. En Angleterre, des managers de clubs ont créé des sociétés d'agent aux mains de proches.

M. Henri NAYROU : Finalement, notre problème est assez comparable au problème des rémunérations versées à Antoine Zacharias ou à Noël Forgeard. Peu nous importe les décisions prises par le conseil d'administration de Vinci ou celui d'EADS. Ce qui est problématique, c'est le fait que des stock options puissent être valorisées dans des conditions douteuses. Le problème n'est pas que des gens soient prêts à payer des sommes folles pour un joueur, mais que cela se fasse dans des conditions qui portent atteinte à l'éthique sportive.

M. le Président : La question est de savoir pourquoi on en arrive à ces dérives, alors que les dirigeants des clubs ne sont pas forcément malhonnêtes et ne se sont pas forcément enrichis. Pourquoi est-on, à un moment donné, pratiquement obligé de recourir à des pratiques douteuses ? Que faut-il faire pour y remédier ? Faut-il introduire des salary caps, c'est-à-dire des plafonnements de la masse salariale ? Ou bien un plafonnement des transferts ?

M. Didier PRIMAULT : Si le marché est d'une grande fluidité, organisée par certains acteurs qui ont intérêt à ce que les joueurs changent constamment de clubs, il convient de faire en sorte que les contrats, même longs, soient respectés. La stabilité des contrats est donc certainement l'une des solutions.

M. Henri NAYROU : Pensez-vous qu'il faille limiter le nombre des contrats ?

M. Didier PRIMAULT : Il faut plutôt limiter le nombre de mouvements de joueurs. Les évolutions du règlement de la FIFA (Fédération internationale de football association) en 2001 allaient dans le bon sens. Il est évident que si l'on peut changer de club tous les mois, il peut y avoir douze fois plus de transferts que si un seul transfert est autorisé chaque année. La FIFA a donc proposé un maximum de deux mouvements dans l'année.

Il convient également de renforcer la transparence financière. Une fois la transaction réalisée, est-il possible de connaître avec certitude les sommes échangées ? La proposition qu'avait faite, à un moment donné, la Ligue de football professionnel d'être l'organe centralisateur paraît une piste intéressante, même si la mise en œuvre d'un tel système n'est pas forcément simple. Il y a un compte centralisé en Angleterre. Etre capable d'identifier les flux permet de lutter contre les opérations accessoires qui se greffent sur un transfert.

M. le Président : Je suppose que les contrats sont enregistrés à la Ligue. Le montant du transfert figure-t-il dans le dossier qui lui est transmis ?

M. Henri NAYROU : La DNCG n'a pas forcément compétence sur les transferts.

M. Frédéric BOLOTNY : La DNCG peut, dans le cadre de son activité de contrôle, être amenée à recevoir une information, auquel cas elle la communique. Mais son rôle est d'assurer la viabilité financière du championnat, de faire en sorte qu'une équipe qui commence le championnat puisse le finir. C'est déjà très complexe à mettre en œuvre.

M. le Président : Déclarer une somme n'est pas très compliqué. Si une annexe au contrat stipulait les conditions du transfert, il s'agirait d'une pièce écrite comptable.

M. Henri NAYROU : La DNCG ne s'occupe que de la validation des enveloppes budgétaires. Or, le nœud du problème est la traçabilité. Les parties peuvent s'être entendues sur le dos de l'État pour minorer les charges sociales ou avoir eu recours à un intermédiaire véreux pour qu'une rétro-commission soit versée, Est-il concevable de procéder par voie d'acte notarié ?

M. Frédéric BOLOTNY : Après réflexion, il n'y a pas de centralisation des conventions de transfert. La DNCG les reçoit quand elle les demande. Mais une autre commission pourrait être un organe de centralisation.

M. le Président : Cela ne vous semble donc pas impossible, même si cette idée avait suscité un tollé ?

M. Frédéric BOLOTNY : Non, ce n'est pas impossible. D'ailleurs, la Ligue avait un projet dans ce sens.

M. Didier PRIMAULT : La difficulté est dans la dimension internationale. Il est vrai que les clubs français sont très réticents devant l'indemnité à verser au club formateur. Car la traçabilité est très difficile à assurer dès que l'on sort de France. Cela dit, le système ne poserait pas de problème s'agissant des transferts entre clubs français.

Le modèle français a été élaboré au début des années 1990. Le contexte actuel, marqué par la mondialisation du football et par un certain nombre d'affaires, devrait nous conduire à réfléchir à nouveau sur cette notion de contrôle. Les missions de contrôle pourraient être assurées par une autre instance que la DNCG.

Cependant, il ne faut pas négliger le rôle des instances sportives. Pour être efficace, il faut être au cœur de l'information. Il faut aussi être capable de décider de véritables sanctions. Or, la sanction passe souvent par les instances sportives. Qu'une instance de contrôle soit indépendante de celles-ci serait une bonne chose. Mais je ne crois pas qu'elle doive en être totalement déconnectée.

M. Frédéric BOLOTNY : La loi peut obliger les instances sportives à créer une instance de contrôle. Elle l'a fait pour le contrôle de gestion. La loi de 1984, modifiée en 1992, a fait obligation à chaque fédération disposant d'une ligue professionnelle de créer un organisme assurant le « contrôle juridique et financier » des clubs.

J'ajoute qu'un organisme de transparence financière, même s'il est national, ne me paraît pas susceptible de créer une distorsion de concurrence supplémentaire.

M. le Président : Certains se demandent si les dérives que l'on a constatées sont exceptionnelles ou si elles font partie du paysage. Pour ma part, je ne pense pas qu'elles soient exceptionnelles, d'autant plus que je ne suis pas sûr qu'il y ait plus de dérives dans les transferts qui concernent les stars que dans ceux qui concernent les joueurs moyens. Pour ceux-ci, il y a simplement plus d'anonymat. Et les clubs paient sur leurs salaires des charges sociales qui, au total, représentent la plus grande part du budget. On peut imaginer que les dépenses consenties pour s'attacher les services d'une star s'amortissent assez rapidement. Ce n'est pas le cas pour les joueurs moyens, de sorte que les clubs ont tendance à accélérer les mouvements et à se livrer à des pratiques à la limite de la légalité. Comment voyez-vous les choses ?

M. Frédéric BOLOTNY : Nous n'avons pas une activité de praticien au quotidien.

M. le Président : Les contrôles pratiqués par la DNCG permettent de voir ce qui se passe. Quand on voit certaines lignes budgétaires prendre une dimension très importante, on se doute bien qu'il s'agit de salaires déguisés.

M. Frédéric BOLOTNY : Dans la nouvelle présentation des comptes, les commissions des agents devraient être identifiées. Ce n'est pas toujours le cas.

Mais j'ai peu d'expérience du contrôle de gestion. Je ne suis pas un pur financier. Mon domaine de compétence est l'analyse des grands flux économiques. L'analyse du bilan des clubs ne me permet pas de répondre à votre question. Par contre, en tant qu'économiste observateur du secteur, je peux dire que l'économie des transferts prend trop d'importance et est un pousse-au-crime.

Intuitivement, j'ai l'impression que le système français est plus encadré. Mais cela ne signifie pas que la situation est satisfaisante.

M. Didier PRIMAULT : Nous avons un vrai problème d'information. Nous n'avons pas toutes les données. Il serait bon que toutes les commissions des agents soient connues, ainsi que les salaires versés, et donc le rapport entre les deux. On pourrait mettre en rapport les caractéristiques du joueur avec ces chiffres.

M. Henri NAYROU : Faut-il un argus ?

M. Didier PRIMAULT : Sans doute. Si le salaire, la commission d'agent, le montant du transfert étaient parfaitement connus, on pourrait mettre en lumière les anomalies. Cela est d'ailleurs arrivé. On a vu certains transferts très élevés portant sur des joueurs qui n'ont jamais eu le talent justifiant de tels montants : dans ces cas, on peut supposer que des opérations plus ou moins frauduleuses ont été conduites. Mais on peut difficilement aller au-delà de quelques affaires, faute de données systématiquement recueillies.

M. Frédéric BOLOTNY : Lorsqu'un club s'attache les services d'un joueur par un transfert, il évalue globalement le poids financier de l'opération, qui inclut le montant du transfert et le montant du salaire. De sorte que si un joueur est en fin de contrat, il pourra négocier un salaire beaucoup plus élevé.

M. le Président : Je ne suis pas de cet avis. Pour un club, le transfert s'amortit dans le temps et peut être l'occasion d'un retour à bonne fortune. Il peut le considérer comme un investissement.

M. Frédéric BOLOTNY : Reste que, s'il n'a payé aucun transfert, il réalisera une plus-value encore plus importante le jour où le joueur quittera le club.

M. le Président : Soit. Mais la plus-value ne me choque pas.

La donnée la plus importante pour le dirigeant du club est tout de même le salaire, avec les charges sociales qui l'accompagnent. D'où la tentation de verser une partie du salaire sous une autre forme. Si le contrat du joueur déposé à la Ligue était accompagné de la rémunération de l'agent, de celle du joueur et du montant du transfert, cela constituerait un moyen de contrôle.

M. Didier PRIMAULT : À l'heure actuelle, il y a deux maillons faibles, sur lesquels se greffent un certain nombre d'opérations frauduleuses. Ce sont, d'une part, les transferts, qui sont peu ou pas contrôlés, et d'autre part, les agents. Ceux-ci ne sont pas mauvais par nature. Mais dans notre système, ils sont en relation avec différents acteurs et ont une facilité particulière à jouer sur la dimension internationale. L'une des meilleures façons de lutter contre les dérives est d'organiser la transparence de l'information.

M. Henri NAYROU : Comment le faire ? Par la loi ou par des contrôles internes ? Faut-il une DNCG aux pouvoirs étendus ?

M. Didier PRIMAULT : La loi peut imposer de rendre publics un certain nombre d'éléments. Des commissions de contrôle de gestion peuvent se voir confier des pouvoirs plus étendus. Mais dans tous les cas, cela ne suffira pas, parce que la dimension internationale est très importante.

M. Henri NAYROU : En effet. Une DNCG européenne s'impose à l'évidence. Et la transparence est nécessaire non seulement sur le montant de la transaction, mais aussi sur ses détails.

Dans le monde de l'arrêt Bosman et de l'arrêt Malaja, je vois mal la loi intervenir dans un marché libéré. En 1999, lors de la discussion de la loi Buffet, nous avions mesuré la difficulté de légiférer sur les agents. Par contre, il faut être intransigeant sur les modalités du contrôle.

M. Frédéric BOLOTNY : Pour revenir à votre question, monsieur le président, il n'est pas possible que les transferts ne soient pas enregistrés à la Ligue. La question est de savoir ce qu'on en fait. Le contrôle qui est actuellement assuré porte sur la viabilité financière des clubs.

M. Henri NAYROU : Jamais personne n'a été traîné en justice pour avoir payé un joueur trop cher.

M. Frédéric BOLOTNY : Mais il est vrai que des montants trop élevés ou trop faibles peuvent constituer des indices amenant une commission ad hoc à étudier le dossier de plus près. Ce n'est pas le rôle de la DNCG, dans ses missions actuelles.

M. Henri NAYROU : S'agissant des agents, pensez-vous que se réfugier derrière l'obtention d'un diplôme soit sérieux ? Et suffisant ?

M. Didier PRIMAULT : Ce n'est certainement pas suffisant. Sur un plan économique, l'agent est un intermédiaire, comme on en trouve dans le système bancaire ou sur le marché de l'immobilier. Le rôle d'un intermédiaire, dans un marché, est de remédier à ce que les économistes appellent l'asymétrie de l'information, c'est-à-dire le fait que les acteurs d'un marché ne partagent pas tous la même qualité d'information. En l'occurrence, un joueur peut être un excellent footballeur mais ne pas connaître le marché du travail ni le droit du travail. Il demande à l'argent d'aller chercher l'information sur le marché pour savoir à quel prix il peut se vendre, quelles sont les opportunités qui s'offrent à lui. C'est cela qui, sur le plan théorique, rend légitime l'existence des agents.

Sur le plan pratique, néanmoins, l'agent joue également le rôle de négociateur, en étant dans une position qui lui donne beaucoup de pouvoir, soit qu'il ait acquis une position de monopole, soit qu'il ait les moyens d'agir sur la transaction. Par exemple, si je suis l'agent de Zinedine Zidane et que je suis amené à négocier son contrat au Real Madrid, je peux imposer que soit négocié au préalable le contrat de tel joueur moyen qui occupe la trentième place dans la hiérarchie du club. J'exerce ainsi un pouvoir de marché, qui sort du rôle de l'intermédiaire. C'est là que commence la dérive.

M. Frédéric BOLOTNY : Ce pouvoir peut aller encore plus loin. On a vu, dans le basket-ball, un agent qui était aussi partie prenante dans une entreprise de sponsoring sportif.

M. Didier PRIMAULT : En Europe, l'encadrement des pratiques est rarement le fait de la loi. Il se fait le plus souvent par le biais de réglementations sportives. Il convient de faire en sorte que les agents aient un minimum de compétence. C'est le sens de l'examen. Mais cela ne garantit pas que les agents auront un comportement exemplaire.

M. Henri NAYROU : Est-il normal que le club accueillant un joueur rétribue son agent ?

M. Didier PRIMAULT : Cela ne me paraît pas normal. L'agent donne l'information au joueur et négocie pour lui. Il n'est pas légitime, sur le plan économique, qu'il soit rémunéré par l'autre partie. Sur le plan juridique, je ne suis pas sûr que cela ne constitue pas un abus de biens sociaux. Mais c'est encore un autre problème.

M. le Président : On sait pourquoi les choses se passent ainsi : si le joueur rémunère son agent, il le fait après impôt et après charges sociales. C'est sur ce point qu'il faut faire évoluer les choses.

M. Henri NAYROU : M. Rochebloine et M. Landrain, aujourd'hui décédé, avaient déposé une proposition de loi qui instaurait le principe du paiement de l'agent par le club. La Ligue de football professionnel partage ce point de vue.

M. Didier PRIMAULT : On comprend la logique de ceux qui préconisent cette solution. Dans un système très concurrentiel au niveau européen, on cherche tous les moyens d'être compétitif par rapport à d'autres pays, où les pratiques sont beaucoup moins encadrées et où les rémunérations, pas seulement celles des agents, sont beaucoup moins imposées.

M. le Président : Cette proposition est aussi une manière de régulariser une pratique extrêmement courante.

M. Didier PRIMAULT : Je pense que c'est une erreur fondamentale.

M. Henri NAYROU : Je suis heureux de vous l'entendre dire.

M. Didier PRIMAULT : Car le système donne aux agents leur pouvoir de nuisance. Ils sont souvent, dans les faits, au cœur des dérives. Mais ils ne sont pas par nature responsables de ces dérives. Ils cristallisent les dérives de l'ensemble du système. Cette proposition traduit une certaine forme de complaisance, qui donne beaucoup de pouvoirs aux agents.

M. le Président : Je suis d'accord pour dire que cela n'est pas très sain. Cela dit, il ne faut pas raconter d'histoires : un joueur ne paiera pas son agent après avoir payé ses charges salariales et ses impôts. Il faudrait trouver un système de franchise instaurant pour les agents une rémunération plafonnée par rapport au salaire, qui soit exonérée de charges sociales et d'impôt pour le joueur.

M. Frédéric BOLOTNY : Et servie au prorata de l'écoulement du contrat. Car si la commission de l'agent est versée intégralement dès la première année d'exécution du contrat, son intérêt est de faire en sorte que le joueur soit à nouveau transféré dès la deuxième année.

M. le Président : De toute manière, un agent n'a pas à toucher une commission sur le transfert.

M. Henri NAYROU : L'agent peut contractualiser avec le joueur pour toucher un pourcentage sur tous les gains du joueur, qu'il s'agisse du salaire, du transfert ou de ceux résultant des contrats publicitaires.

M. Frédéric BOLOTNY : Cela ne change pas le raisonnement. Si la commission de l'agent, assise sur le salaire du joueur et non sur le montant du transfert, est intégralement versée dès la première année, l'agent aura intérêt à ce que le joueur soit à nouveau transféré dès la deuxième année.

M. le Président : Quand la commission d'agent n'est pas assise sur le montant du transfert, elle n'est jamais versée la première année. Elle est calculée au prorata du salaire du joueur.

M. Frédéric BOLOTNY : Malgré les recommandations de la Ligue, ce n'est pas toujours le cas.

M. le Président : Il peut arriver qu'un joueur touche une rémunération dans le cadre du transfert. Si elle lui est directement versée, elle est, comme son salaire, soumise à charges sociales et à impôts. Qu'elle porte le nom de « prime d'engagement » ou quelque autre nom, il s'agit d'une rémunération comme une autre, soumise aux mêmes charges que le salaire mensuel.

M. Frédéric BOLOTNY : L'agent peut être mandaté par le club pour réaliser l'opération de transfert, afin de trouver un joueur. Dans ce cas, la rémunération qu'il touche est forfaitaire.

M. Didier PRIMAULT : L'outil de l'incitation financière pour les agents est intéressant. Si l'un des objectifs est de favoriser le respect des contrats, il faut que les agents qui travaillent au respect des contrats soient rémunérés pour cet apport à l'économie générale du système. La rémunération de l'agent pourrait être, par exemple, de 5 % et être portée à 7 % si le joueur a respecté son contrat. L'objectif est de limiter la mobilité artificielle des joueurs.

M. Frédéric BOLOTNY : J'ajoute que la loi autorise un agent à être actionnaire minoritaire d'un club. C'est un problème.

M. le Président : Si vous aviez des propositions à faire, quelles seraient celles que vous jugeriez prioritaires ?

M. Didier PRIMAULT : L'essentiel est d'abord d'imposer la transparence, puis d'étudier les modalités de contrôle.

M. Frédéric BOLOTNY : Il faut empêcher qu'un agent puisse être actionnaire d'un club. Il faut aussi être conscient des limites d'un dispositif franco-français. Durant la saison 2004-2005, en Ligue 1, le montant total des transferts entre clubs de Ligue 1 s'est élevé à 78 millions d'euros, alors que les transferts entre clubs de Ligue 1 et clubs étrangers s'élevaient à 100 millions d'euros. Or ce sont les transferts internationaux qui posent le plus de problèmes, puisque c'est l'évasion fiscale et sociale qui est, le plus souvent, l'objectif recherché.

M. le Président : Nous avons bien conscience des limites d'un dispositif purement national. Il n'en reste pas moins qu'il nous faut trouver des solutions. On ne peut pas admettre qu'une zone de non-droit se constitue autour d'une activité sportive qui devrait être une référence.

M. Didier PRIMAULT : En Angleterre, les dirigeants de Manchester United, après les affaires ayant impliqué Alex Ferguson et son fils, s'étaient engagés à communiquer le montant des commissions d'agents sur tous les transferts. Ils ont commencé à le faire. Trois mois plus tard, après que l'Américain Malcolm Glazer en est devenu l'actionnaire majoritaire, le club a été retiré de la bourse. Il reste que la transparence sur le montant des commissions est le grain de sable qui peut enrayer la machine des dérives. Les pouvoirs publics peuvent imposer cette transparence.

M. le Président : Je vous remercie de votre contribution aux travaux de la mission d'information.

Audition de MM. Arnaud PÉRICARD et Christian CHEVALIER,
avocats


(15 novembre 2006)

Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Merci d'avoir répondu à notre invitation dans de si brefs délais. Notre mission d'information sur les conditions de transfert des joueurs professionnels de football et le rôle des agents sportifs a été constituée le 25 octobre dernier par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale. Elle est composée de dix membres représentatifs de tous les groupes de l'Assemblée.

Il ne s'agit pas de commenter les affaires en cours, mais d'identifier des pistes susceptibles d'améliorer la situation.

Quels sont les rapports contractuels et salariaux entre les différents intervenants dans le cadre d'un transfert ?

Comment fonctionnent au quotidien les rapports entre les joueurs et leurs agents ? Un joueur a-t-il un agent toute sa vie ? Quel est le rôle de ce dernier dans la négociation salariale et le transfert ? Comment se passent les négociations du transfert ? Comment améliorer le dispositif - formation des agents, contrôle, transparence financière ?

Les normes internationales correspondent-elles à ce que l'on pratique en France ?

M. Arnaud PÉRICARD : Notre cabinet est spécialisé en droit du sport. À ce titre, nous avons une vision assez large de l'ensemble des problématiques du sport professionnel français, dans le sens où nous pouvons conseiller aussi bien les sportifs que les agents, les clubs, les ligues, les fédérations.

Il nous semble que sur ce sujet, tout le monde a sa part de responsabilité - les clubs, les joueurs et les agents. Plutôt que de jeter l'anathème sur cette profession d'agent, il faut cerner le rôle de chacun.

M. Christian CHEVALIER : Les agents sont un mal nécessaire dans le sport professionnel. Ils sont l'un des rouages des sports d'équipe - il en va différemment pour les sports individuels où l'agent travaille essentiellement sur le marketing ou l'image du sportif.

Dans les sports collectifs, l'agent est en charge de la négociation financière du contrat de travail et du transfert, entre le joueur, le club vendeur et le club acquéreur. L'apparition des agents s'est faite naturellement parce que les joueurs ne voulaient pas discuter directement avec les dirigeants de clubs. Les joueurs, focalisés sur leur réussite sportive, se sentaient mal à l'aise dans la négociation de leur rémunération avec les dirigeants de clubs.

Nous travaillons depuis plus de dix ans sur ce secteur, et s'il est vrai qu'il y a eu des dérives, nous assistons également au renouvellement de la génération d'agents et il faut trier entre le bon grain et l'ivraie. Par ailleurs, il y a encore des carences au niveau de la formation des agents.

Nous avons aujourd'hui des joueurs qui ont une certaine valeur sur le marché, laquelle doit être transcrite dans des documents juridiques - le contrat de travail, le contrat de transfert. L'agent est l'élément fluidifiant de ces opérations. Il est l'un des rouages de cette opération, et ne saurait être tenu pour seul responsable des éventuelles dérives.

Concrètement, le joueur émet des souhaits de carrière sportive. L'agent, en contact régulier avec le joueur, étudie les clubs qui seraient susceptibles de lui convenir, et accomplit les démarches auprès d'eux. Les négociations s'ouvrent alors avec les dirigeants de clubs. Là peuvent surgir des conflits d'intérêts qui conduiront à des dérives.

Un agent qui travaille correctement doit obtenir pour son joueur la meilleure des rémunérations, ou la durée de contrat la plus longue. Il doit contacter plusieurs clubs, et les opérations doivent se dérouler dans des délais relativement brefs. Il faut saisir les occasions, ce qui oblige parfois les protagonistes à se décider rapidement, et le joueur n'a pas toujours le dernier mot. C'est souvent l'agent qui est le décideur final, et qui place le joueur devant le fait accompli.

La difficulté surgit au moment du paiement de la commission de l'agent. L'agent conseille le sportif et cette relation, si l'agent travaille bien, s'inscrit normalement dans la durée. Il arrive malheureusement que l'agent, plutôt que de se faire rémunérer selon les modalités de l'article 15-2 de la loi du 16 juillet 1984, se fasse rémunérer par le club. L'agent peut alors faire passer son intérêt financier avant celui du joueur, et se laisser amadouer par les propositions du club. Cette pratique peut donner lieu à de graves dérapages, notamment dans le cadre des transferts internationaux.

Dans le football, contrairement à d'autres sports comme le basket ou le rugby, des sommes importantes sont versées lors des transferts. Compte tenu des montants en jeu, les agents peuvent être incités par les clubs à accepter des montages quelques peu exotiques, permettant des flux financiers au-delà des frontières françaises.

Prenons l'hypothèse d'un club quitté, d'un joueur transféré, et d'un club acquéreur, qui va verser une indemnité au club quitté. À ces trois interlocuteurs - le dirigeant du club quitté, celui du club acquéreur et le joueur - s'ajoutent l'agent du club quitté, celui du club acquéreur et celui du joueur. Ces trois agents se partageront une partie des commissions relatives au flux - le salaire du joueur, et l'indemnité liée au transfert. Lors de transferts internationaux, une partie des opérations, de facto, se passe à l'étranger, ce qui permet à l'agent d'échapper en partie aux dispositions de la loi du 16 juillet 1984, qui oblige les agents sportifs à être titulaires d'une licence auprès des fédérations françaises concernées. Il faut également tenir compte, dans le domaine du football, du règlement FIFA (Fédération Internationale de Football Association). Certains agents, notamment lorsque les clubs sont à l'étranger, sont agréés FIFA, et cette licence est délivrée par les fédérations nationales.

Prenons l'exemple d'un club acquéreur italien, d'un club quitté français et d'un joueur français. En principe, un agent représente le club quitté, un autre le joueur et un dernier le club acheteur. Théoriquement, l'agent du club quitté est titulaire de la licence d'agent au sens de la loi du 16 juillet 1984, de la licence de la Fédération française de football et de la licence FIFA.

M. le Président : Est-ce une obligation ?

M. Christian CHEVALIER : Pour intervenir en France, l'agent doit être licencié au sens de la loi du 16 juillet 1984. Dans ce domaine où les échanges internationaux sont nombreux, il a tout intérêt à être également titulaire de la licence FIFA, afin de pouvoir intervenir sur les opérations transfrontalières.

En principe, l'agent d'un joueur français doit de surcroît être titulaire de la licence de la Fédération française de football. Si l'on reprend notre exemple précédent, l'agent du club italien peut tout simplement être agent en Italie, sans avoir la licence française.

Le club acheteur va verser une indemnité de transfert au club quitté, qui correspond à la valeur du joueur. La FIFA a essayé de mettre un peu d'ordre en demandant que plus aucune indemnité de transfert ne soit versée, mais dans les faits, une somme est toujours versée au club quitté, au motif d'indemniser la rupture du contrat avant son terme.

Sur ce transfert se cristallisent les problèmes, car il est impossible de déterminer une valeur objective, ce qui laisse la porte ouverte à l'empilement de différents montants qui ne sont pas justifiés économiquement. Sans que ce soit systématique, il arrive que le système dérape, car sur cette indemnité de transfert peuvent se greffer des sommes qui serviront à rétribuer ultérieurement l'un ou plusieurs des individus impliqués dans l'opération - le dirigeant du club quitté, celui du club acheteur, le joueur, les agents, certains entraîneurs. En effet, c'est le dirigeant qui avance l'argent, souvent après avoir consulté son cadre technique, les entraîneurs, le manager sportif, le manager général, et il se peut que quelques-uns aient un intérêt financier à pousser la carrière de certains joueurs plutôt que d'autres, en dehors de tout critère sportif. Certains se disent qu'ils vont faire venir untel, parce qu'ils auront droit à une part du pourcentage perçu par l'agent sur l'indemnité de transfert - généralement entre 5 et 7 %. Pour justifier ces versements sont signés des mandats, des contrats fictifs...

M. le Président : Quel genre de contrat ?

M. Christian CHEVALIER : Des contrats de scouting, des prestations de suivi ou d'analyse d'un joueur... Si les personnes sont bien conseillées, elles créent une société tierce dont elles ne sont pas directement actionnaires. Les montages ne sont pas toujours aussi sophistiqués. Souvent la commission est versée à l'agent, notamment lorsqu'il est hors du territoire français, et cette commission peut être très importante, malgré la loi française selon laquelle le montant des commissions versées aux agents ne peut excéder 10% du salaire du joueur. Soit on interprète cette loi de façon extensive et l'on considère que cette limite de 10 % s'applique aux indemnités de transfert...

M. le Président : En cumulant les deux ?

M. Christian CHEVALIER : Oui. Soit on estime que l'on n'a pas à appliquer cette limite de 10% sur l'indemnité de transfert versée d'un club à l'autre. La loi française manque de précision. Comme elle prévoit des sanctions pénales, elle doit être interprétée de façon restrictive et non extensive.

M. le Président : Y a-t-il de la jurisprudence ?

M. Christian CHEVALIER : Il n'y a pas de jurisprudence établie aujourd'hui. Il faut appliquer la loi, et ne pas hésiter à porter les affaires devant les tribunaux pour connaître leur position. Faut-il modifier cette loi ? J'estime qu'il y a trop de modifications législatives. Nous devons laisser vivre cette loi, voir ce qu'en font les tribunaux et faire confiance à la justice.

Dans la mesure où il n'existe pas de limite sur les indemnités de transfert, les sommes peuvent être colossales, et quand un intermédiaire est installé à l'étranger, il peut se faire rémunérer grassement, à charge pour lui, dans les discussions en privé entre les dirigeants, le joueur et les agents, d'accepter de leur reverser certaines sommes d'argent.

Les procès de l'Olympique de Marseille (OM) sont édifiants en l'espèce....

M. Henri NAYROU : Comme celui du Paris Saint-Germain (PSG) !

M. Christian CHEVALIER : L'affaire est en cours. S'agissant de l'OM, en première instance à Marseille ont été sanctionnés les agents, mis en avant comme les principaux causeurs de troubles, mais aussi des cadres techniques, et notamment l'ancien entraîneur, et des dirigeants. Il manque tout de même les joueurs ! Les comportements n'évolueront qu'à condition que les bénéficiaires du système soient tous sanctionnées. Tant qu'il restera des personnes qui se sentent à l'abri, les dérives persisteront.

M. le Président : Selon vous, pourquoi les joueurs n'ont-ils pas été impliqués ?

M. Henri NAYROU : Ce sont des icônes !

M. Christian CHEVALIER : En effet, et je vois mal un procureur de la République lancer une procédure rogatoire contre un joueur français qui joue dans un grand club étranger, et qui a pu connaître des heures de gloire. Dans le box des accusés, à Marseille, manquaient effectivement certaines personnes.

Pour ce qui est du PSG, je constate que sont concernés des agents étrangers, des dirigeants de club, des joueurs, mais pratiquement aucun joueur français.

M. le Président : On se sert des joueurs pour instruire le dossier.

M. Christian CHEVALIER : C'est vrai, mais seuls des joueurs étrangers sont mis en avant, notamment des joueurs sud-américains. Le jour où une sanction tombera sur un joueur important, français et membre de la sélection nationale, ce sera un signe fort.

Au début des années 1980, lors de l'affaire de la caisse noire de Saint-Etienne, se trouvaient dans le box des joueurs connus, ce qui avait sérieusement freiné les pratiques.

M. le Président : Au-delà de ces cas phares, ne s'agit-il pas d'une pratique courante, quel que soit le montant des rémunérations et du transfert ?

M. Christian CHEVALIER : Bien sûr. Tant qu'existera cette indemnité de transfert, la tentation sera grande de faire monter les enchères et de partager le bonus entre les intervenants.

M. le Président : Hors charges, hors impôts...

M. Christian CHEVALIER : Là est sans doute la clé de la solution car, au-delà de la loi de 1984 existe tout un arsenal fiscal. S'il est difficile d'identifier dans ces affaires l'élément caractérisant l'infraction pénale - les opérations se déroulent à l'étranger, dans des délais rapides, sans forcément d'écrit -, les paiements qui interviennent laissent tout de même des traces, surtout lorsque les sommes versées n'ont pas été déduites. S'il est encore possible de faire passer en charge et de déduire des commissions de dix ou quinze mille euros, il n'en va plus de même pour des sommes de un, deux ou plusieurs millions.

Les contrôles sont possibles, car la déduction de ces sommes suppose d'établir une prestation. Souvent un bout de papier est signé quelques heures avant que l'opération de transfert ne se réalise, mais il n'y a pas eu de compte rendu écrit, et la preuve de l'effectivité de la prestation est rarement apportée.

M. le Président : Sauf s'il n'y a pas de rapport direct entre l'entreprise club et l'opération.

M. Christian CHEVALIER : Mais pour justifier le paiement et la passer en charge, il faut bien établir une prestation. Les clubs phares ont en effet accès aux structures étrangères, mais ce n'est pas le cas des petits clubs.

Cela étant, il est possible, même pour ces grands clubs, de coordonner des enquêtes au niveau international.

M. Henri NAYROU : Vous avez dressé le portrait d'une situation connue, et nous, députés, souhaitons aujourd'hui trouver des solutions.

Pourrait-on, en droit français, européen, ou international, limiter le nombre des transferts ?

Pourrait-on légiférer sur la multiplication des transferts à partir de contrats sciemment signés pour une longue durée ?

Comment contrôler les flux financiers, sans enfreindre la règle de l'offre et de la demande ? Comment contrôler l'évaluation des sommes décidées ? Serait-il envisageable de faire intervenir un notaire ? Pourrait-on imaginer un contrôle à l'image de celui que la CARPA (Caisse des règlements pécuniaires des avocats) exerce sur les comptes des avocats ? Ou encore de procéder, comme la Caisse des dépôts, dès lors que l'on accepte l'idée que le transfert d'un homme pourrait s'assimiler à l'achat d'un actif ?

Enfin, comment renforcer l'article 15-2 de la loi de 1984, en interdisant le paiement de l'agent du joueur par le club acquéreur ?

M. Arnaud PÉRICARD : S'agissant de la centralisation des flux liés aux transferts par l'intermédiaire des séquestres, n'oublions pas que les indemnités de transfert sont des éléments importants du budget de fonctionnement des clubs. Beaucoup de clubs sont financés de cette manière. Il n'existe pratiquement pas d'indemnité de transfert aux États-unis, mais les salaires sont beaucoup plus importants. Je crains que cette proposition de centralisation ne soit pas acceptée par les clubs, car la centralisation implique des délais, les fonds n'étant libérés qu'au bout de plusieurs semaines, ou mois, sans parler des droits d'opposition des tiers ou des créanciers.

M. Henri NAYROU : À nouvelle institution, nous pourrions inventer un nouveau fonctionnement.

M. Arnaud PÉRICARD : Certes, mais ce serait compliqué.

M. Christian CHEVALIER : Nous pourrions réfléchir à un système de centralisation ou de contrôle sur des opérations purement nationales. La transparence s'imposerait alors que l'opacité est très forte aujourd'hui - des sociétés sont installées à l'étranger, dans des paradis fiscaux, et il est difficile de suivre le parcours des fonds.

Il faut introduire plus de transparence, et à cette fin passer au peigne fin le bilan des sociétés. En Angleterre, il y a quatre ou cinq ans, le manager sportif de Manchester United était soupçonné de conflit d'intérêt car beaucoup d'opérations financières étaient traitées par son fils, ce qui posait d'autant plus de problème que le club était encore côté en bourse. Le comité directeur s'est donc réuni, et s'est engagé à lister tous les trois mois l'intégralité des sommes versées aux agents. Dès lors qu'un club de cette envergure donne l'exemple, ceux qui luttent avec lui pour le titre doivent s'aligner.

La cotation de clubs français pourrait les obliger à communiquer précisément sur leurs finances.

M. Arnaud PÉRICARD : Le club Manchester United faisant publiquement appel à l'épargne, il a des obligations d'informations vis-à-vis du marché. Aujourd'hui s'exerce un double contrôle financier sur les sociétés sportives professionnelles - le contrôle semi-interne du commissaire aux comptes, et celui des commissions de contrôle de la Ligue, mais là encore, il n'existe pas de norme homogène et les pratiques divergent d'une norme professionnelle à une autre. Un troisième degré de contrôle pourrait être mis en place pour les sociétés faisant appel public à l'épargne. Le règlement général de l'autorité des marchés financiers est assez rigoureux en France, ce qui a permis d'éviter de nombreux scandales financiers.

Je reste persuadé que le fait de soumettre les clubs à ce troisième degré de contrôle les obligera à plus de transparence.

M. le Président : Mais dans la mesure où tous les clubs ne pourront pas être concernés, les traitements seront différents.

On nous a dit hier que la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) ne faisait pas de corrélation directe entre sa mission de contrôle de la régularité des salaires et des transferts, et les comptes d'exploitation de chaque club. Comment, dans ces conditions, soulever le lièvre à temps ?

M. Christian CHEVALIER : Les commissions d'agents peuvent, au sein de chaque fédération, se faire communiquer tout élément comptable. La commission peut passer en revue tel club, étudier les salaires versés, les sommes versées aux agents, les mandats signés pour les transferts, et déterminer si le montant des sommes versées aux agents correspond à celui indiqué dans le contrat de mandat.

S'agissant de l'indemnité de transfert, si l'on considère que la règle du 10% maximum ne s'applique pas, cette corrélation n'est plus possible. Une somme est versée à un agent italien, parce qu'ils ont réussi à faire transférer un joueur de Marseille à l'Inter de Milan pour 50 millions d'euros. Si la commission s'élève à 10 millions, il n'y a plus de corrélation avec la rémunération du joueur et les 10 %. Comment dire alors s'il y a suspicion ou respect ? Nous sommes dans une zone grise.

La seule manière de savoir est de démontrer que la somme de 10 millions est justifiée par des éléments qui obligent le club à payer. Y a-t-il eu prestation ? Si oui, sous quelle forme ? Il ne faut pas hésiter à aller au contentieux.

Je ne pense pas nécessaire de renforcer l'article 15-2 de la loi de 1984. Le gros problème de cette loi concerne le pouvoir donné aux commissions d'agents au niveau des fédérations. Le principe des commissions est louable puisqu'il permet de connaître parfaitement le sport dans lequel les agents interviennent, mais aujourd'hui, certaines commissions ne font rien - je pense notamment à celle de la Fédération française de football qui agit très faiblement, alors que d'autres vont parfois trop loin, notamment dans le rugby.

En la matière, j'estime que le pouvoir et le dernier mot doivent rester aux autorités étatiques, et que les commissions d'agents doivent conserver un rôle d'information.

Aujourd'hui, l'arsenal juridique et financier, notamment fiscal, permet de s'attaquer au problème des versements et des rétro-commissions. Il n'est pas compliqué de suivre le patrimoine d'un individu, même si cela prend du temps.

Je pense en revanche qu'il faut abandonner l'idée de centraliser.

M. Henri NAYROU : C'est vrai.

M. Christian CHEVALIER : À mon avis, concernant les transferts internationaux, les autorités françaises devraient réfléchir à la mise en place de cette réglementation au niveau communautaire, afin de mettre en place un dispositif beaucoup plus étendu, sur les 25 pays membres.

M. le Président : Y a-t-il une volonté de travailler en ce sens ?

M. Christian CHEVALIER : La Commission a lancé une mission d'études, et cette initiative a été relayée par les députés européens.

M. Henri NAYROU : Que pensez-vous d'une limitation du nombre des transferts ? Comment interdire le mélange des genres au niveau de la rétribution des agents ?

M. Christian CHEVALIER : Aujourd'hui, dans la plupart des sports, le nombre de transferts est limité par saison. Le règlement FIFA a d'ailleurs été validé par la Commission européenne sur ce point. Il faut cesser de présenter le droit communautaire comme une hydre ultra-libérale qui va dévorer tout le monde. En effet, le principe de la libre circulation des personnes est inscrit dans le traité fondateur, mais la Commission européenne admet des exceptions lorsqu'elles sont motivées. Il est ainsi possible de limiter le nombre de transferts par saison, mais sur une carrière, la seule façon de le faire est de faire signer des contrats de travail de longue durée, qui ne pourront être rompus que d'un commun accord entre les parties ou en cas de faute.

M. Henri NAYROU : Êtes-vous favorable aux contrats de longue durée ?

M. Christian CHEVALIER : Je n'ai pas d'opinion. Ils sont justifiés pour certains joueurs.

M. Henri NAYROU : Des dérives ont pu être constatées.

M. Christian CHEVALIER : Certes, mais le dirigeant n'est pas non plus obligé de signer n'importe quoi.

M. Henri NAYROU : On nous a expliqué que ces contrats de longue durée permettaient de monnayer encore plus chèrement les joueurs.

M. le Président : Serait-il possible qu'il n'y ait qu'une seule commission ?

M. Christian CHEVALIER: Là est tout le problème des indemnités de transfert. Très peu d'indemnités de transfert sont versées dans le basket et le rugby. L'agent, de facto, est donc fidèle à son joueur, et il fait passer son intérêt avant, puisqu'il est rémunéré sur les salaires qu'il arrive à lui négocier.

Le problème vient de l'indemnité de transfert qui permet aux agents de toucher énormément d'argent sur une seule opération, ce qui conduit les agents à prendre des risques.

Admettons qu'un joueur signe pour cinq ans ; en contrepartie est versée au club quitté une indemnité de transfert de 5 millions d'euros. La logique serait de commencer par amortir cette somme, et d'étaler de même dans le temps le versement de la commission aux agents. Mais il est difficile d'interdire une nouvelle indemnité de transfert en cas de nouveau transfert.

M. le Président : Il n'y a aucun intérêt économique à signer des contrats longs avec un joueur qui pourrait devenir moins bon. Si le transfert n'est pas autorisé, le joueur risque de se laisser aller pendant la période où il est assuré d'avoir un travail. Comment déconnecter le transfert de la négociation salariale ? La solution ne réside-t-elle pas dans le fait que ce soit le joueur qui paie l'agent, comme aux États-Unis, où il n'y a aucune relation financière entre les agents et les clubs.

M. Christian CHEVALIER : Il faut faire évoluer les mentalités. Il n'est pas facile de faire payer un joueur !

M. Arnaud PÉRICARD : Effectivement, la logique voudrait que le joueur paie son agent, mais en pratique il ne le fait jamais.

M. le Président : Mais les pratiques pourraient changer si l'on disposait d'une jurisprudence arbitrant les litiges qui en découlent.

M. Christian CHEVALIER : Par ailleurs, on sait que les indemnités de transfert peuvent être déconnectées de la valeur du joueur. Dès lors que les clubs sont côtés, leurs comptes deviennent transparents et les dirigeants font plus attention au montant des indemnités de transfert, puisqu'ils ont des comptes à rendre à leurs actionnaires.

La transparence est la seule solution, et il faut des exemples.

M. le Président : Combien de clubs peuvent-ils être côtés en bourse ?

M. Arnaud PÉRICARD : Même s'ils ne peuvent pas tous l'être, ce serait un degré de contrôle supplémentaire pour ceux qui le seraient.

M. Christian CHEVALIER : Les clubs se battent pour les compétitions les plus attractives. Les championnats nationaux tombant en déshérence, il faut passer au niveau européen, et c'est là qu'ont lieu les principaux transferts, et les principales dérives. Tous les clubs seront soumis aux mêmes contraintes financières, et les clubs côtés seront de plus en plus nombreux parce que les opérations nécessiteront de plus en plus de fonds.

Nous devons réfléchir au niveau communautaire, mais la France a son mot à dire en proposant des solutions innovantes.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Noël PONS,
inspecteur des impôts
au service central de prévention de la corruption (SCPC),
service interministériel placé auprès du ministre de la justice


(extrait du procès-verbal de la séance du 15 novembre 2006)

Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Merci d'avoir répondu à notre invitation dans des délais aussi brefs.

Vous avez rédigé un rapport en 2003, et nous aimerions connaître votre diagnostic sur la situation du football concernant les transferts et l'exercice de l'activité d'agent.

M. Noël PONS : Le service central de prévention de la corruption a publié un premier rapport en 1994 sur la fraude dans les clubs de football. Son deuxième rapport, en 2003, traite du blanchiment dans le domaine du football, football entendu au sens de « sport riche ». Les agents ne sont pas une spécificité du football, et il ne s'agit pas de ne s'attaquer qu'au football. J'ai par ailleurs écrit un ouvrage sur l'entrée de la criminalité dans ce secteur.

J'ai ainsi voulu mettre en perspective les manipulations, qui sont relativement simples - fausses factures, paradis fiscaux, avec l'accord ou non du président du club ou de la personne responsable. J'en ai tiré une sorte de cartographie de la fraude sur ce secteur, qui devrait permettre de pointer les éléments sur lesquels il faut travailler, notamment la remontée d'informations.

À ce propos, mon service a passé une convention avec la Ligue de football pour avancer sur ces sujets.

L'Inspection des finances et l'Inspection de la jeunesse et des sports m'ont entendu à l'occasion de la préparation du projet de loi sur les agents, de même que l'Union des associations européennes de football (UEFA) sur le blanchiment.

Il est possible qu'aujourd'hui le nouveau délit pour corruption privée permette de poursuivre les protagonistes, qui se mettent en effet d'accord pour sortir de l'argent et utiliser des fonds. On retrouve les notions d'abus de confiance, d'abus de biens sociaux.

Il est très simple de frauder. Pour faire sortir de l'argent de France, il suffit d'acheter plus cher un joueur étranger. Pour blanchir cet argent, il faut le vendre plus cher au Brésil ou en Argentine, ce qui permet de garder de l'argent là-bas. Il est également possible d'utiliser les « tuyaux » d'un club pour faire transiter des fonds qui disparaissent ensuite.

M. le Président : Avec un accord ?

M. Noël PONS : Il est obligatoire de passer un accord, sauf si l'on a une bretelle de dérivation, si quelqu'un veut absolument obtenir tel joueur.

M. le Président : Arrive-t-il que de telles opérations puissent se dérouler pour des sujets qui ne concernent pas du tout le sport ?

M. Noël PONS : C'est possible. J'ai commencé à écrire quand on m'a proposé des coups tordus dans le privé, et qu'il m'a semblé nécessaire d'aider les personnes qui contrôlent. Je me suis alors mis dans la peau d'un dirigeant de club, d'un directeur financier ou d'un agent, pour savoir ce que je pouvais faire. J'ai ainsi élaboré une certaine méthodologie.

Une entente, un accord, une validation est obligatoire pour faire entrer de l'argent ou en sortir. Il y a déjà là un point dont peuvent s'occuper soit les commissaires aux comptes, soit le directeur financier, soit les contrôleurs de la Ligue, à condition que le reporting soit bien fait, car les comptes seront fumeux. Seule une partie de la comptabilité sera montrée.

M. le Président : Mais il est pourtant obligatoire de tout montrer ?

M. Noël PONS : Pensez au septième commandement, selon lequel « tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain » ! S'il était appliqué, beaucoup seraient très ennuyés...

Les banques peuvent également identifier le problème. C'est ce qui se passe pour le blanchiment : les banques ont détecté ces flux d'argent. Il est en effet difficile de ne pas s'interroger lorsque l'argent qui a servi à acheter un joueur au Brésil part aux Bahamas.

J'ai essayé de réfléchir à la meilleure manière de bloquer ces systèmes, et j'ai fait la liste des éléments qui ressortent forcément, comme la surfacturation, qui peut être révélée par un contrôle interne et par une analyse des processus. J'ai donc mis en évidence les processus qu'il faut analyser en priorité, notamment les fichiers - en effet, un club ne déclarera pas un salaire trop élevé pour un jeune joueur, car cela pourrait alerter les impôts. En revanche, la surfacturation est noyée dans un compte général afin de passer inaperçue. J'ai ainsi déterminé une cartographie des points comptables sur lesquels on peut « enfumer » les analystes.

Une fois effectués les contrôles internes, le contrôle des commissaires aux comptes, voire des services fiscaux, il serait souhaitable d'instaurer un contrôle par la Ligue ou une autre structure, comme l'UEFA. Il est possible d'imaginer que la totalité des flux soit contrôlée par une structure ayant reçu une délégation de service public, mais il risque de surgir un conflit de pouvoir entre la Fédération française de football (FFF), la Ligue, etc. Cela validerait par ailleurs le fait que les clubs paient l'intermédiaire, alors que, si un joueur ne veut pas prendre d'agent, il n'y a pas de raison pour que cet agent soit payé par quelqu'un d'autre.

Doit-on imaginer un dispositif à l'échelle communautaire ? Tant que toutes les opérations se déroulaient en France, il n'y avait pas de gros problème, puisqu'on voyait ce qui entrait et sortait. Mais depuis qu'il n'y a plus de contrôle et que les frontières sont ouvertes, il est possible, pour payer un agent, de jouer sur des surfacturations de joueurs qui n'ont rien à voir avec cet agent. Ainsi, je me suis particulièrement intéressé aux liens qui existaient entre les différents présidents de clubs. Des dirigeants de clubs anglais sont parfois aussi dirigeants de clubs en Belgique et au Brésil.

M. le Président : Mais c'est normalement interdit !

M. Noël PONS : Certes, mais il suffit d'utiliser un prête-nom...les opérations sont tellement fractionnées qu'on ne finit par s'apercevoir du montage que lorsqu'un contentieux naît entre deux personnes.

Par ailleurs, des personnes peuvent avoir perdu leur agrément en Belgique, mais venir exercer en France. Nous devons travailler avec les instances internationales.

M. le Président : Selon vous, ne serait-on pas en train d'accorder plus d'importance qu'il n'en a à l'agent ? Le commanditaire reste tout de même le dirigeant du club.

M. Noël PONS : C'est vrai, l'agent est le support d'un montage, et le problème vient de celui qui dirige effectivement le club. Il existe en France des clubs sans problèmes, où le directeur financier ou le président bloque le système. Maintenant, certains agents font même payer la simple rencontre en vue de négocier. Chaque étape de la négociation devient payante. Si les présidents refusent de jouer le jeu, la négociation ne se fait pas.

Qui mène le jeu ? On connaît les dirigeants en France, en revanche on ne sait pas qui se trouve derrière le club des Corinthiens du Brésil.

M. Henri NAYROU : Vous avez travaillé sur le blanchiment, mais nous ne pouvons pas nous substituer aux policiers, pas plus qu'aux contrôleurs fiscaux et aux juges. Tel n'est pas notre rôle. Nous cherchons à trouver une solution législative pour stopper ces dérives organisées.

M. Noël PONS : Concrètement, il y a une facture et un flux. Il pourrait être imaginé de valider toutes ces opérations, à condition de créer une liste d'agents agréés sûrs, et de mettre fin à la présence d'intermédiaires. Il faut valider la qualité des agents, et ne plus se fier à la seule remontée volontaire des documents. Il faut qu'il y ait des croisements de fichiers qui ne dépendent pas forcément de la personne, d'autant plus qu'il n'existe qu'une seule source d'informations - le club. Tous les agents, en Europe, doivent être déclarés, cadrés, et l'on doit connaître leur chiffre d'affaires.

Quant aux flux, tout flux illogique qui part dans un paradis d'une manière quelque peu douteuse, doit être suivi en permanence.

M. le Président : Comment faire sur le plan international ?

M. Noël PONS : L'idée serait que l'UEFA, pour commencer, suive ces principes, car il faut une cohérence entre les pays, entre les organisations internationales. Nous avons pensé à un contrôle spécifique au niveau européen, qui reprendrait les éléments que chacun des pays mettrait en place.

Qui ? Combien ? Que devient l'argent ? Voici les questions auxquelles nous devons répondre.

M. le Président : Et d'où vient l'argent !

M. Noël PONS : Exactement. C'est pour cela que nous avons fait le rapprochement avec le blanchiment, car ce sont les mêmes méthodes.

M. le Président : Vous traitez là du cas extrême du blanchiment et de l'enrichissement personnel, mais il ne faut pas oublier celui du transfert sur lequel on dissimule une partie du salaire du joueur - je crois d'ailleurs que ce problème concerne surtout la France, peut-être à cause du coût élevé des charges sociales et fiscales.

M. Noël PONS : Tout ce qui concerne le paiement aux agents des droits sur l'image relève du même problème, mais je ne suis pas certain que le coût des charges suffise à l'expliquer. Je ne suis pas en mesure de dire si, sur une surfacturation ou un montage, telle somme est pour l'agent, telle pour quelqu'un d'autre, etc.

M. le Président : Sur un transfert de 20 millions, s'il y en a dix qui sont en substitution de la rémunération salariale, cela fait la moitié qui échappe au fisc, ce qui n'est pas rien!

M. Noël PONS : Certes, mais on peut aussi concevoir que des gens utilisent ce montage pour bénéficier de cet argent après.

M. le Président : Je ne suis pas sûr qu'il y ait tant de personnes qui pratiquent cette méthode à des fins d'enrichissement personnel, mais je suis persuadé que beaucoup de clubs le font pour être plus compétitifs par rapport à d'autres pays.

M. Noël PONS : Très récemment, un club, pour faire baisser les charges, prétendait que ses joueurs étaient malades. C'était la sécurité sociale qui les payait, alors qu'ils étaient sur le terrain.

M. le Président : Mais les indemnités sont plafonnées, et ensuite ce sont les assurances privées qui prennent le relais.

Quelles pistes proposez-vous ?

M. Noël PONS : Il faut plus de transparence. Il faut que l'on puisse savoir, à partir d'une opération, où est passé l'argent. Il faut qu'une structure soit en mesure de valider les opérations ou non. Ensuite, on monte l'organisation de gestion commerciale ad hoc. Il me semble que la Ligue ou la Fédération peuvent s'organiser à cette fin. Il doit être possible d'envoyer deux spécialistes dans un club en vue de le contrôler dès qu'il y a un soupçon, et en fonction du résultat, les opérations seront ou non validées. Mais il y aura beaucoup d'opposition.

M. le Président : Pourtant, aujourd'hui, il n'y a pas de transfert de joueur sans lettre de sortie qui mentionne l'état des lieux financier et contractuel entre le joueur et son club !

M. Noël PONS : C'est l'état des lieux transmis par le club. Mais est-ce bien le bon ? Je peux vous en faire un facilement !

M. le Président : Mais n'y a-t-il pas également un contrat, ce qui reste à payer, et un document qui stipule le montant du transfert et la rémunération de l'agent ?

M. Noël PONS : Après avoir manipulé les comptes, on peut fabriquer des doubles ou des triples contrats. Il faut alors attendre qu'un contentieux naisse, qu'une des parties attaque.

M. le Président : Quand on connaît le paysage sportif national, on sait tout de même si les contrats correspondent au marché et à la valeur réelle du joueur ! Des recoupements ne sont-ils pas possibles, puisque vous disposez de tous les contrats des joueurs de foot en Ligue 1 et en Ligue 2 ?

M. Noël PONS : Nous pouvons en effet recouper ces données avec les temps de jeu, les litiges. On doit pouvoir étudier attentivement les contrats et les fichiers, et procéder à un véritable audit de fraude, pour vérifier que des sommes n'ont pas été indûment reçues pour de prétendus prêts de joueurs, etc.

M. le Président : Pensez-vous que les ligues puissent s'en charger ?

M. Noël PONS : Elles le pourraient si elles disposaient de spécialistes des fraudes, mais il n'en existe pas tant que cela. Il faudrait mettre en place un outil adapté et procéder à des contrôles inopinés.

M. le Président : Il faudrait donc renforcer les contrôles ?

M. Henri NAYROU : Ce n'est pas de notre ressort, c'est du domaine réglementaire. Il pourrait également être possible de travailler sur l'impact des mouvements financiers au sein des comptes personnels.

M. Noël PONS : Cela relève des services fiscaux. Les outils existent.

M. Henri NAYROU : Vous êtes un peu décalé par rapport à nous, parce que vous traitez les conséquences, alors que vous nous voudrions agir sur les causes.

M. le Président : Finalement, nous avons le sentiment qu'il n'existe pas de solution pour agir à la base, et qu'il ne resterait que la sanction.

M. Noël PONS : Une clause d'« auditabilité » pourrait être envisagée, c'est-à-dire la possibilité d'entrer, avec des méthodologies spéciales, dans les fichiers informatisés. Aujourd'hui, des logiciels permettent de donner l'image que vous voulez à une comptabilité. Il serait évidemment impossible d'opérer sur tous les agents, mais seulement sur ceux contre lesquels existerait un doute.

M. le Président : Mais on peut déjà le faire aujourd'hui !

M. Noël PONS : Je ne suis pas certain que la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) en ait la possibilité.

De telles préconisations pourraient être efficaces, à condition que tous les grands pays s'y mettent. Je pense que tout le problème réside dans les manipulations comptables qui sont faites derrière les documents officiels. On va chercher des contentieux, des opérations, on va attaquer devant les prud'hommes pour pouvoir clôturer un contrat, mais qui n'était qu'un deuxième contrat, qui n'était pas dans les documents juridiques ni dans la comptabilité, au contraire du premier contrat, très propre bien sûr, qui seul apparaît. C'est ce qui se passe en Angleterre, où les plus grands joueurs peuvent passer plusieurs contrats - un contrat normal, et un autre gardé par le joueur mais qui n'apparaît pas dans les comptes, par lequel ses salaires lui sont versés dans des paradis fiscaux, ces sommes étant abondées par des surfacturations d'achats et de ventes de joueurs.

M. le Président : Ne serait-il pas possible d'alourdir les sanctions à l'encontre des dirigeants et des agents ?

M. Noël PONS : C'est possible, à condition de vérifier qu'ils ne travaillent pas en sous-main. Il est vrai que la sanction peut être exemplaire.

M. le Président : D'autant plus que les agents ne sont pas tous motivés par l'enrichissement, ils sont pris par leur passion.

M. Noël PONS : C'est vrai, et par l'urgence aussi. Ils peuvent être dépassés par les événements.

M. le Président : Sans parler de leur ego. Dans ces conditions, être exclu de ce métier peut leur faire très mal.

M. Noël PONS : Dans ce cas, il faudrait également remonter toute la chaîne de décision du club - l'agent, mais aussi le président. Ce pourrait être alors une sorte de sanction médiatique.

Cela étant, souvent, le président ne se rend pas compte de toutes ces manipulations.

M. le Président : Mais ce dispositif pourrait l'obliger à plus de vigilance.

M. Noël PONS : C'est vrai. Sanctions exemplaires et contrôles inopinés pourraient être des pistes.

M. le Président : On sanctionne davantage le manquement à l'éthique que la faute.

M. Noël PONS : Plutôt le manquement à la bonne gestion. Souvent, les présidents sont dépassés par les événements, sans parler de la problématique des agents de joueurs multiples, qui peuvent pourrir un club parce qu'ils tiennent sept joueurs. Ils tiennent alors toute l'équipe et le club, et obtiennent ce qu'ils veulent.

Je reste persuadé qu'il faut étudier chaque dossier en détail et en profondeur - un fraudeur invétéré fournira un dossier parfait. Je ne sais pas qui pourrait faire une telle étude, mais il faudrait que cela se fasse au moins au niveau de l'UEFA.

M. le Président : Sans compter que les transferts se font toujours dans l'urgence.

M. Noël PONS : Et les commissions se donnent aussi toujours dans l'urgence. C'est le jeu. Faut-il tout faire passer par la Ligue ou par une autre structure ? Peu importe à condition que le système soit lisible.

M. le Président : La Ligue a le mérite de faire porter sur le système un regard objectif par des pairs qui connaissent le milieu et les équilibres. Ils peuvent réagir vite.

M. Noël PONS : Et casser une méthodologie rodée.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN
et Mlle Catherine SUEUR, inspecteurs des finances,
et de M. Pierre FRANÇOIS,
inspecteur général de la jeunesse et des sports


(15 novembre 2006)

Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Mademoiselle, Messieurs, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation.

Ayant rédigé en 2005 un rapport sur l'exercice de la profession d'agent sportif, vous pouvez nous aider à comprendre le rôle des agents en apportant votre éclairage critique. Les agents sportifs sont-ils réellement utiles ? Dans son état des lieux, votre mission d'enquête avait dénoncé le manque de contrôle de la profession, voire des lacunes dans le dispositif législatif - ce qui nous intéresse particulièrement. Vous aviez également proposé plusieurs mesures relatives aux licences d'agent. Doivent-elles être délivrées de façon autonome par les fédérations ou faut-il préférer des licences générales déclinées par disciplines ? Qu'en est-il également du cas des agents étrangers ?

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : Nous avons été missionnés en 2004 par les ministères des finances et de la jeunesse et des sports pour dresser un premier bilan de l'application du cadre juridique découlant de la loi de 2000 et du décret de 2004 régissant la profession d'agent sportif. L'idée était de savoir comment les choses s'étaient passées quatre ans après l'adoption de la première loi. Précisons que notre champ d'investigation s'étendait à cinq fédérations : le football, mais également le rugby, le basket, le handball et le volley. Les dérives constatées dans le monde du football sont courantes dans le basket et même en germe dans les sports qui commencent à se professionnaliser : ainsi le rugby, mais même le handball et le volley, sports pourtant plus mineurs en termes d'engagement financier.

Notre rapport a été remis fin février-début mars 2005 ; j'ai cru comprendre que vous n'en avez pas eu communication, mais les chefs des services de l'Inspection générale de finances (IGF) ou de l'Inspection générale de la jeunesse et des sports (IGSP) ou les ministres ne devraient pas faire de difficultés pour vous le transmettre. L'IGF, notamment, a coutume d'envoyer tous les six mois un certain nombre de ses récents rapports à votre commission des finances.

Nous avons ainsi relevé que les enjeux financiers dans le football étaient considérables : la somme des frais de transferts versés aux clubs de Ligue 1 représente en moyenne 150 millions d'euros, avec toutefois de très fortes variations d'une année sur l'autre : 300 millions d'euros pour la saison 2000-2001, 100 millions d'euros pour la saison 2004-2005. Nous avions également estimé que le montant des commissions versées aux agents sportifs représentait chaque année une trentaine de millions d'euros pour le seul football. C'est loin d'être négligeable.

Au-delà de ces considérations financières, le but était d'abord de s'assurer de la bonne mise en œuvre des dispositifs législatifs et réglementaires par les fédérations sportives. Toutes, y compris la Fédération française de football (FFF), ont mis en place les dispositifs prévus par la loi et le règlement : un examen pour acquérir la qualité d'agent sportif, une commission des agents pour gérer les éventuels conflits, des systèmes d'information et de suivi pour s'assurer de l'existence ou non de mandats confiés par des joueurs ou des clubs à des agents. En façade, les choses étaient à peu près respectées.

Il n'en allait pas de même lorsqu'on entrait dans le détail de la pratique. Ainsi, la Fédération française de football a massivement recouru aux procédures dérogatoires prévues par le décret de 2004 permettant de régulariser la situation de ceux qui avaient acquis la qualité d'agent FIFA ( Fédération Internationale de Football Association ) avant la mise en place du dispositif ; la commission des agents n'était très souvent qu'un simple lieu de rendez-vous et de discussion, sans véritable pouvoir de contrôle ni de sanction ; les mandats délivrés par les joueurs et les clubs n'étaient déposés auprès des fédérations que dans 20 à 25 % des cas. Au-delà se posaient des problèmes non prévus, en tout cas non résolus par la loi et le décret et qui devenaient sources de conflits et de difficultés : ainsi le cas des agents étrangers dont la qualification FIFA n'est pas forcément reconnue en droit français et qui se retrouvent, soit à devoir passer un concours exigeant des connaissances en matière notamment de fiscalité et de droit français - qu'ils ont peu de chances de maîtriser -, soit à poursuivre leur activité de façon illégale puisqu'ils n'ont pas la qualité d'agent sportif français.

L'autre grand problème législatif tenait au fait que la loi a prévu que l'agent serait rémunéré par la personne qui le mandate. Or un agent est généralement attaché à un joueur, non à un club alors que, aussi bien à l'étranger que dans les professions similaires - agents culturels ou artistiques -, c'est toujours ce dernier qui se charge de la rémunération. D'où des manœuvres de contournement : le mandat signé par le joueur n'est jamais déposé et, au moment où un contrat va se conclure, un mandat fictif est rédigé à la va-vite par le club afin de lui permettre de rémunérer l'agent... La loi est ainsi contournée, certes, mais peut-être n'est-elle pas parfaite.

Parallèlement, nous nous sommes intéressés à la « moralité » des agents et de leurs interventions. Un agent est-il utile ou non ? De fait, plus la valeur sportive et marchande d'un joueur est élevée, plus celui-ci est confronté à des démarches qu'il serait bien en peine de faire lui-même ou pour lesquelles il a au moins besoin de conseils, juridiques, fiscaux ou autres, sinon de quelqu'un pour le représenter. Cela étant, il est permis de s'interroger sur la qualité de l'assistance qui lui est ainsi servie, sur son coût et sur les éventuels détournements d'esprit, a fortiori dans un système où les sommes en jeu sont considérables et où la vertu n'est pas forcément la qualité reine...

Parmi les cas les plus emblématiques, on trouve des agents en situation de conflit d'intérêts parce qu'ils sont apparentés à des dirigeants de clubs... D'autres alternent les fonctions d'agent sportif et celles d'encadrement dans un club. Cette confusion des genres pose de réels problèmes dans la mesure où un dirigeant sportif peut être amené à faire signer des joueurs qu'il avait auparavant sous contrat et toucher une rémunération à cette occasion... S'est également posé le cas d'agents détenant des participations importantes dans le capital de clubs. Certains enfin ont été mis en cause pour des faits liés à leurs fonctions d'agent, mais également pour d'autres infractions pénales. La moralité n'est pas forcément la vertu cardinale dans ce milieu où abondent les processus de contournement fiscal et social, les clubs payant les agents qui rétrocèdent une partie de leurs commissions aux joueurs, laquelle échappe aux charges fiscales et sociales - la technique est bien connue. Les informations fournies par la Direction générale des impôts (DGI) montraient qu'une vingtaine d'agents de joueurs faisaient l'objet d'un redressement fiscal lié à leur activité pour un montant total de droits à rappeler d'une dizaine de millions d'euros, de même qu'une dizaine de clubs pour des opérations liées à des transferts et leurs relations avec des agents de joueurs.

Une fois ces dérives constatées, nous avons proposé plusieurs avancées. Les premières avaient pour objectif de corriger les erreurs de formulation de la loi de 2000, qu'il s'agisse de l'interdiction du paiement des agents par les clubs ou des conditions d'exercice des agents étrangers ou encore de la possibilité - qu'il faudrait à notre sens supprimer -, pour une personne morale de prétendre à la qualité d'agent sportif.

Au-delà de ces mesures correctrices, il nous a surtout paru nécessaire de responsabiliser les fédérations, les clubs, les dirigeants, voire les joueurs. Les agents ont été souvent dénoncés, et à juste titre, mais ils n'existeraient pas s'il n'y avait pas de joueurs, de clubs, de dirigeants ni de fédérations... Certains ont proposé d'inscrire dans la loi les modalités de calcul de la rémunération des agents ; cela ne nous paraît pas forcément le rôle du législateur. En revanche, il est de la responsabilité des pouvoirs publics pris dans leur ensemble de renforcer les sanctions applicables aux dirigeants et aux clubs, qui peuvent être de nature financière ou sportive, sous la forme de retraits de points dans les classements, plutôt que de vouloir tout régler par la loi.

M. le Président : Je suis assez d'accord avec vous...

M. Pierre FRANÇOIS : Vous avez posé la question de l'utilité des agents sportifs. Rappelons qu'il s'agit d'un système dérogatoire au droit commun qui interdit le placement payant. La loi de 1992 a fait une exception pour les agents. Était-ce pour mieux encadrer ou pour reconnaître ? C'est un problème de philosophie législative... Reste qu'il s'agit bien d'un système dérogatoire, et qu'à ce titre il est encadré.

Vous avez également évoqué le problème de la délégation aux fédérations, laissant entendre que l'on aurait pu mettre en place un dispositif plus administratif. C'est là un débat de fond ; le système créé à l'origine, c'est-à-dire en 1992, était de nature administrative, avec notamment une commission auprès du ministre des sports.

M. le Président : Je me suis rendu compte que des agents, habilités par des fédérations plutôt secondaires, revenaient un ou deux ans après dans des fédérations où leur rôle était beaucoup plus important, sans avoir forcément suivi la formation nécessaire. Cela me gêne un peu...

M. Pierre FRANÇOIS : En fait, il existe une sorte de tronc commun dans les examens préalables à la délivrance de la licence, et une partie « spécifique ». L'agent qui a passé le tronc commun n'est pas obligé de le repasser s'il va exercer dans une autre discipline sportive, mais il doit remplir les conditions propres à la partie spécifique. Ce n'est donc pas aussi souple que vous le craignez ; reste qu'il arrive de commencer sa carrière dans le volley-ball et d'aller ensuite là où c'est plus rentable, football, rugby ou autre.

Entre 1992 et 2000, le système était de nature administrative. Estimant qu'il fonctionnait mal, on a alors entrepris de le réformer en se posant de nouveau la question de savoir s'il valait mieux administrer de façon plutôt étatique, ou faire confiance aux fédérations sportives en leur déléguant la gestion. Ce dernier choix a finalement prévalu, bien qu'il ait donné lieu à certaines divergences entre le Sénat et l'Assemblée nationale. Ce qui prouve en tout cas que l'on peut hésiter au départ sur la conception même du dispositif.

Au-delà, le contrôle effectué par la mission correspondait à une pression sur les fédérations qui, reconnaissons-le, ne faisaient pas preuve d'une grande vigilance, à l'exception de la Fédération de rugby qui découvrait le professionnalisme. La Fédération de basket était bien au courant de ce qui se passait, mais pratiquait peu de sanctions.

M. le Président : Elle avait un inspecteur des finances à sa tête...

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : Un ancien Trésorier payeur général.

M. Pierre FRANÇOIS : Nous avions bien compris qu'il connaissait très bien la question, mais nous aurions aimé des sanctions plus nettes... Sous la pression de la mission, les fédérations se sont finalement résolues à décider un certain nombre de sanctions...

M. le Président : Qui n'ont guère défrayé la chronique !

M. Pierre FRANÇOIS : En effet. Des suspensions d'agents pendant les périodes où il n'y avait pas de transferts, par exemple...

M. le Président : Le blâme au bout de quarante-trois avertissements, en quelque sorte !

M. Pierre FRANÇOIS : C'est à peu près cela... Nous-mêmes avons écrit que l'on aurait pu se montrer un peu plus coercitif. Des plaintes ont également été déposées devant le juge pénal ; on s'est bien rendu compte que les situations étaient connues, y compris celles de grande délinquance, et que les choses avaient peu bougé. Et certaines fédérations avaient, de fait, des agents sportifs aucunement déclarés - je pense à l'athlétisme et à cet « entraîneur » en Alsace, qui faisait courir une équipe de Kényans sur lesquels il prélevait son pourcentage...

M. Henri NAYROU : Un ancien champion...

M. Pierre FRANÇOIS : En effet. Mise en demeure, la Fédération d'athlétisme a fini par s'occuper du problème, non sans réticences.

M. le Président : Le diagnostic étant posé, quelles sont les pistes à explorer ? Votre rapport pose la question de l'attribution de la licence d'agent sportif à une personne morale...

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : Dès lors que la licence est accordée à une personne morale, tous les collaborateurs que celle-ci emploie peuvent d'une certaine manière se prévaloir de la qualité d'agent sportif, y compris des personnes qui auraient échoué à l'examen.

M. le Président : Il peut y avoir des agents, mais également des conseils... Comment régler ce problème ? De fait, tout joueur est obligé d'avoir un agent...

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : À moins d'avoir seulement besoin d'un conseil fiscal ou juridique, si un joueur veut quelqu'un pour le représenter, évoquer son avenir sportif ou sa carrière professionnelle, c'est un agent qu'il lui faut.

M. le Président : Un dirigeant d'entreprise, pour se vendre, s'adresse à un cabinet de spécialistes qui le défendent ; ce n'est pas pour autant un agent...

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : Mais s'il s'adresse à un cabinet d'avocats, il peut facilement vérifier si son interlocuteur a passé ou non l'examen du barreau.

Mlle Catherine SUEUR : Le fait d'interdire à une personne morale de devenir agent sportif ne préjuge pas de la possibilité de créer une société. Ce qu'il faut éviter, et l'on a connu le cas dans le basket, c'est de tomber sur une société où l'on ne sait plus bien qui est l'agent et qui est le simple collaborateur.

M. le Président : Sur le contrôle des agents étrangers, que proposez-vous ?

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : Le cadre juridique actuel n'est pas applicable. Les agents sportifs français doivent passer un examen. Les agents ressortissants de pays membres de l'Union européenne ou de l'espace économique européen peuvent bénéficier d'une équivalence dès lors qu'ils ont exercé dans leur pays d'origine une activité réelle d'agent sportif ; or non seulement personne n'a demandé d'équivalence, mais la France étant le seul pays doté d'un dispositif de validation et de contrôle des compétences, les intéressés seraient bien en peine de fournir une attestation administrative certifiant qu'ils exercent une réelle activité d'agent sportif dans leur pays d'origine, sauf dans le cas de la licence FIFA où ils sont bien obligés de produire quelque chose... Enfin, pour les agents sportifs non ressortissants de pays membres de l'Union européenne ou de l'espace économique européen, rien n'est prévu par les textes ; logiquement, ils devraient être obligés de passer par le dispositif d'examen en France.

M. le Président : Dans la pratique, la plupart du temps, l'agent étranger, le véritable négociateur, passe par un intermédiaire agréé en France et ils font leur affaire entre eux...

M. Henri NAYROU : Un Croate s'est ainsi trouvé au cœur de plusieurs affaires.

M. le Président : Dans cette situation, l'agent officiellement saisi est bien soumis aux règles françaises.

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : En fait, personne ne le sait, il n'y a aucune transparence. La responsabilisation des agents, des dirigeants, des clubs et des fédérations doit aller de pair avec une réelle transparence. D'où notre proposition de prévoir dans les comptes des clubs sportifs des lignes dédiées aux produits et charges liés aux transferts ainsi qu'aux produits et chargés liés aux rémunérations des agents.

M. le Président : Mais un contrat comporte obligatoirement divers documents décrivant le salaire du joueur, les modalités du transfert et la rémunération de l'agent. Et ces documents sont à la disposition de la ligue.

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : Oui, en théorie... Dans les faits, seulement 20 % des documents sont déposés...

M. le Président : Il est tout de même surprenant qu'un organisme comme la Ligue de football n'oblige pas les clubs à fournir tous les documents. C'est totalement surréaliste !

Mlle Catherine SUEUR : La Fédération de basket avait essayé de mettre en place un contrôle de cohérence qui avait permis de mettre en évidence un certain nombre d'anomalies.

M. le Président : Autrement dit, la chose est possible ?

Mlle Catherine SUEUR : Tout à fait.

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : Encore faut-il la volonté, ce qui suppose de mettre en place des sanctions.

M. Henri NAYROU : Pour ne pas avoir systématiquement un métro de retard, il faut agir sur les causes dès lors qu'elles sont identifiées. Outre le fait que l'on peut avoir un intérêt objectif à multiplier les transferts et à travailler dans l'opacité, des difficultés apparaissent au niveau des trois catégories susceptibles d'intervenir : l'informateur, souvent rémunéré mais jamais déclaré, l'agent « de couverture » et le véritable agent, même s'il ne peut se prévaloir d'un diplôme au regard de la loi. Il ne sera guère possible de canaliser les flux d'informateurs : ils existaient bien avant l'irruption des agents professionnels dans le système des transferts. Des informateurs étaient mandatés par les clubs, rétribués on ne sait comment, mais le procédé n'avait rien de délictueux à proprement parler. Tout le problème est d'adopter une disposition législative ou réglementaire propre à garantir la transparence au niveau du contrat, avec l'obligation pour les agents d'avoir les qualités requises, comme au niveau des flux financiers. Tout le monde comprend que des joueurs professionnels aient besoin de conseils ; reste que les transferts représentent un montant de l'ordre de 150 millions d'euros, dont 30 millions - 20 % - au titre des émoluments des agents. Manifestement, être agent n'est pas un métier, mais un levier. Comment agir là-dessus ? On connaît les pratiques, on peut les condamner, mais plutôt que de les juger, comment les canaliser et trouver les parades afin de préserver l'éthique, la régularité, la justice ?

M. Pierre FRANÇOIS : C'est tout le problème de la définition de ce que la loi appelle « la mise en rapport des parties intéressées », c'est-à-dire le rapprochement opéré par un intermédiaire entre le futur employeur et le futur employé - autrement dit le club et le joueur. C'est sur ce point que la Ligue de football professionnel insistait pour avoir des précisions d'ordre législatif. Notre avis est que la loi n'a pas à aller jusqu'à ce degré de précision. En revanche, nous avons été unanimes pour insiste,r en conclusion de notre enquête, sur la responsabilisation des différents acteurs. Les agents défraient la chronique, certes, mais ce ne sont que des intermédiaires... Le président d'un très grand club de football déclarait que la liste des agents agréés n'était ni sa bible si son livre de chevet...

M. Henri NAYROU : Je suis heureux de l'entendre... J'ai eu l'occasion de lui dire, ce qui fit froncer quelques sourcils, que c'était du formalisme, non du réalisme.

M. Pierre FRANÇOIS : Il fallait comprendre, en clair, que c'était parfaitement secondaire - alors que c'est précisément le cœur du sujet.

M. Henri NAYROU : Les enjeux sont ailleurs.

M. Pierre FRANÇOIS : En effet.

M. le Président : Les agents ne sont qu'un outil. C'est aux dirigeants de prendre leurs responsabilités, et de les assumer.

Parmi vos préconisations, vous souhaitiez que les rémunérations des agents soient versées par les clubs...

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : Pas forcément, mais il faudrait autoriser les clubs à les rémunérer. La loi est d'une certaine manière passée à côté de la réalité, telle qu'on pouvait la constater dans tous les pays étrangers, où les clubs paient les agents, ou dans des secteurs d'activité similaires - les agents artistiques, par exemple - où le paiement reste l'affaire de l'utilisateur final. La loi sur ce point aura du mal à aller à l'encontre d'une logique économique qui prévaut partout ailleurs, et c'est précisément cette méconnaissance de la réalité qui explique tous les contournements. Il ne sert à rien d'avoir une loi qui, de facto, n'est pas respectée.

M. Henri NAYROU : Nous sommes un certain nombre à ne pas partager cette conclusion. J'y suis pour ma part farouchement opposé. Pour commencer, proposer de légaliser une pratique au motif qu'elle est illégale n'est pas de bonne gouvernance. Cela revient à entériner un mélange des genres, l'agent d'un joueur devenant en même temps chasseur de têtes pour le compte du club, ce qui permet de servir au joueur un revenu en net de toute charge et de mettre en place des pratiques délictueuses de rétro-commissions, ouvrant la porte à tous les abus. J'observe du reste que, après avoir soutenu un temps cette ligne, défendue par M. Rochebloine dans sa proposition de loi, le ministère semble s'en être depuis écarté. Ses partisans font valoir que l'agent d'un joueur professionnel est comparable à l'agent d'un artiste, à ceci près qu'un artiste ne donne pas lieu à des indemnités de transfert. Ajoutons que la durée des contrats ne cesse de s'allonger alors qu'elle ne dépassait généralement pas deux ou trois ans, délai suffisant pour s'assurer que le joueur avait suffisamment ou non d'atomes crochus avec son club pour continuer à y jouer ; désormais, on voit tel joueur lié à l'OM jusqu'en 2011... Les contrats de longue durée se multiplient, en même temps que les transferts pendant le temps du contrat, et du coup les flux financiers sur lesquels tout le monde touche... Pour moi, faire rétribuer les agents des joueurs par les clubs dépasse l'entendement.

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : Il ne s'agit pas de légaliser une pratique illégale : avant la loi de 2001, c'étaient bien les clubs qui rémunéraient les agents...

M. Henri NAYROU : Par accord tacite !

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : Dans la pratique, les clubs rémunéraient les agents jusqu'à ce que le législateur estime que ce n'était pas souhaitable. Le dispositif législatif introduit en 2000 est venu à l'encontre de ce qui se pratiquait tant à l'étranger que dans d'autres secteurs d'activité ; il ne s'agit pas de légaliser l'illégal, mais de revenir à ce qui existait avant.

M. Henri NAYROU : Vous trouvez normal que deux parties, un joueur et un club, contractualisent et que l'avocat du joueur soit rétribué par la partie adverse ?

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : Ce n'est pas du tout le même système. J'observe seulement que c'est ce qui se pratique dans d'autres secteurs d'activité et à l'étranger. La France ne peut faire cavalier seul en cherchant à imposer ses propres normes.

Mlle Catherine SUEUR : Cela n'a rien à voir avec les avocats : nous sommes dans le cadre d'une activité de placement de main-d'œuvre, où c'est normalement le bénéficiaire économique final qui paie.

M. Henri NAYROU : Je retire le mot avocat : disons une personne qui défend les intérêts d'une autre personne

Mlle Catherine SUEUR : Elle ne défend pas les intérêts, elle place de la main-d'œuvre.

M. Henri NAYROU : Elle défend bien les intérêts du joueur ! Avec tous ces contrats, ces transferts, ces flux financiers répétés, vous ne vous étonnez pas de trouver une corrélation entre cette pratique et les 30 millions d'euros sur les 150 du total des transferts ?

M. le Président : Force est de reconnaître que l'agent joue objectivement le rôle d'intermédiaire au service du club : c'est pratiquement la règle. La seule question qui se pose est de savoir si le retour à la situation antérieure améliorerait les choses. Pourrait-on engager tous les pays européens à y réfléchir ? Je note d'ailleurs que les règles de la FIFA prévoyaient le paiement de l'intermédiaire par le joueur, tout comme les règles françaises.

Mlle Catherine SUEUR : Par le joueur ou par le club.

M. Henri NAYROU : Non. Je lis : « L'agent de joueurs doit être rémunéré exclusivement par son mandant pour les services rendus. (199»

M. le Président : Si donc c'est le joueur qui rémunère son agent, le cadre contractuel ne devrait-il pas mettre en présence, d'un côté l'agent et le joueur, de l'autre deux « patrons », en l'occurrence le club quitté et le club d'accueil, avec des règles beaucoup plus logiques ? C'est ce qui se passe aux États-Unis, où il n'y a aucun rapport financier entre le club ou la franchise et l'intermédiaire : le joueur fait son affaire de son agent et de son intermédiaire. J'ai l'impression que cela pose moins de problème que chez nous... Leur système est certes différent, avec des franchises et des ligues fermées, mais ne devrions-nous pas réfléchir à utiliser ce levier afin d'aboutir à quelque chose de plus clair et de plus transparent ?

Mlle Catherine SUEUR : On peut arguer du risque de fraude fiscale et sociale liée à la rémunération par le joueur...

M. le Président : Le risque est bien plus grand lorsque c'est le club qui rémunère... Le but n'est ni plus ni moins que d'essayer de transformer des salaires soumis à charges sociales et à impôts en un service rendu par un intermédiaire qui fera son affaire de payer le joueur à des conditions fiscales et sociales plus intéressantes : or ce risque est évité lorsque l'agent est rémunéré par le joueur. On n'échappera pas forcément aux abus liés aux transferts, mais on pourrait imaginer que des agents deviennent des spécialistes des transferts et d'autres spécialistes de la représentation des joueurs. Après tout, ce n'est pas le même métier.

M. Henri NAYROU : Cela me rappelle, toutes proportions gardées, l'argument de Christophe Bouchet, ancien président de l'OM selon lequel l'OM offre un spectacle dont il doit détenir la priorité - autrement dit les droits télés, dont par exemple Johnny Hallyday serait propriétaire, ajoutait-il, s'il faisait un spectacle au stade vélodrome. À ceci près que Johnny Hallyday fait son spectacle tout seul, tandis que l'OM doit s'adjoindre les services d'une autre équipe, dans le cadre d'un championnat organisé, et que pour qu'il y ait un premier, il faut un dix-huitième... C'est ce que j'appelle un argument parfaitement spécieux. Je m'étonne que l'on puisse mélanger aussi délibérément les genres en nous proposant de légaliser la pratique qui a précisément conduit à des dévoiements...

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : Ce n'est pas cette pratique qui a conduit à des dévoiements.

M. le Président : Ce n'est pas la seule !

M. Henri NAYROU : Elle y contribue !

M. le Président : La règle selon laquelle ce sont justement les clubs qui paient les agents n'a pas davantage empêché les dérives observées...

Mlle Catherine SUEUR : Ce n'est pas la règle.

M. le Président : Disons la pratique, dans 95 % des cas.

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : En effet. Mais en tant que haut fonctionnaire, mon devoir est de dire au législateur si une loi est applicable ou non.

M. le Président : Je la crois applicable.

Mlle Catherine SUEUR : Mais dans la réalité, elle ne l'est pas.

M. Henri NAYROU : C'est aussi notre devoir de garder les yeux ouverts ! Un agent peut être rétribué quatre fois pour le même transfert. Trouvez-vous cela logique ?

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : Premièrement, le principe de l'interdiction de la rémunération de l'agent par le club n'est pas applicable dans le contexte actuel, tant franco-français qu'européen. Deuxièmement, ce n'est pas par la loi que l'on pourra a priori tout régler. Troisièmement, seule la sanction permettra de modifier les comportements : quand un directeur financier de club devient agent de joueur, alors qu'il aurait dû attendre un an après la cessation de ces fonctions, quand les agents ne déposent pas les documents qu'ils sont tenus de déposer, que les dirigeants de club persistent à discuter avec des agents non qualifiés pour cela, ce sont autant d'abus qu'il faut sanctionner. Les bonnes pratiques seront d'autant plus faciles à mettre en œuvre que les personnes impliquées dans ce système seront punies lorsqu'elles s'en écartent. Ce sera beaucoup plus efficace que de chercher à tout définir a priori par la loi et de surcroît dans des contextes peu propices à son application.

Mlle Catherine SUEUR : Qui est plus, ce mode de rémunération est en fait un obstacle à la transparence : dans le monde du basket, par exemple - que j'ai bien étudié -, les contrats entre le joueur et l'agent ne sont jamais transmis. Le club aura toujours tendance à rémunérer l'agent. Le lui interdire revient à faire obstacle à la transparence.

M. Henri NAYROU : Le club n'a qu'à se payer les services d'un chasseur de têtes...

Mlle Catherine SUEUR : Mais c'est ce qui se passe. On ne saura pas qui sont les agents des joueurs ; en échange, le club signera de faux contrats de chasseurs de têtes pour rémunérer les agents. La loi sera détournée, et de façon parfaitement légale.

M. Henri NAYROU : Heureusement qu'il nous reste l'article 12 du règlement FIFA et que la proposition de loi est passée à la trappe... Ce que je dis n'est pas le fruit du hasard ni d'une tempête dans mon crâne !

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : Tous les clubs à l'étranger rémunèrent directement les agents.

M. Henri NAYROU : M. Ferguson (200) rémunérait directement la société de son fils, tout comme Luciano Moggi, directeur général de la Juventus, rémunérait son fils Alessandro, ainsi que le fils de Marcello Lippi (201)...

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : C'est précisément dans ces cas-là qu'il faut sanctionner.

M. Henri NAYROU : Et pourquoi pas un examen ADN ? Soyons sérieux !

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : La loi française, elle-même, interdit tout lien de parenté...

M. Henri NAYROU : Le commencement des actions délictueuses est là : les agents ont tout intérêt à multiplier les transferts - et ils ne se gênent pas - alors qu'ils devraient d'abord défendre les intérêts de leur joueur. C'est ce qui se passe dans le rugby, si ce n'est que c'est beaucoup plus moral dans la mesure où il n'y a pas d'indemnité de transfert. Dans ce cas, l'agent a intérêt à s'inscrire dans la durée en faisant en sorte que son poulain ait la trajectoire salariale la plus linéaire possible et lui permette de gagner sa vie grâce à des conseils de bon aloi. Il en va tout autrement lorsque des sommes considérables entrent en jeu par des mécanismes que l'on peut assimiler à des abus de biens sociaux, faux et usage de faux, et dont l'objectif pourrait ressembler à du blanchiment...

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : Tout à fait.

M. Henri NAYROU : Dès lors, l'agent n'est plus un conseil, mais un levier. Et vous voulez légaliser ces pratiques ! Je ne doute pas que l'Olympique lyonnais (OL) doit rétribuer des informateurs sur le sol brésilien ; c'est tout à fait logique, ce sont des prestataires de l'OL. Mais si l'on met dans le même panier l'informateur brésilien et l'agent de Fred ou de Juninho, c'est qu'il y a anguille sous roche et les chiffres en témoignent.

M. Pierre FRANÇOIS : Le débat s'est beaucoup cristallisé autour de cette question, devenue symbolique : qui doit rémunérer l'agent ? Nous nous sommes efforcés dans notre rapport d'appréhender l'ensemble du problème et d'adopter une position d'équilibre. Il ne s'agissait en aucun cas de légaliser des pratiques illicites ; nous avons du reste travaillé en totale indépendance. Notre souci d'équilibre nous a conduits à envisager le point de vue du joueur, le point de vue de l'agent et le point de vue du club employeur.

Sur la préservation des intérêts du joueur-salarié, de très bonnes études juridiques démontrent assez bien que le paiement par le club ne porte pas atteinte à ses droits.

M. Henri NAYROU : Au contraire... Fiscalement, c'est évident !

M. Pierre FRANÇOIS : Toujours dans le même souci d'équilibre, nous avons cherché à comparer les pratiques au plan européen - sinon mondial, si nous avions eu le temps. Nous sous sommes aperçus que l'employeur n'était pas davantage pénalisé...

M. Henri NAYROU : En droit, est-ce une raison suffisante ? J'en doute...

M. Pierre FRANÇOIS : Cela étant, il faut rappeler la dimension historique de l'affaire. C'est également un problème mondial, et nous n'avions pas l'envergure ou la capacité de la traiter à cette échelle, quand bien même on trouve du côté de la FIFA des indications, à défaut d'une pratique : le fait qu'un règlement dise une chose ne signifie pas pour autant que la pratique soit conforme... Je resterai donc assez prudent vis-à-vis du règlement FIFA.

Cela étant, lorsque Mme Buffet a demandé en 2000 à l'université de Bourgogne, laboratoire du droit du sport, une étude sur les agents sportifs, le but était de « proposer un statut de cette profession au plan communautaire dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne. » Dans son étude, l'université de Bourgogne émettait l'idée d'une réglementation communautaire par voie de directive. Depuis, les dérives n'ont cessé de s'aggraver. Les Britanniques, qui ironisaient sur le système français, sont aujourd'hui confrontés à de très sérieux problèmes à propos de la situation des agents - vous-même avez cité le nom de Ferguson. L'Italie est dans le même cas.

La prise de conscience est devenue plus forte et l'on s'est aperçu que le système français, certes administratif et bureaucratique bien que délégué à une fédération, avait finalement certaines vertus.

M. Henri NAYROU : C'est vrai.

M. Pierre FRANÇOIS : La Commission de Bruxelles a commandé une étude, dite « rapport Arnaut », laquelle préconise également une directive européenne sur cette pratique et notamment le statut des agents...

M. Henri NAYROU : Il est parfaitement normal que des agents soient rétribués par les clubs : mais il s'agit en l'espèce de recruteurs, et non des mandataires de la partie cocontractrante. Lorsque les intérêts des uns et des autres se rejoignent, il est permis de parler d'entente illicite appelant d'autres compensations - on sait lesquelles...

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : Je peux citer le cas d'un joueur français de 21 ans, jeune espoir international, qui avait un contrat avec un agent sportif qu'aux termes de la loi, il aurait dû rémunérer lui-même. Pour contourner la loi, le club a rédigé un mandat au même agent sportif pour la mutation temporaire d'un attaquant de nationalité française de moins de 25 ans, justifiant d'au moins une sélection en équipe nationale des moins de 17 ans ou en Espoirs, plus une série de considérations diverses et variées, parmi lesquelles je ne doute pas que l'on exigeait qu'il fût gaucher !

M. Henri NAYROU : En commission d'appel d'offres, ce genre de critères fait froncer quelques sourcils !

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : En effet. C'est là un cas typique. La loi n'étant pas applicable, tout le monde invente des processus de contournement de ce style : on met entre parenthèses le mandat confié par le joueur et, au moment de la signature du contrat, on rédige à la va-vite un mandat transformant l'agent du joueur en chasseur de têtes pour le compte du club et rémunéré comme tel. Personne ne peut reprocher à ce club, dans le contexte juridique actuel, d'avoir signé un contrat de recherche de joueur avec une personne qui se trouve par ailleurs être l'agent du joueur recherché... Ce contournement totalement licite accroît du coup le manque de transparence. Je préfère que les choses soient transparentes dès le départ : cela permet un meilleur contrôle.

M. Henri NAYROU : Vous ne ferez que remplir les prétoires...

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : Non seulement le système actuel peut être contourné de manière licite, mais il devient de plus en plus opaque. La meilleure solution consiste à le rendre transparent pour responsabiliser les intervenants.

M. Henri NAYROU : Comment admettre que deux parties censées défendre leurs intérêts respectifs puissent se retrouver sur une même opération qui, d'unilatérale, devient bilatérale, avec transfert de mandataire au cours du processus ?

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : C'est exactement ce qui se fait aujourd'hui, et rien légalement ne peut l'interdire. Vous ne pouvez pas empêcher un joueur de rompre le contrat de mandat qui le lie avec un agent, et le club de contracter immédiatement après avec le même agent... Il y va de la liberté contractuelle.

Mlle Catherine SUEUR : Vous ne changerez rien au cas précité : le club paiera l'agent et personne ne saura qu'il existait un contrat préalable entre le joueur et l'agent. Au final, le joueur sera presque moins protégé.

M. Henri NAYROU : C'est contraire à ma vision des choses...

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : On ne peut pas revenir sur la liberté contractuelle...

M. Henri NAYROU : Il y a entente illicite sur les biens sociaux du club ! Les grands clubs ont suffisamment de choix pour s'entourer des expertises dont ils ont besoin dans leurs recherches...

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : Juridiquement, jamais vous ne pourrez caractériser l'abus de biens sociaux : le club pourra parfaitement faire valoir que la rémunération a été versée à l'agent dans l'intérêt du club dans la mesure où le sportif y apporte une valeur ajoutée.

M. Henri NAYROU : Les procès de l'OM, et bientôt du PSG, démontreront que la pratique est illégale et délictueuse, et qu'il conviendrait de ne pas la légaliser.

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : La plupart des prévenus ne sont pas attaqués sur ce point, mais pour exercice illégal de la profession d'agent sportif. Juridiquement, vous aurez du mal à faire état de l'abus de biens sociaux au motif que le club a rémunéré un agent qualifié.

M. Henri NAYROU : Vous trouvez donc normal que le joueur décide de rompre le contrat au cours de l'opération ?

Mlle Catherine SUEUR : C'est la liberté contractuelle...

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : Sur le plan moral, je ne le trouve pas souhaitable ; mais faut-il pour cela aller jusqu'à nier le principe de la liberté contractuelle ?

M. Henri NAYROU : En fin de compte, tout le monde est gagnant : le club aura son joueur qu'il pourra contenter, le joueur sera content de toucher du net et non du brut et l'agent sera rétribué deux fois... C'est le pays de cocagne !

M. Pierre FRANÇOIS : Notre vœu de transparence n'était pas un appel à la vertu : nous l'avions assorti d'un certain nombre de préconisations, en particulier l'introduction dans les textes de sanctions financières à l'encontre des agents, des joueurs comme des clubs, et un rôle accru de la DNCG (202). Son président se déclare parfaitement capable de contrôler.

M. Henri NAYROU : C'est également le credo de M. Thiriez (203). Connaissant son vécu et son sens de l'équilibre, on comprend pourquoi... Notre mission intervient à un moment où les personnalités du milieu du football eux-mêmes le disent : « il faut que cela s'arrête ». L'affaire de la caisse noire de Saint-Etienne avait calmé les pratiques délictueuses pendant une dizaine d'années, jusqu'à ce que MM. Tapie et Bez remettent le feu dans les transferts. Cela s'était calmé à nouveau ; aujourd'hui, cela repart de nouveau et sur des sommes considérables. Votre raisonnement sera battu en brèche avec les affaires à venir. Quand la valeur d'un joueur est multipliée par cent en deux transferts successifs, avec les mêmes intermédiaires... Les mêmes causes produisent les mêmes effets !

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : Lorsqu'il y a abus caractérisé, il faut sanctionner, et taper fort. Ce sera plus dissuasif qu'une modification de la loi.

M. Henri NAYROU : Vous ne ferez qu'encourager ces pratiques : personne n'aura envie de soulever le moindre lièvre dans cette entente objective entre le club de départ, le club d'accueil, le joueur et l'agent qui joue le rôle du même avocat pour les deux divorcés... S'il n'y avait pas de valises d'argent ni de rétro-commissions, je ne serais gêné qu'au niveau de mon éthique personnelle ! Après tout, si la loi est détournée, pourquoi ne pas l'adapter ? Mais avec ce qui se prépare... Quoi qu'il en soit, la mission proposera !

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : Elle ne pourra proposer qu'une transparence accrue et une responsabilisation de tous les intervenants.

M. Henri NAYROU : On peut toujours rêver...

M. Jean-Philippe de SAINT-MARTIN : Tant que vous n'aurez pas responsabilisé les agents, mais également les dirigeants des clubs en les prévenant qu'ils seront sanctionnés sur le plan sportif comme sur le plan financier s'ils contractent avec des individus exerçant illégalement, ils continueront.

M. Henri NAYROU : Ce serait effectivement de bonne pratique ; malheureusement, l'actualité vient battre en brèche ce raisonnement.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition conjointe de MM. René CHARRIER,
vice-président de l'Union nationale des footballeurs professionnels
et Bernard GARDON,
directeur du service des transferts, membre de l'UNFP

(Extrait du procès-verbal de la séance du 21 novembre 2006)

Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui MM. René Charrier, vice-président de l'Union nationale des footballeurs professionnels et Bernard Gardon, directeur du service des transferts, membre de l'UNFP.

Ayant tous deux été footballeurs professionnels internationaux par le passé, vous figurez parmi les personnes les plus à même d'apporter à la mission parlementaire un éclairage précieux sur le rôle des agents sportifs et les conditions dans lesquelles sont réalisés les transferts de footballeurs.

Je propose qu'après un bref exposé des commentaires généraux que vous inspire ce dossier, nous engagions le débat sur le sujet à partir des questions des membres de la mission.

M. René CHARRIER : On peut considérer, étant donné que peu d'affaires sont à l'instruction, que la Fédération française de football (FFF) fait le nécessaire pour qu'il soit mis un terme aux dérives que nous avons tous constatées. Pour autant, les problèmes subsistent.

Les agents sont la plaque tournante des affaires. Mais ils n'en sont pas toujours les instigateurs. Certains agents font honnêtement leur travail. Ils sont aussi confrontés à un certain nombre de pressions et d'obligations.

Des progrès ont été accomplis. Une commission des agents sportifs a été mise en place au niveau de la fédération. La commission se plaint cependant de ne pas être titulaire du pouvoir disciplinaire, mais la Fédération exerce ce pouvoir en dernier ressort, et les propositions de la commission des agents sont transmises au conseil fédéral.

Une réunion récente a permis de réaliser des avancées en vue de moraliser les transferts. Il est important de progresser en la matière, car les transferts douteux ont donné une image déplorable du football.

M. le Président : La réglementation actuelle vous paraît-elle suffisante en matière de transferts ?

M. Bernard GARDON : Nous sommes soumis à la loi française, en l'occurrence l'article 15-2 de la loi de 1984, ainsi qu'à la réglementation de la FIFA, qu'il s'agisse du règlement des agents de joueurs ou des textes régissant les transferts.

Les transferts sont donc très bien réglementés. Mais le grand problème est celui que posent les différences entre les réglementations des différents pays européens et la loi française, ou plutôt les habitudes françaises.

M. le Président : Quelle est la différence entre les habitudes et la loi ?

M. Bernard GARDON : La loi française est claire : un agent sportif ne peut agir que pour le compte d'une des parties au même contrat, qui lui donne mandat et peut seule le rémunérer. Le règlement des agents de joueurs de la FIFA, dans son article 12, dit exactement la même chose. Le problème est que personne ne respecte la loi, que tout le monde le sait et que, apparemment, tout le monde l'accepte. La cause principale de cette situation est l'absence de contrôles.

Un rapport a été rédigé récemment, dont la conclusion disait en substance : la loi n'est pas respectée parce qu'elle n'arrange personne, donc changeons la loi. Je ne vous cache pas que l'UNFP a été extrêmement surprise d'une telle position, qui revient à dire que si je n'ai pas envie de respecter la limitation de vitesse, il faut supprimer la limitation de vitesse.

Au départ, les pratiques ne respectant pas la loi étaient acceptées parce que l'on partait du principe qu'en France, nous étions en retard, et que nous étions confrontés à un grave problème lié au coût des charges sociales et des impôts. On se disait qu'il était préférable que l'agent soit payé par le club parce que s'il recevait sa commission du joueur, le club allait devoir payer le double de cette commission, en charges sociales patronales et en impôts.

Nous proposons, quant à nous, de faire appliquer la loi, ce qui permettra de dire si elle est fonctionnelle ou pas. Le seul objectif d'une modification de la loi doit être la mise en place d'un cadre permettant d'éviter les malversations, les circulations parallèles d'argent, les rétro-commissions. Car cet argent qui sort du football peut, à terme, sortir de la poche des joueurs, même si l'on peut penser qu'ils sont très bien payés. Certains joueurs de très haut niveau sont très bien payés, entre 100 000 et 200 000 euros mensuels, mais d'autres ne sont pas très bien rémunérés. Le salaire moyen doit tourner autour de 40 000 euros. Les salaires des joueurs de Ligue 1 qui en sont à leur premier contrat professionnel doivent être compris entre 2 500 et 3 000 euros. Et l'on sait que les joueurs ont l'obligation de signer ce type de contrat. Il faut jouer trois ans dans un club français avant de pouvoir partir à l'étranger. Les clubs étrangers ne s'ouvrent d'ailleurs qu'à des joueurs qui ont un certain niveau.

Ceux qui sont à la tête des clubs subissent des pressions, que ce soit de la part des médias ou des supporteurs, et pensent malheureusement qu'ils feront une bonne opération en s'attachant les services de tel joueur, donc en faisant un effort financier supérieur à ce que permet leur budget, ou en échappant aux charges sociales et aux impôts. Voilà la source des dérives. Et si ces pratiques arrangent tout le monde, pourquoi s'en priver ? Il faut donc faire en sorte que ces pratiques n'arrangent pas tout le monde, et que les règles soient strictement respectées. Contrairement à ce que l'on entend souvent, c'est ce que souhaitent beaucoup de gens dans le milieu du football. Certaines personnes se livrent à des pratiques illégales qui leur sont, en fait, imposées.

Nous pensons que la loi est adaptée, et qu'il faut la faire respecter. Bien sûr, il faut tenir compte du contexte international. Mais il est possible d'avancer au niveau européen pour mettre en place un système permettant une égalité entre les clubs des différents pays, par exemple en faisant transiter l'argent des transferts par un organisme du type de la Caisse des dépôts et consignations.

Au niveau français, le problème essentiel est celui des moyens de contrôle. La commission des agents n'a pas de pouvoir disciplinaire. Les contrôles ne sont pas assez stricts, ni les sanctions assez dissuasives.

M. le Président : Les joueurs ont la possibilité de défalquer de leurs rémunérations des frais professionnels qui peuvent correspondre aux émoluments des agents. La question qui se pose est celle du pourcentage de la commission de l'agent par rapport au salaire du joueur. Mais l'opacité règne surtout sur le pourcentage de la commission par rapport au montant du transfert, ce qui, normalement, échappe complètement au joueur.

Le rôle de l'agent est double, sans mauvais jeu de mots. Dans les faits, sa rémunération est payée par le club quitté par le joueur, voire par le club qui accueille le joueur.

M. Bernard GARDON : Vous touchez là un point essentiel.

On sait que les dirigeants ont exercé de fortes pressions pour que les clubs aient la possibilité de rémunérer l'agent, même s'il est mandaté par le joueur. L'UNFP s'y est opposée, pour plusieurs raisons.

La première est que la rémunération de l'agent par le club ne règle pas le problème de l'opacité, au contraire.

Deuxièmement, le risque est que, pour les agents, le marché soit commandé par les clubs et non par les joueurs. Dans ce système, les clubs pourraient se permettre de ne faire travailler que les agents qu'ils veulent bien faire travailler. Le pouvoir qu'ont les clubs d'exercer des pressions sur les agents est un problème. Les règles qui gouvernent le système doivent garantir que les agents défendent bien les intérêts des joueurs.

M. René CHARRIER : Vous avez rappelé, monsieur le président, que les joueurs avaient la possibilité de défalquer de leurs rémunérations des frais professionnels qui peuvent correspondre aux émoluments des agents. Cela peut se faire, en effet. Mais les calculs ont montré que, même dans le régime des frais réels, on peut rarement déduire plus de 10 % du revenu en frais professionnels.

M. le Président : Il suffirait d'ajuster la réglementation sur ce point. C'est moins compliqué que de changer la loi.

M. René CHARRIER : L'UNFP considère que les agents doivent être payés par les joueurs, même si la plupart d'entre eux n'ont pas encore compris l'intérêt qu'ils auraient à payer leurs agents. Il est de fait, comme l'a souligné M. Gardon, qu'un agent ne travaille pas toujours dans l'intérêt du joueur, même quand il est mandaté par lui, parce qu'il a des obligations vis-à-vis des clubs.

Tout en maintenant que les agents doivent être payés par les joueurs, nous pensons qu'il faudrait modifier le régime fiscal de la commission, qui doit pouvoir être intégrée dans la déduction même quand elle excède les 10 %.

M. Jean-Marie GEVEAUX : Le système d'ensemble appelle des modifications et des clarifications. Il ne faudrait pas cependant que la France soit la seule à aller dans le sens de la clarté.

Quel est le statut des agents ? Comment sont-ils agréés, et par quelle instance ?

Je pense aussi qu'il n'est pas sain que des agents soient membres d'un club. Il est préférable que les joueurs rémunèrent l'agent, quitte à ce que des mesures d'accompagnement fiscal soient prises.

S'agissant des transferts, n'est-il pas possible de créer au sein de chaque fédération une commission qui examine la régularité de tous les transferts, comme cela est déjà le cas pour le contrôle de gestion ?

M. Bernard GARDON : Le problème a une dimension nationale et une dimension internationale. Le président de l'UNFP, Philippe Piat, est également président de la FIFpro, le syndicat international des joueurs. Il fait partie du groupe de travail constitué par la FIFA. Des clubs étrangers sont partisans que les joueurs paient les agents, et soulignent qu'ils ne paient eux-mêmes les agents que parce que les autres clubs le font.

Le statut des agents est clair. Pour devenir agent, il faut passer un examen, qui est maintenant organisé par les fédérations nationales, dont l'épreuve consiste en quinze questions posées par la FIFA et cinq questions posées par la fédération du pays concerné. Il s'agit d'un questionnaire à choix multiple avec cinq possibilités par question. Pour être reçu, il faut avoir obtenu 2/3 des points. En France, un questionnaire annexe a été institué, qui porte sur le droit du travail, le droit des contrats, le droit des assurances, le droit fiscal. Il me semble que ce système est assez bien adapté. Précédemment, une commission réunie par la Fédération française recevait le candidat et prenait la décision de l'habiliter au terme d'un entretien. Aujourd'hui, il faut des connaissances juridiques pour réussir l'examen.

Le bon agent est à mon sens celui qui est capable d'aider les joueurs dans la connaissance du milieu du football, dans la capacité à résister au stress, à bien comprendre les implications de son métier, à l'orienter dans ses relations avec la presse. La négociation d'un contrat n'est qu'un aspect du métier, un aspect technique.

Les dirigeants des clubs proposent la création d'un statut de collaborateur. Mais pourquoi créer un tel statut ? Le collaborateur doit être licencié, comme tout le monde. Il ne devrait y avoir sur le marché que des agents licenciés, avec interdiction à qui que ce soit d'autre de travailler.

M. Henri NAYROU : Des agents licenciés ayant réussi l'examen.

M. Bernard GARDON : Oui.

M. Henri NAYROU : Seriez-vous favorable à ce qu'une personne morale puisse détenir une licence ?

M. Bernard GARDON : Non.

M. Henri NAYROU : Dans le football comme dans le rugby, il y a parmi les agents des anciens joueurs, des hommes de terrain, des techniciens du juridique, des techniciens de la négociation qui n'agissent que dans l'intérêt de leur mandant, c'est-à-dire du joueur.

Il a été envisagé d'interdire à une personne morale de détenir une licence d'agent. Seriez-vous favorable à une telle interdiction ?

M. Bernard GARDON : Bien sûr.

S'agissant des incompatibilités, il suffit d'appliquer l'article 15-2 de la loi de 1984.

J'ajoute que la France est l'un des seuls pays à avoir mis en place un organisme tel que la DNCG, de sorte que nous avons des clubs sains. S'agissant des transferts, la DNCG, après l'étude du budget, autorise le club à augmenter sa masse salariale dans telle ou telle proportion. Certains clubs sont interdits de recrutement. Les contrats sont enregistrés auprès de la Ligue et ne sont homologués qu'après avis de la DNCG. Il y a des clubs qui ne peuvent pas signer de nouveaux contrats, payer des transferts sans l'accord de la DNCG.

M. le Président : On ne nous a pas dit cela.

M. Bernard GARDON : Je suis affirmatif.

M. le Président : On nous a dit que la DNCG n'avait pas la capacité d'avoir toutes les pièces en main pour donner son avis, et notamment sur la rémunération du joueur ainsi que sur le transfert.

M. Henri NAYROU : La DNCG ne contrôle que la masse globale du budget.

M. Bernard GARDON : Oui, mais hors budget, il y a des joueurs qui ne peuvent pas être recrutés.

M. le Président : Nous sommes bien d'accord sur ce point. Mais lorsqu'un contrat est transmis à la Ligue, le dossier inclut-il la rémunération du joueur, la rémunération de l'agent, le montant du transfert, et éventuellement la rémunération d'un intermédiaire ? À cette question précise, il nous a été répondu que la transmission de ces informations n'était pas une obligation.

M. René CHARRIER : En effet, il n'est pas obligatoire de transmettre à la Ligue le montant de la commission ni le mandat de l'agent.

M. le Président : Comment la DNCG peut-elle se prononcer sur la réalité d'un contrat alors qu'elle n'en connaît pas toutes les données ?

M. Bernard GARDON : La DNCG n'a pas accès à la rémunération des agents parce que, bien souvent, celle-ci est inscrite en « frais généraux ». Les membres de la DNCG ne peuvent pas aller plus loin s'ils n'ont pas les pièces.

Au demeurant, j'ai beaucoup de mal à comprendre en quoi il est nécessaire que les clubs rémunèrent des agents pour vendre ou acheter des joueurs. Les clubs ont à leur disposition des managers généraux, des services financiers, des directeurs sportifs, des recruteurs. Non seulement l'agent ne devrait pas être rémunéré par le club, mais à vrai dire, il ne devrait même pas exister. Le club a les salariés qu'il faut. Un seul agent doit exister : celui du joueur, payé par le joueur. Cela réglerait déjà beaucoup de problèmes.

M. René CHARRIER : Les clubs devraient communiquer à la Ligue, en début de saison, la liste des personnes habilitées à intervenir sur le marché des transferts.

Par ailleurs, l'idée de centraliser les transferts, par exemple par la Ligue, est sans doute une bonne idée. Cela permettrait d'identifier complètement les agents et leurs rémunérations, dans l'hypothèse où ce sont les clubs qui les rémunéreraient. Pour les transferts entre les clubs français, la centralisation des versements pourrait être organisée facilement. Mais ce n'est pas à ce niveau que l'on observe le plus souvent des détournements, mais lors de transfert internationaux. Au niveau international, il faudrait que la circulation des flux financiers soit centralisée soit par les confédérations, soit au niveau de la FIFA, mais cela représenterait alors une charge de travail importante. Ce système permettrait également d'identifier toutes les commissions versées aux agents, dans l'hypothèse où le versement des commissions par les clubs serait autorisé par la loi.

M. Henri NAYROU : Comme vous l'avez dit, la législation est très claire, mais la faire appliquer n'arrange personne. Cela se traduit par une formule : la pratique est illégale, légalisons la pratique. Je m'étonne comme vous que des inspecteurs généraux auteur d'un rapport aient pu nous dire, lors d'une audition précédente, qu'il était parfaitement logique que ce soit les clubs qui rémunèrent les agents. Je m'étonne aussi que le président de la Ligue partage ce point de vue. Il est également étonnant que deux de nos collègues aient également déposé une proposition de loi allant dans le même sens.

Il manque des contrôles à tous les niveaux, notamment en ce qui concerne les mouvements d'argent, au départ et à l'arrivée. J'avais proposé une centralisation des mouvements par un organisme du type de la Caisse des dépôts. Pensez-vous qu'il serait opportun et efficace de déposer à la Ligue une liste officielle des mandats entre joueurs et agents ?

M. Bernard GARDON : Le règlement de la FIFA fait cette obligation. Un contrat de mandat doit être signé en quatre exemplaires : un pour l'agent du joueur, un pour le joueur, un pour la fédération dont l'agent est licencié, un pour la fédération dans laquelle joue le joueur.

Mais de moins en moins de contrats d'agents sont déposés. Nous sommes favorables à ce que l'on crée une obligation légale de dépôts de tous les contrats de mandats auprès de la Fédération. On a même vu des cas incroyables : un contrat entre un agent et un joueur, enregistré auprès de la Fédération, est rompu le 31 juillet ; le même agent reçoit d'un club un mandat le 1er août ; le 2 août, le joueur signe dans ce club.

C'est pourquoi je considère qu'il ne devrait pas y avoir d'agent de club. Ou alors, il faudrait prévoir des conditions, par exemple que l'agent ne puisse être intermédiaire que s'il est agent depuis plus de six mois. Mais c'est là une manière de complexifier inutilement le système.

Les contrôles nécessaires n'ont pas été mis en place. Mais c'est le passé. La question est de savoir comment être suffisamment dissuasif pour éviter les dérives.

Nous sommes attaqués par les clubs et les agents, qui s'adressent aux joueurs pour leur dire que nous voulons leur faire payer les agents, et donc leur faire perdre de l'argent. En vérité, nous voulons faire respecter la loi telle qu'elle existe. Les joueurs mettent leur syndicat en difficulté quand ils ne respectent pas la loi. On a vu écrit dans le même mandat, que nous avons fait casser, que la rémunération est faite par le joueur mais que l'agent s'engage à être rémunéré par le club.

Aujourd'hui, les joueurs ne comprennent pas pourquoi ils rémunéreraient les agents, alors qu'ils n'ont jamais été sanctionnés pour ne pas les avoir rémunérés.

M. René CHARRIER : Dans les faits, très peu de contrats sont déposés. D'une part, il est de l'intérêt des agents de dire aux joueurs qu'ils n'auront rien à payer, que la prestation sera rémunérée par le club. D'autre part, si un contrat était déposé, l'agent ne pourrait plus se faire payer par le club. Voilà pourquoi beaucoup d'agents préfèrent ne pas avoir de contrat avec le joueur, quitte à prendre le risque que celui-ci noue des contacts avec un autre agent.

L'idéal serait de pouvoir disposer d'une liste indiquant clairement qui travaille pour qui. Mais le fonctionnement du système étant ce qu'il est, je ne vois pas comment on pourrait y parvenir aujourd'hui.

M. Henri NAYROU : De même qu'un prévenu annonce qu'il sera défendu par tel avocat, un joueur pourrait annoncer que ses intérêts sont défendus par tel agent. Une liste pourrait être déposée, avec interdiction de changer d'agent au dernier moment. Car il faut éviter que l'agent ait officieusement un mandat du joueur, et officiellement un mandat du club, signé peu de temps avant le transfert.

M. le Président : Dans la pratique, lorsqu'un club a besoin d'un joueur, il est obligé de le faire savoir. Et l'on sait très bien qui représente le joueur. Au tout début des discussions, il se noue un dialogue direct entre le club et l'agent du joueur, sans que le joueur soit forcément au courant. La règle n'est pas de contacter directement le joueur. En général, cela ne se fait pas.

M. Henri NAYROU : Mais M. Gardon a fort bien dit qu'un club disposait de tous les moyens humains nécessaires pour se charger du recrutement.

M. le Président : Il n'en reste pas moins que la règle, en particulier s'agissant d'un joueur réputé ou d'un joueur étranger est de passer par l'agent du joueur. D'ailleurs, un joueur répondra rarement à la sollicitation directe d'un dirigeant.

M. Henri NAYROU : Les clubs de rugby ont des recruteurs qui s'adressent aux joueurs sans passer par l'agent de celui-ci. Cela pénalise d'ailleurs l'agent, qui a reçu un mandat de son joueur pour défendre ses intérêts et pour lui trouver un club.

M. le Président : Le rugby n'est professionnel que depuis peu. Dans la pratique, les présidents de clubs ne tarderont pas à s'apercevoir qu'il faut changer de méthode.

Une discussion peut donc s'engager entre le club et l'agent du joueur sans que ce dernier soit informé. Comment peut-on faire pour régler ce problème ?

M. Bernard GARDON : Le règlement de la FIFA comporte une clause de stabilité qui a été clarifiée dans la version de 2005. Des agents ont été suspendus pour avoir fait en sorte que des joueurs quittent leur club. De plus, il prévoit que le club désireux de s'attacher les services d'un joueur doit d'abord en informer, simultanément, le joueur et le club dans lequel il joue.

Dans le milieu du football, les informations circulent. Il n'y a aucune difficulté à connaître la teneur d'un contrat, un numéro de téléphone. Les responsables d'un club n'ont nullement besoin d'un agent.

M. le Président : Quand il s'agit d'un joueur étranger, ce n'est pas si simple que cela de trouver le bon intermédiaire pour connaître la durée du contrat auquel ce joueur est soumis.

M. Bernard GARDON : Si l'on respecte la règle, il n'y a aucun problème. Si vous désirez vous attacher les services d'un joueur évoluant actuellement à Arsenal, vous contactez les responsables de ce club. S'ils ont un intérêt au transfert, ils vous indiquent sur quelles bases un accord peut être trouvé, puis ils vous autorisent à négocier avec le joueur. Si vous ne connaissez pas le nom de son agent, ils vous l'indiquent.

Les problèmes surviennent quand on essaie de contourner la règle en négociant par la bande. Le joueur est déstabilisé et met la pression sur le club pour pouvoir partir. C'est dans ces situations que l'on voit apparaître des commissions occultes, destinées à assurer le succès de l'opération.

M. le Président : Dans des ligues moins bien organisées, les choses sont plus compliquées. S'agissant d'un club sud-américain, grec ou turc, vous n'avez pas nécessairement d'interlocuteur identifié. Dans ce cas, vous vous adresserez à l'agent du joueur, lequel passe d'ailleurs souvent par le relais d'un agent installé en France.

M. Bernard GARDON : On en revient à la dimension internationale du problème. On pourrait fort bien exiger des clubs de transmettre aux fédérations, en début de saison, la liste de leurs joueurs mais aussi celle de leurs agents.

M. Henri NAYROU : Les contrats de très longue durée permettent de geler la valeur marchande des joueurs. Les ruptures de contrat se multiplient, auxquelles tout le monde a intérêt, aussi bien les joueurs que les clubs et les agents. Qu'en pensez-vous ?

M. Bernard GARDON : Nous avons toujours dit que le marché des transferts était inflationniste. Et tout le monde continue à l'accepter. Un joueur qui signe pour deux ou trois ans est libre au terme de son contrat. Des clubs préfèrent payer 200 ou 300 millions d'euros pour le transfert des joueurs et payer des salaires très forts.

Aujourd'hui, le premier contrat professionnel d'un joueur ne peut excéder trois ans, et ne peut être renégocié avant un an. Si le joueur est de grande valeur, le club renégocie le contrat au bout de la première année pour le porter à cinq ans, et il double ou triple le salaire. Par ce mécanisme, le club cherche à se donner une marge de quatre ans pour négocier au mieux un transfert. Le club dispose de plus de temps pour organiser le transfert, même si un a deux ans avant la fin du contrat, le joueur reprend l'avantage face au club. Si le joueur refuse d'être transféré avant la fin de son contrat, le club perd une rentrée pécuniaire importante. Le renouvellement anticipé du contrat avec multiplication par 2 ou 3 du salaire fait donc couvrir de gros risques financiers au club. La plus-value est peut-être prévisible, mais elle reste hypothétique, alors que le salaire élevé du joueur, lui, est déjà une charge comptable.

Lors du renouvellement anticipé du contrat, l'agent touche une commission. On peut se demander si elle correspond véritablement à un travail.

M. le Président : C'est un vrai problème. Qui paie l'agent ? À un moment donné, l'agent n'est plus en lien direct avec le joueur, puisque celui-ci est censé ne pas toucher de rémunération sur le transfert. Pourquoi touche-t-il une commission lors d'un transfert qui est une pure négociation entre deux clubs ? Faut-il rémunérer l'agent du joueur, un autre agent, ou aucun agent ? Si l'agent du joueur est le même que celui qui touche une commission lors du transfert, comment éviter le mélange des genres ?

M. Bernard GARDON : Pour éviter le mélange des genres, il ne devrait pas y avoir d'agent de club.

M. le Président : Je parle ici de l'agent du joueur.

M. Bernard GARDON : Normalement, la rémunération de l'agent de joueur est basée sur le salaire de base acquis du joueur, c'est-à-dire son salaire mensuel ainsi que l'éventuelle prime à la signature. Si un agent touche une commission à l'occasion du transfert, c'est un agent de club.

M. le Président : Vous considérez donc que le transfert d'un club à un autre ne doit pas être négocié par un agent ?

M. Bernard GARDON : Les structures des clubs suffisent amplement à la négociation d'un transfert. Je ne vois pas ce que l'agent du joueur vient faire là-dedans.

M. le Président : Le fait est que, dans la pratique, une part de la rémunération du joueur est incluse de façon masquée dans le transfert.

M. Bernard GARDON : Si l'agent de joueur était payé par son joueur, cela mettrait fin à ce type de pratique. Comme le dit Philippe Piat, on ne verra jamais un joueur qui gagne 15 000 euros par mois donner un million d'euros de commission à un agent.

Les commissions des agents tournent autour de 7 ou 8 %. Si un club verse une commission de 10 %, on peut subodorer que, d'une façon ou d'une autre, une partie de l'argent versé à l'agent finit en d'autres mains. Quand le joueur paiera son agent, il négociera lui-même le montant de la commission.

M. Henri NAYROU : Que pensez-vous de l'éventualité de limiter le nombre de transferts autorisés dans une carrière ? Et quel est votre avis sur le mercato ?

M. Bernard GARDON : On ne peut pas avoir recours à une limitation du nombre de transferts. Certains joueurs changeront souvent de clubs, d'autres très peu. Je ne pense pas que la loi, surtout après l'arrêt Bosman, puisse intervenir dans ce qui relève finalement des relations entre des salariés et des employeurs.

Pour ce qui est du mercato, nous pensons qu'il est bon qu'une deuxième fenêtre ait été créée pour les transferts hivernaux. Peut-être est-elle trop utilisée.

M. René CHARRIER : Au départ, le mercato était destiné à procéder à des ajustements, par exemple quand un joueur jouait peu dans son club et souhaitait en changer. Aujourd'hui, c'est devenu un second marché des transferts, qui peut donner lieu, dans un club, au remplacement de sept ou huit joueurs.

M. Bernard GARDON : La FIFA a modifié le règlement : il ne peut aujourd'hui y avoir que deux enregistrements par saison pour un joueur.

M. Henri NAYROU : C'est bien une limitation.

M. Bernard GARDON : Oui. Nous sommes favorables à la limitation du mercato, qui est d'ailleurs souvent utilisé par les clubs comme un moyen de pression sur certains joueurs, pour les obliger à prolonger leur contrat ou pour les faire partir par la petite porte, en recrutant un joueur susceptible de jouer à leur poste. Ce sont des procédés déloyaux vis-à-vis des joueurs.

M. René CHARRIER : C'est dans cette période que l'on déstabilise les clubs.

M. le Président : Cela pose aussi un problème de lisibilité pour le public, qui éprouve du mal à comprendre qu'un joueur passe d'un club à un autre dans la même saison.

M. René CHARRIER : Tout à fait. Pour toutes ces raisons, nous sommes favorables à ce que le mercato redevienne ce qu'il était à l'origine, c'est-à-dire un moyen de procéder à des ajustements.

M. Bernard GARDON : Je souhaiterais souligner que la Fédération et la commission des agents n'ont pas suffisamment de pouvoirs de contrôle. Les agents n'étant pas obligés de déposer leurs contrats, il est très difficile pour la Fédération et pour la commission des agents de vérifier que tous ceux qui interviennent dans les transferts étaient effectivement mandatés.

M. le Président : Est-ce que la commission a la volonté d'exercer ce pouvoir ?

M. Bernard GARDON : Si la Fédération n'en a pas la volonté, il faut l'inciter à l'avoir. Elle a reçu tout de même une délégation de mission de service public.

Au demeurant, la question se pose de savoir qui doit contrôler. C'est la Fédération qui délivre la licence d'agent sportif, mais c'est la Ligue qui gère les contrats. Il me semble pourtant que la Fédération a l'obligation de mettre en place les outils de contrôle. Peut-être faudrait-il que la loi soit plus claire sur ce point.

Il est également important de mettre un terme au laisser-aller. Et beaucoup d'acteurs, y compris parmi les agents, appellent de leurs vœux un système plus contrôlé.

M. Henri NAYROU : La majorité des personnes sérieuses disent, à voix haute ou à voix basse, qu'il faut qu'un certain système occulte cesse. C'est le but de la commission d'enquête proposée par Gaëtan Gorce.

M. Jean-Marie GEVEAUX : Je ne sais pas s'il faut systématiquement légiférer. Mais des solutions peuvent être imposées à travers les conventions passées par le ministère.

M. le Président : On peut donc résumer ainsi vos propositions : rémunération de l'agent par le joueur ; pas d'intermédiaire entre deux clubs dans le cadre d'un transfert ; pas de numerus clausus pour les agents ; obligation pour les collaborateurs d'agent d'être titulaire d'une licence d'agent sportif ; pas d'agent personne morale ; centralisation des transferts.

M. Jean-Marie GEVEAUX : Et dépôt des contrats.

M. le Président : Oui, mais je n'imaginais pas que la Ligue de football professionnel n'ait pas l'obligation d'avoir toutes les pièces en main avant de délivrer une licence. Nous poserons la question à M. le président Thiriez.

M. René CHARRIER : Le joueur n'est pas tenu d'avoir un agent. Il contacte un club sans avoir déclaré d'agent, lequel peut être rémunéré par le club.

M. le Président : Tout se sait dans le milieu du football. Je ne conçois pas que les membres du conseil d'administration de la Ligue puissent ignorer des éléments aussi importants.

Il me paraît invraisemblable que la Ligue n'ait pas toutes les pièces du dossier. Le club qui recrute doit faire la démonstration qu'il peut, économiquement, recruter un joueur. Et la Ligue ne peut en juger que si elle dispose de toutes les pièces.

M. Bernard GARDON : C'est pourquoi il est important qu'il n'y ait pas d'agent de club. Quand on verra qu'un joueur qui n'a pas d'agent a été transféré et que le club a rémunéré une personne, on pourra en déduire qu'un contrat n'a pas été déposé.

M. le Président : Quant au fait que la rémunération de l'agent passe en frais généraux, il suffit pour le contrôler de demander le détail des comptes.

M. Henri NAYROU : Il n'est pas interdit qu'une personne soit prestataire de services auprès d'un club, en étant chasseur de têtes par exemple.

M. Bernard GARDON : C'est possible. Mais alors, il faudrait que cette personne ait un mandat, et un mandat qui ne date pas de la veille du jour où le transfert est signé. Et cette personne n'a pas à négocier le salaire du joueur.

M. Henri NAYROU : Tout à fait. On peut être chasseur de tête, à condition de ne pas être lié à un joueur.

Et je ne parle pas de ceux qui exercent des fonctions importantes dans un club et qui sont en même temps agent de joueurs.

M. Bernard GARDON : C'est pourquoi, encore une fois, la rémunération des agents par les joueurs simplifierait énormément les choses.

M. Henri NAYROU : Il faudrait que les joueurs comprennent qu'ils y seraient gagnants, au bout du compte.

M. Bernard GARDON : Ils seraient gagnants, en effet, si l'on veille à mettre en place les mesures d'accompagnement nécessaires sur le plan fiscal.

M. le Président : Messieurs, je vous remercie de votre contribution aux travaux de notre mission d'information.

Audition conjointe de MM. François Raud,
directeur de la société Bridge Asset International,
Jean-Christophe Lapouble,
maître de conférences à l'université Victor Segalen Bordeaux 2,
et Jean-Marc Pélissier, ancien directeur administratif et financier des clubs de Troyes et de Sedan


(Extrait du procès-verbal de la séance du 21 novembre 2006)

Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui MM. François Raud, directeur de la société Bridge Asset International, Jean-Christophe Lapouble, maître de conférences à l'université Victor Segalen Bordeaux 2, et Jean-Marc Pélissier, ancien directeur administratif et financier des clubs de Troyes et de Sedan.

Nous souhaitons entendre aujourd'hui votre point de vue sur le rôle de l'agent sportif et l'accès à la profession. Nous aborderons la question de la transparence des flux financiers, celle des contrôles et des sanctions, et enfin, celle de savoir s'il est possible de confier des prérogatives de contrôles de flux financiers à un organisme privé.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Je précise que je suis aussi avocat.

La question de la qualification des agents s'est posée à la suite de la loi de 1992 modifiant la loi de 1984. Auparavant, l'accès à la profession d'agent n'était nullement réglementé. Le mot le plus couramment employé était d'ailleurs celui d' « intermédiaire ». L'État recueillait de simples déclarations. Un rapport du Sénat, lors de la préparation de cette loi, notait que 40 % des agents n'étaient pas « dans les clous ».

Aujourd'hui, il faut passer un examen pour être agent. En fait, il arrive fréquemment que de brillants étudiants réussissent cet examen, reçoivent la qualification d'agents, et ne négocient qu'un seul contrat en trois ans. Visiblement, le fait d'avoir passé un examen ne suffit pas pour exercer effectivement cette profession. Le contact se fait ailleurs. De pseudo-agents s'adressent à ceux qui ont la licence pour couvrir un certain nombre de choses.

Chaque fédération est maîtresse de la qualification de ses agents, la caractéristique du football étant que la fédération doit également respecter la réglementation internationale. La question qui se pose est celle de savoir si les fédérations sont suffisamment indépendantes pour résister à certaines pressions. On a peut-être confié aux fédérations une compétence qu'elles ont du mal à assumer. Car en définitive, une fois que l'agent est installé, quelles sanctions peuvent-elles infliger en cas de manquement ? Elles ne disposent guère que de l'« arme atomique » : l'interdiction. Or, l'interdiction ne sanctionne pas l'incompétence de l'agent, le fait qu'il aurait ignoré l'existence de tel ou tel texte. La sanction - quand elle est prononcée, et elle ne l'est pas toujours - sanctionne en fait les malversations. Et ce n'est pas le fait de faire subir aux futurs agents une épreuve de droit du travail qui évitera des dérapages.

M. le Président : Le fait d'être obligé de demander une validation de formation à un agent implique déjà une étude de moralité, malgré tout.

M. François RAUD : La Fédération française de football ne procède à aucune étude de moralité à l'occasion des examens d'agent. Il suffit, pour s'en convaincre, de constater que certaines personnes peu recommandables, proches du grand banditisme, exercent la profession d'agent.

Je précise que le fameux décret d'équivalence a été examiné par deux fois par le Conseil d'État, avec avis défavorable. Il est très rare qu'un ministère passe en force malgré deux avis défavorables du Conseil d'État. Votre collègue Thierry Mariani a posé sur ce point une question écrite au ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative (204). Il a reçu une réponse que l'on peut qualifier de discourtoise. La question méritait pourtant d'être posée : pourquoi certaines personnes ont-elles absolument tenu à ce que ce décret valide la licence des agents historiques, les agents dits FIFA, ceux qui déposaient une caution bancaire ? Comme par hasard, ce sont tous ceux que l'on retrouve dans les journaux.

La nouvelle génération d'agents a un défaut : elle ne connaît pas le milieu du football. Mais ce n'est peut-être pas un défaut. Ils sont diplômés. Ils sont « propres », ce que l'on peut déduire du fait que la plupart d'entre eux ne travaillent pas. Le problème ne vient pas des nouveaux agents mais de ceux qui sont en place et qui verrouillent des clubs.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Je ne crois pas que l'on changera grand-chose en durcissant à l'infini les conditions d'accès à la profession d'agent sportif, et notamment celles relatives à la qualification. Il faut certes un minimum de compétences juridiques, mais le problème de fond n'est pas là.

M. François RAUD : Deux examens par an, cela fait beaucoup.

M. Henri NAYROU : Nous sommes partis des conséquences pour remonter aux causes. Nous devons déboucher sur des solutions. Quelles sont celles que vous proposez ? Le pouvoir législatif peut-il intervenir, et si non, peut-il inciter le pouvoir sportif à agir efficacement ?

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Je pense que l'on peut faire un parallèle avec le dopage. Pourquoi a-t-on créé le Conseil de prévention et de lutte contre le dopage, devenu l'Agence française de lutte contre le dopage ? Parce que certaines fédérations se révélaient incapables de traiter efficacement des cas de dopage. S'agissant des agents, la logique est la même. L'État a tenté, en vain, de mettre fin aux dérives. Les fédérations n'y parviennent pas. Cela s'explique par le fait que les conflits d'intérêts sont énormes. Imaginons que le capitaine de l'équipe de France ait un agent véreux. Va-t-on prendre une sanction contre cet agent, en prenant le risque que le joueur en question refuse de jouer, en prétextant la maladie ou autre chose ? On voit bien que les fédérations sont dans une position intenable. Elles sont prises entre les joueurs - et les meilleurs, qui jouent en équipe de France, ont parfois leurs caprices - et des agents qui sont très liés à ces joueurs. Je ne crois pas que les fédérations soient les mieux placées.

Devant l'échec de l'État, devant l'échec des fédérations, il faut donc recourir à un acteur extérieur. Voilà pourquoi le système de la certification est proposé. Il s'agit de dire aux agents qu'ils doivent être certifiés, et qu'il leur appartient de payer eux-mêmes le système délivrant le label de qualité auxquels ils aspirent. Par ailleurs, il n'y a pas de raison d'instaurer un monopole de la certification. Il n'y a pas un seul bureau de certification pour les navires. Pourquoi y en aurait-il un seul pour les agents ? Les agents devraient choisir un organe de certification - lui-même accrédité par le COFRAC (205) - qui attestera ou non qu'il fait bien son travail. Bien sûr, la fédération garderait un pouvoir, celui d'infliger des sanctions.

Cela permettra aussi aux fédérations d'éviter d'avoir à remplir un double rôle : procéder aux contrôles et prononcer les sanctions.

M. François RAUD : M. Pélissier a été directeur administratif et financier des clubs de Troyes et de Sedan. Peut-être serait-il bon qu'il vous fasse part de son expérience.

M. Jean-Marc PÉLISSIER : Ayant exercé cette fonction durant quinze ans, j'ai pu mesurer l'évolution qu'ont connue les clubs professionnels, notamment après l'arrivée de cette manne financière extraordinaire qui est à l'origine des dérives que vous savez.

La Fédération et la Ligue de football professionnel ont tenté de mettre en place des paravents pour contrôler les agents, mais elles ont vite été dépassées. Le rôle d'un directeur administratif et financier était de faire appliquer la réglementation. Malheureusement, nous nous sommes vite aperçus que les agents auxquels nous avions affaire n'étaient pas ceux qui avaient passé leur examen et déposé à la Fédération leur contrat de médiation avec les joueurs ou les clubs. Ils n'avaient pas de licence, mais nous étions obligés de travailler avec eux, de les rémunérer, alors que nous n'en avions pas le droit. Toutes les instances du football - la Fédération, la Ligue et les clubs - ont été dépassées par cet afflux massif de personnes douteuses attirées par l'argent. Je l'ai subi moi-même et cela a été pour moi un crève-cœur. Il s'est produit un décalage entre ce que nous voulions mettre en place et la réalité des clubs.

M. Henri NAYROU : C'est un système mafieux.

M. Jean-Marc PÉLISSIER : On peut appeler cela ainsi. Cette manne d'argent attirait autour des clubs des gens peu scrupuleux.

M. François RAUD : On mesure aujourd'hui l'emprise de certaines personnes et de certains capitaux sur les clubs de football. À partir du moment où il n'y a pas de contrôle, le système attire inévitablement des gens qui, soit achètent des clubs, soit deviennent propriétaires de joueurs par l'intermédiaire de fonds d'investissement. Tel club anglais très connu n'est pas le seul à être entre les mains de personnes peu fréquentables. Tout secteur qui n'est pas contrôlé attire des organisations criminelles.

M. le Président : Pourquoi dites-vous qu'il n'y a pas de contrôle ?

M. François RAUD : Vous voulez parler de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) ? Elle n'empêche pas les dérives.

M. le Président : Je veux parler du droit normal des sociétés.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Le problème est que très peu de ces sociétés, les clubs de Ligue 1 et de Ligue 2, sont bénéficiaires. Le système est tel que le droit commun des sociétés ne s'applique pas. C'est d'abord le système sportif qui est appliqué. Si la DNCG ne signale pas de problème, on ne va pas aller chercher plus loin.

M. le Président : Il est possible de procéder à des contrôles fiscaux et sociaux.

M. François RAUD : Pour contrôler efficacement, il faut connaître le football. Vous pourrez toujours envoyer les inspecteurs du fisc dans un club, s'ils ne savent pas où chercher, ils ne trouveront rien.

M. le Président : Le système de rémunérations occultes, c'est bien le droit commun qui l'a découvert, et qui le sanctionne.

M. François RAUD : Oui. L'idée de la DNCG est très bonne. Mais il faut une véritable DNCG, qui ne soit pas à la solde des clubs et qui contrôle tous les clubs. Car à l'heure actuelle, certains clubs ne sont jamais contrôlés. La DNCG ne fait pas son travail.

M. Henri NAYROU : Sous l'impulsion de Noël Le Graët, elle a assaini le système au niveau des budgets. Elle évite la fuite en avant en contrôlant les masses salariales, du point de vue de la gestion. Mais elle n'a aucun pouvoir et aucune envie de s'immiscer dans des problèmes de transfert. On peut penser qu'elle devrait garantir la sincérité des comptes et émettre un avis sur l'opportunité de recruter tel joueur. Mais en a-t-elle le pouvoir ?

Compte tenu de la gravité des faits, n'est-ce pas une instance supérieure qui peut exercer un contrôle, à savoir la Ligue, la Fédération, ou la loi ?

Qui peut contrôler les flux financiers, y compris les transactions avec l'étranger ?

Les transferts peuvent-ils être enregistrés par acte notarié, avec dépôt de garantie à la Caisse des dépôts ?

Une autre solution peut-elle consister à créer une caisse des dépôts comparable à la Caisse des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) ?

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Une étude a été faite sur cette question par la société Bridge Asset International. L'une des solutions qu'elle envisage est en effet la dernière que vous avez mentionnée : déposer les fonds sur un compte ouvert au nom d'une caisse des dépôts, afin d'éviter des disparitions subites.

Le contrôle peut-il être effectué directement par la Ligue ou la Fédération ? Cette question pose un problème majeur. Quand des clubs sont en mauvaise financière, pensez-vous qu'une fédération, celle de football ou d'un autre sport, aura le courage d'amputer son championnat de quatre ou cinq clubs ? Non. Le problème est là. Quand on sait que les clubs sont malades, on peut peut-être évacuer les deux plus malades, mais on ne pourra pas aller jusqu'au bout.

M. Henri NAYROU : Je vous trouve un peu sévère. Qui aurait pu penser il y a une vingtaine d'années que l'Olympique de Marseille (OM) aurait été rétrogradé, et que la Ligue nationale de rugby aurait refusé l'engagement du club de Grenoble en Pro D2 et l'aurait rétrogradé en Fédérale 1 pour la saison 2005-2006 ?

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : En rugby, une affaire est pendante devant la cour administrative d'appel de Bordeaux. Il semblerait que la DNACG (206) ait été indulgente avec le club litigieux compte tenu de son caractère historique.

M. le Président : La question n'est pas ici celle la mauvaise gestion des clubs, mais celle de pratiques frauduleuses qui enrichissent la plupart du temps des personnes extérieures à ces clubs, et qui d'ailleurs handicapent ceux-ci. La fédération a tout intérêt à ce que les acteurs de son championnat soient aussi propres que possible.

M. Henri NAYROU : Quelle instance devrait-elle selon vous être chargée du contrôle ? La Ligue ? La DNCG ? Faut-il procéder par actes notariés ? Faut-il une caisse des dépôts ?

M. François RAUD : Je suis intimement convaincu que, dans le monde du football, tout contrôle interne sera soumis à de tels conflits d'intérêts que la confiance ne sera pas possible.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : L'acte notarié présente un réel intérêt en ce qui concerne les contrats avec des joueurs mineurs. Quand je vois que des mineurs de 16 ou 17 ans ont déjà un agent, je suis émerveillé par la bonté des agents. La loi prévoit qu'ils ne doivent pas être rémunérés, et pourtant ils ont un agent. Or, l'article 389-5 du code civil dispose que les parents, même d'un commun accord, ne peuvent renoncer pour leur enfant à un droit sans l'accord du juge des tutelles. Par conséquent, soit un contrat a été signé, qui n'est pas valable, soit l'agent s'intéresse à un mineur de 15 ans parce qu'il est d'une extrême bonté.

Car c'est aussi un aspect du problème. Si les agents veulent gagner de l'argent, ils doivent entrer très tôt en contact avec les joueurs. Si tout se passe bien, tout le monde est content. Mais tout ne se passe pas toujours bien. Par exemple, on fait venir un petit Africain, on le « stocke », non pas dans un centre de formation mais dans un petit club ami avec lequel on a passé des accords plus ou moins écrits. S'il s'avère un bon joueur, on l'inscrira dans un vrai club de formation. S'il n'est pas bon, on le laisse tomber.

L'acte notarié renforcerait les garanties des mineurs. Actuellement, on n'a pas le droit de gagner de l'argent en pratiquant une activité d'agent sportif au service d'un mineur. Mais quelle est la sanction ? Il n'y en a pas.

M. le Président : Mais il est aussi du rôle d'un club de recruter des jeunes pour les inscrire dans son centre de formation, dans le but qu'ils deviennent de bons joueurs et renforcent l'équipe. L'argent n'est pas forcément ce qui motive les clubs. Il est évident qu'il y a plus d'échecs que de réussites, mais cela ne veut pas dire qu'on laisse le jeune qui échoue sur le bord de la route. Même s'il est mineur, il a pris ses responsabilités, avec ses parents, en s'inscrivant dans un centre de formation. Et cela ne concerne pas que les jeunes Africains.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : J'aimerais que le schéma soit aussi idéal que vous le décrivez, c'est-à-dire que les parents inscrivent leur enfant en toute connaissance de cause. Par ailleurs, c'est la protection du mineur qui m'intéresse, plus que le fait que certains agents gagnent de l'argent.

M. le Président : Je rappelle l'objet de notre mission d'information. Nous tentons d'analyser les faits avérés de fraude. La question est de savoir si la loi peut remédier aux dérives.

M. François RAUD : Si vous faisiez venir un enfant d'Afrique pour faire un essai, je pense que vous donneriez pour consigne à votre club de le ramener chez lui dans l'hypothèse où il échouerait.

M. le Président : Cela arrive tous les jours.

M. François RAUD : En France, des centaines d'enfants sont abandonnés dans la rue, à l'état de SDF.

M. le Président : Aujourd'hui, les choses sont plus compliquées. En matière d'immigration, il faut passer par l'Office des migrations internationales (OMI). La Ligue professionnelle de basket-ball exige le document authentique d'immigration pour valider la licence du joueur.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Si nous nous intéressons aux mineurs, c'est parce que les agents les recrutent. Si vous souhaitez réguler le système, il faut envisager la régulation dès les premiers contrats.

M. François RAUD : Dans des clubs amateurs dits formateurs, qui ont des équipes fanions en division d'honneur, il y a des poussins, des enfants entre 8 et 10 ans, qui reçoivent des courriers leur annonçant qu'ils n'ont pas le niveau suffisant pour rester dans le club.

M. le Président : Nous n'allons pas régler ce problème dans le cadre de cette mission. Nous savons qu'il y a des excès partout, et parfois de la part des parents eux-mêmes. Nous sommes ici pour analyser le rôle des agents sportifs, même s'il est vrai que le problème des mineurs se pose. Dans toutes les disciplines, à partir de 14 ans, il y a des mineurs qui sont identifiés comme joueurs potentiels, et pour lesquels le pourcentage d'échecs est largement supérieur à 50 %. Ceux qui échouent sont dans une situation tout à fait comparable aux enfants en échec scolaire. Il faut faire en sorte qu'ils rentrent dans un système « normal », et protéger les autres.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Il faut souligner que ces professionnels en puissance sont souvent des enfants déjà en échec scolaire. S'ils ne réussissent pas dans le sport, ils se retrouvent dans une situation de double échec.

Le contrat notarié peut être une piste pour les mineurs. Il est important de contrôler le système dès le premier contact que le jeune joueur établit avec l'agent. Il y a des phénomènes psychologiques de dépendance entre le jeune et son agent, qui ont été entretenus dès le plus jeune âge. Pour un mineur de 16 ans ou 17 ans, l'agent est un gourou. Une fois que cette relation est installée, il ne dispose pas de la distance suffisante pour prendre la décision de changer d'agent.

M. le Président : On en vient ainsi à remettre en cause la notion même d'agent. Si ce n'est un agent qui s'occupe du jeune joueur, qui pourrait le faire ?

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Voici ce que disait Laurent Davenas, dans un colloque qui s'est tenu en 2002, à propos d'une affaire que la Commission d'appel et d'éthique avait dû traiter et qui avait défrayé la chronique : « L'enquête a découvert qu'un agent censé défendre les intérêts d'un joueur africain protégeait en réalité les intérêts d'un club de la première division française, club avec lequel le joueur en cause était en conflit. Cette affaire prouve que la dualité des fonctions d'agent crée une ambiguïté qui n'est pas raisonnable : soit l'agent défend les joueurs, soit il défend le club, mais pas les deux à la fois. Je pense d'ailleurs que les joueurs auraient peut-être intérêt à prendre des avocats et laisser les agents aux clubs. La situation actuelle est difficilement compréhensible. »

Il ne s'agit pas de supprimer les agents, qui ont une fonction utile. Il s'agit de savoir qui négocie avec qui. Il est clair que l'agent ne peut pas représenter les deux parties. Imagine-t-on une relation d'affaires dans laquelle un cabinet d'avocats représenterait les deux sociétés ?

M. le Président : Tout le monde est d'accord sur ce point.

M. François RAUD : Il arrive fréquemment que les agents des joueurs ne travaillent pas dans l'intérêt des joueurs. Le tribunal de la sécurité sociale de Newcastle a épinglé tous les transferts de ce club. Le club, quand il était désireux de s'attacher les services d'un joueur, fixait à l'avance un certain montant de salaire. Les agents chargés de négocier étaient récompensés par le club s'ils obtenaient du joueur qu'il accepte ce montant. Moins le joueur touchait d'argent, plus l'agent était rémunéré. Et il s'agissait pourtant d'agents de joueurs.

De toute façon, un club n'a pas besoin d'agent. Il a un directeur sportif, une cellule de recrutement qui comprend parfois une dizaine de personnes. Pourquoi utilisent-ils des agents sinon, la plupart du temps, pour organiser des détournements d'argent. Tous les dirigeants du football le savent, et sont complices.

M. Jean-Marc PÉLISSIER : C'est ce que j'ai subi, malheureusement.

M. le Président : Pourquoi dites-vous que vous l'avez subi ? Avez-vous été sanctionné pour avoir dénoncé certaines pratiques ?

M. Jean-Marc PÉLISSIER : J'ai été confronté à certaines pratiques. Or, étant cartésien, je pense que quand c'est blanc, c'est blanc, et quand c'est noir, c'est noir.

M. le Président : C'est tout à votre honneur.

M. Jean-Marc PÉLISSIER : Oui, mais le résultat est que j'ai dû quitter le milieu du football.

M. François RAUD : M. Pélissier est traité de « traître » par des gens connus.

M. Jean-Marc PÉLISSIER : Des clubs ont tenté de mettre en place des contrôles. Mais la DNCG, qui est un bon organisme, ne contrôle les finances d'un club que dans sa globalité. Il faut examiner de près les comptes d'un club pour s'apercevoir qu'il rémunère un agent qui n'est pas habilité à percevoir une rémunération à titre d'agent.

M. Henri NAYROU : Nous sommes tous persuadés - ou presque tous, car il y a des îlots de résistance - que les clubs ne doivent pas rémunérer les agents des joueurs. Je pense pour ma part qu'ils peuvent, après tout, rémunérer un agent qui travaille pour eux, un chasseur de tête, mais ils n'ont pas à rémunérer les agents des joueurs. C'est d'ailleurs ce que prévoient aussi bien la loi de 1984 que le règlement de la Fédération internationale de football association (FIFA).

M. François RAUD : Le règlement FIFA est très bien fait. Mais il prévoit que chaque fédération doit établir son propre règlement relatif aux agents de joueurs, en respectant les statuts et règlements de la FIFA, ainsi que la loi nationale. Or, le règlement de la Fédération française de football (FFF) a vidé le règlement FIFA de son contenu, et l'on s'est bien gardé d'y inclure une partie consacrée aux sanctions, que la FIFA avait pourtant prévue. Il n'y a pas de sanctions contre les joueurs qui, comme c'est le cas de la moitié des joueurs de l'équipe de France, travaillent avec de faux agents. Il n'y a pas non plus de sanctions contre les clubs qui travaillent avec de faux agents.

Il faudrait peut-être demander les raisons de ces oublis à la personne qui a rédigé ce règlement.

M. le Président : Qui l'a rédigé ?

M. François RAUD : Je suppose que c'est le directeur juridique de la Fédération.

M. Jean-Marc Pélissier : Je voudrais ajouter une précision technique. La Ligue de football professionnel a informatisé les recensements des transferts. Le club doit répondre à la question : « Le club a-t-il eu recours à un agent sportif ? » Si l'on répond oui, une fenêtre s'ouvre, qui contient la liste des agents habilités à travailler avec les clubs. Bien souvent, dans mes fonctions de directeur administratif et financier, j'ai répondu non, parce que l'agent auquel mon club s'était adressé n'était pas habilité. Ce qui n'empêchait pas que figure dans ma comptabilité une facture payée à cet agent. Il y a donc des moyens simples de contrôler un agent sportif.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Le problème est que la DNCG contrôle des flux. Elle ne procède pas à des contrôles sur pièces.

M. Henri NAYROU : J'ai proposé, après qu'un agent de rugby me l'a suggéré, que soit dressée et déposée à la Ligue une liste identifiant clairement les couples « tel joueur, tel agent ».

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : C'est en votre pouvoir, et cela limiterait la possibilité pour un joueur de ne pas avoir d'agent.

M. Henri NAYROU : Mais il n'est pas question que la loi interdise à un joueur de ne pas avoir d'agent.

M. François RAUD : La FIFA réfléchit à la question des transferts sous la pression de l'Union européenne, puisqu'un Livre blanc sur le sujet sera remis en février 2007 à la Commission européenne, à partir duquel celle-ci élaborera un projet de directive. Sepp Blatter, le président de la FIFA, ne veut pas d'un nouvel arrêt Bosman. La task force de la FIFA a rédigé un premier rapport, qui consiste en une synthèse entre le système que prône la FIFA et celui que défend Bridge Asset International. Je me permets, monsieur le président, de vous remettre un document résumant le système que nous proposons.

M. le Président : Je ne comprends pas comment on peut autoriser un joueur à jouer, c'est-à-dire lui donner une licence, sans avoir en mains toutes les pièces qui établissent la relation entre ce joueur, le club qu'il quitte et celui où il entre. Nous poserons la question au président Thiriez. Dans d'autres sports, on est beaucoup plus exigeants, alors même que moins d'argent est en jeu.

M. François RAUD : En cas de transfert, un dossier complet est remis à la Ligue. Le problème est qu'en parallèle, des actes sous seing privé sont signés, qui ne sont pas communiqués.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : En effet, le problème est de savoir comment s'assurer que le dossier est complet et sincère.

Lors du colloque que j'évoquais à l'instant, M. Davenas déclarait également ceci : « Il n'y a que le milieu du football pour se découvrir un « intérêt supérieur » comme on le fait d'une « raison d'État. » Impossible de continuer comme cela ; ou vous réglez les problèmes entre vous ou, si vous allez devant le juge, il faut accepter la règle qui s'applique. » Le milieu du football a tendance à considérer que la loi est faite pour les autres.

M. François RAUD : Lorsque je suis entré dans ce milieu - c'était d'ailleurs par hasard - on m'a dit en substance : « Dis-toi bien une chose : les hommes politiques nous mangent dans la main, et les lois ne sont pas faites pour nous ». Voilà ce que disent dans ce milieu des gens dont je me suis effectivement aperçu qu'ils n'avaient peur de rien. Ils pensent sincèrement être au-dessus des lois.

Pour notre part, nous avons rédigé une proposition de loi. Vous n'êtes pas sans savoir qu'un cavalier législatif a failli être adopté lors de l'examen de la loi relative à la lutte contre le dopage.

M. le Président : Je le sais, en effet. J'en étais le rapporteur. Cela n'aurait pas été une bonne chose. Cela aurait pollué le texte.

M. François RAUD : Quoi qu'il en soit, je vous remets le texte que nous avons rédigé. Nous en avons beaucoup parlé avec le syndicat des joueurs. Nous avons tenté, par cette proposition de loi, de parer à toutes les dérives connues.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Quand, il y a trois ans, il a été proposé qu'un agent ne puisse pas à la fois être celui d'un club et celui d'un joueur, cette idée a reçu un accueil mitigé. Aujourd'hui, tout le monde se range à cet avis.

M. le Président : De même que notre mission d'information n'existait pas il y a trois ans.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Tout cela montre que les esprits évoluent. C'est peut-être un hasard, mais au fur et à mesure que les affaires éclatent, les limites du système apparaissent. D'où l'intérêt de ne pas oublier, si une loi était adoptée, le volet des sanctions. Car si le système est entraîné dans les dérives que l'on sait, c'est parce qu'il n'y a pas de sanction.

M. le Président : Avant de légiférer, il convient de savoir si l'application de la loi actuelle ne permettrait pas d'améliorer considérablement les choses.

M. François RAUD : Il est sûr que si elle était appliquée, il y aurait moins de dérives. Il n'en reste pas moins que des modifications sont nécessaires. On sait que le football n'est pas propre, comme en témoignent les affaires en cours.

Si on autorise l'agent de club, que se passera-t-il ? Des accords officieux se feront entre ceux qui seront officiellement des agents de club et ceux qui seront officiellement des agents de joueur. C'est ainsi que se feront les trafics. Un certain nombre d'agents sont déjà organisés dans cette perspective.

Par contre, il est possible de supprimer la fonction d'agent de club. Un club dispose de toutes les structures nécessaires lui permettant de prendre tous les contacts utiles avec les joueurs.

Il faut que le joueur paie son agent, et que celui-ci ne travaille que pour le joueur. C'est à cette condition que l'agent sera un véritable conseiller pour le joueur, ce qu'il n'est pas forcément aujourd'hui.

M. Henri NAYROU : Que pensez-vous de la possibilité de limiter le nombre de transferts dans une carrière ?

M. François RAUD : Ce n'est pas une solution libérale.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Cela poserait un problème du point de vue du droit européen.

M. Jean-Marc PÉLISSIER : Dans les clubs modestes où j'ai travaillé, nous avons opéré un certain nombre de transferts qui avaient leur raison d'être d'un point de vue économique. À partir du moment où l'argent reste dans le club, un transfert peut être bénéfique pour tout le monde.

M. François RAUD : Si l'argent du transfert était mis au service du club, le nombre de transferts ne serait pas un très grave inconvénient. Le problème est que l'argent sort du club.

M. Henri NAYROU : Il sort même du football.

M. Jean-Marc PÉLISSIER : On peut se demander pourquoi il y a autant de transferts.

M. Henri NAYROU : Cela m'amène à ma dernière question. Avec des contrats de longue durée, le joueur devient plus que jamais un « actif » plutôt qu'un être humain. Les choses seraient beaucoup plus simples et plus limpides si le système permettait à de nombreux contrats d'aller jusqu'à leur terme. Les joueurs seraient libres. Ils pourraient, avec l'aide de leurs agents, se vendre au plus offrant, et tirer bénéfice de cette stabilité. C'est toujours la même question lancinante qui revient : à qui l'instabilité actuelle profite-t-elle ?

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Si la Fédération applique mollement la loi actuelle, c'est parce qu'il n'existe aucune instance supérieure ayant le pouvoir de la contraindre à l'appliquer. Il y a bien le ministre, mais de quelle arme dispose-t-il ? Le retrait de l'agrément, comme cela a été le cas pour la Fédération française d'équitation ? On voit bien que cette solution n'est pas tenable à terme, faute d'une solution de rechange.

M. le Président : Il reste le contrôle des clubs qui ne respectent pas la législation.

M. François RAUD : Un commissaire extraordinaire a bien été nommé à la tête de la Fédération italienne de football après la démission de son président. Je pense que, s'agissant de la Fédération française de football, l'État doit intervenir. Ses dirigeants ne font rien. Sur les grands sujets du football, que fait la FFF ?

M. le Président : Le jour où l'on sera décidé à appliquer strictement le droit, des agents seront poursuivis, puis condamnés. Une jurisprudence s'installera, et la pratique changera.

M. François RAUD : À condition que les dirigeants du football veuillent moraliser leur sport.

M. le Président : Mais ce n'est pas un problème de dirigeants, c'est un problème de droit commun. S'il y a une volonté de mettre un coup d'arrêt à un certain nombre de pratiques, il y aura des condamnations, qui sanctionneront les clubs et les agents, tout comme sont sanctionnées, dans d'autres secteurs, les entreprises qui enfreignent les lois. Le problème ne pose pas de manière fondamentalement différente dans le sport. Pourquoi traiter le sport comme un cas particulier ?

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : La loi en a fait un cas particulier. Le problème est là. Les fédérations sportives sont censées être sous la « tutelle » du ministre, qui, dans ce genre d'affaires, n'a pas de moyen d'action. Que peut-il faire, à part saisir un tribunal administratif pour réformer une ou deux décisions, ce qu'il fait rarement ? La tutelle est donc une pseudo-tutelle, dans la mesure où le ministre ne peut rien faire pour remédier aux dysfonctionnements impliquant les agents.

M. le Président : Il n'y a pas de tutelle du ministre des sports en droit commun. Quand le fisc effectue un contrôle, il n'a pas besoin de s'adresser au ministre des sports.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Je comprends bien ce que vous dites. Mais à quoi sert le ministre des sports s'il faut en revenir au droit commun ? Cela pose le problème du système lui-même.

M. le Président : Par exemple, il est fait obligation au club de payer les impôts d'un joueur étranger. Cette obligation n'est pas souvent respectée. Mais on constate que des contrôles commencent à être effectués, qui conduisent les clubs à visés à respecter cette obligation.

M. François RAUD : Indépendamment même des dérives, dès que vous entrez dans le football, vous entrez dans l'irrationnel. Des personnes qui sont d'excellents gestionnaires de leur société adoptent un comportement totalement irrationnel, dès qu'elles s'occupent de football. En outre, les présidents de club disposent, au plan local, d'une puissance extraordinaire.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : On peut faire le parallèle avec le dopage. Pendant des années, on nous a expliqué que le mouvement sportif réglerait par lui-même les problèmes qui se posaient. Il a fallu que les pouvoirs publics interviennent pour que la lutte contre le dopage commence à être efficace.

M. le Président : Nous nous concentrons surtout sur le cas du football, mais nous devons trouver un système valable pour tous les sports. Par ailleurs, si certaines personnes se mettent dans l'illégalité, ce n'est pas nécessairement dans le but de s'enrichir. La passion entre en jeu, comme vous l'avez dit, monsieur Raud. Mais une autre raison est la difficulté pour les dirigeants d'équilibrer leur budget.

M. François RAUD : Soit, mais quand il s'agit de trouver des solutions visant à mettre un terme aux dérives, on s'aperçoit que le dossier, du point de vue des responsables politiques, est d'une extrême sensibilité.

M. le Président : Notre mission d'information va s'efforcer d'aboutir à des conclusions objectives et de formuler des propositions, quitte à faire preuve d'un peu de volontarisme.

M. François RAUD : Je ne vois pas de meilleure méthode que celle qui consiste à instaurer une certification fondée sur une norme ISO européenne. Cette méthode a fait ses preuves dans tous les secteurs d'activité.

M. le Président : Je crois à la valeur de l'exemple. Et la France doit lancer le mouvement. Il ne faut pas se réfugier derrière l'idée que le problème se pose au niveau européen. Ce serait la plus sûre façon de ne rien faire.

Tous ceux que nous avons auditionnés soulignent que les agents doivent cesser d'être rémunérés par les clubs. Cela signifie bien qu'il y a là un problème réel.

M. François RAUD : Pour résoudre le problème des surfacturations de transferts, une commission d'experts pourrait être mise en place. Ce n'est pas compliqué.

Il faut une DNCG européenne, un organisme de certification en liaison avec elle. Ce système peut être reproduit dans chaque pays, l'essentiel étant que les personnes chargées du contrôle soient indépendantes.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : S'agissant des mineurs, l'idée d'un acte notarié présente un intérêt.

M. François RAUD : Il faudrait également se pencher sur le cas des centres de formation ouverts par les clubs en Afrique. C'est inadmissible.

M. le Président : Tous les clubs professionnels ont des agents dans les pays où il existe un vivier, et notamment en Afrique.

M. François RAUD : Ce que font ces agents n'est moralement pas acceptable.

M. le Président : Il faut effectivement examiner ce problème de très près.

M. François RAUD : J'ajoute que les institutions du football ont un fort pouvoir de lobbying sur certaines administrations.

M. le Président : Messieurs, je vous remercie de votre contribution aux travaux de notre mission d'information.

Audition de M. Philippe DIALLO,
directeur de l'Union des clubs professionnels de football (UCPF)


(Extrait du procès-verbal de la séance du 22 novembre 2006)


Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Monsieur Diallo, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Notre mission d'information s'est fixé comme objectif de proposer des recommandations propres à améliorer les conditions d'exercice du métier d'agent sportif et à garantir davantage de clarté dans les transferts comme dans les rapports entre agents et dirigeants et propriétaires de clubs.

Il est arrivé que certaines personnes cumulent les fonctions d'agent et d'encadrement d'un club, ou passent de l'une à l'autre. Faut-il l'interdire, de même qu'aux détenteurs d'une partie du capital d'un club ? Certains suggèrent d'instaurer un numerus clausus pour restreindre l'accès à la profession d'agent de joueurs. Qu'en pensez-vous ? Peut-on, par ailleurs, autoriser la délivrance d'une licence à une personne morale ?

L'UCPF parle de responsabilisation du football, ce qui suppose un contrôle et des sanctions en cas de dérives. La commission des agents sportifs vous paraît-elle suffisamment musclée pour faire face à ce problème ? S'agissant de la rémunération, qui, du club ou du joueur, doit payer l'agent ?

Les transferts de joueurs de pays à pays posent souvent problème. La réglementation française est-elle source de handicap pour la compétitivité de nos clubs ? À quoi sert finalement le transfert et pourquoi l'indemniser ? Faut-il y voir un objectif de redistribution ou d'incitation à la formation, ou simplement l'expression d'un marché à un moment donné ? Faut-il davantage centraliser le contrôle des transferts ? Doit-on fixer un plafond local ou peut-on établir une « bourse » ? La Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) a-t-elle les moyens de mener des investigations efficaces ? J'ai été surpris d'entendre qu'elle pouvait valider le recrutement d'un joueur sans connaître le détail du contrat. Est-ce exact ? Enfin, les sommes d'argent auxquelles peut donner lieu le prêt de joueurs ne risquent-elles pas de venir troubler le jeu ?

M. Philippe DIALLO : Je vous remercie de m'accueillir pour parler d'un sujet qui préoccupe le milieu sportif et particulièrement le monde du football, concerné au premier chef par le mouvement économique qui en a découlé.

En deux décennies, le football a connu deux phénomènes majeurs qui expliquent en grande partie la situation faite aux agents et le problème des transferts. Premièrement, une croissance économique extraordinairement forte : la première vente d'un match de football à Canal Plus en 1984 avait rapporté 250 000 francs. Cette année, le championnat s'est vendu 600 millions d'euros... Il y a vingt ans, une saison entière valait trois ou quatre millions de francs ; pour la première fois cette année, les quarante clubs du football professionnels français dépasseront le milliard d'euros de chiffre d'affaires.

Deuxième phénomène, l'internationalisation. Jusqu'en 1995, le football était une affaire essentiellement nationale, et des quotas limitaient le nombre de joueurs étrangers. La reconnaissance de la libre circulation des sportifs en 1995 a provoqué une internationalisation du marché du travail et donc une augmentation du nombre de mutations internationales. Ce qui, conjugué à la croissance économique, a abouti à attirer beaucoup de monde, dont des agents qui ont cherché à se greffer sur ce phénomène. Alors que les mouvements de joueurs étaient jusque-là relativement limités et circonscrits au territoire national, le nombre de mutations a brutalement explosé. Avant 1995, seuls deux ou trois footballeurs français jouaient à l'étranger ; cette année, ils sont plus de deux cent cinquante, et le phénomène vaut pour tous les pays européens. La France est même un peu en retrait, puisque 35 % environ de joueurs étrangers évoluent en championnat de France, alors qu'ils sont nettement plus nombreux chez nos voisins anglais, italiens ou espagnols : les Anglais comptent pratiquement 60 % de joueurs étrangers dans leur championnat.

De ce fait, le nombre d'agents, jusque-là réduits à une poignée, s'est littéralement envolé avec l'apparition de ce que beaucoup ont pris pour un nouvel Eldorado : il paraît facile de mettre en contact un joueur et un club, de signer un contrat de travail et de percevoir une commission... Les agents sportifs, qui n'étaient qu'une dizaine, voire une quinzaine sur tout le territoire français sont aujourd'hui pratiquement cent quarante ; on en compte 2 700 dans le monde et plus de 2 000 en Europe - agents officiels, s'entend. La perspective d'un argent facile, lié à la dérégulation et l'explosion du marché du travail comme du marché au sens économique, a attiré beaucoup de personnes.

Qu'il s'agisse du nombre des agents, de leur rémunération, de leur identification, cette situation n'est bonne pour aucune des parties, ni pour les clubs, ni pour les joueurs, ni même pour les agents. Et en tant que membre de la chambre des règlements des litiges à la FIFA (Fédération internationale de football association), je peux témoigner que les difficultés que nous rencontrons en France sont souvent démultipliées dans bon nombre d'autres pays du monde caractérisés par une absence totale de règles. Vous comprendrez donc que les travaux de votre mission soient particulièrement suivis par les clubs professionnels qui souhaitent aller vers plus de pragmatisme, de transparence et de sécurité pour les acteurs eux-mêmes : les transferts et les agents font régulièrement la une de la chronique judiciaire et l'importance du décalage entre la réglementation et la réalité des pratiques ne fait qu'accroître le sentiment d'insécurité juridique.

M. le Président : Vous voulez dire : le décalage entre la loi et la réalité ?

M. Philippe DIALLO : Oui. Nous sommes pratiquement le seul pays à avoir légiféré sur la question des agents, alors que le reste du monde est régi par les règles de la FIFA. La législation française y a ajouté une série de contraintes particulières, ce qui n'est pas sans créer des difficultés. Et surtout, elle est en décalage avec la réalité des pratiques.

M. Alain NÉRI : À moins que ce ne soient les pratiques qui soient en décalage avec la loi...

M. Philippe DIALLO : Certes... En ce qui concerne les rémunérations, par exemple, la loi française comme les règles de la FIFA disposent qu'un agent doit être rémunéré par la partie qui l'a mandaté, que ce soit le club ou le sportif. Dans la très grande majorité des cas, cette disposition n'est pas respectée. Un club de football peut confier à un agent une mission de recherche et le mandater afin de placer un joueur en sureffectif dans un autre pays ; mais le plus souvent, c'est l'agent d'un joueur qui réalise une transaction avec un club et c'est le club qui le rémunère, contrairement à ce qu'impose la législation.

M. Alain NÉRI : C'est illégal.

M. Philippe DIALLO : C'est illégal, mais c'est la pratique mondiale : aucun sportif ne rémunère son agent. D'où le problème que pose la rémunération, en particulier depuis que l'internationalisation du marché du travail amène à recruter un tiers des joueurs à l'étranger, en Europe ou hors Europe, où la pratique historique veut que les agents soient toujours rémunérés par les clubs.

M. le Président : Pourquoi en est-on arrivé là ? Si l'on revenait à la pratique légale, quelles en seraient les conséquences ? N'introduirait-on pas un peu de transparence dans le système en distinguant les agents travaillant à titre de conseils auprès des joueurs et ceux intervenant pour le compte des clubs dans le cadre de transferts ? N'y aurait-il pas là un avantage par rapport à la situation actuelle, caractérisée par une pratique « de confort » contraire à la loi comme au règlement FIFA ?

M. Philippe DIALLO : Exactement : il y a en l'espèce non seulement une législation, mais également une réglementation FIFA qu'aucun acteur, français ou étranger, ne respecte. Plusieurs rapports ont déjà mis en lumière cette hypocrisie. Toutes les opérations engageant un agent respectent, en façade, la loi : il y a bien un mandat rédigé par un club. En cas de contrôle par les autorités sportives, et même par l'administration fiscale, par exemple, il ne se passe jamais rien, sauf évidemment cas de dérive pénale. Toutes les opérations sont parfaitement en ligne avec la législation, mais tout le monde sait qu'il y a là une hypocrisie.

M. Alain NÉRI : Un peu comme pour le dopage...

M. Henri NAYROU : Nous sommes parfaitement au courant de cette situation ; si tel n'était pas le cas, l'actualité sportive et judiciaire nous l'apprendrait. Régulièrement, les clubs défraient la chronique et sont épinglés par la justice pour des affaires liées, tout au moins en France, à des pratiques non seulement illégales au regard de la loi et des règlements FIFA, mais souvent pénalement condamnables. Et tout cela parce que le système de rémunération par les clubs offre, on l'a vu, des possibilités de rétro-commissions. Vous avez eu l'honnêteté de reconnaître que la pratique historique était de ne pas appliquer la loi. Mais comment y obliger les diverses parties ? Les clubs ne seraient-ils pas plus tranquilles après avoir assaini le système par le biais de la DNCG ?

M. Philippe DIALLO : Cela rejoint notre souci d'assainissement et de sécurité dans l'intérêt de tous les acteurs.

M. Henri NAYROU : Comprenez que nous ne sommes ni policiers ni juges : nous nous en tenons aux aspects législatifs. Nous connaissons les conséquences, nous recherchons les causes et nous essayons de trouver des solutions.

M. Philippe DIALLO : Se conformer aux dispositions législatives pose une difficulté majeure à l'ensemble des acteurs, du fait que personne dans le monde n'agit de la sorte. Or nous sommes sur un marché du travail internationalisé, où les clubs français sont directement en concurrence avec leurs homologues anglais, italiens, allemands et autres. Qui plus est, ces dispositions ne permettent pas de répondre aux objectifs de transparence et de sécurité juridique renforcée ; c'est pourquoi les clubs professionnels appellent depuis quelque temps à une modification de la législation régissant les relations entre clubs, joueurs et agents afin d'introduire davantage de transparence et d'éviter tous les circuits que plusieurs affaires ont récemment mis en lumière. Leur principale demande s'inscrit du reste dans la logique d'une démarche initiée par le législateur lui-même lorsqu'il a imaginé d'assimiler les joueurs aux professionnels du spectacle. Et chacun sait que le producteur d'un film ou d'un spectacle non seulement rémunère le comédien, mais paie également la commission de l'agent de l'artiste : ce système fonctionne très bien et en toute transparence.

Si nous allions dans ce sens, les agents, pour être payés, devraient justifier du lien qui les unit avec leur joueur, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui : vous constaterez en allant à la Fédération française de football que très peu de mandats sont déposés, qui lient des agents à des joueurs... Est-ce à dire que ceux-ci n'ont pas d'agent ? Faux : pratiquement tous les joueurs en ont... Si donc la rémunération de l'agent était subordonnée à la présentation du mandat identifiant clairement le lien unissant un agent et un joueur et déposé auprès de la Fédération, et à la vérification, par les instances fédérales, que le club est bien en mesure de le payer, vous auriez d'une part une facture - et de ce fait la DNCG pourrait s'assurer de la manière dont les choses se sont passées - et d'autre part la capacité de faire à tout moment le lien entre un agent et un joueur. Il arrive fréquemment à un club de voir surgir X agents derrière le même joueur, qui tous se revendiquent comme son représentant exclusif...

M. le Président : Les dérives observées se situent moins au niveau des rapports entre le joueur, l'agent et le club qu'au niveau du rôle joué par les agents et des commissions perçues à l'occasion de transferts. Si l'agent est rémunéré par le joueur, tout cela reste une affaire contractuelle entre l'un et l'autre, comme aux États-Unis où il n'existe aucun lien entre un agent et le propriétaire d'un club. La notion de transfert ou de mandat de recherche donné par un club serait totalement déconnectée de toute idée de contrat entre l'agent, le joueur et le club. Cela irait dans le sens de la transparence, à défaut d'aller dans celui de la pratique.

M. Henri NAYROU : Quant à l'argument assimilant le joueur à un artiste, il n'est pas recevable, parce que celui qui assure un spectacle n'a aucune valeur marchande, alors qu'un joueur représente désormais un « actif ». L'ampleur des sommes en jeu d'un contrat à l'autre, les commissions et pourcentages plus ou moins cachés et rationnels qui en découlent, tout cela ne peut qu'abonner les clubs aux prétoires...

M. Jean-Marie GEVEAUX : Le coût n'est pas forcément le même selon qu'il s'agit d'un artiste de premier plan ou d'un artiste de second plan...

M. Henri NAYROU : Un artiste est payé ponctuellement pour un spectacle, le joueur de football dans le cadre d'un contrat de cinq ans. Christophe Bouchet affirmait que l'Olympique de Marseille (OM) assurant un spectacle, il devait en détenir la propriété et les droits télés, tout comme Johnny Hallyday ; mais c'est oublier que Johnny Hallyday produit son spectacle tout seul tandis que l'OM a besoin d'un adversaire... Autrement dit, la comparaison n'est pas recevable.

M. Alain NÉRI : On ne peut pas travailler pour deux parties à la fois et représenter un joueur dans la négociation avec celui qui sera votre employeur... Lorsque j'emploie quelqu'un, ce n'est pas pour aller travailler au profit de celui d'à côté !

Vous préconisez d'aller dans le sens du spectacle. Mais c'est oublier que le sport n'a pas du tout les mêmes valeurs éthiques... Par ailleurs, l'apparition d'un « mercato d'hiver », qui avait fait l'objet de certaines sollicitations au moment de la loi sur le sport, revient, en fait, à faire durer le mercato toute l'année. Comment parler d'éthique sportive lorsqu'un même joueur joue durant le même championnat dans plusieurs équipes différentes ? En sport, le changement d'équipe est lié au respect de certaines règles... Va-t-on tout remettre en cause ? Pour moi, l'agent ne peut avoir qu'un seul patron, celui qui le rémunère. Et pour ce qui concerne les transferts, le mercato est devenu une source de dérives.

M. Jean-Marie GEVEAUX : Nous sommes vraiment au cœur du problème : un agent peut-il travailler pour un ou plusieurs joueurs ? Les agents peuvent-ils être rémunérés par les clubs ? Que des agents soient missionnés par des clubs pour prospecter, soit ; mais une fois la prospection terminée, il faut en rester au rôle normal de l'agent et clarifier ses relations avec le joueur.

Je reconnais pour ma part que le football peut être un spectacle, mais peut-on pour autant transposer au monde sportif ce qui se fait dans ce milieu au motif d'instaurer davantage de transparence dans les transferts ?

Enfin, si l'on trouve dans les fédérations si peu de traces des rapports que les joueurs entretiennent avec leurs agents, c'est bien qu'il y a un problème de fond. Logiquement, les contrats doivent être déposés. Le sont-ils tous, sont-ils analysés et vérifiés pour détecter d'éventuelles anomalies de nature juridique, sociale ou autre ?

La transparence n'est-elle pas davantage garantie au niveau du lien agent-joueur plutôt qu'à celui du lien agent-club, hormis dans le cas de missions très spécifiques ? Une fois le contrat passé, tout devrait se passer avec le joueur, même si je comprends qu'à rester plus royaliste que le roi et à trop nous écarter de ce qui se fait partout ailleurs, nous risquons de pénaliser nos clubs et nos joueurs, autrement dit nous-mêmes. Il faut impérativement procéder à une vérification des pratiques.

M. Philippe DIALLO : Qui doit rémunérer l'agent ? Dans un prétoire, c'est moi qui paie mon avocat, pas la partie adverse. Ce raisonnement de bon sens laisse supposer que, dès lors que l'on rémunérerait quelqu'un, on aurait pouvoir sur lui, et que l'on pourrait léser les droits du sportif en laissant le soin de payer à la partie adverse, autrement dit son employeur. Mais deux éléments peuvent être relevés, qui viennent contredire ce raisonnement.

Pour commencer, l'analogie entre le monde du spectacle et celui du football se retrouve également dans la pratique puisque, d'ores et déjà, ce sont les clubs qui rémunèrent les agents. Or je n'ai pas observé que la situation sociale des uns comme des autres ait empiré - sans même parler de la rémunération...

M. Alain NÉRI : Le chiffre d'affaires global a augmenté...

M. Philippe DIALLO : Mais la masse salariale en représente plus de 60 % : autrement dit, l'argent collectivement gagné retourne aux joueurs. On ne peut donc en déduire que cette relation a priori surprenante où le conseil du salarié est payé par l'employeur favoriserait une dégradation des relations de travail, puisque non seulement les joueurs sont de plus en plus libres d'aller ailleurs, mais leurs salaires se sont démultipliés : un joueur de Ligue 1 en France, hors primes, gagne entre 50 000 et 60 000 euros par mois... Ce qui prouve que le système de rémunération de l'agent par le club employeur n'a pas nui à la situation des joueurs de football et que les agents ont réellement travaillé dans l'intérêt de ceux qu'ils étaient censés représenter.

M. le Président : Les joueurs ne sont évidemment pas lésés. Ce que nous dénonçons, c'est le mélange des genres et le fait qu'un homme se retrouve à un moment donné entre deux parties, ce qui permet de faire transiter une part des rémunérations par des voies pour le moins contestables. Nous pensons que les rôles des uns et des autres pourraient être clarifiés, avec d'un côté des personnes qui défendent les intérêts des clubs au regard de la légalité, et de l'autre des intermédiaires qui s'occupent uniquement de la rémunération et du plan de carrière de leurs joueurs. Chacun sait que la confusion des rôles est au cœur de ces montages que les journaux nous rapportent pratiquement tous les jours.

M. Henri NAYROU : Vous savez comme nous, Monsieur Diallo, que les contrats et les mandats ne valent que pour ce que les intéressés veulent en faire. Si un club trouve un joueur grâce à l'agent de ce joueur, il lui suffira de signer un mandat que l'on ne reverra plus par la suite. Vous faites état du bien-être matériel des joueurs ; je préférerais que les représentants des clubs se préoccupent de leur propre sérénité et que leurs présidents ne se retrouvent pas dans la situation de ceux du PSG, de l'OM et d'autres à la suite de l'affaire Tuzzio...

M. Philippe DIALLO : Il ne faut pas confondre ce qui touche aux transferts de club à club avec la rémunération de la commission des agents, qui est fonction de celle du joueur et non du montant du transfert.

M. le Président : Mais on sait que ce n'est pas le cas...

M. Philippe DIALLO : L'ensemble des opérations liées aux transferts de club français à club français se fait de façon tout à fait correcte. Le problème se pose en cas de mutation internationale ; or les affaires que vous évoquez sont toutes liées - comme par hasard - à des mutations internationales. Toute la difficulté est de réussir à réguler les mutations au plan international.

Quant aux dérives de caractère pénal, jamais la réglementation ni la législation ne parviendront à les encadrer : si des gens veulent tricher et détourner de l'argent, aucune loi ne les en empêchera. L'affaire de Marseille relève du détournement pur et simple et il appartient à la justice de s'en occuper. Rappelons au passage que nos clubs font l'objet de contrôles très réguliers de la part des administrations fiscales et sociales : la première chose que réclame un contrôleur, c'est évidemment le nom des transferts et les mandats des agents... Nos clubs sont pratiquement contrôlés à longueur d'année ; or jamais vous ne voyez leur nom apparaître dans les rubriques judiciaires ni même dans les relevés de contrôle, pour la bonne raison que tout se passe bien.

J'ai eu l'occasion d'interroger l'administration de Bercy sur cette question. Je vous livre la réponse que nous a faite la direction de la législation fiscale : « En matière fiscale, afin de tenir compte des pratiques et eu égard aux conclusions du rapport d'enquête sur la profession d'agent sportif en date du 1er avril 2005... il sera admis que la condition relative à l'exigence d'un mandat soit satisfaite par un club lorsque ce dernier est en mesure de démontrer qu'il a rémunéré un agent habilité à représenter le joueur en vertu d'un mandat écrit passé avec le joueur. » Autrement dit, ce que je vous ai proposé est d'ores et déjà entériné par l'administration fiscale, qui estime que le problème ne se pose pas dès lors que le club peut montrer que l'agent rémunéré par ses soins est bien celui du joueur, en vertu du mandat déposé à la fédération.

M. Alain NÉRI : On a par trop tendance à penser qu'un contrat est passé ad vitam aeternam, oubliant que les joueurs jouissent d'une certaine liberté de circulation... Cela dit, vous nous dites que la rémunération de l'agent est uniquement fonction du salaire mensuel versé au joueur. Pourquoi alors les agents sont-ils si attachés à un mercato qui permet les transferts tout au long de l'année ?

M. Jean-Marie GEVEAUX : Le mercato ne s'est-il pas un peu dévoyé ?

M. Philippe DIALLO : Il se trouve que je fais partie de la délégation de la FIFA qui a négocié pendant pratiquement huit mois avec la Commission européenne sur le nouveau règlement des transferts... Une des questions portait précisément sur les périodes de transfert, la Commission estimant qu'un footballeur était un salarié comme les autres et qu'à ce titre il devait pouvoir être transféré tout au long de la saison - comme c'était du reste la pratique en Angleterre. Et c'est la FIFA qui s'est battue à fronts renversés pour essayer d'encadrer les périodes de mutation - une l'été, une l'hiver - afin de garantir la régularité de la compétition et de limiter les mouvements de joueurs ! On s'est aperçu, depuis la mise en application du nouveau règlement, que la période hivernale donnait lieu à beaucoup de mutations. La FIFA vient de signer, le 2 novembre dernier à Barcelone, un accord avec le syndicat des joueurs, afin d'en limiter le nombre durant la période d'hiver.

Cela dit, si les agents ont envie que leurs joueurs bougent, le fait n'a rien d'étonnant : à partir du moment où vous êtes rémunéré sur les contrats signés et sur la masse salariale qu'il représente, plus le joueur bougera, plus vous gagnerez de l'argent. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé de sortir du système précédent où le club payait d'emblée une commission égale à 6 ou 7 % du montant du contrat. Avec un tel système, un an ou deux ans après, l'agent faisait évidemment tout son possible pour faire changer le joueur de club et toucher à nouveau des commissions ... Désormais, nous nous efforçons, avec un certain succès, de faire en sorte que les clubs paient par tranches annuelles - 25 % chaque année pour un contrat de quatre ans, par exemple : de la sorte, si l'agent a envie de faire partir le joueur au bout de deux ans, il ne touchera que 50 % de la commission initialement prévue.

M. Alain NÉRI : Autrement dit, il est payé au prorata du temps passé par le joueur dans le club.

M. Philippe DIALLO : Absolument.

M. Alain NÉRI : C'est désormais la pratique ?

M. Philippe DIALLO : Oui, mais ce n'est pas facile, parce que c'est fiscalement compliqué.

M. le Président : Sur le plan comptable, comment faites-vous ?

M. Philippe DIALLO : Nous essayons d'étaler la commission - tout est affaire de négociation...

M. le Président : Ce genre de lissage n'est pas normal... Comment faites-vous avec vos comptes d'exploitation et votre trésorerie ?

M. Philippe DIALLO : Les agents hésitent naturellement à accepter l'étalement, la commission étant payée en totalité au moment de la mutation. Se pose également la question de savoir ce qui se passe si c'est le club qui veut se séparer de son joueur au bout de deux ans : l'agent n'a pas envie de perdre une partie de sa rémunération alors qu'il n'y est pour rien. D'où la difficulté pratique à faire entrer cette disposition dans les faits.

M. le Président : Comment selon vous améliorer le contrôle sur les transferts ? Faut-il envisager une centralisation des flux financiers ou « muscler » davantage la DNCG en lui donnant un réel pouvoir de sanction ?

M. Philippe DIALLO : La volonté de tous les acteurs est de soutenir tout ce qui ira dans le sens de l'assainissement, de la transparence et du pragmatisme. Une centralisation des flux financiers liés aux transferts et aux commissions d'agents qui passeraient par les organismes centraux, fédérations ou lignes, nous conviendrait : ce mécanisme existe déjà en Angleterre. La centralisation des sommes irait dans le sens de la transparence en permettant d'identifier les acteurs à qui auront été reversées les sommes ; mais ce mécanisme n'aura sa pleine efficacité que s'il est repris par nos voisins européens. Jamais nous ne pourrons obliger un club étranger à passer par nos instances ; il faudra travailler avec nos voisins, Allemagne, Italie, Espagne, afin de mettre en place un réseau de ligues et faire en sorte que les flux financiers ne transitent plus directement de club à club ou d'agent à club, mais via les instances sportives européennes. Une disposition d'application seulement nationale serait un pas dans le bon sens, mais ne réglera pas pour autant le problème : même si les Anglais ont mis en place un système de centralisation des mouvements financiers, plusieurs rapports officiels ont montré que la situation anglaise n'est pas aussi transparente que le nouveau dispositif le laissait supposer. Nous y sommes favorables, mais il faut poursuivre le mouvement à l'échelle européenne afin que les flux financiers ne transitent plus que par les instances sportives - et que les sommes soient naturellement versées sur des comptes bancaires identifiés.

M. le Président : J'allais le dire : la facture doit correspondre à la raison sociale du club, y compris à l'étranger. Et s'il y a un intermédiaire, il doit forcément y avoir une déclaration quelque part et l'on doit pouvoir s'assurer de la réalité de la société en question, tout au moins en Europe.

M. Philippe DIALLO : L'idée d'un compte bancaire domicilié en France nous paraît à cet égard intéressante. Depuis une date relativement récente, les règlements du football international disposent que les sommes liées aux transferts ne peuvent aller qu'à un autre club. On sait qu'en Amérique du Sud, par exemple, les joueurs peuvent appartenir non pas à un club, mais à des personnes ayant des droits dits fédératifs : au Brésil, on peut avoir des parts de joueurs comme on peut avoir chez nous des parts de chevaux... Cela peut choquer, mais c'est parfaitement légal. Un club brésilien peut ainsi n'avoir que 20 % d'un joueur, les 80 % restants appartenant à Monsieur X ou à la société Y ; jusqu'à un passé récent, il fallait répartir le montant du transfert en proportion... Désormais, ce genre de question se règle au plan local et le montant d'un transfert est intégralement versé à un club, à charge pour celui-ci de le répartir en fonction d'accords particuliers.

M. le Président : Le paiement n'est pas toujours comptant : il peut prendre la forme de rétrocessions en cascade au profit du club qui aura formé le joueur, au deuxième ou au troisième degré... Tout cela doit bien se faire avec des documents et la caution d'une banque : on n'accepte pas de ne pas être payé comptant sans une caution bancaire, émanant d'un établissement connu, français ou européen. S'il existait un outil au niveau de la Ligue, de la Fédération, de l'Union des associations européennes de football (UEFA) ou de la FIFA, une bonne part des dérives pourrait être évitée. Or on a le sentiment que cette volonté n'existe pas.

M. Philippe DIALLO : Je me permets de soutenir le contraire : les clubs sont tout à fait favorables à une centralisation qui permettrait de s'assurer effectivement de l'origine et de la destination des fonds.

M. le Président : Et pourquoi ne la met-on pas en place ?

M. Philippe DIALLO : La décision de principe a déjà été prise. Encore faut-il d'une part faire évoluer notre législation et d'autre part internationaliser ces réseaux.

M. le Président : Combien de ligues déterminent le marché mondial ? Quatre tout au plus...

M. Philippe DIALLO : Les Anglais l'ont déjà fait ; nous nous rapprochons de nos amis allemands, italiens et espagnols. Nous avons également une instance de contrôle financier, la DNCG, qui depuis sa création fait du bon travail. Cela dit, nous ne sommes pas des forces de police : nos investigations ont leurs limites. La DNCG a incontestablement de bons professionnels, mais ils travaillent sur la base de documents certifiés par des commissaires aux comptes, sans pouvoir aller vérifier sur place les circuits, facture par facture ; il arrive que des choses nous échappent. Reste que, globalement, le football français est sain : les mutations et les transferts de joueurs se passent de manière parfaitement correcte. Les dévoiements qui sont le fait d'une frange, que j'espère marginale, sont sanctionnables et sanctionnés.

Pour aller plus loin dans les investigations, il faut doter les instances internationales des mêmes mécanismes de contrôle. C'est notre honneur d'avoir poussé à la mise en place d'un contrôle financier en Europe, ce qu'a fait l'UEFA à travers une licence. Mais ce premier pas n'était pas, pour nous Français, satisfaisant. Si cinq ou six pays font le marché, nous avons une compétition européenne, la Ligue des champions, qui réunit les trente-deux plus gros clubs européens : notre idée était de voir l'UEFA mettre en place l'équivalent d'une DNCG européenne centralisée - sans vouloir jeter la pierre à personne, force est de constater que certains de nos voisins ont des règles et des approches plus laxistes que les nôtres - examinant chaque année les comptes de ces trente-deux clubs, avec un pouvoir de sanction. Si ces trente-deux clubs sont tenus chaque année de présenter leurs comptes et peuvent être sanctionnés, ils feront eux-mêmes la police chez eux. Si le Real Madrid, le SC Valence, le SC Barcelone ont l'obligation de présenter des comptes à peu près carrés, ils seront d'autant plus tentés de demander à La Corogne ou à d'autres de cesser de se piquer les joueurs... Qui plus est, ce sont ces clubs-là qui font le marché, qui font les grosses transactions, qui paient les grosses commissions ; c'est donc eux qu'il faut regarder. Les dérives commises dans un club géorgien ou letton ne seront jamais que marginales.

M. le Président : Sauf s'ils sont utilisés pour cautionner des transactions au sein des trente-deux : Saint-Pétersbourg a ainsi servi de club écran pour faire passer des joueurs...

M. Philippe DIALLO : On a découvert au Panama des clubs virtuels qui ne jouent même pas de championnats, mais qui font du placement international de joueurs... Nous avons conscience de ces dérives et entendons bien les combattre, mais les instances sportives ne sont pas des autorités policières. Les États eux-mêmes ont parfois du mal à identifier les flux financiers cachés à travers le monde ; pour une fédération, c'est encore plus difficile... Mais toute une série de dispositions peuvent aider à la transparence, qu'il s'agisse de la rémunération des agents, de la DNCG européenne ou de l'identification des collaborateurs d'agents.

M. le Président : Les collaborateurs ne devraient pas exister...

M. Philippe DIALLO : Reste que des personnes peuvent l'être officiellement. Où s'arrête leur mission, qui par essence devrait rester d'ordre administratif ? Le football est un sport populaire : on trouve dans les banlieues des personnes ayant un ami qui joue au football, qui cherchent à le présenter et à devenir à cette occasion collaborateur d'un agent afin de prétendre à une partie de la rémunération... C'est la raison pour laquelle nous souhaitions contrôler ce métier : il faudrait n'être collaborateur que d'un seul agent, mais également pouvoir justifier d'une durée d'activité significative en présentant au moins six mois de feuilles de salaire avec l'agent en question, afin de garantir une certaine traçabilité des relations entre l'un est l'autre et éviter les one shot, les individus qui se proclament collaborateurs sur une seule affaire et viennent réclamer une rémunération.

M. le Président : Si cette discussion reste l'affaire non pas du club, mais seulement du joueur et de son agent, cela ne peut que limiter le nombre de collaborateurs, du fait que c'est l'agent qui devra les payer. Le fait qu'un agent ait un correspondant en banlieue, un autre à Marseille et un autre ailleurs pour détecter les talents potentiels n'a rien de choquant, mais cela n'a rien à voir avec un club. De son côté, celui-ci peut se doter de sa propre organisation ou mandater un agent aux fins de prospecter tel pays ou secteur géographique. Cela non plus n'a rien de choquant ; encore faut-il bien séparer les rôles de chacun.

M. Philippe DIALLO : Couper totalement les relations, pourquoi pas, si tout le monde le fait ?

M. le Président : Sinon, on ne peut rien faire.

M. Philippe DIALLO : Le problème est que personne ne le fait. Si l'on tient à faire respecter le cadre législatif actuel, il faudra réintégrer la commission de l'agent dans la rémunération du joueur, car celui-ci n'a aucune envie de payer son agent. Et les agents ne veulent surtout pas être payés par les joueurs, car ils ne leur font sur ce point aucune confiance ! Il faudra donc revaloriser les salaires des joueurs en conséquence...

M. le Président : Cela peut être fait en toute transparence.

M. Philippe DIALLO : Et cela se traduira par plus de fiscalité et de charges sociales.

M. le Président : Tout cela peut faire l'objet de dispositions particulières : on peut fort bien trouver un système dans le cadre du régime des frais professionnels en l'adaptant et en prévoyant un taux maximum connu. Mais au moins aura-t-on agi dans la transparence. Le problème concerne les charges sociales et les impôts : tout le monde y perd, sauf évidemment l'État. Mais au lieu de contourner la loi, essayons de trouver un système juste...

M. Philippe DIALLO : Entendons-nous bien : si le législateur est prêt à neutraliser socialement et fiscalement le montant des commissions, nous sommes dans un autre registre. Reste que l'on ne peut ignorer le contexte international : le marché du travail n'est plus franco-français. Rendre les commissions fiscalement neutres pour les joueurs et socialement neutres pour les clubs suppose une disposition d'accompagnement plus générale. Je le répète : nous sommes déterminés à sortir d'un dispositif qui n'est conforme ni à la législation française ni aux pratiques internationales. Ce qui suppose, ou bien d'autoriser le paiement de la rémunération de l'agent par les clubs, dans les conditions que j'ai expliquées, ou bien de suivre la voie que vous avez évoquée en rendant la commission des agents neutre sur le plan fiscal et social.

M. le Président : Monsieur Diallo, nous vous remercions.

Audition de M. Philippe FLAVIER,
coprésident de l'Union des agents sportifs de football (UASF)

(Extrait du procès-verbal de la séance du 22 novembre 2006)


Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Monsieur Flavier, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Du fait de vos fonctions, nous aimerions que vous nous expliquiez quel est le rôle d'un agent sportif. Doit-il travailler seulement pour un joueur ? Peut-il jouer un double rôle entre le club et le joueur ? Quelle est la proportion d'agents sportifs exerçant leur activité pour le compte d'un club ? Font-ils doublon avec les agents de joueurs ? Les conditions d'accès à la profession vous paraissent-elles suffisantes ? Faut-il envisager un numerus clausus ? Peut-on autoriser la délivrance d'une licence à une personne morale ? Un agent peut-il être actionnaire d'un club ou d'une société ayant un rapport direct avec le monde sportif ? Sur la rémunération enfin, par qui doit être payé l'agent ?

M. Henri NAYROU : Pouvez-vous également nous dire un mot sur votre organisation et vos relations avec les agents de football européens ou ceux d'autres disciplines ?

M. Philippe FLAVIER : Je vous remercie de m'avoir invité. J'exerce le métier d'agent sportif depuis 1989 ; en dix-sept ans, j'ai à peu près tout vu de ce qui se fait en termes de réglementation autour de la profession d'agent. J'ai ainsi connu la période du simple agrément ministériel, suivie de celle de l'examen FIFA (Fédération internationale de football association) assorti d'une caution bancaire, puis d'une simple assurance ; la FIFA a ensuite délégué à la Fédération française la délivrance des licences et l'organisation des examens. Nous sommes désormais des agents licenciés « Fédération française de football » : à la différence de nos voisins européens, nous sommes sous tutelle de la Fédération française et de la FIFA, mais également du ministère, puisque notre activité est régie par les lois françaises en plus de la réglementation sportive - ce qui nous met en avant par rapport aux autres pays, mais n'est pas sans créer une certaine ambiguïté entre la loi et la réglementation sportive.

Avec quelques-uns de mes confrères, j'ai créé un premier syndicat au moment de la mise en place de la licence FIFA...

M. Henri NAYROU : En quelle année a-t-elle été mise en place ?

M. Philippe FLAVIER : En 1998, me semble-t-il... Cela changeait tous les deux ans : l'assurance a été introduite en 2000, puis est venue la modification de la loi sur le sport. Tout cela a évolué de façon assez constante, et c'est bien la difficulté de l'exercice au quotidien d'une profession où l'on est en permanence « sur la ligne » et où tout dépend du sens de la responsabilité de chacun : ceux qui entendent rester dans la légalité le peuvent, mais ceux qui veulent passer de l'autre côté ont tout loisir de jouer sur la dualité des réglementations.

Après ce premier syndicat, nous avons créé un syndicat à vocation européenne, sinon mondiale, l'IAFA, International Association of Football Agents, qui a rencontré la FIFA en de nombreuses occasions, avant de fonder l'UASF au moment de la création des groupes de travail, prélude à l'élaboration d'une proposition de loi qui recevait l'assentiment de tous.

Il en est du milieu sportif comme du milieu artistique : que l'on y voie un bien ou un mal, les joueurs de football sont en permanence sur le devant de la scène et courtisés par les clubs. Il y a dix ans, seuls les joueurs professionnels étaient sous contrat, et jamais avant vingt ou vingt et un ans. À mesure que leur nombre augmentait, les agents se sont mis à courtiser des jeunes de dix-sept ans ou moins ; parallèlement, les joueurs extrêmement sollicités ont besoin de faire appel à une personne, si possible de confiance, capable de les dégager des tracasseries extra-sportives. Dans toutes les disciplines, la pression des résultats oblige le sportif à se concentrer sur son activité et il ne peut pas passer son temps au téléphone ; l'agent rend à cet égard un service tout à fait nécessaire. Au bout de quelques années, les clubs eux-mêmes ont fini par admettre que ce système permettait une certaine transparence et leur facilitait l'accès aux joueurs.

Dans l'ensemble, cela ne se passe pas trop mal et même plutôt bien dans le système franco-français, mais un peu plus difficilement sitôt que l'on touche aux transferts et aux relations avec l'Europe. Ajoutons que le monde du football, comme celui des autres sports, est une microsociété fermée organisée autour de 900 à 1 000 joueurs ; avec 50 ou 60 agents, cela ne se passe pas mal, avec 100, un peu moins bien et lorsqu'ils seront 200, ce sera la catastrophe... Disons que, sur 100 agents, 40 grosso modo travaillent, dix sont influents et cinq ont comme mois plus de quinze ans d'ancienneté. Il serait dommage d'en venir à limiter l'accès à cette profession, mais pour les nouveaux, c'est très difficile : ils n'en sont que plus tentés de s'immiscer là où ils n'ont rien à faire. Nous souhaiterions qu'il y ait un peu plus de transparence et que l'on ne découvre pas au détour d'un dossier deux ou trois intervenants là où un seul suffirait.

M. le Président : Et le cas où un agent représente tout à la fois le joueur et son club ?

M. Philippe FLAVIER : Ce cas est en revanche rigoureusement impossible. La loi dispose que l'agent sportif est mandaté ou bien par un joueur, ou bien par un club : nous ne pouvons être rémunérés que par un seul mandant.

M. le Président : À ceci près que c'est toujours le club qui paie.

M. Philippe FLAVIER : Effectivement, et pour plusieurs raisons.

La première tient aux mœurs : les joueurs ne paient jamais ! Lorsque vous faites mille kilomètres pour aller les voir, ils n'offrent même pas le café, encore moins le restaurant ! Cela m'est arrivé une seule fois avec un joueur avec lequel je travaillais depuis dix ans, dans le cadre de relations quasi familiales. La commission des agents est saisie de bon nombre dossiers en contentieux, présentés par des agents qui ont tenu à respecter la législation jusqu'au bout, avec un mandat signé dans les règles et déposé en Fédération. Le joueur ne se privera pas de dénoncer le contrat, en invoquant des raisons sibyllines qui ne tiennent pas la route, pour ne pas payer. Et jamais nous ne trouvons au sein de la FIFA, de la Fédération française ou des organismes tutélaires quelqu'un pour nous défendre : on nous propose une conciliation qui n'aboutit jamais avant de nous renvoyer devant les tribunaux.

M. le Président : Attaquer son client est toujours difficile...

M. Philippe FLAVIER : À plus forte raison dans une profession fondée sur les relations personnelles. Je ne l'ai fait qu'une fois en dix-sept ans. Assigner un sportif au tribunal, c'est intellectuellement mauvais, mais également incertain : on a toutes les chances d'aboutir à une insolvabilité.

La deuxième raison, c'est que le club a tout intérêt à payer la commission en termes de charges sociales et patronales. Si elle était payée par le joueur, j'aurais évidemment le souci de ne pas laisser notre contrat se dévaloriser et je chercherai à le surévaluer en conséquence.

M. le Président : Cela n'a rien de choquant : dans tous les cas de figure, la commission se traduit par un surcoût.

M. Philippe FLAVIER : C'est bien pour cela que les clubs ont accepté cette façon de procéder.

M. le Président : Peut-être pourrait-on l'adapter...

M. Philippe FLAVIER : Reste la première raison, déterminante : nous passerions nos journées au tribunal.

M. le Président : Mais comment sortir d'une situation où l'agent est censé défendre le joueur, mais est rémunéré par le club pour le rôle qu'il joue lors du transfert ?

M. Philippe FLAVIER : Nous sommes sur le trapèze : depuis quelques années, les agents ne signent plus de contrat formel avec leur joueur, au risque de le perdre à tout moment. Non seulement cela ne renforce pas la transparence, mais le fait que les joueurs se sentent totalement libres ouvre la porte à tous ceux qui cherchent à s'immiscer dans les dossiers, ce qui complique encore plus le système. Sans oublier qu'un club aura toute latitude pour demander à tel agent de contacter tel joueur, sachant qu'il n'y a pas de contrat.

M. Alain NÉRI : Si c'est devenu si compliqué, c'est que l'on a laissé libre cours à toutes les dérives. Une loi a précisément pour but de rendre les choses claires et transparentes. Or il n'est pas normal d'être rétribué par le club lorsque l'on est censé servir le joueur.

M. Philippe FLAVIER : Je comprends votre interrogation, mais ce mode de fonctionnement existe dans d'autres activités assez similaires à la nôtre : un agent artistique, par exemple, n'est quasiment jamais payé par l'artiste, mais par le producteur et cela marche très bien ainsi. Notre souci est d'essayer de coller avec un fonctionnement habituel en éliminant les dérives. La proposition de loi était à cet égard d'une simplicité biblique.

Il faut revenir à ce que j'appelle le triptyque : un club, un joueur, un agent, en admettant, parce que cela fonctionne ainsi, que le club paie l'agent, mais à la condition que celui-ci ait déposé le contrat qui le lie au joueur à la Fédération. Nous organiserons ainsi une transparence totale : à aucun moment le club ne pourra payer un deuxième agent, car il ne pourra pas le justifier. Nous éradiquerons ainsi 80 % des problèmes qui nous occupent - et occupent la presse. Les 20 % restants seront le fait d'intervenants qui auront sciemment décidé de contourner la loi, auquel cas les tribunaux jugeront. Ceux qui suivent ces affaires de près savent que celles qui nous font tant de mal concernent toujours les même quatre ou cinq noms, alors que nous sommes 100 ou 150 agents. Pourquoi les retrouve-t-on sur les mêmes dossiers ? Parce que la législation sur les incompatibilités d'accès à la profession est quelque peu laxiste. On exige un casier judiciaire vierge, mais ce n'est pas le bon casier : il faut avoir tué son voisin ou presque... Je préférerais qu'un agent condamné en première instance pour des malversations dans l'exercice de son métier n'ait plus le droit de l'exercer. En l'état actuel des choses, il y a toujours accès ! Si l'on veut que le système fonctionne, il faut d'abord éradiquer les abus.

Soyons honnêtes : le paiement par les joueurs, sur le plan intellectuel, paraît une évidence pour tout le monde. Mais cela ne fonctionnera pas, premièrement parce qu'aucun joueur ne paiera, deuxièmement parce que rien n'est prévu du côté de la fiscalité.

M. le Président : On peut le prévoir.

M. Philippe FLAVIER : Je ne me vois pas vous demander des dispositions fiscales au bénéfice de joueurs de football professionnels !

M. Alain NÉRI : Si l'on en est là, c'est bien parce que la législation actuelle ne fonctionne pas. Notre objectif est de faire une loi assurant tout à la fois la transparence et la sécurité, et rappelant bien les droits et les devoirs de chacun. Avec un mandat effectivement déposé à la Fédération française, on saurait effectivement qui fait quoi. Mais quand je vous entends vous inquiéter à l'idée qu'un joueur de Ligue 1, touchant 50 000 à 60 000 euros par mois, puisse refuser de payer un service fait, je me dis qu'il y a moyen de l'y obliger !

M. Philippe FLAVIER : Sur le fond, je ne puis qu'être d'accord avec vous : ces situations ont quelque chose d'hallucinant. Mais je vous le jure sur ce que j'ai de plus cher : dans le fonctionnement au quotidien, les joueurs ne paient pas et je n'ai pas envie de passer mon temps dans les tribunaux pour récupérer le fruit de mon travail. Le contrat, nous irons tous le déposer à la Fédération : nous avons envie de travailler dans la tranquillité. Mais nous voulons également être payés régulièrement pour notre travail lorsqu'il est bien fait.

Cela dit, il faut tout de même savoir que les transferts ne sont pas si nombreux. J'en fais trente par an, six cent cinquante depuis dix ou quinze ans, sans que mon nom ne soit jamais apparu une seule fois. Travailler régulièrement en étant payé par les clubs, sans avoir besoin d'autres intervenants, cela peut se faire et la loi peut nous y aider. Imaginer que le joueur puisse payer l'agent en application d'un mandat, cela paraît intellectuellement évident, mais cela ne marchera pas dans la réalité.

M. Jean-Marie GEVEAUX : Est-ce pareil à l'étranger ?

M. Philippe FLAVIER : Rigoureusement pareil. Notre profession a fait en sorte d'accepter à peu près tout ce qui pouvait se faire afin de coller le plus possible à la réalité. Par exemple, les contrats, généralement de quatre ans, laissaient autrefois la possibilité d'inscrire des clauses libératoires, permettant de sortir au bout de deux ans moyennant indemnité. Les agents étaient alors rémunérés en une fois, one shot, pour un contrat de quatre ans alors qu'il pouvait n'en durer que deux... Nous avons accepté de signer des contrats fermes de quatre ans, pendant lesquels le joueur ne pouvait pas partir sans l'assentiment de son club, mais en même temps d'être payés année par année. Autrement dit, nous ne sommes pas en situation de réclamer de l'argent là où il n'y a pas lieu d'en toucher. Si le joueur part au bout de deux ans, nous sommes payés pour deux ans. De même s'il change d'agent en cours de route.

M. Alain NÉRI : Là, vous pouvez vous rattraper...

M. Philippe FLAVIER : Mais nous pouvons perdre nos joueurs : les contrats ne durent en fait que deux ans maximum. S'ils renégocient avec le club dans lequel nous avons signé, nous n'avons plus rien. Les joueurs sont une population très volatile, sinon très lunatique, alors que le nombre d'agents ne cesse de croître. À dix-huit ou vingt ans, on veut tout et tout de suite ; et si cela ne va pas comme on croit que cela devrait aller, on changera d'autant plus rapidement d'agent que l'on est constamment sollicité.

M. le Président : Et l'ambiguïté du rôle de l'agent lors d'un transfert ?

M. Philippe FLAVIER : L'agent a deux rôles qu'il faut bien distinguer. Les relations entre joueurs et clubs occupent 95 %, sinon 98 % de notre temps. Mais certains agents décident de travailler plutôt pour les clubs, sur les transferts. En dix-sept ans, jamais je n'ai été concerné par le montant d'un transfert ; je ne suis concerné que par le montant du contrat de mon joueur. Et il arrive qu'un club insatisfait de son joueur veuille s'en séparer, sans disposer forcément du réseau et de l'assistance pour l'aider à trouver preneur : il pourra mandater un agent en lui donnant mission de trouver un acquéreur potentiel pour ce joueur.

M. le Président : À condition de ne pas être déjà lié à ce joueur par contrat.

M. Philippe FLAVIER : Non seulement c'est évident, mais si contrat il y avait avec ce joueur, il serait déposé en fédération, et jamais le club ne pourrait me payer pour autre chose : cela deviendrait de facto répréhensible.

Le football a une curieuse caractéristique : dès qu'on y met quelque chose en place, certains trouvent la parade.

M. Jean-Marie GEVEAUX et M. Alain NÉRI : Ce n'est pas spécifique au football !

M. Philippe FLAVIER : Si les joueurs doivent payer leurs agents, les sociétés d'agents ou de conseil aux joueurs se mettront à fleurir, et de l'autre côté des sociétés de conseil aux clubs. Certains ont déjà anticipé... Les clubs qui chercheront un joueur s'adresseront à des sociétés de conseils aux clubs, lesquelles iront piocher dans les sociétés de conseil aux joueurs et ce sera un bazar terrible. Le mandat sera fait à l'agent de la première qui le rétrocédera à la seconde. Loin d'avoir simplifié, on aura compliqué le système en favorisant l'apparition de sociétés qui feront semblant d'exister mais dont la seule raison d'être sera de contourner le problème. Plus on fera simple, mieux on y répondra et mieux on parviendra à contrôler.

On veut contrôler la transparence des flux financiers et c'est indispensable. Mais si le club paie l'agent dont le contrat avec le joueur a été déposé et qu'en plus le flux financier lié à ces commissions passe par la ligue nationale, le contrôle devient très facile : on connaîtra le nombre d'intervenants dans tel dossier, le montant des commissions versées, etc., tout deviendra aisément vérifiable. Si ce sont les joueurs qui paient, toute vérification devient impossible, à moins d'opérer systématiquement des contrôles fiscaux. Qui plus est, tout agent européen pourra bientôt venir travailler en France. Comment déclarer ? Lorsqu'un agent italien prendra un joueur français sous contrat, comment se fera-t-il payer ? En Italie, au black, en espèces, on s'arrangera ? Ce n'est pas ce que j'appelle aller dans le sens de la transparence : on repasse la patate chaude à un autre, sans pouvoir rien vérifier.

M. Alain NÉRI : Je peux parfaitement en faire autant avec ma femme de ménage, la payer au noir, m'arranger, etc. Reste que je suis légalement obligé de payer ses congés payés, les charges sociales, les cotisations. Le joueur sera bien obligé de s'en justifier dans sa déclaration fiscale.

M. Philippe FLAVIER : Pour l'instant, il ne peut rien déduire : dans la mesure où il ne s'agit pas de frais susceptibles de venir en déduction de ses revenus, il n'aura aucun intérêt à en faire état. C'est une de nos grandes craintes, surtout lorsque nous voyons à quelle vitesse les agents prolifèrent... Nous avons tout intérêt à la transparence.

On peut officialiser la rémunération par les clubs, dès lors que le mandat du joueur sera déposé à la fédération et que les fonds transiteront par les instances nationales, comme cela se fait en Angleterre. Cela s'y passe très bien : le club nous rémunère en faisant transiter l'argent par la fédération qui nous verse les fonds. N'oubliez pas qu'il n'y a quasiment pas de problèmes sur les dossiers franco-français : pour ceux-là, le changement ne se verra même pas, si ce n'est au niveau des possibilités de vérification qui seront accrues. Les dossiers les plus compliqués, ceux qui donnent lieu à affaires, concernent l'étranger et surtout les transferts, pas nécessairement les négociations de joueurs. Le problème majeur intervient lorsqu'un club achète un joueur à l'étranger et que, pour le rémunérer au montant net souhaité, il doit verser des sommes colossales en brut : au lieu de payer 10 millions, on lui en fait payer 15, on donne la différence au joueur et l'affaire est bouclée... Là sont les gros problèmes, et pas dans la négociation sur un joueur qui quitte Lyon pour aller à Caen ou Caen pour aller à Bordeaux ! Il faut bien distinguer le problème du transfert de club à club de celui de la négociation d'un joueur entrant dans un club avec un contrat de quatre ans. Ce cas-là ne pose aucune difficulté, si ce n'est l'immixtion de tiers intervenants en nombre tant que nous n'aurons pas le triptyque : un club, un joueur, un agent.

M. Alain NÉRI : Comment se règle la situation de ces jeunes joueurs que l'on va chercher en Afrique ? S'ils sont recrutés par des clubs, c'est bien que des agents servent d'intermédiaires. Comment les fait-on venir, comment surtout les fait-on repartir s'ils ne font pas l'affaire ?

M. Philippe FLAVIER : Le traitement de la jeunesse est un problème majeur, mais les agents ne sont pas les seuls en ligne de mire : les clubs ont également des recruteurs, y compris directement sur place. Nous ne sommes pas si mal placés par rapport à nos voisins belges, dont les clubs comportent parfois 100 % de joueurs africains qu'ils « européanisent » pour les revendre à d'autres clubs ; et si cela ne marche pas, ils les mettent à la rue.

M. Alain NÉRI : Cela arrive...

M. Philippe FLAVIER : Pas tellement en France. Pour commencer, la FIFA a fait en sorte que les agents n'aient pas le droit de toucher de l'argent sur un sportif mineur et c'est bien ainsi - nous ne devrions même pas en toucher tant qu'il n'a pas signé son premier contrat professionnel. Autrement dit, nous n'avons aucun intérêt à ce genre d'affaires. Au demeurant, les Africains sont souvent managés par des Africains, dans le cadre de relations très particulières d'ordre familial, en dehors de toute réglementation. Pour venir en France, il faut être majeur, ou accompagné de ses parents, et l'on va en centre de formation, pas à la rue. Sur ce plan, nous sommes plutôt en avance par rapport à d'autres pays.

Cela dit, un échec est un échec. Un joueur français de dix-huit ans rentrera chez lui ; un joueur africain essaiera de rester en Europe, et c'est là qu'il se retrouvera assiégé d'individus qui chercheront à se faire de l'argent sur son dos. Mais si le club ne l'a pas gardé, c'est qu'il n'a pas grande valeur ; autrement dit, il n'y a pas grande malversation à tirer d'un tel dossier.

M. le Président : Monsieur Flavier, nous vous remercions.

Audition de M. Frédéric THIRIEZ,
président de la Ligue de Football professionnel (LFP),
accompagné de M. Arnaud ROUGER,
directeur des activités sportives


(Extrait du procès-verbal de la séance du 22 novembre 2006)


Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. La Ligue de football professionnel a récemment rendu public un Livre blanc proposant plusieurs mesures visant à mieux encadrer la profession d'agent sportif et à garantir la transparence des transferts. Comment juge-t-elle le comportement des agents comme des clubs, totalement contraire à la loi qui dispose que les agents doivent être payés par les joueurs ? L'agent ne se retrouve-t-il pas de fait à jouer un rôle d'agent double dans ses relations avec le club et le joueur, et à toucher des rétro-commissions ? Que faut-il mettre en place pour améliorer ou renforcer la législation actuelle ? La Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) a-t-elle toutes les pièces en main, autrement dit les détails des contrats et des rémunérations ? Est-il possible, dans un marché totalement ouvert, de connaître les destinations définitives de ces flux financiers, sinon leurs sources ? Les moyens de contrôle sont-ils suffisants ? Comment renforcer les possibilités de sanction ?

M. Frédéric THIRIEZ : Je suis très heureux de la constitution de cette mission d'information parlementaire. La question des agents et des transferts est pour nous une préoccupation majeure. Nous y travaillons depuis trois ans, sans avoir encore réussi à faire aboutir une proposition, mais je ne désespère pas... Je souhaite en tout cas que votre mission puisse nous aider à mettre de l'ordre dans ce secteur. Globalement, le football français est un milieu relativement propre, sauf précisément dans un domaine : celui des transferts. Cela dit, il faut bien distinguer entre les agissements frauduleux et les imperfections du système légal.

Pour ce qui est des agissements frauduleux - faux agents, c'est-à-dire sans licence, surfacturations de commissions de transfert permettant de rétrocéder des rémunérations à X ou Y, etc. -, il n'existe malheureusement qu'une seule réponse : la réponse pénale. C'est pourquoi, sitôt que nous avons connaissance d'un soupçon de fraude, nous saisissons systématiquement la justice : nous sommes en ce moment partie civile dans une quinzaine d'affaires impliquant des agents, y compris celle dites des comptes de l'Olympique de Marseille (OM).

Au-delà, mon rôle n'est pas seulement de chasser la fraude, mais également de chercher à améliorer le système en donnant à la Ligue de réels moyens de contrôle, dont nous sommes pour l'heure totalement dépourvus. Notre dispositif souffre de trois imperfections majeures : le nombre excessif d'agents, des problèmes éthiques et enfin des difficultés liées au mode de rémunération des agents.

Premièrement, il y a trop d'agents et donc trop d'argent qui circule : 150 agents français licenciés de la Fédération, plus de 2 000 agents de la Fédération internationale de football association (FIFA) qui eux aussi ont le droit, en application des règlements sportifs internationaux, d'opérer en France. Probablement faudra-t-il arriver à un numerus clausus et clarifier la situation des agents étrangers opérant en France : nous proposons dans le Livre blanc qu'un agent FIFA puisse opérer en France à la condition de se déclarer auprès de la Fédération et de la Ligue et d'avoir un compte bancaire en France.

La question des collaborateurs d'agent pose elle aussi un véritable problème. Beaucoup de personnes se prétendent agent, alors qu'elles ne sont que collaborateurs. Par ailleurs, la délivrance de la licence doit impérativement être réservée à des personnes physiques, en aucun cas à des personnes morales. Enfin, il faut appliquer une règle simple, claire, brutale : un joueur égale un agent. Un joueur ne doit en avoir qu'un seul, avec un mandat de représentation déposé à la Ligue et à la Fédération.

Les problèmes éthiques sont également très nombreux. Il y a d'abord une incompatibilité évidente entre la fonction d'agent et celle de direction dans un club sportif. Il faut compléter la loi en imposant une symétrie dans les incompatibilités : pour l'heure, un agent sportif peut devenir immédiatement dirigeant d'un club : c'est anormal et cela prête à tous les soupçons. Il est par ailleurs scandaleux de voir les agents toucher par avance une commission sur l'ensemble des années du contrat ; si le joueur part en fin de première année, il pourra à nouveau toucher plusieurs années de commission sur le contrat suivant, et ainsi de suite... Il faut impérativement que les commissions soient versées annuellement.

M. le Président : Comment font les clubs ? La règle voudrait que la charge soit lissée sur la durée du contrat. C'est du moins ainsi que cela devrait être comptabilisé dans les comptes d'exploitation que vous vérifiez chaque année...

M. Frédéric THIRIEZ : Souvent, le club paie sur les trois ans.

M. le Président : Et les trois ans de commissions passent en charge sur la première année ?

M. Frédéric THIRIEZ : Oui.

M. le Président : Il faut de la trésorerie... Les clubs ont donc les moyens !

M. Frédéric THIRIEZ : La concurrence est telle que les clubs sont prêts à satisfaire à toutes les exigences d'un agent pour avoir tel joueur. Il faut qu'une règle interdise de payer les commissions d'une manière autre qu'annuelle. Les commissions devraient également être dégressives : il n'est pas normal de toucher systématiquement 10 % sur une rémunération énorme. Le plus invraisemblable est que la Ligue n'a aucun moyen de connaître exactement le montant des commissions d'agent versées par le club. La Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) dispose du budget et de la masse totale des commissions versées par chaque club, mais nous ne savons pas sur quel contrat.

M. Alain NÉRI : Les montants ne sont pas identifiés.

M. Frédéric THIRIEZ : Exactement.

M. Arnaud ROUGER : Nous connaissons le nombre d'agents intervenant dans un transfert, mais il nous manque le contrat de mandat détaillant le mode de calcul de la rémunération versée. Nous ne pouvons pas vérifier, au vu du contrat passé entre le joueur et le club, le montant prévu et pas davantage la réalité de la prestation fournie.

M. Alain NÉRI : Le club n'a pas obligation de vous communiquer le contrat ?

M. Arnaud ROUGER : Non. Les agents ont l'obligation de déposer leur mandat à la Fédération, mais pas lorsqu'ils interviennent pour le compte des clubs.

M. Frédéric THIRIEZ : C'est là toute l'hypocrisie du système actuel.

M. le Président : Qu'est-ce qui vous empêche de l'exiger ?

M. Frédéric THIRIEZ : Il nous faudrait avoir les moyens de contrôler le montant des commissions, ne serait-ce que parce que la loi le plafonne à 10 % des rémunérations du joueur ? Or nous sommes dans l'incapacité de nous en assurer.

La rémunération de l'agent est précisément notre troisième problème majeur et c'est sur celui-là que bute notre projet de réforme, alors même que toute la viabilité du système proposé en dépend. Aux termes de la loi, c'est le joueur qui paie son agent mais cela ne marche pas ainsi, ni en France ni dans aucun pays étranger : dans tous les cas, l'agent est rémunéré par le club, lequel déduit évidemment le montant de la commission du salaire versé au joueur et s'arrange en donnant un mandat de recherche à l'agent. Formellement, la loi est respectée, puisqu'un club a parfaitement le droit de rémunérer un agent ; mais en réalité, elle est détournée, puisque c'est l'agent du joueur. Cette hypocrisie met le club en situation de risque permanent et a un effet pervers énorme : les agents ne déposent plus leur mandat à la Fédération, car si celle-ci avait connaissance du contrat qui les lie au joueur, ils ne pourraient plus se considérer comme agents de club. Tout le système légal est ainsi vicié.

Nous travaillons sur cette question depuis janvier 2004, après avoir réuni toutes les parties prenantes : la Fédération, les clubs professionnels, le syndicat des joueurs, les syndicats d'agents. La solution à laquelle nous sommes parvenus consisterait à mettre le droit en accord avec le fait en autorisant les clubs à rémunérer officiellement les agents, à condition d'avoir en main le mandat conclu entre l'agent et le joueur.

M. Alain NÉRI : Antérieurement, s'entend.

M. Frédéric THIRIEZ : Bien sûr : le mandat devrait avoir été déposé antérieurement.

Ce système a le gros avantage de permettre enfin un réel contrôle : la Ligue exigera d'avoir le mandat du joueur, aura connaissance du montant exact de la rémunération versée par le club et pourra s'assurer de l'effectivité du service rendu par l'agent. Sur le plan moral, ce dispositif ne pose aucun problème. Il n'y a aucun risque de fraude, puisque l'agent paiera tout à fait normalement des impôts sur ses commissions, le joueur touchera son salaire ni plus ni moins qu'avant et le club inscrira en charges la commission de l'agent, qu'il pourra ainsi déduire de l'impôt sur les sociétés.

Le ministre des sports semblait avoir donné son accord et avait même diligenté une enquête conjointe de l'Inspection des finances et de l'Inspection générale de la jeunesse et des sports, mais il a depuis changé de position pour des raisons assez obscures - je crois comprendre que le procès des comptes de l'OM l'aurait fait réagir, par crainte que ce genre de dérive ne se généralise si les clubs étaient autorisés à rémunérer directement les agents. À ceci près que ce n'est pas du tout le même sujet : dans l'affaire des comptes de l'OM, il s'agit de commissions sur des transferts de club à club.

M. le Président : Mais avec des intermédiaires...

M. Frédéric THIRIEZ : Certes, mais il ne s'agit pas d'agents de joueurs.

M. le Président : Le problème est que l'agent du club est également agent de joueur...

M. Henri NAYROU : Avec une connivence totale entre les deux parties ! D'où ma réticence à l'idée de procéder de la sorte.

M. Frédéric THIRIEZ : Reste que je ne comprends toujours pas les critiques sur ce système qui garantit une transparence totale.

M. Alain NÉRI : À condition qu'un joueur n'ait qu'un seul agent.

M. Frédéric THIRIEZ : C'est exactement ce que nous proposons. Nous avons aujourd'hui un système totalement aveugle, auquel personne ne comprend plus rien. Nous proposons un dispositif de transparence totale, calqué sur celui des agents artistiques et sur ce qui se fait dans tous les pays européens.

M. le Président : À ceci près que l'on ne voit pas de transferts chez les artistes, ni de rapports directs entre un producteur de spectacle et un autre, et que le spectacle en football suppose de faire jouer des clubs entre eux...

M. Henri NAYROU : Sans compter que l'agent serait rémunéré par le club en tant que chasseur de têtes, parce qu'il lui aurait trouvé le joueur idoine, alors que son premier rôle consiste, à l'inverse, à trouver un club au joueur... Bon nombre ne manquent pas d'invoquer une analogie avec le milieu artistique ou de se référer à des pratiques fréquentes dans les entreprises : si un chasseur de têtes ramène à Cap Gemini un ingénieur de chez Microsoft, la commission sera effectivement versée par Cap Gemini mais, à la différence de ce qui se passe dans le monde du football, Cap Gemini n'aura pas à payer Microsoft !

M. Frédéric THIRIEZ : Nous avons souvent du mal à faire comprendre qu'il faut distinguer le problème des transferts de celui du rôle de l'agent dans le contrat de travail du joueur.

M. Arnaud ROUGER : Il faudrait rappeler les volumes financiers que l'un et l'autre représentent.

M. Frédéric THIRIEZ : L'agent d'un joueur est rémunéré non sur le transfert, mais sur le contrat de travail.

M. Alain NÉRI : Sur le salaire du joueur.

M. Frédéric THIRIEZ : Effectivement, au titre de son activité de conseil et d'assistance au joueur, et sa rémunération est fonction du salaire de ce dernier, et calculée en pourcentage. C'est le schéma normal et l'activité quotidienne des agents comme du reste de la Ligue : on compte à peu près 5 000 contrats et avenants de ce genre par an.

M. Arnaud ROUGER : Pour deux mille joueurs.

M. Frédéric THIRIEZ : Les transferts sont tout autre chose. Pour commencer, on n'en relève guère qu'une centaine. Un transfert se passe normalement de club à club, et la plupart du temps sans intervention d'un agent ; s'il y en a un, c'est l'agent du club. Pour ce cas de figure, notre Livre blanc propose également une solution très simple : centraliser les transferts en les faisant systématiquement passer par la Ligue afin de garantir une parfaite transparence. L'argent ne passerait plus directement du club A au club B : le club A achète un joueur, verse l'argent à la Ligue, laquelle vérifie que tout est régulier et reverse l'argent au club B. Les Anglais ont adopté ce système depuis un certain temps et ils ont eu raison. Et cela vaudrait sur le plan international : si un club français achetait un joueur à un club anglais, il verserait l'argent à la ligue française qui le donnerait à la ligue anglaise, et celle-ci le remettrait au club anglais.

M. Henri NAYROU : Selon un système de compensation analogue à celui de la Caisse des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) ou de la Caisse des dépôts.

M. Frédéric THIRIEZ : Exactement.

M. Alain NÉRI : Et comment contrôler la surfacturation ?

M. Frédéric THIRIEZ : On ne peut pas contrôler la surfacturation - au demeurant, qui peut chiffrer exactement le coût d'un joueur ? -, mais au moins la Ligue saura-t-elle exactement quelle somme a été payée, puisque c'est elle qui l'aura versée. Ce sera totalement transparent.

M. Alain NÉRI : Lorsqu'un club A vend un joueur 25 millions à un club B et que, moins d'un an plus tard, celui-ci revend le même joueur 120 millions au club A, c'est-à-dire à son club d'origine, n'y a-t-il pas là quelque chose qui interpelle ?

M. Frédéric THIRIEZ : C'est certain ; mais en l'état actuel des textes, rien de cela n'apparaît aujourd'hui. La centralisation au niveau de la Ligue permettrait au moins de le voir, et de se poser des questions.

M. le Président : Mais d'ores et déjà, vous examinez les comptes avant d'autoriser une transaction...

M. Frédéric THIRIEZ : Nous n'examinons absolument pas les transactions au coup par coup, mais seulement les budgets annuels des clubs. C'est totalement différent.

M. le Président : Mais à l'intérieur de ces budgets, les masses salariales sont contrôlables : si elles viennent à dépasser 10 %, on exige des explications. En est-il de même chez vous ?

M. Frédéric THIRIEZ : Oui.

M. le Président : Or ces explications ne peuvent pas être précises si vous n'avez pas toutes les pièces du contrat, y compris du transfert. Je suis surpris que vous ne soyez pas au courant des montants ni des mandats.

M. Arnaud ROUGER : Nous connaissons le montant des transferts, mais pas celui des commissions versées.

M. le Président : Mais elles ont pourtant des répercussions sur le compte d'exploitation...

M. Arnaud ROUGER : L'objectif de la DNCG est de vérifier que le club est en règle et en capacité de finir le championnat, ce qu'elle fait. C'est un tout autre problème que de vérifier quelle commission a été versée à tel agent, et en échange de quelle prestation.

M. le Président : Lors du transfert d'un joueur, la masse salariale est relativement transparente ; la commission devrait l'être également - vous l'exigez, je suppose...

M. Frédéric THIRIEZ : Précisément non. Nous connaissons seulement le montant du transfert dans le cadre de la convention passée entre les deux clubs.

M. le Président : Vous ne savez pas qui est payé, au-delà du montant du transfert ?

M. Arnaud ROUGER : Non.

M. le Président : Il me semble que la DNCG prend un risque à garantir la pérennité d'un club sans avoir connaissance de tous les éléments financiers du transfert !

M. Frédéric THIRIEZ : Elle les a, mais globalement. Les commissions sont déclarées dans le budget du club, en honoraires.

M. le Président : Mais sitôt qu'elles dépassent 10 % de la masse salariale - ce qui doit arriver très souvent, à chaque transfert important, a fortiori si vous les imputez sur une seule année, comme vous le dites -, comment la DNCG peut-elle ne pas s'inquiéter du risque d'une dérive financière susceptible de mettre le club en difficulté, et donner son agrément à l'achat d'un joueur ?

M. Frédéric THIRIEZ : Il ne faut pas confondre la Ligue et la DNCG. La Ligue est chargée de s'assurer de la régularité juridique des contrats...

M. le Président : Mais la DNCG ?

M. Arnaud ROUGER : La DNCG auditionne les clubs en mai pour leur engagement à la saison suivante. Autrement dit, elle statue pour la saison N + 1 sur la base des comptes de la saison N. Au moment des transferts, la DNCG ne contrôle que l'engagement de la masse salariale, conformément au contrat du joueur, pas le détail de la commission potentiellement versée.

M. le Président : Autrement dit, elle n'a aucun élément financier lui permettant de s'assurer de la pérennité du club ! C'est invraisemblable !

M. Arnaud ROUGER : Il y a de nombreux autres éléments dont elle ne dispose pas...

M. Alain NÉRI : Cela signifie que personne ne connaît la rémunération versée à l'agent sur une affaire déterminée, et pas davantage la commission versée à l'occasion d'un transfert.

M. Frédéric THIRIEZ : La DNCG ne dispose que des comptes globaux.

M. Alain NÉRI : Vous ne pouvez donc pas savoir si la commission dépasse ou non 10 %.

M. Frédéric THIRIEZ : C'est bien ce que nous demandons. Mais pour cela, il faut revoir l'ensemble du système.

M. le Président : Vous ne pouvez donc donner aucune assurance sur la pérennité d'un club et par là même garantir la régularité du championnat.

M. Arnaud ROUGER : Vous faites légèrement fausse route dans la mesure où le club peut prendre nombre d'autres engagements que la DNCG ne contrôle pas.

M. le Président : Vous avez des bilans intermédiaires, vous demandez des balances tous les trois mois...

M. Arnaud ROUGER : Mais l'engagement est déjà pris.

M. le Président : Reste que les mouvements financiers les plus importants et par la même les plus susceptibles de compromettre l'équilibre financier d'un club, ce sont bien les transferts et les montages financiers qui y sont liés...

M. Arnaud ROUGER : J'en conviens, mais le fait qu'ils puissent mettre à mal la santé financière du club me paraît plus discutable.

M. Alain NÉRI : Sur ce qui intéresse directement la mission - c'est-à-dire la question des agents et des transferts -, il vous manque donc deux éléments essentiels : la rémunération de l'agent prélevée sur le salaire du joueur, et la commission payée à chaque opération de transfert.

M. Frédéric THIRIEZ : En effet, et c'est ce que nous réclamons depuis trois ans et le meilleur moyen d'assurer la transparence est d'autoriser les clubs à rémunérer les agents. Comment voulez-vous contrôler le montant des commissions qu'ils versent s'ils n'ont pas le droit de les payer ? Je ne comprends pas les réticences du ministre des sports, puisque ce système est précisément la condition de la transparence et du contrôle que l'on réclame ! Comment peut-on contrôler quelque chose que l'on ne connaît pas et que les clubs n'ont pas le droit de faire ?

M. le Président : Votre rôle est de garantir la régularité des championnats et la pérennité des clubs ; à la limite, le montant d'une commission devrait rester l'affaire du joueur et de son agent. Si c'est le joueur qui la paie, cela ne saurait mettre le club en difficulté.

M. Frédéric THIRIEZ : Sauf que ce n'est pas ainsi que cela se passe...

M. le Président : Aux États-Unis, par exemple, il n'y a aucune relation contractuelle entre l'agent et le club ou la franchise.

M. Frédéric THIRIEZ : Dans notre système, il s'agit bien d'un contrat passé entre l'agent et le joueur, à ceci près que le flux financier va du club à l'agent, comme cela se fait avec les agents d'artistes. Aucun argument rationnel ne peut y être opposé : c'est la condition même du contrôle.

M. Henri NAYROU : La règle voudrait que le joueur paie le conseil qui a su lui trouver un club d'accueil et négocier un contrat avantageux. Ce raisonnement logique se heurte semble-t-il à deux difficultés : premièrement, la crainte de l'agent de ne pas être payé ; deuxièmement, le risque d'éventuelles manipulations. À vous entendre, le meilleur moyen d'assurer une certaine transparence serait que le club rémunère l'agent. Seriez-vous prêts, si tel devait être le cas, à limiter les pourcentages versés à l'occasion des transferts ? Vous avez remarqué à juste titre qu'il n'était pas normal de les rémunérer sur la durée totale prévue du contrat et que leur rétribution devait être annuelle et fonction du temps réellement passé. La DNCG a déjà la possibilité de s'opposer à un recrutement lorsque l'investissement dépasse la norme. Seriez-vous prêts de la même façon à limiter la durée de certains contrats dont la longueur abusive ne peut que favoriser les mutations en cours de contrat, et donc les commissions à répétition ? Le contrôle serait-il toujours assuré par la DNCG ou serait-il confié à un organisme totalement indépendant de la Ligue ? Ne faudrait-il pas, par ailleurs, privilégier un système où les contrats iraient normalement à leur terme.

M. Frédéric THIRIEZ : Nous défendons l'idée d'un tarif annuel et dégressif. Il n'est pas normal qu'un agent passe dix minutes sur un dossier et empoche un million de dollars. À noter que dans le système que nous défendons, la centralisation vaudrait également pour les commissions d'agent : M. Philippe Piat (207) est encore un peu réticent à l'idée d'un paiement de l'agent par le club mais le système que nous proposons devrait lever ses hésitations. Il n'y aurait pas paiement direct du club à l'agent : le club paierait à la Ligue qui rémunérerait l'agent, comme pour les transferts.

M. le Président : Ce qui couperait court à tout lien de subordination, ou plus exactement à toute impression de lien de subordination.

M. Frédéric THIRIEZ : Exactement. Il s'agit bien d'une impression : Johnny Hallyday accepte que son agent soit payé par sa maison de disques... Le paiement par le biais de la Ligue coupe court à tout argument.

Les transferts posent un problème plus délicat parce que nous ne pouvons pas nous faire juge du montant de l'opération.

M. Henri NAYROU : À ceci près que la DNCG se prononce sur le montant global et peut s'opposer à l'opération si elle l'estime préjudiciable à l'équilibre financier du club.

M. Frédéric THIRIEZ : En effet, mais elle s'inscrit dans un raisonnement annuel et global. Pour ce qui est de la Ligue, rien ne lui permet de dire au club que 20 millions d'euros pour tel transfert, c'est trop cher. Je peux vérifier que le montant de la commission correspond au pourcentage prévu par le contrat, mais en aucun cas juger au coup par coup du montant de chaque transfert.

M. Henri NAYROU : Seriez-vous opposé à l'idée d'un argus ?

M. Arnaud ROUGER : Il faudrait qu'il soit mondial...

M. Frédéric THIRIEZ : Enfin, pour répondre à votre question, il n'y aurait évidemment plus de transfert si tous les contrats allaient à leur terme, puisque le transfert n'est pas autre chose qu'une indemnité de résiliation d'un contrat avant terme.

M. Henri NAYROU : C'est un dévoiement avéré érigé en système économique.

M. Frédéric THIRIEZ : Certes, mais la liberté des joueurs ne vaut pas que dans un sens : très souvent, c'est le joueur qui veut partir, et non le club qui veut se débarrasser de lui. Si vous voulez mettre en place un monde idéal où les contrats iront systématiquement à leur terme, vous verrez à coup sûr Philippe Piat s'élever contre cette inacceptable atteinte à la liberté des joueurs.

M. Henri NAYROU : Ne pensez-vous pas qu'il faudrait imposer le principe : un joueur, un agent, pour garantir tout à la fois la transparence et l'orthodoxie du contrat ?

M. Arnaud ROUGER : Nous sommes d'accord.

M. Henri NAYROU : Et faire passer les transferts par acte notarié ?

M. Arnaud ROUGER : Pourquoi pas ?

M. Frédéric THIRIEZ : Vous parlez du contrat de mandat entre l'agent et le joueur ? Cela me paraît une très bonne idée.

M. Henri NAYROU : La Caisse des dépôts centralise bien l'argent des transactions entre deux parties dans le cadre d'un contrat signé devant notaire... Les agents sont réticents au paiement par le joueur par crainte de ne pas être payés ; le recours à un acte notarié leur donnerait toute assurance à cet égard. Et nous resterions dans la norme : un client, un intermédiaire.

M. Frédéric THIRIEZ : C'est tout à fait notre objectif : un seul agent par joueur. Certains ont jusqu'à sept, huit ou neuf agents différents et les clubs ne savent plus à qui s'adresser. Nous voulons également un contrat de mandat préalablement déposé devant la Ligue - voire rédigé devant notaire ; c'est seulement à cette condition que pourra être autorisé le paiement de la commission, non pas directement, mais par l'intermédiaire de la Ligue.

M. Henri NAYROU : Absolument, et c'est ce que réclament les agents attachés à leur probité : identification par le biais d'une liste déposé à la Fédération ou à la Ligue et interdiction faite au joueur de passer allègrement d'un agent à l'autre.

M. Arnaud ROUGER : Cela fait partie des outils de base : dès lors que les clubs pourront rémunérer les agents, ceux-ci auront tout intérêt à déposer leur contrat de mandat, ce qui officialisera leur relation avec le joueur et les protégera des agissements de concurrents qui, pour l'instant, interviennent à droite et à gauche. Ce serait également une garantie pour les clubs, qui pourront ainsi s'assurer qu'un tel est l'agent d'un tel.

M. Frédéric THIRIEZ : Et écarter les aigrefins...

M. Arnaud ROUGER : Et à chaque fois qu'un joueur signera un contrat avec un club, non seulement on pourra vérifier que l'agent est bien porté sur le contrat, mais également l'incrémenter de façon informatique, ce qui permettra de contrôler si le nom figurant sur le contrat correspond au mandat préalablement déposé, et si la commission payée par le club est conforme au salaire prévu dans le contrat.

M. Henri NAYROU : Et de protéger les agents contre agissements de certains « agents de clubs », ex-dirigeants ou anciens joueurs, qui approchent les joueurs et leur font miroiter la possibilité de réaliser une meilleure affaire en « squeezant » leur agent pour traiter directement.

Cela dit, la centralisation par la ligue est déjà la règle en Angleterre, mais cela ne semble pas marcher très bien...

M. Frédéric THIRIEZ : Je suis en relation permanente avec mon homologue anglais. Il ne faut pas imaginer que cela réglera tous les problèmes, mais au moins, lorsque des clubs frauderont, on le saura. Et ils s'exposeront aux sanctions.

M. le Président : C'est tout l'intérêt de faire transiter également les transferts internationaux par les instances nationales.

M. Frédéric THIRIEZ : Parfaitement. Si les cinq ligues qui font le marché se mettent d'accord, tout devient contrôlable, au niveau des achats comme des ventes.

M. Alain NÉRI : Le fait que le mercato dure désormais pratiquement toute l'année n'a-t-il pas des effets pervers, et notamment des incidences inflationnistes sur les transferts ?

M. Frédéric THIRIEZ : À titre personnel, je partage votre point de vue. L'idéal serait qu'un joueur commence et finisse la saison avec le même club. Des exceptions peuvent exister, mais doivent rester aussi limitées que possibles.

M. Arnaud ROUGER : En dehors des périodes de mutation, M. Néri a parfaitement raison. Un club peut muter ses joueurs autant de fois qu'il le veut, sous réserves des restrictions imposées par le règlement international des transferts, lui-même fruit d'un accord entre la FIFA et la Commission européenne. Un joueur ne peut pas être qualifié dans plus de deux clubs par saison. C'est déjà une limite...

M. le Président : Reconnaissons toutefois que les dirigeants ont besoin d'un peu de souplesse. On peut parfois se tromper et il arrive qu'un joueur ne s'adapte pas. La vie d'un club ne peut pas non plus dépendre de tels aléas. Des aménagements à la marge doivent rester possibles.

M. Frédéric THIRIEZ : C'est précisément le but du règlement FIFA.

M. Arnaud ROUGER : La Commission estimait que le principe de périodes de mutation était attentatoire à la liberté du travail et que personne ne devait empêcher un joueur d'aller d'un club à l'autre... La FIFA a réussi, en invoquant les exigences éthiques propres à toute compétition, à limiter les mouvements de joueurs à deux périodes données, dont une plus importante que l'autre, et les qualifications à deux clubs dans l'année.

M. le Président : Messieurs, il ne nous reste plus qu'à vous remercier de toutes ces précisions.

M. Frédéric THIRIEZ : C'est nous qui vous remercions ; il s'agit vraiment d'un dossier très important pour nous. Espérons que vous aiderez à le faire avancer.

Audition de M. Laurent DAVENAS,
avocat général près la Cour de cassation,
auteur du rapport sur la moralisation des transferts,
président de la commission d'appel de la Ligue de football professionnel,
et de M. Jean-Pierre KLEIN, membre de la commission d'appel de la Ligue


(Extrait du procès-verbal de la séance du 28 novembre 2006)


Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Nous vous remercions, messieurs, d'avoir répondu à notre invitation.

Monsieur Davenas, vous avez présenté à la Ligue de football professionnel un rapport sur la sécurisation et la moralisation des pratiques en matière de transfert de joueurs. Dans le livre blanc que la Ligue a publié à la suite de celui-ci, certaines des propositions du rapport ont été reprises et d'autres ont été écartées. Après nous avoir fait une brève présentation de votre rapport, pouvez-vous nous donner les raisons pour lesquelles la Ligue a rejeté certaines de vos propositions ? Quelle vous paraît être la philosophie de la Ligue aujourd'hui ? Considérez-vous qu'elle a les moyens de contrôler les transferts et l'activité des agents ou faut-il envisager de transférer ce contrôle à d'autres organismes ?

Notre mission n'a pas pour but de polémiquer sur les affaires jugées ou en cours de jugement. Mais, la dimension financière aujourd'hui dans le monde du sport ayant certainement une incidence sur le comportement des uns et des autres, peut-être pouvons-nous également faire quelques observations et réfléchir aux moyens de rendre les choses un peu plus raisonnables.

M. Laurent DAVENAS : Il est, tout d'abord, frappant que toutes les grosses aventures dans le football français se terminent devant le juge correctionnel : Saint-Etienne, Bordeaux, Marseille, le Paris Saint-Germain (PSG). J'espère que Lyon échappera à cette constante. Mais, jusqu'à présent, les grands clubs français qui ont joué un rôle au niveau européen ont vu leur histoire se solder lamentablement par une condamnation pénale devant le tribunal correctionnel.

Le milieu du football est très compliqué, et aime d'ailleurs le flou dans lequel il vit. C'est un conseil d'administration qui pose la norme, la règle. Or les présidents de ce Conseil d'administration sont souvent les premiers à ne pas vouloir que la règle s'applique ou, tout au moins, à la contourner, ce qui rend malaisée l'approche de ce milieu.

La troisième constante que l'on peut observer est qu'un joueur professionnel de football ne veut rien payer. Alors qu'il est un salarié comme un autre, il est incapable de négocier un contrat de travail et ne veut pas payer ses impôts ni son agent.

Quatrième constante : le transfert s'effectue dans un flou juridique total. Juridiquement, on ne sait pas ce que c'est. Alors qu'il y a rupture unilatérale d'un contrat de travail, celui qui paie n'est pas celui qui a rompu le contrat mais celui qui va recevoir le joueur.

La Fédération française de football (FFF) porte une grosse responsabilité. D'ailleurs c'est peut-être la réponse du berger à la bergère si le tribunal correctionnel de Marseille a repoussé, dans le cas des dernières affaires de l'Olympique de Marseille (OM), la constitution de partie civile de la Fédération. Les dérives des agents sont actuellement possibles parce que la Fédération n'exige pas l'application de la loi qui oblige un agent à déposer à la Fédération les contrats qui le lient à un joueur. Cela éviterait assez facilement le mandat fictif de recherche donné par le club à l'agent du joueur.

Il est frappant également de voir des entraîneurs arriver en masse dans un club. Il peut y avoir dix ou douze départs et dix ou douze arrivées. On est en droit de s'interroger.

Dans le meilleur club français actuel, l'Olympique lyonnais, il n'y a pas plus de trois ou quatre transferts par an, de sorte qu'on peut penser qu'ils ont une finalité purement sportive, tandis que, au PSG et à l'Olympique de Marseille, c'est une noria de joueurs plus ou moins connus qui transitent par le club.

Par ailleurs, 90 % des gros transferts sont assurés par à peine 10 % des agents dans le football français. Sur les quelque 150 agents recensés, il y en a à peine 20 % qui offrent de vraies compétences économiques, sociales, bancaires, aux joueurs.

Nous avions proposé de dissocier la licence du contrat de travail. Au moins les choses seraient claires. Un club achèterait une licence, qui lui permet de recevoir le joueur et de le faire jouer. Le joueur et son agent négocieraient ensuite le contrat de travail, lequel porterait essentiellement sur la rémunération.

M. le Président : C'est le cas normalement !

M. Laurent DAVENAS : Non : actuellement, on indemnise une rupture de contrat.

M. le Président : Le joueur a forcément une licence.

M. Laurent DAVENAS : Actuellement, un joueur qui quitte Marseille pour aller jouer à Lyon rompt un contrat de travail et le club quitté est indemnisé par le club qui reçoit. C'est tout à fait illégal ou, tout au moins, irrégulier.

Souvent aussi, un agent fait signer un joueur pour trois ans dans un club et le transfère ailleurs peu après. Par exemple, Boumsong a signé un contrat de trois ans avec les Glasgow Rangers et, six mois après, on le retrouvait à Newcastle. L'agent va toucher sa commission sur les trois ans et personne ne va imaginer lui demander de rembourser.

Je vais laisser la parole à Jean-Pierre Klein, qui a été vice-président de l'Olympique de Marseille.

M. Jean-Pierre KLEIN : J'ai, en effet, été vice-président de l'Olympique de Marseille, mais je n'y suis pas resté très longtemps, quand j'ai vu ce qui s'y passait.

M. Alain NÉRI : Vous avez été transféré !

M. Jean-Pierre KLEIN : Non, je suis parti !

M. Henri NAYROU : Vous avez été lucide !

M. Jean-Pierre KLEIN : Je suis entré en 2001, tout à fait par hasard à l'Olympique de Marseille. L'ancien président, M. Robert Louis-Dreyfus, m'a proposé la vice-présidence du club et, comme je suis marseillais, j'ai pensé que c'était un challenge intéressant.

Je me suis alors retrouvé sur une autre planète. Tous les agents dont vous avez entendu parler et qui sont aujourd'hui soit en prison, soit mis en examen, étaient présents au club vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Quand je rentrais dans une pièce, ils en sortaient. Quand je me suis aperçu qu'il n'y avait pas un transfert qui se pratiquait à l'Olympique de Marseille sans qu'il y ait une malversation, j'en ai informé le président. Il m'a répondu qu'il était loin, avait ses propres affaires et il m'a demandé de me débrouiller pour essayer d'éloigner de l'Olympique de Marseille tous ces gens-là. J'ai essayé. Deux mois plus tard, alors que je me trouvais aux États-Unis avec mon épouse, mon appartement a été cambriolé. On m'a tout volé et mes lignes de téléphone ont été piratées. A mon retour, je suis allé voir le procureur de la République de Marseille. J'ai dit à tout le monde que je ne pouvais pas rester dans un tel milieu. On m'a à nouveau cambriolé, sans rien me prendre. C'était donc des menaces parce que j'avais commencé à mettre les pieds dans le plat.

Laurent Davenas et moi-même sommes un peu à l'origine de la demande faite à Frédéric Thiriez de trouver des solutions. Je pense qu'il se passe la même chose au PSG et dans d'autres clubs. Il y a énormément d'argent qui circule. Il n'y a aucune loi qui fonctionne. Chacun fait ce qu'il veut. Les prix ne sont pas du tout encadrés.

Il se trouve que j'ai un ami procureur au Brésil. Il m'a dit qu'Untel avait placé un million de dollars dans telle banque à Rio de Janeiro. Il n'y avait que des agissements de la sorte. C'était incontrôlable.

Tous ces fonds n'allaient même pas dans des clubs, alors que la loi oblige un club à payer un joueur à un autre club, mais partaient aux îles Caïmans.

Un des directeurs de l'Olympique de Marseille, qui était un ancien policier, a démissionné immédiatement après qu'une des personnes mise en examen dans le récent procès de l'OM lui a demandé de signer un virement de 800 000 dollars aux îles Caïmans et lui a répondu, quand il a voulu savoir de quoi il s'agissait, qu'il n'avait pas à le savoir. Les 800 000 dollars ont été versées aux îles Caïmans. Cela a été versé au procès des comptes de l'OM.

Je vous donne tous ces détails pour montrer ce qui se passe réellement dans les clubs. La presse ne dit pas tout.

M. le Président : Après quelques semaines passées à l'OM, vous vous êtes aperçu des dysfonctionnements du club, qui étaient graves et ressortaient du pénal. Vous alertez les dirigeants, qui sont responsables devant la justice, d'éventuelles dérives et ils vous demandent d'essayer d'améliorer les choses. Comment peut-on interpréter cela ?

M. Jean-Pierre KLEIN : Le procès des comptes de l'OM avait eu lieu avant que j'arrive. Vous avez vu les condamnations qu'il y a eu. D'autres procès vont avoir lieu et se profilent à l'horizon une multitude de procédures, toutes plus graves les unes que les autres, concernant l'OM et d'autres clubs.

M. le Président : Le président d'un club doit rendre des comptes.

M. Jean-Pierre KLEIN : Dans le cas de l'OM, le président me répondait qu'il était débordé par ses affaires, que l'OM était la seule entreprise qu'il n'arrivait pas à bien gérer, qu'elle était trop compliquée pour lui...

M. Laurent DAVENAS : Robert Louis-Dreyfus a commis l'erreur de ne pas prendre un avocat qui connaissait le milieu pour l'expliquer au tribunal.

La difficulté dans le football, c'est que, sans résultats, le club ne prospère pas et risque de passer en D2. Il faut donc assez rapidement acheter des joueurs qui peuvent amener des résultats. C'est ce qui explique une partie des acrobaties des transferts. Le grand problème de ces derniers, ce sont les rétro-commissions.

De plus, pour un transfert de joueur important, vont se présenter auprès des clubs des intermédiaires qui se donnent une légitimité qu'ils n'ont pas, et qui vont faire monter les enchères. Pour qu'ils n'interfèrent pas dans la négociation, le club s'en débarrasse en leur payant une commission. C'est un peu comme sur les grands chantiers d'autoroute où les grandes entreprises cherchent des terrains à louer pour y garer des machines et entreposer des gravats. Un certain nombre de personnes pas très honnêtes le savent et font monter les enchères. Le groupe les contacte pour leur demander combien ils veulent pour sortir du circuit.

M. Henri NAYROU : C'est la dixième audition à laquelle nous procédons et vous êtes les huit ou neuvièmes à nous prouver que cette mission est la bienvenue. Il y a deux mots clés dans l'intitulé de celle-ci : « transfert » et « agents sportifs ».

Vous avez cité l'exemple de Boumsong et insisté sur le fait que personne n'avait demandé à l'agent de rembourser les sommes qu'il avait perçues indûment. Tout en respectant la liberté d'un joueur de signer un contrat - de cinq ans maximum - comment peut-on limiter les méfaits des ruptures incessantes de contrat qui donnent lieu à des sommes mirobolantes et, par le jeu des intermédiaires, à des rétro-commissions ?

Deuxièmement, les manipulations faites autour des transferts font sortir l'argent du football. Nous savons qu'elles résultent de la présence d'intermédiaires et vous nous avez appris que 10 % des 150 agents font main basse sur 90 % du marché. Il est donc aussi facile d'identifier le mal et les artisans du mal que de photographier ceux qui font le salut nazi dans le club de Boulogne. Ces manipulations ont pour source essentielle le fait que les clubs rétribuent les agents pour des mandats de recherche signés au dernier moment.

M. Laurent DAVENAS : Qui plus est, des mandats fictifs !

M. Henri NAYROU : Or vous avancez comme solution que la loi autorise les clubs à rétribuer les agents. Les agents ainsi que M. Thiriez demandent la même chose. Tant au niveau du droit qu'au niveau du bon sens, quelque chose m'échappe.

M. Laurent DAVENAS : Les agents sportifs sont en fait des agents de spectacle. Donc, légalement, le club pourrait les rémunérer. Il n'y aurait plus besoin de mandat fictif de recherche. Quand un artiste est vendu à une salle de spectacle par son agent, c'est la salle de spectacle qui rémunère officiellement l'agent.

M. Henri NAYROU : Mais, dans le foot, cet agent était, cinq minutes avant, le conseil de l'autre partie du contrat !

M. Laurent DAVENAS : Quand nous avons fait cette proposition, le conseil d'administration n'était pas très chaud : cela conduirait à une profession très réglementée, avec des commissions elles aussi réglementées. Nous avions préconisé qu'on impose aux agents un compte professionnel, de type CARPA (Caisse des règlements pécuniaires des avocats), comme pour les avocats, permettant à la Ligue d'exercer des contrôles. Je pense, par ailleurs, qu'il serait intéressant de permettre à des avocats de devenir agents de joueurs.

M. le Président : Il y en a déjà pas mal !

M. Laurent DAVENAS : Ils sont avocats de joueurs, mais ils ne peuvent pas être agents.

M. Jean-Pierre KLEIN : C'est interdit.

M. Laurent DAVENAS : C'est une règle de commerce.

M. Alain NÉRI : Le compte CARPA est la solution que j'avais proposée dès la première audition. On pourrait aussi envisager un acte notarié et le recours à la caisse des dépôts.

M. Laurent DAVENAS : Ce qui serait formidable, c'est que votre mission propose au Parlement un vrai statut juridique des transferts. Il faut qu'on sache où l'on va pour, après, pouvoir sanctionner les dérives.

M. le Président : Avant de définir un statut juridique du transfert, il faut d'abord savoir à quoi il sert et s'il est légitime.

M. Laurent DAVENAS : Tout à fait. Il n'y a pas très longtemps, il y a eu un colloque à ce sujet et la revue du droit civil a consacré un numéro sur le contrat civil et le contrat en matière sportive.

M. Alain NÉRI : Au début, le contrat signé par le joueur était un contrat à durée indéterminée (CDI), puis il est devenu un contrat à durée déterminée (CDD), car on a considéré, à juste raison, qu'un joueur ne pouvait pas être dépendant du bon vouloir d'un président de club toute sa vie.

Cela étant, nous avons l'exemple d'un Nicolas Anelka qui quitte le PSG pour Arsenal pour 25 ou 30 millions, est revendu par ce club au Real Madrid pour une centaine de millions, cire le banc pendant quatre ou cinq mois et revient au PSG pour 125 millions ! Il y a quelque chose qui ne va pas et il faut oser le dire.

Lors de l'examen de la loi sur le sport, j'avais déposé avec quelques amis un amendement afin que soit supprimé le mercato, alors que les agents demandaient qu'il soit ouvert toute l'année. Nous avons réussi à obtenir qu'il ne le soit que l'hiver.

La tendance est à la multiplication des transferts. Ce matin, je lisais une interview de Savidan dans L'Equipe. Le journaliste lui demande quand il compte partir du club. Savidan répond : « Pour le moment, je ne suis pas mal. Mais, si on m'offre... ». On encourage les joueurs à ne pas rester dans un club, ce qui est contraire à l'éthique sportive : il serait convenable que le joueur reste au moins pendant une saison complète sous le même maillot.

Il faudrait qu'on ait un encadrement du montant des transferts, car ils atteignent des sommes déraisonnables. Il en est de même des salaires des joueurs.

Sont également déraisonnables les collectivités locales qui subventionnent à tout va car elles participent ainsi à faire monter les enchères. Le jour où on mettra moins d'argent dans le sport, il y aura moins de dérives.

Aurons-nous le courage un jour de poser la question de l'encadrement de cette activité ?

M. le Président : Si on arrive à ce que les choses soient faites dans l'ordre normal, on limitera déjà les dérives. Si la moitié de l'argent des transferts ne partait pas dans des paradis exotiques, on pourrait peut-être se contenter de la moitié des transferts pour rémunérer le changement de joueurs d'un club à un autre ou la formation de celui-ci.

M. Jean-Pierre KLEIN : C'est pour cela que nous souhaitons la centralisation du paiement.

M. le Président : La loi actuelle interdit à un club de rémunérer un agent mais l'habitude et l'usage font, dites-vous, qu'un club ne peut pas faire autrement.

M. Laurent DAVENAS : En effet.

M. le Président : Vous voulez donc régulariser quelque chose d'anormal. Il va falloir trancher.

M. Laurent DAVENAS : Il faut que le législateur établisse un statut juridique du transfert.

M. le Président : Pourquoi ne pourrions-nous pas plutôt obliger un joueur à prendre en compte la rémunération de son agent, qui écrit et discute son contrat ?

M. Laurent DAVENAS : C'est pourquoi nous avons proposé que la négociation club à club se fasse sur la base de la licence. Ensuite, le joueur négocie son contrat avec le club qui le reçoit, comme tout salarié le fait avec son employeur.

M. Alain NÉRI : Il s'associe le service d'un conseil, mais ce dernier est rétribué par le commanditaire.

M. le Président : Vous préconisez donc que le club soit autorisé à payer l'agent.

M. Jean-Pierre KLEIN : Le club acheteur.

M. Laurent DAVENAS : Ce sera le cas si l'on reste dans le système actuel, mais pas si vous dissociez la licence - qui donne le droit de jouer au football dans un club - du contrat de travail. Par exemple pour faire venir un joueur, l'Olympique de Marseille, achèterait la licence du joueur et le contrat de travail serait négocié après.

M. le Président : A qui achèterait-il la licence du joueur ?

M. Jean-Pierre KLEIN : Au club vendeur.

M. Laurent DAVENAS : C'est comme une carte grise ou un permis de conduire.

M. le Président : Une sorte d'argus du joueur !

M. Jean-Pierre KLEIN : Exactement.

M. Henri NAYROU : Monsieur Davenas, vous insistez sur l'analogie entre agents sportifs et agents artistiques. On pourrait également les comparer à des chercheurs de tête, à cette différence près que, dans le cas, par exemple, d'un transfert de Cap Gemini à Microsoft, Microsoft n'aurait pas payé Cap Gemini. Dans le cas du transfert d'un joueur, ce n'est plus un homme qui est transféré, mais un « actif » donnant lieu à un paiement exorbitant.

Je serais prêt, quoique avec beaucoup de réticences, à accepter ce que propose M. Thiriez, mais nous savons tous qu'il y aura des échappatoires.

Mettons-nous un instant à la place d'un joueur. Il n'est pas féru en droit du travail ni expert en finances, il s'associe l'aide d'un conseil avec qui il engage un contrat bilatéral. Or il apprend que son conseil sera rétribué par la partie avec laquelle il compte signer un contrat. Il y a quelque chose qui ne va pas !

M. Laurent DAVENAS : Actuellement, c'est le joueur qui exige cela. Il ne le découvre pas. Il accepte de venir jouer dans un club mais demande à celui-ci de tout prendre en charge : agent, impôts, factures...

M. Alain NÉRI : Nous sommes là au cœur du problème. Les footballeurs sont des citoyens et donc obligés de respecter la loi. Je ne vois pas pourquoi on ne leur fait pas payer leurs impôts.

Tout le monde connaît le scandale de la caisse noire de Saint-Etienne. Le pauvre Rocher est allé en prison...

M. Laurent DAVENAS : Il a payé pour les joueurs.

M. Alain NÉRI : ...parce que les joueurs ne voulaient pas payer d'impôts et voulaient que l'argent pour les payer leur soit versé sous la table.

M. Jean-Pierre KLEIN : Vous prêchez des convaincus !

M. Alain NÉRI : Comment peut-on, dans ce pays, obliger des gens misérables à payer leurs impôts et pas les gens riches ? La loi doit s'appliquer à tous les citoyens. Sinon, nous perdons notre temps ici.

Depuis le début de la mission, chaque fois que nous parlons des sportifs de haut niveau professionnel, il est mis en avant qu'il leur faut un statut spécial, sinon ils en trouveront de meilleurs dans les autres pays. Je n'en démords pas : la loi doit s'appliquer à tous les citoyens, y compris à ceux qui gagnent des sommes astronomiques.

M. Laurent DAVENAS : L'Union pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) commence à aller chatouiller certains joueurs qui sont en instance de divorce. Il y a deux ou trois procédures en cours. Certains avocats défendent des joueurs qui se retrouvent complètement ruinés par leur ex-épouse parce que pas du tout conseillés. Le fisc découvre qu'ils n'ont payé ni leur agent, ni leurs impôts, et considèrent cela comme des avantages en nature.

Le monde du football est un lieu compliqué. Souvenez-vous de la réaction suscitée lors de la première coupe du monde, par l'initiative du contrôleur de faire un contrôle anti-dopage à Tignes sur l'équipe de France de football. Il a été humilié et on lui a fermé la porte au nez. Le ministre des sports de l'époque a estimé que c'était une déstabilisation psychologique de l'équipe de France de football.

Les joueurs vivent continuellement dans ce type de rapports de force.

M. le Président : Les choses ont évolué dans ce domaine et on peut espérer en faire de même en matière de transferts.

L'objet de la mission n'est pas de savoir si les joueurs sont trop payés.

M. Alain NÉRI : Si, parce que c'est la cause de la dérive.

M. Laurent DAVENAS : On peut quand même se poser des questions à ce sujet. Personnellement, j'ai été frappé par la différence entre le salaire moyen des joueurs de rugby du Stade français, qui remplissent quand même le Stade de France, qui est de 8 000 euros, et celui d'un joueur du PSG qui est presque de 46 000 euros par mois !

M. Henri NAYROU : Dans le domaine du rugby, le rachat d'un contrat n'est pas la norme, contrairement au football.

M. le Président : J'aimerais que l'on revienne à votre rapport, monsieur Davenas, et voir comment nous pouvons améliorer les choses.

M. Jean-Pierre KLEIN : Ayant été à l'Olympique de Marseille et connaissant pas mal de présidents de club, je m'aperçois que les dix ou douze agents qui font pratiquement tous les transferts importants sont, pour la plupart, poursuivis par la justice, mais continuent à exercer leur activité. Ils se mettent d'accord pour faire monter les prix.

Je pense avoir compris qu'ils étaient également responsables de l'inflation des salaires. Comme vous le savez, l'agent est rémunéré sur le salaire annuel du joueur, et non sur le transfert. Donc plus le salaire est important, et plus il touchera. Il faut savoir aussi que, pour être l'agent de tel ou tel joueur, ils ristournent une partie de leur commission au joueur.

Si nous n'arrivons pas à mettre le holà et à cadrer ces quelques agents qui mettent la panique dans le football français, nous n'arriverons à rien. C'est pourquoi, après avoir bien réfléchi avec Laurent Davenas, je pense qu'il est indispensable que la centralisation des paiements soit opérée par la Ligue.

M. Laurent DAVENAS : Et que chaque agent ait un compte professionnel.

M. Jean-Pierre KLEIN : Il faut aussi que les agents soient encadrés de façon à éviter toutes les dérives auxquelles nous assistons. Il faut que le club soit officiellement celui qui rémunère, et après discussion.

Il est également important d'arriver à déterminer la valeur d'un joueur. Dans ce but, nous avions proposé que soit créée une commission ad hoc au sein de la Ligue.

Pour vous donner un exemple : certains joueurs achetés par l'Olympique de Marseille ne sont jamais venus alors qu'ils avaient été payés. Et cela se passe encore ainsi à l'heure actuelle.

M. Laurent DAVENAS : Ce qui est étonnant, c'est que tous les grands groupes professionnels ont des superviseurs, des recruteurs, dans le monde entier. On peut donc se demander pourquoi ils signent des mandats de recherche avec des agents. Au sein de leur propre structure, ils ont des professionnels chargés de repérer les joueurs - à part le PSG, qui n'a jamais été capable de détecter le moindre joueur en région parisienne, alors que tous nos grands internationaux sont issus de la banlieue parisienne.

Pourquoi, alors qu'ils ont déjà une structure pour repérer les joueurs, recourent-ils à des habillages malsains ? C'est cela qu'il faut faire cesser.

M. le Président : Il ressort des contrôles effectués par la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) sur les clubs que certains flux financiers n'ont aucune justification. Quand ils apparaissent dans la comptabilité - ce qui n'est certainement pas toujours le cas - ils passent en entrée mais sont très diffus en sortie. Comment peut-on valider le contrat d'un joueur quand on n'a pas toutes les pièces comptables qui expliquent les mouvements des flux financiers ? Il n'y a que dans le foot que l'on voit cela.

M. Laurent DAVENAS : C'est la commission juridique qui vérifie les contrats. La DNCG, curieusement, vérifie simplement qu'un club ne vit pas au-dessus de ses moyens « au nom de l'éthique sportive », selon le libellé même de sa mission.

M. le Président : Le rôle de la DNCG est de garantir la pérennité d'un club et l'équité des clubs entre eux.

M. Laurent DAVENAS : Elle ne vérifie pas la réalité des contrats.

M. le Président : La pérennité d'un club découle des contrats et de leurs montants. Comment peut-elle vérifier les comptes d'un club sans étudier les contrats ?

M. Laurent DAVENAS : Le problème est qu'elle est obligée de superviser les clubs en quelques semaines avant le début du championnat. Donc elle a très peu de temps pour faire ses contrôles.

M. le Président : Cela vaut pour tous les sports.

M. le Président : Vous pouvez très bien dire aux clubs qu'on ne qualifie plus des joueurs une semaine ou quinze jours avant le début du championnat !

M. Laurent DAVENAS : Allez dire cela à Marseille ou à Lyon !

M. le Président : Cela existe dans d'autres ligues !

M. Jean-Pierre KLEIN : On a vu des joueurs, à l'Olympique de Marseille, achetés 10 millions d'euros, alors qu'ils ont 34 ans, n'ont jamais été sélectionnés dans leur équipe nationale et n'ont jamais marqué un but. Ensuite, le joueur ne joue pas ou joue cinq minutes par an pour justifier sa présence. Et ce genre de joueurs, il y en a plus que vous ne le croyez. Quelqu'un d'un peu qualifié au sein de la Ligue pourrait regarder et demander au président du club les raisons de ce transfert. C'est, à mon avis, la seule façon d'endiguer ces dérives.

C'est pourquoi nous proposons la création d'un livret du footballeur.

M. Alain NÉRI : Vous proposez en quelque sorte un permis à points.

M. Laurent DAVENAS : On a parlé d'argus !

M. le Président : Je ne vois pas comment une commission ad hoc peut se permettre de juger un club sur ses choix. Un club relève de la libre entreprise. Il a le droit de faire ce qu'il veut avec son argent. Si la gestion du club met en difficulté celui-ci, elle peut alors interdire la licence de tel jouer.

M. Laurent DAVENAS : Le nouveau plan comptable va permettre de meilleures vérifications.

M. Alain NÉRI : Certains clubs ont un effectif pléthorique et mettent en cause l'équité et la régularité du championnat en achetant des joueurs, tout en sachant pertinemment qu'ils ne joueront pas, simplement pour éviter qu'ils jouent dans d'autres clubs.

M. Laurent DAVENAS : Vous soulevez un problème dramatique qui touche en particulier les joueurs africains, souvent illettrés. Nous avons eu plusieurs cas de ce type devant la commission d'appel de Strasbourg, où l'agent du joueur est en même temps l'agent du club et « joue » pour ce dernier au détriment du joueur, alors que celui-ci croit être protégé, ou tout au moins assisté par son agent.

M. Henri NAYROU : Les pistes que vous avez évoquées sont l'institution d'un système CARPA et la création d'un livret du footballeur. Je pense comme vous. Malheureusement, les gens du sérail sont contre. Je suis favorable, dans le cadre d'une liberté affirmée, à ce que l'on propose à chaque joueur de gérer son capital points, le point correspondant à un transfert.

Il y a une trentaine ou une quarantaine d'années, lorsqu'il y a eu une invasion de joueurs étrangers en Espagne, les Espagnols avaient fixé un règlement simple : une liberté absolue était laissée aux grands clubs, notamment Barcelone et le Real Madrid, de prendre tous les meilleurs joueurs étrangers, mais ils ne pouvaient être que deux sur le terrain. Cette liberté absolue au sein d'un cadre légal avait normalisé les choses. De la même façon, le permis à points a été institué pour mettre un frein à des excès ou à des récidives.

Chacun serait mis devant ses responsabilités. Vous vous souvenez de Xuereb qui avait été le champion des transferts. Avec un tel système, il aurait géré sa carrière comme on gère un capital et, lorsqu'il aurait épuisé ses possibilités de transfert, il serait resté où il était.

M. le Président : Cela existe aux Etats-Unis à travers le salary cap (plafond salarial) et le draft dans les ligues fermées américaines. On y pratique des échanges, et non pas des achats, de joueurs et la valeur du joueur est fondée sur la rémunération du contrat. Une équipe, même très riche, ne peut pas dépasser un certain niveau de masse salariale.

Ce système est pour le moment rejeté par les instances du football, puisque les ligues, contrairement à celles des États-Unis, ne sont pas des ligues fermées.

M. Laurent DAVENAS : En tant que citoyens, nous connaissons la raison d'État. Le football, lui, connaît l'intérêt supérieur du football.

Notre commission avait rétrogradé Saint-Etienne dans le cadre des faux passeports. Cela n'a pas plu. Au nom de l'intérêt supérieur du football, notre décision a été déférée devant la commission de la Fédération qui nous a réformé. Mais le Conseil d'État nous a ensuite donné raison.

M. le Président : Dans votre rapport, vous préconisez une réorganisation des compétences de la Fédération et de la Ligue, mais cette proposition n'a pas été retenue par la Ligue.

M. Laurent DAVENAS : La Fédération conserverait la délégation de service public mais la discipline et le contrôle financier devraient, à mon avis, revenir à la Ligue. La Fédération serait chargée de la gestion des procédures d'accès à la profession d'agents sportifs : organisation des examens et délivrance des licences.

M. le Président : C'est déjà le cas aujourd'hui.

M. Laurent DAVENAS : Oui, mais la Fédération est également compétente pour la discipline et le contrôle.

M. le Président : Il existe une chambre d'appel au sein de la Fédération qui peut être saisie.

M. Laurent DAVENAS : Ce sont quand même deux milieux totalement séparés.

M. Alain NÉRI : Tout cela remet en cause l'organisation du sport français, qui repose sur le fait que les fédérations sont délégataires du service public et doivent donc avoir la prééminence dans cette organisation.

M. Laurent DAVENAS : Dans l'organisation du diplôme et son attribution, oui. Mais le contrôle de l'activité de l'agent devraient revenir à la Ligue.

M. Jean-Pierre KLEIN : Ce sont les professionnels qui doivent contrôler.

M. le Président : Cela a été réaffirmé dans la dernière loi, à l'article premier.

M. Laurent DAVENAS : Je vous donne un exemple. Je représente la Cour de cassation dans l'Agence française de lutte contre le dopage. Des réunions ont eu lieu avec le football. Quand les toxicologues leur proposent des tests sur cheveux, ils trouvent que c'est trop cher. Il y a eu une réunion à la Ligue pour imposer deux examens cardiaques. Ils ont trouvé, là encore, que cela coûtait trop cher, alors que le moindre petit bobo musculaire entraînera échographies, IRM et toute une série d'examens qui coûteront un argent fou.

Un défibrillateur ne coûte rien, comparé aux sommes qui circulent dans ce milieu. Pourtant, ils considèrent que le fait de disposer de deux ou trois défibrillateurs à chaque coin du stade constitue une dépense démesurée.

M. le Président : La récente loi sur le dopage prévoit que les contrôles sont inopinés et à la diligence de la Fédération. Il n'y a aucune raison qu'il n'en soit pas de même dans le foot.

M. Laurent DAVENAS : Il va y en avoir.

M. Jean-Pierre KLEIN : Pratiquement à chaque match, trois joueurs sont tirés au sort et soumis à contrôle. Je peux en témoigner car il m'est arrivé d'avoir à tirer au sort les joueurs.

M. Alain NÉRI : Il y a un tel degré de sophistication dans le dopage aujourd'hui qu'à la fin du match, on ne prend que les joueurs les moins en vue. Les autres ont depuis longtemps recours à une préparation sophistiquée avec le dopage retard. Ce qu'il faut, ce sont des contrôles inopinés pendant les périodes de préparation.

M. le Président : Les contrôles inopinés existent.

M. Alain NÉRI : Pourquoi croyez- vous que les joueurs disparaissent sans laisser d'adresse pendant les périodes de préparation ?

M. le Président : C'est moins vrai dans le football.

M. Alain NÉRI : Cessez de dire que ce n'est pas pareil dans toutes les disciplines. On en parle dans le cyclisme parce que les coureurs sont les seuls à avoir accepté les contrôles anti-dopage sophistiqués. Quand on commencera à gratter ailleurs, on en trouvera tout autant.

J'ai été le rapporteur de la loi anti-dopage. Les contrôles de 1990 et 1996 faisaient déjà état de dopage dans le badminton et le billard. J'ai proposé, mais cela n'a pas été accepté, qu'il y ait des contrôles en fonction du nombre de licenciés.

Le dopage n'est pas non plus sans conséquence sur les rémunérations. Certains joueurs doivent jouer plus souvent pour rentabiliser leur prix d'achat élevé.

M. Laurent DAVENAS : Il y a des solutions.

M. Jean-Pierre KLEIN : Dans le cadre du football, il m'est souvent arrivé d'avoir à tirer au sort trois joueurs de chaque équipe. Je ne les choisissais pas.

M. Laurent DAVENAS : Le problème n'est pas le dopage.

M. Alain NÉRI : Et vous ne les trouviez sans doute pas positifs à ce moment-là car ils ne se dopent pas avant les matches. Leur dopage pendant la période de préparation est fait pour qu'ils arrivent propres le jour du match.

Savez-vous pourquoi les Russes ont boycotté les jeux de Los Angeles ? Ils avaient demandé aux Américains de laisser entrer un bateau dans le port. Les Américains croyaient que c'était un bateau espion, alors que c'était un bateau hôpital, pour être sûrs que les athlètes russes ne seraient pas positifs !

M. le Président : Revenons à vos propositions et à la façon dont la Ligue les a reçues.

M. Laurent DAVENAS : La Ligue a essentiellement retenu les propositions concernant la centralisation des flux financiers. Le service juridique de la Ligue n'était pas très content qu'on nous ait confié cette mission et a cherché à discréditer nos propositions en disant qu'elles ne servaient à rien.

M. Jean-Pierre KLEIN : Les deux propositions qui ont été retenues sur les quinze que nous avons faites ne sont pas suffisantes. Il faut également prendre en compte les autres parce qu'elles forment un tout. Nous y avons réfléchi, après avoir entendu de nombreuses personnes.

M. le Président : Nous ne disons pas qu'elles sont suffisantes et que nous sommes d'accord avec la Ligue. Mais, par exemple, je ne vois pas comment on peut appliquer l'achat de licence. Cela voudrait dire qu'il y a une sorte d'argus sur un joueur.

M. Laurent DAVENAS : La licence représente le droit de jouer. En Suisse, vous achetez votre plaque minéralogique qui vous donne le droit de conduire.

M. le Président : Actuellement, le joueur achète une licence. Il est licencié dans son club d'origine.

M. Laurent DAVENAS : Cela n'a pas la même connotation.

M. le Président : Qu'appelez-vous la licence ?

M. Laurent DAVENAS : C'est le droit de jouer.

M. le Président : Par rapport à qui et à quoi ?

M. Laurent DAVENAS : Par exemple, Lyon achète la licence de Ribéry à Marseille. Ce dernier a le droit de jouer à Lyon. Ensuite, Ribéry négocie son salaire avec le directeur administratif de Lyon.

M. le Président : Donc, c'est le transfert !

M. Laurent DAVENAS : Le transfert est une opération qui se fait de club à club. Cela ne regarde pas le joueur.

M. le Président : Quelle est la différence avec ce qui se pratique aujourd'hui ?

M. Laurent DAVENAS : Actuellement, tout est mélangé. L'agent va toucher sa commission, sa récompense parce qu'il a permis à Ribéry de venir. Et, après, il va également toucher une commission sur le salaire du joueur. Cela sera payé par le club de Lyon.

M. le Président : Cela est normalement interdit. L'agent ne doit s'occuper que du contrat du joueur. Il n'y a pas d'intermédiaire possible entre deux clubs.

M. Laurent DAVENAS : Dans ce cas, il est payé par le joueur, pas par le club.

M. le Président : Vous dites le contraire dans votre rapport. Il y est écrit que la modification du statut des agents sportifs prendrait la forme d'un alignement sur le statut des agents artistiques.

M. Laurent DAVENAS : Oui, si vous lui donnez le statut d'agent de spectacle.

M. le Président : Doit-on changer la loi pour permettre au club de rémunérer l'agent ? On peut imaginer que le club rémunère celui-ci sur sa seule fonction d'avocat du joueur et sur la partie de sa rémunération prise sur le salaire du joueur.

M. Laurent DAVENAS : Une réflexion juridique menée à l'institut du droit du sport de Limoges conclut au fait qu'un club professionnel de sport est une entreprise de spectacle. Donc, pourquoi ne pas faire des agents sportifs des agents artistiques ?

M. le Président : Cela ne vous choque pas ? Dans ce cas, il faut bien contrôler et bien séparer les flux financiers.

M. Laurent DAVENAS : Rien ne me choque dans la mesure où les choses sont claires et que le législateur impose une règle. Nous sanctionnerons ceux qui l'enfreignent.

M. le Président : Mais il y a déjà une règle aujourd'hui, et on ne l'applique pas !

M. Henri NAYROU : Ce qui me gêne, monsieur Davenas, c'est que l'on sait que les malversations du système proviennent du fait que ce sont justement les clubs qui rétribuent les agents, pour faire plaisir aux joueurs et à des dirigeants véreux.

J'ai compris que, si M. Thiriez souhaite un changement de la loi, c'est parce qu'il a peur qu'elle n'impose un nouvel handicap aux clubs pour enrôler des grands joueurs. Il est vrai que le salaire de Barthez à Manchester est de l'ordre de 80 000 euros par semaine, nets d'impôts.

M. Jean-Pierre KLEIN : Dans un transfert, il y a deux éléments : le prix du transfert et, ensuite, la négociation, où l'agent doit intervenir, pour le salaire du joueur.

M. le Président : Selon vous, le club peut donc payer l'agent si les deux éléments sont bien clairs et bien séparés, avec des contrats bien identifiés, que les versements sont faits au fur et à mesure que le joueur est lui-même payé et non pas à travers une commission versée en une fois sur le salaire du joueur ?

M. Jean-Pierre KLEIN : Exactement ! Elle serait répartie sur le nombre d'années du contrat.

M. Henri NAYROU : Les agents nous demandent également de pouvoir se faire rémunérer par les clubs parce qu'ils seront sûrs d'être payés. Au niveau du droit et de la loi, on rêve un peu ! En allant jusqu'au bout du raisonnement, puisqu'il existe une loi et qu'elle n'est pas appliquée, pourquoi faudrait-il en faire une autre ? Elle ne sera peut-être pas mieux appliquée.

M. Laurent DAVENAS : C'est le problème du législateur.

M. le Président : On légaliserait ainsi une pratique, d'autant plus qu'il semblerait qu'il y ait une note des impôts qui la légaliserait de fait.

M. Alain NÉRI : Ce n'est pas à l'administration des impôts, pour laquelle j'ai au demeurant beaucoup de respect, d'écrire la loi !

M. le Président : De fait, tel semble pourtant être le cas. Mais je ne dis pas qu'il faille en rester à ce constat.

M. Jean-Pierre KLEIN : Les dérives des agents prouvent bien souvent que les clubs ne payent pas 10 %, mais 15, 20, voire 30 %. Dans les comptes de l'OM, on trouve un club qui a payé à l'agent jusqu'à 85 % du montant du transfert.

M. Alain NÉRI : Alors que c'est plafonné à 10 !

M. Jean-Pierre KLEIN : Exactement ! Et la centralisation empêcherait une telle dérive.

M. le Président : Ce que je ne comprends pas, c'est que M. Thiriez nous dit ne pas avoir les moyens aujourd'hui de contrôler tous les flux financiers et tous les contrats. C'est un problème de moyens humains. Ce sont pourtant eux qui donnent l'autorisation finale et s'ils n'ont pas toutes les pièces, ils ne donnent pas la licence au joueur.

M. Jean-Pierre KLEIN : Tout à fait. Cela dit, après, ils n'ont aucun moyen de vérifier si le club paie 10, 20, 30 ou 40 % aux agents. La DNCG ne vérifie pas cela.

M. le Président : C'est pourtant ce qu'elle devrait vérifier !

M. Jean-Pierre KLEIN : Les personnels de la DNCG ne sont pas qualifiés pour vérifier les transferts.

M. le Président : Je m'occupe d'un autre sport, et je peux vous dire que la DNCG de ce sport vérifie cela : elle demande les balances et les journaux sur des comptes bien spécifiques que l'on appelle les « comptes fourre-tout » où l'on fait passer le scouting, les rémunérations de sociétés extérieures, sur lesquelles il y a souvent un problème de TVA. Tout cela est vérifiable !

M. Jean-Pierre KLEIN : Il y a des clubs qui, pour payer des agents, ont loué des photocopieurs un million d'euros par an. L'affaire va bientôt sortir. Elle est entre les mains du juge d'instruction.

M. le Président : Ne dites pas que la DNCG ne peut pas vérifier la comptabilité des quelque 40 clubs professionnels de football qui existent.

M. Jean-Pierre KLEIN : Dans les frais de bureau, ils ne peuvent pas savoir qu'en réalité, il y a un photocopieur loué 500 000 ou un million d'euros.

M. le Président : Il est tout à fait possible de voir cela !

M. Laurent DAVENAS : M. Lagnier, secrétaire général de la DNCG a été impliqué dans une procédure pénale concernant le dépôt de bilan d'un club de Ligue 2 pour les conseils qu'il avait donnés en tant que DNCG. Un juge d'instruction l'a mis en examen parce la DNCG avait fermé les yeux sur un certain nombre de choses. Il a eu un non-lieu mais, pendant une grosse année, il y a eu un tremblement de terre.

Il faut bien comprendre que le football est une grande famille.

M. le Président : Comme tous les sports.

M. Laurent DAVENAS : Enfin, ce qui me frappe dans le milieu du football professionnel, c'est que le pouvoir est pris par les énarques. Le directeur général de la Ligue est un préfet, le directeur général adjoint, un sous-préfet. Frédéric Thiriez est un ancien énarque. Le directeur général de la Fédération est un préfet. Le directeur des sports de Canal Plus est un énarque.

Je voulais signaler cette évolution. Pour les gens qui ont fait l'ENA, le sport professionnel devient une zone d'activités à l'évidence très intéressante.

M. le Président : Je vous remercie, messieurs.

Audition de représentants de la Ligue nationale de Rugby :
MM. Patrick WOLFF, vice-président,
Arnaud DAGORNE, directeur,
et Emmanuel ESCHALIER, administrateur


(Extrait du procès-verbal de la séance du 28 novembre 2006)


Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Merci d'avoir répondu à notre invitation. Si nous avons souhaité vous accueillir aujourd'hui, c'est pour avoir le regard d'acteurs d'un autre sport que le football sur le problème des transferts et des agents. Nous aimerions que vous nous expliquiez comment les choses se passent dans le rugby, sport qui se professionnalise de plus en plus.

Êtes-vous confrontés aux mêmes dérives que celles du football ? Commencez-vous à entrevoir cette perspective ou êtes-vous parvenus à une meilleure maîtrise de ces phénomènes grâce à la commission de contrôle des agents et à une meilleure coordination entre les clubs ? Je ne parle évidemment pas de l'aspect financier, mais de la capacité à faire en sorte que les choses se passent correctement au regard de la loi, ce qui n'est pas du tout le cas dans le football.

M. Patrick WOLFF : Je suis vice-président de la Ligue nationale de rugby depuis son origine, en 1998, et l'on me considère comme le bras droit de Serge Blanco. Je suis plus particulièrement en charge des problèmes administratifs, juridiques et comptables. Je suis élu. Arnaud Dagorne ne l'est pas. Il est, en tant que directeur général de la Ligue, le patron des permanents. C'est l'homme du quotidien et du travail de fond. En tant que directeur exécutif, Emmanuel Eschalier est son adjoint, plus particulièrement en charge des aspects administratifs et juridiques.

Il serait prétentieux de dire que le rugby a réussi à régler ces problèmes. Si nous n'avons pas atteint le même point que le football, cela tient sans doute au fait que nous sommes plus jeunes et que les masses financières en cause sont bien moins importantes. Nous abordons donc ce sujet avec beaucoup de modestie. Mais le rugby porte malheureusement en germe les mêmes problèmes que ceux que connaît le football.

S'agissant des agents, ils se promènent dans les centres de formation ; ils sont dans des attitudes de racket vis-à-vis de certains clubs ; parfois, 14 ou 15 de leurs joueurs sont chez le même agent, ce qui pose un certain nombre de problèmes.

Le texte que vous avez adopté a marqué un premier pas, mais nous le jugeons aujourd'hui insuffisant pour que notre sport reste un sport et ne devienne pas un business. Car Serge Blanco et tous ceux qui travaillent avec lui ont à cœur de prouver que l'on peut faire un sport de façon professionnelle sans que l'argent ne régisse tout. Nous avons donc un certain nombre de propositions à vous faire.

Parmi les avancées déjà réalisées, la commission des agents, constituée de façon paritaire entre la Fédération et la Ligue, fonctionne bien. Il faut toutefois revoir son régime de sanctions, qui n'offre aucune flexibilité, et la procédure, qui paraît trop longue.

Nous voulons que les agents occupent la position qui est véritablement la leur : s'ils apportent une vraie valeur ajoutée en tant qu'intermédiaires prestataires de services, il n'y a aucune raison pour qu'on les rejette. En revanche, nous voulons écarter ceux qui perçoivent une commission en fonction de leurs intérêts du moment et qui ont un lien direct avec un président de club. Nous souhaitons que cette profession soit plus indépendante et plus responsable qu'elle ne l'est aujourd'hui. D'ores et déjà, certains agents ont pris le bon pli, mais les choses sont beaucoup plus difficiles avec d'autres et nous aimerions que vous nous aidiez à faire le tri.

Le mode actuel de rémunération des agents est source de conflit d'intérêts, notamment en ce qu'il les pousse à inciter les joueurs à changer de club chaque année, afin de percevoir à chaque fois une commission. De plus, il est nécessaire de clarifier la situation car les agents peuvent actuellement être agents de joueurs, agents de clubs, voire les deux.

Cela m'amène aux problèmes des transferts. Le rugby professionnel français ne veut pas entrer dans un système de sport-business et encore moins dans un système spéculatif. Nous sommes encore quelque peu protégés parce que, en théorie, les indemnités de transferts n'existent pas dans le rugby et parce que les indemnités de formation demeurent modestes. Quand la notion de transferts apparaît, elle n'est pas liée à la valeur de fonds de commerce d'un joueur, mais au rachat pur et simple d'un contrat. Il est alors question de somme de l'ordre de 50 000 à 60 000 euros. Si l'on introduisait un système de transfert et une économie spéculative pour des clubs dont le budget maximum se situe entre 15 et 20 millions d'euros, le rugby serait tout simplement en danger de mort.

Nous ne souhaitons pas rejoindre le football, mais rester dans un système où l'aspect social prévaut. En effet, à l'exception de quelques stars, les rugbymen français ne consacrent pas sept ou huit ans de leur vie à accumuler un pécule qui assure leur avenir jusqu'à la fin de leurs jours.

C'est pour cela que nous vous demandons de nous aider à éviter ces dérives et à protéger notre sport de ceux qui peuvent être considérés comme des parasites.

M. Henri NAYROU : Vous avez fait une excellente présentation, mais il ne s'agissait pas du même sport que dans les autres auditions...

M. le Président : On sent bien que M. Wolff nourrit quelque inquiétude, puisqu'il nous demande de protéger le rugby. On ne peut bien évidemment pas protéger un sport plus qu'un autre, mais nous devons comprendre pourquoi vous êtes inquiet, pourquoi vous craignez une éventuelle dérive et envisager les moyens de vous protéger de ceux qui viennent parasiter l'esprit qui prévaut encore dans votre sport comme dans beaucoup d'autres.

Si les agents ont de nombreux joueurs sous contrat, c'est souvent parce qu'ils ont été les premiers sur le marché. Aujourd'hui, ils font et défont les équipes et ils sont presque parfois les dirigeants de fait de certains clubs. Car quand vous nous dites qu'il y a connivence entre des agents et des présidents de club, n'oublions pas que ces derniers siègent au conseil d'administration de la Ligue, c'est-à-dire au sein de la même famille. Voilà qui confirme que vous n'êtes pas à l'abri des dysfonctionnements.

M. Patrick WOLFF : Au cours de ma carrière professionnelle, j'ai été amené à m'occuper de l'expertise judiciaire dans le cadre de l'affaire du CSP Limoges. Je crois que nous pouvons nous inspirer de cet exemple pour chercher à réguler la profession d'agent.

Les textes législatifs ou règlementaires pourraient en particulier être aménagés pour résoudre les conflits d'intérêts. Pourquoi ne pas s'inspirer de la règle qui interdit à un commissaire aux comptes de devenir expert-comptable dans les deux ans qui suivent le terme de son mandat et inversement? Quand on voit des agents de rugby constituer des sociétés offshore et prendre ainsi des participations dans des clubs ; quand on voit des entraîneurs devenir agents ; quand on voit des agents devenir entraîneurs ou dirigeant de clubs, il paraît évident que l'on peut régler les conflit d'intérêts en prévoyant, comme dans toutes les professions réglementées, plusieurs règles.

Il conviendrait ainsi que l'autorisation d'exercer la profession d'agent soit donnée à des personnes physiques et non à des structures juridiques, que l'actionnariat soit clairement identifié et que l'on ne puisse pas, pendant une période déterminée, passer d'un statut à un autre.

Il faut aussi être clair sur ce qu'est le métier d'agent : un agent n'est pas conseiller en patrimoine du joueur, il n'est pas conseiller financier, il n'est pas en charge de la gestion du droit d'image du joueur, ni en charge, par l'intermédiaire d'une société collatérale, des questions de marketing. Ces incompatibilités sont de mises pour les notaires, pour les experts comptables, les commissaires aux comptes, voire pour les assureurs. Il serait donc opportun de les étendre aux agents. Ils ne doivent exercer que leur métier, qui est déjà très bien rémunéré car, même au rugby, quand on n'engage que des frais réduits et que l'on touche 10 % de trois années de salaire d'un joueur, ce n'est quand même pas mal du tout...

M. Alain NÉRI : Au rugby, qui paie l'agent ? Le joueur ou le club ?

M. Patrick WOLFF : En théorie, c'est le joueur, en réalité, c'est le club.

M. Henri NAYROU : La différence avec le football, c'est que les ruptures de contrat et les contrats à répétition ne sont pas la norme mais l'exception. Dans le rugby, le problème tient surtout, non pas aux indemnités de transferts, mais aux émoluments des agents et au double mandat, quand celui donné par un joueur est remplacé au dernier moment par celui d'un club.

M. le Président : Comment les choses se passent-elles pour les mouvements de joueurs étrangers ? Je suppose que les clubs français n'ont pas les moyens d'envoyer des « scouts » partout dans le monde. L'agent français est-il le relais d'un agent étranger ?

M. Patrick WOLFF : La France est un des seuls pays d'Europe à avoir adopté une législation sur les agents. Toutefois, en application du droit européen, un certain nombre d'agents étrangers interviennent directement sur le marché français, c'est le cas pour les mouvements de joueurs sud-africains notamment, en vertu des accords de Cotonou et de l'arrêt « Malaja » (CE 30 décembre 2002). Il serait souhaitable d'instaurer une territorialité de l'activité d'agent, même si ce n'est pas dans l'esprit des textes européens, car les agents étrangers, qui interviennent directement sur le territoire français, ne remplissent pas les conditions posées par la législation française, ce qui est préjudiciable pour les agents nationaux qui doivent se conformer à cette réglementation.

En pratique, les principaux agents français ont des liens avec des agents étrangers qui jouent le rôle de rabatteurs et ils partagent la commission payée par le club.

M. le Président : Comment la transaction se déroule t-elle ? Le club français paie-t-il l'agent français qui rétrocède une partie de la commission à l'agent étranger ?

À titre d'exemple concret, le dirigeant du club de Grenoble se retrouve au pénal à cause d'un agent qui, au moment où ce dirigeant a repris une équipe, l'a obligé, pour lui fournir les joueurs dont il avait besoin, à signer ce qu'il n'aurait jamais dû signer.

M. Arnaud DAGORNE : Le rugby n'est une activité lucrative que dans un petit nombre de pays, dont la France. Le rôle des agents s'y développe rapidement et on était très loin, il y a dix ans, des 3,3 millions d'euros de commissions qui leur ont été versées par les clubs la saison dernière.

M. le Président : Certains agents exercent-ils dans plusieurs sports comme agents multicartes ?

M. Emmanuel ESCHALIER : Il n'y en avait aucun sur les 40 agents qui ont passé l'examen entre 2003 à 2005. Aujourd'hui ils sont six sur les 20 candidats qui préparent le prochain examen d'agent et ils viennent du monde du basket ou du football.

M. Henri NAYROU : Même si le rugby ne connaît pas le risque des rétro-commissions, le problème des conflits d'intérêts est réel. Que pensez-vous de la solution avancée par certains agents de rugby qui préconisent de déposer une liste de mandats avec des numéros clairement identifiés pour les joueurs pour leurs agents, ce qui éviterait notamment que l'on change de mandat en cours de transaction ? Si l'on allait vers un tel système, qui devrait selon vous détenir cette liste : la Ligue ou la Fédération ?

M. Patrick WOLFF : Pour un certain nombre de licences ayant atteint leur terme, la commission des agents a subordonné leur renouvellement à la communication de la liste des mandats qu'ils ont reçus. Pas plus tard que vendredi dernier, les licences d'agents qui ne les avaient pas communiquée n'ont pas été renouvelées.

Un dépôt de la part des joueurs serait incontestablement un progrès.

Pour nous, cela relève de ce que nous appelons le « domaine commun » : les joueurs sont liés aux clubs par un contrat de travail, mais nous ne contesterons jamais le fait que l'éthique relève de la Fédération. La commission des agents fonctionne très bien, avec une excellente coordination entre la Ligue et la Fédération.

M. Emmanuel ESCHALIER : Depuis 2003, les agents ont l'obligation de communiquer à la commission des agents les contrats qui les lient avec les joueurs ou avec les clubs. La commission a eu beaucoup de difficultés à obtenir cette communication de certains agents. Elle y est parvenue uniquement sous la menace que la licence ne soit pas renouvelée au terme des trois ans. Sans aller jusqu'à exiger des clubs et des joueurs qu'ils communiquent eux-mêmes les mandats qu'ils ont signés avec les agents, nous procédons, avec la Fédération, à un recoupement des informations par l'intermédiaire de la procédure d'homologation des contrats. Lorsqu'un contrat entre un joueur ou un entraîneur et un club est soumis à l'homologation de la Direction nationale d'aide et de contrôle de gestion (DNACG), il est accompagné d'une déclaration du club et du salarié indiquant si chacune des deux parties a eu ou non recours à un agent. Ces recoupements ont permis de constater un certain nombre de disfonctionnements et de conflits d'intérêts.

M. le Président : La DNACG examine t-elle tous les contrats, toutes les pièces, y compris celles qui portent sur la rémunération de l'agent, avant de donner son accord à la délivrance de la licence ?

M. Emmanuel ESCHALIER : La rémunération est indiquée sur le mandat conclu entre les mandataires et les mandants mais elle ne figure pas au contrat de travail.

M. le Président : Comment la DNACG pourrait-elle s'assurer de la viabilité d'un club si elle ne disposait pas de toutes les pièces relatives à l'accord financier, notamment les informations concernant la rémunération ?

M. Patrick WOLFF : La DNACG a connaissance de la rémunération de l'agent par le biais de la déclaration des commissions et honoraires, la DAS2, qui est obligatoirement communiquée par les clubs.

M. le Président : Le rôle de la DNACG est de vérifier si le club ne va pas au-delà de ses moyens. Comment l'apprécierait-elle si elle ne dispose pas de l'ensemble des données précises de tous les contrats ?

M. Patrick WOLFF : La DNACG intervient tout au long de l'année, à la demande des joueurs, pour chaque contrat. Tous les éléments du dossier sont communiqués dans le cadre de ces contrats et ensuite recoupés avec la DAS2.

Lors de la période budgétaire qui précède l'autorisation donnée au club de participer au championnat, le club fixe sa masse salariale, même si tous les aspects contractuels ne sont pas encore connus. Ensuite, les clubs arrêtent leurs comptes au 30 juin et la DNACG se réunit lors de la première quinzaine de janvier. Elle vérifie alors s'il y a eu des déclarations mensongères, ce qui entraîne des sanctions financières contre le club. Elle dispose dans ce cas de la faculté de se faire communiquer tous les éléments comptables et de les confronter avec les éléments contractuels. Mais il n'est pas possible de prévoir un contrôle a priori.

M. le Président : Si c'est possible. C'est ce que nous avons fait dans le basket-ball : chaque club fournit l'ensemble des contrats ce qui permet de vérifier s'il s'inscrit bien dans l'enveloppe budgétaire prévue.

M. Patrick WOLFF : Le contrôle ne se fait pas pendant l'arrivée des contrats au moment de la période des mutations, si ce n'est pour les clubs dont les difficultés ont déjà été identifiées. Je le rappelle, il y a contrôle a priori de la fixation de la masse salariale et du budget du club, et un contrôle a posteriori, qui permet de vérifier si ce qui a été annoncé a bien été exécuté.

M. Arnaud DAGORNE : Il y a quand même un contrôle de la cohérence de l'ensemble des contrats des joueurs et des entraîneurs qui forment la masse salariale, ainsi que du montant budgété des honoraires des agents.

M. Henri NAYROU : Ce qui différencie le rugby du football, c'est qu'il n'y a pas ces sommes mirobolantes liées aux transferts.

M. le Président : Mais les procédures sont les mêmes : dans le football, je suis stupéfait que l'on ne dispose pas de tous les éléments du contrat quand on donne la licence. Les masses financières sont très importantes et on ne voit vraiment pas comment la DNCG du football peut exercer son contrôle.

M. Henri NAYROU : On nous a expliqué tout à l'heure que, pour faire passer la rétribution d'un agent, il était possible de louer un photocopieur un million d'euros par an...

M. Patrick WOLFF : La délivrance de licences est assise sur la communication de tous les documents juridiques appropriés. Au moment de la publication des comptes, au 30 juin, s'y ajoute une vérification de cohérence entre le budget, ce qui a été effectivement autorisé et qui a entraîné la délivrance de licences, et ce qui figure dans les comptes du club soumis à approbation.

M. le Président : Pour la DNACG, la seule part d'incertitude porte sur les recettes, qui ne sont qu'évaluées dans le projet de budget présenté en début de saison. Mais les dépenses, en particulier celles qui sont liées aux contrats des joueurs, sont réelles. Cela vaut pour tous les sports, en particulier pour le basket-ball. Lorsque débute le championnat, on sait combien seront payés les joueurs et les agents.

M. Arnaud DAGORNE : Dans ce sport, il y a quelques années, les droits à l'image étaient parfois supérieurs aux salaires.

M. le Président : Je dirai plutôt que le droit d'image n'existait pas car il était détourné par des opérations de « scouting ». C'est un dossier je connais bien, puisque j'étais président de la DNCG du basket-ball au moment de l'affaire de Limoges. Il y a même eu alors des prélèvements sur le versement des collectivités... Les choses ont d'ailleurs mal fini.

Mais revenons à vous : forts d'une expérience qui n'est pas pour l'instant marquée par les dérives, que vous paraîtrait-il important de modifier ?

L'application d'un numerus clausus aux agents, dont vous avez dit tout à l'heure que certains étaient trop influents, vous paraît-elle une solution ?

M. Patrick WOLFF : Je crains qu'un numerus clausus ne soit contourné.

Il me paraît essentiel de s'attaquer aux conflits d'intérêts ; de pouvoir identifier les actionnaires de sociétés ; d'éviter le mélange des genres ; de mettre en jeu la responsabilité civile des agents ; d'exiger la preuve de leur valeur ajoutée ; de rendre plus souple le régime des sanctions de façon à y introduire une graduation, mais aussi d'en améliorer la sécurité juridique - car on peut aujourd'hui se demander dans quelle mesure une fédération ou une ligue est en mesure de sanctionner quelque chose qui relève du marché du travail, même si c'est sous la forme d'une prestation de services.

Il convient aussi de nous prémunir contre l'arrivée d'un système de type spéculatif dans le rugby, mais cela relève me semble-t-il davantage d'une réglementation interne.

Aujourd'hui, compte tenu de la présence d'un certain nombre de prestataires de services dans notre sport, je ne suis en mesure de garantir ni que nous avons connaissance de l'intégralité des droits à l'image existants pour les joueurs de rugby évoluant en France, ni que ces droits correspondent à une prestation de services effective.

Les présidents de club, qui sont à 98 % des bénévoles, mesurent bien le risque de se retrouver au pénal. Pour l'éviter, il convient sans doute de renforcer la réglementation afin que ce ne soit pas les agents qui gèrent directement les droits à l'image des joueurs. Car aujourd'hui, certains agents se présentent directement auprès des sponsors de la Ligue et des clubs pour soustraire le droit à l'image des rapports entre le club et son sponsor.

M. le Président : Il y a deux types de droit à l'image : celui sur lequel le législateur est intervenu, le droit à l'image individuel, ne fait pas débat.

M. le Président : En revanche, le droit à l'image qui nous échappe est celui qui est négocié directement entre une entreprise et un joueur, en dehors du club. Comment mesurer si le service est effectivement rendu ?

M. Patrick WOLFF : La question est en fait celle de la transparence du rôle des agents. On est ici dans une relation contractuelle de type presque anglo-saxon, moins bornée que le droit français, qui crée des espaces entre le droit à l'image individuel et collectif. Il faut que le nombre des intervenants soit réduit et que chacun soit transparent. On ne veut pas assimiler les droit à l'image individuel et celui collectif, mais seulement que chacun se tienne à sa place...

M. le Président : Vous voudriez que l'agent qui négocie le contrat entre un salarié et un club ne puisse en aucun cas négocier un contrat d'image avec une société ? Cela paraît compliqué...

M. Patrick WOLFF : Le législateur l'a fait dans un tout autre domaine, celui de la profession de commissaire aux comptes, en interdisant le mélange des activités. Les commissaires aux comptes ne peuvent plus, aujourd'hui, donner de conseils. Il faut tout simplement éviter ce mélange des genres pour les agents. S'il est intermédiaire entre un joueur et un club, il ne peut pas être également conseil du joueur.

M. le Président : Sauf si on assimile le droit à l'image à une rémunération...

M. Emmanuel ESCHALIER : Il est particulièrement choquant qu'une même personne intervienne à la fois pour le compte du club en tant qu'agent et pour le compte du joueur, dans le cadre de son droit à l'image.

M. Henri NAYROU : Parmi les solutions que vous préconisez, vous n'êtes pas revenu sur l'idée que vous aviez défendue précédemment que les agents doivent accepter une réglementation aussi ferme que celle d'autres professions. Si le rugby n'est pas encore gangrené par ce qui ronge actuellement le football, son principal problème tient aujourd'hui aux agents. Comment, selon vous, pourrait-on faire évoluer la législation sur ce plan ?

M. Emmanuel ESCHALIER : Vous trouverez dans le document que nous vous avons remis, les évolutions de la loi et de son décret d'application qui nous paraîtraient utiles au regard des difficultés que la commission des agents a rencontrées depuis 2003 dans l'exercice de son rôle d'encadrement. Certaines de ces propositions figurent déjà dans le rapport rendu en 2005 par l'Inspection générale des finances, qui avait auditionné des représentants de la Ligue et de la Fédération.

La première de nos propositions est de limiter les conflits d'intérêts par le renforcement des incompatibilités. Actuellement, la loi ne vise que l'impossibilité pour un ancien dirigeant de club de devenir agent avant un certain délai, mais elle ne prévoit ni le cas où un agent intégrerait un club, ni l'incompatibilité entre la qualité d'agent et d'actionnaire d'un club.

Nous préconisons également de renforcer la transparence et l'exercice de la mission de contrôle des fédérations en faisant en sorte que les licences ne soient plus délivrées à des personnes morales mais uniquement à des personnes physiques, d'autant que ce sont bien ces dernières qui passent l'examen et que la compétence leur est donc individuellement attachée.

Depuis 2003, la commission des agents a prononcé sept ou huit sanctions, sur des dossiers d'importance très variable. Elle a été confrontée à la lenteur et à la lourdeur des procédures disciplinaires imposées par les textes, qui ne lui donnent qu'un rôle d'instruction et qui lui imposent, après la procédure disciplinaire en son sein, d'en engager une autre devant les organes dirigeants de la Fédération (le comité directeur), compétents pour prononcer d'éventuelles sanctions. Afin d'alléger la procédure nous proposons donc qu'on confie la compétence disciplinaire à la commission elle-même, comme cela se fait en matière de discipline sportive ou de contrôle de gestion.

Le barème des sanctions - avertissement, blâme ou retrait - nous paraît également très inadapté à la diversité des situations rencontrées. Nous proposons d'introduire la possibilité de prononcer des sanctions financières ainsi que des suspensions temporaires de licence, afin de disposer d'une mesure intermédiaire entre les sanctions symboliques et le retrait définitif de la licence.

Par ailleurs, si l'on impose aux agents de souscrire une assurance en responsabilité civile professionnelle, ni le contenu ni le niveau des garanties ne sont précisés. Compte tenu des sommes en jeu et de la responsabilité qu'engage l'agent dans l'exercice de son activité, il serait sans doute utile de fixer par voie réglementaire un cahier des charges minimum pour cette assurance.

M. Henri NAYROU : Comme d'autres personnes que nous avons auditionnées, vous en arrivez à la conclusion qu'il faut modifier l'article L. 222 du code du sport, l'article 14 de la loi de 1984 ainsi que, pour le football, l'article 145 du règlement de la FIFA, c'est-à-dire permettre aux clubs de rémunérer les agents, y compris s'ils ont été mandatés par les joueurs.

Pouvez-vous nous expliquer la philosophie générale de cette proposition ?

M. Patrick WOLFF : L'idée première est de clarifier la situation. Pour avoir été dirigeant de club, je sais très bien que dans la négociation le joueur demande que le club prenne en charge la commission de l'agent. Cela conduit à recourir à des solutions juridiques qui ne sont pas très claires mais auxquelles le président finit par consentir pour obtenir le joueur qu'il souhaite faire venir.

M. Henri NAYROU : Juridiquement, cela n'est absolument pas logique.

M. Patrick WOLFF : Mais cela correspond à une réalité économique...

M. le Président : Si l'on arrive à bien séparer les différentes fonctions de l'agent et à faire en sorte qu'il ne soit que le représentant du joueur, on peut aboutir à des solutions acceptables. Mais s'il y a mélange des genres, on risque de le renforcer en faisant rémunérer l'agent par le club.

M. Henri NAYROU : En effet, comme le souligne le Président, votre conclusion contredit l'ensemble de votre démonstration. Peut-être cela n'aurait-il pas d'incidence dans votre sport, mais cela en aurait dans le football, où l'essentiel des malversations est lié aux sommes importantes versées dans le cadre des transferts, aux opérations de dissimulation et aux mouvements de joueurs à répétition. Autant les institutions sont favorables à votre proposition, autant les représentants des joueurs et tous ceux qui ne sont pas gestionnaires de club, de fédération ou de ligue, sont farouchement opposés à cette manipulation.

Dans le football, le système est gangrené par la présence d'intermédiaires - véreux ou non - rétribués par les clubs. Et l'on se dit que si les trois parties ont intérêt à ce que l'on foule au pied les principes du droit, c'est qu'elles y trouvent de bonnes raisons...

M. Patrick WOLFF : Les opinions divergent parmi nous sur ce point. Pour ma part, il est égal que ce soit le club où le joueur qui rémunère l'agent à partir du moment où il y a une grille de rémunération précise, fixée par décret, comme pour les notaires, qui permet d'éviter la perversité d'un système dans lequel un joueur est amené à changer de club à l'instigation de son agent, parce que ce dernier touche 10 % sur la signature d'un nouveau contrat d'un an et 5 % sur une prolongation. À titre personnel, je ne suis pas contre l'idée d'une rémunération par le joueur, mais avec une grille tarifaire. On parviendrait alors, sans trahir le droit, à un système économique sain.

M. Henri NAYROU : À l'heure actuelle, il ne l'est pas. Mais n'est-il pas choquant de partir de l'idée que, puisqu'une pratique est illégale, il faut la légaliser ? Dans ces conditions, à quoi sert le législateur ?

M. Emmanuel ESCHALIER : Cette proposition, qui est reprise du rapport de l'Inspection générale, n'est pas parfaite, mais elle nous semble quand même préférable à la situation actuelle, dans laquelle il est prévu que l'agent est rémunéré par la partie qui le mandate. Car, dans les faits, les mandats enregistrés par la Fédération française de rugby (FFR) en 2006, sont à 95 % des mandats agent-club et à 5 % seulement des mandats agent-joueur. Et la proportion des agents qui représentent effectivement un club lors d'une opération de recrutement est plutôt inverse. Le système actuel aboutit à ce que le mandat ne soit pas signé par la personne dont l'agent représente effectivement les intérêts. Au moins, avec la modification proposée, ferait-on en sorte que l'agent soit contractuellement lié avec la personne qu'il représente réellement.

M. Patrick WOLFF : Il n'est pas très facile de savoir si c'est le joueur qui vient vers le club ou le club qui va vers le joueur. Un agent va prendre 2 % au joueur et faire signer un contrat de conseil en recrutement, complètement dissocié de la profession d'agent, avec des sommes fixes permettant de compenser le fait que la commission n'a pas été de 10 %.

C'est pourquoi j'insiste sur la nécessité de limiter les conflits d'intérêts et d'adopter une grille de rémunération, qui peut permettre, tout en restant, comme vous le souhaitez, dans le cadre légal actuel de freiner les dérives.

M. Alain NÉRI : Sauf à renoncer totalement à notre rôle de législateur, on ne peut quand même pas accepter de modifier la loi au simple motif que certains ne la respectent pas !

Mieux vaut donc s'en tenir à un principe et trouver, comme le propose M. Wolff, des moyens techniques pour mieux cadrer les choses.

M. le Président : Mais cette grille n'existe-t-elle pas déjà à travers une rémunération maximum ?

M. Patrick WOLFF : Il y a un plafond, mais le texte est contourné.

Si j'insiste sur la nécessité de combiner grille des rémunérations et dispositions sur le conflit d'intérêts, c'est parce qu'on ne peut pas régler la question du mandat en se contentant de dire qu'il appartient au joueur de payer, si l'on n'interdit pas dans le même temps aux agents d'exercer d'autres missions de conseil pour le club, d'autant que l'on sait bien qu'il est assez facile de camoufler ces activités sous l'intitulé comptable de « prestation de services ».

M. Henri NAYROU : Il me semble logique que des agents puissent se mettre au service des clubs, un peu comme des chasseurs de têtes. Pourtant d'autres pensent qu'au football, les grands clubs comptent assez d'expertise en leur sein pour dénicher les bons joueurs. Pour ma part, je suis prêt à accepter l'idée qu'on externalise ce service, pour peu que l'agent qui a conseillé le joueur ne conseille pas également l'autre partie.

Mais je trouve quand même assez incroyable, alors que cette mission a précisément été constituée parce que nous avons constaté que le texte que nous avons adopté était dévoyé, que l'on nous demande de légaliser des pratiques au motif qu'elles sont communément acceptées et qu'elles donnent lieu à des malversations considérables !

M. le Président : On ne pourra bien sûr pas se contenter de demander de légaliser la pratique, il faudra prévoir des garde-fous et encadrer bien davantage la profession d'agent et ses pratiques, sauf à prendre le risque de voir les dérives perdurer.

M. Henri NAYROU : On nous a expliqué que les dévoiements interviennent parce que ce sont les clubs qui rétribuent les agents, mais on nous demande de le légaliser. Faudrait-il aussi légaliser le dopage au motif qu'il est difficile de prendre les tricheurs ?

M. Patrick WOLFF : Tous les sujets sont liés. Il faudrait aussi que vous preniez en considération le fait que nous subissons les effets des accords de Cotonou et de l'arrêt « Malaja » et que les joueurs en provenance d'Afrique du Sud pèsent bien trop sur notre championnat. En un an, on est passé de 7 joueurs étrangers sur 33 à 10. Ces joueurs sont amenés par des agents étrangers, tandis que les agents français honnêtes - et il y en a ! - sont davantage positionnés sur les joueurs français. Il ne faudrait pas que l'instauration d'un mécanisme plus contraignant pour les agents français favorise en fait les agents étrangers qui n'y seraient pas soumis.

M. le Président : Toute limitation posée à l'arrivée de joueurs étrangers est en contravention avec l'accord de Cotonou ou avec l'arrêt « Bosman ». Mais rien ne vous empêche de passer un gentleman's agreement sur le degré d'ouverture des clubs français aux joueurs étrangers.

M. Patrick WOLFF : Nous n'avons pas de gentleman's agreement. Dans la mesure où on ne peut pas prévoir de système de protection, nous avons pensé à un système d'incitation à utiliser les joueurs issus des centres de formation.

M. Arnaud DAGORNE : Lorsque nous avons envisagé un gentleman's agreement il y a deux ans, les sociétés d'agents nous ont menacé d'un recours.

M. le Président : Mais il ne peut pas y avoir de recours contre quelque chose qui n'est pas écrit...

M. Alain NÉRI : Non contents de ne pas respecter la loi, les agents menacent les responsables de l'organisation du sport, et vous voudriez que nous les récompensions en mettant la loi en conformité avec leurs intérêts ! Doit-on aussi renoncer à leur faire payer les impôts liés à leurs activités au motif que l'on ne parvient pas à les recouvrer ? Devons-nous nous coucher devant la notoriété de quelques-uns ? Sommes-nous dans une République bananière ?

M. le Président : Nous vous remercions d'avoir participé à cette audition et de nous avoir peu redonné le moral en nous montrant que, s'il fallait être vigilant, au moins dans le rugby il n'y avait pas encore de dérives spectaculaires.

M. Patrick WOLFF : Si les transferts ne nous nous posent pas de problème majeur, il faut vraiment agir dans le domaine des agents, afin de faire le tri entre ceux qui apportent une valeur ajoutée et ceux qui alimentent la spéculation. À défaut, nous serions rapidement confrontés à de graves difficultés.

Audition de M. Jacques LAGNIER,
secrétaire général de la commission de contrôle des clubs professionnels de la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG)


(28 novembre 2006)

Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Nous vous remercions d'avoir accepté de venir devant nous. La DNCG est souvent au cœur de nos discussions, puisque c'est d'elle que dépend - pour peu que vous nous le confirmiez - le contrôle de l'activité des agents sportifs, particulièrement à l'occasion de transferts. Il arrive que ces transferts en viennent à mettre à mal l'équilibre financier de certains clubs, alors même que la DNCG n'avait peut-être pas toutes les pièces du dossier en main au moment où elle rendait sa décision. Comment fonctionnez-vous ? Avez-vous réellement tous les éléments pour juger de la régularité d'un transfert, au regard notamment des engagements pris par le club en matière de gestion ? Il semblerait, d'après ce que nous avons entendu, que la DNCG ne soit pas en mesure de remplir correctement sa mission, faute d'avoir toutes les pièces en main.

M. Jacques LAGNIER : La DNCG a avant tout une mission d'analyse et de contrôle financier des clubs, ce qui l'amène à s'intéresser d'abord aux grands équilibres plutôt qu'aux détails précis des comptes des clubs. Pour cela, nous nous reposons beaucoup sur les commissaires aux comptes et sur leurs rapports, sans oublier nos « rencontres » avec les clubs qui, tout au long de l'année, sont tenus de nous donner un certain nombre d'informations financières. Nous avons ainsi un suivi régulier de la situation générale du club, mais plutôt au niveau des grandes masses. Partant de là, nous pouvons être amenés à prendre un certain nombre de décisions allant de la rétrogradation - la plus grave - à des mesures d'encadrement du budget du club, particulièrement au niveau de la masse salariale sur laquelle les transferts influent énormément.

Nous ainsi avons affaire à deux catégories : celle des clubs dont la situation est positive et qui n'appellent aucune décision coercitive de notre part...

M. le Président : Sans pour autant encadrer son budget, vous ne pouvez pas empêcher un club de le dépasser au-delà d'un certain pourcentage ?

M. Jacques LAGNIER : Non. Nous pourrions éventuellement le faire si nous avions l'impression d'un dérapage. Dans ce cas nous organisons une rencontre, même si nous ne prenons pas de décision à son sujet.

Nous avons deux grands rendez-vous : le 15 mai, au début de la saison, date à laquelle les clubs doivent nous présenter leurs documents budgétaires, et le 15 novembre, date à laquelle nous vérifions les réalisations. Ces deux séries d'auditions nous permettent d'analyser les comptes des clubs, d'apprécier leur situation et éventuellement de prendre une décision. Si nous n'en prenons pas, le club fait ce qu'il veut, en tout cas jusqu'à notre prochaine rencontre à l'occasion de laquelle, s'il y a eu des dérapages, il devra s'en expliquer.

La deuxième catégorie est celle des clubs sur lesquels nous avons pris une décision - d'encadrement, par exemple. Le club est alors tenu de nous informer de tous les événements susceptibles d'intervenir ; mais surtout, nous suivons de près sa masse salariale et les indemnités de transfert qu'il peut être amené à verser ou, en sens inverse, à recevoir. Tous les contrats de joueurs nous sont présentés et reçoivent notre visa ; nous connaissons donc le montant des salaires. Nous additionnons tout cela en veillant à ne pas laisser dépasser le montant décidé.

M. le Président : Montant du salaire et contrat de l'agent ?

M. Jacques LAGNIER : Nous avons le montant du salaire, les conditions financières du transfert éventuel, mais pas le contrat de l'agent. Nous avons très peu d'information sur les agents, si ce n'est une ligne comptable dans la rubrique consacrée aux services extérieurs.

M. le Président : L'inscription au registre des agents étant obligatoire, vous devez au minimum connaître son nom...

M. Jacques LAGNIER : En principe, son nom doit effectivement figurer sur le contrat.

M. le Président : Mais comment pouvez-vous vous prononcer sur la pérennité du club sans connaître la totalité des pièces du contrat, dont celles qui ont trait à l'agent ? Elles peuvent pourtant avoir une incidence importante sur le plan financier...

M. Jacques LAGNIER : En principe, cela fait partie des prévisions, qui sont tout à la fois fonction du budget et du recrutement. La commission de l'agent n'est pas la même selon qu'il s'agit d'un joueur de quelques milliers d'euros ou de Zidane... Il y a une cohérence entre le niveau de la commission et le montant du transfert.

M. le Président : Autrement dit, vous jugez un ensemble, et non pièce par pièce.

M. Jacques LAGNIER : Tout à fait.

M. le Président : Pourquoi ? Est-ce la pratique ?

M. Jacques LAGNIER : Effectivement. L'obligation comptable s'entend pour l'information globale.

M. le Président : Vous arrive-t-il d'arriver dans un club en demandant le journal, la balance, le détail des « comptes fourre-tout » ?

M. Jacques LAGNIER : Cela peut arriver, mais rarement. Nous avons parfois réclamé un audit ou des informations précises, mais c'est exceptionnel.

M. le Président : Tout le problème est d'avoir la certitude de disposer à un moment donné de toutes les pièces du contrat pour vérifier leur régularité et apprécier si le club est en bonne situation ou pas. Si vous ne les avez pas toutes, vous vous en rendrez compte seulement a posteriori.

M. Jacques LAGNIER : Oui, mais nous pourrons voir si, au niveau des masses financières, il y a une distorsion par rapport aux prévisions budgétaires.

M. le Président : Mais qu'en est-il des clubs non encadrés, qui représentent la majorité des cas ?

M. Jacques LAGNIER : Il se peut que nous constations un dérapage. S'il est sans incidence sur l'équilibre financier général, il n'y aura pas de conséquences.

M. le Président : Mais puisque le club n'est pas encadré...

M. Jacques LAGNIER : Nous le constaterons tout de même, a posteriori. Et il sera toujours possible de prendre alors des sanctions.

M. le Président : Certes, mais la DNCG pourrait être à un moment donné un moyen de vérifier la régularité de certaines opérations, au moment même où elles se produisent, et d'infliger la sanction suprême en refusant de délivrer la licence.

M. Jacques LAGNIER : Mais nous donnons déjà un avis indirect dans la mesure où, si nous ne prenons pas de sanction, l'avis est réputé positif.

M. Alain NÉRI : Le club vous présente son dossier le 15 mai. S'il n'est pas encadré, il fait ce qu'il veut, et vous procédez à une première vérification entre le 15 mai et le 15 novembre...

M. Jacques LAGNIER : Le 30 septembre, nous recevons le bilan du club arrêté au 30 juin. Nous avons alors les comptes « officiels » du club ainsi que le rapport du commissaire aux comptes, et nous vérifions s'ils concordent avec l'estimé remis le 15 mai. Le 15 novembre, le club nous présente un nouveau budget révisé, que nous comparons avec celui de l'année précédente, l'estimé présenté le 15 mai et la réalisation effective au 30 juin. Cela permet d'ajuster certains éléments qui, à la date du 15 mai, ne sont pas encore connus précisément, notamment du côté des recettes.

M. le Président : Autrement dit, à la date du 30 juin, date de clôture de l'exercice, vous n'avez pas la possibilité de refuser l'engagement d'un club pour cause de dérive financière ?

M. Jacques LAGNIER : En effet. Non seulement l'échéance est trop courte, mais il n'est pas possible de prendre des décisions en cours de saison. Cela étant, nous avons mis en place des décisions à titre conservatoire en cas de problèmes constatés en cours de saison et notamment au 15 novembre : le club est tenu de prendre les mesures qui s'imposent pour régulariser la situation, faute de quoi, au 30 juin, la sanction tombera - en général, la rétrogradation ; mais le club aura été prévenu six mois à l'avance. Sitôt que nous sentons quelque chose, nous réagissons.

M. le Président : Comment selon vous pourrait-on améliorer la capacité de la DNCG, ou d'autres instances du football, à contrôler les flux financiers liés aux transferts ou à la rémunération des agents ?

M. Jacques LAGNIER : Beaucoup d'éléments entrent en ligne de compte dans les transferts. Le fait que l'opération se passe souvent à l'étranger est une source importante de dérives, plus ou moins graves selon les pays en cause ; il y en a beaucoup moins en France. Ajoutons que, beaucoup d'argent attirant beaucoup de monde, et l'on voit graviter une multitude d'intermédiaires, agents, mais également conseils et autres, qui interviennent pour le compte tantôt du club, tantôt du joueur. Il faudrait, pour commencer, des modalités claires et simples, ensuite que la profession d'agent soit plus réglementée et que les contrôles soient effectués chez l'agent lui-même, puisque c'est là que l'on saura le mieux ce qui est entré, ce qui est sorti et comment. Même si l'on connaît l'argent sorti de la comptabilité de club, on n'a pas toujours les moyens de savoir s'il est arrivé chez l'agent ou ailleurs.

M. le Président : Mais vous devriez savoir qui facture... Je suis surpris que vous n'exigiez pas que le contrat de l'intermédiaire soit annexé au contrat liant les deux clubs et le joueur, alors que c'est un élément financier de l'opération. Car si la facture vient du Bangladesh...

M. Alain NÉRI : Très juste... Qui plus est, pour qu'il y ait de l'argent qui sorte, il faut bien qu'il y ait de l'argent qui rentre. Comment en contrôlez-vous l'origine ?

M. Jacques LAGNIER : Les diverses sources de financements, sponsoring, recettes de matches, etc., sont clairement identifiées.

M. le Président : Le problème est de savoir où va l'argent, à qui et comment.

M. Jacques LAGNIER : Jusqu'à présent, notre objectif n'était pas de rechercher les fraudes, mais de nous assurer de l'équilibre général de la compétition et de la régularité des opérations sur le plan financier.

M. Alain NÉRI : Mais si vous connaissiez le montant du transfert, la rémunération de l'agent, etc., vous y verriez plus clair et vous sauriez mieux où passe l'argent.

M. Jacques LAGNIER : Ce serait sans doute un contrôle supplémentaire.

M. le Président : Si Lyon achète un joueur à Porto Alegre, vous saurez que telle somme va à Porto Alegre, mais pas ce que Porto Alegre en fait. Est-ce bien cela ?

M. Jacques LAGNIER : Tout à fait.

M. le Président : Si quelqu'un est rémunéré sur la somme en question, au moins est-ce transparent en France. Mais s'il y a un autre contrat avec un intermédiaire qui sort de la comptabilité du club, et dont vous n'avez pas connaissance ? Les DNCG de toutes les autres ligues exigent de connaître la rémunération des intermédiaires. Pourquoi pas dans le football ? Le montant des sommes en cause a pourtant de quoi susciter des interrogations !

M. Jacques LAGNIER : Encore faudrait-il avoir toutes assurances sur l'exhaustivité des intermédiaires et des sommes en cause...

M. le Président : Vous connaissez les flux financiers des clubs que vous contrôlez...

M. Jacques LAGNIER : Tout à fait.

M. le Président : Vous avez bien à chaque fois une facture correspondant à la dépense...

M. Jacques LAGNIER : Nous avons la possibilité de le vérifier.

M. le Président : Comme dans toute entreprise, du reste.

M. Jacques LAGNIER : Certes, mais nous arrivons après le commissaire aux comptes et nous voyons seulement une ligne « commissions d'agents : 500 000 ». Mais nous pourrions effectivement demander le détail de cette somme, et les pièces justificatives.

M. le Président : Tout porte à penser que c'est là que se trouve l'opacité.

M. Alain NÉRI : Ce serait la moindre des choses : on saurait un petit peu où passe l'argent, et qui le touche...

M. Jacques LAGNIER : Je n'en suis pas totalement convaincu. Certes, on aura une facture de M. Untel, agent, pour le transfert du joueur Tartempion, pour X milliers d'euros... Mais cela nous apportera-t-il réellement beaucoup ?

M. le Président : Cela vous permettra d'abord de comptabiliser cet argent dans l'équation économique du club, alors que vous ne le faites actuellement que dans la masse.

M. Jacques LAGNIER : S'il est dans la masse, c'est qu'il a été comptabilisé...

M. le Président : Mais vous ne le savez qu'a posteriori. Cela permet ensuite de savoir si cette rémunération est en relation avec les sommes en jeu : par exemple, si la commission est de 50 %, il y a nécessairement problème...

M. Jacques LAGNIER : Je ne suis pas convaincu que là soit véritablement le nœud du problème. On relèvera peut-être quelques irrégularités ; mais il y aura bien la facture, et les documents correspondants.

M. Alain NÉRI : Mais les montants et le nombre de factures d'intermédiaires conduiront bien à donner quelques indications, ou à poser des questions intéressantes...

M. le Président : Il se pourra, par exemple, que vous voyiez revenir dix fois la facture d'un même agent. Un même agent qui, sur les mêmes transferts, ou sur des transferts différents dans le ou les mêmes clubs, présente des montants de commissions apparemment en décalage, c'est tout de même une information importante, même si ce n'est pas à vous qu'il appartient de régler le problème !

M. Jacques LAGNIER : Là encore, je ne suis pas convaincu. On constatera peut-être qu'il y a eu plusieurs transferts avec le même agent. Mais aucune réglementation ne l'interdit. L'agent peut être très efficace, bien s'entendre avec les joueurs, etc.

M. le Président : À ceci près que le montant de sa commission doit être stipulé dans une convention.

M. Jacques LAGNIER : En effet. Soupçonnez-vous des dérives quant aux niveaux de rémunération ?

M. le Président : En tout cas quant à l'endroit où l'argent aboutit en fin de parcours, et sur la rémunération de l'intermédiaire au milieu...

M. Jacques LAGNIER : Autrement dit, c'est à chercher plutôt vers la sortie... Du côté de l'entrée en tout cas, on trouvera une facture de 100 000 pour intervention dans le cadre d'un transfert. Soit. On sait que 100 000 sortent du club, facture à la clé. Que va-t-on faire de plus si c'est régulier, de l'ordre de 10 % du contrat, etc. ? Ce qui se passe après, en revanche, on ne le sait plus...

M. le Président : À la limite, cela n'est plus le problème du club, dès lors que la comptabilité est claire et les flux financiers authentifiés. Ce qui me choque, c'est le fait de donner son accord sans avoir tous les termes du contrat. Car c'est dans le contrat que se trouvent tous les problèmes.

M. Jacques LAGNIER : Encore une fois, je ne pense pas que ce soit là. Les honoraires versés par le club sont clairement identifiés et l'on ne peut interdire aux gens de s'entourer de conseils. À chaque facture correspondra une prestation ; certes, il arrivera de découvrir des intermédiaires qui ne sont pas des agents...

M. le Président : Et des agents qui ont un double rôle en travaillant tout à la fois pour le joueur et pour le club, par le jeu d'une convention de dernière minute signée entre le club et l'agent et destinée à justifier une somme qui, du reste, reviendra pour partie au joueur sous forme d'exonération d'impôt...

M. Jacques LAGNIER : Cela effectivement est un gros problème, mais qui peut empêcher un club de rédiger une convention enjoignant l'agent de rechercher un avant-centre de trente-deux ans, aux yeux bleus, etc., et qui comme par hasard correspond exactement à son joueur ? Comment prouver que ce mandat a été rédigé postérieurement au contrat signé entre l'agent et le joueur ?

M. le Président : En imposant par la loi que le mandat soit déposé suffisamment à l'avance, ou en interdisant à un agent d'avoir un rapport contractuel avec le club de son joueur...

M. Alain NÉRI : On sait bien que les conventions sont déposées a posteriori et ne servent que de régularisation !

M. Jacques LAGNIER : Tout à fait... Mais quand j'ai un document signé du 15 juin, comment prouver qu'il l'a été après le 14 juillet ?

M. Alain NÉRI : Vous êtes donc bien au courant...

M. Jacques LAGNIER : Je sais que c'est une pratique, mais est-elle irrégulière et surtout a-t-elle des conséquences ? On sait que l'argent va chez l'agent, on a une facture précise...

M. le Président : Mais vous l'analysez en masse, et non contrat par contrat. Or, avec quarante clubs de football professionnel, il ne peut guère y avoir que quatre ou cinq cents transferts dans l'année... Cela représente du travail, certes, mais quand on connaît les masses financières en jeu, on doit pouvoir payer une dizaine de personnes pour s'en occuper. Mais je trouve choquant que l'on se limite à un contrôle a posteriori, et sans même disposer de toutes les pièces.

M. Jacques LAGNIER : Le contrôle est d'abord effectué par les commissaires aux comptes...

M. le Président : Vous savez bien que c'est insuffisant !

M. Alain NÉRI : En fait, il y a des dérives, on le sait, mais on ne dit rien. Et qui ne dit rien consent !

M. Jacques LAGNIER : Je ne suis pas d'accord avec vous. Des agents interviennent dans le milieu du football ; qu'on l'apprécie ou pas, ils jouent leur rôle. Nous n'avons pas d'avis à avoir sur ce point - si ce n'est lorsque l'équilibre économique du club est en jeu - ni à préjuger d'une quelconque malversation.

M. Alain NÉRI : Si vous aviez ces pièces supplémentaires, nous seulement vous auriez un contrôle plus précis, mais cela vous aiderait grandement à savoir où passe l'argent.

M. le Président : Et la Ligue ne les a pas non plus ? Elle est pourtant tenue de vérifier si l'agent est agréé !

M. Jacques LAGNIER : Elle est tenue d'avoir l'information, mais pas la facture...

M. le Président : Certes. Du reste, je ne prétends pas que cela règle tout...

M. Jacques LAGNIER : Si cela peut être utile, pourquoi pas ? On peut aussi sensibiliser les commissaires aux comptes - au demeurant, ils le sont déjà beaucoup...

M. le Président : Leur responsabilité est d'ailleurs engagée.

M. Jacques LAGNIER : La compagnie nationale des commissaires aux comptes a également insisté auprès de ceux qui ont des mandats dans les clubs sportifs. Leur contrôle est d'autant plus attentif qu'ils savent pertinemment que les transferts en général peuvent être l'occasion de dérives. Pour ma part, je ne vois pas d'inconvénients à ce que le détail et les pièces justifiant de la formation des intervenants soient joints aux comptes comptables.

M. le Président : Pourquoi tout simplement ne pas faire certifier les pièces par le commissaire aux comptes à chaque contrat ?

M. Jacques LAGNIER : Ce peut être une solution, à étudier avec la compagnie nationale. Il est vrai que le commissaire aux comptes...

M. le Président : Est au cœur du dispositif.

M. Jacques LAGNIER : ...et a connaissance de tous les mouvements financiers immédiats. Il a théoriquement tous les documents sur place, et accès aux dossiers du club.

M. le Président : Parfaitement. Un commissaire aux comptes qui ne se tiendrait pas au courant, au vu de pièces comptables tangibles, des flux financiers du club qu'il certifie, se mettrait en mauvaise posture !

M. Jacques LAGNIER : Tout à fait. Je crois qu'ils y sont très attentifs.

M. le Président : Et pourtant, il y a des dérives, et des affaires qui sortent...

M. Jacques LAGNIER : Chaque fois que l'on règle un problème, de nouveaux problèmes apparaissent...

M. le Président : Les escrocs vont plus vite que la loi.

M. Jacques LAGNIER : Tout à fait. Mais je suis surtout inquiet pour l'extérieur, où le contrôle est beaucoup plus malaisé. Chez nous, on peut faire des vérifications, il y a tout de même un certain encadrement. Il est possible de contrôler la comptabilité des agents. Un tel a présenté une facture et encaissé tant de l'Olympique de Marseille. Très bien, mais qu'en a-t-il fait ? S'il a rétrocédé la moitié de sa commission au joueur, on le saura.

M. le Président : Et si l'on faisait passer les commissions d'agents par un système de type CARPA ?

M. Jacques LAGNIER : Ce serait un filtre supplémentaire, mais cela n'empêcherait pas l'agent, une fois qu'il aurait touché sa commission, d'en donner une partie à Pierre ou à Paul s'il le souhaite.

M. le Président : Qu'il partage sa commission en trois, en quatre en en dix, cela ne me choque pas, dans la mesure où cela ne relève plus de la comptabilité du club, mais de sa comptabilité à lui. Ce qui me gêne, c'est qu'on ne sache pas au niveau de la Ligue à qui va l'argent ni à quelle opération bien précise correspond chaque commission. Dans les clubs où il y a beaucoup de transferts, certaines choses peuvent se justifier en masse sans pour autant se justifier individuellement : certains joueurs sont achetés très cher, surpayés, ce qui permet par la suite de déposer des sommes considérables qui compenseront le transfert d'un joueur payé à sa juste valeur. Globalement, cela s'équilibre ; les dérives n'apparaissent qu'à l'analyse individuelle.

M. Jacques LAGNIER : Vous avez raison : votre exemple est très frappant et rappelle des affaires récentes. Mais je ne suis qu'un comptable : si vous, président d'un club, décidez de prendre le joueur X et de le payer 5 millions, comment puis-je démontrer qu'il ne les vaut pas, même si je trouve ce prix aberrant ?

M. le Président : Mais si vous savez que 20 ou 30 % de ces 5 millions servent à rémunérer un agent qui lui-même intervient dans le transfert d'un autre joueur, sur lequel la rémunération sera moins importante, en raison d'une concurrence plus vive ou d'un retentissement plus médiatisé, cela peut aider...

M. Jacques LAGNIER : Mais comment aurai-je l'information ? L'aspect journalistique est une chose ; autre chose est d'en apporter la preuve. Pour prendre des décisions et prononcer des sanctions, il faut des éléments précis et tangibles.

M. Alain NÉRI : En masse, cela passe... Mais si vous parvenez à identifier clairement quelques opérations, cela apporte d'autres informations : untel a été acheté cinq millions, mais une partie de la commission a été reversée à une autre personne, une autre à une autre personne encore, etc. Pour la DNCG en tant que telle, peut-être n'y a-t-il pas là matière à réagir ; mais cette façon de procéder aiderait grandement à assurer la transparence.

M. Jacques LAGNIER : Nous sommes tout prêts à aller dans ce sens, y compris en adaptant le règlement de la DNCG. Mais je persiste à croire que nous manquons une étape : une fois votre « faux transfert » opéré, l'argent ira d'un club à l'autre ; quant au montant des commissions, il est soigneusement calculé dans le montage pour dissimuler toute trace de fraude dans la globalité de l'opération.

M. le Président : Certes, il faudra trouver d'autres verrous plus forts pour compléter votre arsenal. Reste que plus on réclamera des pièces et des justificatifs, plus les montages devront être compliqués. Or il m'est arrivé d'en voir de très sommaires, au point de me demander comment des présidents de clubs pouvaient les accepter, sinon ne pas les voir. Ce serait leur rendre service que de les inciter à regarder un peu ce qui se passe chez eux... On vient de nous rapporter le cas d'un agent qui louait un photocopieur un million d'euros par an au club !

M. Alain NÉRI : Même pour dix ordinateurs, cela ferait cher !

M. Jacques LAGNIER : Nous n'avons pas les moyens de connaître de telles affaires, contrairement au commissaire aux comptes dont le regard est beaucoup plus immédiat.

M. Alain NÉRI : Pour un responsable de collectivité, de telles choses sont impossibles, injustifiables.

M. le Président : Que peut faire la DNCG pour éviter des affaires comme celle que l'on a jugée à Marseille hier, ou que l'on jugera à Paris demain ? Comment peut-elle ne pas s'en rendre compte ?

M. Jacques LAGNIER : Elle ne peut pas s'en rendre compte. Comment prouver que le transfert de Laurent Blanc a donné lieu à fraude ? Un accord est intervenu entre les deux clubs, entre le club et le joueur, une indemnité de résiliation est versée au joueur par son club, de surcroît à l'étranger... Comment avoir tous les éléments ? Certes, lu après coup dans L'Équipe, cela paraît facile...

M. le Président : Il est évident que, pour vous, le cas du paiement « à la place de » est difficilement contrôlable : sur une résiliation de contrat, on va jusqu'aux prud'hommes et on se met d'accord en conciliation et, par-derrière, cela fait partie de l'indemnité de transfert payée par le club d'accueil... Pas de charges sociales, pas d'impôt : la législation autorise certaines faveurs... À ceci près que s'il y a un intermédiaire au milieu, on aimerait bien savoir qui c'est, surtout s'il se sert au passage en se greffant sur cette dérive tout à la fois sociale et fiscale !

M. Jacques LAGNIER : On saura s'il s'est servi au passage... Mais si c'est dans les limites fixées par la loi ?

M. Alain NÉRI : Cela pourrait au moins nous aider à ajuster la loi pour limiter justement ces dérives...

M. le Président : Qui fait le marché du football ? Cinq pays dans le monde. Ce ne sont ni l'Argentine ni le Burundi, mais des pays de droit commun : l'Angleterre, la France, l'Italie, l'Espagne, l'Allemagne, sinon la Grèce et la Turquie, pour citer les plus exotiques... Nous allons déjà voir ce qu'il est possible de faire au niveau de l'Europe. Mais si, de notre côté, nous pouvions un peu déstabiliser un peu les choses... Les autres pays, quoi qu'ils en disent, ont besoin d'une ligue française forte.

M. Jacques LAGNIER : Le montant du transfert d'Essien (208) paraît faramineux, mais qui peut prouver qu'il est trop élevé ou pas assez ?

M. le Président : Ce n'est pas le montant qui me gêne...

M. Jacques LAGNIER : Dans une opération de ce type, interviennent l'agent d'Essien, mais également l'avocat londonien, le conseil français, bref, cinq ou six personnes dont chacune percevra des honoraires à des titres divers.

M. le Président : Pourquoi ne pas écrire dans le règlement qu'il n'y aura plus qu'un intermédiaire, et qu'en tout état de cause ce ne peut être celui qui négocie le salaire du joueur ? Comment un agent peut-il tout à la fois négocier le salaire du joueur et le montant du transfert entre les deux clubs ? Il est juge et partie... Mandaté par qui ? Par un club, par les deux clubs ?

M. Jacques LAGNIER : C'est l'intermédiaire...

M. Alain NÉRI : Mais des deux parties à la fois ! A-t-on vu un avocat travailler en même temps pour la défense et la partie civile ?

M. le Président : Et cet argent-là ne profite pas au football. C'est cela qui me gêne.

M. Jacques LAGNIER : Effectivement. Il faudrait aussi limiter la rémunération de l'agent...

M. Alain NÉRI : En la rendant dégressive ?

M. Jacques LAGNIER : En la liant surtout à la durée pendant laquelle le joueur restera dans le club.

M. Alain NÉRI : Autrement dit, un paiement au prorata de la présence.

M. Jacques LAGNIER : En l'état actuel des choses, six mois après avoir touché sa commission, l'agent peut très bien conseiller à son joueur d'aller dans un autre club, et toucher une deuxième commission.

M. le Président : On peut d'ailleurs se demander ce que vient faire un agent dans un transfert, où les conseils dont on peut avoir besoin sont avant tout d'ordre juridique ou technique : c'est un problème de club à club, de direction à direction. Le statut du joueur est un autre débat. Son intérêt est d'avoir le meilleur salaire possible - on ne peut lui en vouloir - et il a un conseiller pour cela : son agent. La logique, comme la loi, voudraient qu'il soit rémunéré par son mandant ; la pratique veut que ce soit le club... Admettons ! Quoi qu'il en soit, l'agent devrait être rémunéré au fur et à mesure qu'arrivent les salaires du joueur, et pas en une seule fois la première année.

M. Jacques LAGNIER : Tout à fait.

M. le Président : Ce qui n'est du reste pas sans poser au club des problèmes de trésorerie et de comptabilité. Comment peut-on accepter qu'une commission d'agent soit passée intégralement sur la première année et non sur toute la durée du contrat ?

M. Jacques LAGNIER : Parce que c'est une charge immédiate.

M. le Président : Constatée d'avance ?

M. Jacques LAGNIER : Même pas. C'est l'application du droit comptable : la meilleure preuve en est que, si l'agent part au bout de six mois, la commission est perdue.

M. le Président : Mais vous ne devriez pas payer une double commission !

M. Jacques LAGNIER : Justement : tout le débat est là !

M. Alain NÉRI : En tout cas, l'argent n'est pas perdu pour tout le monde. Anelka a été transféré en Angleterre pour une vingtaine de millions puis, dans le courant de l'année, il est parti au Real Madrid pour 100 millions où il a fait « banquette » pendant six mois avant de revenir au PSG pour 125 millions... Tout cela n'interpelle-t-il pas la DNCG ?

M. Jacques LAGNIER : Certes, mais comment « apprécier » la valeur d'un contrat ?

Je reviens à mon idée de mieux contrôler les agents. Sans doute aussi faut-il agir à l'extérieur, en empêchant notamment l'achat de joueurs par des sociétés personnes morales, comme cela se pratique à l'étranger. C'est très dangereux.

M. Alain NÉRI : Que pensez-vous de l'idée de faire transiter les paiements par la Ligue ?

M. Jacques LAGNIER : Ce peut être une possibilité, mais je n'en suis pas totalement convaincu. Là encore, vous mettrez un filtre supplémentaire, mais après ? L'argent ira au club brésilien, à l'intermédiaire danois, et personne ne saura ce qu'il sera devenu par la suite. Cela offre une petite garantie supplémentaire, mais sans rien régler sur le fond, et surtout cela occasionnera bien des contraintes financières et administratives, et aussi beaucoup de responsabilités pour la Ligue, qui devra encaisser les fonds avant de les reverser ; non seulement il s'en suivra des déperditions de dates de valeur pour tout le monde, mais il faudra faire très attention au moment du paiement, pour éviter toute contestation sur le montant ou la réalité de la prestation : ce genre de chose arrive fréquemment dans les clubs où l'on apprend que M. Untel, agent, n'est pas intervenu, que sa facture est trop élevée, etc. De tels incidents risqueraient de mettre la Ligue en porte-à-faux.

M. Alain NÉRI : Mais si l'on décide qu'il n'y aura qu'un seul agent, tenu de surcroît de déposer son contrat à l'avance pour éviter qu'il serve seulement de pièce de régularisation ?

M. Jacques LAGNIER : En procédant ainsi, on empêcherait le club de payer directement l'agent. Or c'est bien souvent ainsi que l'on pratique.

M. Alain NÉRI : Quasiment toujours !

M. Jacques LAGNIER : Très souvent en tout cas.

M. Alain NÉRI : Les représentants des agents tiennent à ce qu'il en soit ainsi, car les joueurs ne veulent jamais payer, disent-ils.

M. Jacques LAGNIER : Le fait est que cela a des conséquences fiscales et sociales importantes pour le joueur.

M. Alain NÉRI : N'importe qui dans ce pays est astreint à payer des impôts sur les sommes qu'il gagne !

M. Jacques LAGNIER : En effet, et avec lesquelles il paie les personnes qu'il prend à son service.

M. Alain NÉRI : Ces pièces justificatives supplémentaires auraient le mérite de nous permettre d'y voir plus clair.

M. Jacques LAGNIER : Pourquoi pas ? Cela entraînera des contraintes administratives, mais nous saurons nous donner les moyens d'y faire face, dès lors qu'il s'agira d'une obligation posée par la loi ou le règlement.

M. Alain NÉRI : Et que dire sur la durée des contrats ?

M. Jacques LAGNIER : Je me demande si le contrat d'un an ne serait pas une bonne solution : le joueur qui a bien joué pourrait prétendre à une augmentation, celui qui a mal joué n'aurait plus le même contrat... Raisonnement simpliste, certes, mais qui aurait le mérite de garantir une certaine régularité et d'éviter tout problème de transfert.

M. Alain NÉRI :

M. Alain NÉRI : Sauf cas particulier d'ordre médical et autre, évidemment. Autrement dit, le mercato d'hiver disparaîtrait : le club recruterait en début de saison et on jouerait toute la saison avec l'équipe. On ne s'en irait pas à tout moment.

M. Jacques LAGNIER : La stabilité est nécessaire, mais la possibilité d'ajuster son effectif peut être intéressante pour un club : il peut arriver que celui que l'on a recruté pour un arrière gauche se révèle finalement être un ailier gauche...

M. Alain NÉRI : Mais cela remet en cause l'éthique sportive : premièrement, le joueur ne joue plus toute l'année sous le même maillot, deuxièmement, seul celui qui en a les moyens peut se permettre de réajuster...

M. Jacques LAGNIER : On peut se donner les moyens d'un avoir, en faisant partir cet excellent ailier gauche dans un autre club et de dégager ainsi des disponibilités pour trouver un véritable arrière gauche... Au demeurant, le mercato d'hiver se caractérise par une relative tranquillité.

M. Alain NÉRI : Depuis quelques années, parce qu'il y a moins de sous...

M. Jacques LAGNIER : Je n'en suis pas sûr. Les clubs ont compris que changer pour tout changer n'apportait rien ; ils préfèrent procéder par petites retouches. De ce point de vue, le mercato n'est pas une mauvaise chose pour eux.

M. Alain NÉRI : C'est surtout une très bonne chose pour les agents : ils encaissent à chaque fois... Vous seriez donc plutôt favorable à un contrat à durée limitée d'un an ?

M. Jacques LAGNIER : En théorie... D'un simple point de vue mathématique, ce serait l'idéal ; mais dans la pratique, un joueur a besoin d'un certain temps pour s'acclimater. On ne bâtit pas une équipe sur une année. Un contrat de trois ans me paraît une bonne solution intermédiaire.

M. Alain NÉRI : À condition que l'agent soit payé au prorata du temps passé.

M. Jacques LAGNIER : Cela me paraît indispensable : une rémunération au prorata, mais également dégressive : plus le transfert est élevé, plus le pourcentage devrait baisser.

M. le Président : Monsieur Lagnier, nous vous remercions. Sans doute aurons-nous l'occasion de vous reconsulter.

M. Jacques LAGNIER : Je reste à votre disposition.

Audition de M. Christophe DROUVROY
et de Mme Élodie MALBOS,
du département juridique de la Fédération française de football (FFF)


(29 novembre 2006)

Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Notre mission d'information a pour objectif de comprendre les raisons des dysfonctionnements autour des transferts de joueurs et de l'activité des agents. Pourquoi la Fédération française de football ne se donne-t-elle pas les moyens ou n'a-t-elle pas les moyens de mieux encadrer le système ? Existe-t-il des réponses juridiques, même si elles ne sont pas forcément mises en application ? La Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) de la Ligue est-elle suffisamment habilitée à intervenir ? Le contrôle pourrait-il être amélioré au niveau international, notamment européen ? Où en est la fameuse direction européenne du contrôle de gestion ? Les conditions d'accès à la profession d'agent sportif sont-elles spécifiques à la France ? Constatez-vous un flou voire un vide juridique ? Comment mieux encadrer cette profession ?

M. Christophe DROUVROY : Les problèmes dont vous vous êtes saisis ne sont pas nouveaux ; je suis d'ailleurs déjà intervenu à ce propos devant la commission des affaires sociales du Sénat. Depuis, des affaires judiciaires ont été largement exposées, à commencer par le procès des comptes de l'Olympique de Marseille (OM) ; et, malheureusement pour le football, d'autres suivront, je pense en particulier au Paris Saint-Germain (PSG).

Si l'on considère l'obscurité couvrant les transferts et le discrédit pesant sur la profession des agents de joueurs, les choses n'ont pas vraiment évolué. Le seul chiffre en constante progression est celui du nombre d'agents : en moyenne, de vingt à trente candidats réussissent chaque année aux sessions d'examens que nous organisons et arrivent par conséquent sur le marché, alors même que celui-ci est déjà saturé et que nombre d'agents, quoique détenant la licence, n'exercent pas l'activité de façon effective, faute d'être introduits parmi les joueurs et au sein de clubs. Certaines personnes, au contraire, ne possédant pas la licence mais étant très bien intégrées, jouent le rôle de prête-noms, de faux agents.

La situation n'a pas vraiment évolué, ce qui ne signifie pas que la FFF et la Ligue de football professionnel n'aient pas travaillé. Les méthodes d'information que nous avons instaurées nous permettent d'observer autant que possible la situation sur le terrain. Le système d'encadrement de l'activité des agents est toutefois de nature déclarative : la loi prévoit qu'un mandat écrit formalisé doit obligatoirement être transmis à la Fédération en cas de transfert mais nous recevons uniquement ce que les agents veulent bien nous communiquer. Il existe probablement énormément de mandats dont nous n'avons pas connaissance. Les agents dépourvus de licence, par exemple, ne nous en adressent évidemment pas !

La Fédération constate que la loi est appliquée, mais que son esprit n'est pas du tout respecté : les agents signent des contrats de mandats avec les clubs, nous les transmettent, ce qui nous permet de contrôler leur identité, le montant des rémunérations et la durée du mandat. Néanmoins, avec tous ces éléments, nous nous contentons de gérer l'hypocrisie du secteur. Neuf joueurs professionnels sur dix, en France, déclarent ne pas faire appel à un agent de joueur, alors que la réalité est inverse : en Ligue 1, pas un joueur ne se passe des services d'un agent. Sur les vingt-deux joueurs sélectionnés pour le dernier match de l'équipe de France, contre la Grèce, onze évoluent dans des clubs français et aucun d'entre eux n'a officiellement recours à un agent. Je vous rappelle que, lors de l'homologation du contrat liant le joueur à son club, ce dernier à obligation de déclarer si l'une, l'autre des parties ou les deux ont traité par l'intermédiaire d'un agent. Le phénomène est identique pour le millier de joueurs professionnels.

Le texte de la loi est donc respecté : nous avons un contrat de mandat entre nos mains. Mais le pouvoir de sanction disciplinaire de la commission des agents sportifs de la Fédération ne s'applique qu'envers les agents de bonne foi, c'est-à-dire ceux qui admettent travailler pour le joueur mais qui ont fait signer un mandat de recherche par le club au moment de la signature, parce que le secteur impose cette pratique. Bonne foi désarmante, puisqu'il s'agit d'une violation du dispositif législatif, l'agent ne pouvant intervenir que pour une seule des deux parties au contrat. Et, dans 100 % des cas, nous savons que le mandat reçu n'est qu'un habillage de la réalité.

M. le Président : D'autant que les mandats sont d'ordre général et non relatifs à telle ou telle opération particulière.

M. Christophe DROUVROY : Pas forcément : nous recevons des mandats qui concernent soit un poste de jeu, soit un joueur visé nominativement.

M. le Président : Mais le mandat, en réalité, est établi une fois le joueur recruté.

M. Christophe DROUVROY : Il est en effet généralement rédigé et signé après la finalisation du contrat de joueur.

M. le Président : Afin de permettre au club de payer. Il faudra peut-être modifier la loi mais la situation actuelle arrange tout le monde.

M. Christophe DROUVROY : En effet, elle perdure et se généralise parce que toutes les parties, agents, clubs comme joueurs, y voient un intérêt.

M. le Président : Nous cherchons à cerner la nature des malversations. Avez-vous la possibilité de savoir avec certitude qu'un agent est en même temps conseil du joueur et acteur de son transfert au profit d'un club ?

M. Christophe DROUVROY : Nous disposons uniquement d'indices en suivant la carrière du joueur, ce qui permet parfois de se rendre compte qu'il a toujours été mandaté par le même agent, censé travailler pour des clubs différents, parfois à vingt-quatre heures d'intervalle.

M. le Président : Mais comment de tels dysfonctionnements - rétro-commissions, doubles commissions, rôles croisés des agents - peuvent-ils être possibles ?

M. Christophe DROUVROY : La Fédération, pour l'instant, n'a aucune visibilité sur les mouvements financiers, si ce n'est sur la rémunération de l'agent fixée dans le contrat de mandat.

M. le Président : S'agit-il d'une somme en euros ou d'un pourcentage ?

M. Christophe DROUVROY : Le règlement de la Fédération internationale de football association (FIFA) prévoit que la rémunération de l'agent doit être forfaitisée lorsque celui-ci travaille pour le club. Mais il est courant que l'agent soit payé en pourcentage de la rémunération du joueur : le contrat de recherche est alors forcément factice, puisque l'agent touchera plus s'il désavantage son mandant, c'est-à-dire le club. Quoi qu'il en soit, si une somme de 500 est mentionnée et que l'agent reçoit en réalité 1 000, 2 000 ou beaucoup plus, nous ne pouvons pas le savoir. Ces informations nous sont très souvent communiquées par les services d'enquête de la police.

M. le Président : Votre rôle se limite-t-il à délivrer la licence ?

M. Christophe DROUVROY : La commission des agents sportifs a deux missions : l'organisation de l'examen et la délivrance de la licence ; le contrôle de l'activité des agents, pour préserver les intérêts de la discipline, notamment lorsque les joueurs sont mineurs. Nous sommes en mesure de mettre en œuvre le pouvoir disciplinaire puisque, cette année, une vingtaine d'agents ont été sanctionnés sur la base de mandats erronés ; en revanche, sur l'aspect financier, nous n'avons aucune visibilité.

M. le Président : Cela ne me choque pas car vous intervenez d'un point de vue juridique, vous contrôlez la légalité des contrats. Par contre, je m'étonne que la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) n'ait pas accès à des documents aussi importants que les contrats des agents, ce qui rend difficile la moindre vérification.

M. Christophe DROUVROY : Depuis deux ou trois ans, nous préconisons le croisement de nos informations avec celles que détient la DNCG. Peut-être ne dispose-t-elle pas de suffisamment de moyens.

M. le Président : Quand des centaines de millions d'euros sont en jeu, il faut se donner les moyens d'agir.

M. Christophe DROUVROY : La DNCG pourrait en effet développer une expertise particulière sur ce chapitre.

M. le Président : Vous n'avez donc pas de contacts directs avec elle ?

M. Christophe DROUVROY : Non, mais nous aurons de plus en plus à intervenir dans le cadre de la procédure d'octroi de la licence UEFA - Union européenne de football association -, gérée par la Fédération, qui a vu le jour il y a deux ans. L'un des critères d'octroi est en effet l'absence de litiges ou de non-paiements de sommes dues à l'occasion des transferts. Ainsi, il y a deux saisons, lorsque l'UEFA a mis en cause l'AS Monaco à ce propos, il est apparu que la DNCG pro n'avait pas suffisamment poussé son contrôle.

Nous vérifions que le contrat de mandat entre l'agent et le club ou entre l'agent et le joueur professionnel est bien mentionné sur le contrat. La LFP, pour tout l'effectif d'un club donné, a par conséquent connaissance des interventions des agents et de leurs rémunérations.

M. le Président : La DNCG affirme le contraire.

M. Christophe DROUVROY : Elle n'a peut-être pas les informations analytiques, opération par opération.

M. le Président : La DNCG déclare raisonner par grandes masses et vérifier a posteriori que les clubs sont dans les clous. Dans ces conditions, comment effectuer des recoupements et surtout comment être réactif lorsque des dysfonctionnements sont identifiés ? Vous ignorez le montant du salaire du joueur mais ne peut-il pas être déduit de la somme perçue par l'agent, que vous connaissez ? Encore faut-il savoir si celle-ci est calculée sur la base du salaire du joueur ou si elle résulte de frais fixes arbitraires.

M. Christophe DROUVROY : En principe, la somme perçue par l'agent doit effectivement être mentionnée dans le contrat de mandat.

M. Alain NÉRI : Comment expliquer que les joueurs professionnels n'aient pas d'agent alors que, d'après le directeur de la DNCG, 90 % des opérations sont effectuées par un nombre restreint d'agents ?

M. Christophe DROUVROY : Énormément d'agents n'ont pas de joueurs car ils éprouvent des difficultés à pénétrer le secteur. Un petit nombre d'agents réunissent au contraire d'énormes écuries avec les meilleurs joueurs.

M. Alain NÉRI : Et les onze joueurs de l'équipe de France dont vous avez parlé font bien partie de ces écuries ?

M. Christophe DROUVROY : Oui. Je le répète, la Fédération gère l'hypocrisie. Dans le football, le postulat, le principe préalable de la discussion, c'est que l'agent sera rémunéré par le club. Et nous sommes désarmés car toutes les parties y gagnent.

M. Alain NÉRI : Il faut s'armer parce que la loi est inappliquée.

M. Christophe DROUVROY : Elle est appliquée !

M. Alain NÉRI : Mais il n'est pas tout à fait logique que le club paie.

M. le Président : Si, car il détient un mandat. Il n'en demeure pas moins que l'esprit de la loi est complètement contourné.

Mais comment se fait-il que la DNCG n'ait pas connaissance d'éléments d'information que vous détenez ? Si elle savait à quelle hauteur chaque agent est rémunéré, elle pourrait automatiquement en déduire la masse totale correspondant à chaque club et vérifier si les modalités financières des contrats sont respectées.

M. Christophe DROUVROY : La FFF dispose d'une DNCG amateurs, qui gère les championnats de Nationale, de CFA (209) et de CFA 2, et cela nécessite beaucoup d'efforts. Peut-être la DNCG professionnelle manque-t-elle de moyens humains.

M. le Président : C'est inimaginable !

M. Alain NÉRI : Le nombre de dossiers de Ligue 1 et de Ligue 2 n'est tout de même pas considérable.

M. Christophe DROUVROY : Il y a quarante clubs.

M. le Président : Et dix ou quinze mouvements pas saison et par club, soit 500 ou 600 dossiers, à traiter essentiellement en début de saison, mais ce n'est pas énorme.

M. Christophe DROUVROY : La première mission de la DNCG est de vérifier que les clubs ont les reins financiers assez solides pour participer à une compétition. Puis elle est chargée d'un contrôle a posteriori.

M. le Président : Notre mission s'efforce uniquement de trouver comment les problèmes pourraient être réglés en amont. Le problème de la transparence financière devra être traité dans un autre cadre. Il convient surtout de s'assurer que les sommes considérables transitant par des intermédiaires ne sont pas soustraites du sport. Que conviendrait-il de faire, selon vous, pour améliorer la situation ?

M. Christophe DROUVROY : Afin de lever toute ambiguïté, je préconise - mais l'idée avait choqué les sénateurs - que les parties puissent se mettre d'accord et choisir qui rémunère l'agent ; c'est la clé de la transparence. Les agents redeviendront alors ce qu'ils sont par nature, des conseils des joueurs, et l'identité de l'agent représentant chaque joueur pourra être affichée publiquement.

M. Alain NÉRI : Chaque joueur aurait un seul agent ?

M. Christophe DROUVROY : Bien sûr. Cela mettrait un terme à la guerre entre agents, qui se disputent les joueurs et ne sont pas toujours des gentlemen. Un joueur devait être transféré, à l'intersaison, en Angleterre ; alors que l'opération était pratiquement bouclée, elle a tourné court car un agent a fait signer un contrat de mandat au joueur pour démarcher d'autres clubs. Cette instabilité permanente entre agents licenciés est due à leur surnombre par rapport aux joueurs et à l'absence de lien officiel entre eux et les joueurs. La transparence passe également par un affichage des contrats.

M. Alain NÉRI : D'où la nécessité de déposer le mandat en amont.

M. Christophe DROUVROY : Absolument. Mais, parmi les agents, l'idée passe mal.

M. le Président : Le représentant des agents que nous avons auditionné, M. Philippe Flavier, est sur la même ligne que vous : il s'est dit favorable à la légalisation de la pratique.

M. Christophe DROUVROY : Il siège à la commission des agents sportifs en qualité de représentant des agents.

Il fut un temps où nous envisagions de lier la qualification du joueur au contrôle préalable du contrat de mandat.

Une plus grande transparence nous permettrait de vérifier à tout moment la conformité du bilan d'activité des agents avec les informations enregistrées. La procédure de renouvellement triennal des licences d'agents nous apparaît inadéquate, pour deux raisons : le pouvoir disciplinaire nous autorise à retirer sur-le-champ une licence d'agent si nous constatons une faute grave et le bilan d'activité des agents ne sert à rien.

M. le Président : Vous avez raison.

M. Christophe DROUVROY : Un réel syndicat représentant les agents de joueurs fait défaut. L'association de M. Philippe Flavier et de son suppléant, M. Stéphane Canard, ne semble guère avoir d'activité : à notre connaissance, elle ne se réunit pas, ne diffuse pas de circulaires et ne transmet pas d'informations à la Fédération ou aux autorités de police sur des personnes intervenant sans licence. Malheureusement, la loi du silence règne. Les agents nous reprochent de ne rien faire contre ces personnes - qu'ils nous disent connaître - mais ils refusent de nous donner des noms.

M. le Président : L'association de M. Flavier est favorable à la délivrance de licences aux personnes physiques et non à des personnes morales.

M. Christophe DROUVROY : Le problème des collaborateurs se pose mais il serait inopportun de faire passer un examen à une personne physique pour délivrer ensuite la licence à une entreprise. On ne confère pas le titre de médecin à une clinique. Contrairement à la Fédération française de rugby, nous avons eu la chance de devoir appliquer, antérieurement à l'adoption de la législation française, le règlement FIFA. Nous avons conservé cette ligne de conduite et, bizarrement, cela n'a donné lieu à aucun contentieux. Reste que la personne physique qui a obtenu la licence peut organiser son activité dans le cadre d'une société ou d'une profession libérale indépendante.

M. le Président : Dans les pays où les agents sont officiellement payés par les clubs, la transparence est-elle plus grande ?

M. Christophe DROUVROY : En Angleterre, par exemple, on sait que l'agent représente le joueur, même s'il est rémunéré par le club. Mais ce n'est pas la panacée : il y a également des malversations, notamment le versement de sur-commissions ou de rétro-commissions, comme dans tous les secteurs où interviennent des intermédiaires. Le milieu du basket, par exemple, avec ses contrats de très courte durée, n'a pas été épargné.

M. le Président : Il y a surtout eu l'affaire de Limoges. Qu'un agent puisse devenir actionnaire ou dirigeant d'un club sans période de carence soulève des interrogations.

M. Christophe DROUVROY : Aujourd'hui, une personne occupant des fonctions de direction ou de nature sportive dans un club ne peut devenir agent qu'au terme d'une période probatoire d'une année, mais l'inverse n'est soumis à aucune règle, ce qui a permis à M. Pape Diouf d'intégrer l'OM du jour au lendemain. La Fédération, je dois l'admettre, n'a d'ailleurs pas été claire en ce qui concerne la délivrance de la licence au repreneur de l'écurie, M. Pierre Frelot, dont chacun savait qu'il exerçait les fonctions de directeur financier du PSG.

M. le Président : Attendre un an n'aurait pas changé grand-chose.

M. Christophe DROUVROY : Le cas des agents étrangers nous pose aussi beaucoup de problèmes. Le règlement de la FIFA confère valeur universelle à une licence d'agent délivrée par n'importe quel État, de l'Union européenne ou du reste du monde. Or la législation française est spécifique : elle n'autorise pas le détenteur d'une licence étrangère à exercer. Deux problèmes se posent.

Premièrement, la FIFA est au courant, les clubs français devraient également l'être mais l'agent brésilien ou argentin qui vient faire signer un joueur en France ne l'est pas. Alors comment faire ? L'agent qui intervient en France pour une opération ponctuelle doit justifier des conditions de moralité nécessaires pour obtenir la licence ou du titre lui permettant d'exercer chez lui - la licence ou, dans de nombreux pays, le diplôme d'avocat. Reste que nous ne disposons d'aucune capacité de contrôle.

Deuxièmement, un décret de 2004, pris à notre demande et concernant uniquement le football, institue une procédure d'équivalence, que la commission des agents sportifs n'est toutefois pas en mesure d'appliquer. Les modalités d'examen ne sont pas identiques en France et à l'étranger : nous imposons deux épreuves, portant sur les règlements du football et sur les connaissances juridiques générales, tandis que la FIFA n'exige que la première. Par conséquent, reconnaître l'équivalence désavantagerait ceux qui ont passé l'examen en France, qui est plus difficile. Certaines personnes, après avoir échoué plusieurs fois en France, obtiennent une licence à l'étranger en quelques semaines - l'une d'elles, condamnée par le passé pour une escroquerie énorme dans le milieu du football, est allée en Espagne. La solution que nous avons trouvée consiste à reconnaître toutes les licences détenues par des agents européens mais à leur faire passer le test des connaissances juridiques, plus un test de langue pour les ressortissants des pays non francophones. Aucune de la vingtaine de personnes concernées ne s'est toutefois inscrite pour passer cet examen...

M. Alain NÉRI : Des règles analogues existent dans d'autres professions.

M. le Président : Dans des pays comme l'Angleterre, l'Italie ou l'Espagne, la procédure est-elle aussi stricte qu'en France ?

M. Christophe DROUVROY : Elle est moins dure puisqu'il n'y a qu'une épreuve, sans parler des pays extra-européens.

M. le Président : Mais le marché se fait dans les cinq grandes ligues européennes. Et tous les éléments financiers sont connus.

M. Christophe DROUVROY : Pas forcément : un club ne pouvant pas dire ouvertement qu'il a rémunéré un agent non licencié, il est clair que certaines commissions se perdent dans la nature.

M. le Président : Puisqu'elles sortent des comptes des clubs français, la DNCG devrait être au courant : c'est ici que se trouve la possibilité de recoupement.

M. Christophe DROUVROY : La DNCG pro semble effectivement posséder toute l'expertise requise pour traiter ces questions.

M. le Président : Il faudrait élargir sa mission.

M. Christophe DROUVROY : Il est primordial qu'un maximum d'informations concernant les agents soient communiquées.

M. Alain NÉRI : Le chapitre concernant la masse salariale devrait être détaillé avec les lignes correspondant à chaque opération.

M. Christophe DROUVROY : Toutes les opérations apparaissent dans le journal comptable des clubs, qui sont des sociétés, mais la DNCG ne va pas jusqu'à contrôler ligne par ligne.

M. le Président : Nous ne pouvons que dénoncer cet état de fait. Les instances du football devront un jour démontrer qu'elles veulent de la transparence.

M. Alain NÉRI : Le problème est que la loi n'est pas appliquée.

M. Christophe DROUVROY : Elle est appliquée mais...

M. le Président : Au-delà de la loi, les acteurs doivent montrer leur volonté de mettre de l'ordre, quitte à ce que le passé soit gommé.

M. Christophe DROUVROY : Dans le monde du football professionnel, on parle beaucoup de la réforme de la profession d'agent de joueurs, mais une réelle volonté manque peut-être.

M. le Président : Un aménagement de la réglementation doit avoir pour contrepartie des engagements fermes et vérifiables en matière de transparence. Nous n'irons évidemment pas expertiser la situation dans les pays exotiques mais nous voulons au moins savoir ce qui se passe sur le territoire français.

M. Christophe DROUVROY : Il est probable que l'accumulation des procès
- impliquant l'OM, le PSG et bientôt d'autres clubs professionnels - suscitera une prise de conscience des directions et les fera bouger.

M. le Président : Que font les commissaires aux comptes ? J'ai proposé, hier, que chaque contrat soit certifié.

M. Christophe DROUVROY : Sachez que la situation, pour nous, est frustrante.

M. le Président : Je m'en doute : pour un juriste, il n'est guère satisfaisant d'enregistrer des documents que l'on sait non réglementaires.

M. Christophe DROUVROY : D'autant qu'un agent peut gagner 1 million d'euros pour trois jours de travail et trois fax envoyés.

M. le Président : Cela n'a pas de sens.

M. Christophe DROUVROY : Cet argent si facilement gagné attire en effet des personnes dénuées de moralité, ce qui avait conduit M. Claude Simonet à parler de « milieu mafieux ».

M. le Président : Et cela risque de faire peur à des dirigeants simplement désireux de s'impliquer par passion voire, dans quelque temps, à des entreprises ne souhaitant plus que leur nom soit mêlé au football.

Nous vous remercions.

Audition de M. Jean-Paul CLÉMENÇON,
directeur de cabinet
du président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF),
et de Mme Lisa SINANIAN,
conseillère juridique au cabinet du président du CNOSF


(29 novembre 2006)


Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Merci d'avoir répondu à notre invitation. Vous connaissez les motivations de notre mission. Vous-même vous êtes penchés sur les sujets qui nous préoccupent aujourd'hui, sur les transferts de joueurs, sur le rôle des agents, sur les malversations et sur la transparence et il nous intéresse de savoir comment, dans la position transversale qui la vôtre, vous percevez les choses. Nous aimerions en particulier savoir si vous avez envisagé des solutions qui pourraient être appliquées dans le football, comme dans d'autres sports.

Enfin, dans un cadre de plus en plus européen et mondial, ne pensez-vous pas qu'il serait un peu vain d'adopter des règles strictement françaises pour aller vers davantage de transparence des flux financiers comme des compétences des uns et des autres ?

M. Jean-Paul CLÉMENÇON : Nous avons en effet réfléchi à ces questions au sein du Comité national olympique. Nous nous sommes en particulier intéressés aux agents, à leur formation, à l'exercice de leur métier, mais aussi aux transferts de joueurs de football dans la mesure où ce sont les seuls dont les indemnités de transfert ont un rapport avec les activités des agents.

S'agissant des transferts, notre position est simple : il nous semble que les agents doivent être attachés aux clubs et que c'est une question qui doit être traitée de club à club. Nous préconisons surtout la création d'une instance de régulation, comme le souhaitent, semble-t-il, la Fédération française de football (FFF) et la Ligue nationale professionnelle, afin de faire le point sur la nature des indemnités versées et de vérifier que les activités des agents sont liées à celle du club et pas seulement à celle du joueur.

En ce qui concerne plus particulièrement le rôle des agents, nous avons fait l'an dernier devant la commission des affaires culturelles du Sénat treize propositions, qui ont trait aussi bien à la désignation des agents qu'aux conditions et à l'encadrement de leurs missions et qu'à leur formation. Ces propositions, qui figurent dans le document qui vous a été remis, sont issues d'une discussion assez large avec les fédérations qui composent le CNOSF et qui sont confrontés à ce type de difficultés.

Pour que les choses évoluent également au niveau international, il convient que la France arrive dans les négociations avec une position claire, car les solutions retenues par les différents pays ne sont pas identiques, même si les problèmes sont de plus en plus semblables et si chacun souhaite désormais que l'on aille vers plus de transparence et d'équité dans les transferts de joueurs de football.

Lors de sa dernière assemblée générale, en 2005, le CNOSF a institué une commission « sport professionnel », que préside Bernard Lapasset, vice président du Comité et président de la Fédération française de rugby, qui connaît bien ces problèmes, puisqu'il existe aussi une ligue professionnelle dans le rugby. Par cette initiative, nous tentons de faire de notre maison, qui est celle du sport français, un terrain de rencontres sur les questions qui traversent l'ensemble du sport, qui a tendance à suivre le sport professionnel, on le voit avec l'apparition de ligues dans les sports individuels comme l'athlétisme. Notre travail pourrait favoriser un bon encadrement des pratiques professionnelles, dans la transparence et dans le respect du droit.

Le rapport qu'a récemment rendu l'ancien ministre des sports du Portugal, José-Luis Arnaut, dans le cadre de la proposition de l'Union des associations européennes de football (UEFA) d'aller vers un livre blanc européen du sport, souligne que, s'il est nécessaire que le sport professionnel s'inscrive dans le droit commun, il convient peut-être aussi que le droit commun tienne compte des spécificité du sport. On voit bien que cette réflexion, à laquelle participent le Comité international olympique (CIO), la Fédération internationale de football association (FIFA) et les comités olympiques européens, progresse. Cette question a d'ailleurs été abordée avant-hier, lors de la réunion des ministres des sports de l'Union européenne, au cours de laquelle Jean-François Lamour a marqué son intérêt pour le rapport Arnaut. Elle devrait l'être à nouveau à l'occasion de la prochaine assemblée générale des comités olympiques européens qui se tiendra à Bruxelles, les 8 et 9 décembre prochain. Même si elles concernent le football et l'UEFA, il faudra étudier de près les préconisations de ce rapport.

Mais, je le répète, avant de nous engager dans ces négociations internationales, nous devons avoir adopté une position claire sur la question des agents.

M. le Président : Peut-être pourriez-vous nous en dire un peu plus sur vos propositions destinées à mettre un terme aux dysfonctionnements que nous constatons aujourd'hui. Je pense en particulier que nous nous rejoignons sur la nécessité de ne plus délivrer de licences aux personnes morales.

M. Jean-Paul CLÉMENÇON : Il nous paraît très important de bien mieux définir les activités des agents sportifs.

M. Alain NÉRI : En effet, car la loi date de 1984 et les choses ont beaucoup évolué depuis...

Mme Lisa SINANIAN : Il est aujourd'hui parfois difficile de savoir si les activités d'un agent relèvent de l'article 15-2 de la loi du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives. Nous souhaitons donc que l'on aille vers une nouvelle définition, qui permettrait, par exemple, de couvrir le cas où un agent négocie avec un sponsor, car il ne s'agit plus à proprement parler de l'activité sportive.

M. le Président : Ce ne sera pas simple d'un point de vue pratique, car il faut bien que quelqu'un représente le joueur pour ce qui a trait à son droit à l'image, y compris dans un contact direct avec une entreprise et pour des sommes ne passant pas par la comptabilité des clubs. On imagine mal qu'un joueur dispose de trois conseils pour des missions distinctes mais visant toutes trois à lui rapporter le plus d'argent possible et entraînant des contacts avec les mêmes interlocuteurs : le club quitté, le club d'accueil et les sponsors, qui sont souvent d'ailleurs partenaires d'un club, voire des deux...

Prenons garde à ne pas adopter des textes qui seraient contournés de facto car ils ne seraient pas conformes à la pratique. Pour ma part, il ne me paraît pas possible qu'une réglementation trop stricte empêche l'agent de jouer ce rôle multiple. En revanche, il est éminemment souhaitable de contrôler les flux financiers et les commissions et de vérifier si les choses se font dans les règles.

M. Jean-Paul CLÉMENÇON : Il conviendrait quand même que l'on soit plus précis, au moment où l'agent est missionné sur son domaine d'intervention.

M. le Président : Aujourd'hui, on respecte la loi mais on en contourne l'esprit en faisant rémunérer l'intermédiaire par le club, ce qui aboutit forcément à un mélange des genres. Si, à l'issue de nos débats, nous décidons de proposer une solution pour qu'on légalise la pratique, il faudra que les choses soient claires : le mandat que le joueur donnera réellement à l'agent devra être élargi aux négociations, au mieux des intérêts du joueur, sur l'ensemble des volets de son activité qu'elle soit ou non en lien direct avec sa pratique sportive. Il est toujours possible de faire intervenir plusieurs intermédiaires, mais on peut très bien avoir un agent apte à négocier à la fois le salaire avec le club et la rémunération de l'image avec une entreprise. Cela ne me gênerait pas, dès lors que les flux financiers seraient identifiés et que les règles seraient claires.

M. Jean-Paul CLÉMENÇON : Nous restons très attachés à la fonction éducative et sociale du sport. Nous ne pouvons accepter que le joueur soit manipulé, et c'est pour cela qu'il faut que le mandat de l'agent soit clair et formalisé. Cela passe peut-être aussi par une amélioration de la formation des agents.

M. Alain NÉRI : Si nous souhaitons que les choses soient remises à plat, c'est aussi dans l'intérêt du joueur, qui n'a souvent ni le temps ni les capacités de s'occuper de ses affaires et qui se retrouve en fait dans une situation de faiblesse, ce qui nous impose de le protéger, un peu comme on le fait pour une personne âgée. Mais il nous incombe aussi d'améliorer le contrôle du mode de fonctionnement des agents, qui utilisent de l'argent, y compris public, d'une façon qui n'est pas toujours convenable.

M. Jean-Paul CLÉMENÇON : En effet, le mandat doit être clair, ce qui facilitera la régulation et le contrôle, en particulier des flux financiers.

M. le Président : Ce qui me gêne, c'est lorsque la fonction des agents mélange les intérêts des uns et des autres. Il n'est pas acceptable qu'à l'occasion du transfert un agent défende à la fois les intérêts d'un joueur et ceux du club. Or, si cela arrive, c'est parce que le mandat est donné par le club afin de contourner la loi, pour les raisons que l'on sait. Et quand la même personne est au cœur du montage, il lui est facile de faire échapper, avec l'accord de tous, des flux financiers aux charges sociales et aux impôts.

M. Jean-Paul CLÉMENÇON : C'est bien pourquoi nous insistons sur la nécessité de clarifier les mandats et les activités des agents afin de garantir une transparence.

M. le Président : Selon vous, qui doit rémunérer l'agent ?

M. Jean-Paul CLÉMENÇON : Pour le transfert, je pense que ce doit être le club, sous le contrôle de la fédération et de la ligue.

M. le Président : Vous considérez comme normal qu'un agent aille négocier le transfert, alors qu'il s'agit d'une affaire de club à club et qu'il ne doit y avoir en aucun cas de flux financiers en direction du joueur. Je pense donc que nous devons être très stricts et ne pas autoriser d'intermédiaire dans le transfert d'un club à un autre. Ensuite, si le club étranger qui reçoit de l'argent décide de l'affecter à un usage particulier, cela ne nous regarde plus

M. Jean-Paul CLÉMENÇON : Pour nous, celui qui intervient dans le transfert doit le faire au titre du club et non du joueur. La distinction des flux financiers est nécessaire et la relation entre les clubs ne doit pas être parasitée par des tiers, dont un certain nombre d'affaires récentes ont montré qu'ils n'étaient pas toujours faciles à identifier.

M. le Président : L'agent a un rôle de conseil auprès du joueur et un rôle social bien identifiés, et que l'on retrouve dans l'examen organisé par la Fédération. On n'a pas besoin de la même expertise pour être l'intermédiaire d'une somme d'argent entre deux clubs et cette tâche peut-être assumée par un cabinet comptable, qui procédera aux vérifications juridiques et rédigera le contrat. Mais cela n'a rien à voir avec la pratique sportive.

M. Jean-Paul CLÉMENÇON : C'est plutôt lié aux habitudes : on considère qu'il convient de rémunérer celui qui apporte une affaire à un club en lui signalant un joueur intéressant.

M. Alain NÉRI : La plupart des clubs de Ligue 1 sont désormais bien organisés pour cela, ils ont leurs propres recruteurs qu'ils missionnent pour repérer des joueurs sur tout le territoire et l'on ne voit pas pourquoi ils rémunéreraient une autre personne.

M. Jean-Paul CLÉMENÇON : L'économie du football bénéficierait sans doute d'une clarification des flux financiers des transferts et d'accords clairement établis entre les clubs, sans intermédiaire. Mais la France est déjà l'un des pays où les choses sont les plus claires.

Il nous faut maintenant parvenir à un système de régulation, par un dialogue fructueux entre la Fédération et la Ligue.

M. le Président : Il me semble que cela relève moins du dialogue que de l'organisation d'une profession, en l'absence d'accord entre le sport amateur et le sport professionnel.

M. Jean-Paul CLÉMENÇON : L'extension du professionnalisme à d'autres sports que le football est encore récente. Le milieu du sport a toujours considéré l'argent comme le diable ; aujourd'hui, il lui faut réguler son arrivée par la transparence et le respect du droit. Pour cela, nous souhaitons que le CNOSF soit de plus en plus le lieu de rencontre entre le sport professionnel et le sport dans son ensemble.

M. Alain NÉRI : On a prétendu pendant longtemps de façon hypocrite qu'il n'y avait pas d'argent dans le sport. C'était le temps des amateurs marrons, quand Jacques Anquetil disait que la seule différence entre un sportif professionnel et un sportif amateur était que l'un payait l'impôt et l'autre pas...

Les choses ont beaucoup évolué et aujourd'hui on constate que le sport amateur est géré par les fédérations, sous délégation de service public, tandis que le sport professionnel est entre les mains des ligues, qui relèvent elles-mêmes, en théorie, des fédérations. Mais, dans la mesure où c'est celui qui a l'argent qui commande, les relations sont parfois un peu difficiles.

Il nous faut bien tenir compte de la situation existante et poser des règles permettant un fonctionnement normal, qui ne donne pas lieu à des dérives. Cette régulation est d'autant plus indispensable que les masses financières sont devenues considérables, pour ne pas dire disproportionnées. C'est peut-être aussi par la régulation que l'on parviendra à modérer cette inflation.

M. Jean-Paul CLÉMENÇON : Tout ceci tient au prix que certains sont prêts à mettre pour avoir un sportif professionnel de qualité et même simplement pour qu'il n'aille pas ailleurs...

M. Alain NÉRI : Quand des clubs riches - et l'on peut parfois s'interroger sur la provenance de cette richesse - se permettent d'acheter des joueurs pour qu'ils ne jouent pas ailleurs et pour qu'ils restent sur le banc de touche, c'est l'éthique sportive qui est menacée. Si les dirigeants sont là pour gérer le club de façon rigoureuse, on peut quand même s'interroger sur l'intérêt qu'ils ont à dépenser des millions pour qu'un joueur reste sur le banc et regarde jouer les autres...

M. Jean-Paul CLÉMENÇON : L'éthique est au cœur de nos préoccupations. Même s'il y a une césure entre le sport professionnel et le sport amateur, il y a quand même une filiation, ne serait-ce que dans l'esprit d'un jeune qui commence à pratiquer. D'ailleurs, il est évident que la formation qu'il a reçue dans ses premiers clubs joue un rôle dans le développement d'un joueur professionnel. Pour nous, il est important que cette continuité soit préservée : même si le sport professionnel doit bénéficier d'un traitement particulier compte tenu de son impact financier, la dimension éducative est particulièrement importante. La détection de plus en plus précoce de jeunes talents et leur admission dans des dispositifs de formation est porteuse d'incertitudes et de risques pour les jeunes concernés. C'est pourquoi nous nous intéressons particulièrement aux centres de formation.

M. Alain NÉRI : Sans doute faudra-t-il aussi songer à recourir à des centres de reconversion, quitte à ce qu'une partie de ce que gagne un jeune joueur soit consacrée à cela plutôt qu'à l'achat d'une Porsche.

M. le Président : On a fait beaucoup de progrès dans le contrôle des centres de formation dont on vérifie les installations, l'enseignement et l'hygiène. Les centres français sont parmi les meilleurs d'Europe et les jeunes n'y sont en aucun cas livrés à eux-mêmes.

En dehors des questions d'éthique et du montant des sommes en jeu, ce qui nous choque, c'est de voir des personnes qui n'ont rien à voir avec le sport, qui ne se passionnent même pas pour cela, venir subitement, par opportunisme, y faire fortune dans des conditions pour le moins contestables. Vis-à-vis de cela, nous devons nous montrer très pragmatiques et élaborer des outils pour stopper cette gabegie. J'ajoute que, pour moi, il y a un lien direct entre tout ce que nous venons de dire et les événements de la semaine dernière autour du Parc des Princes.

M. Jean-Paul CLÉMENÇON : En effet. C'est aussi pour cela que nous souhaitons être partie prenante à la réflexion en cours, notamment sur le terrain de l'éthique, parce que nous voulons être une instance non seulement transversale et représentative du sport français mais aussi responsable. Sans doute ne communiquons-nous pas beaucoup sur ces sujets, car le président Sérandour considère que le CNOSF n'a pas à se mêler de ce que les fédérations peuvent et doivent faire par elles-mêmes dans le cadre de leurs délégations. Il souhaite aussi que nous intervenions en complémentarité et en subsidiarité des actions qu'elles mènent.

Nous avons fait un certain nombre de propositions, en particulier afin que le Comité intervienne dans le tronc commun de la formation des agents. Peut-être éviterons-nous ainsi à certains d'emprunter à nouveau les chemins qu'a suivis le football.

M. le Président : Je crois que nous avons atteint les limites du système : les affaires qui vont se succéder auront des retombées au-delà du football et jetteront le discrédit sur l'ensemble du sport. Personne n'a à y gagner et je partage votre opinion quant à l'importance de votre rôle transversal. Vous avez en quelque sorte l'obligation de dénoncer.

M. Jean-Paul CLÉMENÇON : Nous pouvons saisir le comité de déontologie placée directement auprès du président. Mais nous préférerions anticiper. Il faut manifestement que nous suivions l'évolution des pratiques et que nous en parlions davantage. C'est d'ailleurs pour cela que nous avons créé cette commission du sport professionnel. Nous devons faire quelque chose pour le sport professionnel afin de ne pas laisser croire que la partie commerciale n'est plus du sport. Nous devons aussi nous intéresser davantage aux comportements des supporters, ainsi qu'aux critiques contre l'arbitrage. De ce point de vue, nous avons fait nôtre cette réflexion de Michel Serres selon laquelle l'arbitre n'accorde pas le but, il dit le but. Autrement dit, dans la mesure où il s'agit d'un homme qui exerce une fonction symbolique, si l'on ne respecte pas sa fonction symbolique, on tombe dans le travers des erreurs commises par les hommes.

M. le Président : L'arbitre fait aujourd'hui partie du système.

M. Alain NÉRI : Le résultat d'un match a une si grande importance pour le club, y compris sur le plan économique, que l'on est tout prêt à rejeter la responsabilité de la défaite sur un autre.

Aujourd'hui, les clubs, organisés en sociétés à objet sportif, sont en fait de véritables SARL, parce qu'on a voulu, au moment de l'adoption de la loi sur le sport, distinguer la partie professionnelle de la partie associative et poser des règles aux relations entre les deux. Mais dans la mesure où il s'agit d'une entreprise, certains apportent de l'argent et veulent en gagner et le problème tient tout simplement au fait que ni le sport ni le joueur ne sont des marchandises. C'est pour cela que nous ne pouvons tolérer des pratiques qui remettent en cause notre conception humaniste de l'individu.

M. Jean-Paul CLÉMENÇON : Au moment de la relance du mouvement sportif en Grande-Bretagne, le sport était pratiqué par des aristocrates et il n'avait nulle vocation à devenir professionnel. Les choses ont bien évolué depuis lors, mais nous n'avons pas su anticiper ce mouvement.

M. le Président : La politique était aussi comme cela, c'est maintenant une profession...

Merci pour ces propos d'autant plus intéressants que vous êtes au cœur du sujet.

Audition de M. Bertrand CAULY,
membre du Collectif 2006 des agents sportifs


(29 novembre 2006)


Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Merci d'avoir répondu à notre invitation. Vous êtes au cœur des questions qui intéressent notre mission, tant sur le rôle des agents que sur la valeur ajoutée qu'ils peuvent apporter ; sur l'ambiguïté de leur position, entre la représentation du joueur et le mandat qui leur est donné, pour les raisons que l'on sait, par le club ; sur leur double rôle entre la défense des intérêts des joueurs et leur représentation dans le cadre du droit à l'image ; sur les questions de transferts ; sur le montant acceptable de leur rémunération. Tout cela s'inscrit, bien sûr, dans le contexte d'un certain nombre d'affaires, et j'ai cru comprendre qu'il allait en sortir beaucoup d'autres dans les semaines qui viennent, ce qui est évidemment très regrettable pour votre profession et pour le sport en général. Vous comprendrez que nous, législateur, ne puissions assister à cela sans nous demander si les outils législatifs sont aptes à répondre à ces problèmes.

M. Bertrand CAULY : Vous avez évoqué les « affaires », et c'est un sujet sur lequel notre position est d'autant moins facile que nous sommes parfois amenés nous-mêmes, qui ne sommes ni magistrats ni donneurs de leçons de morale, à pointer du doigt certaines dérives.

Mais je rappelle tout d'abord qu'il existe aujourd'hui deux syndicats d'agents, l'Union des agents sportifs de football (UASF), que vous avez déjà reçu, et le nôtre, qui regroupe ceux qui se trouvent confrontés à un certain nombre de difficultés sur un marché où les règles de la concurrence sont totalement faussées. Mais nous sommes ainsi pris entre deux feux : d'un côté les agents dits « historiques », qui sont pour la plupart des agents de clubs, de l'autre les faux agents, qui sont trois fois plus nombreux que les vrais, puisqu'il y en a certainement entre de 400 à 500 pour 180 titulaires d'une licence.

Or, quand j'ai commencé à dénoncer cela dans un article du Monde, en exprimant mes « regrets » que deux joueurs de l'Olympique lyonnais, Alou Diarra et Éric Abidal, aient fait appel à des agents qui n'en étaient pas, la réaction a été immédiate. J'ai été sommé de venir m'expliquer devant la Fédération française de football, alors que l'on n'a demandé, à ma connaissance, aucune explication aux personnes concernées.

Ces faux agent ne se cachent nullement : je vous ai apporté une annonce parue dans France Football - mais on en trouve très régulièrement d'identiques dans L'Équipe -, dans laquelle une « importante société de management spécialisée dans le milieu des transferts en France et à l'étranger depuis plus de quinze ans » recherche « plusieurs collaborateurs pour des postes d'agents commerciaux ». Vous constatez que personne ne craint la loi... Pourtant l'article 15-2 de la loi de 1984 modifiée est limpide : « Toute personne exerçant à titre occasionnel ou habituel, contre rémunération, l'activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d'un contrat relatif à l'exercice rémunéré d'une activité sportive doit être titulaire d'une licence d'agent sportif. ». En dehors même de ces annonces, chaque jour L'Équipe fait référence à des agents qui n'en sont pas. Nous réfléchissons d'ailleurs à la possibilité d'intenter des actions en justice à ce propos.

Par ailleurs, quand on voit que des jeunes de 18 à 25 ans qui ont souvent une très faible expérience des affaires sont confrontés à des dirigeants de clubs, hommes d'un certain âge et roués, on comprend tout de suite que ce ne sont pas les clubs qui ont besoin d'être représentés mais les joueurs. Telle est l'essence de notre métier, et pourtant, surtout pour des raisons fiscales, on en est venu progressivement à ce que le club paie l'agent.

Mais, vous avez beau respecter la loi, signer un contrat de médiation avec un joueur, faire tout le travail préalable en rendant visite à de nombreuses reprises au joueur et à ses parents, vous n'avez aucun moyen d'éviter qu'au moment où le jeune est en contact avec le club, on lui demande de signer avec un autre agent.

M. le Président : Mais vous avez un mandat et vous êtes le représentant officiel du joueur !

M. Bertrand CAULY : Bien sûr, au bout de quelques années la justice vous donnera raison, mais cela ne vous aura pas empêché de vous faire doubler !

Ce qui pose problème, c'est que le club paie celui qui est censé défendre celui qu'il emploie.

Et si les présidents de club recourent à des gens qui, parce qu'ils sont certains de demeurer impunis, sont des intermédiaires dans des opérations peu recommandables, comment s'étonner que Robert Louis-Dreyfus réponde au procureur de la République qu'il n'a pas confiance dans les agents ? Comment s'étonner aussi de l'image que le film 3 zéros a donné des agents ? Aujourd'hui, le coupable tout désigné, c'est toujours l'agent !

M. le Président : En tant qu'agents, vous êtes rémunérés la plupart du temps par le club, parce que telle est la pratique.

M. Bertrand CAULY : Ou bien vous signez un contrat de médiation avec le joueur, ou bien vous connaissez un peu le métier ; vous évitez alors de déposer le mandat et vous êtes rémunéré par le club. C'est la pratique, mais nous voyons tous où elle mène aujourd'hui...

M. le Président : Pour votre part, êtes-vous partisan que l'on légalise la pratique, en posant des garde-fous et en identifiant clairement les missions, ou bien souhaitez-vous que l'on s'en tienne à la loi et que l'on trouve une solution pour que le joueur paie effectivement son représentant ?

M. Bertrand CAULY : Nous sommes clairement pour que le joueur paie son représentant. Car sinon, il faudrait un très grand nombre de garde-fous pour autoriser que le club paie l'agent. Cela étant, ce n'est pas techniquement impossible : il faut un agent exclusif par joueur pour éviter de se faire doubler. La proposition « un club-un joueur-un agent » figure d'ailleurs dans le Livre blanc de la LFP. Nous attachons aussi une grande importance à ce que le contrat soit d'une durée irrévocable d'un an.

M. le Président : Un joueur ne pourrait alors pas changer d'agent pendant un an ?

M. Bertrand CAULY : Oui, comme dans certains contrats de services.

M. le Président : Pourtant les agents signent des contrats avec un joueur et un club pour trois, quatre ou cinq ans...

M. Bertrand CAULY : La durée du contrat de médiation, selon la FIFA, doit couvrir deux ans...

M. le Président : Ce n'est pas la réalité, vous signez des contrats pour une durée supérieure et votre rémunération est constituée d'un pourcentage de celle que touche le joueur pour cette durée. Trouvez-vous normal que vous puissiez choisir d'être payé en une seule fois, plutôt qu'au fur et à mesure de l'exécution du contrat, comme cela se fait dans d'autres sports ?

M. Bertrand CAULY : Ce qui est anormal, c'est de multiplier les commissions au détriment des intérêts du joueur en le faisant changer de club à chaque fin d'année. De ce point de vue, le livre de Rodolphe Albert, Les Secrets du PSG, La Danseuse de Canal Plus, est édifiant : il indique toutes les manipulations possibles et souligne que personne n'oblige un club à verser immédiatement des dizaines de commissions sur contrat !

M. le Président : Cela m'étonne en effet beaucoup, en particulier parce qu'il faut trouver la trésorerie pour cela, ce que tous les clubs ne peuvent pas faire...

M. Bertrand CAULY : C'est bien pour cela que c'est du côté du Paris Saint-Germain (PSG) et de l'Olympique de Marseille (OM) que l'on rencontre de gros soucis.

M. le Président : Sur un plan comptable, cela signifie qu'on enregistre en une fois sur un contrat une dépense qui s'amortit normalement sur plusieurs années.

Je reviens à votre situation d'agent. Intervenez vous dans les transferts ?

M. Bertrand CAULY : Oui.

M. le Président : Vous êtes donc représentant du joueur, via le club pour les raisons que l'on sait, mais vous négociez aussi le transfert avec le club, ce qui n'a contractuellement rien à voir avec le joueur.

M. Bertrand CAULY : Si ! L'opération de transfert se décompose en trois contrats : un contrat de résiliation vis-à-vis du club que le joueur quitte, un contrat de transfert avec indemnité et un contrat de travail avec le nouveau club. Que l'agent touche également une commission sur le transfert ne me choque pas, surtout si l'on parvient à ce que ce soit effectivement le joueur qui paie. Il est quand même normal de rémunérer le travail accompli par l'agent. N'oublions pas que nous suivons un certain nombre de joueurs qui ne deviendront jamais professionnels. Il n'y a donc rien de choquant à ce que nous soyons mieux rémunérés sur ceux qui le deviennent, tout comme les clubs demandent à ce que leur travail de formation soit mieux indemnisé au moment des transferts. Je rappelle en outre que la commission n'est plus de 10 % mais de 7 %, voire de 5 % et qu'en Ligue 1, tout le monde ne gagne pas 200 000 euros, la moyenne se situant plutôt autour de 30 000 euros. On pourrait imaginer un barème dégressif, mais il n'y a rien d'indécent à ce que l'agent se rémunère sur le transfert.

M. le Président : Ce n'est pas ce que je dis, même si, dans certains cas particuliers, on peut-être choqué qu'un simple coup de téléphone rapporte autant d'argent...

Ce qui me gène, c'est que la discussion du montant d'un transfert - qu'elle s'appuie sur la rémunération que recevait le joueur dans le club quitté ou sur tout autre critère - se fait de club à club. Quel est le rôle de l'agent de joueur dans tout cela, puisque cet argent n'est pas censé remplir les caisses du joueur ?

M. Bertrand CAULY : Dans les contrats de transfert, il peut y avoir une prime à la signature au profit du joueur...

M. le Président : Mais cette prime n'a rien à voir avec le transfert : c'est la prise en compte de la qualité du joueur par une rémunération soumise à charges sociales et se présentant sous la forme d'une feuille de paie, tandis que le transfert apparaît comme la facture d'un marché, indépendamment du joueur.

M. Bertrand CAULY : Non, la prime à la signature est liée au transfert, qui en est le fait générateur.

M. le Président : Je maintiens que la mission première de l'agent est d'être le conseil du joueur et d'essayer de lui obtenir la meilleure rémunération possible, et que c'est pour ce travail qu'il est lui-même rémunéré. Mais je ne comprends pas pourquoi il interviendrait dans le transfert, pour lequel il n'apporte aucune valeur ajoutée dans la mesure où aucun flux financier lié à celui-ci ne va vers le joueur, la prime à la signature n'étant qu'un élément de négociation. Ce qui est choquant, c'est précisément qu'à l'occasion du transfert, par le jeu de certains intermédiaires, une partie de la rémunération échappe aux charges sociales et à l'impôt. Quand la même personne se trouve au cœur de tout le dispositif, mandatée à un moment par le club acheteur, à un autre par le club vendeur, à un autre encore par le joueur, ce n'est pas sain !

M. Bertrand CAULY : Il suffirait de supprimer les agents de clubs, il n'y aurait alors plus qu'un seul agent.

M. le Président : C'est encore autre chose... Je vous demande si vous êtes rémunéré sur le transfert, alors même que vous défendez le joueur.

M. Bertrand CAULY : Oui, bien sur, puisque ce ne sont pas les mêmes contrats.

M. le Président : Dans ce cas, il n'y a plus qu'un seul agent...

M. Bertrand CAULY : Pas forcément. Le système est effectivement assez complexe. En fait, tout vient de l'imprécision de l'article 15-2 : les choses seraient bien plus claires s'il n'y avait pas d'agents de club. Mais je répète que je ne vois rien de choquant
- surtout si les rémunérations diminuent parce que c'est le joueur qui paie - à ce que l'agent soit aussi rémunéré sur le transfert. Bien évidemment, il faut qu'il y ait un travail effectif de l'agent.

M. le Président : Moi cela me choque terriblement, puisque votre travail porte sur la négociation de la meilleure rémunération possible pour le joueur. Puis, il y a une opération de club à club - le transfert - à laquelle l'agent doit rester étranger puisque le joueur n'est pas supposé recevoir d'argent à cette occasion. Or, le transfert sert à rémunérer des intermédiaires en cascades, à verser des rétros commissions, à financer des dérives mafieuses...

M. Bertrand CAULY : Dire que le joueur ne perçoit rien au moment du transfert n'est pas tout à fait exact. Aujourd'hui dans le prix des transferts, surtout lorsqu'ils s'inscrivent dans une dimension européenne, il faut prendre en compte les disparités fiscales existantes d'un pays à l'autre, ce qui donne lieu parfois à des valorisations « curieuses », du montant du transfert.

M. le Président : Les transferts font donc l'objet, en partie d'une défiscalisation et en partie d'une exonération de charges... On est en pleine dérive...

Ce n'est pas un hasard si cette question des transferts n'apparaît que dans le football, là où il y a le plus d'argent, et particulièrement en Europe... On voit bien qu'il y a autour de cela une sorte de consensus corporatiste - avec l'intervention de personnes douteuses - qui donne l'impression de petits arrangements entre amis.

Si vous voulez donner de la grandeur au métier d'agent, il faut absolument éviter de mélanger les genres, de confier l'organisation de tout un système à une seule personne, dont on sait bien qu'elle est responsable ou au moins complice des montages illégaux. Je ne suis pas hostile à ce que vous soyez mandatés tantôt par un joueur tantôt par un club - et dans cette hypothèse il n'est même pas nécessaire d'avoir la qualité d'agent - mais pas pour la même affaire.

En basket, les choses sont claires : il n'y a aucune relation financière contractuelle entre le club et l'agent. À aucun moment, un club ne verse une commission à un agent.

M. Bertrand CAULY : Nous préconisons que le joueur paie l'agent, position partagée notamment par la FIFA et développée par le rapport de M. José-Luis Arnaut, et reprise de même par une directive européenne.

M. le Président : Notre but est d'améliorer le système, et ma réflexion a évolué depuis le début de nos travaux. Je considère ainsi que, si l'on ne peut pas régler le problème du paiement de l'agent par le joueur, on pourrait admettre que le club rémunère l'agent, mais uniquement sur la base d'un mandat clair et à condition qu'on ne mélange par les missions et que l'agent ne s'occupe pas de tout. En revanche, prévoir l'intervention de l'agent dans le cadre du transfert - qui n'a rien à voir avec la rémunération des joueurs - c'est la porte ouverte à toutes les dérives.

M. Bertrand CAULY : Quand vous adressez votre contrat de médiation signé avec un joueur à la Fédération, vous ne recevez aucun accusé de réception.

M. le Président : La Fédération sait comment les choses se passent, son rôle est simplement de vérifier si l'agent figure sur la liste des agents agréés et d'enregistrer le montant des rémunérations. Mais sur quoi repose ce dernier : sur les commissions perçues sur le salaire d'un joueur, sur le transfert ou sur tout un ensemble ? Est-ce le vrai chiffre qui est communiqué ?

M. Bertrand CAULY : Le contrat de médiation que les agents utilisent est le contrat FIFA qui indique la rémunération globale.

M. le Président : La Direction nationale du contrôle et de la gestion (DNCG) nous dit qu'elle n'a pas connaissance de cela, ce qui est quand même gênant pour l'organe chargé d'apprécier la solvabilité des comptes d'un club. J'ai quand même un peu de mal à croire que chacun fait tous les efforts nécessaires pour mettre un peu de clarté dans ces affaires. Et le rôle de notre mission sera aussi de le faire savoir.

M. Bertrand CAULY : Je suis pour le moins sceptique quant au rôle de la DNCG, notamment lorsqu'elle affirme ne pas connaître l'existence des primes à la signature...

M. le Président : Votre scepticisme est-il lié à une insuffisance de moyens, de qualités, de capacité, de volonté de la part de la DNCG ?

M. Bertrand CAULY : Les quatre je pense.

M. le Président : Si, dans le cadre du mandat donné par le joueur, c'était le club qui payait l'agent, pour des raisons pratiques mais aussi pour nous mettre en conformité avec les pays voisins, cela vous paraîtrait-il de nature à introduire davantage de transparence dans le système ?

M. Bertrand CAULY : Ce qu'il faut absolument éviter, c'est le mandat donné par le club. Mais si tout est verrouillé par ailleurs, en particulier par la durée irrévocable du contrat, un tel système apporterait sans doute une certaine sécurité.

M. le Président : En revanche, vous êtes choqué quand je vous dis qu'il faudrait séparer les missions...

M. Bertrand CAULY : Tout le monde n'est pas l'agent de Zidane, et c'est surtout pour des raisons financières que certains souhaitent pouvoir être rémunérés sur différents contrats.

M. le Président : Voyez-vous un intérêt à un dispositif de numerus clausus ?

M. Bertrand CAULY : Au moins un intérêt financier, à condition d'être du bon côté de la barrière ! Le nombre actuel de 180 agents pour 1 000 joueurs professionnels et 800 jeunes dans les centres de formation, me semble correct, même s'il y en a davantage en Italie, en Espagne et en Angleterre.

Mais je ne voudrais pas, surtout dans les conditions actuelles, qu'on applique à ceux qui ne travaillent pas assez une double peine en leur demandant de s'en aller.

Je rêve parfois que l'on rende l'agent obligatoire dès le centre de formation, où l'on voit vraiment des choses choquantes comme par exemple, des parents « achetables »...

M. le Président : Je suis assez d'accord avec vous, mais il faudrait trouver un moyen de contourner l'interdiction d'être rémunéré sur les mineurs. Dès le plus jeune âge, les parents sont véritablement assaillis par des intermédiaires, en particulier en Afrique. Ce n'est pas l'obligation d'avoir un agent qui changera cela.

M. Bertrand CAULY : Au Congrès international des jeunes joueurs africains, M. Diallo a parlé des « agents de malheur », entretenant ainsi la confusion entre les vrais et faux agents et omettant de rappeler que les agents licenciés auprès de la Fédération française de football font tout de même l'objet d'un minimum de contrôle... Mais, pendant que les beaux discours se succédaient à la tribune, la confusion la plus totale régnait dans les couloirs où les intermédiaires distribuaient leurs cartes de visite à tour de bras...

M. le Président : Vous ne pouvez pas être partout à la fois et je comprends que vous ayez des interlocuteurs dans certains pays africains, par exemple.

M. Bertrand CAULY : En pratique, cela ne se passe pas comme cela, les agents étrangers interviennent directement sur le sol français.

M. le Président : Mais la Fédération exerce bien un contrôle sur les mandats ?

M. Bertrand CAULY : La difficulté découle du fait de l'impossibilité de mettre un contrôleur derrière chaque but de football. Au terme de l'article 15-2, pour être en relation avec une personne, il faut avoir une licence, mais les clubs écoutent tout le monde, licence ou pas licence, et ils cherchent ensuite un agent en couverture.

Par exemple, dans l'Équipe du 30 septembre dernier, un dirigeant du club de Valenciennes déclarait, à propos du transfert de l'avant-centre Steve Savidan, que son club avait eu la chance parce que l'agent ne s'était pas montré trop gourmand. Mais il s'agit d'un ancien joueur professionnel, pas d'un agent... C'est dire le sentiment d'impunité qui règne dans ce secteur ! Il est bien sûr difficile de traquer tous les faux agents qui pullulent, mais quand on voit des publicités partout, on se dit qu'il est quand même possible de faire quelque chose. En fait, tout le monde se fiche de la loi !

M. le Président : Le problème est avec celui qui paye l'intermédiaire et qui discute avec lui. C'est un sujet qu'il va aussi nous falloir traiter, et je comprends l'importance que vous attachez au contrôle du métier d'agent. D'ailleurs, vous l'aurez compris, je ne suis pas partisan que l'on tire à boulets rouges sur les agents, qui ne sont que des instruments des dérives, et je pense que c'est l'ensemble du football français qui doit faire le ménage.

M. Bertrand CAULY : Si vous voulez aller vers une assermentation obligatoire, il faut qu'elle ne relève ni de la Fédération ni de la Ligue, mais d'une autorité indépendante.

M. le Président : Je vous remercie. Nous aurons l'occasion de revenir sur tous ces sujets à l'occasion des tables rondes que nous organiserons ultérieurement.

Table ronde des journalistes sportifs réunissant :
M. Jérôme JESSEL (VSD)
et M. Alain VERNON (France Télévisions - Stade 2)


(6 décembre 2006)


Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Au-delà des diverses affaires connues ou à connaître, votre regard de journalistes ayant eu l'occasion de travailler sur ce sujet et d'en observer les différents acteurs peut nous aider à proposer des voies d'amélioration. Notre but est que chacun puisse s'y exprimer librement et sans contrainte.

La vraie question est de savoir qui est complice et pourquoi en est-on arrivé là. Nous sommes résolus à mettre le doigt là où cela fait mal et à placer les dirigeants sportifs et plus particulièrement du football, fédération et ligue, devant leurs responsabilités. Or nos auditions laissent à penser que tout n'est pas parfait à cet égard et il ne semble pas y avoir de volonté avérée de contrôle. Une chose est certaine : il n'est pas possible de continuer ainsi. De deux choses l'une : ou bien nous refermons le livre et il arrivera ce qu'il doit arriver, ou bien nous considérons que nous sommes dans un État de droit et notre rôle est de vérifier si pour le moins les lois sont respectées et si cette économie est soumise aux mêmes règles que les autres.

M. Jérôme JESSEL : Grand reporter à VSD, je m'intéresse depuis six ans au foot, notamment à l'Olympique de Marseille, où j'ai révélé plusieurs affaires dont celle qui a donné lieu au procès des comptes de l'OM. J'ai constitué de nombreux dossiers sur l'argent sale dans le football français, où je rappelais les responsabilités des instances dirigeantes. J'achève actuellement un livre consacré au foot-business, qui paraîtra début 2007.

M. Alain VERNON : Entré en 1982 à Antenne 2, je me suis très rapidement intéressé aux affaires liées au dopage et au football. J'ai mis beaucoup de temps à comprendre le film, tellement il est complexe et inquiétant. J'en ai tiré le sentiment que l'on trouvera peu de solutions efficaces en restant dans nos frontières.

M. le Président : S'agissant des transferts, que peut-on faire pour qu'ils s'effectuent le plus régulièrement possible ? Plus généralement, à quoi et à qui servent les transferts ?

M. Jérôme JESSEL : Le mot recouvre deux choses : l'indemnité de transfert, c'est-à-dire le prix que l'on paie pour le joueur, mais également tout ce qui vient se greffer dessus, c'est-à-dire les commissions versées aux agents. De laquelle des deux parlez-vous ?

M. le Président : Des deux... Premièrement, à quoi sert l'indemnité de transfert qui ne se trouve pratiquement que dans le football ? Dans les sports professionnels américains, dont l'organisation est certes différente, la notion de transfert n'existe pas. Quelle est l'utilité de cette rémunération ? Faut-il la considérer comme un argus, un moyen de se constituer un capital, une rémunération de la formation ?

M. Jérôme JESSEL : Pour un club, il est toujours intéressant de voir un jeune joueur que l'on a formé et qui réalise exploit sur exploit gagner en valeur patrimoniale et rapporter de l'argent supplémentaire. Idéalement, il faudrait supprimer les transferts : ce serait une manière radicale d'éviter les malversations. Malheureusement, cela ne semble pas possible dans la mesure où ce sont précisément les transferts qui font vivre et même prospérer les petites équipes comme Auxerre, de moindre niveau mais plus formatrices que les autres.

M. le Président : N'est-ce pas devenu une légende ? Citez-moi un joueur formé à Auxerre...

M. Jérôme JESSEL : Ils sont nombreux : Cantona, Cissé...

M. le Président : Cela remonte déjà à quelques années !

M. Jérôme JESSEL : C'est effectivement un peu moins vrai depuis deux ans. Reste qu'Auxerre est un des clubs qui ont formé de très grands joueurs. En plus de vingt-cinq ans de carrière au plus haut niveau, Guy Roux aura « sorti » une trentaine d'internationaux ; c'était une manière de faire gagner de l'argent à son club, grâce à des joueurs qu'il avait accueillis à quatorze ans et qu'il revendait à vingt-deux ou vingt-trois ans. Lorsque Cantona a signé à l'Olympique de Marseille (OM), ce fut le plus gros transfert franco-français à l'époque, et donc une rentrée massive d'argent pour l'AJ Auxerre.

M. le Président : Il existe une règle pour rémunérer la formation en dehors des transferts...

M. Jérôme JESSEL : Très théorique... En l'absence d'argus, la valeur d'un joueur dépend de l'offre et de la demande. Cela a conduit à des excès dont le sommet a été atteint en 2000, date à laquelle certains joueurs ont été achetés à des prix totalement irrationnels. Severino Lucas, joueur brésilien alors totalement inconnu au bataillon, a été acheté 150 millions de francs à Rennes où il marquera six buts en deux ans - score étonnamment faible pour un attaquant a priori payé pour cela ; pour Nicolas Anelka, le transfert s'est élevé à 225 millions de francs dont, l'enquête sur le PSG l'a révélé, une surévaluation de 25 millions ayant servi à verser des compléments de salaires occultes. Dans ces cas, le prix payé pour le joueur n'a rien à voir avec sa valeur sportive : Anelka a été payé 225 millions par le PSG qui l'avait formé quatre ans plus tôt... De nombreux transferts paraissent irrationnels ; on le voit encore aujourd'hui avec Chelsea où les prix d'achat sont sans rapport avec la réalité économique.

M. Alain Vernon. Il y a quelques années, les transferts ne concernaient guère qu'une centaine de joueurs. Aujourd'hui, on compte 3 500 transferts entre chaque mercato dans le monde, ce à quoi il faut ajouter 900 Brésiliens ! Cette explosion tient à deux raisons.

Premièrement, un joueur de foot est un être humain : cela n'a pas de prix. Il n'existe pas d'argus pour les joueurs comme il y en a un pour les automobiles. Or les dirigeants des clubs du monde entier se sont aperçus qu'avec la médiatisation et l'explosion des droits de télévision - 600 millions d'euros pour le seul championnat de France - plus il y avait d'argent, plus il y avait de transferts car on pouvait investir ou tout au moins faire circuler l'argent entre les clubs en vendant tous ces joueurs. Pour un dirigeant colombien, par exemple, il suffit d'acheter un club et d'envoyer des cassettes en Europe par l'intermédiaire d'une télévision que l'on maîtrise - c'est le cas de Francisco Casal qui a fait venir Rodriguez et Bueno au PSG.

Ceux qui font du transfert sont donc directement passés du trading international au commerce de « viande sur pied » - car c'est ainsi que cela s'appelle. Comment font-ils ? Prenons un exemple : je suis le patron d'un club important et vous le patron d'un autre club. Je veux un de vos joueurs. Nous en parlons de vous à moi ou plutôt, parce que je n'ai pas trop de temps, par le biais d'un agent. L'agent revient me voir et m'annonce que ce joueur vaut 10 millions d'euros. Je demande à mon agent de vous dire qu'il en vaut non pas 10, mais 30 millions d'euros. Vous me ferez une facture de 30 millions ; j'en entrerai 10 en comptabilité légale dans le club, et les 20 millions restants iront à une banque située dans un paradis fiscal, sur le compte de l'agent en question. Celui-ci reviendra de son paradis fiscal avec une valise et on redistribuera le liquide à tous les acteurs du marché : vous, moi, le joueur, sa femme, ma femme, la vôtre... Il y a suffisamment d'argent pour tout le monde.

Eduardo Tuzzio, classé libéro, Sud-Américain n° 1 il y a trois ans, arrive à Marseille. Le joueur est en fin de contrat : autrement dit, il coûte 0,00 euro de transfert. Que fait Marseille ? Normalement, on le fait signer, on lui verse un salaire et ce qu'on appelle une prime à la signature. Croyez-vous qu'on l'ait aussitôt fait jouer ? Pas du tout : on l'a envoyé à Genève pendant quinze jours ; lorsqu'il en est revenu, il valait 30 millions de plus... Marseille a acheté à Genève un joueur qu'elle aurait pu avoir gratuitement en Argentine ! Comment appelez-vous cela ?

Vous pouvez multipliez cet exemple par 3 500 et ajouter 900. Dans le monde entier, c'est ainsi que font tous les dirigeants. Pourquoi ? Tout simplement parce que cela leur rapporte de l'argent, par le biais de leurs agents, qui ne sont en l'occurrence que des coursiers corrompus. La France n'échappe pas à la règle : quand tous les patrons administratifs des clubs se réunissent, ils savent très bien qu'ils font des fausses factures et des rétro-commissions.

Comment pouvez-vous défendre l'intérêt d'un joueur si vous êtes payé par le club ? Alors que tous les clubs se sont bardés de cellules de recrutement chargées de détecter les joueurs, pourquoi tiennent-ils tant à passer par des agents qui ont des comptes dans les paradis fiscaux pour effectuer les transferts ? C'est se moquer du monde !

M. le Président : C'est la question que j'avais posée...

M. Alain VERNON : Premièrement, interdisons tous les agents qui ont des comptes dans les paradis fiscaux.

M. Jérôme JESSEL : Ce n'est pas toujours simple...

M. Alain VERNON : Il suffit de les mettre sur écoutes et de les suivre avec les douanes. Comment fait-on avec les mafieux ?

M. Jérôme JESSEL : Il faut compter avec la présomption d'innocence...

M. Alain VERNON : Ce commerce de « viande sur pied » est en fait un film simple, et l'on comprend mieux pourquoi ceux qui représentent les instances françaises ferment les yeux.

M. le Président : En dehors de l'argent blanchi, lorsque vous dites qu'un joueur est payé 30 millions, alors qu'il en vaut 10 afin de se partager le reste, d'où viennent les 20 millions de différence ? Si ce n'est pas de l'argent blanchi, comment est-il sorti du système ?

M. Alain VERNON : Il peut sortir d'un compte off-shore qui vous sert à cela.

M. Jérôme JESSEL : Ajoutons qu'une tendance se développe, qui multiplie le nombre d'intermédiaires. Les 900 Brésiliens dont parlait Alain, et pléthore d'Argentins, pour beaucoup d'entre eux, n'appartiennent pas à leur club, mais à des sociétés privées détentrices des « droits fédératifs » - notion, très floue, totalement inventée : dans les années quatre-vingt, on parlait de droits de licence, droits sportifs, droits économiques -, propriétaires à 50 ou à 100 % des droits du joueur. Lorsqu'un club achète le joueur - plusieurs cas de ce genre reviennent dans le procès de l'OM comme dans celui du PSG -, il ne le paie pas au club d'origine, mais à une société généralement off shore aux Îles Vierges britanniques ou ailleurs, et il faudra être plutôt costaud pour retrouver trace de l'argent : il est beaucoup plus difficile de pénétrer la comptabilité d'une société que celle d'un club. Dans le cas du PSG, ce processus a été utilisé à de multiples reprises à l'occasion du transfert de Brésiliens ; à Marseille, ce fut le cas du transfert de Calandria, qui s'est opéré selon la méthode déjà décrite - même si l'arrêt Bosman (210) ne s'applique pas en Amérique du Sud, un joueur en fin de contrat ne vaut plus grand-chose. L'OM l'a acheté 6 millions de dollars à une société anglaise dont la holding de tête est installée aux Îles Vierges, alors qu'il aurait pu l'acquérir pour 100 000 dollars...

M. Alain VERNON : Le prix d'un joueur de niveau CFA...

M. Jérôme JESSEL : ...et qu'il a joué trois matches sous le maillot de Marseille !

M. le Président : Mais à qui l'a-t-il payé en l'occurrence ?

M. Jérôme JESSEL : À la société Quadris Sports Management, dont l'adresse est à Londres et la holding de tête, à l'époque, aux Îles Vierges britanniques. Comment retrouver les fonds engagés par l'OM ? C'est impossible. J'avais pu le déterminer dans mon enquête, mais celle du juge Landou n'a pas pu aller plus loin, les autorités anglaises n'ayant pas souhaité ouvrir les comptes que ladite société avait à la Barclays Bank à Londres...

Les plus gros détournements ne sont pas liés aux commissions surévaluées, mais à l'achat de droits fédératifs, qui met en jeu des sommes autrement plus importantes. Le législateur doit impérativement se pencher sur cette question.

M. le Président : Mais cela concerne surtout des joueurs sud-américains...

M. Alain VERNON : Il y en a énormément : Rodriguez et Bueno, les deux Uruguayens arrivés au PSG, appartenaient à l'origine à un club uruguayen. Or la loi uruguayenne dispose que si des joueurs sont en conflit avec leur club, les droits ne leur appartiennent plus. En l'occurrence, le propriétaire officiel de ces deux joueurs est M. Casal, qui possède par ailleurs un groupe de télévision et divers marchés mafieux. Mais les lois françaises et européennes interdisent cette pratique qu'elles assimilent à de l'esclavagisme. Qui plus est, le règlement de la Ligue française de football stipule que les transferts doivent se faire de club à club. Autrement dit, tous ces joueurs, sans exception, sont dans l'illégalité la plus totale. Aucun n'est arrivé en France de façon légale.

M. Jérôme JESSEL : Cela vaut également pour les transferts franco-français de joueurs sud-américains. Ainsi, Christian avait été transféré en 2001 pour 78 millions de francs du PSG à Bordeaux. Mais ce dernier devra payer 40 millions au PSG et 38 millions à un agent brésilien qui se dit détenteur de 50 % des droits du joueur, ce que réprouve explicitement l'article 151 du règlement de la Ligue, lequel stipule que les transferts des joueurs ne peuvent se faire qu'entre « clubs autorisés » - ce terme désignant les clubs professionnels français. Ce dont l'avocat de l'OM a tiré argument en expliquant que le règlement ne visant que les clubs français, rien n'interdisait de traiter sur le marché international avec des sociétés off-shore... Quoi qu'il en soit, cette règle n'avait pas été respectée lors du transfert de Christian.

M. Alain VERNON : On peut remarquer que le nombre moyen de transferts par club a explosé en France par comparaison avec les clubs étrangers : au Milan AC, au Bayern ou ailleurs, il tourne autour de vingt-cinq. À Marseille, la moyenne est de trente-neuf joueurs ! Des joueurs comme Calandria, dont le niveau est plutôt faible sur le plan international, en viennent à valoir des millions en raison précisément du commerce de viande sur pied qui a explosé, et dans tous les clubs. Si vous supprimiez les agents, on ferait comme Arsène Wenger à Arsenal : on traiterait de club à club, avec des cellules de salariés chargés du recrutement - Marseille en a cinq, Paris quatre, Saint-Étienne trois, Lens un, dont c'est le métier -, de façon légale, de banque française à banque française. Comment se fait-il qu'à l'occasion du transfert de Benjani d'Auxerre, club français, à un autre club français, on retrouve de l'argent en Angleterre et en Suisse ?

M. le Président : Pensez-vous que la centralisation des flux financiers puisse corriger cette déviance ?

M. Alain VERNON : Oui, mais si elle est faite par Bercy, pas par la Ligue ! Elle propose un Livre blanc dont je vous démonterai les arguments un par un, mais quand on est arrivé à ce point d'échec et qu'on ose se positionner en recours, c'est comme si les équipes professionnelles de vélo vous proposaient de se charger des contrôles antidopage ! Ces gens-là ne sont pas crédibles, ils ont montré leur incompétence. Nous avons une DNCG ; or, comme par hasard, les quatre plus grands clubs français sont en plein démêlé judiciaire ! Comment ne pas y voir un constat d'échec des instances françaises ? Ou alors, c'est qu'elles n'ont pas les armes pour combattre ce phénomène.

M. le Président : Admettons que l'on trouve les personnes capables de centraliser les flux financiers et reprenons votre exemple des 30 millions qui se promènent. Se retrouvent-ils à un moment donné dans une comptabilité ?

M. Jérôme JESSEL : Le plus incroyable, que ce soit dans l'affaire de l'OM ou dans celle du PSG, est que de nombreux transferts se sont opérés sans facture.

M. le Président : C'est donc du blanchiment d'argent.

M. Alain VERNON : Plutôt du « noirciment » !

M. Jérôme JESSEL : Exactement. Quand on place de l'argent dans des sociétés off shore, c'est qu'on veut le cacher pour dégager un maximum d'argent liquide. Ces manœuvres relèvent plus du « noirciment » que du blanchiment.

M. le Président : Autrement dit, cet argent qui fait partie du chiffre d'affaires du club, via les recettes de télévision ou autres, est identifié de façon comptable au départ. C'est à l'arrivée qu'on ne sait plus où on en est. Un outil centralisateur n'empêchera jamais un club brésilien de redistribuer l'argent comme il l'entend ; mais au moins aura-t-on su depuis l'origine où il va, ce qui n'est pas le cas lorsqu'il passe par des sociétés off-shore. Serait-ce le début d'une réponse ?

M. Alain VERNON : Elle peut être valable, à condition qu'elle s'accompagne d'une loi qui ne se trompe pas : si l'on permet aux agents d'être payés par les clubs, on se fourvoie totalement, car c'est là qu'est la source de la corruption. Sur 177 agents officiels en France, seulement vingt travaillent très bien et tout le temps. Pour quelle raison ? Tout simplement parce qu'ils acceptent de verser des rétro-commissions aux dirigeants...

M. Jérôme JESSEL : Et aux joueurs.

M. Alain VERNON : Ainsi, la Juve a voulu acheter Van Buyten à un prix exorbitant pendant qu'il était à Marseille. L'agent propose de le transférer pour un paquet d'argent. Curieusement, les dirigeants marseillais refusent. Mais un an plus tard, ils le transfèrent pour seulement 6 millions d'euros à Hambourg... alors qu'ils achètent Tuzzio vingt fois son prix et que Van Buyten pouvait aller à la Juve pour 26 millions d'euros ! Pourquoi ? Parce que l'agent en question refuse de payer des rétro-commissions. Donc on ne fait pas d'affaires avec lui, mais toujours avec les vingt mêmes, ceux qui en versent, alors que les 150 autres ne peuvent pas travailler. C'est une mafia qui se protège ; et la meilleure façon de se protéger est de faire voter une loi qui permettrait aux agents d'être officiellement payés par les clubs.

M. le Président : En laissant de côté l'aspect mafieux, reconnaissons que, dans la pratique, le joueur est généralement assez irresponsable : ayant déjà le plus grand mal à se gérer lui-même, il aura des difficultés à payer un agent régulièrement et correctement. Cela dit, on ne peut pas être agent tout à la fois du joueur et du club.

M. Alain VERNON : Sans oublier que tous les transferts en France sont illégaux...

M. le Président : J'ai évidemment posé la question aux agents, et même Bertrand Cauly n'était pas tout à fait d'accord : quelle valeur ajoutée l'agent apporte-t-il dans le transfert ? On me répond à chaque fois que c'est pour négocier la prime. Mais qu'est-ce qu'une prime, sinon un salaire versé au départ du contrat, et soumis en tant que tel aux charges sociales et aux impôts ? Il n'y a aucune raison que l'agent chargé de défendre le joueur soit au cœur d'une discussion qui ne regarde finalement que son propriétaire et celui qui le deviendra. Pourquoi n'inscrirait-on pas dans la loi ou le règlement cette impossibilité de jouer à l'agent double, c'est-à-dire de travailler pour les deux parties ?

M. Alain VERNON : C'est ce que dit déjà la loi de 1984, mais elle n'est pas respectée.

M. le Président : Auquel cas il faut soit la faire respecter, soit la toiletter de façon à la rendre applicable. Ainsi il ne sera plus choquant, dans la pratique, que le club puisse rémunérer l'agent, mais dans le cadre d'un contrat clair et pas en une fois à la signature.

M. Alain VERNON : C'est le meilleur moyen de continuer à accepter les rétro-commissions.

M. le Président : Cela dépend comment le contrôle est ensuite effectué...

M. Alain VERNON : Le règlement de la Fédération internationale de football association (FIFA) lui-même interdit que l'agent du joueur soit payé par le club. Pourquoi vouloir aller contre ?

M. le Président : En réalité, la loi est respectée dans sa lettre, mais détournée dans son esprit, par le biais d'un mandat du club déposé au dernier moment.

M. Jérôme JESSEL : Tous les présidents de clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 siègent au conseil d'administration de la Ligue. Ils se rencontrent, ne serait-ce que lors des tirages au sort, se connaissent, s'échangent leurs numéros de téléphone. Qu'est-ce qui empêche un dirigeant de club intéressé par un joueur du Bayern, par exemple, d'appeler directement son président ? Ils se connaissent tous. Pourquoi mandater un agent ? C'est totalement superfétatoire.

M. Alain VERNON : D'autant que les clubs ont des cellules de recrutement...

M. Jérôme JESSEL : Le rôle d'un agent est fondamentalement de défendre les intérêts du joueur de football en lui permettant de négocier un bon contrat et un bon salaire. Imaginez que je veuille demander une augmentation à mon journal et que je vienne avec un conseil. SI c'est mon journal qui le paie, j'aurai quelques doutes sur l'efficacité de son aide !

M. le Président : Nous sommes d'accord ; mais dans la pratique, c'est très difficile, et cela dans tous les sports.

M. Jérôme JESSEL : On objecte souvent que, pour des raisons fiscales et sociales, il est plus intéressant que l'agent soit payé par le club. Mais le joueur peut parfaitement déduire dans sa déclaration d'impôts les sommes qu'il lui aura versées, au titre des frais professionnels.

M. Alain VERNON : Le club n'a qu'à salarier un agent : cela s'appelle une cellule de recrutement - et que l'on vérifie surtout qu'il n'a pas de compte off-shore !

M. Jérôme JESSEL : La fiscalité est un faux débat. Si le joueur déduisait les sommes en question au titre des frais professionnels, il s'y retrouverait. Il suffit que l'agent l'explique au joueur : c'est une affaire de pédagogie. Il y a peut-être des mentalités à changer, mais quand un joueur de football comprend qu'il peut gagner de l'argent quelque part, en général il écoute... Je crains que l'on n'arrange rien en autorisant le club à payer l'agent. Les dirigeants calculent, en fonction de la commission, en principe bloquée à 10 %, payée à l'agent, la part qu'ils reverseront sous forme de salaire au joueur, et plus si affinités. Dans certains transferts, on s'aperçoit que les commissions d'agents ont été pratiquement toujours surévaluées pour en reverser une partie aux joueurs sous forme de compléments de salaire occultes. Ce système est intrinsèquement pervers : pourquoi n'en ferait-on pas de même pour l'entraîneur et les dirigeants ? Avec un système qui institutionnaliserait le versement de rétro-commissions, on peut tout imaginer...

M. le Président : Normalement, le contrat devrait mentionner d'un côté le salaire du joueur et de l'autre la somme prévue au titre de la rémunération de l'agent, qui ne doit pas dépasser 10 % : c'est clair. Or la DNCG, lorsqu'elle reçoit le contrat d'un joueur, n'a pas toutes les données ; et notamment, elle n'exige pas le montant de la commission payée à l'agent. Comment peut-elle s'assurer que la pérennité du club n'est pas engagée sans connaître toutes les composantes d'un contrat, généralement importante, et dont le transfert constitue la partie principale ? À cette question, la DNCG n'a pas répondu...

M. Alain VERNON : Ils reçoivent électroniquement la réponse du directeur administratif du club.

M. le Président : Il y a pourtant un commissaire aux comptes... Il signe donc des comptes qu'il ne vérifie pas ?

M. Alain VERNON : Il est dedans ! Nous avons en France la DNCG, a priori l'outil le plus efficace au monde, pour en arriver à un échec total : Marseille, PSG, Rennes, Saint-Étienne... C'est le fiasco total !

M. le Président : La DNCG nous a répondu qu'elle n'avait pas les moyens.

M. Jérôme JESSEL : François Ponthieu, président de la commission de contrôle des clubs professionnels de la DNCG, interrogé par les magistrats de Marseille, a répondu qu'il n'était pas au courant de ce phénomène de surévaluation des indemnités de transferts...

M. le Président : Les journaux de la comptabilité des clubs ont une obligation de détail...

M. Alain VERNON : La DNCG ne sert qu'à une chose : vérifier que la répartition des 600 millions d'euros se fait dans les normes. C'est, de fait, son seul rôle. On peut du reste démonter son Livre blanc point par point.

Elle propose de lutter contre les faux agents ou les agents non licenciés. Mais on peut très bien être corrompu tout en étant licencié : les vingt agents dont je parlais plus haut sont dans la légalité. Mais les rétro-commissions, ils savent faire... Au demeurant, il suffirait de leur faire tous repasser un examen, surtout aux agents « historiques », pour constater à quel point leur niveau juridique est nul.

M. Jérôme JESSEL : Un exemple : Djibril Cissé explique à longueur d'interview que son agent est Richard Bettoni. Or L'Équipe est un journal que beaucoup de monde dans le football, et particulièrement le président de la LFP, est censé lire tous les jours : M. Thiriez sait très bien que Richard Bettoni n'a pas la licence... Les faux agents, on les connaît depuis longtemps. Vouloir s'en débarrasser maintenant, c'est une réaction pour le moins tardive, révélatrice de l'hypocrisie et de l'aveuglement du système.

M. Alain VERNON : Le Livre blanc dénonce le fait que plusieurs agents interviennent sur le même dossier. Mais pourquoi les clubs paient-ils plusieurs agents pour un même transfert ? La commission de la Ligue n'est composée que de présidents de clubs : ils pourraient se poser la question entre eux...

Quant à reprocher aux agents étrangers d'intervenir dans les transferts, c'est la poêle qui se fiche du chaudron : les agents français ne se privent pas d'agir à l'étranger lorsqu'on va y chercher un Brésilien ou un Sud-Américain... Certains clubs n'hésitent pas à donner mandat à des agents basés dans des paradis fiscaux : lors du transfert de Benjani d'Auxerre à Marseille, Pape Diouf a traité avec l'AJ, mais a mandaté en même temps un agent installé au Luxembourg, M. Bruno Heiderscheid ! Pourquoi ?

La Ligue recommande aussi de lutter contre les montages douteux à l'étranger. Mais ce sont les clubs acheteurs français qui organisent ces montages - je vous ai parlé de Tuzzio, que l'on a envoyé en Suisse ! Imagine-t-on qu'une entreprise française agisse ainsi ? Ce serait la révolution à l'Assemblée nationale... Là, on laisse faire, et cela fait trente ans que cela dure.

Quant à faire passer les clubs pour des victimes, comme l'explique la Ligue, alors qu'ils se partagent 600 millions d'euros, cela fait sourire.

La Ligue veut également encadrer la profession d'agent et assurer la transparence : autrement dit, elle veut tout contrôler alors qu'elle ne contrôle rien... Qui plus est, elle a le toupet de vouloir faire payer les agents par les clubs !

La Ligue prétend que les syndicats d'agents sont associés aux travaux et les approuvent. « Les » ? Le syndicat présidé par Michel Benguigui n'existant plus, ne reste que celui de MM. Flavier et Canard, qui ne respecte pas la loi de 1984 et dont certains membres sont mis en examen... Comment peut-elle continuer à traiter avec une telle organisation ? En revanche, le nouveau syndicat Collectif 2006 n'a jamais pu donner son avis... Les autres agents ne sont jamais cités devant les tribunaux, et pour cause : les dérives sont le fait de ceux qui travaillent...

La Ligue appelle à renforcer le pouvoir disciplinaire de la commission des agents. Mais ce manque de sanction est imputable à la LFP, puisque la FIFA donne délégation aux associations nationales pour sanctionner !

M. le Président : La FIFA ne contrôle pas non plus...

M. Alain VERNON : Mais c'est aux fédérations nationales que la FIFA a demandé de sanctionner. Autrement dit, elles ne respectent pas les règlements internationaux.

Le Livre blanc préconise de centraliser les indemnités de mutation. Pourquoi ne pas l'avoir fait avant ? Quelle crédibilité accorder à la Ligue ? Imaginez que les équipes de cyclisme professionnel vous proposent de s'occuper des contrôles antidopage... On peut faire confiance au ministère ou à Bercy, mais pas à elle... Le président Thiriez s'inspire de la Grande-Bretagne et tous les agents accusent la fiscalité française : mais curieusement, dans tous les pays où la fiscalité est plus avantageuse, les dérives sont encore pires qu'ici ! L'enquête Quest les a démontrées en Angleterre sur 310 transferts depuis 2003 ? La BBC y a consacré son émission Panorama où un agent français a reconnu acheter régulièrement des dirigeants anglais au moyen de rétro-commissions, sans pour autant être sanctionné par la Fédération... L'argument fiscal tombe de lui-même.

Pourquoi les clubs insistent-ils pour payer les agents, alors qu'ils n'y sont pas obligés ? Parce que c'est la seule façon de masquer les rétro-commissions dans leurs comptabilités opaques. La Ligue est en contradiction avec la FIFA et même la FIFpro
- c'est-à-dire le syndicat international des joueurs professionnels -, qui elle aussi demande que les joueurs paient leurs agents. Pourquoi le football français tient-il à officialiser une méthode que tout le monde condamne, hormis ceux qui touchent les rétro-commissions ?

M. Jérôme JESSEL : Gare toutefois à l'écueil : si demain on interdit aux clubs français de payer les agents, alors que leurs voisins européens continuent à le faire, cela créera une véritable distorsion. Le problème n'est pas franco-français, mais européen. En appliquant strictement la loi, on risque d'affaiblir le football français. Il y a d'un côté la morale, de l'autre les impératifs de l'économie et d'une concurrence saine.

M. le Président : Nous allons recevoir les dirigeants européens. Des gens y ont déjà réfléchi, des livres ont été publiés sur le sujet...

M. Jérôme JESSEL : Cela dit, la France a déjà su donner l'exemple ailleurs. Pourquoi ne jouerait-elle pas le rôle de locomotive du football européen ?

M. Alain VERNON : Alou Diarra est récemment passé de Lens à Avignon. L'agent n'est autre que Janos Toth, un Hongrois propriétaire de boîtes de nuit à Paris...

M. Jérôme JESSEL : Qui n'a pas la licence.

M. Alain VERNON : Silence total de la Ligue et de la Fédération, alors que tout le monde aurait pu être sanctionné : les clubs, le joueur, les agents !

M. le Président : La DNCG dit que lorsque l'agent n'est pas licencié, elle n'autorise pas la délivrance de la licence.

M. Alain VERNON : C'est interdit par les règlements de la FIFA. On leur répond qu'il s'agit de simples adjoints...

M. le Président : On passe forcément par un prête-nom.

M. Alain VERNON : Exactement. Reste que ces gens-là, aux termes du règlement international, n'ont pas à intervenir dans un transfert. On ferme les yeux sur ses propres règlements et on voudrait donner des leçons ?

M. Jérôme JESSEL : J'ai demandé à l'avocat qui a facturé la commission comment il payait ce « collaborateur ». Aux termes de la loi, ce devrait être un salarié ; or il ne le salarie pas, il lui verse une commission. Cela dit, il règne un tel sentiment d'impunité dans le monde du football...

M. le Président : Je ne sais pas si ces dérives découlent du fait que les commissions d'agents sont payées par les clubs.

M. Alain VERNON : Une chose est sûre : l'autoriser ne conduira pas à l'effet inverse !

M. le Président : La vraie question est de savoir s'il ne faudrait pas interdire l'intervention d'agents dans les transferts, ceux-ci pouvant fort bien se régler entre les directions de club et leurs cellules de recrutement. À partir du moment où l'agent ne s'occupera que de négocier le salaire du joueur, ce n'est plus qu'un problème de pratique. Ce qui me gêne le plus, c'est que vous semblez dire - faits à l'appui - que la majeure partie des dirigeants du foot serait corrompue ; cela ne semble pas être le cas dans d'autres sports que je connais bien. C'est excessivement grave.

M. Jérôme JESSEL : La principale pierre d'achoppement, ce sont précisément ces retraits massifs en argent liquide sur les comptes off-shore, dont on peut se demander à qui ils sont destinés. On l'a vu dans les affaires de l'OM comme du PSG : l'enquête sur le PSG a pu prouver que l'un des dirigeants des Glasgow Rangers avait touché lors du transfert de Jean-Alain Boumsong d'Auxerre aux Rangers. On a retrouvé trace d'un virement de 175 000 livres correspondant à une partie de la commission versée à l'agent, et reversée à la direction du club. Ce n'est pas du fantasme, mais bien la réalité. Généralement, l'argent circule en liquide et c'est la règle du « pas vu, pas pris ». Quant à savoir la proportion d'honnêtes et de malhonnêtes, c'est plus compliqué. Le fait est que le système le permet et qu'un homme est un homme : lorsque l'on peut gagner de l'argent rapidement et facilement, il est très dur de résister.

Sans doute avez-vous l'impression qu'il ne reste pas beaucoup de dirigeants honnêtes. Doit-on s'en étonner lorsque l'ancien président de la FFF lui-même, M. Claude Simonnet, garant de l'éthique du football français, est renvoyé en correctionnelle pour faux et usage de faux ?

M. Alain VERNON : Quand Michel Vautrot prévient les dirigeants français qu'un mafieux niçois alimente en portables la moitié des arbitres français (211) et demande si la fédération va convoquer ce M. Xavier Pettinato et son célèbre ami Stéphane Bré, qu'arrive-t-il ? Vautrot est disgracié, mis au ban des clubs français. L'UEFA et la FIFA réclamaient sa réhabilitation et le déclassement de M. Bré en tant qu'arbitre ; les dirigeants français ont fait exactement l'inverse : ils ont protégé le réseau de Pettinato et Bré et exclu Vautrot, qui était un homme honnête.

Le tribunal de Newcastle a déclaré illégaux 70 % des transferts opérés par ce club depuis six ans. L'Angleterre, pourtant un paradis fiscal aux yeux des dirigeants français, connaît donc les mêmes dérives qu'ailleurs... Ce système a été mis en place à la suite d'une réunion un peu secrète de ce qui serait aujourd'hui le G14, où un fiscaliste hollandais connu a expliqué aux dirigeants français comment gagner de l'argent rapidement et facilement. Tout est parti de là.

M. Jérôme JESSEL : Les holdings immatriculées aux Pays-Bas sont assez courantes dans les opérations de transferts.

M. le Président : Mais le système des rétro-commissions existe pour d'autres marchandises...

M. Alain VERNON : À cette différence près que dans le football les profits sont exponentiels. Un joueur vaut 1 million d'euro, vous l'envoyez huit jours en Suisse et lorsqu'il revient, vous signez un contrat de 30 millions... Si vous étiez un trader de pétrole, de ciment ou de devises, vous seriez tenu par les cours mondiaux qui varient relativement peu. Là, c'est de l'esclavagisme moderne, un véritable commerce de viande.

M. Jérôme JESSEL : Certains fonds d'investissements deviennent propriétaires de joueurs : un fonds d'investissement texan jusque-là spécialisé dans le pétrole a acquis les droits fédératifs de Sorin, qui a joué autrefois au PSG. C'est effectivement du trading, du commerce. Une victoire en ligue des champions rapporte 30 millions d'euros et c'est très difficile. Quand on vend Didier Drogba, cela rapporte 37,5 millions d'euros...

M. le Président : Et c'est plus simple.

Cela dit, nous sommes là pour essayer d'apporter quelques solutions, avec votre aide. Ou bien il n'y a pas de solution possible et c'est du ressort de la justice : il y a des lois et des règlements, il faut les faire appliquer. Si l'on part du principe que 80 % des dirigeants du foot mondial, européen et français sont corrompus, il ne sert à rien de trouver des solutions « administratives » qui seront toujours détournées. Ou bien il reste un peu d'espoir et on regarde ce qui peut être mis en place de façon à limiter les possibilités de dérive, sans pour autant cesser de poursuivre les enquêtes si besoin est. Mais à vous entendre, on se demande si c'est la peine d'écrire des livres blancs et de chercher des solutions rationnelles face à de tels systèmes organisés et mafieux.

M. Alain VERNON : La DNCG, le Livre blanc, tout cela n'est que couverture pour des gens qui cherchent à paraître propres. Ils ont peur des solutions simples.

M. le Président : Quelles sont-elles, ces solutions simples ?

M. Alain VERNON : Salariez les agents dans les clubs, interdisez-leur d'avoir des comptes offshore et faites-le vérifier par Bercy, obligez les joueurs à payer eux-mêmes leurs agents, et faites le bilan dans dix ans. Curieusement, le patrimoine des dirigeants n'augmentera plus ; il baissera même. Plus de bateau, plus de compte à Gibraltar, à Tel-Aviv, en Angleterre ou en Suisse, plus de compte off-shore... Mais on ne veut pas le faire, tout simplement parce que les personnes à qui l'on ira confier cette responsabilité sont précisément ceux qui n'y ont aucun intérêt. Soyons sérieux ! Comment peut-on se poser cette question après trente ans de football professionnel ?

M. le Président : Le phénomène s'est surtout accéléré ces dernières années.

M. Jérôme JESSEL : Le football souffre aussi d'une trop forte consanguinité : la DNCG est une émanation de la Ligue, tout est sous contrôle. La solution passe par des personnes indépendantes.

M. Jean-Marie GEVEAUX : C'est ce qu'on a fait pour le dopage.

M. Jérôme JESSEL : Il faut monter une structure indépendante des gens du football, une émanation du monde politique ou du fisc...

M. le Président : On pourrait mettre en place un système de certification.

M. Alain VERNON : Bruno N'Gotty, ancien joueur du PSG, a mis pendant des années de l'argent dans une société pour faire évoluer le système. C'était un homme honnête ; mais il s'est découragé, noyé dans l'indifférence.

M. Jérôme JESSEL : Dans son rapport d'information, le sénateur Yvon Collin proposait de créer une structure Eurofoot, où pourraient même siéger des élus.

M. Alain VERNON : C'est la position officielle du syndicat des joueurs de Philippe Piat, en conformité avec le règlement de la FIFA...

M. le Président. Elle évolue un peu...

M. Alain VERNON : La FIFA n'est pas non plus toute blanche : s'ils ont cette position, c'est qu'ils gagnent leur argent autrement... A-t-on vu un contrôleur fiscal s'intéresser aux comptes de la FIFA ou du Comité international olympique (CIO) ? Si vous en connaissez un, donnez-moi son nom... Ce sont des structures off-shore de l'économie mondiale. Alors qu'il aurait pu procéder à un appel d'offres, Joseph Blatter, président de la FIFA, a donné les droits de la coupe du monde de 2006 à 2010 à la société Infront dont M. Robert Louis-Dreyfus est le président - moyennant quoi M. Louis-Dreyfus place son neveu Philippe dans les organes d'Infront Sports & Media...

M. Jérôme JESSEL : Il l'a nommé directeur général !

M. Alain VERNON : Mais là où il y a escroquerie internationale, c'est lorsque M. Robert Louis-Dreyfus fait croire aux Français et à l'ensemble du monde du football qu'il aurait perdu des sommes colossales dans l'OM. En vendant les droits de la Coupe du Monde, il a gagné deux cents fois sa mise à l'OM !

M. le Président : Deux cents fois 200 millions, cela fait beaucoup d'argent...

M. Alain VERNON : Et il touche sur les transferts des joueurs, via des comptes en Suisse, à Tel-Aviv et en Angleterre. Ce type passe son temps à mentir !

M. le Président : Nous avons reçu Jean-Pierre Klein, ancien vice-président de l'OM...

M. Alain VERNON : Un ancien juge d'instruction, Étienne Ceccaldi, a été directeur général de l'OM pendant quelque temps. Entendez-le, sinon vous raterez un grand moment ! Il connaît sur le bout des doigts la fiscalité de la région PACA...

M. Jérôme JESSEL : Et a dénoncé la mainmise du milieu sur l'Olympique de Marseille.

M. Alain VERNON : Je vais vous raconter une petite histoire pour mieux illustrer les enjeux de ce commerce de viande. Au début, M. Corleone et ses amis blanchissaient l'argent de la drogue et de la prostitution dans les pizzerias. Arrivent les flics, qui examinent la comptabilité des pizzerias et réclament les factures ; et il n'est pas facile d'expliquer comment, avec si peu de clients, on arrive à mettre un million de dollars par semaine à la banque... Alors Corleone et ses amis décident d'investir dans les salons de coiffure. Même réaction des flics, qui s'étonnent qu'on puisse gagner autant d'argent avec si peu de clients, comme le montre la caméra qu'ils ont installée en face... Corleone et ses amis croient avoir trouvé l'idée géniale en investissant dans les galeries d'art ; même scénario, même échec. Jusqu'au moment où ils trouvent la solution : vendre des joueurs de foot. Là, aucun contrôle : il suffit de se mettre d'accord avec les dirigeants. Et c'est ainsi qu'on en est arrivé au système actuel. Auditionnez M. Patrick Mendelewitsch, il vous l'expliquera bien mieux que moi.

M. Jérôme JESSEL : J'ai découvert au cours de mes enquêtes que certains circuits financiers utilisés lors des transferts des joueurs étaient les mêmes que ceux des narcotrafiquants, qui passent par des sociétés sud-américaines ayant pignon sur rue. La coïncidence est assez troublante.

M. le Président : Comment font les deux derniers dirigeants du foot français non corrompus - ou le dernier, s'il en reste un ?

M. Alain VERNON : Il quitte le foot, comme M. Pelissier...

M. le Président : Je n'ose imaginer qu'il n'en reste pas un ou deux, au moins dans d'autres sports ou dans d'autres pays ! Pas forcément dans les clubs les plus connus...

M. Jérôme JESSEL : Les groupes criminels cherchent à investir dans le football, à Nice comme à Marseille. À Nice en 2001, il a fallu l'intervention du maire Jacques Peyrat pour empêcher le rachat du club niçois par un membre de la pègre.

M. Alain VERNON : Un papier est paru aujourd'hui dans L'Équipe sur Liverpool...

M. Jérôme JESSEL : Avec les Russes, les Qataris, les Émiratis, Liverpool est une autre dimension... Moi-même je n'ai pas toutes les réponses : qu'est-ce que cela signifie d'acheter Liverpool 680 millions d'euros ? Combien de temps faudra-t-il pour rentabiliser un tel investissement ? C'est totalement impossible.

M. le Président : Il n'y a aucune justification économique.

M. Jérôme JESSEL : Exactement. Mais je peux fort bien ouvrir un compte off-shore demain sans que personne ne le sache. Il est absolument impossible de le contrôler... Avec un bon conseil, il est parfaitement possible de monter ce que l'on veut sans se faire avoir.

M. le Président : On nous dit que la bourse peut être une réponse.

M. Alain VERNON : Toutes les expériences tentées en Angleterre se sont soldées par un bide.

M. le Président : Sur le plan économique certes, mais sur le plan de la transparence ? N'est-ce pas ce qui a permis à M. Ferguson d'écarter son fils des transferts ?

M. Jérôme JESSEL : Enron aussi était coté en bourse...

M. Alain VERNON : Est-il normal que l'équipe de France, que nous payons avec nos impôts, appartienne à Lagardère ? Est-il normal que le football en général, patrimoine national qui sert à l'éducation des jeunes, qui porte des valeurs d'éducation, de morale, d'avenir, de développement durable, pour parler moderne, appartienne à des sociétés privées ? Est-il normal que tout ce qui relève du développement durable soit confié au business ? C'est cela, ma question de fond. Je ne dis pas qu'il faille à tout prix refuser le libéralisme, mais le sport est un bien national, une valeur éducative, un élément de développement durable : coupons les ponts entre les affairistes et le sport.

M. Jérôme JESSEL : On pourrait également désigner dans chaque club une ou deux personnes, qui seraient pénalement responsables des opérations de transfert - ce pourraient être le président et le directeur financier, par exemple.

M. le Président : Mais on a déjà un moyen de contrôle dès l'origine du club avec le commissaire aux comptes... Sait-on le risque que prend un commissaire aux comptes à certifier des comptes véreux ? On ne peut acheter un commissaire aux comptes s'il est lui-même contrôlé par la suite...

M. Alain VERNON : Mais lorsqu'un commissaire aux comptes est partie prenante aux deux bords ?

M. le Président : Mais il est contrôlé derrière...

M. Alain VERNON : À Bordeaux, le cabinet chargé du contrôle financier était également le commissaire aux comptes des Girondins (212)...

M. le Président : C'est pourtant interdit ! On ne peut pas être commissaire aux comptes et expert-comptable mais c'est possible, en revanche, moyennant une interruption d'un an entre les deux. Cela relève du pénal : on a des jurisprudences tous les jours sur ces questions.

M. Alain VERNON : Tous ces outils - DNCG, commissaires aux comptes, etc. - ont-ils fait la preuve de leur efficacité ? La réponse est non, comme l'indiquent les affaires en cours. Changeons le système.

M. le Président : C'est bien pour cela que nous sommes ici.

M. Alain VERNON : Sans parler des déficits accumulés par les clubs professionnels...

M. le Président : Ce n'est pas spécifique au football.

M. Jérôme JESSEL : En huit ans, Canal Plus aura investi 225 millions d'euros à perte, Robert Louis-Dreyfus 180 millions d'euros en dix ans... Il faudrait également s'interroger sur la rationalité économique du monde du football.

M. le Président : Mais les médias ne sont-ils pas complices de cette situation ?

M. Alain VERNON : Les médias sont dans une situation effectivement schizophrène : elles ont intérêt à vendre le football, et nous aussi en faisons partie...

M. le Président : On trouve dans certains journaux des annonces publicitaires de certaines sociétés proposant des joueurs, alors qu'elles n'ont pas de licence : vos rédactions ne peuvent pas ne pas être au courant !

M. Alain VERNON : Elles sont forcément au courant, puisque les élus du personnel - j'en suis - ne se privent pas d'interroger leurs directions. Mais ils ne sont jamais écoutés...

M. le Président : Ce genre de petites annonces ne paraît pas dans VSD, mais se retrouve fréquemment dans France Football et ailleurs. Les agents eux-mêmes nous en ont montrées, se plaignant d'une concurrence déloyale.

M. Alain VERNON : Maîtriser la presse sera plus difficile... Dans une économie de marché, il y aura toujours des médias pour vendre le football. S'il faut nationaliser le football, et en plus les médias...

M. Jérôme JESSEL : Je ne suis pas sûr que le fait de nationaliser garantisse l'indépendance !

M. Alain VERNON : Nous vivons dans un monde libéral où toutes les dérives nous étonnent. Si nous choisissons ce monde-là, assumons-les ou bien trouvons des solutions : le problème est que ces dérives ne sont pas compatibles avec le modèle de société que nous avons choisi. Arrêtons la schizophrénie...

M. le Président : Dans un monde libéral, il existe des endroits où les règles sont respectées et les choses se passent relativement bien ; lorsqu'il se produit des dérives, elles doivent être sanctionnées. Mais dans le football, à vous entendre, 80 % des dirigeants seraient complices du système : le problème est encore plus compliqué que nous ne l'imaginions...

M. Alain VERNON : Pourquoi seulement vingt agents sur 177 travaillent-ils avec les clubs ?

M. le Président : Je croyais que les agents exerçaient une pression sur le marché, ce qui obligeait les dirigeants à passer par eux s'ils voulaient se procurer certains joueurs... Vous nous expliquez que c'est le contraire !

M. Henri NAYROU : Si les choses se passent hors la loi, c'est que chacun y trouve son intérêt. Sans aller jusqu'à parler de 80 %, nous avons auditionné des personnalités qui ont préféré quitter ce milieu.

M. le Président : Mais ce que nous apprenons aujourd'hui est encore plus inquiétant.

Bon nombre des membres de cette mission sont impliqués dans les milieux sportifs à différents niveaux ; pour ma part, je l'ai fait toute ma vie et je continue, et je peux attester qu'il reste encore des gens fréquentables dans le monde du sport professionnel. Or non seulement vous nous avez cité les noms de gens très influents mais, à vous entendre, peu de clubs, grands ou petits, échappent à la règle. Marseille, on peut comprendre...

M. Jérôme JESSEL : Mais Marseille est en France et c'est un club de football professionnel. Pratiquement chaque présidence, en fin de mandat, a fait l'objet d'une enquête. On ne peut pas laisser se multiplier les affaires ainsi. Dix clubs sont déjà dans le collimateur de la justice, autrement dit la moitié du championnat !

M. le Président : Mais vous avez également parlé d'Auxerre, que je connais bien et dont on vante les qualités de la formation. Son président me semblait plutôt détaché de ces choses-là... On en vient à se poser des questions sur tout le monde !

M. Alain VERNON : Lorsque vous rencontrez des mafieux colombiens, vous disent-ils ce qu'ils font ? Personne ne vient vous dire tout de go qu'il est un pourri !

M. le Président : Je parle des gens que l'on connaît : on voit leur comportement, l'évolution de leur situation...

M. Alain VERNON : Si nous, journalistes, sortons très peu d'affaires, c'est que nous nous heurtons au problème de la preuve : la corruption ne se prouve pas facilement. Si nous pouvions avoir communication d'enquêtes téléphoniques ou patrimoniales menées par Bercy sur tel ou tel dirigeant, non seulement nous pourrions faire notre métier, mais on y verrait également plus clair. Mais cela, personne n'a envie de le faire ; sinon, on l'aurait fait depuis longtemps. Pourtant, les techniques d'écoute téléphonique ou les enquêtes financières dans les paradis fiscaux avec mandat international n'existent pas d'hier...

M. le Président : C'est ce qui se fait partout lorsqu'il y a suspicion...

M. Alain VERNON : Force est de constater que cela ne s'est pas fait dans le football, et que ceux qui ne l'ont pas fait hier prétendent changer la loi demain.

M. le Président : Ce n'est pas M. Thiriez qui pourra mettre en place demain des écoutes téléphoniques !

M. Jérôme JESSEL : Si on laisse faire, on peut craindre que la France ne connaisse elle aussi un scandale à l'italienne.

M. le Président : On n'en est pas loin...

M. Henri NAYROU : Même sans preuves, nous avons d'ores et déjà une idée assez précise de l'état des lieux.

M. Jérôme JESSEL : D'autant qu'il en existe quelques-unes...

M. Henri NAYROU : Chacun son rôle : nous ne sommes ni des journalistes d'investigation, ni des policiers, ni des juges. Notre problème, c'est de savoir comment on peut assainir et améliorer les conditions des transferts et le rôle des agents de joueurs. Devons-nous respecter la loi telle qu'elle existe d'ores et déjà ou écouter le chant de certaines sirènes qui appellent à laisser les clubs rétribuer les agents, en contrepartie d'un engagement de transparence ? Nos conclusions n'auront pas force de loi, mais elles éclaireront nos collègues.

M. le Président : Notre but est de dégager des pistes, au-delà de ce que vous nous apprenez. Nous-mêmes ne sommes pas dupes, mais il nous faut bien arriver à un message positif : ou bien il y a quelque chose à faire, ou bien tout le monde est pourri et il faut laisser la justice faire son boulot.

M. Jérôme JESSEL : Sachant que si rien n'est fait, les affaires vont se multiplier.

M. Alain VERNON : Je n'imagine pas que les politiques attendent les journalistes pour faire leur métier...

M. Jean-Marie GEVEAUX : Chacun, en fonction de son implication dans le monde sportif, peut nous éclairer. Je remarque du reste que, sur quatre journalistes invités, deux ont préféré ne pas venir...

M. le Président : L'Équipe a décliné l'invitation.

M. Alain VERNON : L'Équipe vend sept pages de football par semaine... Si demain l'on apprend aux gens que leur rêve est brisé et qu'on leur ment à longueur de colonnes, le tirage de L'Équipe chutera de moitié.

M. Jean-Marie GEVEAUX : Sans oublier que les clubs auxquels L'Équipe s'intéresse ne sont pas n'importe lesquels : le PSG, Marseille, etc.

M. Alain VERNON : L'émission Stade 2 du 28 mai 2006 nous a valu trois procès : la Ligue, la Fédération et l'OM... Dans notre chaîne, il nous arrive parfois de faire notre métier : vous ne verrez jamais cela sur Canal Plus ni sur TF1 !

M. Jérôme JESSEL : Ce qui amène à un autre sujet, extraordinaire : celui de la liberté et de l'indépendance de la presse...

M. Henri NAYROU : La question pour nous est de savoir s'il faut respecter une loi qui se borne, du reste, à reprendre un principe de bon sens : celui qui commande un conseil rétribue son conseil, ou s'il faut adopter la démarche préconisée par certains en admettant que l'agent puisse être rémunéré par la troisième partie, autrement dire le club, au bénéfice d'une transparence qui reste à démontrer.

M. Jérôme JESSEL : Le fait que le club paie l'agent est la porte ouverte à toutes les dérives. Dans ce microcosme très restreint, les dirigeants des clubs se connaissent tous et peuvent parfaitement organiser une opération de transfert de gré à gré, sans intermédiaire - cela se produit parfois, mais très rarement. En général, à quoi sert la multiplication d'intermédiaires dans une transaction ?

M. Alain VERNON : Tous les clubs français ont une cellule de recrutement. Pourquoi fait-on appel à des agents qui ont des comptes bancaires dans des paradis fiscaux et multiplie-t-on les transferts surpayés, si ce n'est pour s'enrichir illégalement ?

M. Henri NAYROU : Cela, nous le savons. Doit-on passer par la Caisse des dépôts, par un acte notarié ?

M. Alain VERNON : Je vous ai donné la solution. Premièrement, il faut obliger les clubs à salarier les personnes qui s'occupent des transferts, les rendre fiscalement transparents en demandant à Bercy de vérifier s'ils n'ont pas de compte au Luxembourg ou aux Îles Vierges. Deuxièmement, les joueurs doivent payer leurs agents : on ne peut pas défendre valablement un joueur lorsque l'on est payé par le club. Troisièmement, créons à Bercy ou ailleurs une cellule chargée de surveiller tout ce monde, comme on a créé une agence mondiale du dopage. A-t-on confié à l'association internationale des équipes professionnelles le soin de s'occuper des contrôles antidopage dans le cyclisme ?

M. Jérôme JESSEL : Souvenez-vous de la position de l'Union cycliste internationale vis-à-vis de l'Agence mondiale antidopage (AMA)... On ne peut pas faire le ménage tout en défendant ses petites affaires. Il en est de même dans le football.

M. le Président : Je ne crois pas qu'il soit possible en droit d'empêcher une société commerciale de faire appel à un conseil externalisé, à moins de mettre en place une réglementation particulière pour le football et de la faire accepter par tout le monde. Les sociétés commerciales sont régies par les mêmes lois, qu'elles s'occupent de foot ou de pétrole. En revanche, empêcher le mélange des genres est parfaitement possible. Mais ne nous lançons pas dans des chantiers dont nous savons pertinemment qu'ils s'écrouleront d'eux-mêmes.

M. Alain VERNON : Si le monde politique pousse à faire une loi permettant aux agents d'être rémunérés par les clubs, tous ceux qui s'en mettent déjà plein les poches seront ravis : le système va pouvoir continuer...

M. le Président : Pour l'instant, ces gens détournent l'esprit de la loi. Ils ne sont pas en infraction par rapport à la lettre, puisque chaque club mandate un agent au moment de signer. Le plus inimaginable, c'est que, en fait, les joueurs n'ont officiellement pas d'agent.

M. Jérôme JESSEL : Pourquoi ne pas « circulariser » les joueurs afin de savoir à tout moment quel joueur a quel agent ? Ce serait simple...

M. le Président : Ils ne peuvent pas avoir d'agent, puisque celui-ci est mandaté
- au dernier moment - par le club.

M. Alain VERNON : La loi de 1984 dit que c'est l'une ou l'autre des parties. Lorsqu'un joueur accepte que son agent soit payé par le club, il doit le déclarer comme tel à la Fédération. Or aucun joueur ne le fait.

M. le Président : Parce qu'officiellement, il n'en a pas. Sur les onze joueurs de l'équipe de France qui jouaient dans France-Grèce, aucun n'avait d'agent ! Or ils en ont tous...

M. Jérôme JESSEL : Pourquoi ne serait-il pas possible de « circulariser » les quelque 1 500 joueurs de football français ? Il suffit de leur envoyer un courrier demandant le nom de leur agent, depuis combien de temps et une signature...

M. Henri NAYROU : Cela fera partie de nos propositions : je l'ai déjà demandé. Un numéro d'agent, un numéro de joueur et l'on pourra mettre un lien officiel entre les deux. Nous sommes d'accord là-dessus. Pour ma part, je reste persuadé que tout le mal, ce cancer vient de cette entente illicite entre trois parties. Mais certaines personnalités auditionnées ont parfois su ébranler nos certitudes par une démonstration de vertu candide sur le mode : « Autorisez-nous à détourner la loi et nous vous garantirons la transparence... » Reste que les cellules de recrutement salariées que vous proposez n'empêcheront pas qu'un dirigeant de club puisse trouver le milieu défensif recherché depuis des années grâce à l'entremise d'un agent brésilien, argentin ou uruguayen, et que ce contact méritera salaire. Mais ce que je trouve abject, c'est de voir le mandat changer de mains la veille d'un transfert. Cette manipulation de dernière minute pourrait être empêchée par le système décrit plus haut. Pour l'instant, il est facile de dire que M. X est l'agent du joueur Y, pour devenir au dernier moment l'obligé du club Z...

M. Alain VERNON : Je suis d'accord avec vous, à ceci près qu'il devrait être interdit de faire appel à un agent étranger à l'occasion d'un transfert franco-français. Pourquoi faire appel à quelqu'un du Luxembourg pour faire passer quelqu'un de Lens à Lyon ?

M. le Président : Et le principe de la libre circulation des personnes ? Les clubs auront beau jeu de vous démontrer qu'ils avaient besoin d'un conseil fiscal, administratif ou autre. C'est parfaitement possible...

M. Henri NAYROU : À plus forte raison lorsqu'on tolère que les clubs rémunèrent les agents.

M. le Président : On ne peut l'interdire. En revanche, on peut exiger de connaître l'origine et la destination des flux financiers, et vérifier si l'agent est une personne physique ou une société personne morale - je parle du cas d'un transfert et non de l'agent de joueur. Il faut impérativement séparer le problème de la négociation sur la prime du joueur - autrement sur son salaire dont la prime est un élément - et celui du transfert entre clubs. Ce sont deux opérations totalement différentes.

M. Jérôme JESSEL : Mais pas dans les faits, puisque la prime sera fonction du montant du transfert...

M. le Président : J'entends bien, mais il doit être possible de trouver des solutions techniques pour rendre les manipulations plus compliquées et plus facilement contrôlables.

M. Henri NAYROU : Les solutions législatives que nous pourrions préconiser ne doivent pas être battues en brèche par la coutume ou la facilité à passer outre. Pour ma part, je suis déterminé à refuser le principe du double paiement. Si le joueur a besoin d'un agent pour trouver un club et négocier son salaire, il doit lui-même le rétribuer. Je suis par ailleurs effaré de voir des contrats de longue durée cassés au bout de six mois. L'article 15 de la loi de 1984 comme l'article 12 du règlement de la FIFA interdisent une pratique devenue monnaie courante. Doit-on la légaliser comme le suggèrent certains ? Mais si les combinazioni continuent, il faudra se demander si le remède n'est pas pire que le mal.

M. le Président : Messieurs, il ne nous reste plus qu'à vous remercier.

Audition de représentants de la Direction de la législation fiscale du ministère des finances :
M. Jacques RAYNAL, inspecteur principal des impôts, bureau A ;
M. David TRUTET, inspecteur principal des impôts,
bureau B1 ;
M. Ludovic HALBWAX, inspecteur principal des impôts,
bureau D1 ;
M. Grégory ABATE, adjoint au chef du bureau A


(6 décembre 2006)


Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Messieurs, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Nous comptons sur vous pour mieux comprendre la nature des contrôles opérés par les services fiscaux. Comment se déroulent-ils ? Quels objectifs leur sont assignés et quelle est la méthodologie utilisée ? À quel régime fiscal est soumise la profession d'agent ? Le versement d'une commission respecte-t-il la légalité ? Des adaptations sont-elles nécessaires ? Au-delà des diverses affaires connues ou à connaître, votre expertise peut nous aider à proposer des voies d'amélioration. M. Philippe Diallo, directeur de l'Union des clubs professionnels de football, a fait état de la fiche rédigée par M. Halbwax...

M. Grégory ABATE : Le sous-directeur du contrôle fiscal ne pouvait malheureusement pas assister à cette réunion. Ainsi que nous en avons convenu avec vos services, nous prendrons note de vos questions ayant trait au contrôle fiscal pour lesquelles une réponse écrite sera adressée à la mission d'information par la sous-direction du contrôle fiscal de la direction générale des impôts.

M. le Président : Les dérives dans le monde du football sont patentes et nous aimerions savoir ce que vous faites et ce que vous ne faites pas. Êtes-vous en mesure de dénoncer les abus ou à tout le moins d'opérer les contrôles qui le permettent ? Le cas échéant, que faut-il changer ? Nos questions portent autant sur la pratique que sur la technique. Y a-t-il assez de contrôles, par exemple ? Il en est du football comme de bien d'autres domaines, me direz-vous ; reste que certains témoignages nous ont fait froid dans le dos. Les outils dont nous disposons répondent-ils réellement aux besoins ? Au-delà des aspects de technique fiscale, avez-vous les moyens de votre mission ?

M. Grégory ABATE : Le problème est que vos questions relèvent précisément de la sous-direction du contrôle fiscal ; nous avons découvert un peu tard que c'était principalement ce volet qui vous intéressait.

M. le Président : Dites-nous ce sur quoi vous pouvez nous éclairer...

M. Grégory ABATE : Sur les aspects liés au régime fiscal, par exemple.

M. Ludovic HALBWAX : Mon nom figurant sur tous les documents transmis par la ligue, j'aimerais resituer la démarche que nous avions alors adoptée sur la question des indemnités de transfert et des commissions.

Le premier élément est lié à la jurisprudence Bosman, qui a évidemment donné un coup d'accélération aux mouvements des joueurs. En application du principe de libre circulation des travailleurs, les dispositions du règlement de l'Union des associations européennes de football (UEFA), qui limitaient le nombre de joueurs étrangers dans les clubs européens, ont été invalidées dans les années quatre-vingt-dix. Dès lors, les enjeux économiques ont pris une toute autre ampleur.

Le deuxième élément fait suite à l'adoption de la loi du 1er août 2003 qui a rénové le cadre de gestion des structures sportives dans le monde du football afin de les aider à acquérir une surface financière comparable à celle des grands clubs européens. C'est dans ce cadre qu'il nous a été demandé de refaire un tour d'horizon des différences règles applicables en matière de TVA et d'impôts directs, les professionnels souhaitant être assurés d'une certaine sécurité juridique en matière de déduction des commissions versées par les clubs dans le cadre de transactions portant sur les joueurs. La règle communément suivie par nos contrôleurs était de remettre en cause la réalité de la charge, dès lors que les versements étaient effectués en dehors de la réglementation purement sportive. Cette position assez restrictive avait du reste été relevée par la mission d'inspection diligentée par le ministre des sports sur l'exercice de la fonction d'agent. Aussi les clubs ont-ils demandé à l'administration fiscale de leur préciser où elle entendait placer le curseur, étant entendu que le respect formel de la réglementation sportive, s'il ne préjuge pas à lui seul de la réalité des charges ni de leur caractère déductible, peut étayer une appréciation favorable : telle était la teneur de la fiche 4 transmise à la Ligue, relatives aux modalités d'appréciation et des conditions de déduction au regard de la TVA et de l'impôt sur les sociétés des commissions versées aux agents par les clubs.

M. le Président : Cette note est importante en ce qu'elle « légalise » en quelque sorte une pratique contraire à l'esprit de la loi...

M. Ludovic HALBWAX : La déduction de la TVA est régie, en droit communautaire, par le principe de neutralité : les États membres n'ont pas la possibilité d'apporter des restrictions à l'exercice du droit à déduction, exception faite évidemment des cas de fraude - mais la fraude ne saurait se présumer, pas plus en droit français qu'en droit communautaire - et des dérogations sont accordées par le Conseil pour certaines dépenses. Autrement dit, dans le cas qui nous occupe, 10 % de la dépense ouvrira droit à déduction de la TVA, sous réserve que les conditions de forme et de fond soient par ailleurs remplies : la TVA doit formellement figurer sur la facture et elle doit être engagée pour les besoins de l'activité imposable du club. Voilà pour les contraintes juridiques qui pèsent sur la superposition parfaitement exacte de la réglementation purement sportive et la réglementation fiscale au regard du droit communautaire.

M. le Président : Ce qui laisse à penser que, sur ce point, la loi était en dérogation par rapport à la législation... N'y a-t-il pas là un paradoxe ?

M. Ludovic HALBWAX : La réglementation sportive se borne à réunir au plan éthique les pratiques propres à chaque discipline ; les conséquences dans le domaine du droit fiscal sont relativement autonomes. Le propos de la note n'était pas tant d'écarter l'application de la loi que d'essayer de trouver une articulation conforme.

M. le Président : Mais c'est ainsi qu'elle est interprétée...

M. Ludovic HALBWAX : Sans pour autant chercher à donner aux principes communautaires régissant la taxe une importance excessive, nous avons tout simplement essayé de dire qu'au-delà de la conformité formelle, nous prenons également en compte les conditions de fait qui ont présidé au versement de la commission en cause. En sens inverse, on peut fort bien rencontrer une situation où les conditions posées par la réglementation sportive sont parfaitement respectées sans pour autant que les conditions de fond déterminant la déductibilité de la charge soient satisfaites. Autrement dit, cela marche dans les deux sens.

M. David TRUTET : Le droit fiscal se caractérise par une certaine autonomie vis-à-vis des autres branches du droit : c'est un droit non pas immoral, mais amoral, en ce sens que l'on ne cherche pas nécessairement à se caler sur une réglementation autre que fiscale pour apprécier les conditions de déductibilité d'une dépense au regard de la TVA ou de l'impôt sur les sociétés : c'est du reste ce qui nous autorise à fiscaliser des activités intrinsèquement illicites ou immorales... Le même principe prévaut pour les commissions versées à des agents par des clubs. Notre approche objective peut choquer, mais elle vaut pour toute activité économique et pour toute somme versée par une entreprise : notre souci est de nous assurer que la charge invoquée a bien été engagée dans l'intérêt de la société qui entend la déduire de son bénéfice imposable.

M. le Président : Comment le vérifiez-vous ?

M. David TRUTET : Au vu d'abord de justifications formelles et documentaires venant à l'appui de l'écriture comptable : on demandera par exemple la production d'un mandat écrit attestant de la relation entre l'agent et le joueur.

M. Henri NAYROU : Plutôt entre l'agent et le club...

M. David TRUTET : S'il y en a un... Ce qui compte, c'est de comprendre le sens de cette commission, et s'il était de l'intérêt de club de la verser à l'agent.

M. Henri NAYROU : Mais c'est contraire à la loi.

M. David TRUTET : Notre approche est avant tout technique.

M. Henri NAYROU : Résolument fiscalo-fiscale...

M. David TRUTET : Exactement. Il en irait tout autrement si un texte prévoyait explicitement que les commissions versées aux agents ne sont pas fiscalement déductibles : cela arrive pour certaines charges, expressément exclues du champ de la déduction du résultat imposable de l'entreprise. À défaut d'une disposition spécifique, la commission d'agent se voit appliquer les principes généraux du droit fiscal en matière d'imposition des bénéfices : la charge est-elle engagée ou non dans l'intérêt de l'entreprise, du club ? Encore faut-il que l'agent ait été bien mandaté par écrit pour procéder au transfert du joueur. Une déclaration spéciale est prévue pour les prestations de service externes versées par l'entreprise ; la commission doit figurer sur ce relevé déclaratif. Vient ensuite l'analyse des conditions de fond : était-ce bien dans l'intérêt du club ? Y a-t-il eu un véritable travail de la part de l'agent pour procéder au transfert ?

M. le Président : Finalement, on vous demande d'arbitrer fiscalement quelque chose qui est contraire à la loi... Cela choque un peu, d'autant que votre analyse fait en quelque sorte jurisprudence par la suite...

M. Henri NAYROU : Un club achète un joueur qui lui a été proposé par un agent. Votre mission, à vous entendre, est d'estimer si cette opération est avantageuse ou pas, ou tout au moins va dans le sens des intérêts du club, et votre décision dépendra du résultat de cette expertise. Mais si le petit monde du foot a adopté ce principe contraire à la loi de 1984 comme au règlement FIFA, c'est essentiellement parce qu'il profite d'abord aux joueurs, qui par ce biais sont rémunérés en net et non plus en brut, et ensuite aux dirigeants de clubs, au risque de temps en temps de les conduire dans les prétoires...

M. David TRUTET : Je présenterai les choses autrement : supposons que les services de l'administration fiscale raisonnent comme vous et estiment que, du fait que ces versements de commissions ne sont pas conformes aux lois et règlements sportifs, les charges correspondantes ne sont pas déductibles. En l'absence de texte fiscal établissant la connexion entre ces règlements sportifs et le code général des impôts, l'administration fiscale se heurterait inévitablement à la censure du juge de l'impôt. Autrement dit, je comprends votre point de vue, mais nous ne pourrions nous appuyer sur aucune assise juridique pour le faire respecter.

M. Henri NAYROU : Notre mission d'information a pour objectif de rendre moralement plus convenables les conditions de transfert des joueurs en proposant des voies d'amélioration législatives ; nous n'avons pas à nous transformer en juges ni en policiers, et pas davantage en inspecteurs des impôts...

M. David TRUTET : Cela dit, encore devons-nous vérifier si la charge a été engagée dans l'intérêt du club ; cela suppose, pour commencer, de nous assurer de la réalité de la prestation fournie par l'agent.

M. le Président : Comment cela ? Il sera toujours matériellement possible de prouver qu'il avait un rôle à jouer...

M. David TRUTET : C'est précisément toute la difficulté du contrôle fiscal : une fois produites les pièces documentaires se pose ensuite la question de la réalité de la prestation. Et comme il s'agit la plupart de temps de prestations immatérielles, sous forme d'entremise, il est très difficile d'apprécier le travail concrètement fourni par l'agent ; mais cela n'est pas spécifique aux agents de football, loin de là.

M. le Président : D'autant plus que vous indiquez bien, dans votre fiche n° 4, que le montant de la rémunération peut dépasser le plafond légal de 10 % du montant du contrat. Comment dans ces conditions contester une commission qui représenterait 50 % du montant d'un transfert ?

M. David TRUTET : La question se pose alors de savoir sur qui repose la charge de la preuve. En dessous de 10 %, on est dans ce qui se pratique ; a priori, le niveau de la rémunération peut être considéré comme normal. Au-dessus de 10 %, la charge de la preuve est inversée : c'est au club de démontrer que des éléments particuliers propres à ce transfert justifiaient un tel montant. Mais si demain le législateur décidait d'établir une connexion entre la fiscalité, et notamment la déductibilité des charges afférentes aux commissions d'agent, et les lois et règlements régissant le monde sportif, l'administration fiscale sera tenue d'en tirer les conséquences. Pour l'heure, en l'absence de toute connexion de ce genre, les principes généraux du droit fiscal prévalent.

M. le Président : Ce n'est pas la peine de prévoir un régime fiscal particulier... Le problème n'est pas celui de la déduction des charges ; il se situe bien plus en amont. Pour tout ce qui touche au contrôle, nous vous remettrons un questionnaire. Quelles dispositions vous paraissent inadaptées ou transgressées ?

M. Ludovic HALBWAX : Il faudrait reprendre les circonstances dans lesquelles nous avons pu inverser la charge de la preuve de la réalité de la commission en cause, voire certains mouvements financiers et leurs modalités de versement : sans qu'il soit question de présomption de montage frauduleux, ce genre d'opération peut amener à suspecter une relocalisation du revenu dans un paradis fiscal via une rétrocession.

M. le Président : L'origine des fonds peut être douteuse, tout comme la destination.

M. Ludovic HALBWAX : En effet. Certains clubs en Angleterre ont été soupçonnés de blanchiment. Au vu de la typologie des manquements observés que vous adresseront nos collègues, vous pourrez vous faire une première opinion de ce qui marche concrètement et des difficultés sur lesquelles bute l'administration fiscale.

M. le Président : Lorsque vous arrivez dans un club, pensez-vous avoir connaissance de toutes les composantes d'un transfert ?

M. Ludovic HALBWAX : Seuls les spécialistes amenés à intervenir sur place pourront vous dire si les informations comptables et financières remises sont suffisamment sincères et probantes pour exercer un contrôle efficace.

M. David TRUTET : Indépendamment des moyens d'investigation dont dispose l'administration, il faut savoir que les agents de joueurs sont assimilés sur le plan fiscal à des agents d'affaires et relèvent à ce titre du régime des bénéfices industriels et commerciaux ; ils sont donc tenus aux mêmes obligations comptables que les commerçants et doivent présenter une comptabilité à l'appui de leurs déclarations. Les agents résidant en France sont donc susceptibles de faire l'objet d'un contrôle sur place et d'une vérification de leur comptabilité.

M. Henri NAYROU : Reste que les pratiques d'évasion fiscale sont de notoriété publique...

M. David TRUTET : Nous disposons d'ores et déjà d'un arsenal assez complet pour lutter contre l'évasion fiscale : le problème se pose essentiellement au niveau de l'identification des flux et des intervenants.

M. Henri NAYROU : Notre mission d'information s'intéresse tout à la fois aux conditions de transfert entre clubs professionnels et au rôle des agents sportifs : si nous avons mis ces deux sujets ensemble, c'est parce qu'il y a collusion, au mépris de la loi et pour des raisons diverses - il n'est qu'à se reporter aux procès en cours. Les problèmes fiscaux ne sont qu'adjacents, même si vous pouvez porter un jugement technique sur le régime fiscal des commissions versées. Mais si les trois parties en présence semblent s'être entendues pour que celui qui a commandé la prestation de l'agent, autrement dit le joueur, ne la paie pas et laisse ce soin au club qui l'emploie, on peut penser que cette entente présente un intérêt financier et notamment un intérêt fiscal. Avez-vous identifié cette dimension et le préjudice qui pourrait en résulter pour les finances publiques ? De deux choses l'une : ou bien nous réitérons les termes de la loi de 1984, laquelle interdit la rétribution de l'intermédiaire par une autre partie que celle qui l'a mandaté, ou bien nous revenons sur la loi de 1984 en légalisant le paiement des agents par les clubs.

M. Ludovic HALBWAX : C'était ce que proposait le rapport d'enquête supervisé par M. Lépine, dont je vous relis la synthèse : « La question de la rémunération des agents, plus particulièrement lorsqu'ils sont mandatés par des joueurs, doit enfin être posée. Le maintien des pratiques antérieures à l'entrée en application de la loi du 6 juillet 2000 n'est guère surprenant : elles correspondent en effet à la logique économique en vigueur, au plan international comme au plan national, dans les activités de placement de main-d'œuvre comme les agents artistiques ou les cabinets de recrutement. En outre, faute de cadre juridique ad hoc, il est peu probable que ces pratiques puissent être sanctionnées pénalement, puisqu'elles sont généralement mises en œuvre dans l'intérêt des clubs. Le réalisme voudrait donc que les clubs soient autorisés à rémunérer les agents, y compris lorsqu'ils sont mandatés par les joueurs. »

M. Henri NAYROU : Vous devez avoir au sein de votre ministère des avis ou des positions de principe, sachant que vos interventions comme les conclusions de vos enquêtes ont pour effet d'entériner des actes illicites...

M. David TRUTET : Nous ne pouvons que regretter de ne pas être les bons interlocuteurs... Huit vérifications sur dix amènent à tomber sur des choses illicites, voire des délits. Les contrôles opérés sur les clubs ont évidemment amené à constater des pratiques, à relever des flux financiers, identifiés ou non, à collecter des informations ; malheureusement, ce n'est pas nous qui les avons.

M. Henri NAYROU : Quel jugement portez-vous sur la prolifération des contrats de longue durée, l'augmentation de la valeur marchande des joueurs et de la propension croissante à rompre des contrats à peine signés, alors même qu'ils donnent lieu à des flux financiers de plus en plus importants ? Sans être un spécialiste de la valeur marchande d'un joueur, on ne peut que s'étonner de voir celle de Tuzzio multipliée par cent en passant de Genève à Marseille en une nuit... Intrinsèquement délictueuse, une telle manipulation l'est également sur le plan fiscal, du fait des plus-values qu'elle génère et de la multiplication exponentielle des commissions afférentes. Enfin, tout le monde sait que plusieurs agents ont défrayé la chronique judiciaire en se retrouvant au tribunal à quatre reprises à propos d'un seul transfert...

M. David TRUTET : Ma réponse sera rigoureusement technocratique - je suis du reste payé pour cela...

M. Henri NAYROU : Cela, je peux le comprendre. De notre côté, nous ne sommes ni policiers ni juges, seulement législateurs.

M. David TRUTET : Et nous encore moins : seulement de modestes fonctionnaires à la direction générale des impôts... Je laisse au législateur et à la société le soin de se prononcer sur l'aspect moral de ces choses et je m'en tiendrai à l'aspect purement technique et notamment comptable. On parle de plus en plus de clubs cotés, et qui dit cote dit appréciation de l'actif d'une entreprise. On ne peut donc que s'inquiéter pour la protection des épargnants comme des intérêts du Trésor en voyant des éléments aussi flous apparaître au bilan ou dans le compte de résultat d'un club tenu aux obligations comptables qui s'imposent à toute grande entreprise ; il y a tout lieu d'être interpellé lorsque des sommes dont la valorisation prête autant à caution sont immobilisées à l'actif d'une société, nonobstant les procédures prudentielles et le jeu des autorités de surveillance des marchés. Pourquoi, du jour au lendemain, un joueur voit-il sa valeur multipliée par quatre, dix ou quinze ? Sur la base de quels critères ? Or c'est précisément de ces critères que dépendront demain les éléments inscrits en comptabilité, qui viendront en déduction du résultat imposable, et au vu desquels des gens viendront investir leur argent. Ne faudrait-il pas prévoir une méthode particulière de valorisation de ces actifs ? Les procédures actuelles de validation - commissaires aux comptes, experts comptables, autorités de surveillance des marchés - sont-elles suffisantes au regard du risque encouru ? C'est en tout cas un réel sujet de préoccupation.

M. Henri NAYROU : L'idéal serait que le talent des joueurs ne soit monnayé qu'au niveau des salaires et non à l'occasion de transferts successifs et de plus en plus juteux, dont le montant en vient à dépasser l'entendement et à se jouer des instruments de mesure, au demeurant inexistants. Sur tous ces sujets techniques, nous attendons vos réponses écrites. Notre travail sera tout à la fois relativement simple et compliqué : que proposer pour améliorer les conditions des transferts des joueurs en agissant sur le mode de rétribution des agents ? Vous êtes concernés à double titre : au problème du régime fiscal des commissions en question s'ajoute celui des opportunités d'évasion fiscale ouvertes par des pratiques non conformes à la loi.

M. le Président : Messieurs, il ne nous reste plus qu'à vous remercier.

Audition de M. Jean-Luc BENNAHMIAS, député européen

(19 décembre 2006)


Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation. Vous êtes député européen et auteur d'un rapport sur les transferts de footballeurs, le rôle des agents ainsi que sur les procédures de contrôles, qui ont atteint leurs limites, tant sur le plan national qu'international.

Où en est votre réflexion, notamment concernant le rôle de la Commission européenne et des instances internationales ? M. José-Luis Arnaut, que nous allons auditionner après vous, souhaite que l'UEFA s'implique davantage. Qu'en pensez-vous ?

Quels contrôles seraient envisageables à l'échelle européenne ? Qu'envisagez-vous s'agissant des transferts des joueurs et du régime de leurs agents ?

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : C'est un plaisir pour moi d'être ici. Il est évident que l'Union européenne et les parlements nationaux ont tardé à se préoccuper de la situation. Suite au rapport de M. José-Luis Arnaut, le Parlement européen s'est penché sur la question du football professionnel, mais il conviendrait d'élargir le champ de la réflexion aux autres disciplines sportives professionnelles. En effet, même si les sommes en jeu sont sans commune mesure, nous y retrouvons certains problèmes qui se posent dans le football, comme les enjeux financiers ou l'absence de contrôle des flux monétaires.

Le sport n'est pas une compétence directe de l'Union européenne, ce qui est très étonnant car, non seulement le sport professionnel est largement médiatisé, mais l'Union européenne est le territoire sur lequel ont lieu les transferts drainant les flux financiers les plus importants.

Je suis également l'auteur, au nom du Conseil économique et social, en 2001, d'un rapport sur le sport de haut niveau et l'argent, qui s'inscrivait dans la ligne du rapport de Nelson Paillou.

L'UEFA, la FIFA, ainsi que les différentes ligues professionnelles en sont arrivées au point où elles ne maîtrisent plus les enjeux du sport. J'ai rencontré au sein des ligues et des fédérations des personnes qui attendent que le Parlement européen et les parlements nationaux les aident à défendre le système sportif européen. Cette demande est d'autant plus compliquée que la réglementation diffère selon les pays. Même si la France n'est pas exemplaire, elle a tout de même adopté une réglementation bien plus élaborée que de celles de nombreux autres pays européens. Il n'y a guère que l'Allemagne qui puisse nous être comparée.

Le Parlement européen travaille en ce moment à un rapport d'initiative. C'est la commission de la culture qui rendra, vers février, le rapport final, les commissions chargées des affaires économiques, juridiques, du marché intérieur, de l'emploi et du social rendant des rapports pour avis. Parallèlement, la Commission européenne travaille à un Livre blanc sur le sport professionnel et a décidé d'accélérer le processus.

M. le Président : N'y a-t-il pas de travail commun ?

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Nous discutons en permanence avec la Commission européenne, mais il n'y a pas forcément de travail commun. J'espère que les grandes instances du football - Union des associations européennes de football (UEFA), Fédération Internationale de Football Association (FIFA), ligues professionnelles - feront leur ce rapport d'initiative quand nous l'aurons voté en février et mettront en œuvre les propositions qu'il fera.

M. le Président : L'UEFA est-elle suffisamment indépendante des ligues nationales pour se saisir d'un tel sujet ?

M. Jean-Luc BENNAHMIAS: Aujourd'hui, le G14 qui regroupe les grands clubs européens est en train d'éclater, faute d'intérêt commun. La puissance financière de clubs comme Chelsea ou Manchester United dépasse, par exemple, largement les moyens du Bayern de Munich. L'entraîneur du Bayern déclarait ainsi, lors d'une audition au Parlement européen en mai dernier, qu'il faudrait maîtriser la masse salariale des clubs.

M. le Président : C'est le système américain.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Oui, mais dans le système américain, il existe des ligues, qui maîtrisent l'ensemble du processus. Tel n'est pas le cas en Europe.

M. le Président : Non, en effet, du fait de l'absence de gouvernance globale.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : La demande de l'entraîneur du Bayern était juste, mais impossible à réaliser, faute d'intérêt commun entre les membres du G14. Il y a des clubs beaucoup plus riches que le Bayern au sein du G14. Et je ne parle pas du blanchiment d'argent sale que cachent les transferts et le financement des clubs, ce qui existe même en France, dans une moindre mesure cependant.

M. Henri NAYROU : C'est une des raisons d'être de notre mission.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Je le sais, mais nous n'avons pas la capacité, ni vous ni le Parlement européen, d'appréhender toutes les règles qui gouvernent le blanchiment.

M. Henri NAYROU : Notre mission s'intéresse aux conditions de transfert des joueurs professionnels de football et au rôle des agents sportifs. Nous attendons beaucoup de vous qui avez produit un rapport sur l'avenir du football professionnel en Europe.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Quelques points me tiennent particulièrement à cœur, et je souhaiterais que les grandes instances, les ligues professionnelles et l'UEFA puissent s'en saisir - je ne parle pas de la FIFA, qui est souvent en désaccord avec l'UEFA, ce qui pose d'ailleurs problème.

Je propose tout d'abord de mettre en place un organisme de contrôle et de transparence du financement des clubs.

M. le Président : Avec une centralisation ?

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Oui, à l'instar de l'Agence mondiale antidopage, l'AMA.

M. Henri NAYROU : Cela fait partie des treize suggestions.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Certes, mais il s'agit là d'une Agence du sport, ce qui est quelque peu différent. Je ne peux que saluer l'existence d'une Agence du sport dans le cadre de l'Union européenne, qui s'occupe du sport amateur et des loisirs. Je propose de créer une instance indépendante de l'Union européenne.

M. le Président : Et dont les décisions auraient force de loi ?

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Par extension. Regardez la structure de l'AMA qui comprend des États-nations, le Comité international olympique (CIO), des instances des différentes fédérations sportives, des experts indépendants. L'AMA ne dépend de personne et de tout le monde en même temps. Elle n'est pas entre les mains des fédérations sportives mais n'est pas davantage une instance d'État.

Par ailleurs, il faudrait une directive sur la certification des agents des joueurs. Aujourd'hui, n'importe qui peut se déclarer agent. Les modalités de financements sont devenues tellement floues que plus personne ne sait combien a coûté tel joueur. Je vous ai apporté un document retraçant l'ensemble des transferts de joueurs français ou assimilés depuis 2005 ; sa lecture est édifiante.

Il faudrait par ailleurs définir précisément le mode de fonctionnement des centres de formation de jeunes joueurs - prérogatives, financements. En vertu du principe de la libre concurrence qui prévaut en droit européen, tout financement public peut être interdit.

Il conviendrait également de se pencher sur le problème de ce que l'on appelle l'« esclavage » des jeunes joueurs qui recouvre la recherche et l'achat de jeunes joueurs en Afrique ou en Amérique Latine. Quelles directives doit-on donner pour garantir le respect des lois sur l'immigration et assurer un vrai suivi éducatif ? Comment aider, par exemple, les pays africains à créer, sur place, de véritables centres de formation ? L'UEFA propose que, dès 2007, chaque club professionnel ayant un centre de formation garde dans son équipe au moins trois joueurs issus du centre de formation.

M. Henri NAYROU : J'approuve personnellement cette proposition, mais elle m'étonne car elle ne va pas dans le sens de l'arrêt Bosman.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Ce ne sont pas les origines qui sont visées, mais l'appartenance au centre de formation.

M. le Président : Les garder ne veut pas dire les faire joueur...

M. Henri NAYROU : Il est assez surprenant de constater qu'un rapport européen se préoccupe de la sauvegarde des identités locales et nationales. J'apprécie.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : C'est un amendement allemand. Au départ, certains souhaitaient imposer un quota de joueurs nationaux au sein de chaque équipe.

M. le Président : Cette disposition existe déjà, c'est le gentleman's agreement.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS: Cela n'existe plus.

M. le Président : Bien sûr que si, en application d'accords entre ligues. Ainsi, une équipe de football ne doit pas dépasser un certain quota de joueurs extracommunautaires.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Au sens large du terme, c'est-à-dire hors pays d'Afrique, Caraïbes et Pacifique. De plus, la naturalisation des joueurs peut se faire assez rapidement...

J'en viens au dernier point auquel je tiens : la santé des footballeurs - la lutte antidopage et le suivi médical.

M. le Président : Nous avons renforcé la loi sur ces points.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : La France va dans le bon sens.

M. le Président : La situation évolue aussi au niveau mondial.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Il est vrai que l'AMA, même si elle n'a pas eu beaucoup d'effets au début, a progressivement permis de dénoncer des scandales.

M. le Président : La possibilité pour l'AMA de diligenter des contrôles lors de compétitions internationales sur le territoire national, quel qu'il soit, renforce sa force opérationnelle.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : C'est vrai. Le football professionnel vient de signer le protocole de l'AMA. Il était temps ! Cela étant, le suivi demande des moyens considérables.

M. le Président : Tout à fait, mais il est nécessaire de créer au préalable les conditions de l'insécurité en matière de transferts de joueur et du rôle des agents afin de mettre fin au sentiment d'impunité.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Je suis d'accord. Je ne crois pas à la tolérance zéro, mais il fallait créer les conditions de l'insécurité en matière de dopage. L'organisme de transparence financière des transferts dont je parlais aurait la même vocation.

M. le Président : Tout le monde tend vers le même objectif. Si nous nous félicitons que les contrôles soient meilleurs chez nous qu'ailleurs, ils ne nous permettent pas pour autant de contrôler tout le système. Ainsi, la Direction Nationale de Contrôle de Gestion (DNCG) contrôle l'accréditation de l'agent, mais ne connaît pas la somme perçue par l'agent lors des transferts, alors même qu'elle doit s'occuper de la pérennité financière du club ! Ce n'est pas sérieux !

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : La Ligue joue le jeu, et n'a opposé aucun obstacle à ces opérations, contrairement à d'autres, comme le G14.

J'en viens à un tout dernier point, que je ne classe pas parmi les priorités car l'Union européenne s'en est déjà préoccupé : la lutte contre les discriminations et le racisme. C'est tout de même un sujet important, mais que je ne relie pas à la place exponentielle de l'argent dans le monde du sport, et du football en particulier.

M. Henri NAYROU : Parmi les treize suggestions, six nous concernent particulièrement : la régulation, le cadre juridique, l'harmonisation des contrôles financiers, l'agence européenne, le statut européen des agents, et enfin, la lutte contre les effets négatifs de la multiplication des transferts, qui réduisent d'autant la durée des contrats et impliquent des sommes considérables.

Quel est le poids réel de l'UEFA ? Avez-vous tenu compte, dans toutes vos réflexions, de l'importance du G14 ? S'agissant du football, que pensez-vous de l'instauration d'une ligue fermée ? Comment instaurer des DNCG dans tous les pays européens ?

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Des élections internes auront lieu à l'UEFA en mars prochain.

M. Henri NAYROU : Nous allons d'ailleurs recevoir un candidat...

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : M. Michel Platini défend complètement le système européen. S'il est élu président, une liaison avec l'UEFA sera simple. Le G14 ne se porte pas bien, car les clubs ont des moyens financiers si disparates qu'ils n'ont plus d'intérêt commun. Le problème est que personne ne parle d'harmonisation fiscale, alors que ce serait une solution.

M. le Président : À ce niveau d'enjeux financiers, ce n'est pas l'harmonisation fiscale qui fera la différence.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS: Au niveau du transfert des joueurs français ou formés en France, si.

M. le Président : Mais la loi est dévoyée dans tous les pays. Lorsque l'on déguise une prime en transfert, c'est pour échapper à l'impôt, dans n'importe quel pays. Il faut rendre les transferts plus transparents.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Si vos initiatives sont limitées au niveau national dans la mesure où toute législation serait inefficace dès lors qu'elle n'existerait pas dans les autres pays, nous le sommes tout autant au niveau européen, car l'Union européenne n'a pas de compétence en matière sportive. Qu'un seul pays ne s'intéresse pas à la question au niveau européen, et l'on ne peut plus avancer. C'est pour cela que je réfléchis à la capacité des instances du football à prendre les choses en main, à la place de la Cour européenne de justice. En l'espèce, le principe de libre concurrence posé par le traité de Rome est toujours d'actualité.

En tout cas, les instances du football ont pris les choses au sérieux, et assurent un vrai suivi.

M. le Président : Les présidents de ligues sont-ils animés de la même volonté d'aboutir ?

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : J'ai rencontré la ligue anglaise, et ils sont sur la même longueur d'onde, d'autant plus qu'ils sont confrontés à des affaires encore plus graves que les nôtres.

M. Henri NAYROU : Sans parler de l'origine incertaine des fonds.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : L'entrée en bourse permettrait d'assurer un meilleur contrôle.

M. Henri NAYROU : Mais à quel prix ! Nous en sommes au point où d'honnêtes gens nous expliquent même que ce serait un moindre mal que de légaliser la rétribution des agents par les clubs, alors que les agents sont mandatés par les joueurs et que l'on sait que cette pratique est source de malversations !

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Je suis opposé à la régularisation de ce système. Nous devons par contre instaurer une certification des agents.

M. le Président : Je ne suis pas certain que la certification règle tout. Que l'agent soit certifié ou non, il finira toujours par mettre en place des systèmes frauduleux. Il s'agit plutôt d'interdire la rémunération de l'agent par le club, et d'empêcher que l'agent soit l'intermédiaire entre les deux clubs lors des transferts.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Il est en effet dans ce cas juge et partie. La certification permettra de savoir à qui nous avons affaire.

M. le Président : Un examen pour obtenir la licence existe bien aujourd'hui.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : En théorie, oui.

M. le Président : La DNCG déclare même que son seul travail consiste à vérifier que l'agent a réussi l'examen.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : En pratique, tout le monde s'en moque, seul l'intérêt de l'équipe compte.

M. le Président : Il existe bien une liste d'agents licenciés, mais il est vrai que le problème n'est pas réglé pour autant.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : La certification créera un sentiment d'insécurité pour celui qui ne respectera pas les règles. Seul l'agent certifié pourra organiser le transfert.

M. le Président : Mais l'on ne peut aujourd'hui être agent de joueur sans le diplôme.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : N'importe qui peut l'obtenir du jour au lendemain.

M. Henri NAYROU : La certification pourrait garantir le dépôt de comptes sincères, ce qui permettrait de contrôler les flux d'argent.

M. le Président : Chaque club dispose d'un commissaire aux comptes qui engage sa responsabilité ! Comment expliquer que les commissaires aux comptes prennent autant de risques ! Je doute de la volonté des instances de football de se saisir du problème.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Si les instances veulent que les championnats continuent d'exister, ils ont intérêt à réagir.

M. le Président : Comment faire comprendre aux gens qu'ils devront s'autocontrôler ?

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : L'UEFA souhaiterait que l'organisme de transparence financière dépende d'elle, mais c'est impossible. L'UEFA doit en être partie prenante mais ne saurait être la puissance dirigeante.

M. le Président : Je crains que l'on ne se focalise sur quelques clubs, alors que la pratique est très courante, et concerne beaucoup de clubs bien moins connus.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Voyez la liste que je vous ai apportée : les trois quarts des clubs ne sont pas connus.

M. le Président : Il serait intéressant de comparer cette liste avec celle détenue par les instances du football français.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Je ne vois pas comment les instances du football français pourraient en avoir la trace.

M. le Président : Le joueur est forcément passé, à un moment donné, par un club français.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Qui centralise au niveau de la Fédération ?

M. le Président : C'est tout de même la fédération qui délivre les licences. Tant mieux si vous êtes convaincu de la volonté des instances à réagir, mais je reste sceptique.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Je ne suis pas certain que l'évolution ira jusqu'à son terme. Je ne suis plus sûr de rien. Mon rapport pour avis est voté, mais je ne sais pas ce qui sera retenu dans le rapport final.

M. le Président : Y a t-il une véritable volonté au niveau européen de remettre de l'ordre ?

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Au niveau du Parlement, comme de la Commission, j'en suis persuadé, même si cette dernière compte très peu d'administrateurs dans le domaine du sport.

M. Henri NAYROU : Pourrez-vous nous tenir informés des travaux de votre mission, et du sort qui leur sera réservé ?

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Je ne m'inquiète pas du sort qui les attend au Parlement européen. S'agissant de la Commission, je travaillerai de très près sur le Livre blanc.

M. le Président : Il est urgent de mettre fin à ce système, non seulement en raison du caractère déraisonnable des rémunérations, mais du fait du l'illégalité des pratiques, de l'argent sale, de l'enrichissement d'intermédiaires qui n'œuvrent même pas dans l'intérêt des joueurs.

Tony Parker gagne 10 millions de dollars par an aux États-Unis, mais au moins n'existe-t-il aucune relation entre les agents des joueurs et les clubs. Les agents ont pour seul objectif de défendre les joueurs.

Savez-vous quand le Livre blanc de la Commission sortira ?

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Je ne sais pas, mais je pense que le rapport d'initiative permettra à la Commission européenne d'accélérer ses travaux, et , peut-être, de sortir son Livre blanc avant fin 2007.

De notre côté, nous avons déjà été retardés par des lobbies, comme le G14, qui souhaitent que l'on ne régule pas pour s'orienter vers une ligue fermée. L'UEFA ne s'occuperait plus alors que du sport amateur. L'entrée en bourse des grands clubs va dans ce sens.

M. le Président : Au contraire, l'entrée en bourse des grands clubs élargit le spectre. Le football deviendrait alors une activité économique comme les autres, confrontées à d'autres réalités économiques.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : D'accord, si l'on s'en tient à la vision qu'en a Jean-Michel Aulas à Lyon : le sport est une activité de loisir et une activité commerciale.

M. Henri NAYROU : Fondée sur une marque, elle-même fondée sur les résultats...

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Pas uniquement.

M. Henri NAYROU : Cette activité est fondée sur une marque qui est encore loin, et c'est tout à l'honneur de Jean-Michel Aulas, d'avoir l'impact de la marque OM ou PSG. Fonder un développement sur l'entrée en bourse pour lever des actifs, pourquoi pas ? Le maire de Lyon y est favorable, mais que va-t-il faire du stade Gerland après ? Un supermarché ?

M. le Président : L'entrée en bourse a le mérite de permettre de traiter tout le monde de la même manière. Quand les boursiers verront que la transparence n'est pas au rendez-vous, ils n'encourageront pas l'investissement.

Cela étant, j'ai beau être libéral, je ne crois pas à l'entrée en bourse des grands clubs. Aucun club n'est entré en bourse aux Etats-Unis, alors même qu'ils valent beaucoup plus que les clubs européens.

M. Henri NAYROU : Je vous trouve bien optimiste s'agissant des ligues fermées...

M. le Président : Ce n'est pas dans la culture latine.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Je suis optimiste parce que les parlementaires européens, qui représentent une partie de la population, ne sont guère favorables aux ligues fermées.

M. le Président : Je suis d'accord avec vous.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Des cinq rapporteurs, un seul, le Hollandais, y est favorable.

M. le Président : S'agissant de la transparence, comment agir ?

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Il faut prendre exemple sur l'AMA.

M. le Président : Mais l'AMA ne centralise pas les flux financiers.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Certes. Il faudra sans doute étendre le contrôle des DNCG, avec la participation d'experts indépendants.

M. le Président : Frédéric Thiriez n'y serait pas opposé, mais à condition que la profession en assure le contrôle.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Il demande surtout que la Ligue participe pleinement à l'UEFA. La Ligue française de football n'est pas au centre du football européen, loin de là.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Michel PLATINI,
vice-président de la Fédération française de football (FFF)

(19 décembre 2006)


Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Michel Platini.

Monsieur Platini, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

La mission d'information parlementaire souhaite connaître votre point de vue, en tant qu'ancien international et responsable actif au sein tant de la Fédération française de football (FFF) que des fédérations internationales, l'Union européenne de football association (UEFA) et la Fédération internationale de football association (FIFA), sur les perspectives d'évolution de la réglementation sur les transferts de footballeurs et le rôle des agents sportifs.

Je propose qu'après un bref exposé des commentaires généraux que vous inspire notre dossier, nous engagions le débat sur ce sujet à partir des questions des membres de la mission.

M. Michel PLATINI : Il y a quelques années, il existait des agents reconnus par la FIFA, dont le rôle était d'organiser des matchs dans le monde entier. Michel Zen-Ruffinen, alors secrétaire général de la FIFA, m'a fait part de son intention d'officialiser les agents. J'étais surpris par cette idée. Je lui ai dit que c'était une grande erreur, une manière de mettre le ver dans le fruit. Car déjà à l'époque, les pratiques étaient douteuses. Et cette officialisation ne me semblait pas de nature à réguler quoi que ce soit. La décision a tout de même été prise. La fonction d'agent de joueur a été créée. Six mois plus tard, il s'est révélé, comme c'était prévisible, que la FIFA n'a pas pu contrôler les activités des agents. Elle a alors confié cette tâche aux fédérations nationales.

Je crois pour ma part que les agents jouent un rôle important. Ils peuvent aider les joueurs, qui sont jeunes - entre 14 et 30 ans - à se défendre contre les présidents de clubs, qui les ont exploités pendant de très nombreuses années, jusqu'à la Charte du football professionnel de 1973 et même jusqu'à l'arrêt Bosman.

J'ai eu personnellement un agent. Il n'était pas rémunéré sur mes salaires, mais sur la publicité qu'il m'amenait. Il ne me semblait pas logique qu'il gagne de l'argent sur ma carrière, mes matchs, ma valeur de footballeur.

L'argent arrivant massivement dans le monde du football, ceux qui aiment l'argent se sont de plus en plus intéressés à ce monde.

Je rejoins la FIFA, ainsi que la FIFPro, sur un principe de base : les agents doivent être payés directement par les joueurs. Cela éviterait beaucoup de problèmes et de malversations.

M. le Président : C'est ce que prévoit la loi.

M. Henri NAYROU : C'est ce que prévoit la loi de 1984, confirmée par celle de 1992, mais aussi le règlement de la FIFA. Et au-delà même des textes, c'est une question de bon sens : celui qui commande un conseil le paie. Mais la loi est bafouée, ce qui n'émeut personne, pas même ceux qui dirigent le football en France.

Nous avons auditionné les représentants du syndicat des joueurs professionnels, qui nous ont dit exactement la même chose.

M. Michel PLATINI : Et vous noterez que c'est pourtant contraire aux intérêts des footballeurs.

M. Henri NAYROU : C'est leur intérêt à long terme, mais pas leur intérêt immédiat, en effet. Mais je crois qu'on ne peut pas jeter la pierre à des jeunes qui n'ont aucune expérience du monde impitoyable dans lequel ils sont, qui ont besoin de conseils, et qui se disent que si le club rémunère l'agent qu'ils ont choisi, c'est tant mieux pour eux. Les clubs et les agents s'en satisfont aussi. Tout le monde est gagnant, sauf l'équipe et la morale.

M. Michel PLATINI : Je suis d'accord avec vous, mais tout le monde ne se complaît pas dans ce système. La FIFA et le syndicat des joueurs ne sont pas d'accord. Avec une commission de 7 %, l'intérêt des agents est qu'un maximum de transferts se fasse.

Pourquoi les présidents de ligue souhaitent-ils que les agents soient rémunérés par les clubs ? Parce qu'étant élus par les clubs, ils ne peuvent pas vouloir autre chose que ce que veulent les clubs. Or, ceux-ci veulent rémunérer les agents, afin d'avoir du pouvoir sur les agents et sur les joueurs.

Je crois qu'il faut trouver les moyens de protéger notre football. Les transferts représentent beaucoup d'argent qui sort du football.

M. Alain NÉRI : Lors de l'examen de la loi relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, j'avais déposé un amendement tendant à la suppression du mercato d'hiver, alors que certains demandaient son extension tout au long de l'année. Car comme vous l'avez très justement souligné, plus il y a de transferts, plus il y a d'occasions pour certains de gagner de l'argent. Ne pensez-vous pas qu'il serait opportun de modifier la réglementation de la Fédération afin de limiter le mercato ? Il est tout de même curieux qu'un joueur puisse jouer dans une équipe au début de la saison et jouer contre la même équipe dans la deuxième partie de la saison. L'une des premières mesures d'assainissement serait de supprimer le mercato.

M. Michel PLATINI : C'est délicat. Il y a des clubs qui ont fait des erreurs de recrutement. Il y a des joueurs qui ne sont pas forcément heureux, qui ont le sentiment de n'être pas à leur place, qui restent sur le banc de touche, et qui donc aimeraient quitter le club. Cela dit, on pourrait poser comme condition aux transferts effectués à l'occasion du mercato que les joueurs ne soient pas appelés à participer à la même compétition que celle à laquelle ils prenaient part avec le club quitté.

M. Alain NÉRI : Vous savez aussi que certains clubs recourent à cette pratique curieuse consistant à recruter un joueur dans le seul but qu'il ne joue pas dans un club concurrent.

M. Michel PLATINI : Bien sûr. Une manière de se renforcer est parfois d'affaiblir les autres. Il arrive même que certains grands clubs privent leurs concurrents d'un joueur en le prêtant à un autre club.

M. le Président : C'est un autre problème, qui pourrait être réglé par le salary cap.

M. Michel PLATINI : Je suis contre le salary cap, qui est d'ailleurs interdit par les lois.

M. Henri NAYROU : Vous êtes candidat à la présidence de l'UEFA. Avez-vous des propositions à faire au niveau européen ? On sait que les solutions durables doivent passer par une réglementation supranationale.

M. Michel PLATINI : La réglementation relative aux transferts relève de la FIFA, non de l'UEFA.

M. le Président : Mais on pourrait imaginer de confier un rôle accru à l'UEFA.

M. Michel PLATINI : Les tensions qui se sont manifestées entre l'UEFA et la FIFA n'incitent pas celle-ci à donner à l'UEFA des pouvoirs en la matière. Si je suis élu président de l'UEFA, peut-être la bonne entente entre M. Blatter et moi-même permettra-t-elle à l'UEFA de régler les problèmes que posent les transferts européens.

M. le Président : Certes, mais c'est tout de même l'intérêt de l'ensemble du système de clarifier les choses. Sinon, elles vont échapper à tout le monde.

M. Michel PLATINI : Ce sont les 7 % de commission qui échappent à tout le monde, mais pas les transferts. Le montant des transferts est d'ailleurs très subjectif. Le transfert de Zinedine Zidane aurait pu être de 10 millions d'euros, ou de 20 millions, ou de 100 millions.

L'arrêt Bosman a fait exploser tout le système européen. Il a mis les clubs en difficulté. Tout le monde a pu partir n'importe où. Il n'y a plus d'identité dans le football.

M. le Président : Nous avons été très surpris d'entendre un représentant de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) nous dire qu'elle n'a aucun moyen de contrôle, excepté la vérification de la licence de l'agent.

M. Michel PLATINI : Il y a différents moyens d'exercer un contrôle sur les transferts. Ils peuvent passer par un organisme central, qui reçoit l'argent du transfert et le reverse au club bénéficiaire, d'une part, à l'agent d'autre part.

M. le Président : Et pourquoi les transferts ne sont-ils pas organisés de cette façon ?

M. Michel PLATINI : Parce que la FIFA n'a pas mis en place ce système, et a confié la réglementation aux fédérations nationales.

M. le Président : Le rôle de l'agent est de défendre les intérêts du joueur. Il est normal qu'il soit rémunéré par lui. Mais est-il normal que ce soit le même agent qui intervienne dans les discussions entre les deux clubs sur le montant du transfert, qui cache bien souvent une rémunération pour le joueur ?

M. Michel PLATINI : Vous avez raison. Aujourd'hui, il n'y a pas d'agent de joueur. C'est le club qui paie l'agent. Et s'il lui verse une commission très élevée, c'est bien souvent parce que cette commission permet de dissimuler une rétro-commission.

M. le Président : Cela dit, si les agents sont directement payés par le joueur, les rétro-commissions passeront par un autre intermédiaire.

Un autre point important est d'organiser la transparence sur les flux financiers. Il faut au moins connaître le montant du transfert entre deux clubs et la rémunération des intermédiaires.

M. Michel PLATINI : Passer par un organisme central est tout à fait envisageable. Il faut que les transferts nationaux soient contrôlés par la ligue nationale, les transferts européens par l'UEFA, et ceux d'un continent à l'autre par la FIFA.

M. le Président : L'Agence mondiale antidopage, l'AMA, peut intervenir dans n'importe quel pays dans le cadre d'une compétition internationale. Il faut créer de l'insécurité pour les gens qui trichent.

M. Henri NAYROU : Lorsque l'on évoque la nécessité de renforcer la réglementation française afin de moraliser les pratiques, les tenants du football français dénoncent le risque de défavoriser les clubs français par rapport aux grands clubs européens. En 1997, on nous avait dit la même chose au sujet du dopage, problème qui était censé ne pouvoir être traité qu'au niveau européen.

M. Michel PLATINI : Cela étant, il faut savoir que le monde des comités exécutifs de l'UEFA et de la FIFA est un monde de notables, qui ne comprennent pas le football. À côté d'eux, des jeunes businessmen arrivent dans ce monde, parce que le football est un moyen de faire fructifier rapidement ses deniers. Entre les deux, il y a une génération d'anciens joueurs, issus du football amateur ou professionnel, qui ont connu les petits clubs, les grands clubs ou les clubs moyens, et qui veulent trouver les moyens de maintenir la cohésion de la grande famille du football, parce que c'est elle qui a fait sa popularité durant un siècle. Le problème est là : les dirigeants du football ne connaissent pas ce monde. Ils ne savent pas ce qu'est un agent de joueur.

Il faut être vigilant, car nous vivons un moment crucial pour l'avenir de notre sport.

M. le Président : Si l'on ne met pas en place des outils législatifs ou réglementaires, l'argent prendra le pas sur le jeu. Il faut agir avant que tout n'explose.

M. Michel PLATINI : Mais le football perdurera, il est au-dessus de tout cela.

M. Henri NAYROU : Certaines des propositions présentées par M. Jean-Luc Bennahmias dans son rapport intermédiaire méritent examen, et pourraient être mises en œuvre par le président de l'UEFA : création d'une instance de régulation du football professionnel européen ; instauration d'un cadre sportif qui ne laisse pas la Cour de justice européenne décider souverainement des règles à respecter ; un contrôle financier identique, c'est-à-dire une DNCG européenne ; création d'une Agence mondiale de transparence financière des clubs ; définition d'un statut européen des agents de football.

M. Alain NÉRI : Il nous appartiendra de faire des propositions d'ordre législatif. Une fois qu'une loi sera votée, il faudra bien qu'elle s'applique. Alors que la loi actuelle correspond à ce que vous souhaitez, puisqu'elle prévoit que les agents sont rémunérés par les joueurs, je constate avec regret que certains viennent nous dire, le plus tranquillement du monde, qu'il n'est pas possible de la faire appliquer et qu'il faut donc la modifier pour qu'elle soit conforme aux pratiques en vigueur.

M. Michel PLATINI : Sur tout ce qui concerne le statut des personnes, il est bon de légiférer. Par contre, il ne me semble pas opportun que le législateur adopte des dispositions qui remettraient en cause l'autonomie du football. La Charte du football professionnel de 1972 a constitué une base solide pour faire vivre ensemble toutes les familles du football français. Mon but est d'engager la même démarche au niveau européen, ce qui ne sera pas facile.

Les clubs et les ligues disent que les joueurs sont d'accord pour payer les agents, mais qu'ils ne veulent pas payer des impôts sur les sommes qu'ils verseraient aux agents. Il faudrait que la rémunération de l'agent entre dans les 30 % qui font partie de la rémunération des droits à l'image des joueurs. Le législateur pourrait modifier la loi sur ce point.

M. le Président : L'autre problème est celui des charges sociales. Quand l'agent est payé par le joueur, le club doit payer à dû prorata les 7 % supplémentaires au joueur, qui paiera alors son agent.

M. Alain NÉRI : Il serait bon que la commission versée à l'argent soit dégressive par rapport au montant du salaire du joueur.

M. le Président : Dans le football, cette commission est versée intégralement dès la signature du contrat. La logique voudrait, et c'est ce qui se passe dans d'autres sports, que cette commission soit versée au fur et à mesure de l'exécution du contrat.

M. Henri NAYROU : Quelle est votre position sur la durée des contrats et les conditions dans lesquels ils sont rompus, ce qui arrive de plus en plus fréquemment ? Que pensez-vous par ailleurs de l'idée de fixer un nombre maximal de mutations tout au long d'une carrière ?

M. Michel PLATINI : Il m'est difficile de répondre à cette question, car pour ma part, j'ai toujours respecté le terme de mes contrats. C'était d'ailleurs à mes yeux le sens même de l'existence d'un contrat : l'exécuter entièrement afin d'être libre au moment où il arrivait à son terme. J'étais un produit de la révolution qui a suivi la grève des footballeurs de 1972. Lorsque l'AS Nancy Lorraine m'a proposé de rompre mon contrat pour réaliser un transfert, j'ai préféré aller au terme de mon contrat. J'ai ainsi eu la liberté de négocier mon salaire dans mon deuxième club, l'AS Saint-Étienne. De même, au terme de mon contrat avec Saint-Étienne, j'ai négocié librement mon salaire avec la Juventus de Turin.

Aujourd'hui, aller au bout du contrat n'intéresse plus personne, et surtout pas les clubs. Il arrive même que l'on prolonge un contrat dans le but de le rompre et de réaliser un transfert. Ce n'est pas honnête.

M. Alain NÉRI : Nous sommes au cœur du problème. Avant 1972, les joueurs avaient un contrat sans durée définie. Les contrats d'une durée déterminée ont été un grand progrès. C'est une dérive grave que de signer des contrats pour ne pas les respecter.

M. Michel PLATINI : Dans l'avenir, il conviendra de beaucoup travailler sur les indemnités de formation des jeunes. Au bout d'un certain temps, je pense qu'on n'hésitera pas à faire des contrats de deux ans, qui iront à leur terme. Et il n'y aura plus de transferts. C'est encore trop tôt aujourd'hui, mais on y arrivera un jour.

M. le Président : C'est un point sur lequel je reviens souvent. Aux États-Unis, il n'y a pas de transferts de club à club. Il y a éventuellement des échanges de joueurs, qui correspondent à des additions de masses salariales. L'agent d'un joueur n'a aucun lien dans les discussions de club à club, et il est évidemment rémunéré par le joueur.

M. Michel PLATINI : En effet, si je suis dirigeant d'un club et que je demande au président d'un autre club combien il demande pour le transfert de l'un de ses joueurs, je ne vois pas pourquoi un agent viendrait participer à la négociation. Vous savez quelle est la vraie raison pour laquelle on passe par un agent.

M. Henri NAYROU : Bien sûr ! Cela permet de couvrir des rétro-commissions.

M. le Président : Les instances nationales du football nous disent que leur rôle se limite à vérifier si l'agent est bien inscrit sur la liste des agents accrédités. Alors que l'organe de contrôle est le garant de la pérennité financière du club, il connaît le montant du transfert, la rémunération du joueur, le nom de son agent, mais pas la rémunération de celui-ci. C'est surréaliste. Qu'on ne vienne pas dire, dans ces conditions, que l'on est vraiment soucieux d'assurer la transparence des opérations.

M. Michel PLATINI : Mais aujourd'hui, ce sont les clubs qui commandent. Personne n'ira contre eux. C'est leur intérêt de payer les agents.

M. le Président : La DNCG, c'est la Fédération.

M. Alain NÉRI : Il faut rappeler que nous sommes chargés de l'organisation du sport dans ce pays. Les fédérations sont délégataires d'un service public. Il est donc bien de la responsabilité du législateur de supprimer la cause des dysfonctionnements. En l'occurrence, le problème sur lequel nous nous penchons résulte du fait que des personnes qui ne servent à rien sont rémunérés copieusement.

M. Michel PLATINI : Il n'y a qu'une solution : que les joueurs rémunèrent les agents, et qu'il soit interdit aux clubs de les rémunérer. Cela réglera le problème. Car les joueurs ne paieront les agents que jusqu'à un certain point.

M. Henri NAYROU : En outre, ce système aboutit à ce que beaucoup d'argents sortent du monde du football.

La spécificité des joueurs de votre génération est qu'ils allaient au terme de leur contrat afin que leur club ne les négocie pas comme s'ils étaient des actifs. La valeur d'un joueur était adossée à la négociation de son salaire et non de son transfert. Le cercle vertueux serait que chacun aille au bout de son contrat, et qu'il soit libre de négocier avec le président de son club pour améliorer son salaire.

Comment peut-on limiter les excès de ces contrats qui connaissent des ruptures à répétition et cela, sans attenter à la liberté des joueurs et des clubs ?

M. le Président : Si les transferts se faisaient dans les règles de l'art, y compris les dispositions fiscales, leur nombre diminuerait de lui-même.

M. Michel PLATINI : À mon époque, c'étaient d'autres mœurs. Il n'y avait pas de transferts.

M. Henri NAYROU : On a également évoqué la possibilité d'organiser le transfert par acte notarié, voire de déposer le montant du transfert sur le compte d'une caisse du genre de la CARPA, la Caisse autonome de règlement pécuniaire des avocats.

M. Michel PLATINI : Il est souhaitable que les transactions passent par un seul organisme relevant, soit de la FIFA, soit de l'UEFA, soit de la fédération ou de la ligue nationale. Mais encore une fois, les membres des comités exécutifs de la FIFA ou de l'UEFA ne connaissent pas le monde du football, ils ne comprennent pas les pratiques des clubs.

Les ligues représentent un vrai danger pour les fédérations nationales.

M. le Président : On ne pouvait pas éviter un certain cloisonnement entre le monde professionnel et le monde amateur.

M. Michel PLATINI : Certes, mais il n'était pas nécessaire que la ligue soit dirigée par quelqu'un élu par les clubs. Il était tout à fait possible de faire nommer un directeur général de la ligue par la fédération.

M. Alain NÉRI : C'est le bon sens même. Les fédérations sont délégataires d'une mission de service public. Ce sont elles qui doivent organiser le sport, dans quelque discipline que ce soit. Aujourd'hui, ce sont les ligues qui, parce qu'elles possèdent l'argent, dirigent le sport. Et les fédérations ne comptent plus. Ce n'est pas acceptable.

M. Michel PLATINI : J'ajoute que les ligues veulent à présent organiser les compétitions européennes.

M. Alain NÉRI : Au mois de septembre dernier, la NBA (213) a prétexté l'organisation d'une tournée pour faire avancer son projet d'organiser le championnat du monde des basketteurs, un championnat qui serait fermé, aucune équipe ne pouvant descendre en division inférieure. C'est tout de même extraordinaire ! Un tel système est fondé sur le fric, et se réduit à l'organisation d'un spectacle. Il faut renforcer les fédérations.

M. le Président : Cela dit, de telles dérives ont également lieu dans les fédérations.

M. Michel PLATINI : Les ligues professionnelles veulent le pouvoir. C'est vraiment dangereux. La Ligue européenne de football professionnel veut organiser demain la Ligue des champions. Celle-ci ne serait plus organisée par l'UEFA. Ce serait un système analogue à la NBA.

M. Alain NÉRI : C'est ce qu'a fait Rupert Murdoch en créant une Super League mondiale de rugby à treize.

M. le Président : Nous sommes loin des agents.

M. Alain NÉRI : Nous y sommes, au contraire, puisque le fond du problème est le règne de l'argent.

M. le Président : La préoccupation de notre mission d'information est que le sport professionnel soit soumis aux mêmes règles que toute autre activité économique. À partir de là, des règles particulières peuvent être instaurées dans le sport, mais c'est au monde sportif qu'il appartient de les mettre en place.

M. Michel PLATINI : Je ne pense pas que ce soit à lui, et seulement à lui, de les mettre en place.

M. le Président : Le législateur peut-il légiférer en toute matière, y compris sur les règlements sportifs ?

M. Michel PLATINI : Il y a des spécificités dans le sport comme il y en a dans la culture. Je ne vois pas de raison de lui réserver un traitement différent. Le sport n'est pas moins important que la culture, sauf en France, il est vrai.

M. Henri NAYROU : M. Platini nous a fait deux propositions claires. La première est que les agents soient rémunérés par ceux qui sollicitent leurs services. La seconde est que les transferts soient contrôlés par un organisme unique. À cet égard, il me semble que la DNCG ne devrait pas se contenter d'une évaluation générale de la situation financière des clubs, mais devrait aussi examiner la nature des transferts.

M. le Président : C'est ce que nous disons depuis le début. Mais ce point de vue n'est pas celui de la majorité des personnes que nous avons auditionnées.

M. Alain NÉRI : Nous avons auditionné des personnes dont nous contestons le rôle qu'elles jouent.

M. Michel PLATINI : Quand des personnes sont parties prenantes d'un système, il est normal qu'elles ne souscrivent pas à des propositions qui pourraient avoir pour effet de le remettre en cause.

M. le Président : Nous n'avons pas auditionné que des personnes parties prenantes de ce système.

M. Henri NAYROU : Cela dit, il est vrai qu'un certain nombre de personnes pratiquent une espèce de chantage à la tranquillité. En mettant en avant la nécessité d'un climat apaisé, elles proposent de légaliser les pratiques illégales. Même quelqu'un comme M. Davenas, qui n'est pas n'importe qui, propose de modifier la loi au motif que cela permettrait une meilleure transparence. C'est un raisonnement aussi contestable que celui qui prône la cotation en bourse des clubs au motif que cela assurerait la transparence financière.

M. Michel PLATINI : Cela dit, la cotation en bourse est demandée par Bruxelles.

M. Henri NAYROU : Tout cela revient à dire qu'il faut, pour atteindre l'objectif recherché, prendre des mesures contraires à l'esprit de la compétition sportive.

M. le Président : Ne soyons pas non plus naïfs. Ce n'est pas parce que l'agent sera payé par le joueur que nous aurons supprimé tout recours à des intermédiaires en vue d'organiser l'évasion fiscale. Il faut créer un climat d'insécurité à tous les niveaux, pour que le contrôle et la transparence dissuadent un certain nombre de pratiques. Des outils existent d'ores et déjà, qui ne sont pas complètement utilisés par les fédérations et par les ligues. Il n'y a pas de réelle volonté de contrôler, y compris en France. Quand une instance chargée de veiller à la pérennité financière des clubs ne connaît pas le montant des sommes versées aux intermédiaires dans le cadre des transferts, qu'on ne vienne pas me dire qu'elle est soucieuse de transparence ! Elle ne vérifie qu'a posteriori, deux fois par an, à l'occasion des comptes intermédiaires et des comptes de fin d'exercice, si les montants des commissions des agents correspondent aux montants budgétés.

M. Michel PLATINI : Au départ, la DNCG était seulement chargée de vérifier que la situation financière des clubs leur permet effectivement d'engager les dépenses liées au paiement des salaires et aux transferts.

M. le Président : Pour vérifier si les dépenses des clubs correspondent à leurs recettes, il faut bien disposer de toutes les données.

M. Henri NAYROU : La DNCG n'a pas trop envie d'examiner de près les transferts. Le système est tellement opaque que personne n'a intérêt à s'y intéresser de trop près.

M. le Président : Je ne vois pas comment la DNCG peut juger de la pérennité financière d'un club si elle ne dispose pas de tous les aspects financiers des transferts. Encore une fois, il faut que les outils qui existent déjà soient effectivement utilisés. Cela dit, la DNCG n'a peut-être pas les moyens humains d'effectuer tous les contrôles nécessaires.

Monsieur Platini, je vous remercie de votre contribution aux travaux de notre mission d'information.

Audition de M. Jean-Pierre BERNÈS, agent sportif

(19 décembre 2006)

Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Monsieur Bernès, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

En tant qu'agent sportif et au regard de votre expérience du monde du football, vous êtes à même d'apporter à la mission parlementaire un éclairage utile sur le rôle des agents sportifs et les conditions dans lesquelles sont réalisés les transferts de footballeurs. Vous avez exercé, outre l'activité d'agent, des responsabilités de dirigeant, ce qui nous conduira d'ailleurs à vous demander si le va-et-vient entre la qualité d'agent et celle de dirigeant est une bonne chose. Le mélange des genres est-il possible ?

M. Jean-Pierre BERNÈS : On ne peut pas être à la fois agent de joueur et diriger un club. Il y a là un mélange des genres qui n'est pas possible, en effet. Par contre, il me semble anormal que quelqu'un qui a cessé d'être agent ne puisse pas être dirigeant. Depuis que je suis agent, je suis sans arrêt sollicité pour être dirigeant de club. Que l'on puisse être tour à tour agent et dirigeant ne me heurte nullement.

M. le Président : Le mélange des genres a abouti à certaines dérives. Elles ne sont pas forcément dues au fait que l'on passe d'un métier à un autre. Mais il y a tout de même, à un moment donné, collusion d'intérêts. Quand vous êtes l'agent de plusieurs joueurs, dont certains jouent dans un club dont vous allez devenir dirigeant, c'est un peu délicat.

M. Jean-Pierre BERNÈS : Il est vrai qu'on peut se poser la question de savoir si un dirigeant qui a été agent ne serait pas tenté de recruter les joueurs dont il a été l'agent. Cela dit, un dirigeant a pour souci de mener une politique de recrutement dans l'intérêt du club. Il me semble dommage de ne pouvoir être dirigeant si l'on a été agent. Au demeurant, il y a d'autres situations qui peuvent faire naître des conflits d'intérêts. Certains entraîneurs conseillent des joueurs, par exemple.

M. le Président : L'agent est bien souvent rémunéré par le club, alors même qu'il est censé défendre les intérêts de tel ou tel joueur. Ce n'est pas ce que prévoit la loi. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Pierre BERNÈS : Officiellement, les clubs rémunèrent les agents parce qu'ils leur ont confié un mandat, lequel est en réalité rédigé le jour même de la transaction et antidaté. À chaque transfert dont je m'occupe, ce sont les clubs qui me rémunèrent. Cela a toujours été ainsi. Depuis que je suis dans le football, je n'ai jamais vu un joueur rémunérer son agent. Normalement, le joueur doit rémunérer l'agent quand celui-ci a déposé à la fédération le contrat qui le lie au joueur. Je m'occupe d'une quinzaine de joueurs ; je ne dépose jamais un contrat à la Fédération française de football (FFF). Ce sont les clubs qui me font un mandat.

M. Henri NAYROU : Ce sont des mandats de recherche qui s'effectuent au-delà de votre portefeuille de joueurs ou sur votre portefeuille ?

M. Jean-Pierre BERNÈS : Au-delà de mon portefeuille. Le président de tel club, disons l'Olympique lyonnais, me dit qu'il est intéressé par Squillaci, joueur de Monaco. Une négociation a lieu. Au moment de la transaction, un mandat est rédigé, aux termes duquel l'Olympique lyonnais m'a mandaté pour rechercher un défenseur central de niveau international, le montant du transfert étant inférieur à 10 millions d'euros, la rémunération étant comprise entre 50 000 et 200 000 euros.

M. Alain NÉRI : Mais comment pouvez-vous dire que vous avez un portefeuille de quinze joueurs si vous n'avez pas de contrat avec eux ?

M. Jean-Pierre BERNÈS : Je suis lié à eux par un contrat moral. C'est le cas de tous les agents.

M. Alain NÉRI : C'est tout de même curieux !

M. Henri NAYROU : C'est curieux, contraire à la loi française, et contraire au règlement de la FIFA, lequel prévoit clairement que l'agent doit être rémunéré par celui qui a fait appel à ses services. Tout le monde passe outre, et tout le monde ferme les yeux. Il est gênant, du point de vue de l'éthique, que l'agent auquel un joueur a fait appel soit rémunéré par une tierce partie.

M. Jean-Pierre BERNÈS : Que le joueur rémunère l'agent ne serait pas un problème pour celui-ci. Cela pose un problème au club et au joueur. Si c'est le joueur qui paie les honoraires, le montant de ceux-ci sera intégré au salaire du joueur. Le club paiera des charges sociales plus importantes. C'est bien au club que cela pose un problème, et non à l'agent, qui est indifférent au fait d'être payé par le club ou par le joueur.

M. le Président : Le système introduit la suspicion et le mélange des genres. Normalement, le transfert du joueur n'a rien à voir avec sa rémunération, sauf si le transfert inclut une rémunération déguisée dans le but d'échapper aux charges sociales ou à l'impôt.

Il est gênant que ce soit le même agent qui, d'une part, négocie le salaire du joueur, et d'autre part, se trouve au milieu de discussions avec lesquelles le joueur n'a pas grand-chose à voir, c'est-à-dire les discussions entre deux clubs.

M. Jean-Pierre BERNÈS : Normalement, cela ne doit jamais arriver. En tout cas, cela ne m'est jamais arrivé.

M. le Président : Vous êtes aussi rémunéré sur le transfert.

M. Jean-Pierre BERNÈS : Non, pas du tout. Un agent ne peut pas être rémunéré deux fois. Soit l'agent est payé sur la rémunération du joueur, soit il l'est sur le montant du transfert. Un agent ne peut pas percevoir deux commissions.

M. Alain NÉRI : Le problème de fond est qu'une loi existe et qu'elle n'est pas respectée, au motif que cela arrange tout le monde. Si demain, les conducteurs ne respectent plus les feux rouges parce que cela les arrange de ne plus les respecter, un certain nombre de carambolages risquent de se produire ! Et c'est bien à des carambolages que nous assistons dans le milieu du football.

Vous nous dites que vous vous occupez de quinze joueurs, avec lesquels vous n'êtes pourtant lié par aucun contrat. Ce n'est pas la logique. Si j'ai une femme de ménages, je signe un contrat avec elle.

M. Jean-Pierre BERNÈS : Si l'on me disait, demain matin, que je serai dorénavant rémunéré par les joueurs et non par les clubs, cela ne me poserait aucun problème.

M. le Président : Vous avez cité l'exemple de Squillaci, qui jouait à Monaco. Vous négociez avec le club de Monaco ?

M. Jean-Pierre BERNÈS : Non, pas du tout. C'est au président de l'Olympique lyonnais de négocier avec Monaco. C'est une fois que les deux clubs sont d'accord que je discute avec le président de l'OL au nom du joueur.

M. Henri NAYROU : Dans ce cas, qui prend l'initiative du transfert ? Est-ce Squillaci qui vous parle de Lyon, est-ce vous qui lui en parlez, est-ce M. Aulas qui souhaite le recruter ?

M. Jean-Pierre BERNÈS : Il n'y a pas de règle en la matière. Le transfert est dans l'intérêt Monaco, de Lyon et du joueur. D'ailleurs, il ne se ferait pas s'il ne correspondait pas aux intérêts des trois parties.

M. Henri NAYROU : Il y a quatre parties. Vous, l'agent, pouvez être le conseil de Monaco, de Lyon, et du joueur. L'agent a intérêt à faire la meilleure opération pour le joueur et pour lui-même.

M. Jean-Pierre BERNÈS : Je ne suis pas de ceux qui font partir des joueurs à l'étranger à l'âge de 18 ou 20 ans. L'agent qui a une conception purement mercantile de son rôle aura tendance à faire partir les joueurs sans arrêt. Personnellement, je suis contre le mercato d'hiver. Certains joueurs qui ont signé en juillet veulent partir à l'occasion du mercato au motif qu'ils restent sur le banc de touche. Dans ces cas-là, je dis au joueur qu'il vaut mieux se battre pour gagner sa place sur le terrain et au moins finir la saison. Je ne fais partir un joueur que quand son départ présente un intérêt sportif pour lui.

M. le Président : Vous êtes donc rémunéré par le club sur le salaire du joueur. Vous n'êtes rémunéré en rien sur le transfert ?

M. Jean-Pierre BERNÈS : Il m'est arrivé d'être rémunéré uniquement sur le transfert, et pas sur la rémunération du joueur.

M. le Président : Parce que, dans ces cas-là, vous êtes intervenu uniquement dans les négociations portant sur le transfert.

M. Jean-Pierre BERNÈS : Exactement. Par exemple, un président de club m'appelle, me dit qu'il a un joueur à vendre et me demande si je peux l'aider à le vendre. J'appelle quatre ou cinq clubs pour savoir lequel peut être intéressé. Dans ce cas, je suis payé par le club vendeur.

M. Henri NAYROU : Dans ce cas, il est parfaitement normal que vous soyez rémunéré par le club.

M. Jean-Pierre BERNÈS : Il m'est arrivé d'intervenir dans le transfert d'un joueur sans le connaître, sans l'avoir rencontré une seule fois, sans même qu'il sache qu'il a été transféré grâce à moi. Dans ce cas, je suis payé par le club qui m'a demandé d'intervenir.

M. le Président : Quand il s'agit de joueurs d'une faible notoriété, on comprend qu'il soit nécessaire de recourir à des intermédiaires. Mais les clubs ont souvent une équipe de recruteurs. Pourquoi, s'agissant de joueurs connus, les contacts ne se font-ils pas directement entre clubs ?

M. Jean-Pierre BERNÈS : Il arrive que des présidents refusent de recourir à un agent et préfèrent traiter directement avec le club. Parfois, c'est plus difficile. Il peut arriver que deux présidents de clubs ne s'adressent pas la parole. Ce fut le cas, à une certaine époque, des présidents de Bordeaux et de Marseille. Et pourtant, il n'y a jamais eu autant de transactions entre ces deux clubs qu'à cette période, justement parce que des personnes ont joué le rôle de médiateur.

Certains agents s'occupent uniquement de transactions entre clubs. Même si les négociations sont parfois difficiles, ces agents n'ont pas à assurer le suivi d'un joueur.

M. le Président : On observe un manque de transparence sur les flux financiers. Quelles mesures pourrait-on, selon vous, mettre en œuvre pour y remédier ?

M. Jean-Pierre BERNÈS : Il ne faut pas non plus noircir la profession d'agent. L'agent est important pour le football. Et j'estime qu'un joueur a besoin d'un agent.

M. Alain NÉRI : Mais précisément, si les joueurs ont besoin d'un agent, pourquoi les choses ne sont-elles pas officialisées ? Il serait bon sache que le joueur X a pour agent M. Y.

M. Jean-Pierre BERNÈS : Il me semblerait normal que des contrats entre l'agent et le joueur soient déposés à la Fédération. Cela n'empêcherait pas que ce soit le club qui rémunère l'agent, dès lors qu'il rémunère celui qui est officiellement l'agent du joueur. Cela serait plus clair. Au contraire aujourd'hui, les clubs rédigent un mandat de recherche après s'être assurés que l'agent n'est pas officiellement l'agent du joueur, qu'il n'a pas déposé un contrat à la Fédération.

M. Alain NÉRI : Si je vous prends comme agent, c'est que j'attends un service de votre part. Il est normal que je rémunère le service que vous me rendez. On peut même prévoir dans le contrat les règles de rémunération de l'agent.

M. Jean-Pierre BERNÈS : Prenons le cas d'un joueur qui est libre. Il va jouer au Havre. En quoi est-il gênant que le club du Havre me rémunère, dès lors qu'il sait que je suis officiellement l'agent du joueur ?

M. Alain NÉRI : Ce qui n'est pas logique, c'est que le service ne soit pas rémunéré par celui auquel il est rendu.

M. Jean-Pierre BERNÈS : On a l'impression que ce sont les agents qui ont imposé aux clubs de les rémunérer ! Ce n'est pas du tout le cas. Être rémunéré par le joueur ne me poserait aucun problème.

M. Alain NÉRI : Mais vous comprenez bien qu'il sera plus facile pour vous d'obtenir que le joueur vous rémunère effectivement si vous avez signé un contrat au préalable.

M. Jean-Pierre BERNÈS : Tout à fait. C'est pour cela que je propose de déposer les contrats officiellement. Cela peut aussi être un moyen de s'assurer que les joueurs respecteront le contrat qui les lie à leur agent. Il n'est pas facile de travailler avec un joueur qui peut rompre avec vous du jour au lendemain.

Cela étant, tout ne repose pas sur les contrats. Le football est une activité particulière. C'est un sport.

M. Alain NÉRI : C'est un sport, certes, mais c'est aussi par certains côté un business.

M. Jean-Pierre BERNÈS : Vous voulez sans doute parler de ce qu'on appelle les dérives financières. Il faut savoir que le budget des clubs de Ligue 2 n'a rien à voir avec celui des clubs de Ligue 1. En Ligue 2, le salaire moyen est de 15 000 euros par mois, soit 180 000 euros par an. Sur trois ans, c'est 540 000 euros. En touchant une commission de 8 %, l'agent percevra 43 000 euros, payables année par année. Ce n'est pas une somme considérable.

En Ligue 1, il y a 420 joueurs, dont tous ne jouent pas dans de très grands clubs.

M. Alain NÉRI : Les sommes que vous citez ne sont tout de même pas de petites sommes !

M. Henri NAYROU : Seriez-vous d'accord pour que soit déposée à la Ligue une liste des agents, précisant de quels joueurs ils sont les agents ?

M. Jean-Pierre BERNÈS : Je pense qu'il serait bon que les contrats soient déposés, mais tout en maintenant la possibilité de les rompre. Certains agents n'ont que peu d'expérience. Gérer la carrière d'un joueur professionnel n'est pas facile. Si un jeune joueur de 19 ans a un agent incompétent, il faut qu'il puisse s'en séparer.

M. le Président : On observe également des dérives s'agissant de transferts internationaux. Quel est le rôle des agents dans ces transferts ? Il arrive par exemple qu'un joueur en fin de contrat soit « transféré » dans un club intermédiaire dans le seul but de justifier un second transfert. Les règles ne créent pas suffisamment de sécurité pour éviter de telles dérives.

M. Jean-Pierre BERNÈS : Il y a des dérives quand plusieurs agents interviennent. Il arrive que certains agents aient de bonnes relations avec certains clubs, et vice versa. Dans ce cas, quand on appelle le club, il nous renvoie à tel agent. C'est un problème.

M. le Président : On comprend bien que, vu l'importance des sommes en jeu, certaines personnes souhaitent être au cœur des transferts. Des intermédiaires interviennent, parfois des agents, parfois des sociétés, lesquelles rémunèrent les joueurs. Ce système ne peut pas satisfaire le législateur que nous sommes.

M. Alain NÉRI : Ne peut-on pas envisager de mettre en place un système de plafonnement des rémunérations des agents, ou d'adopter un système de rémunération dégressive ? Plus le montant du transfert ou du salaire est important, plus le pourcentage diminue.

M. Jean-Pierre BERNÈS : En principe, les commissions des agents sont plafonnées à 10 %. Cela peut se faire pour des salaires de Ligue 2. Mais en Ligue 1, lorsqu'il s'agit de sommes très importantes, les présidents de clubs n'accordent jamais une rémunération de 10 %. La commission est donc, de fait, dégressive. Il ne serait pas gênant de le préciser.

M. le Président : Quand vous êtes payé par le club, vous êtes payé au fur et à mesure que les salaires sont versés.

M. Jean-Pierre BERNÈS : Non, je ne veux pas être payé année par année. Je suis payé au maximum sur une durée de deux ans. Quand vous payez un agent immobilier, vous ne le payez pas sur dix ou quinze ans.

M. le Président : Dans le cas d'une transaction immobilière, l'agent n'a plus de relations contractuelles avec les parties, tandis que vous avez, vous, une relation contractuelle avec le joueur.

M. Jean-Pierre BERNÈS : Il n'y a pas de contrat avec le joueur. Le club adresse à l'agent un mandat de recherche. À partir du moment où la transaction est faite, je ne vois pas pourquoi le club paierait l'agent sur plusieurs années. Dans les faits, cela se négocie avec le club. Il peut payer l'agent en une seule fois, ou échelonner les rémunérations de l'agent sur quatre ans, si le contrat est de quatre ans.

M. le Président : La logique voudrait que vous soyez payé au fur et à mesure du déroulement du contrat.

M. Jean-Pierre BERNÈS : Pourquoi ?

M. le Président : Parce que la prestation de l'agent consiste dans le fait qu'il a aidé à la signature d'un contrat entre le club et le joueur.

Si vous étiez payé par le joueur, il vous paierait année par année.

M. Jean-Pierre BERNÈS : Cela dépendrait de l'accord. On ne sait pas si le joueur paierait année par année. Si l'agent demande à être payé en une année, il se peut fort bien que le président de club verse au joueur la somme correspondante pour qu'il vous rémunère en une année.

M. le Président : Il est clair que cela fera partie de la négociation, et que c'est in fine le club qui paiera.

M. Jean-Pierre BERNÈS : C'est d'ailleurs pour cela que je ne vois pas en quoi il est gênant que ce soit le club qui rémunère l'agent. Si c'est le joueur qui le paie, je ne sais pas si les choses seront beaucoup plus claires.

M. le Président : Le syndicat des joueurs est favorable à ce que les joueurs rémunèrent les agents.

M. Jean-Pierre BERNÈS : Ils aimeraient être agents, et constatent que les joueurs préfèrent s'adresser aux agents qu'au syndicat des joueurs. Le syndicat des joueurs n'aime pas trop les agents. Dans tous les autres pays, ce sont les clubs qui rémunèrent l'agent. Encore une fois, je ne vois pas en quoi c'est gênant.

M. Henri NAYROU : Ce qui me choque, ce n'est pas le fait que les clubs vous donnent un mandat de recherche.

M. Jean-Pierre BERNÈS : Moi, cela me gêne. Le mandat de recherche sert seulement à justifier le versement de la rémunération de l'agent. Je pense que le club devrait payer l'agent, dès lors que le contrat qui lie celui-ci au joueur a été officiellement déposé.

Supposons que le président Aulas me donne un mandat de recherche en vue de recruter un gardien de but. Je lui trouve ce gardien. Mais celui-ci a un agent. Qui le club doit-il rémunérer, l'agent du joueur ou moi ?

M. le Président : L'agent du joueur est rémunéré sur le salaire du joueur. Vous, vous avez fourni une prestation, qui doit être rémunérée, et pas forcément sous la forme d'un pourcentage, d'ailleurs.

M. Jean-Pierre BERNÈS : Cette formule n'est pas simple. On ne peut pas payer deux agents pour la même prestation.

M. le Président : Ce n'est pas tout à fait la même prestation. Il y a d'un côté l'agent qui négocie la rémunération du joueur, et de l'autre celui qui a détecté le joueur susceptible d'être recruté par le club.

M. Jean-Pierre BERNÈS : Il est fréquent que la présence de deux agents soit source de conflits. Par contre, il est bon qu'un agent intervienne pour vendre un joueur. Un président de club utilise les services d'un agent parce que celui-ci est compétent sur le marché espagnol, sur le marché italien, sur le marché français.

M. Henri NAYROU : D'autres agents nous ont dit clairement que la sécurité, c'est d'être payé par les clubs. Mais le problème est que, même si le système arrange tout le monde, le joueur demande à avoir un conseil et que celui qui le lui fournit est payé par l'autre partie.

M. Jean-Pierre BERNÈS : Le problème est là, en effet. Je ne sais pas comment les choses se passent dans d'autres sport, ou pour les artistes.

M. Henri NAYROU : Les agents d'artistes ne participent pas à des transferts. À cet égard, j'ai été excédé d'entendre M. Bouchet affirmer que l'OM devait être propriétaire des droits de télévision sur le spectacle qu'il produisait lui-même, comme Johnny Hallyday. Johnny Hallyday n'a pas besoin de l'équipe de Nancy ou de Lorient pour faire un spectacle.

M. Alain NÉRI : C'est là toute la différence. Pour jouer au football, il faut être au moins deux !

M. Henri NAYROU : L'agent intervient sur des transferts développant une valeur marchande, donc beaucoup d'argent. Le problème est là. S'il n'y avait pas de transferts, l'agent serait uniquement un conseil pour le joueur.

M. Alain NÉRI : On a instauré les contrats à durée limitée en 1972. Auparavant, les joueurs avaient un contrat à vie, qui s'apparentait à de l'esclavage. Seriez-vous favorable à ce que l'on réduise la durée des contrats à deux ans, en imposant que leur durée soit respectée? Au terme du contrat, le joueur serait libre. Cela éviterait la multiplication de transferts.

M. Jean-Pierre Bernès : Je suis contre le mercato. Il n'est pas normal qu'un joueur qui a signé en juillet veuille partir en novembre au motif qu'il reste trop souvent sur le banc de touche. Un contrat doit être respecté.

M. Henri NAYROU : Le nombre de transferts au cours d'une carrière pourrait être limité.

M. Jean-Pierre BERNÈS : Ou alors, on pourrait imposer un minimum de deux ans dans un même club.

M. le Président : Monsieur Bernès, je vous remercie de votre contribution aux travaux de notre mission d'information.

Audition de M. José Luis ARNAUT,
ancien vice-premier ministre portugais,
rapporteur de l'Étude indépendante sur le sport européen

(19 décembre 2006)

Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Mes chers collègues, nous accueillons à présent M. José-Luis Arnaut, ancien vice-premier ministre du Portugal rapporteur de l'Étude indépendante sur le sport européen.

Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

Après avoir exercé différentes fonctions ministérielles au Portugal, vous avez mené à bien, en tant que rapporteur, la réalisation d'une étude indépendante sur le sport européen, initiée par la présidence britannique de l'Union européenne en décembre 2005. L'étude publiée sous votre responsabilité, et qui fait aujourd'hui référence, passe en revue les différents aspects du football professionnel qui nécessitent une plus grande implication des institutions européennes et des institutions sportives internationales, la Football international de football association (FIFA) et l'Union des associations européennes de football (UEFA). Vous êtes à même d'apporter à la mission d'information parlementaire un éclairage utile sur la dimension européenne des deux sujets qui l'occupent, les transferts de footballeurs et le rôle des agents sportifs.

Je propose qu'après un rapide retour sur le déroulement de l'étude et les principales conclusions auxquelles vous êtes parvenu, nous engagions le débat sur ce sujet à partir des questions des membres de la mission.

M. José-Luis ARNAUT : L'étude indépendante qui a été publiée sous ma responsabilité a surgi comme une nécessité. Au vu des trop nombreux scandales qui ont éclaté, les gouvernements de cinq pays - la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Italie et l'Espagne -  sont parvenus, avec l'UEFA et la FIFA, au constat qu'une réaction s'imposait. L'article III-282 du projet de traité constitutionnel européen n'a pu entrer en vigueur du fait des rejets français et néerlandais. Il fallait donc se demander ce qu'il était possible de faire étant donné l'incertitude juridique quant aux compétences européennes. Il est possible de s'appuyer sur l'annexe de la déclaration de Nice, qui reconnaît la spécificité du modèle européen en matière sportive. La présidence britannique a pris le dossier en charge et a créé une commission indépendante, dont j'ai été nommé président. Nous avons travaillé avec beaucoup d'experts et mené de larges consultations. Notre rapport a été bien accueilli.

Il poursuit trois objectifs majeurs : la définition du modèle sportif européen ; la reconnaissance de la spécificité du sport ; l'inventaire des instruments juridiques aux niveaux européen et national.

L'Europe représente 60 % du sport mondial et 80 % du football international. Le sport européen est une activité économique, qui représente 3,65 % du PIB européen et 3 % du PIB mondial. L'Europe emploie 15 millions de personnes dans le secteur sportif, soit 5,4 % de la force de travail européenne.

Le sport européen a généré en 2004 un chiffre d'affaires de 407 milliards d'euros. Les cinq meilleurs clubs de football ont un chiffre d'affaires de quelques 9 milliards d'euros.

Le modèle européen du sport repose sur une pyramide : le sport de base, les clubs, les fédérations, et les confédérations. Deux principes essentiels le caractérisent : le premier est le principe de solidarité entre les acteurs du système, qu'ils soient professionnels ou amateurs ; le second est le principe du championnat ouvert, avec promotion ou relégation d'une division à l'autre, contrairement au système américain, où les compétitions sont organisées dans le cadre d'une ligue fermée.

La question essentielle est de savoir comment atteindre un équilibre entre les aspects traditionnels du sport européen et sa dimension économique, car le sport brasse des millions d'euros. C'est là que les autorités sportives, et surtout les gouvernements, doivent intervenir. Si l'on ne fait rien, l'incertitude juridique relative aux compétences européennes et l'absence d'accord politique conduiront à ce que l'organisation du sport résulte des arrêts de la Cour de justice des communautés européennes, et des décisions prises, cas par cas, au gré des volontés exprimées par les commissaires européens.

Il importe donc que les gouvernements et les instances sportives travaillent ensemble pour dresser un état des lieux et préciser les instruments juridiques à la disposition de toutes les parties intéressées.

Nous sommes favorables au maintien de la spécificité. C'est un trait distinctif du modèle européen, qu'il importe de préserver.

L'autonomie du sport, à laquelle les instances sportives sont très attachées, doit également être préservée. Mais il ne faut jamais oublier que si les autorités sportives sont autonomes, c'est par le biais de délégations de pouvoirs qui leur sont consenties par les autorités publiques. Elles exercent ces pouvoirs non pas en vertu d'un droit naturel, mais en application du principe de subsidiarité, selon lequel les acteurs les plus proches du terrain sont les mieux placés pour régler les problèmes.

M. Alain NÉRI : Vous êtes donc d'accord pour que les fédérations conservent leur délégation de missions de service public.

M. José Luis ARNAUT : Tout à fait. C'est la base du système. Mais il faut tenir compte du fait que les fédérations n'exercent leurs pouvoirs qu'en vertu de la potestas de l'État, et non en vertu d'un droit naturel.

Sur la base de ces principes, nous avons tenté de dégager les principaux problèmes qui se posent dans le sport, et cela à partir d'un cas particulier, celui du football. Nous avons travaillé sur différents problèmes : ceux qui se posent en matière de gouvernance des clubs, ceux relatifs aux transferts et aux agents, ceux liés au blanchiment d'argent et au manque de protection des mineurs, les problèmes très graves qui ont trait aux paris... Nous avons constaté que 90 % des scandales qui ont récemment éclaté concernent les transferts et les agents, et cela dans tous les pays.

Dans certains États, les paris sportifs font l'objet d'un monopole, lequel finance le budget des sports dans des proportions variables, entre 22 et 70 %. Lorsqu'un monopole de loterie nationale a été institué en France, c'était en vertu du principe de solidarité. Mais des sociétés de paris en ligne sont apparues, ce qui a posé deux problèmes. Le premier est celui des matchs truqués. Le second est que l'on ignore l'identité des propriétaires de ces sociétés, lesquelles ont la plupart du temps leur siège en dehors de l'Union européenne. Elles échappent ainsi aux charges sociales et fiscales, tout en bénéficiant des investissements publics qui rendent possibles les championnats nationaux et européens. C'est un changement important qui affecte le modèle sportif européen.

S'agissant des agents et des transferts, on observe l'apparition d'investisseurs étrangers à l'Union européenne qui achètent des clubs, dans un intérêt purement financier. Une même société peut être propriétaire de trois ou quatre clubs européens. Elle peut également être par ailleurs propriétaire d'une société de paris en ligne ayant son siège à l'extérieur de l'Union.

Une autre préoccupation concerne les mineurs. Certains mineurs sont, dès l'âge de 12 ans, recrutés par des clubs pour une durée de dix ans.

Un autre problème est posé par la création de centres de formation en Afrique ou en Amérique latine, ce qui constitue une rupture par rapport au modèle traditionnel selon lequel les clubs jouent un rôle de formation des jeunes, du point de vue social et culturel.

Les problèmes de xénophobie sont également mentionnés dans le rapport.

Nos recommandations s'adressent à l'Union européenne, à ses États membres, et aux instances sportives européennes. Celles-ci doivent adopter des règles plus transparentes, plus démocratiques, et assurer une participation plus active de leurs membres, en reconnaissant toutes les parties intéressées. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé des changements statutaires à l'UEFA, notamment la création d'une commission associant les clubs, les ligues, les joueurs et les supporteurs. Ce comité économique et social donnerait des avis sur tout ce qui concerne les activités sportives. L'UEFA devrait adopter de nouvelles règles au mois de janvier 2007, faute de quoi l'Union européenne ne pourra pas la reconnaître comme interlocuteur direct.

Le système des transferts soulève le problème de la bonne gouvernance du sport. Les transferts au niveau national doivent relever de la compétence nationale, ceux réalisés au niveau européen doivent être appréhendés par des organismes européens et les transferts intercontinentaux doivent relever de la FIFA.

Nous sommes d'accord avec les principes de base qui ont été posés par la FIFA, mais il faudrait les appliquer. L'Europe est prête à réglementer les transferts à partir de ces normes de base.

Sur le plan législatif, l'Europe pourrait créer des réglementations relatives aux transferts à partir des standards établis par la FIFA, mais il faudrait que les fédérations et les législations nationales mettent en œuvre des procédures visant à les faire appliquer effectivement. C'est ainsi que l'UEFA devrait créer une central clearing house, un organisme destiné à assurer la transparence, et par lequel tous les transferts devraient passer. C'est d'ailleurs le système qui a été créé par la ligue anglaise pour les transferts nationaux. Seule l'UEFA a les moyens d'imposer ce système.

M. le Président : Mais on nous dit que l'UEFA n'a pas toujours de bons rapports avec les ligues professionnelles.

M. José-Luis ARNAUT : Nous avons eu des entretiens approfondis avec le G14, qui regroupe 18 clubs. S'il a le droit d'exister - il est d'ailleurs reconnu par l'UEFA - , le problème est qu'il veut davantage de pouvoirs pour les clubs, mais dans le but de défendre des intérêts purement économiques. Le G14 défend les intérêts des clubs les plus riches. Le European Club Forum regroupe quant à lui 102 clubs. Il est plus représentatif de l'ensemble des clubs.

En application du système mis en place par l'UEFA, environ 30 % du chiffre d'affaires de la Ligue des champions est distribué aux petits clubs, qui n'y participent pas. Les clubs du G14 voudraient que cet argent leur soit intégralement versé, ce qui remettrait en cause le principe de solidarité. Ils veulent en outre adopter le système américain des ligues fermées.

Quant aux agents, ils font l'objet de nombreuses critiques. La profession d'agent est la seule à n'être soumise à aucune législation professionnelle. Une directive européenne porte sur la profession d'agent commercial, mais ne s'applique pas aux agents sportifs. Pour sa part, la FIFA n'a pas les moyens juridiques d'agir. C'est pourquoi nous considérons que ce problème doit relever de la compétence de l'État ou de l'Union européenne. Il n'existe pas à l'heure actuelle des critères suffisamment exigeants pour accéder à la profession. Il n'y a pas de transparence. Un même agent peut représenter plusieurs joueurs dans différents clubs. Certains agents ont huit joueurs dans un même club tout en faisant partie de la direction de ce club. D'autres, dans une même affaire, représentent les deux parties. Bref, de multiples cas font l'objet de conflits d'intérêts.

Les règles qui déterminent la rémunération des agents ne sont pas définies. La durée des contrats n'est pas fixée. Une législation doit être adoptée, soit au niveau national, soit au niveau européen. Nous préconisons l'adoption d'une directive, à partir du modèle de la directive relative aux agents commerciaux, qui devrait s'étendre au sport en tenant compte de ses spécificités.

Les ministres des sports ont invité la Commission européenne à rédiger un Livre Blanc sur le sport, inspiré pour partie de notre rapport. Les ministres de cinq pays de l'Union ont rendu public un communiqué le 19 septembre dernier. Ils y affirment la nécessité d'agir pour régler le problème des agents, celui des paris, et pour mieux assurer la protection des mineurs.

Il y a urgence, surtout après l'arrêt Meca-Medina du 18 juillet 2006, par lequel la Cour de justice des communautés européennes s'est reconnue le droit de modifier des décisions prises en application de règles purement sportives. En l'espèce, une nageuse avait été condamnée par la fédération dont elle relevait pour dopage. La Cour s'est octroyée le pouvoir de réduire la sanction prononcée par la fédération. Il appartient aux responsables politiques des États membres et de l'Union européenne de réagir, faute de quoi, ils seront condamnés à suivre le mouvement. Nous avons heureusement constaté une vraie volonté d'agir, que ce soit de la part des gouvernements, des parlements, de la Commission européenne ou du Parlement européen. De leur côté, les fédérations européennes de basket-ball, de handball, de hockey sur glace, de volley-ball, de football ont souscrit à nos recommandations.

M. le Président : Vous avez souligné que les instruments de contrôle existaient mais n'étaient pas utilisés. Le Parlement français a adopté des dispositions législatives interdisant à un club de rémunérer un agent, à un agent d'être dirigeant de club, à un même agent d'être à la fois l'agent d'un joueur et celui d'un club. Et malgré tout, c'est ce qui se passe. En est-il de même dans les autres pays ? Et n'est-il pas nécessaire d'harmoniser les outils législatifs existants dans chaque pays ?

M. José-Luis ARNAUT : En ce qui concerne le football, la situation est à peu près la même dans tous les pays de l'Union. Les pouvoirs politiques ont parfois fermé les yeux sur beaucoup de choses. Plusieurs scandales ont éclaté un peu partout. Une réaction s'impose.

L'Europe a deux grandes spécificités : l'industrie du luxe - 80 % du marché mondial est européen - et l'industrie du football. Nous devons préserver ces spécificités.

M. le Président : Des clubs européens ont été achetés par des fonds extra-européens, ou vont l'être bientôt. La question se pose de savoir comment on peut réagir. Le débat va bien au-delà de l'agent sportif, qui n'est qu'un instrument au sein d'un système.

M. José Luis ARNAUT : Il faut instaurer plus de transparence en réglementant la profession d'agent sportif, en instaurant des sanctions effectives et applicables.

M. le Président : Les sanctions doivent être applicables et appliquées. On constate que la Fédération française et la Ligue n'ont pas forcément la volonté ou les moyens de faire appliquer les règles, y compris celles qu'elles se sont parfois imposées à elles-mêmes.

M. José-Luis ARNAUT : Le système prévu par la FIFA ne fonctionne pas, parce que la FIFA n'a pas les moyens de le faire appliquer. C'est aux pouvoirs publics qu'il appartient d'intervenir, en incitant l'UEFA à créer un système de transferts s'imposant aux clubs, et en adoptant une législation spécifique pour réglementer la profession d'agent sportif.

M. Alain NÉRI : Nous sommes au cœur du problème. Dans le domaine du dopage, certaines pratiques répréhensibles étaient en vigueur, que tout le monde acceptait hypocritement. On constate un phénomène analogue en ce qui concerne les transferts et les agents : les pratiques sont contraires à la législation, mais tout le monde s'en accommode. Le succès dans la lutte contre le dopage a été rendu possible à partir du moment où la justice s'en est mêlée, en s'appuyant sur les enquêtes des services de police, de gendarmerie et des douanes.

M. José-Luis ARNAUT : En effet. Il ne suffit pas de s'en remettre aux fédérations sportives. Il faut réglementer la profession d'agent, en prévoyant des sanctions. Voilà une profession qui brasse dix milliards d'euros et qui n'est soumise à aucune réglementation.

M. le Président : Certes, mais l'agent appartient à un système d'ensemble, qui implique également des dirigeants et des propriétaires de clubs, qui sont de moins en moins identifiés. Ce n'est pas l'agent qui contrôle le système.

M. Alain NÉRI : À cet égard, il n'est pas sans intérêt de noter que celui dont on dit qu'il pourrait être repreneur de l'OM est un inconnu, étranger au monde du football, et que ses moyens financiers sont tels que l'on peut être à peu près sûr que ce n'est pas lui qui peut assumer la transaction, n'ayant qu'une entreprise de 572 salariés au chiffre d'affaires insuffisant. La situation est donc particulièrement floue, et nécessite l'intervention du législateur et l'application effective des règles édictées.

M. José-Luis ARNAUT : Un paragraphe de mon rapport est consacré aux inappropriate or unsuitable persons, c'est-à-dire les personnes indésirables. Tout un chapitre est consacré à la gouvernance des clubs. Les dirigeants d'une société anonyme cotée en bourse sont soumis à une responsabilité civile et pénale. On sait qui ils sont et ce qu'ils font. Pourquoi les clubs de football échapperaient-ils à toute espèce de règle en la matière ?

M. le Président : Le dirigeant d'un club de football français est soumis aux mêmes règles que celui de n'importe quelle entreprise. La plupart des clubs sont des sociétés anonymes. Ils ont un commissaire aux comptes, un comptable. Ils sont soumis à la législation fiscale et sociale. Il n'en reste pas moins que le football semble attirer les personnes les plus troubles, qui ont le sentiment de pouvoir gagner beaucoup d'argent sans faire trop d'efforts, et en très peu de temps.

M. José-Luis ARNAUT : La France a de la chance. Elle ne connaît pas les pires pratiques que l'on a constatées en Europe, en matière de blanchiment par exemple. En Belgique, un homme d'affaires chinois a acheté des clubs de première division tout en étant propriétaire d'une société de paris. Un club belge a essuyé une improbable défaite contre un club finlandais lors d'un match truqué.

Le grand public n'est pas conscient de la situation. Si nous mettions en lumière tout ce qui se passe, la crédibilité du système s'écroulerait. La Commission européenne est très attentive à tout ce qui se passe.

M. le Président : Il faut créer de l'insécurité pour les fraudeurs. Il est très important de noter qu'au niveau européen, les choses sont beaucoup plus avancées qu'on pouvait l'imaginer.

M. José-Luis ARNAUT : Je tiens d'ailleurs à souligner le rôle très important qu'a joué le ministre Jean-François Lamour.

M. Alain NÉRI : Il faut préciser qu'en France, de nombreux clubs sont subventionnés par des collectivités territoriales. Ils reçoivent donc de l'argent public. Certains collègues sont prêts à s'engager très fortement dans les subventions accordées aux clubs sans s'intéresser réellement à ce qui s'y passe. Dans leur esprit, le sport est naturellement animé par des motivations éthiques. Ils ne voient pas l'envers du décor. À cet égard, nous avons un rôle pédagogique à jouer.

M. José-Luis ARNAUT : Notre responsabilité est énorme, en effet. Car nous sommes aujourd'hui à un moment crucial. Si nous ne faisons rien, les choses peuvent nous échapper. Ce constat est partagé par beaucoup au sein des institutions européennes.

Un autre aspect du problème est celui du contrôle des coûts. Les grands clubs peuvent acheter tous les plus grands joueurs. Mais qu'en est-il des autres ?

M. le Président : Préconisez-vous la mise en place d'un système de cost control ?

M. José Luis ARNAUT : Non. Le cost control est contraire aux règles européennes. Nous envisageons plutôt l'instauration de règles budgétaires. La masse salariale d'un club ne pourrait excéder 70 % des dépenses.

M. le Président : Il faudrait, dans ce cas, contrôler les sommes que l'on inscrit au budget général. Il est très facile, par le biais du merchandising par exemple, de faire apparaître des charges telles, que la masse salariale n'atteindra jamais 70 % du budget.

M. José-Luis ARNAUT : Nous proposons d'instaurer un système qui garantisse ce que nous appelons la vérité sportive. Il faut éviter que les grands clubs puissent acheter tous les grands joueurs.

M. le Président : Je suis assez sceptique quant à la possibilité de mettre en place un tel système. Mais nous pouvons encourager les fédérations dans ce sens.

M. José-Luis ARNAUT : Il est certain que nous n'avons pas les moyens juridiques qui nous permettraient de l'imposer.

M. Alain NÉRI : Pour constituer sa fameuse équipe des Galactiques, le Real de Madrid a recruté de très grands joueurs, dont certains sont restés sur le banc de touche. Mais le plus grave est que le législateur espagnol est intervenu pour effacer l'énorme déficit du club.

M. José-Luis ARNAUT : Le chiffre d'affaires du real de Madrid en 2004-2005 a été de 265 millions d'euros.

M. Alain NÉRI : Les grands clubs espagnols sont en train de réaliser des opérations immobilières avec l'accord des municipalités, en vue de donner beaucoup plus de valeur aux terrains qu'ils s'apprêtent à vendre.

M. José-Luis ARNAUT : Le problème se pose, en effet. La fédération espagnole, elle-même, a souhaité acquérir un terrain pour une modique somme, après quoi la modification des règles d'urbanisme aurait eu pour effet une hausse considérable de sa valeur. L'autorité judiciaire a invalidé l'opération. L'ancien président de Telefonica envisage, avec l'appui d'un groupe américain, le rachat du club de Liverpool et envisagerait également des opérations immobilières.

M. le Président : Ce qui est choquant, c'est surtout les enrichissements personnels qui se font au mépris de toutes les règles fiscales et sociales. On est parfois à la limite d'un système mafieux.

M. José Luis ARNAUT : Dans la plupart des affaires impliquant des agents dans des transferts, ce sont des comptes off-shore qui sont utilisés. Personne ne paie d'impôt. Il en est de même des sociétés de paris, qui touchent des sommes énormes sans payer ni impôts ni charges sociales.

M. Alain NÉRI : Nous sommes particulièrement concernés, puisque ces pratiques menacent le monopole de la Française des Jeux.

M. José Luis ARNAUT : Nous ne sommes pas opposés aux paris sur Internet, mais à condition que les règles soient claires, et que l'on sache qui sont les actionnaires et les dirigeants des sociétés de paris. Le football ne doit pas être un monde à part, il faut qu'il obéisse aux lois européennes comme aux lois de chacun des États membres.

M. Alain NÉRI : En outre, cette menace est de nature à remettre en cause le financement du sport dans notre pays, dans la mesure où la Centre national de développement du sport (CNDS) est en partie financé par un prélèvement sur les sommes misées sur des jeux exploités par la Française des Jeux. C'est ce qui permet de financer les équipements sportifs et le fonctionnement des petits clubs.

M. José Luis ARNAUT : C'est un problème réel.

Certains pays ont organisé un concours et ont octroyé l'autorisation d'exercer à deux ou trois sociétés différentes.

M. le Président : Monsieur le ministre, je vous remercie de votre contribution aux travaux de notre mission d'information.

Audition de M. Charles MOLINARI,
Président du Football Club de Metz


(20 décembre 2006)

Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Monsieur le président, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Votre longue expérience de dirigeant d'un club de football de haut niveau vous permet d'apporter à notre mission un éclairage utile sur le rôle des agents sportifs et les conditions dans lesquelles sont réalisés les transferts de footballeurs. Les règles relatives aux transferts vous paraissent-elles satisfaisantes ? Quelles améliorations vous paraissent nécessaires ?

M. Charles MOLINARI : La première question est celle de l'application des règles existantes. Si ces règles étaient appliquées, tant pour les transferts que pour l'activité d'agent, il y aurait déjà beaucoup moins de problèmes, notamment ceux liés au service de l'intérêt personnel qui prévaut chez les acteurs du football. Le système des transferts a toujours fonctionné à peu près correctement pour peu que les gens s'appliquent à respecter les règles. Cela n'est du reste pas spécifique au football : d'une manière générale, la bonne marche d'une entreprise suppose une déontologie, une certaine philosophie de la propreté.

Les transferts franco-français ne posent pas de problèmes particuliers dans la mesure où l'opération se passe entre deux clubs qui se connaissent, si ce n'est la tentation de l'évasion fiscale par la surfacturation d'un joueur pour lui rétrocéder une part du surplus. Ce système, qui évite au club de payer des charges et au joueur de payer des impôts, est bien connu et je n'aurai pas la prétention de vous apprendre le fonctionnement de ce dysfonctionnement. Pour peu que les règles en place soient respectées, il ne devrait pas y avoir de tricheries ; au demeurant, la plupart des clubs français sont gérés tout à fait correctement et par des gens sérieux.

Cela dit, comment éviter les dérapages en matière de transfert ? Ni l'Union européenne de football association (UEFA) ni la Fédération internationale de football association (FIFA) ne sont encore parvenues à trouver un dispositif ad hoc. Pour ce qui me concerne, je n'ai jamais eu à connaître de telles opérations ; et quand bien même, personne n'est obligé d'accepter. C'est la vérité du terrain...

Pour commencer, qu'est-ce qu'un transfert ? On parle de « vendre un joueur », mais il ne s'agit ni plus ni moins qu'une indemnité pour rupture de contrat, souvent traitée de gré à gré, en fonction de l'offre et de la demande. Depuis bientôt quarante ans, et je peux évidemment vous citer bien des exemples de transferts, je n'ai jamais connu de problèmes, même avec des agents. Cela dit, il arrive que l'on nous demande de payer un transfert qui n'en est pas forcément un : ce fut le cas avec un joueur étranger. Ce garçon était libre, à ceci près qu'il existe dans son pays deux types de contrats : le contrat sportif, déposé à la fédération et le contrat dit « commercial » : le joueur appartient à une société. Autrement dit, il y a les droits du foot et les droits commerciaux. Vis-à-vis de la fédération, le joueur était libre, mais pour qu'il soit autorisé à sortir du pays, il fallait que l'investisseur puisse récupérer son argent. Nous avons payé environ 3 millions de francs à l'époque, soit 450 000 euros, pour le libérer, moyennant facture en bonne et due forme. Survient un contrôle fiscal : la facture n'émanant pas du club d'origine, les sommes correspondantes sont considérées comme un salaire déguisé et l'on nous réclame les charges sociales et fiscales afférentes. Nous avons évidemment contesté cette interprétation devant le tribunal administratif de Strasbourg, persuadés de notre bonne foi : la FIFA elle-même ne s'oppose pas à cette pratique, qui est la règle dans certains pays. Il nous est évidemment impossible de prouver que cet argent est effectivement allé à la société concernée ; sans doute des intermédiaires ont-ils touché, et peut-être même le joueur. Mais comment le savoir et comment éviter un tel système, parfaitement naturel dans ce pays ? L'affaire est toujours pendante devant le tribunal administratif.

M. le Président : Mais seuls les pays d'Amérique du Sud sont dans ce cas. En Europe, ce problème ne se pose pas.

M. Charles MOLINARI : En effet. Ce système fonctionne principalement en Amérique du Sud.

M. le Président : Les joueurs sont même parfois divisés en parts...

M. Charles MOLINARI : Effectivement, ce qui complique encore davantage les choses. Les deux joueurs péruviens que nous venons d'acquérir n'appartenaient qu'à leur club. Il était affilié à la FIFA, nous l'avons payé et cela n'a posé aucun problème.

M. le Président : Mais il y avait un agent...

M. Charles MOLINARI : Il y a toujours un agent.

M. le Président : Français ?

M. Charles MOLINARI : Dans le cas du Péruvien, c'était un agent belge qui avait le contrat du joueur.

M. le Président : Et qui négociait en même temps...

M. Charles MOLINARI : Qui servait en même temps d'intermédiaire entre les deux clubs.

M. Alain NÉRI : Il était à la fois l'agent du joueur et l'agent du club.

M. Henri NAYROU : Avec un mandat signé la veille...

M. Charles MOLINARI : En fait, ce n'est pas tout à fait exact. L'agent du joueur est un Péruvien. Mais celui qui a été chargé de l'opération en Europe est un Belge, qui représentait à la fois le joueur, l'agent péruvien...

M. Henri NAYROU : Et qui est devenu celui du club.

M. Charles MOLINARI :... et le club péruvien.

M. Henri NAYROU : Et le FC Metz ?

M. Charles MOLINARI : Nous n'avions pas besoin d'agent, mais il a fallu le payer.

M. le Président : Lui avez-vous fait un mandat ?

M. Charles MOLINARI : Nous lui avons fait un mandat. Vous êtes obligés de fonctionner ainsi si vous voulez le joueur ; sinon, c'est un autre qui l'aura.

Tant que l'on reste en franco-français, il n'y a aucun problème, sinon celui de savoir qui paie l'agent du joueur : c'est généralement le club, et cela fait vingt ans que c'est comme cela. Avant que n'arrive toute cette masse d'argent, il n'y avait pas d'agent ; on traitait de club à club et les choses étaient beaucoup plus claires et simples. Aujourd'hui, c'est un peu différent, et pour tout dire hypocrite. Le jour où l'on obligera le joueur à payer son agent, c'est indirectement le club qui continuera à le payer : le joueur réclamera, en plus de son salaire, un supplément égal à la commission de son agent et nous ne pourrons que nous incliner - ou refuser de prendre le joueur.

M. le Président : Et il ira ailleurs.

M. Charles MOLINARI : Parfaitement ; et il faudra que j'en trouve un autre, qui posera peut-être la même question...

M. Henri NAYROU : Le fait que le joueur cherche à récupérer auprès du club le montant de la commission qu'il versera à son agent n'est pas hypocrite, mais on ne peut plus normal. Certes, la durée plaide en faveur du FC Metz, et même, hélas ! le classement, dans la mesure où vous ne faites pas toujours partie du top, mais vous savez pertinemment que ce système éviterait d'entendre systématiquement parler du football dans la rubrique des faits divers et les prétoires. C'est au joueur de payer son agent, comme c'est au justiciable de payer son avocat, ce qui évite tout risque de compromission.

M. Charles MOLINARI : Je ne crois pas que le fait de payer soi-même ou non son agent change véritablement le fond du problème.

M. Alain NÉRI : C'est le raisonnement qui est pervers, et depuis le début. Je suis joueur, j'ai besoin d'une personne qui me rende un service, il est normal que je la paie.

M. Charles MOLINARI : Complètement.

M. Alain NÉRI : Or là, je me tourne vers le club et je lui dis de payer à ma place ! Cette pratique est scandaleuse et, qui plus est, totalement illégale. Va-t-on accepter longtemps que des gens restent hors la loi, ou expliquer doctement qu'il suffit de mettre la loi en conformité avec leurs agissements ?

M. Charles MOLINARI : Il est malheureusement vrai que, dans le football...

M. Alain NÉRI : Dans le football précisément, et c'est d'autant plus grave !

M. Charles MOLINARI : Nous sommes peut-être hors la loi, mais c'est malheureusement ainsi que cela se passe.

M. Alain NÉRI : N'y voyez aucune critique à votre endroit : je ne critique qu'une pratique dont les effets sont des plus curieux. On nous disait hier qu'un joueur de ligue 2 ne gagnait « que » 15 000 euros par mois... Je veux bien être gentil, mais de là à pleurer sur son sort ! Quand on gagne 100 000 francs par mois, il me paraît normal de rémunérer ceux que l'on prend à son service, mais également de payer des impôts ! Certains sont allés jusqu'à demander à leur club de payer leurs impôts... On sait ce que cela a donné : la fameuse affaire de la caisse noire de Saint-Étienne ! Il faut en finir une fois pour toutes avec ces dérives, expliquer qu'il y a une loi et qu'il faut l'appliquer.

Vous avez rappelé à juste titre que le paiement du transfert n'est rien d'autre qu'une indemnité pour rupture de contrat. Ce n'est pas faux. Autrefois, les joueurs signaient un contrat à vie, restant en permanence à disposition du club, taillables et corvéables à merci. Mais les contrats à temps sont plus qu'une hypocrisie : on signe un contrat de quatre ans pour s'en aller au bout de trois mois, deux ans dans le meilleur des cas... Ne pourrait-on pas arriver à des contrats plus courts, mais dont la durée serait respectée ? Non seulement on ne verrait plus des joueurs quitter leur club au bout de trois mois pour aller jouer chez le concurrent, mais cela éviterait les ruptures de contrat abusives : certains incitent le joueur à signer régulièrement un nouveau contrat pour ne jamais être en fin de contrat, si bien que le club acquéreur est toujours obligé de payer un transfert pour rupture de contrat... Simplifions les choses et tout ira mieux ! C'est comme pour le dopage : tout le monde était au courant, mais personne ne disait rien, jusqu'au jour où il a fallu donner un coup de pied dans la fourmilière. Il n'est que temps de mettre un terme à ces dérives qui finissent par porter sur des sommes considérables.

M. Denis JACQUAT : Ayant été tout à la fois médecin du FC Metz et dirigeant de club, j'ai pu constater à quel point, en vingt ans, la situation a totalement changé. Le joueur est devenu proprement indomptable : à partir du moment où des clubs viennent le démarcher en lui promettant tel salaire, il vous quitte du jour au lendemain. Franck Ribéry en est un exemple typique : totalement inconnu avant de jouer à Metz, il a été démarché par un club d'Istanbul avant d'aller jouer à Marseille. Actuellement, c'est Ludovic Obraniak que Lille démarche, à six mois de la fin de son contrat. Le FC Metz aimerait bien le garder, mais le LOSC lui promet de lui faire jouer la coupe d'Europe dès le mois de janvier... Imaginez ce qui se passe dans la tête des joueurs - et dans celle des agents, qui voient leurs commissions gonfler en cours de route ! Le fait qu'elle soit payée par le joueur ou par le club n'y change rien.

M. Alain NÉRI : Si les joueurs sont indomptables, c'est que les dirigeants de clubs cèdent au chantage ; or le football professionnel et un des secteurs où l'on compte le plus de chômeurs, dont certains ne sont pas plus mauvais que les autres... Arrêtez la course à l'échalote ; ou alors, il n'y a aucune raison que les salaires ne continuent pas à augmenter à profusion ! Le plus grave est que les clubs viennent régulièrement quémander de l'argent aux collectivités territoriales... Ma position est très claire : il n'est pas question que la taxe d'habitation des smicards de ma commune serve à payer le salaire de ces oiseaux !

M. le Président : Attention aux raccourcis...

M. Charles MOLINARI : Vous êtes un peu trop radical...

M. Alain NÉRI : Il faut savoir l'être de temps en temps !

M. Charles MOLINARI : Vous n'étiez pas a priori dans le contexte...

M. Alain NÉRI : Je le connais bien !

M. Charles MOLINARI : Certes, mais vous tenez un langage un peu excessif.

M. Alain NÉRI : J'ai été volontairement excessif, pour clarifier le problème et vous amener à prendre vos responsabilités.

M. Charles MOLINARI : Pour commencer, il ne faut pas dramatiser. Les escrocs ne sont que quelques cas isolés ; le football représente beaucoup de salariés, beaucoup de gens, beaucoup de clubs. Mais c'est comme les avions : tout le monde ne parle que des accidents... Dans la plupart des cas, les choses se passent correctement, sans tricheries véritables ; si certains pays étrangers posent problème en raison de la coexistence d'une licence sportive et de droits économiques, les transferts sur le plan national se passent tout à fait bien : que l'agent soit payé par le joueur ou par le club, l'enveloppe reste la même et l'État n'y perd rien : à la sortie, les 7 % de commission auront été payés d'une manière ou d'une autre.

M. le Président : Ce qui est choquant, c'est que l'agent se retrouve à un moment donné à défendre les intérêts du joueur, comme c'est son rôle, mais également à servir d'intermédiaire entre les deux clubs à l'occasion d'un transfert. Il y a forcément mélange des genres...

M. Charles MOLINARI : Normalement, la loi l'interdit, mais cela peut effectivement arriver. Au départ, c'est toujours un agent qui va solliciter un des clubs. Ainsi, pour Obraniak, c'est son agent, Thouvenel, qui est allé proposer son joueur à Lille. Lille a été intéressé, et lui a sans doute demandé de voir si Metz était d'accord. Ensuite, la discussion s'établit entre les deux clubs. Il aura servi d'agent de liaison.

M. le Président : Mais il touchera une commission, y compris sur le transfert éventuel.

M. Charles MOLINARI : Ah non ! Si commission il y avait, elle devrait théoriquement être payée par le joueur. Dans le cas d'Obraniak, qui va nous quitter pour aller à Lille, Metz ne paiera rien du tout. En revanche, Lille paiera, ou bien l'agent, ou bien le joueur plus cher pour qu'il puisse payer l'agent...

M. le Président : Lille va payer l'agent, mais sur la rémunération du joueur...

M. Charles MOLINARI : Uniquement.

M. le Président : Pas sur le transfert ?

M. Charles MOLINARI : Non. Admettons que nous demandions 3 millions d'euros - Lille ne voudra pas, c'est pourquoi le joueur va rester chez nous... Mais imaginons que Lille accepte de les payer, en trois ou quatre fois, au FC Metz. Sur ces 3 millions, l'agent ne touchera rien du tout. Ensuite, Lille va établir un contrat avec le joueur pour, disons, 20 000 euros par mois. 240 000 euros par an sur un contrat de trois ans, cela donne 750 000 euros, non compris d'éventuelles primes de résultat. Le total devrait tourner autour de 800 000 euros ; c'est sur cette somme que l'agent touchera 7 %, autrement dit 56 000 euros.

M. le Président : Tout de suite, ou en paiement étalé ?

M. Charles MOLINARI : C'est là que les clubs devraient être très attentifs. Si j'étais Lille, je chercherais à payer M. Thouvenel par tiers chaque année. À une certaine époque, on versait les 56 000 euros d'un coup. Ce qui incitait certains agents, au bout d'un an, à persuader leur joueur qu'ils s'étaient trompés, qu'il ne jouait pas assez souvent et qu'il valait mieux trouver un autre club, ce qui permettrait de retoucher des commissions. En appliquant dès le départ une règle de trois, l'agent sait que, si son joueur part au bout d'un an, il aura perdu deux ans de commissions.

M. le Président : Mais jusqu'à présent, vous versiez toute la commission d'un coup à l'agent ?

M. Charles MOLINARI : C'est ce qu'on faisait dans le passé.

M. le Président : Il n'y a que dans le foot que l'on procède ainsi.

M. Charles MOLINARI : Je ne sais pas comment vous faites dans le basket...

M. le Président : Notre trésorerie ne nous le permettrait pas... Mais dans le foot, d'après ce que nous avons entendu, ce n'est pas l'habitude.

M. Charles MOLINARI : Ce ne l'était pas jusqu'à présent. Mais depuis un an, nous payons au prorata des années passées.

M. le Président : Cela paraît logique.

M. Charles MOLINARI : C'est l'effet de l'expérience : à force de voir les gens vous amener un joueur pour le pousser à partir six mois plus tard...

M. le Président : Comptablement, comment étalez-vous la dette ?

M. Charles MOLINARI : Nous la répartissons sur la durée du contrat du joueur - sauf si l'on a beaucoup d'argent et que nous pouvons l'amortir sur la première année, mais c'est rarement le cas : nos bilans sont tout justes...

M. le Président : À moins que vous ne réalisiez une belle plus-value sur un joueur...

M. Charles MOLINARI : Dans l'ensemble, je ne vois rien de franchement répréhensible, si ce n'est que nous ne respectons pas la loi en payant l'agent à la place du joueur. Mais sur le plan fiscal, l'État n'y perd pas grand-chose.

M. le Président : Une centralisation européenne serait-elle une solution ?

M. Charles MOLINARI : Certainement, mais je ne serai plus dans le football lorsqu'elle arrivera... Pour n'en rester qu'aux cinq gros pays d'Europe, les modes de fonctionnement sont très différents. En Italie comme au Luxembourg, par exemple, le salaire du joueur s'entend net d'impôts : l'impôt est prélevé à la source, par les soins du club. Autrement dit, s'il est convenu de donner au joueur 20 000 euros par mois, le club sait qu'il lui en coûte 40 000. Notre ministre des finances doit savoir comment fonctionne ce système...

M. le Président : C'est déjà ce qui se passe pour les étrangers.

M. Charles MOLINARI : Effectivement : pour Gilbert Gress, de nationalité franco-suisse, nous avions prélevé l'impôt à la source durant les six mois qu'il a travaillé pour nous en tant qu'entraîneur.

M. le Président : Il devrait en être de même pour tous les joueurs étrangers.

M. Charles MOLINARI : En effet. Mais tout le monde ne le fait pas.

M. le Président : C'est un risque très lourd pour le club...

M. Charles MOLINARI : Pour le joueur également, qui ne peut plus revenir en France si ses impôts ne sont pas payés.

Pour en revenir aux transferts, le plus important aujourd'hui est d'appliquer la loi. Comment ? Par une obligation venant de l'État, certes...

M. le Président : Nous préférerions évidemment des règles appliquées par les instances du football européen ou mondial.

M. Charles MOLINARI : Ce serait beaucoup plus simple. Malheureusement, nous sommes dans un marché mondial, et parfois en situation de lourd handicap face à d'autres pays.

M. le Président : À ceci près que le marché mondial est tenu à 80 % par cinq ligues européennes...

M. Charles MOLINARI : Ceux que l'on appelle les « cinq gros » : l'Allemagne, l'Angleterre, l'Espagne, l'Italie et la France.

M. le Président : Nous avons senti une réelle volonté d'assainir la situation.

M. Charles MOLINARI : Je le crois aussi, y compris dans les autres pays européens. Cela dit, du côté des agents de joueurs, il me semble y avoir une anomalie à corriger. À voir certains, licenciés FIFA qui plus est, on peut se poser des questions... Avec un quotient intellectuel moyen et quelques livres, six mois suffisent pour avoir la licence. On voit ainsi des gens sans aucune expérience se reconvertir dans le football, pensant qu'il y a de l'argent à gagner, tandis que des avocats, des vrais, ne peuvent pas devenir agents de joueurs, sauf en passant la licence. Il y a là quelque chose à faire.

M. Henri NAYROU : En effet.

M. Charles MOLINARI : Car il y a agent de joueurs et agent de joueurs.

M. Henri NAYROU : Il y a les gourous...

M. Charles MOLINARI : Certains ont carrément une démarche de commerçant, voire d'escroc, et ne s'intéressent qu'aux transferts et à leurs honoraires, pour disparaître aussitôt après.

M. le Président : Est-ce la majorité ?

M. Charles MOLINARI : Malheureusement, il y en a beaucoup. Pour moi, cela frise la majorité - d'autant que, disposant de techniciens et d'entraîneurs, je travaille rarement avec eux et j'ai du mal à supporter leur mode de fonctionnement... Cela dit, ce n'est pas le cas de tous : il arrive de trouver des gens corrects. Un agent de joueurs devrait avoir le souci du plan de carrière et ne pas chercher, comme certains, à expédier immédiatement son joueur dans un autre club au motif qu'on lui remettrait une mallette d'argent.

Le joueur devrait être accompagné, autant sur le plan sportif que sur celui du plan de carrière : si j'étais l'agent d'Obraniak, je lui conseillerais de signer encore pour deux ans avec le FC Metz. Obraniak est un bon gamin : il sait que le club l'a formé pendant dix ans et il aimerait lui apporter un retour. Mais en même temps, il voudrait jouer tout de suite en ligue des champions... De mon côté, j'ai des impératifs sportifs et je ne peux pas laisser partir notre numéro 1 tant que je ne suis pas certain de notre accession en ligue 1. Si j'avais soixante points, peut-être le ferais-je ; avec quarante-six points, j'ai une avance importante, mais si l'équipe se met à mal fonctionner et si je rate la montée, que vais-je récupérer ? 500 000 euros, 1 million d'euros ? Cela ne m'intéresse pas. Je les retrouverai largement en ligue 1. C'est le genre de choses auxquelles est confronté un dirigeant de club... Sans oublier nos supporters - 16 000 personnes en moyenne : ils ne comprendraient pas si nous laissions partir notre meilleur joueur au risque de rater notre accession en ligue 1. C'est pourquoi j'ai prévenu le patron du club intéressé que je ne pouvais faire autrement que d'exiger 3 millions pour ce joueur, même s'il ne lui reste que six mois de contrat. Trois millions, je peux, à la limite, le justifier. Mais s'il me répond qu'il est d'accord, cela ne m'arrangera pas tellement... Imaginez qu'au moment de recevoir Manchester United en ligue des champions, Lille transfère Bodmer, son meilleur joueur, à Lens ou à Lyon ! Le patron du club me répondra qu'il n'a pas plus que nous l'intention de faire n'importe quoi, et qu'il ne donnera pas 3 millions. Et moi, je prends le risque de voir le joueur libre au mois de juin ; en attendant, j'aurai mis tous les atouts de mon côté pour revenir en ligue 1.

M. Alain NÉRI : S'il n'y avait pas le mercato, le problème ne se poserait pas...

M. Charles MOLINARI : Vous touchez là un point sensible ! À mon avis, il faudrait le supprimer. On devrait pouvoir minimiser les transferts en les réduisant à un joker - il peut arriver d'avoir un pépin avec un joueur -...

M. Alain NÉRI : Tout à fait d'accord.

M. Charles MOLINARI : Et la liberté du gardien de but. Imaginez qu'un de vos gardiens soit fracassé et que le deuxième ne présente pas toutes les garanties... Si cela ne tenait qu'à moi, je supprimerais le mercato. Cela ouvre les portes à toutes les négociations, cela déstabilise les joueurs : après chaque mercato, certains partent en flèche, d'autres s'écroulent. S'il n'y avait pas de mercato, je ne vous parlerais pas de l'affaire Obraniak.

Si donc on pouvait supprimer le mercato, ce serait très bien. À ceci près, on en revient toujours au même point, que c'est une décision qui doit être prise par la FIFA car, à supposer qu'on y parvienne en France, les grands clubs - Lyon, Marseille, PSG - ne seront pas d'accord.

M. Alain NÉRI : Ce n'est pas cela qui me gêne...

M. Charles MOLINARI : Ils partent du principe que, s'ils sont deuxième ou troisième, le mercato leur permettra de trouver l'élément qui fera la différence. Nous, dès juin, nous avons arrêté un effectif assez large et il nous faut aller jusqu'au bout avec. Dans la mesure où nous ne laisserons pas partir Obraniak, nous n'avons besoin de personne. Le mercato est un sujet qui mérite réflexion ; mais en quarante ans, je n'ai pas encore trouvé la solution.

M. Henri NAYROU : D'autant que nous ne pouvons pas légiférer là-dessus : c'est une affaire de règlement intérieur, de code de bonne conduite.

M. Charles MOLINARI : Le milieu du football attire beaucoup de monde. C'est un vaste sujet. Reconnaissons qu'il y a eu d'énormes améliorations : il y a trente ans, on ne payait pas l'URSSAF sur les primes ; désormais, on paie sur tout. Sur le plan de l'organisation générale, on en a fait beaucoup, mais il reste encore à faire. Il n'est pas toujours facile de faire concorder les ambitions sportives avec la législation.

M. le Président : Quelle est l'influence de la ligue française de football par rapport aux autres ligues ? On dit qu'elle n'en a pas beaucoup sur le plan européen...

M. Charles MOLINARI : Pendant de très nombreuses années, le football français a souffert d'un déficit d'image et de résultat. Nous ne sommes réellement considérés en Europe que depuis une dizaine d'années. Il y a trente ans, les Italiens nous classaient pratiquement au même rang que les Luxembourgeois. Pour eux, nous restions un pays de rugby. Depuis, nous les taclons toujours un peu et notre image s'est améliorée : ils nous prennent désormais au sérieux. M. Thiriez est vice-président du consortium des ligues internationales : on ne peut pas dire que nous n'ayons pas de poids, mais des inerties demeurent. Certains principes et applications de principes font que nous ne vivons pas le même football ni la même administration du football. Le football français reste le plus clair, le plus limpide au niveau de son fonctionnement.

M. le Président : Comment voyez-vous l'irruption de ces grands groupes et fonds de pensions ?

M. Charles MOLINARI : Comme nous avons vu arriver Pinault, Canal Plus, la principauté de Monaco ou Robert Louis-Dreyfus...

M. Henri NAYROU : Et les Seydoux...

M. Charles MOLINARI : ... et les Seydoux, Michel à Lyon et Jérôme à Lille ! Je me demande si les clubs comme nous, avec des gens « normaux » pourront résister à ces grands groupes. Avec les fonds de pensions, c'est autre chose : généralement, ces gens-là ne sont pas des philanthropes. S'ils achètent pour 10, c'est dans le but de revendre pour 50 au bout de cinq ans. Seront-ils pires que ce que nous avons connu avec les gros entrepreneurs ? Je ne sais pas.

M. le Président : Avez-vous été approché ?

M. Charles MOLINARI : Pas pour l'instant car nous souffrons d'un déficit d'image géographique, industriel, urbain, déficit que nous nous efforçons de combler à travers nos résultats et notre présence depuis quarante ans en championnat de France. Je ne crois pas que les grands groupes d'investisseurs s'intéressent à des clubs comme le nôtre. J'ai reçu récemment une offre ; j'ai répondu que je ne pouvais pas vendre ce club comme ça, même si j'en suis l'actionnaire majoritaire, dans la mesure où le FC Metz ne se résume pas aux actions de Molinari. C'est d'abord un patrimoine local. Il n'était pas question de le vendre, fût-ce chèrement, à un Yougo-Américain, un monsieur qui a racheté Nice, puis Southampton pour le revendre avec un maximum de plus-value avant de s'intéresser à nous... Le jour où je prendrai du recul, je m'organiserai pour qu'un consortium de Lorrains ou d'amis messins reprenne le club. En tout état de cause, j'ai vu bien des dirigeants passer, beaucoup s'investir, mais personne s'enrichir dans le football... Citez-moi un dirigeant de football qui se soit enrichi !

M. Alain NÉRI : Certains même ont tout perdu.

M. Charles MOLINARI : Roger Rocher (214) a fini pratiquement dans la misère ; à une époque plus lointaine, j'ai connu les dirigeants du Stade français et de Lille, Henri Jooris (215) et autres ; Marcel Leclerc (216) non plus n'a pas fait de très bonnes affaires...

M. le Président : Il peut y avoir des intérêts croisés : l'image affichée de propriétaire d'un club n'est pas sans intérêt pour négocier d'autres affaires par ailleurs... Cela dit, pourquoi pas ?

M. Charles MOLINARI : Mon souci n'est pas de savoir si je vais gagner de l'argent ou non en vendant mon club, mais de ne pas mettre mes enfants sur la paille pour avoir fait des folies dans le football... Je serai très content si je parviens un jour à récupérer ce que j'y ai mis, même sans faire de plus-value : j'aurai vécu quarante ans de passion et il y a tant d'autres façons de perdre son argent ! À ma connaissance, peu de dirigeants se sont engagés là-dedans pour s'enrichir.

M. Henri NAYROU : Claude Cuny (217) a été le premier président rétribué...

M. Charles MOLINARI : Pour ma part, je ne l'ai jamais été. Les ennuis de Cuny comme de Rocher ont commencé à partir du moment où ils se sont fait rétribuer... Il faut dire qu'à l'époque, dans le système associatif en vigueur jusqu'en 1998, ce n'était ni bien compris ni très bien ressenti, alors que c'est tout à fait normal. Par chance, mes affaires me permettent d'être président de club et d'assouvir ma passion sans avoir besoin d'être rémunéré. Cuny et Rocher ont été les deux premiers, mais je ne connais pas d'autre exemple, si ce n'est peut-être Gervais Martel (218).

M. Henri NAYROU : Cela ne me choque pas : il faut en finir avec l'hypocrisie...

M. le Président : Il ne nous reste plus qu'à vous remercier.

M. Charles MOLINARI : Je suis désolé de ne pas vous apporter davantage d'éclaircissements...

M. le Président : Nous ne recherchons pas le sensationnel.

M. Denis JACQUAT : L'intérêt de cette invitation était de recevoir un club de base, avec une bonne image, qui n'a jamais fait de vagues - dans un sens négatif, s'entend.

M. Charles MOLINARI : Je suis navré pour l'image du football de voir ce que l'on voit de temps en temps ; mais globalement, on y trouve davantage de gens honnêtes que de gens qui ne le sont pas.

M. le Président : Monsieur le président, nous vous remercions.

Audition de M. Guy ROUX,
ancien entraîneur de l'AJ Auxerre


(20 décembre 2006)

Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Fort de votre longue expérience, pouvez-vous nous dire ce qu'il vous paraît possible d'améliorer pour rendre moins opaques les flux financiers liés aux transferts ? Que pensez-vous du rôle des agents sportifs ? Comment le contrôler ? Que faudrait-il faire à votre avis sur le plan européen et mondial pour préserver l'éthique du football au moment où des groupes, voire des fonds de pensions, cherchent à investir en achetant des clubs ? Sans un minimum d'organisation et de réglementation, personne n'y trouvera son compte, pas même les plus riches.

M. Guy ROUX : Je suis très honoré de venir pour la première fois devant une mission de l'Assemblée nationale, bien que les transferts et les agents ne soient pas ma spécialité première. Du fait de mes fonctions d'entraîneur, je n'étais qu'incidemment et indirectement en relation avec eux. Je suis plus spécialisé dans les questions d'éducation - je m'occupe désormais des 15-18 ans - qui me passionnent depuis toujours, mais j'ai quelque peu révisé les textes qui régissent la matière avant de venir.

En 1980, lorsque nous sommes entrés dans l'ère du football professionnel, on ne comptait guère que quatre ou cinq agents en France. Pour le devenir, il fallait déposer une caution à la FIFA, à Zurich. Les quatre ou cinq agents en question n'étaient pas des filous patentés et faisaient preuve d'une grande compétence dans le suivi, constant, de leurs joueurs comme dans leurs relations avec les clubs : ils essayaient naturellement d'obtenir le salaire - et, du coup, la commission - le plus élevé possible, mais tout se passait beaucoup plus facilement qu'aujourd'hui. Nous les connaissions, nous savions qu'ils reviendraient régulièrement pour des modifications de contrats ou des revalorisations de salaires lorsque le joueur deviendrait international - c'était fréquemment le cas avec les jeunes d'Auxerre. Et comme ils se partageaient un grand gâteau à cinq, les agents étaient riches, peu poussés à se battre sur le moindre joueur.

Aucun jeune des centres de formation n'avait d'agent : nous n'avions affaire qu'aux parents. La règle, aujourd'hui largement écornée par le syndicat des joueurs, reprenait le principe de l'école normale : entre quatorze ans et dix-huit ans, nous dispensions au jeune un apprentissage du football et un enseignement général, et il nous rendait à peu près cinq ans de contrat - deux ans à titre de stagiaire et trois ou quatre ans en tant que professionnel. Notre objectif était simple : prendre les jeunes les plus prometteurs, leur dispenser un enseignement de qualité grâce au lycée installé dans notre centre ainsi qu'une bonne formation de footballeur, et les intégrer dans notre équipe afin qu'ils jouent deux ou trois ans chez nous. Une fois titulaires ou intégrés dans l'équipe de France, ils commençaient à demander à aller ailleurs et nous les transférions un an avant la fin de leur contrat, ce qui nous permettait de nous rembourser des frais engagés et, à eux, de multiplier leur salaire. La première fois qu'ils demandaient à partir, nous les faisions généralement patienter un an : moyennant une augmentation, ils restaient bien volontiers une dernière année avant de bénéficier d'un transfert de qualité. Ce fut le cas de nos premières « fournées », les Boli, Cantona, Ferreri et bien d'autres. À noter que tous ces jeunes joueurs n'ont pris un agent qu'au moment où ils sont partis. J'avais moi-même fait savoir qu'à aucun prix je ne voulais en voir un dans le centre de formation... Les temps ont bien changé.

Les choses ont changé le jour où on a voulu créer un diplôme d'agent : en très peu de temps, le nombre d'agents est passé de dix à cent. La première année, on a commencé par le donner ; progressivement, il est devenu plus difficile de l'obtenir. Aujourd'hui, on compte 170 agents : faute de pouvoir les connaître tous, on ne peut les juger qu'à l'usage. Chaque agent n'ayant plus qu'un tout petit nombre de joueurs, voire pas de joueur du tout, on les voit courir après les familles des gamins, à tel point qu'il nous a fallu mettre en place un véritable service d'ordre dans les matches des quatorze ans ! Et même lorsque nous les refoulons du stade, ils viennent démarcher les parents jusque sur le parking de l'autoroute... Cela nous crée de sérieuses difficultés dans l'éducation de nos jeunes. En voulant encadrer, la fédération a créé le malheur : le premier étudiant en première année de droit venu pouvait décrocher le diplôme et se prévaloir de la qualité d'agent FIFA, et maintenant d'agent tout court... Il n'est plus possible de discuter avec un joueur, ni même avec les familles : tout le monde a son agent, tout est devenu possible !

M. le Président : Vous avez certainement raison, mais on n'est pas près de changer de direction... On parle même de renforcer les accréditations.

M. Guy ROUX : On parle aussi d'un numerus clausus ; peut-être un examen très sévère permettra-t-il de revenir à un effectif d'agents mieux proportionné au nombre de joueurs. Il en existe bien un pour les médecins... Imagine-t-on qu'il y ait six millions de médecins en France pour soixante millions de malades potentiels ? Ce serait invivable pour les médecins eux-mêmes. Que l'on cherche à renforcer le contrôle par le biais de la loi, des organismes fédéraux et de la ligue, je ne peux que le comprendre.

M. Henri NAYROU : Je tiens à préciser qu'en juin dernier, le groupe socialiste avait demandé la création d'une commission d'enquête parlementaire sur deux points : les conditions de transfert des joueurs professionnels de football et le rôle des agents sportifs. Il a finalement été décidé de constituer une mission d'information, au caractère moins formel : les personnalités auditionnées ne prêtent pas serment.

M. Guy ROUX : J'ignorais qu'on ne prêtait pas serment devant une mission d'information. Je l'aurais fait volontiers, s'il l'avait fallu... Je n'ai aucun intérêt à vous raconter des histoires.

M. Henri NAYROU : Notre rôle est de proposer des améliorations législatives sur ces deux sujets, au demeurant totalement liés, en nous appuyant sur ce qui, hélas ! fait l'actualité du monde du football et plus particulièrement la rubrique malversations et faits divers. Se posent notamment deux problèmes : la rupture systématique, plus ou moins voulues et avouées, des contrats de longue durée donnant lieu à des indemnités de compensation et la rémunération de l'agent du joueur par le club, en contradiction avec la loi française et le règlement FIFA.

M. Guy ROUX : S'agissant de la rupture anticipée des contrats de longue durée, le syndicat des joueurs, et son expression mondiale la FIFpro, avaient très sérieusement écorné comme je l'ai dit, le bénéfice de la formation. À cela est venue s'ajouter la clause, curieusement peu appliquée, dite de « sécurité » ou de « stabilité » : au bout de trois ans, les joueurs sont quasiment libres, quand bien même ils sont liés par un contrat de cinq ans. Tant et si bien qu'au bout de deux ans, le contrat ne tient plus : sachant qu'il sera libre l'année suivante, le joueur demande à s'en aller tout de suite... Cette clause est mondiale, elle nous vient de la FIFA, et nous sommes obligés de le digérer. Ceux qui font signer un joueur pour cinq ans savent qu'au bout de trois ans, ils auront droit à récupérer l'équivalent du salaire des deux dernières années ; en fait, au bout de deux ans, c'est fini. Le syndicat des joueurs a un président habile négociateur, et surtout l'arme absolue : la grève des joueurs du championnat, devant laquelle les dirigeants reculent systématiquement, alors qu'ils ne le devraient pas... Le syndicat des joueurs a réussi à presser l'orange au point qu'il n'en reste pratiquement plus que la peau. Les joueurs changent systématiquement de club tous les deux ans, alors que la stabilité était précisément un facteur de moralisation dans le football, et la règle à Auxerre pendant des années : le fait qu'une partie des joueurs reste cinq, voire sept ans sous le même maillot, avec les mêmes supporters, contribue à perpétuer l'esprit du club et donne confiance à tout le monde. En vingt-sept ans, nous avons eu seulement quatre gardiens de but : Bats, Martini, Charbonnier et Couve, auquel nous avons bien du mal à trouver un successeur... Bien sûr, nous étions amenés à les augmenter au cours de leur contrat, notamment lorsqu'ils devenaient internationaux ; mais à tout prendre, cela coûte moins cher que d'aller chercher des joueurs, parfois à l'étranger, au risque de se tromper. Quoi qu'il en soit, cette nouvelle clause fait peur à tout le monde ; il paraît que le G 14 a décidé en interne de ne pas l'appliquer : Arsenal et Chelsea ont refusé d'en tenir compte pour le joueur Gallas et ont continué à discuter comme s'il était sous contrat. Reste qu'elle affaiblit considérablement les clubs et aggrave l'immense mouvement dont vous avez dénoncé les méfaits.

M. le Président : Et sur la rémunération des agents ?

M. Guy ROUX : C'est une question très difficile, pour une raison simple : normalement, l'agent sportif est l'agent du joueur, même s'il peut arriver qu'un club fasse appel à un agent. Cela nous est arrivé plusieurs fois, notamment lorsque nous avons été en panne d'un numéro 10. Nous nous sommes adressés à un agent d'origine yougoslave installé en France, honorablement connu, aujourd'hui décédé : c'est lui qui nous a amené Mlinarić. Nous étions tout à fait dans l'esprit des textes - qui du reste n'existaient pas à cette époque...

Le problème est que si les joueurs rémunèrent leurs agents, ils refuseront de payer l'addition, avec les charges et les impôts : autrement dit, ils tripleront la commission demandée... Il est très facile de la maintenir en dessous de 10 %. Nous commençons toujours la négociation à 5 % et on la conclut à 7 %... Le respect du taux légal ne nous gêne pas. Il en va autrement de la pratique très courante du mandat de recherche, au demeurant contraire à la loi.

M. Henri NAYROU : Mandat signé la veille...

M. Guy ROUX : Pas nécessairement. Il est parfois préparé à l'avance, mais cela ne change pas grand-chose sur le fond. Si nous obligeons le joueur à payer lui-même son agent, il nous réclamera le triple de la commission sous forme de prime à la signature ou autre...

M. le Président : C'est pareil...

M. Guy ROUX : Pas pour le club ! Pourquoi ce qui vaut pour les artistes, ne vaudrait pas pour les footballeurs ?

M. Henri NAYROU : Vous oubliez que les artistes ne donnent pas lieu à indemnité de transfert lorsqu'ils changent de société de disques et que leur « valeur marchande » ne s'exprime que lors des récitals.

M. Guy ROUX : Mais la commission est calculée en fonction du salaire et non du transfert.

M. le Président : N'y a-t-il jamais de commission double, sur le salaire et sur le transfert ?

M. Guy ROUX : Certains le font peut-être, mais pas nous.

La deuxième anomalie, mais certains s'emploient à la corriger, c'est que la commission est généralement payée en une seule fois. Si contrat est de quatre ans et que le joueur part au bout de deux, l'agent se fait ainsi rémunérer deux fois voire trois fois... La commission devrait être payée par année de présence.

M. le Président : Ce serait logique.

M. Guy ROUX : Nous arrivons parfois à le faire passer, lorsque nous sommes en position de force, c'est-à-dire lorsque le joueur est plus désireux de venir chez nous que nous de l'accueillir... Toute négociation est affaire de rapport de forces. Quoi qu'il en soit, la pratique actuelle ne lèse pas les pouvoirs publics : le club paie l'agent, qui lui-même paie ses charges et ses impôts ; de son côté, le joueur paie ce qu'il doit sur son salaire.

M. Alain NÉRI : À ceci près que c'est le joueur qui sollicite l'agent : il est normal que celui qui commande une prestation soit celui qui la paie.

M. Guy ROUX : Vous avez raison sur ce point ; mais dans la réalité, le plus demandeur est le club qui veut le joueur... Quels que soient les arguments que je mettais en avant pour inciter un joueur à rejoindre Auxerre, ils étaient balayés sitôt qu'un autre club acceptait de rémunérer grassement l'agent pour peu qu'il persuade son poulain de ne pas venir chez nous ! J'ai bien réfléchi à cette question et j'ai découvert tout récemment comment procédaient les artistes. Je me suis dit qu'il faudrait faire comme eux, sinon nous aurons du mal à faire appliquer la loi.

M. le Président : On en arrive à une situation ubuesque, où aucun joueur n'a pas d'agent officiel, c'est-à-dire déclaré à la fédération, conformément à la loi.

M. Guy ROUX : Ce qui prouve que notre texte n'est pas bon, puisque personne ne l'applique. Le ministre a finalement reculé. Je suis heureux qu'une instance représentative de l'Assemblée nationale travaille à élaborer une proposition meilleure que la loi actuelle, à l'évidence insatisfaisante.

M. le Président : L'officialisation du contrat passé entre le joueur et l'agent, déposé à la fédération, pourrait-elle être une réponse ? Même si le club rémunérait l'agent, cela aurait le mérite de mettre fin à la pratique du mandat de recherche au dernier moment, et du coup à la confusion des genres ?

M. Guy ROUX : Certainement. Au demeurant, des mandats sont déjà déposés à la fédération...

M. le Président : Très peu. Aucun international français n'est formellement représenté par un agent.

M. Guy ROUX : Il n'y a pas beaucoup d'internationaux français...

M. le Président : Reste qu'aucun des membres de l'équipe de France alignée face à la Grèce n'a officiellement d'agent.

M. Guy ROUX : L'obligation de déposer les contrats est somme toute assez récente.

M. Alain NÉRI : On en arrive à des pratiques totalement illégales : les joueurs n'ayant officiellement pas d'agent, on en arrive à faire des contrats antidatés pour les déposer au dernier moment...

M. le Président : Et surtout, il n'y a aucun lien juridique entre le joueur et l'agent : on peut changer d'agent comme on veut...

M. Guy ROUX : Justement non. Nous avons l'exemple d'un joueur qui, s'estimant mal défendu par son agent - non seulement celui-ci n'avait pas réussi à faire prolonger son contrat, mais il ne lui avait jamais rendu visite, si ce n'est par l'intermédiaire de son frère -, l'avait prévenu par lettre recommandée qu'il se passait de ses services. L'agent l'a poursuivi en justice !

M. le Président : Comment peut-il prouver l'existence d'un lien contractuel s'il n'y a pas de contrat ?

M. Guy ROUX : Il y en avait un, mais pas déposé... Le cas est tout à fait habituel.

M. le Président : C'est une obligation à mettre en place...

M. Guy ROUX : Elle existe.

M. le Président : Mais elle n'est pas appliquée. Qui plus est, lorsqu'elle est amenée à s'assurer de la pérennité financière d'un club avant de valider un transfert, la Direction nationale de gestion et de contrôle (DNCG) n'exige pas les éléments de transparence nécessaires. Comment peut-elle apprécier la situation du club sans connaître tous les éléments financiers ?

M. Guy ROUX : Pour ma part, je suis tout à fait favorable au dépôt. Mais le nœud du problème est la question que vous avez posée : pour qui travaille l'agent ? C'est l'agent du joueur, certes, mais qui fait le plus de prières pour s'attirer ses bonnes grâces ? Le club évidemment. C'est donc lui qui le paie...

M. Henri NAYROU : Ces ententes à trois arrangent finalement tout le monde, mais elles n'en sont pas moins contraires à la loi, à la morale, et concourent à remplir les prétoires d'acteurs du monde du football, coupables de rétro-commissions.

M. Guy ROUX : C'est autre chose...

M. Henri NAYROU : Mais c'est la conséquence de cet état de fait. Lorsque vous sollicitez un conseil, c'est vous qui payez, non la partie adverse. Mais dans le cas présent, l'agent, bien que commandité par le joueur, est l'objet de toutes les attentions du club ! S'il existait une liste officielle où, au numéro de licence du joueur correspondrait celui de la licence de l'agent - bien que je partage votre sentiment sur la valeur à accorder à un diplôme qui, à mes yeux, ne représente rien -, peut-être parviendrait-on à empêcher les mandats de dernière minute.

M. Guy ROUX : Le problème, et c'est là que nos opinions divergent, est que, dans 98 % des cas, des gens a priori parfaitement honnêtes sont conduits à passer par cet artifice : c'est donc que le texte ne permet pas l'exercice normal de la profession, tout simplement parce qu'il ne prend pas en compte le fait que le club est dans la pratique l'obligé de l'agent. Les rétro-commissions sont un autre problème : nous communiquons, en même temps que le certificat de transfert, tous les éléments relatifs au mandat de l'agent et à la commission et la DNCG a toute latitude pour vérifier les mouvements bancaires.

M. le Président : La DNCG affirme de son côté n'avoir pas tous les éléments au moment de donner son accord.

M. Guy ROUX : Il faut qu'elle les ait. Bien que les transferts ne soient pas mon affaire, mais plutôt celle du secrétaire général et du président, je me souviens avoir vu cette petite feuille rose mentionnant l'agent, la commission et le montant du transfert.

M. Henri NAYROU : La DNCG assure ne pas pouvoir s'occuper de cette affaire, alors que d'autres acteurs comme vous maintiennent qu'il suffit de remplir une case dans le formulaire de transfert et d'obtention d'une nouvelle licence...

M. Guy ROUX : La DNCG veut seulement dire qu'elle ne peut pas contrôler à chaque fois. Chaque fin de mercato voit cinquante transferts traités de manière informatique, et les papiers n'arrivent qu'après : la commission juridique n'a peut-être pas tous les éléments en main au moment de l'homologation.

M. Alain NÉRI : La multiplication des transferts n'est-elle pas précisément la source de toutes ces dérives ? Ne pourrait-on se mettre d'accord pour réduire la durée des contrats afin de limiter les indemnités de transfert, qui ne sont pas autre chose que des indemnités pour rupture de contrat ? La première cause du problème n'est-elle pas à rechercher dans le mercato ?

M. Guy ROUX : Je suis pour ma part contre le mercato d'hiver.

M. Alain NÉRI : Merci de cette réponse !

M. Guy ROUX : Je l'ai toujours dit et je me suis toujours employé à l'éviter : durant tout le temps que j'étais entraîneur, et depuis que le mercato existe, j'ai réussi neuf fois sur dix à me passer de tout mouvement de joueurs. J'ai siégé durant vingt-trois ans au conseil d'administration de la Ligue et je me souviens des propos du président Jean Sadoul : « La saison, c'est comme la transatlantique, on ne change pas l'équipage au milieu ! » Le problème peut évidemment se poser si le commandant meurt : c'est pourquoi nous avions prévu des dérogations très précises ...

M. Alain NÉRI : Un joker ?

M. Guy ROUX : Même pas : seulement pour le gardien de but et en cas de blessure d'un joueur en équipe de France. Mais depuis que le mercato a été officialisé par la FIFA, vous ne pouvez plus y échapper.

Le deuxième élément qui a multiplié les transferts, c'est l'arrêt Bosman. Je sais bien que mes petits-enfants vivront dans une Europe où les régions prendront le pas sur les États, je veux bien qu'on garantisse la liberté de circulation, mais encore faudrait-il harmoniser en même temps la fiscalité et le droit social, et non avec vingt ans de décalage ! Depuis le début, le football a été l'otage de l'Europe, tout simplement parce que l'Europe du football existait bien avant le traité de Rome : en 1954, en pleine époque du rideau de fer, il y avait la coupe d'Europe, on faisait les visas à Zurich pour que les joueurs de Tito puissent aller jouer chez Franco... Partant du principe que le football savait le faire, on n'a eu de cesse de faire des lois sur le football pour qu'il soit en avance sur l'Europe. L'arrêt Bosman multiplie les échanges à l'infini, permet les sauts de frontières, favorise tout. Sont venus ensuite l'accord de Cotonou, puis l'arrêt Malaja dans le basket féminin... C'est à se demander comment ont fait les pauvres pays qui n'y sont pas !

M. le Président : Il n'y en n'a pratiquement pas, sinon les États-Unis.

M. Guy ROUX : Et les pays d'Amérique latine.

M. le Président : Mais ils ont des liens très forts avec les pays latins européens.

M. Guy ROUX : Mon opinion n'est pas dictée par des considérations politiques, mais par des raisons essentiellement pratiques : quand une loi en vigueur depuis des années n'est appliquée par personne, c'est tout de même qu'il y a de vraies raisons pour ne pas l'appliquer - dans des conditions économiques normales, s'entend.

M. le Président : Il est difficile d'admettre que l'on puisse légaliser une pratique illégale sans aucune contrepartie... Je veux bien être pragmatique, mais s'il fallait changer les choses, il faudrait à tout le moins donner un tour de vis.

M. Henri NAYROU : Le comble de l'hypocrisie du système - ou de la faiblesse des institutions - est atteint lorsque des gens bien sous tous rapports nous demandent de changer la loi, moyennant quoi ils appliqueraient une certaine transparence... Non seulement cela pose un problème d'éthique et de morale, mais on a beau jeu de faire valoir qu'une loi est très majoritairement inappliquée lorsque ceux qui sont chargés de la faire appliquer ne le font pas ! Il y a bel et bien un accord tacite pour ne pas la respecter. « La pratique est illégale ; légalisons-la et, en échange, nous assurerons la transparence... » Ce sont les propos du président de la ligue, mais également de M. Davenas...

M. le Président : Et même des juristes de Bercy !

M. Henri NAYROU : On nous promet de vérifier que la somme payée au départ de la transaction est identique à la somme encaissée à l'arrivée...

M. Guy ROUX : Je ne connais que cela ! À cause d'un agent, nous avons fait l'objet d'une enquête très précise sur Cissé à l'occasion de son passage à Liverpool : il nous a suffi de dix minutes pour prouver la transparence de la transaction. Nous avons vendu Cissé à Liverpool qui a signé un engagement de traite arrivé à la Banque populaire d'Auxerre, rue du Pont, et qui a payé l'agent de Cissé, point ! Où est le problème ? La transparence ne me gêne pas. Bien sûr, d'autres pratiquent autrement, on peut descendre en dessous des 10 %, on peut songer à un barème dégressif, mais à trop rogner sur la commission de l'agent, on ouvre la porte aux rétro-commissions.

M. Henri NAYROU : Le problème n'est pas là : M. Platini reconnaissait hier que le prix d'un joueur était une donnée très subjective.

M. Guy ROUX : C'est la donnée d'un marché.

M. Henri NAYROU : Doublée d'une forme de duplicité : on estime le prix à trente, on vous donne quarante et on en retient dix... Les prétoires sont pleins d'affaires de ce genre.

M. Guy ROUX : Je ne me suis jamais retrouvé au prétoire ; j'espère ne jamais y aller, et Auxerre de même... Au demeurant, nous sommes énormément contrôlés. Faute de pouvoir trouver beaucoup d'entreprises qui marchent à Auxerre, les services de l'URSSAF viennent nous voir tous les trois ans... Nous nous voyons imposer de petits redressements qu'il nous arrive parfois de contester. Un jour, ils ont voulu compter comme salaire le casse-croûte, la bière et le journal que nous donnons aux cent cinquante bénévoles chargés de contrôler les billets !

M. le Président : La loi a changé depuis...

M. Guy ROUX : Ils reviennent régulièrement, et nous les attendons. Quand ils sont en retard, nous nous demandons s'il ne faudrait pas leur téléphoner...

M. le Président : Le plus invraisemblable est que ces entreprises du football ont des commissaires aux comptes, des comptables, des contrôles réguliers et c'est qu'éclatent des affaires - en France et plus encore à l'extérieur - impliquant des individus connus pour avoir trempé dans des affaires douteuses ailleurs ! C'est donc bien la preuve d'un dysfonctionnement dans les règlements. Il est important pour nous de déterminer les améliorations à apporter dans le domaine de la loi, à notre initiative, et dans celui de la réglementation, à la diligence des autorités françaises, européennes et mondiales du football. Or, à entendre les propos du président de la Ligue ou des membres de la DNCG, on a le sentiment que les instances françaises, elles-mêmes, ne se donnent pas tous les moyens de contrôler ces flux financiers ou tout au moins de s'assurer de leur régularité.

M. Guy ROUX : Nous sommes le pays le mieux organisé dans ce domaine...

M. le Président : Le plus en avance, c'est vrai.

M. Guy ROUX : Mais la DNCG ne peut pas être dans les clubs tous les jours. Elle passe trois ou quatre fois par an, au moment du budget prévisionnel, puis en octobre, puis au moment du bilan extrapolé.

M. Henri NAYROU : Le fait qu'un club rétribue un agent qui lui aura servi de chasseur de têtes n'a rien de choquant.

M. Guy ROUX : Cela arrive.

M. Henri NAYROU : Vous avez cité le cas Mlinarić. On ne peut en revanche que s'inquiéter des pratiques frauduleuses encouragées par la multiplication des contrats. Qu'un club cherche à s'assurer les bonnes grâces d'un agent par un petit bakchich, on peut à la rigueur le comprendre ; mais au-delà du simple rôle de l'agent, le nœud du problème, le levier de toutes les malversations, qui explique les énormes différences entre le montant réel d'un transfert et le prix fallacieux finalement payé, se trouve au niveau des intermédiaires qui ne cessent de pulluler.

M. Guy ROUX : Cela suppose la complicité du club d'en face ; mais ce genre de pratique ne doit pas se rencontrer en franco-français. Supposons que nous appliquions les textes en vigueur et que nous achetions un joueur à Châteauroux. Le joueur doit payer 100 à son agent ; il nous réclamera 300 de prime à la signature et ne lui en redonnera que 100... Admettons qu'il soit au réel et qu'il ait le droit de déclarer sa commission en frais généraux : cela n'empêchera pas, en gonflant la somme au départ, que l'agent verse une rétro-commission au club.

M. Henri NAYROU : À ceci près que l'agent et son joueur ne se risqueront pas à une opération de ce genre sur des sommes qui resteront forcément minimes. Sans pouvoir nous prévaloir d'une expérience comme la vôtre, nous avons bien conscience que le football n'est pas seulement peuplé de gens malhonnêtes et que le cercle le plus vertueux, même s'il n'est pas parfait, se trouve en France. Reste que des dérives existent. Comment les contrer ?

M. Guy ROUX : Une maladie n'a jamais de bon remède, mais seulement des remèdes qui essaient de la guérir. Laissons aux clubs le droit de payer les agents, moyennant des contrôles très stricts : grâce à l'informatique, on devrait pouvoir communiquer immédiatement les éléments à la Ligue. Faire passer les transferts par la ligue, ce peut être également possible ; mettre en place des commissions dégressives, un système de paiement à l'année, autant de remèdes auxquels d'autres que moi ont déjà songé et qui devraient un peu améliorer les choses. Je ne connais pas l'histoire de Ronaldinho à Paris, sinon par ce que j'en ai lu dans les journaux ; mais ce montage n'a rien à voir avec le système des commissions. Quant à l'histoire de ce joueur formidable acheté pour pas cher à un petit club qui ne connaissait pas les prix... ! Ils étaient six à s'être cotisés pour le payer, avec de l'argent provenant de différentes sources. Le commissaire aux comptes aurait dû le savoir dès le premier jour.

M. le Président : Précisément, comment un commissaire aux comptes peut-il accepter de contresigner une telle opération ?

M. Guy ROUX : C'est son problème...

M. le Président : Mais que personne dans les instances du foot ne s'en rende compte par la suite ?

M. Guy ROUX : Nos commissaires aux comptes, l'ancien, parti en retraite, comme le nouveau n'ont jamais hésité à refuser de signer une opération qui ne leur convenait pas.

M. le Président : Un commissaire aux comptes est pénalement responsable...

M. Guy ROUX : Et il le sait. Il existe même désormais une commission chargée de contrôler les commissaires aux comptes, et elle a commencé par ceux des entreprises de football ! Mais les agents n'ont rien à voir dans ce genre d'affaires.

M. le Président : Que pensez-vous du mélange des genres, lorsque des agents deviennent dirigeants de club ou inversement ?

M. Guy ROUX : C'est tout le problème de ceux qui changent de profession ! Un dirigeant ne peut pas devenir agent s'il n'a pas de diplômes, mais un agent peut parfaitement devenir dirigeant de club : il n'y a pas de diplôme pour cela... Ancien journaliste sportif, Pape Diouf connaissait bien Marseille, et admirablement le foot parce que c'était un bon agent, correct avec tout le monde. Il est devenu président rémunéré d'un club...

M. le Président : Il n'y a là rien de nécessairement choquant.

M. Guy ROUX : On ne peut légalement pas l'en empêcher. On peut penser qu'au début, il ait d'abord fait venir ses propres joueurs dans le club : après tout, il les connaît, et eux ont confiance en lui. Mais au bout de quelques années, ou bien ils ne joueront plus, ou bien ils auront changé de club.

M. le Président : Et les dirigeants qui ont des intérêts dans plusieurs clubs ?

M. Guy ROUX : Cela, il faut absolument l'interdire. En France, on l'empêche, mais ce n'est pas le cas partout !

M. Henri NAYROU : On l'avait interdit, mais malheureusement le nouvel article 4 de la loi sur le football professionnel le permet désormais... Nous avons donné un très mauvais exemple. Je n'ai pas été tendre avec le ministre Lamour au moment de l'examen de son budget : la permissivité dont il a fait preuve à l'égard du sport professionnel se retourne finalement contre lui. Les fonds de pension ne manqueront pas de se précipiter sur les affaires les plus juteuses et, par le biais de succursales et d'officines diverses, de prendre simultanément pied dans plusieurs clubs. Ce sera la porte ouverte à toutes les dérives.

M. le Président : Nous n'avons pas réussi à faire d'exception sportive au niveau européen, comment espérer en faire une au niveau français ?

M. Henri NAYROU : On ne pouvait pas décemment autoriser, dans une loi française, des personnes morales ou physiques à devenir actionnaires de plusieurs clubs !

M. Guy ROUX : C'est la conséquence de l'entrée en bourse... Au demeurant, ce seront les majoritaires qui commanderont. Si j'achète des actions de l'Olympique lyonnais l'année prochaine, je n'irai pas pour autant leur demander de laisser gagner Auxerre !

M. Henri NAYROU : Mais avec les pactes d'actionnaires ?

M. Guy ROUX : Ce n'est pas que j'aie peur ou pas peur, mais je ne m'attends pas à un déferlement des fonds de pensions. Le football est plus consommateur d'argent que faiseur de bénéfices : lorsqu'ils se seront fait moucher deux ou trois fois et qu'ils auront mangé en trois ans la moitié de leur capital, comment l'expliqueront-ils à leurs actionnaires ? Je ne vois pas comment un actionnaire du Paris Saint-Germain (PSG) peut gagner de l'argent. Pour l'instant, Canal Plus éponge, mais cela va bientôt cesser et là, ils commenceront vraiment à manger de l'argent... Le PSG aura été pour Canal Plus un gouffre terrible, tout comme Marseille pour Robert Louis-Dreyfus. Même les petits clubs comme Auxerre ne sont pas à l'abri d'un accident. Nous sommes encore en association ; nous nous sommes opposés autant que nous avons pu au passage obligatoire en société anonyme. Mme Avice avait essayé pendant huit heures de nous en convaincre : nous lui avions répondu qu'un élu de gauche ne pouvait pas faire cela. Finalement, c'est Mme Buffet qui l'a fait... Finalement, nous avons bien dû nous y mettre, mais la société est détenue à 99,9 % par l'association.

M. Henri NAYROU : Autrement dit, elle appartient à tout le monde.

M. Guy ROUX : Exactement. Nous ne sommes pas à l'abri d'une mésentente, mais ces clubs-là sont sains. À défaut de bénéfices, nous avons généré des investissements : le stade est à nous, le centre de formation également, nous allons construire un terrain synthétique, nous accroissons notre territoire. Mais nous ne sommes pas une affaire juteuse : personne ne viendra chez nous en espérant 8 % de bénéfices... Metz était dans le même cas que nous jusqu'à ce qu'il descende en deuxième division ; s'il remonte, il se renflouera, mais pas plus que nous il n'attirera les fonds de pensions.

Le football français n'est pas aussi juteux que le football anglais. Les droits télévisuels ne sont qu'une petite partie des recettes : les clubs anglais ont des stades pleins avec des places cinq fois plus chères, et les riches anglais comme les capitalistes du monde entier n'hésitent jamais à entrer dans un club anglais qui génère réellement des profits. Mais lorsqu'ils finiront par se « tirer une bourre » au sein du G 14 pour être dans les huit meilleurs de la coupe d'Europe, ils devront payer les joueurs de plus en plus cher et ils gagneront de moins en moins d'argent. Ils ont déjà passé un accord pour échapper à la clause de stabilité, aux effets inflationnistes, mais ce gentlemen's agreement finira tôt ou tard par exploser.

M. le Président : Il ne nous reste plus qu'à vous remercier.

M. Guy ROUX : Je vous ai parlé en toute sincérité, au risque d'aller à contre-courant de ce que vous souhaiteriez. Je ne prétends pas pour autant avoir raison : avant de venir, j'ai révisé la loi, la proposition de loi...

M. le Président : Votre constat est souvent partagé.

M. Alain NÉRI : Il était intéressant pour nous de connaître le point de vue de quelqu'un qui a réellement vécu le football. Mais c'est un football assez particulier : tous les clubs ne sont pas comme le vôtre. J'ai été impressionné par les cadets d'Auxerre venus disputer un tournoi chez nous : c'étaient des gosses bien élevés.

M. Guy ROUX : Merci pour eux !

M. Alain NÉRI : Cela aussi fait partie de la mission des clubs.

M. Guy ROUX : Lorsque j'ai arrêté ma carrière professionnelle, j'ai construit mon bureau au milieu du centre de formation, avec vue sur les terrains. J'ai voulu regarder ces soixante garçons comme soixante fils, connaître leurs parents, leurs grands-parents, etc. Sur ces soixante, il y a cinquante Africains ou Antillais venus des quartiers de banlieue où ils brûlent bêtement leurs propres voitures. Si j'étais un révolté, j'irais brûler les voitures à Neuilly, pas chez moi ! Le maître d'internat m'avait prévenu que c'étaient des sauvages : ils ne se lavaient pas, ils ne se disaient pas bonjour, etc. Je lui ai répondu qu'il ne fallait pas s'affoler, que nous étions des éducateurs, et que nous allions les éduquer.

Je les ai réunis en leur demandant ce qu'ils faisaient en premier en se levant le matin. « On mange. » Non, on dit d'abord bonjour au copain. On le dit comment ? « Salut. » Non, on se donne une poignée de main, une vraie. Comment ? On ouvre la main, on emmanche, on serre et on secoue. Je les ai fait mettre face à face, pour se donner une vraie poignée de main. Cela les a fait rigoler. Maintenant, à qui on dit bonjour ? « Aux copains. » D'accord, mais après ? « Au cuisinier. » Oui, au cuisinier. « À la dame qui sert. » Oui, à la dame qui sert. « Au gars qui balaie, aux entraîneurs, etc. » Si bien qu'aujourd'hui, tous ces gens ont droit à cinquante poignées de main tous les matins... C'est ce que m'avait appris mon instituteur à l'école communale. Cela a suffi à créer un climat de civilité dans le club. Aux repas et dans le travail, pas de boucles d'oreilles, pas de piercings. Lorsqu'ils vont en ville, ils ont le droit d'en mettre comme tous les autres jeunes. Mais comme ils oublient de les mettre, ils n'en mettent plus, ils ne s'en font plus donner... On leur a appris à enlever la capuche pour dire bonjour ; ils le font avec une facilité surprenante. Si la France faisait passer en priorité l'éducation de ces gens à intégrer - on sait trouver les moyens qu'il faut en cas de guerre - et prendre ces quatre millions d'individus bien en mains pour essayer d'en faire quelque chose...

M. Alain NÉRI : Je suis bien d'accord : j'ai été enseignant...

M. Henri NAYROU : Le principe des droits et des devoirs n'est ni de gauche ni de droite : il est de droit.

M. le Président : Monsieur Guy Roux, nous vous remercions.

Table ronde n° 1, ouverte à la presse :
le contrôle du respect des réglementations nationales et internationales est-il suffisant pour mettre fin aux dérives constatées dans les transferts de joueurs professionnels de football et l'exercice du métier d'agent sportif ?

réunissant :

M. Fabrice Rizzo et M. Jean-Michel Marmayou, directeurs du centre de droit du sport de la faculté d'Aix-Marseille ;
M. Philippe Piat, président de l'Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP)
et M. Bernard Gardon, Eurosport management,
 ;
M. Frédéric Thiriez, président de la Ligue de football professionnel (LFP)
et M. Arnaud Rouger, directeur des activités sportives de la LFP ;

M. Laurent Davenas, avocat général près la Cour de cassation, président de la commission d'appel de la Ligue de football professionnel ;

M. Jacques Lagnier, secrétaire général de la commission des clubs professionnels à la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) ;

M. Christophe Drouvroy, directeur juridique adjoint à la Fédération française de football (FFF) ;
 
M. Philippe Diallo, directeur de l'Union des clubs professionnels de football (UCPF) ;

M. Bertrand Cauly, agent, président du Collectif agents 2006,
accompagné de MM. Éric Compi, Jean-Philippe Soubeyre
et Tanguy Debladis ;
M. Philippe Flavier, agent, co-président de l'Union des agents sportifs de football (UASF) ;
M. Jean-Luc Bennahmias, député européen ;
Mme Sabine Foucher, direction des sports, ministère des sports ;
M. Patrick Mendelewitsch, agent, et M. François Raud, directeur de la société Bridge Asset ;
M. Alain Vernon, journaliste à France Télévisions ;
M. Jérôme Jessel, journaliste au magazine VSD

(10 janvier 2007)


Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Je vous souhaite à tous, la bienvenue ainsi qu'une très bonne année 2007.

Notre mission d'information sur les conditions de transfert des joueurs professionnels de football et le rôle des agents sportifs a été constituée le 25 octobre dernier par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale. Elle est composée de dix membres, représentant tous les groupes de l'Assemblée et elle doit rendre ses conclusions le 21 février prochain.

Après avoir procédé, depuis le 14 novembre 2006, à 24 auditions individuelles, il nous reste à entendre la Commission européenne ainsi que les représentants de la Fédération internationale de football association (FIFA). Nous rencontrerons aussi le ministre des sports, M. Jean-François Lamour, le 31 janvier.

Le but de notre mission est de réfléchir à l'amélioration des conditions de transfert des joueurs et à une meilleure définition du rôle des agents dans ces opérations. Elle dépasse donc le cadre du football et les solutions que nous pourrions être amenés à proposer devront autant que possible être adaptées à tous les autres sports.

Même si nous abordons parfois d'autres problèmes comme les paris, le dopage et l'arbitrage, le périmètre d'investigation de notre mission est bien celui des transferts et de la profession d'agent sportif. Nos auditions nous ont permis de faire un certain nombre de constats.

Tout d'abord, la manne des droits audiovisuels a provoqué une envolée du montant des transferts, donc une multiplication des opérations de transferts et l'arrivée de multiples intervenants.

En second lieu, l'arrêt Bosman, en libéralisant le marché du travail pour les joueurs de football professionnel, a placé les clubs en situation de surenchère pour acquérir les meilleurs joueurs.

Troisièmement, le football s'est incontestablement mondialisé dans toutes ses composantes, qu'il s'agisse de l'audience des compétitions, de la taille des entreprises sponsors, de la carrière des joueurs ou des circuits financiers.

Quatrièmement, dans ce contexte, et du fait des masses financières considérables qui sont en jeu, les risques de dérives, voire de pratiques mafieuses portant atteinte à l'éthique sportive ont augmenté. On a ainsi le sentiment que le football est désormais moins un spectacle qu'un business.

Cinquièmement, il existe pourtant de nombreuses réglementations, nationales, européennes et internationales, mais elles ne sont ni de même nature ni de même force juridique, ni exhaustives, ni appliquées, ni contrôlées.

S'agissant enfin de l'encadrement de la profession d'agent sportif, la France peut être considérée comme leader puisqu'elle est le seul État à avoir adopté une réglementation sur ce point. Mais l'application de cette réglementation pose aujourd'hui problème, au point que beaucoup s'interrogent sur sa pertinence, notamment en ce qui concerne les modalités de rémunération des agents.

Nombre des personnes que nous avons auditionnées nous ont expliqué que ces questions faisaient actuellement l'objet de réflexions, tant au niveau des différents pays qu'au niveau international. Je souhaite que vous nous indiquiez ce matin l'état de ces réflexions et si elles vous paraissent complémentaires les unes des autres.

Au vu de tous ces éléments, il était légitime que le Parlement français se saisisse du problème. Cette première table ronde est destinée à examiner si le cadre juridique actuel est adapté aux transferts et à l'activité des agents, sous réserve d'une meilleure application et d'un meilleur contrôle et si cela constitue un objectif réalisable et suffisant au vu de l'évolution rapide et parfois incontrôlée du football international.

Lors de notre table ronde du 17 janvier prochain, nous nous interrogerons sur les réformes nécessaires et sur les moyens de les mener à bien.

Il nous a semblé utile que cette réunion débute par un rappel du cadre juridique actuel ; c'est pourquoi MM. Fabrice Rizzo et Jean Michel Marmayou, maîtres de conférence au centre de droit du sport de l'université d'Aix-en-Provence, vont nous présenter l'état du droit positif sur la question du rôle des agents dans les opérations de transfert des footballeurs et les voies d'amélioration possibles.

Je souhaite que nous ayons ensuite le débat le plus ouvert possible. Je rappelle que cette mission n'a pas pour objectif de se mêler des affaires en cours ou déjà jugées mais bien de trouver les voies d'une amélioration à laquelle chacun a intérêt.

M. Fabrice RIZZO : L'activité d'intermédiaire consiste à rapprocher les parties pour qu'elles signent des conventions. Dans le monde du football, les agents interviennent au profit des joueurs, ils les déchargent de toutes les contraintes matérielles et juridiques, ils les aident à signer des contrats de travail avec les clubs. Ils peuvent également intervenir au profit des clubs, sous la forme de mandats de recherche et de missions de prospection et de rapprochement avec des joueurs.

Dans le football, l'agent est un courtier, mais il n'a pas de mandat de représentation et il n'est donc pas un mandataire, le joueur étant toujours libre de ne pas contracter. À mon sens, c'est donc par erreur de qualification juridique que les textes parlent de « mandat ».

Le concours de l'agent intervient dans la phase de négociation du contrat de travail, mais il peut aussi intervenir dans le cadre d'une opération de transfert, même si, en droit français, aucun texte ne l'exige et si l'on applique au transfert le droit commun des contrats et du travail. L'opération de transfert est celle par laquelle un club accepte de libérer par anticipation un joueur de ses obligations contractuelles, ce qui permet à ce dernier de s'engager au profit d'un autre club. Il peut y avoir à cette occasion entre les deux clubs la conclusion d'une convention commerciale qui fixe le principe et le montant de l'indemnité de transfert. Cela signifie que la cause du paiement de l'indemnité est finalement le consentement de l'actuel employeur de libérer le joueur de ses obligations et d'annoncer aux fédérations qu'il peut s'engager auprès d'un autre club. L'indemnité de transfert est donc le prix du consentement du club qui libère le joueur, ce qui correspond d'ailleurs au nouveau traitement comptable de ces indemnités.

L'opération de transfert est purement contractuelle. Les textes qui régissent l'activité d'agent sont le code civil, le code du commerce et le code du sport - puisque la loi de 1984 et l'ensemble des textes qui régissent les activités sportives ont été codifiés en 2006 -, ainsi éventuellement que la convention de La Haye de 1978 sur les intermédiaires. Mais il faut aussi parler de la réglementation de la FIFA et de sa portée juridique, puisqu'une décision du tribunal de première instance des Communautés européennes du 26 janvier 2005 l'a déclarée conforme au droit communautaire, et en particulier au droit de la concurrence. Cela étant, cet arrêt manifeste un certain scepticisme quant à la légitimité d'une fédération internationale pour prendre une telle réglementation de police économique. Le tribunal s'est en particulier interrogé sur le pouvoir normatif de la FIFA et il a paru considérer qu'elle portait atteinte à un certain nombre de libertés fondamentales du droit communautaire : liberté de prestation de services, liberté d'entreprendre ou liberté d'établissement. Il me semble en effet que cette question mérite d'être posée car la FIFA n'est finalement qu'une association de droit privé suisse dont je vois mal de quoi elle tirerait le pouvoir normatif de prendre des réglementations qui s'imposeraient aux citoyens français ou qui, pour le moins, porteraient atteinte à leurs libertés économiques.

Ces rappels effectués, nous allons nous efforcer de mesurer les enjeux juridiques de l'exercice de la profession dans le cadre des opérations de transfert. Jean-Michel Marmayou vous parlera tout d'abord de l'accès à la profession d'agent sportif, puis je reviendrai sur la question du paiement de la commission et de son traitement juridique.

M. Jean Michel MARMAYOU : Je ne chercherai pas à dresser un tableau de l'ensemble des problèmes rencontrés mais plutôt à traiter les principales questions qui se posent en droit français au regard de l'accès à la profession d'agent sportif et à mettre en évidence les corrections qui pourraient être apportées.

La première question est celle du champ d'application de la règle. Celle-ci est constituée des articles L. 222-5 et suivants du code du sport ainsi que du décret d'application et des arrêtés qui ont suivi. Mais on ne sait pas précisément comment, à qui et où elle s'applique. On peut tout d'abord se demander quelles sont les opérations et les activités visées - c'est ce qu'on appelle le champ d'application matériel. La particularité de ces articles tient au fait qu'ils visent trois contrats : le contrat de mandat, le contrat de courtage, qui est en fait la mise en rapport, et le contrat de travail conclu par le sportif. Or, les contrats visés ne sont pas très précis, ils ne recouvrent pas la réalité des opérations, surtout, ils oublient la question du transfert, comme si le législateur avait eu davantage à l'esprit les sports individuels que les sports collectifs où des transferts interviennent. Et quand la qualification ne correspond pas exactement à la réalité, on laisse la place à l'ingénierie juridique, puisqu'il suffit de passer des contrats qui ne correspondent pas aux qualifications données dans le code du sport. Si, pour une activité presque équivalente, on passe un contrat d'entreprise au lieu d'un contrat de courtage, on relève des articles 1789 et suivants du code civil, et non plus du code du sport... Cela n'a rien de frauduleux, mais on voit bien qu'il est aisé de contourner la loi, tout simplement parce que son champ d'application matériel est très restreint.

Le champ d'application territorial pose également problème, car on peut se demander comment cette réglementation peut s'appliquer à des opérations qui sont souvent à caractère international. En effet, le marché étant international, on a finalement assez rarement un joueur français, un agent français et deux clubs français, et les opérations de transfert font souvent intervenir des joueurs étrangers, des agents étrangers et des mouvements entre des clubs français et étrangers. On est donc logiquement amené à se demander quelle est la loi applicable : est-ce la loi française quand un agent français est missionné par un joueur étranger pour organiser un transfert entre deux clubs étrangers ? Et quand un agent français est chargé du transfert d'un joueur français entre deux clubs étrangers, a-t-il besoin d'une licence et doit-il respecter la réglementation française ?

Le code du sport ne définit pas le champ d'application territorial de la réglementation. Or, quand un texte est muet, deux méthodes contradictoires peuvent être appliquées. La première est celle des conflits de loi, qui laisse une grande partie du règlement au choix des personnes, ce qui les conduit à opter pour la loi la plus souple, celle qui s'adapte le mieux à la situation de l'agent et des parties. La deuxième méthode consiste à dire que la loi française est une loi de police, au sens du droit international privé, c'est-à-dire qu'on n'a pas le choix et qu'elle s'applique à partir du moment où il y a un critère de rattachement fort au territoire français. Encore faut-il bien sûr définir ce critère de rattachement : s'agit-il de la nationalité de l'agent ou du joueur, du siège social de l'agent... ?

La doctrine penche majoritairement pour la loi de police, mais la jurisprudence est particulièrement divisée. En effet, la Cour de cassation semble dire le contraire - mais sans l'affirmer de façon absolue - tandis que les juridictions du fond préconisent l'une ou l'autre méthode. Si l'on voulait être certain des cas dans lesquels cette loi s'applique, il faudrait donc que le texte lui-même le dise et que le législateur affirme sa préférence.

Si l'on considérait qu'il s'agit d'une loi de police, on élargirait le champ d'application, mais on ouvrirait aussi la porte à l'application de lois étrangères, l'agent pouvant être soumis à plusieurs lois en fonction du territoire sur lequel il intervient. Les choses seraient donc un peu compliquées, mais elles le sont déjà, puisque les juristes professionnels ne parviennent pas à déterminer le champ d'application territorial et que cela est encore plus difficile pour les joueurs, les agents et les clubs.

La deuxième grande question a trait à la licence. Le législateur français a choisi, comme pour d'autres professions, de créer une autorisation administrative et il a laissé le choix des modalités de contrôle aux fédérations, qui ont une délégation de service public. Mais la licence obligatoire pose un certain nombre de problèmes. En premier lieu, elle est délivrée par la fédération, après l'intervention de la commission des agents, dont la composition peut être à l'origine de conflits d'intérêts puisqu'on y trouve des représentants non seulement des agents, mais aussi des clubs et des joueurs, qui sont tous concernés par les activités des agents. La commission qui statue sur l'accès à la profession est donc composée de personnes potentiellement parties prenantes dans des opérations éventuellement litigieuses, et qui peuvent même être amenées à se prononcer sur des opérations les concernant directement.

Le système des équivalences paraît par ailleurs particulièrement ambigu et incomplet. L'examen se compose d'une partie générale, qui est en fait juridique, et d'une partie spécifique sur le football. Or, en l'état des textes, si un candidat se présente avec un doctorat en droit, il n'est pas exempté de la partie générale, à la différence d'un ressortissant européen qui a passé la licence FIFA, dépourvue de contrôle des connaissances en droit français... Définir un système d'équivalence permettrait peut-être, en outre, d'attirer vers la profession des personnes disposant déjà d'une certaine culture juridique.

Une autre difficulté tient à l'absence de formation continue, alors qu'une actualisation des connaissances, en particulier juridiques, paraît indispensable.

Sans entrer dans le détail, je mentionne également le problème relatif aux incompatibilités, qui ne présentent pas de caractère universel et qui sont ambiguës, faute par exemple de préciser ce qu'on entend par « encadrement sportif ». On peut ainsi se demander si un entraîneur en activité mais ne disposant pas des diplômes requis serait concerné.

Par ailleurs, la loi française autorise la délivrance de licences à des personnes morales, alors qu'un arrêté de 2000 semble réserver cette délivrance aux représentants des personnes morales, ce qui est différent, et restreint la notion de personnes morales aux sociétés commerciales, alors que la loi n'interdit pas à une association loi de 1901 d'exercer une activité d'agent. En outre, la FIFA ne reconnaît pas la possibilité de délivrer une licence à une personne morale. En la suivant, la Fédération française de football semble d'ailleurs se conformer à une norme privée de droit suisse plutôt qu'à la législation française...

Enfin, la situation des collaborateurs n'est pas réglée. Les textes étant muets, on ne sait pas s'ils peuvent être salariés et on ignore comment les rémunérer : en salaires, en honoraires, en commissions, en partage de commissions ? On ignore aussi si un collaborateur peut agir pour plusieurs agents et s'il doit être contrôlé. Tout ceci n'est pas sans effet, car l'on rencontre dans ce milieu un très grand nombre d'intervenants qui n'ont pas véritablement de statut. Il existe un certain nombre de solutions à cette question.

Les textes sont aussi extrêmement flous et ambigus en ce qui concerne la situation des étrangers, ce qui empêche de déterminer la situation juridique de ressortissants de l'Union européenne comme d'États tiers. On ignore ainsi si l'on doit exiger une licence française d'agents étrangers domiciliés sur le territoire français ou de ressortissants français ou étrangers qui ont obtenu une licence FIFA dans un autre pays. Doit-on leur donner une équivalence totale ou partielle ? Bien que le contrôle des connaissances ne soit pas organisé de la même façon La FFF a opté pour une équivalence totale, tout simplement parce que la FIFA oblige les fédérations nationales à reconnaître sa propre licence.

S'agissant enfin des sanctions, force est de reconnaître que les sanctions disciplinaires ne sont pas efficaces dans la mesure où elles sont de la compétence des fédérations qui n'ont pas forcément les moyens de contrôler une profession et qui sont confrontées aux conflits d'intérêts que j'ai précédemment mentionnés. Il y a par ailleurs de graves ambiguïtés dans les textes en ce qui concerne les pouvoirs des commissions compétentes. On peut également se demander sur quelles bases juridiques la FIFA inflige des amendes à certains agents, dans la mesure où ces derniers ne sont absolument pas membres, ès qualités, de la FIFA, qui leur délivre simplement, sous la forme d'une licence, une sorte d'autorisation d'exercice. Il est donc hors de question de considérer que la FIFA dispose d'un pouvoir disciplinaire sur les agents : elle n'a normalement ce pouvoir que sur ses adhérents.

Un certain flou règne également dans le code du sport en ce qui concerne les sanctions civiles. Il dispose simplement que les contrats passés en dehors de ses prescriptions sont nuls, mais il ne précise absolument pas les conditions juridiques de cette nullité. On ignore ainsi si elle peut être soulevée uniquement par le joueur ou par tout un chacun, si elle est automatique ou facultative pour le juge, si elle est totale ou partielle. Tout ceci ne concourt par à instaurer une sécurité juridique. Or, quand il n'y a pas de sécurité juridique sur les sanctions, celles-ci sont discutables et ne sont donc pas dissuasives.

Il y a sans doute moins à dire sur les sanctions pénales, si ce n'est que la peine d'un an de prison est bien plus dissuasive que celle de 15 000 euros d'amende.

De façon plus générale, j'observe que seuls les agents sont visés par les sanctions. Pourtant, réguler la profession d'agent suppose de réguler les opérations auxquelles ils participent. Et, dans la mesure où ils ne sont pas seuls, pourquoi ne pas étendre les sanctions aux joueurs et aux clubs, ce qui inciterait peut-être ces derniers à mieux vérifier le respect des normes avant de procéder au paiement.

M. Fabrice RIZZO : J'en viens au paiement, qui est régi par article L. 222-10 du code du sport, texte qui pose problème car il n'envisage pas l'opération de transfert et pose des difficultés d'interprétation.

Si l'on s'intéresse aux parties concernées par le paiement de la commission, on doit d'abord se demander qui est le débiteur. Le texte nous dit que l'agent n'intervient que pour une seule partie au contrat et que c'est cette partie qui doit le payer. Dans la majeure partie des cas c'est donc le joueur qui devrait payer l'agent. Mais dans la pratique, les choses ne se passent pas comme cela : le joueur ne veut pas payer son agent et c'est le club qui le rémunère. Un autre schéma serait antiéconomique car il faudrait payer des charges sociales et des impôts sur la commission. C'est pour cela que le club mandate l'agent pour une recherche et le paye sur le fondement de ce contrat de mandat. Il me paraît indispensable de réformer ce système : autoriser les clubs à payer les agents serait une mesure de transparence. Il est pour moi évident qu'il convient d'aligner le régime des agents sportifs sur celui des agents artistiques et des agents immobiliers.

En ce qui concerne le contrat de référence, on parle de 10 % du montant du contrat conclu, mais sur quel contrat va-t-on appliquer ce pourcentage ? Les textes ne font référence qu'au contrat de travail et l'on devrait donc payer les agents au plus à hauteur de 10 % de la rémunération des joueurs. Si ce n'est que dans le football, en matière de transferts payants, l'agent peut très bien intervenir uniquement pour négocier le contrat de transfert et pas du tout dans la négociation du contrat d'embauche. Comment le rémunérer dans ce cas ? Une lecture pragmatique du texte devrait amener à considérer que le contrat de référence est celui dans la négociation duquel l'agent est intervenu, contrat de transfert, contrat de travail, voire les deux, à condition qu'il ait réalisé un travail effectif à chaque fois.

Je rappelle par ailleurs que le juge a le pouvoir de diminuer le montant pour tous les agents d'affaires, y compris les agents sportifs, même si le pourcentage n'atteint pas 10 %.

Les textes n'interdisent ni que plusieurs agents interviennent dans une opération de transfert ni même que plusieurs agents interviennent pour une seule personne. Il conviendrait donc de prendre une disposition permettant d'éviter la pluralité des agents.

Enfin, on interdit la rémunération des agents lorsqu'ils interviennent pour des mineurs, mais le texte ne vise que la négociation des contrats de transfert et de travail. Paradoxalement on n'interdit pas à un agent d'être rémunéré lorsque le mineur signe des contrats d'image.

M. Henri NAYROU : Je souhaite rappeler dans quel esprit le groupe socialiste a demandé la création d'une commission d'enquête sur ce sujet. Même si nous n'avons pas obtenu pleinement satisfaction, nous avons apprécié que la commission des affaires culturelles, familiales et sociales ait accepté de créer cette mission d'information, la seule différence tenant finalement au fait que les personnes auditionnées n'ont pas à prêter serment.

Nous avons souhaité que l'on crée cette mission parce que nous avons observé le glissement du traitement médiatique du football des colonnes sportives vers celles des faits divers et, surtout, parce que nous avons constaté que la loi n'est ni appliquée ni respectée. C'est pourquoi nous avons concentré nos travaux sur les conditions dans lesquelles s'effectuent les transferts et sur le rôle des agents.

Je l'ai dit lors des précédentes auditions, nous ne sommes ni policiers ni juges, nous intervenons simplement dans le cadre de la mission de contrôle du Parlement et de ce que l'on appelle désormais le « service après-vote » de la loi.

Notre mission a déjà beaucoup écouté, elle continuera à le faire et elle jugera ensuite s'il convient de faire des propositions. Mais il est bien difficile de dire si le Parlement légifèrera ou pas car l'on entre dans une période un peu particulière, avec deux « compétitions » à la fin de cette saison...

M. Frédéric THIRIEZ : Nous avons considéré que la constitution de cette mission d'information était une bonne nouvelle. Mais je rappelle que ses travaux ne partent pas de rien, puisque le chantier de la moralisation et de la transparence des transferts et du rôle des agents a été ouvert par la Ligue de football professionnel en janvier 2004, avec l'aide de la Fédération française de football, des syndicats d'agents, du syndicat des joueurs, du syndicat des présidents de club. Cette réflexion a abouti à des propositions très précises qui ont été soumises au ministre dès septembre 2004.

Ce dernier a travaillé ensuite de manière très approfondie, puisqu'il a demandé une enquête à l'Inspection générale de la jeunesse et des sports et à l'Inspection générale des finances. Leur rapport, qui a été publié le 1er avril 2005, a repris à peu près l'esprit de nos propositions. Une proposition de loi a même été déposée à l'Assemblée nationale.

Bien sûr, nous rencontrons un certain nombre de blocages, notamment sur la question de la rémunération des agents, mais peut-être vos travaux nous donneront-ils l'occasion d'éclaircir ce point et de montrer qu'il s'agit finalement d'un faux débat.

J'insiste également sur le fait qu'il ne faut pas attendre que d'autres prennent position, en particulier l'UEFA et la FIFA, pour agir de notre côté car nous y serions encore dans dix ans... La France est suffisamment intelligente, inventive et compétente pour adopter des solutions nationales. J'ai foi pour cela dans le travail de votre mission.

M. Philippe PIAT : Si nous avons travaillé avec la Ligue nationale, nous ne sommes toutefois pas arrivés aux mêmes conclusions, et nous étions même en total désaccord sur la rémunération des agents.

Par ailleurs, je ne pense pas qu'il faille encore attendre dix ans pour que la FIFA prenne position : la task force qu'elle a créée il y a quelques mois a énoncé l'idée que « pour éviter un conflit d'intérêts, l'agent doit être rémunéré par le mandant, et non par un club. » Par ailleurs, l'étude dite indépendante du vice-premier ministre portugais José-Luis Arnaut a préconisé « l'interdiction de la double représentation et d'autres conflits d'intérêts, et un système basé sur le paiement des agents par les joueurs ». Enfin, le président de la FIFA m'a écrit ceci : « En ma qualité de président de la FIFA je tiens à vous confirmer que la position de la FIFA consiste en ce que les agents de joueurs doivent être rémunéré par les joueurs eux-mêmes et non par les clubs. Elle sera également rappelée par écrit aux présidents de la FFF et de la LFP, MM. Escalette et Thiriez, en réponse à leur courrier du 31 juillet 2006. »

On n'a donc plus besoin d'attendre : on sait que les pouvoirs sportifs internationaux sont d'accord pour dire que ce sont les joueurs qui doivent payer leur agent, afin d'éviter des conflits d'intérêts.

C'est pour cela que j'ai été stupéfait que M. Rizzo affirme qu'il fallait obligatoirement que les clubs soient autorisés à payer les agents de joueurs. Si cette mission a été créée à la suite d'un certain nombre de faits divers, j'aimerais savoir comment, en autorisant les clubs à payer les agents - ce qu'ils ont déjà fait au mépris de la loi -, on mettrait fin aux égarements que ce système a précisément favorisés.

M. François RAUD : Je m'étonne que les principaux dirigeants élus de la Fédération française de football, en particulier le président de la commission des agents, ne soient pas présents ce matin car ce sont bien eux qui sont le plus concernés par la non-application des règlements.

M. Philippe FLAVIER : Bien que je sois concerné au premier chef par la question de la rémunération des agents, je souhaite tempérer quelque peu ce qui a été dit.

Si la lecture de la presse a été à l'origine de la création de cette mission, elle nous montre aussi que la majorité des problèmes interviennent à l'occasion de transferts internationaux. En revanche, dans un cadre strictement français, le travail des agents représentants des joueurs et les transferts de joueurs français ne posent pratiquement pas de problème. Si l'on rencontre des difficultés dans les transferts internationaux, c'est parce que les clubs qui souhaitent recruter des joueurs étrangers augmentent le prix de transfert, pour des raisons fiscales. Dans la mesure où peu d'agents l'acceptent, on retrouve en fait toujours les mêmes, d'autant que les sanctions sont insuffisantes. Il est en effet incroyable, alors que l'on affirme vouloir rendre la profession plus transparente, que des agents ayant été reconnus coupables de malversations dans l'exercice de leur profession et condamnés en première instance et en appel, puissent continuer à l'exercer ! Considère-t-on que seuls les criminels doivent être interdits d'exercice ?

Le monde du football est très compliqué et les cas de figure sont multiples : agents français, agents étrangers, joueurs français, joueurs étrangers, clubs français, clubs étrangers. Si l'on n'adapte pas la réglementation à toutes ces situations concrètes, la nature humaine est ainsi faite qu'il y aura toujours des abus.

S'agissant du paiement, tout le monde est convaincu d'un point de vue intellectuel que le joueur doit payer son agent. Mais en pratique, aucun joueur ne peut et ne souhaite le faire.

Par ailleurs, si la réglementation de la Fédération française et de la FIFA impose aux agents un grand nombre de devoirs, ces instances ne leur sont d'aucun secours lorsqu'ils rencontrent un problème, par exemple de paiement de la part d'un joueur, et elles se contentent de leur conseiller de se tourner vers la justice. Pourtant, si l'on demande aux agents d'être plus transparents et de mieux travailler, on ne peut pas aussi leur demander d'accepter d'être payés par les tribunaux, au bout de trois ou quatre ans, voire jamais si le joueur est insolvable ! Il faut parvenir à un système dans lequel chacun puisse travailler. À défaut, si les agents continuent à ne pas pouvoir être payés, on va assister à une véritable épuration et l'on n'en comptera bientôt plus qu'une dizaine.

M. le Président : Tout le monde s'accorde à dire que la pratique n'est pas conforme à l'esprit de la loi ? On pourrait donc faciliter le paiement des agents par les joueurs. L'argument de la fiscalité et des charges sociales ne me paraît pas recevable car elles sont les mêmes pour tout le monde. C'est donc surtout sur la façon dont la rémunération de l'agent s'effectue dans le cadre du contrat que nous devons travailler.

Par ailleurs, qu'un agent puisse intervenir à la fois dans la recherche du meilleur contrat possible pour le joueur et dans un éventuel transfert ne paraît pas vous choquer, alors qu'il s'agit pour moi de deux choses totalement différentes.

M. Philippe FLAVIER : Cette question relève largement du fantasme : dans un cadre strictement français, bien peu d'agents ont touché une commission sur le montant d'un transfert car les clubs gèrent les transferts entre eux et n'ont besoin de personne. Quant aux transferts internationaux, ils représentent bien peu dans notre activité : nous sommes essentiellement rémunérés sur les négociations de contrats.

M. Christophe DROUVROY : La question de la rémunération est essentielle dans ce débat, mais il ne faut pas se focaliser sur ce sujet. La proposition de M. Rizzo que les clubs puissent payer les agents ne pose pas problème dans la mesure où c'est d'ores et déjà ce qui se passe, près de 90 % des commissions étant versées par des clubs à des agents.

M. Alain NÉRI : Vous nous expliquez qu'il est normal de ne pas respecter la loi. C'est scandaleux !

M. Christophe DROUVROY : Je réponds simplement au président, qui s'est demandé tout à l'heure si le dispositif législatif était applicable, qu'il est parfaitement appliqué en ce qui concerne la rémunération dans la mesure où, au moment de l'homologation du contrat, 90 % des joueurs déclarent - car nous sommes dans un système déclaratif - ne pas avoir eu recours à un agent. La loi est ainsi respectée, puisque l'agent n'intervient que pour une seule des parties. Ce n'est donc pas par rapport au texte mais par rapport à l'esprit de la loi que l'on peut parler de détournement.

M. le Président : Convenez que l'on ne peut rester avec un tel dispositif.

M. Christophe DROUVROY : En effet. Mais ne dites pas qu'il faut changer la loi pour que les clubs puissent payer les agents, puisque c'est déjà ce qui se passe. Sans doute est-ce scandaleux mais, alors que la loi parle d'« intermédiaire », la Fédération française de football a abandonné la notion d'agent de joueur, parce qu'officiellement aucun joueur n'en avait, et parle d'« agent sportif ».

M. le Président : Mais la conséquence est que M. Lagnier à la DNCG ne peut pas faire son travail correctement parce qu'il est saisi d'un contrat dont il n'a pas toutes les composantes.

M. Alain NÉRI : Ce qui est inacceptable, c'est qu'on ait affaire à des contrats antidatés. Où est alors la transparence ?

M. Henri NAYROU : Je trouve anormal et amoral que vous veniez expliquer à l'Assemblée nationale, là où s'élabore la loi, que celle-ci n'est absolument pas respectée.

M. Christophe DROUVROY : Je répète qu'en ce qui concerne la rémunération, la loi est respectée : elle n'interdit pas qu'un club mandate un agent pour négocier un contrat.

M. Bertrand CAULY : Nous avons créé un syndicat d'agents dont la voix est un peu discordante par rapport aux travaux effectués précédemment, notamment ceux de la mission Davenas. N'oublions pas en outre que bien peu d'agents s'expriment vraiment, puisqu'au total nos syndicats n'en comptent guère plus d'une trentaine.

Si l'on s'intéresse à la question du débiteur de la commission de l'agent, il me paraît nécessaire de revenir à ce qui fait l'essence de notre métier, qui consiste en premier lieu à défendre et à représenter des joueurs entre 16 et 30 ans face à des dirigeants d'entreprise fort habiles en affaires. Nous sommes donc agents de joueurs et nous défendons les joueurs. Le problème est qu'aux yeux de la FIFA on peut être à la fois agent de joueur et agent de club. Nous sommes pour notre part partisans de la suppression du mandat par les clubs, qui aboutit bien souvent à ce que l'agent qui a effectivement réalisé le travail, qui suit un jeune depuis plusieurs années, se le fasse « piquer » au dernier moment, quand les choses deviennent intéressantes.

Vouloir par ailleurs, comme le propose M. Rizzo, assimiler l'agent sportif à un agent artistique revient à oublier que les transferts sont exceptionnels dans le milieu artistique, et que c'est sans doute la possibilité de gagner beaucoup d'argent en peu de temps qui a amené des gens peu recommandables à investir le milieu du football.

Quant à la comparaison avec les agents immobiliers, avancée au motif que l'acheteur paie la commission, elle se heurte au fait que toutes les transactions immobilières sont soumises à la vérification des notaires. Mais peut-être est-ce cette vérification qui devrait finalement nous être confiée...

Enfin, invoquer le fait que le joueur n'acceptera jamais de payer l'agent et l'impôt pour prôner le statu quo ne me paraît à la hauteur ni des enjeux ni de la crise actuelle. Surtout, cela traduit la volonté d'infantiliser le joueur, qui ignore déjà souvent tout des transactions qui sont menées en son nom.

Pour notre part, nous préconisons que le joueur paie son agent, mais aussi que l'on prévoie, comme dans bien d'autres domaines commerciaux, une durée minimale d'engagement d'un an, assortie de clauses de résiliation très strictes. Sans doute faudra-t-il aussi aller vers l'obligation de contracter.

M. Philippe DIALLO : Les clubs professionnels sont bien évidemment des acteurs importants de ce dossier. Ils ont entrepris depuis plusieurs années un travail de transparence, notamment financière, et se sont efforcés de se professionnaliser. C'est dans ce dernier cadre que se pose la question des agents. Pour notre part, nous souhaitons que l'on renforce la sécurité de tous les acteurs, clubs, joueurs et agents ; que l'on adopte des dispositifs les plus proches possibles de la réalité qu'ils vivent ; que l'on veille à ce que chaque disposition législative tienne compte du fait que le sport français, au-delà du seul football, est aujourd'hui inséré dans un contexte international. Les clubs français sont prêts à la transparence et la professionnalisation, mais ils souhaitent jouer avec les mêmes armes que leurs compétiteurs étrangers. Cette dimension est d'autant plus importante que 40 % des joueurs qui évoluent dans le championnat de France sont étrangers.

Un certain nombre de questions importantes se posent dans la pratique quotidienne des clubs, sur lesquelles votre mission sera sans doute appelée à insister, qu'il s'agisse de l'identification des collaborateurs, des agents étrangers, des équivalences ou du contrôle, notamment par le biais de la commission des agents.

En ce qui concerne la rémunération, je rejoins ce qu'a dit Christophe Drouvroy quant au caractère hypocrite du respect de la législation actuelle. En outre, affirmer que le joueur doit payer son agent signifie-t-il la disparition des agents de clubs ? Ces derniers jouent pourtant une véritable fonction, par exemple quand un club souhaite trouver un débouché à l'étranger à un joueur qui n'a plus sa place dans son effectif. Il faudrait donc prévoir des mesures d'accompagnement.

M. le Président : Il ne me semble pas que l'on ait évoqué la suppression des agents de club. Je me suis simplement demandé s'il était normal que le même agent intervienne à la fois dans l'élaboration du contrat du joueur et dans la négociation entre deux clubs. Le fait qu'il n'y ait pas d'agent de joueur amplifie le flou entre sa fonction d'accompagnement du joueur et celle d'intermédiaire entre les deux clubs. Il est d'autant plus difficile d'identifier le rôle d'un intervenant qu'on ne le connaissait pas en amont de l'opération. Or, tel est bien le cas quand le joueur n'a pas lui-même déposé le nom de son agent officiel. C'est aussi ce qui pose problème à la DNCG. Il ne s'agit donc pas simplement de faire payer le joueur mais de rendre le dispositif plus transparent.

M. Philippe DIALLO : Je m'étonne qu'on demande que l'agent soit payé uniquement par le joueur dans la mesure où c'est ce que prévoient déjà les textes et où tout le monde reconnaît que ce n'est pas satisfaisant. Je n'avais pas compris que l'objectif de votre mission était de conserver un système qui ne donne pas satisfaction...

M. Alain NÉRI : Mais on ne peut pas non plus nous demander de nous contenter d'entériner un état de fait. Et je suis stupéfait que vous jugiez excessif que nous demandions simplement aux joueurs de dire à la Fédération qui est leur agent !

M. Philippe PIAT : Je représente les syndicats mondiaux de joueurs, lesquels disent tous qu'il appartient aux joueurs de payer leurs agents. Nous n'adoptons pas cette position par masochisme mais parce que nous considérons que l'assainissement du système est à ce prix. Pour que cela entre dans les faits, il suffirait d'une incitation fiscale adaptée, par exemple par le biais des 30 % de droit d'image.

J'ajoute que nous n'avons pas besoin d'agents de club : quand Manchester United veut vendre Ruud van Nistelrooy au Real Madrid, il suffit d'un coup de téléphone entre les dirigeants des deux clubs, et la discussion se fait directement. Quant au club qui souhaite faire une recherche de joueur, il lui suffit de prendre un intermédiaire, de lui donner mission de trouver celui dont il a besoin et de le rémunérer pour cela, sans qu'il soit besoin d'indexer aussi son indemnité sur le montant du transfert et du salaire du joueur.

Tout ceci me paraît donc fort simple, même si, comme l'a observé Philippe Diallo, régler le problème en France ne permettra pas de le traiter aussi au niveau international.

J'indique enfin que nous disposons d'une structure qui s'occupe des joueurs professionnels à la recherche d'un club et que nous avons sous contrat, dans ce cadre, deux joueurs importants, Matthieu Delpierre, qui joue à Stuttgart, et Martin Djetou. J'ai apporté les factures et les chèques qui montrent que ces deux joueurs ont payé eux-mêmes leur agent, ce qui ne les a pas empêchés de renouveler récemment leurs contrats.

M. François RAUD : Le club de Newcastle a été épinglé pour entente illicite par le tribunal après avoir passé avec certains agents de joueurs des accords assortis d'objectifs financiers : plus l'agent s'en rapprochait, autrement dit moins son joueur avait d'argent, plus lui en touchait... L'agent du joueur était devenu complice du club. Je propose moi aussi de faire disparaître la fonction d'agent de club. Les clubs ont des directeurs sportifs, des cellules de recrutement ; ils n'ont pas besoin d'agent.

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Si une commission parlementaire a été constituée, c'est pour parler de ce qui pose problème. On nous répond que les transferts franco-français n'en posent pas ; c'est totalement évident. S'il y a des problèmes, relevés comme tels par la presse et les médias, c'est au niveau des transferts internationaux, c'est-à-dire entre la France et les pays étrangers ou vice et versa, et ils sont énormes. Or ce sont bien des problèmes de gestion et de transparence financière, et pas autre chose.

La première proposition que j'ai faite au Parlement européen tend à créer une agence de transparence et de contrôle financier de l'ensemble des clubs européens, créée non dans le cadre de l'Union européenne, mais au niveau de l'ensemble des clubs de football européens - autrement dit, de l'UEFA. Aurons-nous réglé le problème pour autant ? Évidemment non. Et il n'est pas question d'attendre que tout ce monde se bouge pour commencer à réglementer.

Voyez l'agence mondiale antidopage. Ce n'est pas parce qu'on l'a créée que tous les problèmes de dopage ont été réglés, et la France ne l'a pas attendue pour réglementer cette question davantage qu'ailleurs. Et pourtant, non seulement on a fortement réglementé en France, mais l'Agence mondiale antidopage (AMA) commence à prendre de plus en plus de pouvoir. Il suffit de s'inspirer de sa composition : l'ensemble des fédérations, les ligues professionnelles, les grandes instances du football, les États, les députés de l'Union européenne seraient représentés dans un organisme capable de faire appel à ses propres experts et d'agir dans une réelle indépendance au niveau tant de l'esprit que du contrôle financier.

Cela dit, je ne suis pas dupe : pas plus que l'Agence mondiale antidopage, la mise en place d'une agence européenne de contrôle financier ne garantira que les clubs professionnels seront tous contrôlés et que tout deviendra transparent. Mais au moins une chose sera-t-elle certaine : ceux qui ne respecteront pas les règles et se prêteront, disons-le, aux mécanismes de blanchiment d'argent, à défaut d'être toujours pris, sauront qu'ils risquent de l'être. Pour les agents notamment, la nouvelle institution devrait jouer un rôle majeur.

Le rapport pour avis que j'ai fait voter préconise également une réelle certification européenne des agents - régie par une directive, s'entend. Car si le football professionnel et le sport professionnel en général dans l'Union européenne ne sont pas réglementés au niveau sportif, ils le sont au niveau économique. Or c'est en fonction des règles de libre concurrence que la Cour européenne de justice arrête ses décisions, qu'il s'agisse des agents ou du reste - le président Thiriez en sait quelque chose.

Bien sûr, c'est le travail des parlementaires de poser des règles, de faire que les règles soient respectables et respectées afin d'éviter toutes ces affaires. Mais, et le président Thiriez le sait aussi bien que moi, cela ne saurait suffire. On aura beau être vertueux en France, cela ne changera pas grand-chose si, dans le reste de l'Europe, d'autres États-nations le sont moins, à plus forte raison lorsque des dizaines, sinon des centaines de joueurs français jouent dans des clubs étrangers. Sans une réglementation européenne, non seulement nous reverrons toujours les mêmes affaires, mais nos clubs ne pourront affronter le marché dans des conditions de concurrence loyale face à leurs homologues européens.

M. le Président : D'autant que ce sont les ligues européennes les plus influentes sur le marché du football.

M. Frédéric THIRIEZ : Nous poursuivons tous ici le même objectif : la transparence dans les transferts comme dans l'exercice du métier d'agent. Il y a deux manières de l'atteindre : soit le système préconisé par Philippe Piat, où le joueur paie son agent, soit celui que je défends, où les clubs sont autorisés à rémunérer l'agent.

Osons le dire : le premier ne marchera jamais, car il exigerait des textes fiscaux et sociaux dérogatoires que j'imagine mal notre pays prendre en faveur des agents et des footballeurs professionnels... Mieux vaut sincèrement l'oublier.

La deuxième formule est tout aussi transparente que la première, sinon plus, car toute simple : on autorise le club à supporter la charge financière de la commission d'agent, mais à la condition que le mandat liant le joueur audit agent ait été préalablement déposé à la fédération ou à la ligue.

M. Alain NÉRI : Nous sommes au moins d'accord sur ce point.

M. Frédéric THIRIEZ : C'est parfaitement simple et transparent. On sait exactement qui fait quoi : un agent égale un joueur. La charge financière finale serait supportée par le club, mais je ne vois pas ce que cela peut avoir de dérogatoire ni de choquant. Ajoutons que la ligue centraliserait évidemment les transferts et les commissions.

Mme Sabine FOUCHER : Je remercie mon ministre d'avoir délégué une femme pour le représenter dans cet aréopage d'hommes... Le premier décret d'application de la loi étant paru en 2002, nous n'avons que quatre ans de recul pour apprécier le fonctionnement du dispositif. Nous sommes conscients que des rectifications s'imposent au niveau des cumuls, des incompatibilités, de la compétence de la commission, voire de sa composition. Pour avoir participé au précédent projet avec Mme Marie-George Buffet, je peux attester que, sur la question de la délivrance même de la licence, les fédérations ont bien travaillé, dans le football comme ailleurs. Nous avons d'ores et déjà dans nos cartons des projets de modification, mais le rôle du ministre l'oblige au préalable à consulter toutes les parties ; or c'est précisément sur la question du contrôle des mandats et de la rémunération de l'agent que nous achoppons et c'est ce qui nous empêche, faute de consensus, de vous présenter un projet pour l'instant. Le travail de votre mission est bien venu en ce qu'il aidera le ministre à se forger une conviction.

M. Jérôme JESSEL : J'ai rencontré M. Jean-François Lamour à plusieurs reprises, et il m'avait semblé convaincu que les agents devaient désormais être payés par les joueurs.

M. Alain VERNON : Je le confirme au nom de France Télévisions : le ministre m'a dit la même chose, et même publiquement.

Mme Sabine FOUCHER : Il ne l'a certainement pas dit dans ces termes. Je ne vous permets pas de mettre ma parole en doute !

M. le Président : Nous le recevrons et il s'exprimera.

M. Laurent DAVENAS : J'étais venu avec des idées claires ; les voilà brouillées... Rappelons que ce sont les transferts sans véritable finalité sportive qui posent problème : le meilleur club français ne fait pas plus de quatre ou cinq transferts par an, contre dix ou quinze pour ceux qui ont affaire au juge pénal !

En revanche, la profession d'agent a tout à gagner en termes de respectabilité à devenir une profession réglementée. Les modèles ne manquent pas en France, à commencer par les notaires - ce qui règle le problème de la rémunération : une transaction immobilière confiée à deux notaires ne multiplie pas la rémunération par deux, mais la divise entre les deux intervenants -, ou les avocats, avec le compte professionnel CARPA contrôlé et la postulation obligatoire : ainsi, un agent brésilien serait obligé de faire appel à un agent français pour négocier avec un club français.

Entre la solution de Philippe Piat et celle du président Thiriez, il existe peut-être une troisième voie, sur laquelle ma commission a réfléchi, et qui consisterait à dissocier le droit de jouer du contrat de travail. Les clubs professionnels, via des agents de club, négocieraient l'achat de la licence, qui donne le droit de jouer ; ensuite le joueur, accompagné de son agent personnel, négocierait avec le club son contrat de travail. Ce qui, juridiquement, réglerait assez facilement les problèmes qui vous agitent.

M. Philippe FLAVIER : Cela ferait tout de même trois agents au lieu d'un...

Malgré tout le respect que je dois à Philippe Piat et au travail qu'il réalise, je maintiens que l'on ne peut pas éliminer la profession d'agent de club en ne fondant que l'exemple de Van Nistelrooy. Ce serait simplissime...

M. Philippe PIAT : C'est là que l'on trouve les plus grosses commissions.

M. Philippe FLAVIER : Il ne faut pas tout ramener à l'argent... Nous recevons quotidiennement des appels de clubs qui ont des difficultés pour recaser un joueur trop cher après une erreur de recrutement et qui demandent notre assistance. Cette part de notre activité est bien réelle. En revanche, si un agent de joueurs s'occupe de clubs et en même temps d'un Van Nistelrooy, il peut y avoir doute : celui-ci est mondialement connu, il n'en a pas besoin. Quant aux deux factures que Philippe Piat nous a présentées, sur les deux cent cinquante, sinon trois cents contrats signés chaque année, c'est bien peu : c'est une chance que les deux joueurs les lui aient payées, mais n'en faisons pas une règle générale : cela ne marche pas.

M. Alain NÉRI : C'est fabuleux d'entendre une chose pareille !

M. Philippe PIAT : Sur deux joueurs, les deux ont payé !

M. Philippe FLAVIER : Pourquoi fabuleux ? Je suis exactement sur la même longueur d'onde que vous : je ne veux pas qu'il y ait deux agents sur une même affaire, je ne veux pas que la commission soit multipliée par deux, mais bien divisée, je veux aller dans le sens d'une plus grande transparence. Vous voulez que nous déposions les contrats passés avec nos joueurs et que ceux-ci nous paient ; soit, mais dites-moi comment vous allez vérifier que je n'ai pas réclamé à mon joueur 20 % de plus ! Allez-vous contrôler le joueur, alors qu'il serait aussi simple de vérifier auprès de la ligue nationale l'ensemble des agents qui ont travaillé, avec les contrats déposés ? M. Lagnier, à la DNCG, aura la liste exacte de toutes les commissions versées et, en cas de doute, pourra vérifier qui est intervenu, et si le mandat a bien été déposé à la fédération : c'est beaucoup plus simple...

M. Philippe PIAT : Pourquoi n'est-ce pas fait dès à présent ?

M. Philippe FLAVIER : Nous sommes seulement en train d'essayer d'évoluer...

M. Alain NÉRI : C'est tout de même extraordinaire. Quand on joue au football, on est censé respecter des règles du jeu. Or, on nous propose de nous en remettre non pas aux règles, mais à des us et coutumes totalement contraires à la loi, et de changer la loi !

M. Philippe FLAVIER : Je ne veux pas changer la loi...

M. Alain NÉRI : Si je suis un joueur et que je prends un agent, c'est pour qu'il me rende un service et qu'il travaille pour moi. Or vous voudriez que ce quelqu'un qui travaille pour moi soit payé par un autre ! M. Flavier dit que la proposition de M. l'avocat général Davenas multipliera le nombre d'agents. Mais lorsque, dans une vente, chacun vient avec son notaire, la commission est partagée entre les notaires !

M. Philippe FLAVIER : C'est bien ce que j'ai dit : si c'est partagé, cela me va très bien. Si c'est multiplié, cela ne va pas.

M. Alain NÉRI : Il suffit de répartir la commission entre les trois agents qui ont travaillé : cela me paraît d'une simplicité biblique. Je suis là pour faire la loi, non pour faire en sorte que l'illicite reste la règle commune !

M. le Président : Ne nous attardons pas trop sur la question de la rémunération de l'agent et venons-en à celle de la transparence financière lors des transferts. D'où vient l'argent, où va l'argent, par qui les sommes sont-elles négociées et comment profite-t-il à l'ensemble du football français, européen et international ?

M. Jean-Michel MARMAYOU : Ma remarque servira peut-être de transition. Faut-il ou non changer la loi ? Si la loi actuelle n'est pas appliquée, pourquoi ne l'est-elle pas ?

M. Alain NÉRI : Elle doit s'appliquer, un point c'est tout ! Et vous êtes professeur à la fac ? Voilà une curieuse façon de considérer le droit !

M. Jean-Michel MARMAYOU : C'est précisément parce que je suis professeur à la fac que je suis capable de prendre un peu de distance... Dans le domaine du droit, il faut impérativement conjuguer deux visions en observant les moyens qui permettent de l'appliquer, mais également son application effective. Le législateur lui-même ne s'est-il pas doté de missions d'évaluation et de contrôle pour vérifier si les lois promulguées sont applicables, efficaces, pas trop nombreuses, bien écrites ? Tout de même, ce sont là des questions importantes ! Je suis professeur de droit, mais je ne suis pas bête !

Ma mission, et l'État me paie pour cela, est de regarder si la loi est applicable, si elle mérite, parce qu'elle est bonne dans l'esprit, d'être durcie, d'être rendue plus efficace. Mais dans la mesure où la loi est la loi d'une société, la loi d'usage, la loi d'une profession, il faut s'interroger à partir du moment où un milieu rejette un texte. Peu importe la réponse, je pose seulement une question : est-il normal qu'une loi ne soit pas appliquée par le secteur concerné ? Dès lors, ne faut-il pas se demander si elle ne doit pas être changée, peut-être parce que certains intérêts y sont mal défendus ? Oui, il faut appliquer la loi ; mais il est un moment où ce n'est plus possible, où cela devient même contre-productif. On voit des lois ineffectives à 90 % - et c'est bien le cas de celle-ci -, parce qu'économiquement ou politiquement illégitimes, devenir de véritables pousse-au-crime : les gens, se sentant en quelque sorte absous du fait de cette illégitimité, s'habituent à la contourner ; et lorsque l'on commence à contourner une loi avec l'excuse de l'illégitimité, on en vient à contourner les autres, où l'excuse ne tient plus.

Peut-être faut-il déshabituer le milieu à contourner les lois. Or celle-ci, de mon avis d'analyste non impliqué dans le milieu, je la considère comme illégitime, économiquement lourde, ineffective, et aucun des arguments avancés à l'appui de son renforcement ne tient la route. Dans d'autres secteurs intéressant autrement plus de monde - après tout, on ne compte que 150 ou 160 agents sportifs dans le football en France, et en tout trois cents individus au grand maximum -, comme les agents immobiliers ou les agents artistiques, la situation était rigoureusement la même. On a libéralisé, tout est contrôlé par le préfet et cela marche - en tout cas à peu près bien : sans prétendre que l'on ait éradiqué tous les malfrats et les esprits malsains, tout est devenu beaucoup plus transparent. Si l'objectif recherché est la transparence, il faut réfléchir à ce qui est le plus efficace pour y parvenir ; or l'adhésion du secteur, de ceux qui se retrouveront à devoir appliquer la loi est une condition essentielle, surtout si l'on raisonne en termes de légistique. Le législateur doit se poser la question de savoir comment son texte sera reçu. Je veux bien que l'on oblige le joueur à payer l'agent ; mais il va falloir le trouver.

M. Philippe PIAT : Je trouve ce raisonnement totalement vicié. Certes, il peut arriver qu'une loi totalement inapplicable oblige à faire autrement. Encore faut-il que ce soit pour la bonne cause ! Si nous sommes réunis ici, c'est bien parce que l'on n'applique pas la loi et que l'application d'un usage différent aboutit à toutes ces malversations, rétro-commissions, sur-commissions et autres aberrations.

M. le Président : Ces dysfonctionnements sont-ils la conséquence du seul mode de rémunération des agents ? Je ne suis pas sûr que le lien soit aussi direct...

M. Henri NAYROU : Le représentant de la FFF et M. Marmayou ont beau jeu d'arguer que la loi est respectée, puisque le mandant est rétribué conformément à un mandat signé la veille ; mais c'est oublier que le mandant du départ n'est pas le mandant à l'arrivée... C'est une pratique de tartuffe ! Qui plus est, admettre qu'une partie paie le conseil de l'autre, c'est ouvrir la porte à tous les arrangements et dissimulations possibles. Sortons du football : où accepterait-on que l'avocat du salarié soit payé par l'employeur ?

M. Philippe PIAT : On imagine ce que cela donnerait dans un divorce...

M. Jean-Michel MARMAYOU : Cela se voit tous les jours : simplement, c'est le juge qui décide. Article 700 du nouveau code de procédure civile...

M. Henri NAYROU : Monsieur Davenas, est-il dit quelque part que l'avocat d'un salarié plaignant doit être payé par son employeur ? Ce doit être assez rare !

M. Laurent DAVENAS : Certains contrats de travail prévoient, en cas d'accident de la circulation, que l'avocat soit pris en charge et rétribué par l'employeur.

M. Henri NAYROU : Quant à l'analogie avec l'agent artistique, soyons clairs : l'agent artistique est chargé de négocier un contrat, de trouver un organisateur et un lieu. La différence, c'est qu'il n'y a pas de transferts, mais un cachet...

M. Philippe FLAVIER : Mais nous ne sommes pas payés sur les transferts !

M. Henri NAYROU : ... qui peut être assimilé à un salaire. À cet égard, la dissociation proposée par M. Davenas peut être une très bonne proposition. Et pour couper court au procédé du mandat signé la veille, il suffit d'exiger une information a priori, c'est-à-dire le dépôt à la fédération ou à la ligue d'une liste répertoriant, en deux colonnes, chaque joueur et chaque agent, avec un système de numéros. On éviterait ainsi des manipulations où les mandants changent à la dernière minute. M. Flavier ne manquera pas de faire remarquer que les joueurs...

M. Philippe FLAVIER : Sont volatiles, en effet ! Vous aurez beau déposer vos listes trois mois à l'avance, si, quinze jours avant, alors que vous êtes en contact avec un club, un autre agent passe et vous prend votre joueur, que se passera-t-il ? On aura beau essayer d'aller dans le bon sens, on ne résoudra pas le problème. Le football est malheureusement une succession de petits problèmes...

M. Philippe PIAT : Qui font qu'on ne respecte rien !

M. Henri NAYROU : Comprenez qu'il est difficile de vous entendre demander avec insistance que le joueur soit rémunéré par le club...

M. Philippe FLAVIER : Moyennant un contrat préalablement déposé.

M. Henri NAYROU : ...au motif que vous n'êtes pas sûr d'être payé par celui qui vous a commandité !

M. Philippe FLAVIER : Il n'y a pas que cela...

M. Henri NAYROU : Sur le plan législatif, l'argument ne tient pas.

Le président Thiriez s'engage sur la transparence ; il faut le prendre au mot. Cela suppose que, au-delà de la DNCG, un organisme au sein de la FFF ou de la Ligue soit en mesure de vérifier, pour chaque transaction, que la somme du départ coïncide avec la somme à l'arrivée. On peut s'inspirer de l'exemple de la caisse des notaires ; certains - qui, par peur, ont préféré quitter le milieu des transferts - ont suggéré de passer par un acte notarié...

M. Philippe FLAVIER : Nous sommes d'accord.

M. Henri NAYROU : Le joueur qui se serait ainsi engagé serait contraint de vous payer, conformément aux termes du contrat. La CARPA peut être également une solution.

M. Alain NÉRI : Tout le monde peut être contraint de payer. Est-ce à dire que je peux aller chez l'épicier du coin et ne pas payer ce que je lui ai acheté ?

M. le Président : Si nous sommes à discuter aujourd'hui, c'est bien qu'il se pose un problème d'application de la loi. Encore faut-il savoir pourquoi, et surtout en mesurer les conséquences.

Passons maintenant au deuxième volet : la question des transferts et le rôle que peuvent jouer les agents à cette occasion, et surtout la question de la transparence financière. Comment mettre fin aux dérives dont nous entendons pratiquement chaque jour parler dans les tribunaux ? Le livre blanc du président Thiriez a tracé quelques pistes ; d'autres solutions ont également été évoquées. Est-il possible de les mettre en application au niveau français, sans attendre une décision européenne ? Peut-on contrôler les flux financiers en amont, ou au moment de l'opération ? Par qui l'opération est-elle conduite ? Les plus grosses opérations sont relevées, on le sait, pendant les transferts.

M. Frédéric THIRIEZ : Notre proposition dans ce domaine est liée à la précédente - les deux sujets, quoi qu'on dise, ne sont pas sans interférences. Nous proposons de mettre en place un système de centralisation, au niveau de la ligue professionnelle, des versements liés aux transferts. Ainsi, au lieu de passer directement du club A au club B, l'argent serait versé par le club A à la ligue qui le reverserait au club B. C'est parfaitement concevable et faisable au plan national. Pour ce qui est des transferts internationaux, nous proposons, comme le font déjà les Anglais, d'obliger à une centralisation pour les achats de joueurs étrangers par les clubs français. L'argent n'irait plus directement du club français au club anglais, par exemple, mais transiterait par la ligue française qui paierait soit le club, soit la ligue anglaise. Cela ne marche évidemment que pour les achats, dans la mesure où le président de la Ligue française ne peut imposer d'obligation que sur les clubs français ; mais si tous les pays d'Europe appliquaient progressivement ce système sur les achats, nous aboutirions à un contrôle croisé complet au niveau européen dans la mesure où les achats... sont aussi les ventes.

M. le Président : Mais la Ligue a-t-elle l'autorité morale suffisante pour centraliser des flux financiers émanant des clubs qui sont précisément les décideurs en son sein ?

M. Frédéric THIRIEZ : Le principe de cette centralisation a déjà été adopté par le conseil d'administration.

M. le Président : Le problème dans un tel système est que l'on se contrôle soi-même...

M. Frédéric THIRIEZ : Au-delà du problème des commissions...

M. François RAUD : Il ne s'agit pas des commissions !

M. le Président : Nous ne parlons pas des commissions, mais des flux financiers entre clubs qui, en tant que membres du conseil d'administration de la ligue, vont s'autocontrôler. Sans porter de jugement de valeur...

M. Frédéric THIRIEZ : Soyons clairs : nous n'entendons pas donner 1 % du montant des transferts à la société de droit suisse Bridge Asset International ! La ligue dispose en son sein d'instances qui ont fait la preuve de leur indépendance et de leur compétence, et le fait que les clubs disposent de douze sièges sur vingt-cinq au conseil d'administration ne saurait amener à émettre quelque soupçon que ce soit à cet égard.

M. le Président : Je ne soupçonne rien, j'anticipe sur des remarques qui ne manqueront pas de fuser !

M. François RAUD : Ayant été directement pris à partie, je ferai remarquer que le président Thiriez s'appuie sur le système anglais, système que la presse de ce pays vient de critiquer très durement en soulignant la « complaisance » des institutions anglaises...

M. Philippe DIALLO : Rappelons, au risque de paraître à contre-courant, que les choses se passent parfaitement bien au niveau des sommes de transferts en France. Depuis plus de dix ans, chaque club publie individuellement l'ensemble de ses comptes et tout un chacun peut les consulter sur le site de la ligue et connaître la totalité des mouvements financiers. Ce que je souhaite, dans un souci de structuration et de prise en compte de l'international, c'est la mise en place d'un dispositif de centralisation de ces flux financiers par les ligues. Qui plus est, le président Thiriez est membre du Board, une association de ligues européennes, qui peut être l'amorce d'une coopération au niveau international ou à tout le moins européen afin de mieux identifier les flux financiers. Non seulement les montants des transferts ne posent pas problème, mais les questions évoquées par les tribunaux montrent seulement que le football n'est pas à l'écart de la société : il s'agit ni plus ni moins que de malversations, et le législateur que vous êtes sait bien que toute législation suscite ses fraudeurs. Ceux qui fraudent doivent être condamnés ; la responsabilité des dirigeants sportifs est de mettre en place les outils propres à garantir un contrôle dans de bonnes conditions. Mais pour ce qui est des sommes en jeu dans les transferts, toutes les conditions sont réunies pour garantir une grande transparence, et des initiatives sont prises pour aller au-delà, en prenant également en compte la question de la rémunération des agents, les deux sujets étant parfaitement liés.

M. le Président : M. Lagnier nous a expliqué qu'il n'avait pas les moyens techniques de porter un jugement transfert par transfert, contrat par contrat. Il a indiqué que la situation d'un club était jugée la plupart du temps sur le plan exclusivement financier, et a posteriori, le contrôle s'effectuant au vu de la masse salariale budgétée et des lignes budgétaires affectées aux transferts et à la rémunération d'agents, d'où on pouvait déduire in fine si l'on avait dérapé ou pas. Le problème est qu'à ce stade, le mal est déjà fait...

M. Philippe DIALLO : Les dérapages, j'y insiste, sont le fait de malversations qui, indépendamment du contexte législatif, se seraient de toute façon produites. Qui plus est, au-delà des moyens de contrôle mis en place par les instances sportives, l'administration fiscale et l'URSSAF ne se privent pas de contrôler en permanence pratiquement un club sur deux ou trois. Les premiers éléments que réclame un enquêteur sont évidemment les montants des transferts et les mandats d'agent... Or ces aspects - et c'est heureux - ne donnent pratiquement jamais lieu à redressement ; c'est bien la preuve que les choses se passent correctement.

M. le Président : Sans oublier le contrôle effectué par les commissaires aux comptes.

M. Philippe DIALLO : Absolument.

M. Jacques LAGNIER : Le débat montre que l'on a affaire à deux types de problèmes de nature différente : les problèmes internationaux et les problèmes internes. En France, les clubs sont soumis à de nombreux contrôles, en plus de celui de la DNCG. Leur gestion tant administrative que fiscale et sociale s'est considérablement améliorée au fil du temps. La DNCG s'appuie également sur les commissaires aux comptes, très présents dans les clubs et qui ont accès à tous les éléments. N'oublions pas non plus que bon nombre d'intervenants ne sont pas nécessairement des agents sportifs et que l'on ne saurait interdire à une société de s'entourer des conseils qu'elle estime nécessaires ; d'où parfois une certaine ambiguïté entre l'agent proprement dit et d'autres acteurs appelés à intervenir. L'information ne saurait être complète si l'on s'intéresse aux seuls agents sportifs. Il est essentiel de pouvoir accéder à toutes les pièces relatives à une transaction ou à un contexte particulier.

M. le Président : Votre tâche serait bien évidemment facilitée si vous aviez communication de tous les éléments financiers bien identifiés, joueur par joueur. Or vous nous avez indiqué que vous ne les observiez que globalement et a posteriori.

M. Jacques LAGNIER : Tout à fait.

M. le Président : Vous ne pouvez donc en tirer une vision très claire des transferts individuels. Comment dans ces conditions être assuré de la pérennité de la situation financière d'un club, ce qui est pourtant le but premier de la DNCG... ? Le système actuel ne vous permet pas de disposer de tous les éléments du dossier.

M. Alain NÉRI : Et pour ce qui est des mandats, vous n'avez accès qu'à un document antidaté, autrement dit un faux.

M. le Président : Avec un agent bien identifié, capable de vous avertir en amont d'une transaction, et avec toutes les pièces de cette transaction en main, vous pourriez valablement juger de la pérennité d'un club. Ce serait un élément de transparence et de sécurité, y compris pour le club et la ligue.

M. Frédéric THIRIEZ : C'est exactement ce que nous vous proposons.

M. le Président : Mais la DNCG, indépendante, a-t-elle le temps et les moyens nécessaires ?

M. Jérôme JESSEL : La DNCG n'est pas indépendante, puisque c'est une émanation de la ligue !

M. Jacques LAGNIER : Vous connaissez mal le football et mal la DNCG...

M. Jérôme JESSEL : Votre président a lui-même avoué, lors du procès de Marseille, qu'il n'avait pas de moyens d'investigation et qu'il ne connaissait même pas le système des primes à la signature !

M. Jacques LAGNIER : Il ne faisait pas partie de la DNCG à cette époque...

M. Jérôme JESSEL : Il connaît encore moins le football que moi !

M. Frédéric THIRIEZ : Je ne peux accepter de tels propos !

M. Jérôme JESSEL : Qui plus est, un mal semble se répandre : par le biais des fameux droits fédératifs, des sociétés privées peuvent devenir propriétaires de joueurs de football en Amérique du Sud. Quelle est la position de la ligue et de la DNCG sur cette question ? Les droits fédératifs, parfois détenus par des sociétés off shore, permettent également de détourner énormément d'argent.

M. Jacques LAGNIER : C'est précisément une des grosses difficultés que posent les transferts internationaux ; c'est à l'extérieur que se rencontrent les plus grands risques de dérives. Parallèlement au travail à mener pour améliorer le droit interne français, il faudra agir au niveau international pour obtenir de meilleures garanties. Le contrôle financier a déjà été renforcé au niveau européen, mais il faudra amplifier les efforts d'ores et déjà engagés par l'Union des associations européennes de football (UEFA) pour améliorer les choses.

Le système des sociétés de joueurs, en cours dans certains pays, est une pratique effectivement inquiétante. À ma connaissance, en dépit de quelques velléités, elle n'est pas répandue en France, où elle a finalement été interdite par la réglementation du football. Encore faudrait-il que les instances européennes et mondiales fassent de même.

M. Jérôme JESSEL : Le transfert de Christian du PSG à Bordeaux a précisément mis en lumière l'existence d'une société propriétaire de joueurs...

M. Jacques LAGNIER : Nous n'en avons pas eu connaissance.

M. Alain VERNON : Pour observer le monde du sport, et en particulier du football, depuis vingt-cinq ans, j'ai l'impression de revivre ce qui s'est passé dans le vélo, où l'on a fait semblant pendant des années d'ignorer le dopage et toutes les dérives qui y sévissaient. Il semble en être de même dans le football ; il suffit pourtant de se référer aux notes du ministère de la justice pour s'apercevoir que plusieurs clubs professionnels font l'objet de procédures - ce qui, au passage, montre l'inefficacité des instances censées les sanctionner... Les affaires de Marseille, bientôt de Paris, Strasbourg, Saint-Étienne et autres, témoignent à l'évidence d'une faillite des instances de contrôle. La DNCG elle-même, un de ses membres ici présent me l'a confié, ne va jamais à Marseille... Pour quelle raison ?

Comme pour le vélo, on feint de croire qu'il n'y a pas de corruption dans le football. Et que suggèrent les instances dirigeantes ? Imaginez que les équipes cyclistes professionnelles vous aient proposé de s'occuper du dopage ! Lorsque autant d'affaires secouent un sport professionnel, on est obligé de faire appel à des instances européennes et internationales indépendantes - ainsi l'AMA dans le domaine du dopage. Il doit en être de même pour le football, avec des organismes indépendants, compétents, sans « casseroles », capables de prendre de nouvelles décisions. Demandez-vous pourquoi nous sommes réunis aujourd'hui : le système qui permet aux clubs de rémunérer des agents est générateur de corruption et c'est cela qu'il faut corriger.

M. Jacques LAGNIER : La DNCG vient d'être attaquée alors que je la croyais respectée et appréciée. Au demeurant, votre information doit être mauvaise, car si elle n'a effectivement pas pour politique de diligenter des missions d'expertise dans les clubs, ce qui est l'affaire des commissaires aux comptes, une mission lourde d'audit a bel et bien bel et bien été menée à Marseille. Il ne faut pas dire n'importe quoi...

M. Alain VERNON : Et apparemment, elle a eu de bons résultats...

M. Laurent DAVENAS : Le contrôle de la DNCG et de la ligue a d'abord pour finalité de préserver l'équité de la compétition ; la lutte contre les dérives mafieuses et les actes de délinquance commis dans le football relève de la responsabilité des seuls pouvoirs publics. La dernière affaire de Marseille montre du reste qu'il conviendrait de modifier la loi qui interdit à une fédération de se constituer partie civile en cas de poursuite pour abus de biens sociaux mettant en cause un club. La fédération et la ligue ont été déboutées, et à juste titre, en application de la jurisprudence de la chambre criminelle, la loi sur le sport ne leur permettant de se constituer partie civile qu'en cas de violence et d'acte de racisme ou d'antisémitisme. Il faudrait songer à étendre cette possibilité aux dérives financières pénalement sanctionnables.

M. le Président : D'autres ligues se sont portées partie civile...

M. Laurent DAVENAS : Parce que la loi le leur permettait, ce qui n'est pas le cas dans le football. Quoi qu'il en soit, la lutte contre ces dérives relève de la responsabilité des pouvoirs publics.

M. Philippe FLAVIER : Les malversations - tous ceux qui ont à peu près compris le système en sont d'accord - sont des problèmes internationaux.

M. Jérôme JESSEL : Dus au fait que les agents sont payés par les clubs !

M. Philippe FLAVIER : Ce sont des problèmes internationaux et c'est cela l'essentiel.

M. Jérôme JESSEL : Non !

M. Philippe FLAVIER : Ne faites pas porter aux agents européens et français un chapeau trop grand pour eux. La FIFA devrait s'attacher à harmoniser la profession. En France, les agents n'ont pas le droit d'être propriétaires de joueurs et nous ne le voulons surtout pas, mais les Brésiliens et les Suisses le peuvent : comment une même profession peut-elle ne pas avoir les mêmes règles dans un système mondialisé ? Que la FIFA fasse en sorte que le Brésil et la Suisse ne l'autorisent plus, mais qu'on n'aille pas nous reprocher des dérives dont nous ne sommes pas responsables ! Les dérives sont essentiellement liées aux transferts internationaux avec des pays où les agents peuvent être propriétaires. Cela ne me concerne pas, et je vous demande de faire en sorte que cela n'existe pas ; or cela relève des instances internationales. Mais, de grâce, n'allez pas imputer ces affaires au fonctionnement des agents français en France !

M. le Président : Ce n'est pas la philosophie de cette mission.

M. Philippe FLAVIER : Tout le monde ne fait pas cette distinction ; pour beaucoup, un agent est un agent. Ce qui nous importe, c'est que l'on puisse travailler en France dans la transparence, sans affaires, et que l'on règle les problèmes internationaux. Nous sommes prêts à y participer, dans la mesure de nos moyens.

M. François RAUD : Les agents ne sont pas responsables de tous les maux, nous en sommes bien d'accord.

M. Bertrand CAULY : Peut-être suis-je naïf, mais je crois savoir que le ministère des sports a donné délégation à la Fédération française de football (FFF), qui elle-même la donne à la Ligue de football professionnel... Jusqu'à preuve du contraire, c'est la FFF qui s'occupe - pour faire simple - des agents, et c'est la Ligue qui a produit un livre blanc, à l'origine des tentatives observées depuis deux ans. Comment le ministère et la fédération jugent-ils cette situation ? Je lis dans la synthèse du schéma proposé à l'annexe III du livre blanc : « 2. L'agent transmet le contrat de mandat à la FFF (ou à la LFP) » Mais dans tout ce qui suit, il n'est plus fait mention que de la LFP ; la FFF a disparu. Est-ce un oubli ?

Il est clair que le contrôle a failli. Pour notre part, nous souhaiterions qu'une autorité administrative indépendante s'occupe des agents, et non plus la FFF ni la LFP.

M. Patrick MENDELEWITSCH : Si les juristes ont pour mission d'organiser le doute en termes de droit, ils y ont parfaitement réussi... Ainsi M. Rizzo, en préambule de son intervention, a affirmé, non sans raison, que l'agent n'était pas un mandataire, mais un courtier. De là procède tout ce à quoi nous assistons : le courtier intervient tantôt en faveur du joueur, tantôt en faveur du club, tantôt en faveur des deux, et, de fil en aiguille, on en arrive à la situation telle que rapportée par l'actualité.

Quelqu'un a dit que la situation était finalement assez simple ; effectivement, elle l'est. Lors d'une réunion de la commission des agents de joueurs à laquelle j'avais été convié, j'avais soulevé en présence de M. Drouvroy un point à mes yeux enfantin : le joueur qui aurait lui-même payé sa commission - comme le font tous ceux dont je m'occupe - a parfaitement la possibilité, sans qu'il soit besoin de réécrire le code général des impôts, de la déduire au titre des frais professionnels.

M. Philippe PIAT : Tout à fait !

M. Patrick MENDELEWITSCH : La commission payée à l'agent répond exactement, pour un joueur, à la définition des frais professionnels où elle représente d'ailleurs le poste de dépense le plus important. Or le code général des impôts autorise d'ores et déjà la déduction des frais professionnels supportés par les joueurs, pour peu qu'ils veuillent le faire. Pourquoi échafauder des pistes de recherche et multiplier les rustines, alors que l'on a déjà les solutions sous les yeux ?

M. Philippe FLAVIER : Et le contrôle ?

M. Bernard GARDON : Parmi les deux cas de joueurs ayant eux-mêmes rémunéré leur agent, que M. Flavier ne juge pas intéressants...

M. Philippe FLAVIER : Pas significatifs.

M. Bernard GARDON : ... prenons celui de Matthieu Delpierre, parti de Lille pour Stuttgart. Il nous a payé une commission de 125 000 euros ; comme il partait à l'étranger, nous lui avons fait un quitus fiscal, avec un contrôle, et nous sommes arrivés exactement au même résultat, sans aucun problème.

M. Patrick MENDELEWITSCH : M. Drouvroy connaît parfaitement cette problématique depuis au moins deux ans et demi, lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois en commission des agents de joueurs. Autrement dit, la solution est facile à trouver.

Tous ceux qui se posent la question à partir d'une approche, non pas bureaucratique au sens de Max Weber, mais de la déviance, du manquement, arrivent tous à la même conclusion : il faut que le joueur paye son agent. On parle des artistes de variétés, pourquoi pas ? Mais imaginez la tête que ferait un plaignant au tribunal si l'avocat de la partie adverse venait lui dire, peu de temps avant l'audience : « Ne te fais pas de souci pour les honoraires, c'est nous qui les payons ! » C'est du simple bon sens...

Personne n'a encore parlé du contrôle très serré diligenté par la première ligue anglaise : s'il n'a pas donné lieu à des découvertes spectaculaires, il s'est accompagné de préconisations très précises, sans l'ombre d'une ambiguïté - et pourtant, on sait combien la langue anglaise s'y prête. Les agents de la société Quest, qui ne sont pas des praticiens du droit, mais des spécialistes de l'investigation, sont arrivés à la conclusion que non seulement le joueur devait impérativement payer son agent, mais que le club ne devait pas interférer dans la négociation.

M. le Président : À ceci près que ce n'est pas davantage l'usage en Angleterre...

M. Patrick MENDELEWITSCH : Je parle de ce qu'ils préconisent ; sur le constat, vous avez parfaitement raison.

M. François RAUD : On se demande pourquoi les clubs tiennent absolument à payer les agents alors que personne ne les y oblige...

M. Patrick MENDELEWITSCH : Pourquoi donc se battent-ils bec et ongles pour le faire ? Sur le plan économique, alors que l'on nous ressert immanquablement le doux refrain des charges sociales, le moins cher pour eux serait de ne rien payer du tout en laissant le joueur s'acquitter de ce qu'il doit moyennant quitus fiscal... Ce qui peut être strictement transparent. Répéter que c'est impossible ou organiser le doute juridique autour d'une problématique philosophique équivaut à peu près à se demander si, tous comptes faits, le permis de conduire est véritablement obligatoire, et pourquoi on s'échine à le passer !

M. Christophe DROUVROY : Il m'arrive souvent de me retrouver face à des enquêteurs des forces de l'ordre étonnés de me voir disposer seulement des pièces que les agents sont tenus de nous transmettre en application de la loi, alors qu'eux ont pu récupérer force documents au cours de leurs perquisitions... Si faillite il y a dans le contrôle, encore faut-il la rapporter aux compétences légales qui nous sont attribuées ! Tout notre système repose exclusivement sur des déclarations et la fédération n'a pas les moyens d'investiguer ni de lancer des commissions rogatoires au niveau international.

M. le Président : Nous l'avons bien compris ; mais il doit être possible, en interne, de mettre un dispositif en place afin d'avoir les vraies pièces du dossier.

M. Christophe DROUVROY : Encore faut-il qu'elles existent matériellement... C'est tout le débat.

M. le Président : Et c'est toute l'amélioration qu'il faut apporter au système !

M. Alain NÉRI : Un agent est venu nous expliquer très doctement qu'il avait sous sa responsabilité une quinzaine de joueurs, et non des moindres, de l'équipe de France, sans le moindre contrat écrit ! Ou je ne comprends pas bien, ou je ne comprends que trop... Je souhaite qu'il n'en soit plus ainsi, et que l'on pose des règles simples : M. X a un contrat avec M. Y, signé et déposé à l'avance !

M. Christophe DROUVROY : Je vous renvoie le ballon : pourquoi le législateur ne déciderait-il pas qu'il ne peut y avoir que des agents de joueurs, rémunérés par les seuls joueurs, point final ? La loi ne le dit pas et vous pourriez la modifier dans ce sens. Il n'y aurait plus aucune ambiguïté.

M. Alain NÉRI : C'est précisément l'objet de nos discussions.

M. Christophe DROUVROY : Je vous indique enfin que la fédération soutient totalement l'idée d'un organe de contrôle proposé par la ligue. Nous travaillons ensemble au sein de la commission des agents et nous sommes en relation constante.

M. Philippe DIALLO : Plusieurs intervenants ont stigmatisé une « faillite » des instances dans leur rôle de contrôle. Je suis ouvert à toute proposition de nature à améliorer le système. Certains prônent la création d'une agence indépendante des instances sportives. Pourquoi pas ? Nonobstant la question de l'autonomie du monde sportif qui se verra retirer une partie de ses prérogatives...

M. Alain NÉRI : C'est ce que nous avons fait pour le dopage !

M. Philippe DIALLO : Effectivement, et ce n'est pas le fond de l'affaire. Reste que cette agence indépendante aura essentiellement deux missions. Premièrement, exercer un contrôle juridique pour s'assurer que les acteurs - agents, clubs, joueurs - ont bien respecté la réglementation : cette mission est pour l'heure remplie par la ligue et la fédération, et contrôlée par plusieurs instances internes, sans à ma connaissance poser problème. Deuxièmement, exercer un contrôle financier ; mais s'il reste franco-français, qu'amènera-t-il de plus que celui de la DNCG ? S'il doit s'internationaliser, se posera inévitablement la question des moyens matériels et d'investigation, sachant que nous avons 40 % de joueurs étrangers : une agence indépendante est-elle capable d'être présente au Brésil, en Argentine, au Mali ?

M. Alain VERNON : Oui !

M. Philippe DIALLO : Comprenez que je veuille savoir comment tout cela fonctionnera ! Les pouvoirs publics et la Justice eux-mêmes ont le plus grand mal à assurer et contrôler la traçabilité financière des mouvements incriminés ; quelle garantie de moyens et de résultat pourrait apporter une agence indépendante par rapport au système en place ?

M. Philippe FLAVIER : On se retrouve toujours face au même problème : si le point B, où va l'argent, est situé au Brésil et que la législation brésilienne y autorise à en faire ce qu'on veut, vous aurez « tracé », mais sans rien empêcher pour autant.

M. Bertrand CAULY : Vous aurez empêché des prises d'intérêt potentielles.

M. le Président : Si déjà l'on pouvait résoudre une partie des problèmes français et, dans un deuxième temps, européens, une bonne part des difficultés seraient réglées...

M. Jean-Michel MARMAYOU : Premièrement, le droit fédératif, les procès en cours le montrent, pose effectivement une série de problèmes. Ce droit sur le joueur appartient non pas à un club, mais à une société, éventuellement off shore, autrement dit installée dans un pays à faible pression fiscale. La question est de savoir comment une instance française, fédération ou ligue, pourrait interdire le paiement de droits fédératifs à ce type de société, sachant que la pratique est légale en Amérique du Sud, mais également en Europe, au Portugal notamment, et qu'ils peuvent quelquefois être vendus aux enchères... Comment une fédération française, même avec une délégation de service public, peut-elle ne pas reconnaître cette réalité ? Sur quel fondement une instance de contrôle au sein de la ligue pourrait-elle refuser de payer ? De quelle compétence pourrait-elle se prévaloir ? Est-ce à dire que l'État français ne reconnaît pas le droit brésilien ? Les droits brésiliens et les droits français s'appliquent, se combinent en vertu d'une série de règles ; mais l'État français ne saurait balayer d'un revers de main un mécanisme juridique en vigueur dans un autre pays, et la FIFA encore moins.

Deuxièmement, on a cité des cas de joueurs payant eux-mêmes leur agent, mais je ne suis pas certain que ces exemples concernent des joueurs en situation de force sur le marché. Qu'il s'agisse de sport ou d'emploi, un intervenant en situation de force sur un marché donné y impose sa volonté. Si un joueur professionnel en situation de force n'a pas envie de payer son agent, il ne le paie pas.

M. Bernard GARDON : Contre la loi...

M. Alain NÉRI : Autrement dit, il ne respecte pas la loi !

M. Philippe PIAT : Ni le contrat qu'il a signé !

M. Alain NÉRI : Vous acceptez qu'on ne vous paie pas, vous ?

M. Philippe PIAT : Et le club qui accepte de payer est complice !

M. Jean-Michel MARMAYOU : Je n'accepte pas qu'on n'applique pas la loi : je me pose seulement la question de savoir pourquoi.

Qui a intérêt à ce que la loi actuelle soit contournée ? Il suffit de faire un calcul, mais tous ceux qui ont été faits jusqu'à présent n'ont pas été menés au bout. Le joueur y a un intérêt : il ne se sent pas concerné, et même s'il l'est, il ne veut pas que cela diminue son revenu net.

M. Patrick MENDELEWITSCH et M. François RAUD : Relisez le code général des impôts !

M. Jean-Michel MARMAYOU : Laissez-moi vous expliquer. Dans la réalité, un joueur qui a décidé de raisonner en « net-net »...

M. Alain VERNON : Mais c'est hallucinant !

M. Alain NÉRI : Personne n'est jamais content de payer, c'est connu ! Demain, ce joueur réclamera que l'on paie ses impôts ! C'est inconcevable !

M. le Président : Allons ! Laissez M. Marmayou achever son propos.

M. Jean-Michel MARMAYOU : C'est contraire à la loi, mais c'est un fait : un joueur en situation de force sur le marché a décidé de ne pas supporter économiquement le coût de son agent. Que dit-il au club ? « J'ai exigé une rémunération nette de 100. La commission de mon agent représente 10 ; donnez-moi donc 10 de plus. » Mais en fait, ce n'est pas 10 de plus que le club devra payer. Il va falloir intégrer...

M. Patrick MENDELEWITSCH : Ça, c'est autre chose !

M. Alain NÉRI : C'est exactement ce qui a donné l'affaire de l'AS Saint-Étienne !

M. Jean-Michel MARMAYOU : Je la connais par cœur. Mais il faut avoir les tenants et les aboutissants, et les intérêts qu'y ont tous les acteurs...

M. Alain NÉRI : Je ne peux pas accepter cela !

M. Jean-Michel MARMAYOU : Le joueur qui raisonne ainsi est peut-être un enfant mais le problème est qu'il est en position de force. Il réclame au club un supplément pour son agent ; mais pour le club, ce supplément est chargé... Tant et si bien que cette commission de 10, compte tenu des charges sociales et fiscales, se retrouve au bout du compte à coûter 40 ou 50.

M. le Président : Cela, on a compris. C'est effectivement un problème majeur.

M. Jean-Michel MARMAYOU : Tout le monde a un intérêt économique à ce mécanisme, à commencer évidemment par le club et le joueur. Le moins intéressé, c'est l'agent ; or c'est précisément à lui qu'on s'adresse...

Examinons maintenant les circuits financiers sur les contrats et les transferts internationaux...

M. Alain VERNON : Parlez une minute trente, comme tout le monde !

M. Jean-Michel MARMAYOU : On nous a demandé de venir faire une synthèse...

M. Alain VERNON : Précisément, une synthèse !

M. Jean-Michel MARMAYOU : Je renonce à poursuivre...

M. Alain VERNON : À la télévision, on a l'habitude de faire court... Premièrement, comment les instances françaises peuvent-elles laisser des transferts franco-français se faire avec des agents étrangers et dans des banques étrangères, alors qu'ils devraient normalement être invalidés ? Deuxièmement, pourquoi le foot est-il devenu un véritable commerce de « viande sur pied », pourquoi les clubs ont-ils intérêt à continuer à payer les agents, et plus que la loi ne les y autorise ? Parce qu'il y a désormais 3 500 transferts par mercato dans le monde, auxquels il faut ajouter 900 Brésiliens, et que l'explosion du système profite à certaines personnes. Si vous voulez empêcher la corruption internationale continue dans le football, il n'y a qu'une chose à faire : interdire ce que certains ici s'évertuent à défendre bec et ongles, c'est-à-dire le paiement des agents par les clubs !

M. Patrick MENDELEWITSCH : Je n'ai pas compris la remarque de M. Marmayou sur le « net-net », puisque j'y avais répondu par avance : si les clubs voulaient économiser de l'argent, ce qui est parfaitement légitime, ils ne surpaieraient pas les joueurs lors des transferts internationaux, comme l'actualité nous l'a montré à Marseille et ailleurs... L'argument de l'intérêt économique des clubs ne tient pas.

M. le Président : On parle toujours des clubs les plus riches. Gardons-nous de nous focaliser sur dix clubs français ou européens. 80 % des flux financiers en Europe sont supportés par une cinquantaine de clubs...

M. François RAUD : Dont beaucoup appliquent la loi.

M. le Président : La loi doit aussi régler le problème du plus grand nombre.

M. Patrick MENDELEWITSCH : Justement. Indépendamment de son côté économiquement discutable, la situation actuelle a surtout créé, de fait, une iniquité entre les clubs. Quand la DNCG nous dit ne pas avoir de moyens d'investigation et que sa mission fondamentale est de veiller au respect de l'équité de la compétition, c'est de la foutaise ! Sa défaillance au niveau du contrôle revient à favoriser objectivement les clubs les plus importants, capables de mettre au point des mécaniques astucieuses dans le cadre de transferts internationaux, ce que les clubs franco-français qui s'efforcent d'appliquer la loi ne peuvent évidemment pas faire.

M. Philippe PIAT : La réalité économique n'est pas celle que nous croyons. Quand ce sont les clubs qui paient, les sommes versées aux agents sont très importantes. Quand c'est un joueur, 50 000, 100 000 euros, peut-être, mais jamais la commission n'atteindra 1 ou 2 millions d'euros ! L'argument des charges sociales avancé par les clubs n'est qu'une illusion. Lorsque les joueurs seront amenés à payer, ils paieront, mais beaucoup moins. Et même si, d'aventure, les clubs étaient amenés à payer quelque chose, ils verseraient des sommes nettement inférieures à celles que l'on nous expose aujourd'hui.

Je suis étonné que M. Marmayou, dans son étude des droits fédératifs, n'ait pas étendu son analyse au système des transferts, tout aussi illégal en droit français. Normalement, lorsqu'un différend survient entre un employeur et un employé, il se règle entre les deux parties, éventuellement devant les prud'hommes, voire une cour d'appel ; mais jamais un tiers employeur ne vient débaucher pour payer le rachat du contrat ! Or c'est précisément ainsi que fonctionne aujourd'hui le système des transferts.

M. Jean-Michel MARMAYOU : Pas du tout ! Pour commencer, le droit français est muet sur la notion de transfert, ce qui ne veut pas dire qu'il l'interdit. Ensuite, un transfert n'est pas le règlement d'un différend entre un club et un joueur, où un tiers interviendrait, mais un accord tripartite...

M. Philippe PIAT : Non, c'est une rupture de contrat.

M. Jean-Michel MARMAYOU : Cela fait des années qu'on ne l'analyse plus ainsi ! Cela n'est pas une rupture conflictuelle, mais un accord entre trois où l'une des parties décide de quitter la deuxième pour rejoindre la troisième.

M. Alain NÉRI : J'ai tout de même quelques souvenirs... Autrefois, les joueurs professionnels étaient liés à leur club par un contrat à durée indéterminée - en fait, en situation de véritable esclavage. Par la suite a été mis en place le contrat à temps, dans lequel le joueur s'engageait pour quatre ans, par exemple, à l'issue desquelles il était libre de s'en aller où il voulait sans avoir à verser d'indemnité au club propriétaire du contrat. Le transfert avec paiement d'une indemnité n'intervenait qu'en cas d'interruption du contrat ; autrement dit, le transfert n'était rien d'autre qu'un dédommagement pour rupture de contrat.

M. Philippe PIAT : Versé par le « fautif » à l'origine de la rupture.

M. Alain NÉRI : Il suffit de déterminer les raisons qui ont amené à interrompre le contrat pour savoir qui indemnise.

M. Philippe PIAT : Exactement !

M. Alain NÉRI : Cela paraîtra peut-être d'une naïveté biblique, mais également d'une simplicité qui pourrait résoudre bien des problèmes ! Au demeurant, nous ne sommes pas aussi naïfs que l'on veut bien le faire croire : lorsqu'un joueur arrive en fin d'un contrat que l'on prolonge artificiellement pour justifier d'une rupture et récupérer des sommes importantes, c'est nous prendre pour des imbéciles ! Si nous sommes ici aujourd'hui, c'est bien pour réfléchir en commun et voir comment, par la loi, éviter ces dérives inacceptables.

M. Henri NAYROU : Potentiellement illégal, le système des transferts pourrait être contesté devant les tribunaux. Le Parlement européen a déjà émis des critiques sur les indemnités de transfert ; peut-être M. Bennahmias y reviendra-t-il ? Au demeurant, les transferts ne posent aucun problème de traçabilité : il est facile de retrouver ceux qui ont des contrats ad vitam aeternam comme ceux qui, un an après avoir signé, changent de club au motif que le climat ne leur convient pas...

M. Alain NÉRI : Sans même attendre le mercato d'hiver !

M. Henri NAYROU : ... ou que leur épouse se plaint de ne pas trouver de magasins convenables ! Nous sommes là au cœur du problème et, hélas ! de la chronique des faits divers...

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Précisons que je ne suis qu'un des auteurs du rapport adopté par le Parlement européen : nous étions un Allemand, un Néerlandais, un Irlandais, un Belge flamand et un Français, cinq députés de formations très diverses, soucieux de parvenir à un consensus a minima. Je ne remets pas en cause le travail de la DNCG ; je sais qu'elle exerce en France un travail de contrôle financier que, là encore, j'appellerai a minima, sans aucun esprit péjoratif : c'est nettement mieux que dans les pays de l'Union où l'on ne fait rien du tout, mais cela ne suffit pas pour autant.

Certains s'inquiètent. Au moment de la création de l'AMA, cela a été la même chose : les ligues, les fédérations, le Comité international olympique (CIO), tout le monde voulait la prendre en charge. Nous avons réussi à mettre au point un montage qui mette ensemble toute une série de structures, capable de commencer à contrôler le dopage généralisé qui sévit dans le sport moderne. Et cela marche - par sur tout, mais cela marche. Où est le risque ?

M. Philippe DIALLO : Je ne m'inquiète pas du risque, je voudrais seulement que l'on m'explique comment cela fonctionne...

M. Alain VERNON : Ne vous inquiétez pas pour cela !

M. Philippe DIALLO : Je n'ai aucune inquiétude.

M. Alain VERNON : J'en aurais à votre place !

M. Jean-Luc BENNAHMIAS : Si je devais en avoir, j'en aurais depuis très longtemps, et les députés nationaux en auraient tout autant que les députés européens. Ce que nous essayons de faire - et dans le cadre de l'Europe, c'est encore plus compliqué -, c'est de faire en sorte que ce que nous aimons dans le sport, et particulièrement le sport de haut niveau, continue à exister, et que l'on sorte de ces affaires à répétition. Or c'est loin d'être le cas, en Espagne notamment. Dois-je rappeler que la FIFA a été la dernière fédération sportive à entrer dans le cadre de l'Agence mondiale antidopage ? Il n'est pas question d'exclure telle ou telle structure du dispositif, mais un législateur ne peut accepter que l'une d'entre elle soit seule, et juge et partie dans le contrôle financier. Si toutes sont présentes, fédérations, ligues, experts indépendants, CIO, etc., tout ira bien ; les ligues comme l'UEFA y seront de plain-pied, avec un droit de regard. Mais que l'une ou l'autre prétende à diriger le futur organisme, c'est impossible.

M. Philippe DIALLO : Je suis d'autant plus à l'aise que je crois avoir été l'un des premiers à avoir évoqué la création d'une instance indépendante de contrôle financier pour les trente-deux clubs de la ligue des champions, il y a six ou sept ans de cela. Reste que le monde n'est pas idéal : certains États, et bon nombre de fédérations, ne peuvent se prévaloir de l'encadrement juridique et législatif français, même si tout n'est pas parfait en France. D'où l'idée émise à l'époque, et suivie par l'UEFA, de commencer par contrôler les trente-deux clubs les plus puissants.

M. Alain VERNON : Je ne souhaite pas que ce soit le G14 qui s'en charge...

M. Philippe DIALLO : Pas du tout, reprenez mes propositions : prenez les trente-deux clubs qui font le marché, mettez en place un contrôle indépendant avec des personnalités reconnues, sans lien avec les instances du football, qui vérifieront, en reprenant du reste le travail de la DNCG en France, les trente-deux budgets en question. On se fera avoir la première année, un peu moins la deuxième et dès la troisième année, les choses seront cadrées... Voilà une proposition qui me semble aller dans le sens de la transparence et d'un véritable contrôle financier au niveau européen ; or l'Europe reste le continent le plus puissant en matière de football.

M. Alain VERNON : À entendre votre solution, c'est pour la semaine prochaine...

M. le Président : Excellente transition !

Mesdames, Messieurs, nous vous remercions pour cet échange parfois un peu vif - mais c'était le but de l'exercice. Nous vous invitons, si cela vous est possible, à nous retrouver mercredi prochain. D'autres intervenants seront également présents. Il ne sera pas question de reprendre le débat de fond, mais de réfléchir aux propositions.

Audition de M. Pierre MAIRESSE,
directeur « jeunesse, sport et relations avec le citoyen »
de la Direction générale éducation et culture
de la Commission européenne


(Extrait du procès-verbal de la séance du 10 janvier 2007)


Présidence de M. Dominique JUILLOT, président et rapporteur

M. le Président : Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Pierre Mairesse, directeur «Jeunesse, sport et relations avec le citoyen » à la Direction générale éducation et culture de la Commission européenne, que je remercie d'avoir répondu à notre invitation.

La Commission européenne préparant un Livre blanc pour donner un cadre juridique communautaire au sport, vous pouvez apporter à notre mission d'information un éclairage utile sur la dimension européenne sur deux sujets, les transferts de footballeurs et le rôle des agents sportifs.

M. Pierre MAIRESSE : Il n'y a pas, dans le traité de l'Union européenne, de compétence propre et spécifique relative au sport. Cependant, un certain nombre de compétences, de politiques ou de programmes européens ont, d'une manière ou d'une autre, une influence importante sur le sport.

Au cours des cinq dernières années, un travail politique a été accompli pour permettre à l'Union européenne d'agir dans l'intérêt du sport et de tenir compte de la spécificité de cette activité, en particulier quand sont en jeu les grandes politiques concernant le fonctionnement du marché intérieur ou la concurrence. Le sport n'est pas au-dessus des lois, mais il a des caractéristiques propres, qui appellent une application spécifique des directives européennes.

Le projet de traité constitutionnel comportait un article donnant à l'Union européenne cette capacité d'agir. Il n'a pas été ratifié, de sorte que ce mouvement s'est trouvé dans l'impasse. Nous avons réfléchi aux moyens de prendre, malgré tout, des initiatives. C'est le sens de la rédaction du Livre Blanc, qui sera prochainement publié. Ce document politique sera une synthèse de nos réflexions sur les principales questions qui touchent le sport. Il couvrira l'ensemble des sports, amateur comme professionnel.

Ce Livre Blanc abordera les questions liées au rôle spécifique du sport dans la société, notamment son rôle éducatif, social, citoyen. Il devrait également traiter de son impact économique et des questions relatives à l'organisation du sport et au rôle de l'Union européenne, de l'autonomie des fédérations, des relations entre les fédérations internationales et l'Union européenne. C'est probablement dans cette partie que nous aborderons le transfert des joueurs et le rôle des agents.

Ce travail est en cours. Le sujet est très large et complexe. La Commission européenne n'ayant pas de compétence en la matière, notre réflexion est très collégiale et plusieurs commissaires peuvent être concernés. Nous consultons beaucoup. Nous rencontrons la FIFA, l'UEFA et les comités olympiques en vue de dégager des grandes lignes directrices susceptibles de donner au mouvement sportif une idée claire de ce qui relève soit de son autonomie soit du droit communautaire.

S'agissant des transferts, la première question qui se pose est de savoir s'il faut réglementer le transfert des joueurs. Du point de vue du droit européen, les joueurs sont des salariés comme les autres. Si les contrats sont respectés, pourquoi faudrait-il, par exemple, instaurer des périodes de transfert ? Cette question a déjà été tranchée. Des périodes de transferts sont une bonne chose pour le sport, car sans elles, ils ne parviendraient pas à s'organiser. Les équipes changeraient en permanence. Ce point a fait l'objet d'un accord, au début des années 2000, entre la FIFA, l'UEFA et la Commission européenne, et sera probablement rappelé dans le Livre Blanc. L'existence de périodes de transferts a cependant des inconvénients. Se pose notamment le problème des jeunes qui, ayant été formés dans un centre de formation, sont immédiatement transférés dans un autre club, lequel recueille ainsi les fruits de l'effort d'investissement qu'il n'a pas consenti lui-même. Il conviendrait également que les contrats signés à l'occasion d'un transfert le soient pour une certaine durée.

L'équilibre entre les règles générales s'appliquant aux contrats et la prise en compte de spécificités du sport est relativement bien défini.

La deuxième question liée aux transferts, celle des flux financiers, nous préoccupe beaucoup. Plusieurs parlementaires européens se sont saisis de cette question. À ce stade, à la Commission européenne, nous pensons plutôt qu'il faut compter sur l'autorégulation. Il nous semble en effet assez difficile de mettre en place au niveau européen des instances de nature publique ou parapublique qui contrôleraient les transferts. D'une part, s'il n'y a pas un accord sur ce point entre les Vingt-Sept, et dans la mesure où la Commission européenne n'a pas de compétence en la matière, on se heurte à des obstacles pratiques et juridiques. D'autre part, les fédérations nationales, l'UEFA et la FIFA sont attachées à leur autonomie.

Le problème des agents est un sujet majeur, sur lequel la dimension européenne est assez forte. Si certains pays ont déjà adopté des règles en la matière, c'est loin d'être le cas de tous les pays. On commence à voir se mettre en place des plateformes d'agents de joueurs off-shore qui font venir des jeunes Africains en vue de les placer sur le marché européen. C'est un problème assez sensible.

Se pose également la question de savoir s'il convient de rédiger une directive européenne. Le Parlement européen y réfléchit. Nous y réfléchissons de notre côté. En l'état actuel de notre réflexion, nous considérons qu'il y a des éléments qui militent en faveur d'une directive, et d'autres qui conduisent plutôt à l'idée contraire.

En faveur d'une directive, il y a le fait que l'Union européenne a déjà adopté une directive relative aux agents commerciaux. Malheureusement, elle ne s'applique qu'au commerce de marchandises. La dimension européenne du problème et le manque d'harmonisation entre les différents pays militent également pour l'adoption d'une directive. En outre, une directive correspondrait davantage au rôle de l'Union européenne que la création d'agences de contrôle.

Les éléments qui, au contraire, conduiraient plutôt à écarter cette idée sont liés à l'ambiance générale à l'égard de l'Europe. Actuellement, il n'y a pas de volonté forte de la Commission européenne de proposer de nouvelles directives. Avant qu'elle en propose une dans le domaine qui nous intéresse ici, il devra être procédé à une évaluation très forte de la demande et de la justification politique d'une telle initiative. On a beaucoup reproché à l'Union européenne de trop légiférer, et sur trop de sujets. La question des agents est certes très importante dans le domaine du sport, mais au regard de l'ensemble des problèmes européens, elle constitue un sujet particulier. Il y a peut-être d'autres priorités.

M. Alain NÉRI : Pourtant l'arrêt Bosman n'a pas été pour rien dans les difficultés que nous rencontrons aujourd'hui.

M. Pierre MAIRESSE : En effet. L'arrêt Bosman avait un but premier : que les joueurs arrivant en fin de contrat soient libres, ce qui n'était pas le cas à l'époque. Cet objectif était assez légitime. Cela étant, l'arrêt Bosman a eu des effets secondaires. En particulier, les joueurs se sont vu offrir par les clubs qui pouvaient se le permettre des contrats d'une durée relativement longue, afin justement de ne jamais se trouver en fin de contrat et de pouvoir ainsi négocier à leur aise les conditions d'un transfert.

M. Henri NAYROU : Il est clair que désormais, le fait sportif n'est plus national mais européen. Dans beaucoup de sports collectifs, le but même de la compétition nationale est de participer à une compétition européenne, comme le montre, dans le championnat de France de football, mais aussi de rugby, la bataille que se livrent les clubs situés dans le « ventre mou » du classement. Le risque est que se créent des ligues européennes fermées. Dans ce contexte, la Commission européenne ne peut pas ne pas aborder les problèmes du sport.

J'observe qu'on a vu l'Europe s'engager dans des actions visant à l'harmonisation, et cela sur des sujets moins sensibles que le sport, ou concernant beaucoup moins de citoyens, ou encore pour lutter contre des pratiques moins répréhensibles que celles observées actuellement dans le sport. En clair, je suis étonné de constater l'absence de volonté politique de la part de la Commission européenne quand il s'agit de se saisir des problèmes du sport.

Des mouvements financiers importants et frauduleux sont avérés dans le cadre de transferts entre clubs européens. Dès lors, il ne serait pas scandaleux qu'une instance publique ou parapublique européenne contrôle ces mouvements. Ce serait l'honneur de la Commission que d'agir en ce sens.

Lorsque nous avons légiféré sur le dopage, nous avons eu à subir, mon collègue Alain Néri et moi-même, les lazzi de l'opposition. Mais l'Europe a fini par se saisir de ce problème. Dans tous les sports, on a vu se créer des organismes européens. Et s'agissant des transferts, l'on verrait l'autorité de régulation rester inerte ? Cela me paraît irréel.

Dès que l'on évoque, au niveau national, la nécessité d'agir pour lutter contre les dérives, on se voit immédiatement opposer l'argument selon lequel les problèmes les plus criants concernent les transferts internationaux. Je serais abasourdi si la Commission européenne ne se préoccupait pas fortement de ce problème, qui va polluer toutes les relations sportives, ainsi que les relations entre les citoyens.

M. Pierre MAIRESSE : Je comprends votre propos.

La Commission européenne va se saisir du problème et rédiger un document politique important, dans lequel elle traitera de sujets majeurs.

La question qui se pose est de savoir si la solution des problèmes qui se posent en matière de contrôle des flux financiers passe par la création d'une agence européenne. Je ne peux pas le dire aujourd'hui. À mon avis, ce sera difficile. Mais cela ne veut pas dire que la Commission se désintéresse des problèmes relatifs aux transferts, aux agents de joueurs, et à la corruption.

S'agissant d'une éventuelle directive concernant les agents de joueurs, une réflexion est en cours. Des possibilités existent. Mais je ne peux pas vous dire dès aujourd'hui s'il y aura une directive ou pas. Il faut attendre que le collège se prononce.

S'agissant du contrôle des flux financiers, à ce stade, je ne suis pas certain qu'une agence de contrôle sera créée.

M. le Président : Il me semble difficile de traiter de problèmes spécifiques à travers un Livre Blanc qui aurait pour objectif d'étudier l'ensemble du sport européen. Cela aboutirait à ne pas régler des problèmes que l'on identifie aujourd'hui très précisément. La réflexion sur les bienfaits du sport pour la jeunesse et pour les citoyens n'est pas de nature à leur apporter une solution.

Dans le domaine du dopage, on a fait avancer les choses en s'attaquant à des problèmes précis. Si l'on adopte pas la même démarche en ce qui concerne ceux qui nous préoccupent aujourd'hui, on fera des études, on réfléchira beaucoup, on rédigera des livres blancs, mais je ne suis pas sûr que cela aboutira à des solutions effectives.

M. Pierre MAIRESSE : Le risque que vous indiquez existe. Cela étant, je me rendrai après-demain à Helsinki pour discuter avec les fédérations des pays nordiques. Leurs préoccupations ne sont pas les mêmes. Le football professionnel les concerne assez peu. Nous devons répondre à l'ensemble des préoccupations.

Par ailleurs, le Livre Blanc ne sera pas une étude, un document d'analyse. Il fera des propositions. Je ne suis pas sûr qu'il fera celles que vous attendez, mais il fera des propositions très concrètes.

M. Alain NÉRI : Lorsque, à la fin des années 1980, nous travaillions à ce qui allait devenir la loi du 28 juin 1989 dite loi « Bambuck », c'était dans l'indifférence générale et nos collègues nous regardaient avec un sourire amusé. Dix ans plus tard, la loi du 23 mars 1999 a reçu une attention beaucoup plus grande car le problème du dopage avait pris une ampleur extraordinaire.

S'agissant des problèmes qui nous occupent aujourd'hui, il faut aller assez vite. Les clubs sont en train de s'organiser. L'objectif du G14 est bien de mettre en place un championnat européen fermé, ce qui n'est guère compatible avec l'éthique sportive.

Il est vrai, comme vous le dites, que les pays du Nord de l'Europe n'ont pas les mêmes préoccupations. En fin de compte, le football professionnel concerne essentiellement cinq grands pays européens : la France, l'Espagne, l'Italie, l'Angleterre et l'Allemagne. Mais le football est loin d'être le seul sport concerné par la question des agents sportifs et par les dérives liées aux transferts.

Il est important que l'Union européenne accompagne nos efforts en vue d'agir vite. L'exemple de la lutte contre le dopage doit nous inspirer.

M. Pierre MAIRESSE : La lutte contre le dopage est en effet un bon exemple. Le mouvement sportif et les autorités publiques sont parvenus à créer une dynamique qui a abouti à la création de l'AMA. C'est un modèle que nous allons sans doute recommander dans d'autres domaines.

S'agissant des ligues fermées, nous sommes favorables à la structure pyramidale qui s'applique dans presque tous les sports. C'est une caractéristique européenne, presque culturelle, qu'il faut défendre. Nous sommes pour la solidarité entre le monde professionnel et le monde amateur. Les droits de retransmission télévisés doivent être encadrés.

M. Henri NAYROU : On a vu l'Europe prompte à menacer la France de sanctions financières si elle ne laissait pas aux clubs professionnels la possibilité d'être cotés en bourse. C'est bien. Je suis pour la liberté, dès lors que les contrôles nécessaires sont effectués. En l'occurrence, c'est bien le cas de la bourse, avec un organisme qui contrôle et sanctionne.

Depuis cinq ans, l'essentiel des lois Lamour, si on laisse de côté celles concernant le dopage et le bénévolat, a consisté, à la demande du mouvement sportif professionnel français face aux distorsions de concurrence vis-à-vis des clubs européens, à permettre aux clubs français de lutter à armes égales avec leurs collègues européens. C'est ainsi que la loi du 15 décembre 2004 a permis, au nom du droit à l'image, d'exonérer de charges sociales, patronales et salariales 30 % de la rémunération versée par les clubs aux joueurs professionnels. Cela s'est fait au détriment du plus grand nombre. Avouez que c'est profondément anormal. De même, il n'est pas normal de faire entrer les stades municipaux dans les actifs des clubs, ou encore d'accorder à chaque club la possibilité de conserver les droits de retransmission télévisée. Tout cela a été justifié par la nécessité de faire en sorte que les clubs français puissent lutter à armes égales avec les clubs européens. Et l'Europe serait inerte face aux dérives liées aux transferts ? Tous ces avantages semblent ne pas avoir de fin. Les clubs français pourraient ne pas tarder à faire remarquer que l'État espagnol a rayé d'un trait de plume une dette du Real de Madrid s'élevant à un milliard de francs.

L'Europe est parfois prompte à lutter contre les distorsions de concurrence. Que ne le fait-elle pas s'agissant de problèmes qui concernent des dizaines de millions de citoyens ?

M. Pierre MAIRESSE : L'idée que le sport serait au-dessus des lois européennes n'est plus d'actualité. Le sport, en particulier du point de vue économique, doit respecter les règles européennes, et notamment celles relatives à la concurrence et aux aides d'État. Les dossiers sont examinés par la Commission avec un œil critique.

Cela étant, il est vrai que le sport présente des spécificités qui nécessitent une application adéquate des règles générales.

Les droits télévisés sont collectifs en France, individuels en Espagne et en Italie. Cette question sera abordée dans le cadre des propositions que nous ferons.

M. le Président : Les avantages qui ont été consentis aux clubs professionnels peuvent se comprendre étant donné la nécessité de lutter à armes égales contre les clubs européens. Mais s'ils profitent, non pas au sport en lui-même, mais à des gens qui viennent s'enrichir, il y a de quoi se poser des questions. La régulation ne peut être qu'européenne.

M. Pierre MAIRESSE : Je rappelle simplement mon propos initial : il n'y a pas de compétence européenne en la matière. Si la Commission avait cette compétence, il serait beaucoup plus facile d'agir.

M. le Président : Le problème particulier qui nous occupe ici ne devrait-il pas être plutôt envisagé sous l'angle de la réglementation économique générale ? On peut traiter le sport comme une activité économique, en appliquant réellement la réglementation, et en recherchant les distorsions de concurrence, qui sont évidentes, et ne sont pas contrôlées par l'Europe.

M. Pierre MAIRESSE : Je peux vous dire que c'est actuellement une tendance forte que de considérer le sport professionnel comme une activité économique soumise aux mêmes règles de concurrence que toutes les autres. Jusqu'ici, peu de plaintes étaient déposées, mais la question se pose de plus en plus.

M. Alain NÉRI : La France a fait, par la loi, la différence entre les clubs professionnels et les clubs amateurs, ceux-ci conservant le statut d'associations, les autres ayant le statut d'une société anonyme. Les clubs professionnels sont bel et bien des entreprises. Ceux qui investissent dans le football le font parce qu'ils pensent que leur argent va rapidement prospérer. Certains présidents de clubs ne savent même pas si le ballon est rond ou carré. Je ne pense pas que le football, en tant que sport, revête un intérêt particulier pour le président de tel club anglais bien connu. En outre, certains dirigeants ont un intérêt dans plusieurs clubs européens.

L'arrêt Bosman a affirmé le principe de liberté de circulation pour les sportifs professionnels comme pour l'ensemble des salariés. Il est donc possible de considérer que les règles générales gouvernant l'activité économique doivent s'appliquer au sport.

M. Pierre MAIRESSE : Nous allons exprimer clairement notre opposition à la multipropriété des clubs. En raison de la spécificité des compétitions sportives, il n'est pas possible que le propriétaire de Chelsea soit aussi celui de l'Olympique de Marseille ou du Real Madrid.

S'agissant de la propriété des clubs, et en particulier du fait qu'ils soient acquis par des financiers qui s'intéressent peu au football, c'est un problème majeur de société. Cette tendance ne concerne pas que le sport. Il est difficile de s'appuyer sur les règles générales pour interdire à telle personne d'acquérir un club de football.

M. le Président : En fait, le football permet à des gens peu vertueux de remettre dans le circuit de l'argent dont l'origine est contestable. Il n'est pas possible de laisser faire cela, pas plus en France qu'en Angleterre. Et l'Europe constitue 80 % du marché du football mondial. Il s'agit, qui plus est, de l'Europe historique. La responsabilité, au moins morale, de l'Europe est d'autant plus engagée.

M. Pierre MAIRESSE : Le blanchiment d'argent est en effet une autre facette du problème.

M. le Président : On voit bien que les masses financières qui arrivent dans le football sont sans relation directe avec le poids économique que représente le sport. Il n'y a aucune raison économique pour que des gens investissent massivement dans une activité qui n'a jamais engendré beaucoup de bénéfices. J'ai du mal à croire que l'on aille se ruiner par passion pour le football. Cela ne me gêne pas qu'un homme fortuné, comme cela peut être le cas aux Etats-Unis, se paie une « danseuse » en achetant un club de baseball ou de basket-ball. Après tout, acheter un club plutôt qu'un bateau, pourquoi pas ? Mais en Europe, on voit bien que ce n'est pas tout à fait la même chose. Il y a visiblement mélange des genres. À partir de là, je ne peux pas imaginer que les institutions européennes ne fassent rien.

M. Pierre MAIRESSE : Je suis tout à fait d'accord pour dire que cet aspect des choses, combiné avec les autres aspects, doit être traité au niveau européen. Cependant, je ne peux pas m'engager sur les solutions qu'il convient de mettre en œuvre.

M. le Président : Sans parler des solutions, l'Europe doit au moins s'engager dans le contrôle et la prise de conscience.

M. Alain NÉRI : Si l'on est d'accord sur le diagnostic et sur l'objectif, il sera plus facile de trouver les solutions.

M. le Président : Les instances sportives nationales et européennes ne peuvent se contrôler elles-mêmes et pratiquer l'auto-flagellation. Il faut bien les obliger à ouvrir leurs comptes et à faire en sorte que leurs règlements soient plus conformes aux règles en vigueur.

M. Pierre MAIRESSE : Ce que je vais dire n'est peut-être pas valable pour la France. Mais il faut savoir qu'on nous demande de respecter l'autonomie des fédérations et que dans certains pays, les fédérations font un peu ce qu'elles veulent. Dans ces conditions, il est difficile de demander à l'Union européenne de résoudre des problèmes aussi épineux. Si chaque pays avait une agence de régulation des flux financiers depuis vingt ou trente ans, il serait plus aisé d'imaginer une mise en commun des compétences de ces agences. Mais ce n'est pas le cas.

Cela dit, je partage le diagnostic. Le problème est européen, et il est majeur.

M. Alain NÉRI : L'apparition de nouveaux investisseurs venus des pays de l'est de l'Europe ne sera pas sans poser de sérieux problèmes. On ne trouvera pas immédiatement les solutions à mettre en œuvre. Mais nous pouvons au moins nous mettre d'accord sur le constat.

S'agissant des paris, la France a organisé, par le biais de la Française des Jeux, un contrôle des paris. On voit les difficultés qui sont nées avec des sociétés de paris sportifs, telles que Bwin. Car en définitive, l'Union européenne impose plus de contraintes à la Française des Jeux qu'à Bwin. C'est quelque chose qui nous interpelle, d'autant plus que le Centre national de développement du sport (CNDS) est en partie financé par un prélèvement sur les sommes misées sur des jeux exploités par la Française des Jeux.

M. Pierre MAIRESSE : Les matchs truqués sont un aspect du problème. Il convient en effet de souligner que le sport est partiellement financé par les loteries nationales. Sur ce point, les choses ne sont pas faciles. La tendance générale est à la lutte contre les monopoles, notamment sur les jeux de hasard, sauf lorsque le monopole est justifié. L'une des raisons qui peuvent le justifier est, par exemple, d'éviter que les citoyens ne développent une dépendance aux jeux de hasard.

Les paris sportifs peuvent financer le sport, mais la question est de savoir si un monopole est nécessaire pour cela. Dans certains pays où il n'y a pas de monopole, une convention permet le financement du sport ou de la culture.

Nous travaillons sur ce sujet, mais la tendance est à une certaine libéralisation du marché.

La corruption à travers les matchs truqués est un problème clé. Nous allons tenter de dresser un constat dans le Livre Blanc. Une fois un constat étant établi, comme vous l'avez dit, monsieur Néri, les solutions se mettront en place. Il est un peu tôt pour que je puisse prendre des positions fermes.

M. le Président : Il y aura bientôt urgence à trouver des solutions pour le cas spécifique du football, sans quoi les affaires vont se multiplier. C'est l'image du sport en général qui risque d'en pâtir. Si l'on n'a pas l'aide de l'Europe, soit celle de l'UEFA, soit celle de la Commission européenne, il sera difficile de créer de l'insécurité pour ceux qui se livrent à des pratiques douteuses. Je ne crois pas que des gens puissent dépenser des centaines de millions d'euros pour le seul plaisir de satisfaire leur passion pour le football. Ceux qui dépensent de l'argent par passion se ruinent assez rapidement.

M. Alain NÉRI : Vous avez soulevé le problème des jeunes issus des centres de formation. Il faut faire avancer les choses en ce qui concerne l'indemnisation de ces centres.

Il convient également de s'attaquer au problème des périodes de transferts. Je suis totalement opposé au mercato d'hiver. Je veux bien que l'on prenne en compte des situations exceptionnelles, quand un joueur important pour une équipe est blessé, par exemple, mais il faudrait être plus rigoureux.

M. Pierre MAIRESSE : Je vous informe que nous avons lancé une grande étude comparative sur les centres de formation dans les différents pays membres, concernant leurs investissements, leurs débouchés et les doubles carrières.

M. Alain NÉRI : La durée des contrats doit être plus réglementée. Un transfert n'est rien d'autre qu'une indemnité versée pour rupture de contrat. Voir se multiplier les ruptures de contrat est un vrai problème. Le rôle des agents dans ce système doit être éclairci.

Si l'on veut réguler le salaire des sportifs, et cela dans différentes disciplines, il faudra s'attaquer au problème de la reconversion. La carrière d'un sportif est courte, puisqu'il la commence vers 18 ans pour l'achever vers 33 ans. Cette brièveté pose également le problème du dopage.

M. Pierre MAIRESSE : La reconversion des sportifs est en effet un problème auquel il faut s'attaquer. La présidence allemande de l'Union européenne est très attachée à cette question.

M. Alain NÉRI : Certains jeunes sont obligés de se concentrer sur leur activité sportive, ne se sont pas souciés des questions financières et s'en sont entièrement remis à certains agents. Il est arrivé qu'au terme de leur carrière, ils n'aient plus rien.

M. le Président : Nous n'allons pas non plus demander à l'Europe de régler tous les problèmes. Mais on peut lui demander de faire en sorte que le droit commun économique soit appliqué. Si l'Europe ne nous y aide pas, nous ne pourrons pas le faire appliquer. On nous opposera en permanence le fait que nous risquons de mettre nos clubs en difficulté. Et nous n'aurons pas le soutien de nos concitoyens. Le paradoxe est que les dérives n'émeuvent pas grand monde, dès lors qu'elles concernent le sport.

M. Alain NÉRI : L'Europe est tatillonne quand les collectivités locales aident les entreprises. Il serait paradoxal qu'elle ne fasse rien face aux dérives qui impliquent des clubs recevant de l'argent public.

En Espagne, on a appris que certains clubs ont réalisé des opérations immobilières douteuses, qui constituent une distorsion de concurrence.

M. Pierre MAIRESSE : Nous sommes au courant de ces problèmes, que nous sommes en train d'examiner.

M. le Président : Je pense que Bruxelles doit prendre conscience qu'il y a plus d'urgence qu'on ne le croit. Il n'est peut-être pas nécessaire de vouloir régler tous les problèmes qui se posent au sport en général avant de s'attaquer à des dérives dans un domaine précis.

M. Alain NÉRI : Le football n'est pas le seul sport concerné. D'autres disciplines, y compris individuelles, sont concernées. Je pense ainsi à l'athlétisme.

M. le Président : À quelle date le Livre Blanc devrait-il être publié ?

M. Pierre MAIRESSE : Au mois de mai. Le Parlement européen remettra son avis sur le football professionnel en février. Nous rencontrerons une dernière fois les ministres des sports au mois de mars.

M. le Président : Sentez-vous une vraie volonté politique de la part des ministres ?

M. Pierre MAIRESSE : Oui, ils étaient très déçus que le traité constitutionnel, qui aurait donné à la Commission une compétence en matière de sport, ne soit pas adopté. Ils sont très conscients des dérives auxquelles il faut s'attaquer.

M. le Président : Monsieur Mairesse, nous vous remercions de votre contribution aux travaux de notre mission d'information.

Table ronde n° 2, ouverte à la presse :
débat sur les voies d'amélioration de la pratique des transferts et de l'exercice de la profession d'agent sportif

réunissant :

M. Fabrice RIZZO et M. Jean-Michel MARMAYOU, directeurs du centre de droit du sport de la faculté d'Aix-Marseille ;
M. Philippe Piat, président de l'Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP)
et M. Bernard Gardon, Eurosport management,
 ;
M. Frédéric Thiriez, président de la Ligue de football professionnel (LFP)
et M. Arnaud Rouger, directeur des activités sportives de la LFP (excusés) ;

M. Christophe Drouvroy, directeur juridique adjoint à la Fédération française de football (FFF) (excusé) ;
M. Jacques Lagnier, secrétaire général de la commission des clubs professionnels à la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) (excusé) ;
M. Phillippe Diallo, directeur de l'Union des clubs professionnels de football (UCPF), (excusé)
M. Laurent Davenas, avocat général près la Cour de cassation, président de la commission d'appel de la Ligue de football professionnel, accompagné de M. Jean-Pierre Klein ;

M. Bertrand Cauly, agent, président du Collectif agents 2006,
accompagné de M. Tanguy Debladis ;
M. Philippe Flavier, agent, co-président de l'Union des agents sportifs de football (UASF) ;

M. António Campinos, représentant M. José-Luis Arnaut,
auteur de l'Étude indépendante sur le football européen, ;
M. Gianni Infantino, directeur juridique
de l'Union of European Football Association (UEFA) ;

M. Patrick Mendelewitsch,
juriste et analyste financier, agent de la Fédération française de football (FFF), et M. Jean-Christophe Lapouble, universitaire
à l'Université
de Bordeaux II et avocat (représentant la société Bridge Asset) ;
M. Serge Agreke, membre de la direction des sports
du ministère de la jeunesse et des sports ;

M. Jérôme Jessel, journaliste au magazine VSD.

(17 janvier 2007)

Présidence de M. Dominique JUILLOT, président et rapporteur

M. le Président : Merci à tous d'avoir répondu à notre invitation.

Comme vous pouvez le constater, certains acteurs importants du football français n'ont pas souhaité assister à cette deuxième table ronde. S'il ne m'appartient pas de porter un jugement sur cette attitude, je la regrette néanmoins car j'aurais aimé que nous entendions les arguments des uns et des autres et que chacun puisse s'exprimer, avec son histoire, son rôle, mais aussi avec ses méthodes, dont certaines ont pu choquer la semaine dernière. Pour notre part, nous n'avons eu à aucun moment l'envie que ce débat tourne mal et je répète donc que je regrette l'absence des représentants de la Fédération française de football, de la Ligue de football professionnel et, par solidarité, de la Direction nationale du contrôle de gestion. Si l'on parle d'indépendance dans le football, force est ici de constater que c'est un bloc qui s'est ainsi affirmé. Je souhaite que ceux qui jouent un rôle majeur, car ils sont les dirigeants du football en France, reviennent à cette table et nous éclairent de leur expérience car nous avons besoin de l'avis de tous pour rendre nos conclusions.

Bien évidemment, ceci ne va pas nous empêcher de débattre aujourd'hui, l'objet de cette seconde table ronde étant d'examiner les voies d'amélioration à proposer.

Je rappelle que nous nous sommes demandés la semaine dernière s'il était possible de conserver l'encadrement juridique actuel applicable aux transferts et à l'exercice de la profession d'agent sportif, sous réserve d'en améliorer l'application et le contrôle ou de réformer le dispositif actuel, et que la réponse a été claire : il faut aménager sensiblement les règles en vigueur car le dispositif est encore très insuffisant, au niveau tant national qu'international.

En effet, les débats ont confirmé que les difficultés rencontrées ont surtout une dimension internationale dans la mesure où ce sont en général les opérations de transfert comportant un élément étranger qui posent problème, plutôt que les opérations franco-françaises. C'est pourquoi nous avons aujourd'hui parmi nous un représentant de l'Union européenne des associations de football (UEFA). Depuis la semaine dernière, nous avons également entendu la Commission européenne et nous sommes en contact avec la FIFA, qui n'a pas souhaité être présente aujourd'hui car elle n'a pas encore avancé suffisamment dans ses propositions.

Mais nous sommes tous d'accord pour dire que ce n'est pas parce que l'on n'a pas encore trouvé de solution en dehors de nos frontières que nous devons attendre pour prendre, sur le territoire national, des mesures qui pourront peut-être servir d'exemple : nous sommes suffisamment inventifs et nous avons assez d'expérience pour cela.

Je souhaite rappeler rapidement ce qu'ont été nos débats de la semaine dernière.

Nous avons tout d'abord constaté que la transparence des opérations de transfert n'est pas complètement assurée aujourd'hui, ni sur plan contractuel, ni sur le plan financier ; qu'on ne connaissait pas les agents d'un grand nombre de joueurs, parce que souvent les mandats ne sont pas déposés auprès de la Fédération française de football (FFF) comme ils devraient l'être. On ignore aussi fréquemment quelle est la mission de l'agent, qui est parfois à la fois conseil et intermédiaire, et l'on observe que certains contrats sont anti-datés.

La réglementation actuelle n'a par ailleurs pas permis d'assurer la transparence des flux, pourtant indispensable au regard de l'importance des enjeux financiers. De ce point de vue, les travaux de la FIFA sont encore très embryonnaires.

Nous avons également observé qu'une pluralité des acteurs intervenait dans les opérations de transferts, dont les conditions juridiques sont ambiguës. Cela tient en premier lieu au fait que la réglementation n'est pas toujours très claire et que sa transcription par la Fédération française ne lève pas toutes les ambiguïtés. Ainsi, on ignore si un joueur ou un club peut faire appel à plusieurs agents sportifs et les rémunérer dans le cadre d'une opération de transfert. Par ailleurs, le régime juridique des personnes collaborant à l'activité des agents est imprécis. On constate aussi qu'un grand nombre d'agents sont aujourd'hui titulaires d'une licence et l'on peut se demander s'il faut limiter ou laisser ouvert l'accès à cette profession.

En ce qui concerne l'activité des agents historiques, certains ont regretté qu'une centaine d'entre eux, soit la moitié des d'agents en exercice, aient pu régulariser leur situation sans examen de connaissances, dans le cadre du dispositif dérogatoire d'octroi de la licence d'agent sportif.

Il est aussi apparu que le régime des incompatibilités est incomplet. Ainsi on n'a pas exclu la possibilité d'être directeur de club après avoir été l'agent du même club, ou d'être à la fois agent sportif et actionnaire de club.

Si, comme je viens de le rappeler, il n'y a pas d'harmonisation des règles internationales, force est aussi de constater que les textes français ne sont pas clairs en ce qui concerne les aspects internationaux, notamment le champ d'application territorial de la règle française et le régime des équivalences pour les agents étrangers.

On nous a aussi indiqué que le contrôle disciplinaire exercé par la commission des agents sportifs n'était pas toujours efficace et que celle-ci ne disposait ni des moyens juridiques ni d'une autonomie de décision suffisants.

Nous avons aussi abordé la question de l'indépendance des organes de contrôle dans l'exécution de leur mission. Si la DNCG s'acquitte consciencieusement de sa tâche, ses missions semblent mal définies au regard des enjeux. Est-elle suffisamment indépendante ? Faut-il que le contrôle soit exercé uniquement par les instances sportives ou dans le cadre d'un contrôle régalien plus indépendant ?

Même s'il nous faudra bien sûr y revenir, je considère que nous avons passé trop de temps sur le problème de la rémunération des agents. C'est un sujet important mais ce n'est pas le seul et il est sans doute lié à des décisions plus importantes en matière d'organisation et de sécurisation.

Les objectifs qui nous rassemblent sont clairs : comment assurer une meilleure transparence des opérations de transfert et de l'activité des agents sportifs ? Quels dispositifs permettraient d'améliorer la traçabilité des flux financiers lors de ces opérations ? Faut-il envisager une centralisation des indemnités de transferts, voire de la rémunération des agents ? Dans la mesure où la DNCG n'a pas toujours les moyens de contrôler les clubs, quelles nouvelles règles de gestion prudentielle, comptables ou financières, devraient être instaurées pour les acteurs concernés, clubs et agents ?

Comment par ailleurs mieux contrôler l'activité des agents ? Comment éviter que la réglementation ne soit contournée par des personnes non licenciées ? Quel statut faut-il prévoir pour encadrer efficacement l'action des personnes détentrices d'une licence et, le cas échéant, des autres intermédiaires ?

Sur tous ces points, que vous connaissez parfaitement, je propose que chacun présente, de façon concise et dans le respect de tous les participants, les propositions qui lui paraissent les plus pertinentes.

M. Philippe FLAVIER : Je déplore moi aussi le climat un peu difficile de la table ronde de la semaine passée et j'indique d'emblée que je ne resterais pas si les choses devaient se passer aujourd'hui la même façon. Je crois en effet que nous sommes ici pour débattre de façon générale et fondatrice et non pour jeter l'opprobre sur tel ou tel acteur.

Je vous rejoins, Monsieur le président, sur le fait que nous avons trop parlé la semaine dernière de la rémunération des agents. Aujourd'hui, nous devons nous concentrer sur les mesures qu'il convient de mettre effectivement en œuvre pour éviter que ces affaires qui nous peinent tous ne perdurent.

Dans la mesure où nous avions remarqué que la très grande majorité des affaires étaient liées aux transferts internationaux, la première chose à faire est sans doute d'obtenir que la Fédération française et le ministère exercent une pression sur la FIFA pour qu'elle modifie ses textes afin que les mêmes règles soient appliquées aux agents du monde entier. En effet, tant que l'on permettra qu'au Brésil, en Suisse ou au Portugal, que des agents soient copropriétaires des joueurs, on ne mettra pas un terme aux difficultés que nous rencontrons.

Par ailleurs, dès lors qu'il est dans la nature des hommes de chercher à contourner les règlements, il convient de renforcer fortement les sanctions. Ainsi, s'agissant des incompatibilités, il est indispensable que des personnes condamnées pour des malversations dans le domaine du football soient véritablement empêchées d'exercer, qu'il s'agisse d'ailleurs d'agents, mais aussi d'entraîneurs, de directeurs sportifs, de présidents de club. Comment s'étonner qu'il y ait encore des affaires quand on retrouve les mêmes noms depuis des années ? Veut-on, oui ou non, faire le ménage ?

Il faut aussi renforcer les sanctions au sein de la commission des agents car je sais, pour en faire partie, que ce qui s'y passe n'est pas à la hauteur des enjeux. Ainsi, des interdictions temporaires de licence sont appliquées en dehors de la période des transferts... En quoi une suspension intervenant au mois de mars gênerait-elle un agent, puisqu'il est en vacances ? Je rappelle que cette commission a été instituée à la demande du ministère de la jeunesse et sports, qu'elle est composée de représentants de l'ensemble des familles du football : Fédération, Union des clubs professionnels, agents, entraîneurs, administratifs, etc. mais qu'elle ne dispose d'aucun pouvoir de dissuasion. Il faut donc prévoir des exclusions temporaires adaptées ainsi que des exclusions définitives en cas de récidive.

Il y a par ailleurs de plus en plus de collaborateurs et il faut donc leur donner un vrai statut. Nous considérons qu'ils doivent être salariés de l'agent pour lequel ils travaillent, afin que l'on ne voie plus de collaborateurs travaillant une semaine pour un agent et la semaine suivante pour un autre. Il faudrait aussi ouvrir cette profession aux anciens joueurs professionnels, qui mettraient de la sorte leur expérience à profit pour se reconvertir et pour bénéficier d'un vrai statut. Dès lors, je ne vois pas pourquoi l'on continuerait à cantonner les collaborateurs dans des tâches administratives.

Il faudrait aussi régler la question des agents étrangers. Pour ma part, je considère que s'ils travaillent en France leurs commissions doivent être versées sur un compte ouvert dans notre pays, afin que l'on puisse contrôler le cheminement financier. Cela doit aussi être appliqué dans le cas où ils prennent un postulant français, afin que ce dernier n'ait pas à supporter la responsabilité des flux financiers et qu'on ne lui reproche pas d'avoir envoyé de l'argent à l'étranger. C'est pour cela que la centralisation des paiements nous convient.

Enfin, il me semble que si l'on supprimait la possibilité d'être agent de club, ce rôle serait repris par des société de conseil extérieures, qui ne seraient soumises à aucune disposition réglementaire ni à aucun contrôle.

M. le Président : Ce qui me gêne, c'est le mélange des genres et le fait que les missions ne sont pas clairement définies. Je ne pense pas qu'un agent puisse être présent à la fois dans l'élaboration et dans la négociation du contrat.

M. Philippe FLAVIER : La loi ne permet à un agent que d'être rémunéré par une seule des parties à une même transaction. Qui plus est, une rémunération portant à la fois sur la négociation du contrat et sur le montant du transfert amènerait à dépasser les 10 %. Mais il convient sans doute de renforcer les contrôles.

M. Fabrice RIZZO : Le texte est mal rédigé et l'on ne peut pas exclure qu'un agent intervienne dans la négociation du contrat de transfert, soit rémunéré pour cela, touche 10 % du montant du transfert, et qu'il intervienne aussi dans la négociation du contrat de travail et qu'il touche 10 % du montant de ce dernier.

M. le Président : Il nous faudra donc bien répondre à la question « peut-il y avoir double rôle de l'agent ? ».

M. Philippe FLAVIER : Il faut évidemment l'éviter.

M. Alain NÉRI : Nous avons pour tâche, au sein de cette mission, de dresser le constat de ce qui se passe aujourd'hui dans la réalité et de faire des propositions pour que la loi en tienne compte. Mais nous avons bien évidemment aussi le devoir de faire en sorte que la loi soit respectée. Or on nous explique que, alors que la loi prévoit que l'agent est rémunéré par le joueur, tout le monde s'en fiche et que c'est le club qui paie quand même !

M. Philippe FLAVIER : Cela montre bien que le vrai problème tient aux sanctions : il faut en finir avec l'impunité de ceux qui ne respectent pas la loi.

M. le Président : Nous prenons acte que votre syndicat est d'accord pour qu'un agent n'ait pas un double rôle dans la même affaire.

M. Philippe FLAVIER : Sur la question de la rémunération des agents, notre position n'est pas fermée. Nous demandons seulement, dans la mesure où on nous demande d'être plus transparents, que des garanties nous soient apportées quant au paiement de nos honoraires, afin d'éviter que nous ne les percevions qu'au bout de deux ans de procédure.

Nous soutenons l'idée « un club, un agent, un joueur » qui sous-tend le Livre blanc de M. Thiriez, d'autant que le contrôle serait aisé. Je n'ai pas d'opposition de principe vis-à-vis de la proposition de M. Piat que les joueurs payent leurs agents. Je souhaiterais toutefois dans ce cas que, comme en Angleterre, les clubs aient la possibilité de régler l'agent en effectuant un prélèvement sur les salaires des joueurs. Il faudrait aussi harmoniser la durée des contrats signés d'une part entre les clubs et les joueurs, d'autre part entre les agents et les joueurs. Il ne faudrait pas que la nouvelle règle soit à l'origine de multiples contentieux.

M. le Président : Je partage votre avis. Mais c'est peut-être parce que la réglementation est floue que le joueur peut céder à d'autres sirènes.

M. Philippe PIAT : Nous allons quand même avoir du mal à progresser vraiment sans réglementation internationale. Si, comme vient de nous le dire Philippe Flavier, la grande majorité des affaires ont pour origine des transferts internationaux, à quoi bon renforcer les sanctions à l'encontre des agents français si les agents étrangers sont intouchables ?

M. le Président : Quand le transfert a lieu entre un club étranger et un club français, que l'intermédiaire soit étranger ou non, il y a bien à un moment donné un responsable français qui prend une décision. Mais peut-être faudrait-il se demander si un agent étranger peut exercer sur le territoire français, avec des clubs français, sans relever de la réglementation française. On pourrait tout simplement interdire aux clubs de passer par un agent étranger.

M. Jean Michel MARMAYOU : Quand un club participe à une opération avec un agent qui n'a pas l'autorisation - même si la loi n'est pas très claire sur les autorisations -, il se rend complice d'exercice illicite de la profession d'agent et encourt une sanction pénale. Quant à l'agent étranger directement coupable, il ne relève pas du pouvoir disciplinaire de la Fédération ou de la Ligue mais du pouvoir régalien dans le cadre pénal.

M. Philippe PIAT : En ce qui concerne les collaborateurs, nous considérons que pour agir ils doivent avoir une licence, même s'ils sont salariés, car à défaut on aurait bien du mal à exercer un véritable contrôle.

M. le Président : Cela pose la question du rôle de l'agent lors d'un transfert car les compétences requises dans ce cadre sont celles d'un courtier, alors que c'est le métier de conseil que l'on exerce lorsqu'on suit un joueur.

M. Philippe PIAT : Il ne faut pas se bercer d'illusions : un collaborateur jouera le même rôle que l'agent lors des tractations, même si c'est au bout du compte ce dernier qui signe le contrat. Un agent qui a cinquante joueurs sous contrat ne peut pas être avec tout le monde en même temps.

M. le Président : Il me semble qu'il faut prendre garde à ne pas empêcher d'exercer tous les intermédiaires qui agissent par exemple au sein de sociétés de conseil en transactions financières et qui peuvent avoir leur place dans la mesure où les clubs peuvent être considérés comme une société ayant besoin de conseils en transaction à l'occasion d'une opération de transfert.

M. Henri NAYROU : Pour revenir à la comparaison avec les cabinets d'avocats et les études de notaires, j'observe que le collaborateur d'un avocat ne plaide pas et que le clerc de notaire ne signe pas les actes. La différence tient surtout au fait que les flux financiers sont certifiés par des actes authentiques, ce qui n'est pas le cas dans le football. Il faut aussi savoir si l'on parle vraiment de collaborateurs ou plutôt de prête-noms. Ne cherchons donc pas à régler les problèmes par quelques artifices mais efforçons-nous de combiner nos efforts pour trouver de véritables solutions.

M. Bernard GARDON : Il serait quand même paradoxal d'ouvrir grande la porte aux collaborateurs tout en fixant un numerus clausus pour les agents...

M. Philippe PIAT : Je suis persuadé que la rémunération par le joueur éradiquerait la plupart des problèmes. Nous pensons que, pour qu'il n'y ait pas de conflit d'intérêts, le joueur doit payer son agent ; qu'il est normal de sécuriser le paiement de l'agent ; qu'il faut reconnaître aux joueurs le bénéfice des dispositions fiscales relatives aux bénéfices non commerciaux pour les frais liés à la commission de l'agent. Cela répondrait à l'argument selon lequel c'est pour éviter de supporter des charges sociales et fiscales que le club se trouve obligé de rémunérer l'agent à la place du joueur.

Des mesures d'accompagnement doivent également être prévues, dont bon nombre sont énoncées dans le livre blanc de la LFP.

Enfin, les acteurs du football ont à définir des normes mais aussi à décider qui en contrôlera l'application.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Avant même de parler de sanctions, il faut s'intéresser à la prévention. Ainsi le contrat doit être homologué afin notamment de vérifier, avant le paiement, si les parties ont bien la capacité. Si, en théorie, la Fédération homologue le contrat après avis de la DNCG, dans les faits les délais sont tellement courts que les contrats ne sont pas examinés comme ils le devraient.

M. le Président : Ce n'est pas acceptable ! Il faut se donner plus de temps.

M. Alain NÉRI : Nous sommes tous d'accord, me semble-t-il, pour considérer que l'agent doit être rémunéré par le joueur à partir du moment où il effectue une prestation pour celui-ci. Nous considérons qu'il faut également, sauf à accepter la fraude, s'assurer que l'agent est bien lié au joueur et que le contrat n'est pas antidaté pour régler la situation. Que les contrats soient homologués me paraît la moindre des choses. Il me paraît aussi logique que les agents souhaitent avoir l'assurance d'être payés. Mais le problème du paiement se pose pour toutes les professions : ne voit-on pas écrit dans les cafés : « Crédit est mort, les mauvais payeurs l'ont tué » ? On peut donc appliquer la sanction pénale encourue par tous ceux qui ne s'acquittent pas de ce qu'ils doivent. Mais on pourrait aussi réfléchir à une sanction sportive : à partir du moment où l'on a la preuve que l'agent n'a pas été rémunéré par le joueur, celui-ci ne devrait tout simplement pas pouvoir jouer.

M. Philippe PIAT : Notre objectif unique et d'assainir le système et nous soutiendrons toutes les solutions qui peuvent y contribuer. Nous sommes donc d'accord pour que l'on sanctionne le joueur qui ne paierait pas, sous réserve que l'on discute préalablement la grille de rémunérations.

M. le Président : Cela signifierait qu'un agent ne pourrait être rémunéré a priori, mais au fur et à mesure de l'exécution du contrat, ce qui me semblerait d'ailleurs logique.

M. Philippe FLAVIER : C'est ce qui se pratique déjà, en dehors des agents qui sont payés en une seule fois sur les transferts. Nous avons fait des efforts considérables pour accepter d'être payés année après année de présence du joueur dans le club. Évidemment, il y a des magouilles, mais nous, nous efforçons de nous rapprocher de la vérité du contrat. Et c'est bien pour cela que nous ne pouvons accepter un système plus transparent mais dans lequel nous n'aurions pas la garantie d'être payés.

M. Alain NÉRI : J'essaie de proposer une solution simple, qui serait ainsi facile à comprendre mais aussi à contrôler. Prévoir une sanction sportive à côté de la sanction pénale responsabiliserait le joueur.

Nous devons aussi nous intéresser à la question de la durée du contrat qui lie l'agent au joueur. Si le joueur signe avec le club un contrat sur quatre ans, l'agent doit être rémunéré pour chaque année pendant laquelle le joueur joue effectivement ; une fois qu'il ne joue plus, la rémunération cesse.

M. Philippe FLAVIER : Si ce n'est que la FIFA prévoit de passer d'un contrat de deux ans maximum -ce qui est très favorable au joueur - à un mécanisme de droit de suite, en vertu duquel le joueur qui aura signé un contrat de quatre ans devra rémunérer son agent pour l'ensemble de la période.

M. le Président : La règle devrait être que les durées des contrats coïncident, sauf à ce que l'agent accepte que la durée de son contrat avec le joueur soit inférieure à celle du contrat qu'il a fait passer au club et au joueur. Et ce n'est pas parce que la FIFA dit le contraire que l'on est obligé d'être d'accord avec elle à partir du moment où nous adoptons un dispositif qui apporte clarté et transparence.

M. Laurent DAVENAS : Il faut passer par le statut de profession réglementée, comme il en existe différents types en France. Il convient aussi de redonner aux pouvoirs publics l'habilitation de la profession d'agent : n'oublions pas qu'un simple négociateur financier chez Carrefour doit être habilité par le procureur de la République. Dans la mesure où toute réglementation est contournée, il faut aussi prévoir des sanctions exemplaires.

Quant aux agents étrangers, il faut les obliger à postuler par l'intermédiaire d'un agent français et à ouvrir un compte professionnel, avec des sous-comptes transaction par transaction, que l'on puisse contrôler facilement. Les choses sont simples !

M. Philippe FLAVIER : Nous sommes tout à fait d'accord pour tout centraliser. Mais la malversation n'est pas là : demandons-nous pourquoi et à qui certains agents rétrocèdent de l'argent. Or, on n'y changera rien si cet argent vient du joueur plutôt que du club.

M. Philippe PIAT : C'est impossible ! Un joueur ne va pas payer de sa poche un agent pour qu'il y ait des rétro commissions, ça n'aurait aucun sens...

M. Philippe FLAVIER : Vous plaisantez...

M. Jean-Pierre KLEIN : Vous paraissez vous inquiéter du risque d'impunité si un agent étranger commet une irrégularité. Mais il le fait obligatoirement avec la complicité d'un dirigeant de club, qui assumera le cas échéant ses responsabilités et qui pourra être sanctionné. Dans chacune des affaires que j'ai eues à connaître, un dirigeant était impliqué.

M. Philippe FLAVIER : Merci pour cette intervention qui modifiera sans doute le regard que le public porte sur les agents : s'ils ne sont sans doute pas parfaits, vous rappelez opportunément qu'ils ne sont que des courroies de transmission et non les donneurs d'ordres. Si les sanctions sont aggravées, nous souhaitons donc que cela concerne tous les fraudeurs, qu'ils soient dirigeants, entraîneurs, agents ou joueurs et que l'on ne braque pas les projecteurs sur les seuls agents.

M. Jean-Pierre KLEIN : Il serait sans doute nécessaire que les dirigeants reçoivent une formation car ils sont parfois pris pour des imbéciles par des agents plus malins qu'eux...

M. le Président : Voilà qui atténue la portée de votre intervention précédente...

M. Laurent DAVENAS : On a vu aussi, notamment pour des joueurs africains, le cas d'agents peu scrupuleux, qui était en réalité ceux des clubs et qui laissaient croire aux joueurs qu'ils défendaient leurs intérêts, alors qu'ils défendaient ceux du club, de façon scandaleuse. On a même vu des agents retenir le salaire que versait le club et ne pas le donner aux joueurs.

M. Bertrand CAULY : Nous ne pouvons bien sûr pas cautionner cela, mais que pouvons nous y faire ?

Si nous avons créé un syndicat d'agents, c'est parce que nous estimions que nous n'étions pas défendus et représentés. L'agent est systématiquement montré comme le responsable de toutes les turpitudes du monde du football, en particulier à l'occasion des transferts. Or, les agents dont les pratiques sont dénoncées ne représentent qu'une infime minorité de la profession ; ils agissent toujours à l'initiative de certains dirigeants de clubs, il faut le dire afin de ne pas laisser croire à la culpabilité de l'ensemble des professionnels.

Certains ont loué le Livre blanc. Mais n'oublions pas que celui-ci impute la responsabilité des affaires au fait que les agents seraient en trop grand nombre. Veut-on appliquer la double peine en retirant leur licence à ceux qui rencontrent le plus de difficultés ? Il est évident que la FFF et la LFP ne garantissent pas le libre jeu de la concurrence entre agents.

On a bien vu la semaine dernière que si l'on veut véritablement savoir à qui incombe la rémunération de l'agent, il faut s'intéresser à ce qui fait l'essence du métier : la défense du joueur. C'est pour cela que nous voulons la disparition du mandat de club tel qu'il se pratique aujourd'hui car il conduit à une concurrence sauvage entre les agents.

Que le joueur paie son agent permettrait : de mettre fin à la double représentation et au détournement de la loi ; de responsabiliser le joueur, qui doit savoir quel est le coût de son agent ; de rétablir une véritable concurrence entre les agents ; d'empêcher un agent introduit dans un club de « doubler » l'agent détenteur d'un contrat de médiation déposé dans le respect de la loi.

Bien évidemment, il faut aussi que le paiement soit garanti et sécurisé.

Il conviendrait par ailleurs que chaque événement de la vie d'un joueur en centre de formation ou professionnel soit obligatoirement accompagné par un agent. Cela impliquerait pour les agents d'importantes obligations de participation obligatoire à des sessions de formation continue, de certification de comptes auprès d'instances indépendantes de la FFF et de la LFP, de publication de la liste de tous les mandats. Certains secteurs de services confrontés aux mêmes difficultés y ont répondu en imposant des contrats et des prestataires exclusifs, des durées de contrats fixes, des clauses de résiliation des contrats très strictement encadrées.

Par ailleurs, des mécanismes doivent empêcher qu'un agent puisse, par les mandats qu'il détient, occuper une position dominante vis-à-vis d'un club.

S'agissant enfin des collaborateurs, et afin de montrer à quel point la loi n'est pas respectée, je vous ai apporté une annonce parue pendant tout le mois de novembre dans France Football, dans laquelle une « importante société de management spécialisée dans le milieu des transferts en France et à l'étranger depuis plus de quinze ans recherche pour élargir sa structure, plusieurs collaborateurs dans les régions suivantes (...) pour des postes d'agents commerciaux proposés à des personnes dynamiques et ambitieuses. Importantes commissions ».

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Je rappelle que la profession d'intermédiaire a existé de 1992 à 2000 et qu'elle était gérée par le ministère des sports. Ce peut être une solution dès lors que l'on s'assure que les moyens humains permettent un contrôle effectif, ce qui suppose une analyse en profondeur des flux financiers. Est-on assuré que le ministère disposera à l'avenir de tels moyens ?

M. Serge AGREKE : Ce n'est pas son métier !

M. Jean-Pierre KLEIN : Si l'on décide que le joueur paie son agent, cela ne risque-t-il pas de l'inciter à renégocier le pourcentage ?

M. Philippe PIAT : C'est bien pour cela qu'il faut lier grille des rémunérations, avantage fiscal et sanctions financières et sportives en cas de non-paiement.

M. Alain NÉRI : Il me semblait que nous étions d'accord sur le fait que les pourcentages devaient être dégressifs...

M. Philippe PIAT : C'est précisément l'utilité de la grille.

M. le Président : Tout ceci me paraît relever davantage du règlement intérieur que de l'organisation générale à laquelle nous réfléchissons aujourd'hui.

M. Jean-Michel MARMAYOU : Parmi les propositions qui paraissent séduisantes, notamment en termes de contrôle, certaines, comme le numerus clausus, la postulation et toutes celles qui touchent à la liberté des prix et à la liberté d'entreprendre, me paraissent contraires au droit communautaire.

En ce qui concerne la durée des contrats, on oublie, il me semble, que ceux qui sont passés entre l'agent et le joueur ou le club sont naturellement fondés sur la confiance et par voie de conséquence résiliables à tout moment, ad nutum. Cela pose évidemment problème pour l'agent, qui peut avoir investi beaucoup d'efforts et beaucoup de temps et être subitement « écarté ». Mais il ne faut pas oublier qu'il exerce un rôle de conseil et que lorsque le joueur n'a plus confiance en lui, le droit lui permet de rompre leurs relations. Il existe toutefois des mécanismes contractuels par lesquels le joueur renonce quelque peu à ce droit, mais nous devons être conscients qu'en fixant un délai, la loi irait à l'encontre de tous les grands principes du Code civil et du droit des contrats, ce qui me paraît un peu délicat.

M. le Président : Vous nous dites en fait qu'il est impossible de sécuriser la relation contractuelle entre un agent et un joueur...

M. Jean-Michel MARMAYOU : C'est possible, mais cela ne peut se faire ni par la loi ni par le décret, mais seulement de manière contractuelle, si le joueur renonce à son droit légal, d'ordre public.

M. Patrick MENDELEWITSCH : Mais alors qu'est-ce qu'un « mandat d'intérêt commun » ?

M. Jean-Michel MARMAYOU : Certains juristes se trompent sur ce point, mais la jurisprudence est unanime : le mandat d'intérêt commun n'empêche pas les parties de sortir du contrat, elles peuvent le faire à tout moment, contre une indemnité couvrant simplement la reconversion de l'autre partie, ce qui est parfois égal à zéro.

M. Laurent DAVENAS : Dans mon esprit, la postulation ne vise pas à empêcher un agent étranger de travailler en France mais à l'obliger à avoir à ses côtés un agent français, afin que la réglementation nationale s'impose à lui, dans l'attente d'une réglementation internationale.

M. Jean-Michel MARMAYOU : L'idée est bonne, mais s'agissant des agents artistiques, le tribunal de première instance des Communautés européennes, le TPICE, a récemment sanctionné le système de postulation français, auquel nous venions d'ailleurs de renoncer car la Commission ne l'avait pas trouvé conforme au droit communautaire.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Il appartient quand même au législateur de modifier le code civil s'il le souhaite.

Il convient sans doute d'éviter le numerus clausus qui poserait problème au regard du droit européen, mais ce dernier ne nous interdit en rien d'instituer une profession réglementée, pourvu que l'on reconnaisse les compétences des autres ressortissants de l'Union. Il faut donc se situer dans le cadre des directives de 1988, 1992 et 2005.

M. Henri NAYROU : Quand un joueur dénonce le contrat avec son agent à la veille de signer dans un club qui rémunèrera un autre agent, c'est bien de confiance qu'il s'agit, comme vient de le souligner M. Marmayou.

Il faudra prévoir des dispositions pour garantir la traçabilité, par exemple par le dépôt d'une liste permettant de savoir avec quel agent un joueur est sous contrat. Mais si le joueur dénonce ce contrat, il prendra ses responsabilités, la loi ou le règlement intérieur lui laissant bien évidemment cette liberté tout en en précisant les conséquences.

M. Alain NÉRI : Ne surmonterait-on pas aisément cet écueil si chaque agent et chaque joueur étaient obligés de déposer le contrat bien avant la transaction ? Nous nous sommes quelques peu étonnés d'entendre un agent nous dire qu'il s'occupait d'une quinzaine de joueurs internationaux et qu'il n'avait aucun contrat avec eux. Ne faut-il pas tout simplement imposer qu'il y ait un contrat et que celui-ci soit déposé ?

M. Philippe FLAVIER : Si un joueur résilie de façon illégitime son contrat avec un agent, l'agent qui se tourne vers un tribunal va gagner, même si son contrat n'est pas déposé à la Fédération : les tribunaux considèrent en effet que la réglementation de la FIFA, comme celle de la FFF, sont des réglementations sportives qui n'ont pas valeur normative d'ordre public. Mais cela prendra trois ans, ce qui est insupportable pour les agents.

M. Laurent DAVENAS : Il suffit d'interdire au joueur qui n'a pas payé de jouer et de prévoir une règle comme celle qui interdit déontologiquement à un avocat de prendre un client qui n'en a pas payé un autre.

M. Philippe PIAT : Il faut imposer une certaine antériorité du contrat pour éviter les contrats de circonstance au moment de la signature du joueur.

Pour lever les objections de Philippe Flavier, il faut aussi trouver les moyens de sécuriser le paiement de l'agent.

M. le Président : Il existe en effet des moyens pour apporter un peu de sécurité.

M. Alain NÉRI : C'est pour cela que je proposais de prévoir une sanction sportive en empêchant un joueur d'exercer sa profession s'il n'est pas en règle.

M. Henri NAYROU : La sanction sportive ne relève pas de la loi. Il faut garantir la traçabilité des flux financiers comme des contrats.

M. le Président : La liberté du travail ne ferait-elle pas obstacle à l'application d'une telle sanction sportive ?

M. Jean-Michel MARMAYOU : En effet, faire obstacle à la liberté du travail d'un joueur au motif qu'il ne paye pas son agent ne serait pas simple juridiquement.

M. le Président : Cette objection n'empêche pas l'application d'une suspension à un joueur qui enfreint les règles sur le terrain...

M. Bertrand CAULY : Dans le secteur des services, où les durées de contrats sont souvent irrévocables, on n'a même pas besoin de faire appel à la déontologie pour qu'une entreprise refuse de prendre comme client une personne qui a résilié un autre contrat de façon non conforme.

M. Philippe FLAVIER : Je pense que les parlementaires et Philippe Piat ont bien noté que j'avais fait un grand pas vers eux en admettant que le joueur pouvait payer son agent. J'aurais aimé qu'ils fassent aussi un pas vers moi afin d'autoriser, comme en Angleterre, les clubs à être les payeurs en imputant la commission sur le salaire du joueur. On aurait ainsi tout réglé et nous n'aurions plus besoin d'aller au tribunal pour nous faire payer.

M. Laurent DAVENAS : Il me semble que la proposition de M. Néri va aussi dans le sens que vous souhaitez : si le joueur qui ne vous a pas payé ne peut plus jouer, vous pouvez être assuré que le club qui continue à lui verser son salaire l'incitera fortement à se mettre en règle.

M. le Président : Nous avons bien entendu la proposition de Philippe Flavier et nous allons nous efforcer de trouver la solution la plus simple.

M. Gianni INFANTINO : Je vous remercie de m'avoir invité à participer à ce débat très intéressant, qui me permet de mesurer à quel point la France est en avance sur les autres pays européens.

Dans nos efforts pour essayer d'établir des règles avec l'ensemble des instances européennes, nous sommes confrontés, au-delà des affaires, au problème de la sécurité juridique et de la spécificité du monde du sport.

En ce qui concerne la possibilité qui vient d'être invoquée de sanctionner sportivement ou financièrement des joueurs, des agents ou des clubs, il me semble que dans la mesure où certains contacts autour des transferts peuvent fausser la vérité sportive et menacer ainsi la régularité des compétitions, il doit être effectivement possible de prononcer de telles sanctions.

Au niveau national, c'est bien évidemment à vous, législateurs, qu'il appartient de faire évoluer les textes. Nous, instances sportives, avons à prendre nos responsabilités au niveau sportif. Mais nos chemins doivent bien sûr être parallèles et nous devons même rechercher ensemble les solutions les plus adaptées.

Cela étant, vous l'avez souligné, même si vous adoptez la meilleure législation possible dans votre pays, vous resterez confrontés aux problèmes liés aux transferts internationaux. S'il n'existe aucun Parlement mondial qui pourrait édicter une règle valant dans tous les pays, nous, Européens, avons la chance de disposer du droit communautaire. Je suis donc persuadé que des solutions européennes doivent être trouvées, qui pourraient d'ailleurs avoir une influence sur la réflexion des autres pays et de la FIFA. Cette dernière a engagé un travail sur la question des transferts et nous nous efforçons de l'aider.

S'agissant précisément des transferts, il me semble qu'il faudrait veiller plus strictement à ce que les transferts de fonds ne puissent intervenir qu'entre deux clubs et non en direction d'une partie tierce.

Pour les transferts comme pour l'ensemble de l'activité des agents, la transparence doit être le maître mot. Il faut obliger les joueurs, les clubs, les agents à être plus transparents. Nous nous y efforçons grâce au système des licences que nous avons introduit il y a un an dans les 52 pays européens du ressort de l'UEFA. Ce n'est pas chose facile. Un nouveau système entrera en vigueur en 2008-2009, qui visera précisément à renforcer la transparence des transferts : afin de pouvoir exercer un véritable contrôle, nous demanderons à l'ensemble des clubs de dresser la liste de tous les transferts.

Certains clubs aimeraient se soustraire à cette obligation en invoquant leur statut de société commerciale, considérant qu'ils dépendent ainsi des textes régissant l'activité économique dans leur pays et que la certification de leurs comptes par un commissaire aux comptes offre une garantie suffisante. Nous devrons donc nous efforcer de trouver la solution qui offre le plus de sécurité juridique : à quoi bon adopter des textes si n'importe quel club peut les contester devant un tribunal ?

M. le Président : À ceci près que votre société ne peut pas jouer au football toute seule... Si elle est marginalisée par le milieu, elle aura beau avoir les meilleurs joueurs du monde, ils devront jouer entre eux ! La FIFA est garante de l'organisation et de la pérennité du championnat. Ajoutons que la vieille Europe gère à elle seule 80 % du marché mondial du football, et que les cinq pays principalement concernés n'ont rien d'États exotiques...

M. Gianni INFANTINO : Mais certains de ces pays sont bien décidés à attaquer le règlement des licences.

M. le Président : Ce qui aboutirait à des ligues fermées...

M. Gianni INFANTINO : Précisément : est-ce cela que nous voulons ?

M. le Président : C'est à vous de régler ce problème...

M. Gianni INFANTINO : Effectivement, mais nous avons besoin de vous.

Il est important de spécifier que les transactions financières liées aux transferts doivent se passer uniquement de club à club et non par l'intermédiaire d'un tiers. Nous pouvons l'exiger par un règlement ou une loi, mais également en imposant la publication des comptes en toute transparence. On peut également reprendre le système anglais où les paiements passent obligatoirement par la fédération nationale pour les transferts intra-nationaux, ou par la FIFA ou l'UEFA pour les transferts européens ou internationaux.

S'agissant plus spécifiquement des agents, le problème se pose des conditions d'accès à la profession. Le système d'examen actuel est-il suffisant ? Faut-il prévoir des examens réguliers ? Comment régler le cas des collaborateurs ? Ils existent, il faut bien s'en occuper. En posant le principe qu'un agent est responsable de ses collaborateurs, une bonne part du problème serait résolue.

Il faut également assumer la responsabilité du contrôle de l'activité des agents et sanctionner les éventuelles dérives.

M. le Président : Il n'existe pas de commission européenne des agents...

M. Gianni INFANTINO : Non, cela relève de la FIFA. Malheureusement, nos moyens d'investigation sont très limités. Si nous pouvions collaborer avec les autorités publiques - forces de police, Europol, Interpol -, nous pourrions prendre des sanctions sportives.

M. le Président : Je suis un peu gêné d'entendre dire que l'on est incapable de mettre en place les dispositifs de contrôle interne qui permettraient de régler 80 ou 90 % du problème. Les derniers 10 % relèvent des investigations policières et du « grand banditisme, soit ; cela arrive partout. Mais les 90 % qui restent ? N'est-il pas possible d'y « désécuriser » les dérives ?

M. Gianni INFANTINO : Nous parvenons précisément à contrôler 80 % des cas. À partir de l'année prochaine, nous allons mettre en place trois échelons de contrôle des licences des clubs : un premier au niveau de la fédération nationale qui les attribuera sur la base de critères fixés par l'UEFA ; un deuxième au niveau d'un département spécialisé de l'UEFA qui effectuera des spot checks, autrement dit des contrôles inopinés avec l'aide d'auditeurs extérieurs dans dix fédérations par an pour vérifier si elles appliquent correctement le dispositif et éventuellement prendre des sanctions...

M. le Président : Y en a-t-il déjà eu ?

M. Gianni INFANTINO : Nous commençons l'année prochaine. Nous en avons fait un en France l'an dernier, mais nous sommes encore en phase-test.

Troisièmement, nous avons mandaté la Société générale de surveillance, qui délivre les certifications ISO, pour contrôler les cinquante-deux fédérations et certifier leurs procédures. Nous accomplirons notre tâche au mieux de notre côté, mais nous devons travailler ensemble.

Pour ce qui est enfin des agents sans licence, le seul moyen de les attraper est d'intervenir au niveau des clubs et des joueurs. La mise en place de sanctions pénales et administratives nous aiderait grandement.

M. Philippe PIAT : Il sera difficile de faire le distinguo entre le collaborateur et l'agent licencié habilité à négocier...

M. Philippe FLAVIER : À partir du moment où un agent a clairement un collaborateur salarié, si celui-ci est pris en train de négocier, ce sera la responsabilité de son employeur. Il faut responsabiliser les gens...

M. Gianni INFANTINO : Se pose également le problème, peut-être plus spécifiquement italien, des conflits d'intérêt et des rapports familiaux entre agents et dirigeants, voire entraîneurs.

M. Bernard GARDON : Il commence à se poser en France...

M. Philippe PIAT : Nous étions en retard sur ce plan !

M. Gianni INFANTINO : Des règles très fermes ont été introduites en Italie, qui interdisent à un agent de traiter avec un club où travaille un membre de sa famille. Se pose également le problème des incompatibilités de mandats. La nouvelle réglementation italienne prévoit que si un agent a présenté un joueur à un club, il ne peut prétendre à aucun mandat ni rémunération de la part de ce club durant les douze mois qui suivent. Il n'a pas le droit d'être en même temps agent de ce joueur et conseiller du club. Le but est de couper court à tout conflit d'intérêts.

M. Philippe PIAT : C'est une autre approche.

M. Philippe FLAVIER : Je prévois toujours le mal... Un agent peut-il être tout à la fois actionnaire de deux sociétés, la première étant une société d'agents de joueur, la seconde ayant vocation d'être conseil de clubs ? Si aucune incompatibilité n'est prévue, certains individus intelligents ne manqueront pas de créer immédiatement deux sociétés d'agents distinctes, l'une s'occupant des joueurs et l'autre des clubs.

M. Patrick MENDELEWITSCH : L'UEFA a-t-elle une position explicite à l'égard de la détention de droits « bizarres » sur des joueurs non par des clubs, mais par des sociétés à vocation commerciale ? On a déjà évoqué l'existence de certaines filières sud-américaines où l'utilisation de tels droits permet de développer des mécanismes de fraude plus ou moins astucieux. Une société commerciale, fiduciaire, off shore, peu importe, peut-elle légalement détenir des droits sur des joueurs ?

M. Gianni INFANTINO : Le règlement FIFA indique clairement que les transferts ne peuvent s'opérer que de club à club. Autrement dit, il ne saurait y avoir de paiement à une société tierce. Si de tels faits se produisent, ils sont contraires au règlement.

M. Philippe FLAVIER : Mais si le club sert de réceptacle et reverse ensuite l'argent aux copropriétaires ?

M. Jérôme JESSEL : Certaines sociétés off shore sont détentrices à 100 % des droits dits fédératifs de joueurs. Plusieurs enquêtes en France l'ont montré, et ont donc mis en évidence le décalage entre le règlement et la réalité.

M. Philippe FLAVIER : Les lois des autres pays ne nous concernent pas... Nous aurons beau essayer de laver plus blanc que blanc, nous trouverons rapidement nos limites si les pays hors Union européenne ne font pas comme nous.

M. Patrick MENDELEWITSCH : La question n'était pas innocente, a fortiori dans un débat sur le meilleur moyen de garantir éthique et transparence. M. Infantino nous affirme que, à sa connaissance, les seules dispositions qui prévalent en la matière sont celles du règlement FIFA, selon lesquelles un club ne peut vendre qu'à un club. Dispositions que corrobore notre propre réglementation, laquelle n'a pas davantage été appliquée par les instances en charge de l'homologation des contrats de transfert... S'il n'est pas possible de mettre des rustines à notre niveau, peut-on penser qu'en agissant à un niveau plus élevé en termes de jeu comme d'enjeux économiques - en suggérant clairement à toutes les associations nationales de ne pas homologuer des contrats de transfert dans lesquels le vendeur serait une lamaserie tibétaine, par exemple - certaines déviances pourraient être évitées ?

M. le Président : Nous avons bien compris que l'UEFA envisageait de ne plus accepter de transferts autrement que de club à club...

M. Gianni INFANTINO : C'est l'actuelle réglementation FIFA. L'UEFA n'est pas compétente en matière de transfert. Nous ne pouvons que conseiller la FIFA. Celle-ci a mis en place un groupe de travail, auquel participe Philippe Piat, sur la révision de la réglementation relative aux agents de joueurs.

M. Philippe PIAT : Le travail a commencé, mais n'est pas encore terminé.

M. Alain NÉRI : Nous sommes tous d'accord pour améliorer la loi. La France, il est vrai, est en avance par rapport aux autres pays, mais nous avons connu cette situation lors de la loi antidopage. Une fois la loi votée en France, nous avons pu poursuivre la démarche au niveau européen et jusqu'au niveau mondial avec la création de l'AMA. Certes, tous les problèmes ne sont pas réglés pour autant, mais les choses avancent. Pourquoi nous limiter a priori ?

M. Philippe FLAVIER : Je suis bien évidemment d'accord, mais ne nous masquons pas les yeux pour autant : nombre de problèmes viennent de l'extérieur de notre beau pays, que nous ne pourrons gérer.

M. le Président : Mais une bonne part provient de l'intérieur de notre beau pays, et des beaux pays voisins ! Qu'ils s'appellent Inter de Milan, PSG ou Arsenal, tous ces clubs sont dans le même système.

M. Philippe FLAVIER : Pas tout à fait...

M. le Président : Ils sont en Europe, pour commencer...

M. Philippe FLAVIER : Précisément, l'Europe présente de fortes disparités. Ainsi, en Espagne, à trente kilomètres de chez moi, les clubs peuvent rémunérer les joueurs en partie avec des droits d'image. C'est désormais possible en France, à ceci près que les Espagnols peuvent payer lesdits droits au Luxembourg ou via un compte off shore... Je suis d'accord pour que nous soyons les plus pointus possible, mais reconnaissons que nous ne pourrons pas mettre tout le monde au même pas.

M. le Président : Rien n'interdit une directive future sur la question...

M. António CAMPINOS : Bon nombre de vos réflexions - qui ne sont pas si éloignées les unes des autres - auraient pu être reprises dans notre rapport. Je m'éloignerai quelque peu du débat franco-français pour m'en tenir à des considérations plus générales.

Selon nous, les règles applicables aux agents devraient être aménagées en premier lieu par les organisations du mouvement sportif, en application du principe de subsidiarité et dans le respect de la pyramide sportive, comme l'a du reste reconnu la Cour de justice elle-même dans un arrêt récent. Toutefois, la réglementation FIFA n'est manifestement pas suffisante - c'est effectivement la FIFA qui a la responsabilité des questions relatives aux transferts des joueurs. C'est tout le sens d'une des recommandations de l'étude : au niveau national, les fédérations devraient être responsables, tout comme la fédération internationale au niveau international et la fédération européenne au niveau européen. Aussi l'UEFA devrait-elle tirer les conséquences des réglementations qu'elle approuve et dans le cadre desquelles elle a été mandatée par les fédérations nationales pour réglementer le sport en Europe. Autrement dit, il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine au niveau européen.

C'est également la raison pour laquelle nous avons recommandé, comme l'a souhaité M. Flavier, la création d'une chambre de compensation qui garantirait la traçabilité et la transparence des mouvements financiers et qui pourrait être rattachée au club licensing system évoqué par M. Infantino. Mais pour l'heure, le rapport Arnaut conclut que l'insuffisance des réglementations applicables doit amener les pouvoirs publics à intervenir. Encore tout récemment, au Portugal, le fisc s'est intéressé à la question de savoir où sont passés les 4 millions qu'aurait reçus Joao Pinto (219)... Ne serait-ce que du point de vue fiscal, les gouvernements ont tout intérêt à essayer de comprendre l'origine et la destination de ces mouvements financiers. Cela dit, comme M. Piat, je persiste à penser que la plupart des problèmes sont de nature internationale, qu'ils appellent une réglementation internationale et plus encore une harmonisation des droits nationaux, dans l'espace communautaire pour commencer, où les règles devraient être plus exigeantes qu'ailleurs. Une directive serait tout à fait possible, à l'image de ce qui a été fait pour les agents commerciaux (220).

Je suis d'accord avec vous, monsieur le président, comme avec bon nombre de personnes ici présentes... Peut-être pas sur tout, mais probablement sur l'essentiel... Peut-être voyons-nous la réalité différemment, en fonction de la grosseur et de la couleur de nos verres de lunettes, mais nous savons en tout cas qu'il y a un problème et qu'il faut le régler, sans attendre davantage le Livre blanc de la Commission.

M. Philippe PIAT : Le Livre blanc dont nous parlions tout à l'heure était celui de la Ligue...

M. António CAMPINOS : J'avais bien compris. Mais nous n'allons pas attendre que la Commission présente le sien au Conseil et que celui-ci l'approuve pour commencer à réglementer...

M. le Président : D'autant qu'il porte un regard beaucoup plus général sur le sport.

M. António CAMPINOS : ...alors même que la question des agents commence à faire consensus et que la France, en légiférant, pourra influencer le droit européen : c'est là un avantage non négligeable, et donc un premier pas très important.

M. Alain NÉRI : C'est bien ce que nous espérons.

M. António CAMPINOS : Sur le fond, M. Flavier a assez bien posé le problème. En tout état de cause, Monsieur Piat, vos positions ne sont pas aussi éloignées qu'il n'y paraît. Le rapport Arnaut pointe les mêmes questions, qu'il s'agisse de la centralisation des paiements, de la double représentation, des conflits d'intérêts, de la durée des contrats, des conditions d'accès à la profession d'agent ou des incompatibilités - où l'exemple anglais mériterait d'être exploré. Quoi qu'il en soit, ma jeune expérience m'aura appris que, même lorsqu'on fait une loi spectaculaire, la clé réside dans ce que les Anglais appellent l'inforcement. Il faut certes des lois bien rédigées, simples et applicables mais la question finale reste de savoir qui en assure l'application.

M. Philippe PIAT : Je ne suis pas en désaccord avec Philippe Flavier, et encore moins avec le rapport Arnaut qui, à sa page 24, préconise un système basé sur le paiement des agents par les joueurs...

M. Alain NÉRI : Le plus intéressant aujourd'hui est de constater que nous sommes pratiquement tombés d'accord sur le bien-fondé du paiement des agents par les joueurs, comme le prévoit la loi actuelle. Reste à trouver les conditions propres à le sécuriser, mais cela relève de l'application ; commençons par tracer le cadre général.

M. le Président : Venons-en au contrôle. Peut-on le laisser s'exercer par la famille elle-même ou faut-il mettre en place les outils ad hoc ?

M. Philippe PIAT : Je suis à ce propos mécontent de l'absence de la DNCG...

M. le Président : Nous aussi !

M. Philippe PIAT : Que la fédération et la ligue estiment ne pas devoir venir pour des raisons qui leur sont propres, soit. Mais que la DNCG décide d'en faire autant laisse planer un soupçon de collusion, en contradiction avec l'indépendance dont elle se targue - et à laquelle je croyais. Cela m'interpelle quelque part...

M. Philippe FLAVIER : Ce doit être une particularité du football : tout ce qui s'y fait prête à soupçon. L'ordre des médecins est géré par des médecins sans que personne n'y trouve à redire et ne crie à la confusion des rôles... Que la famille, au besoin avec le concours d'autres intervenants, se gère elle-même, où est le mal ? Tout secteur professionnel est géré et contrôlé par les professionnels...

M. le Président : Il est parfaitement légitime que la famille mette en place ses propres règles de fonctionnement et de discipline. Mais en matière de contrôle, notamment financier, est-ce la bonne méthode ? Est-il réellement confortable pour le président d'une ligue professionnelle de contrôler les clubs qui l'ont élu ? Où est l'intérêt pour la ligue et la fédération ?

M. Jérôme JESSEL : La « famille » - le terme m'a toujours paru bizarre - n'a pas tenu son rôle jusqu'à présent. Pourquoi le tiendrait-elle à l'avenir ?

M. le Président : Le but n'est pas de montrer du doigt et de remettre en cause toute la réglementation au motif qu'elle n'est pas toujours efficace, mais de trouver des voies d'amélioration. Vous partez du principe que chaque club aurait volontairement transgressé la loi ; c'est parfois vrai, mais pas toujours, et cela tient également au fait que la réglementation n'est pas toujours adaptée à la pratique quotidienne. Vous n'aimez pas le mot « famille », mais si je parle du « milieu », ce sera pire...

M. Laurent DAVENAS : Je n'aime pas non plus le mot « famille »... Je partage le sentiment de M. Piat : le problème dans le football est que celui qui a posé la règle est en général celui qui la viole ! D'où l'intérêt d'avoir des commissions indépendantes et insoupçonnables. Nous avons préconisé dans notre rapport que la surveillance et la sanction des agents reviennent à la ligue, et non plus à la fédération. Que celle-ci habilite et fasse passer les concours, soit ; mais c'est à la ligue de créer une commission des agents pour sanctionner ceux qui ne respectent pas les règlements.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Si l'on a externalisé le contrôle et la sanction dans le cas du dopage, c'est parce que le système en interne ne régulait rien. Si l'on en est réduit à cela pour le football ce n'est pas parce que le milieu est plus mauvais, mais tout simplement parce que c'est un milieu humain. Comme le disait un doyen célèbre, les constitutions sont d'autant plus belles que l'on a envie de les violer par la suite...

M. Bertrand CAULY : Dire que le milieu du football doit continuer à contrôler ce qu'il n'a absolument pas réussi à contrôler dans le passé me paraît assez surprenant. Pour nous, la ligue ne peut à l'évidence contrôler les agents ni les circuits financiers liés aux transferts par le fait qu'elle est juge et partie. Vous savez comme moi que le président de la LFP est élu par les présidents de club...

M. le Président : Le but n'est pas de soupçonner qui que ce soit, mais de trouver des systèmes qui permettront aux dirigeants d'assurer leur mission dans les meilleures conditions de confort. Or cette mission n'est-elle pas devenue trop large ? Les sociétés commerciales ont-elles leurs propres contrôleurs fiscaux ? Une organisation reposant sur un système déclaratif nécessite forcément des contrôles extérieurs : cela sécurise tout le monde, y compris les principaux intéressés. Qu'y a-t-il de gênant là-dedans ?

M. Philippe FLAVIER : Pour ce qui est des agents, le manque de moyens est énorme : lorsque vous envoyez votre mandat à la fédération, vous ne recevez même pas de récépissé !

M. Bertrand CAULY : Effectivement.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : En totale contradiction avec la loi du 12 avril 2000, laquelle dispose que les fédérations doivent automatiquement accuser réception.

M. Philippe FLAVIER : Je n'ai pour ma part aucun a priori contre la fédération : c'est elle qui donne les licences, mais c'est avec les clubs que nos joueurs signent des contrats. Au quotidien, c'est la ligue qui les enregistre ; elle a donc toutes les pièces en main pour effectuer des vérifications. Que la profession soit gérée à la ligue ou à la fédération, cela ne change rien ; l'important est que l'une ou l'autre ait des moyens humains en rapport.

M. le Président : Les dérives financières sont essentiellement liées aux transferts, et non à l'intervention d'un agent sur un contrat spécifique à un joueur. Les sommes en jeu sont sans commune mesure.

M. Philippe FLAVIER : Nous sommes bien d'accord.

M. le Président : La DNCG a-t-elle les moyens de contrôler ces flux financiers ? Apparemment non.

M. Philippe FLAVIER : L'agence mondiale antidopage elle-même contrôle avec énormément de retard : il a fallu attendre un mois et demi, après fin du tour de France, pour apprendre que Landis était peut-être dopé... Attendez la fin du mois de janvier : vous verrez le nombre de transactions intervenues entre le 27 et le 30 dans le football ! Vous ne pouvez pas demander aux gens de contrôler en direct une opération le 28 janvier.

M. le Président : Je connais très bien cette situation. Si vous obligez à déposer les documents non pas soixante-douze heures avant la période de mutation, mais le double ou le triple, les clubs s'organiseront en conséquence et les négociations de dernière minute se feront huit jours avant, et non plus deux. Cela ne changera rien au fond.

M. Henri NAYROU : Personne ne reproche à l'AMA un retard lié à la complexité des procédés scientifiques permettant une analyse fiable. Lorsque la loi de 1999 a donné le pouvoir de contrôle antidopage et de sanction aux fédérations, qu'a-t-on vu ? Au premier contrôle positif, on écopait d'un avertissement et au bout de quarante-trois avertissements d'un blâme ! On a finalement admis la nécessité d'une autorité indépendante. Il en est de même dans le cas qui nous occupe : les pouvoirs publics ont été compréhensifs, mais les mauvaises habitudes ont perduré. On a laissé le pouvoir de contrôle et de sanction aux fédérations, mais celles-ci ne s'en sont manifestement pas servies.

M. le Président : Le grand mérite de l'AMA est d'avoir autorité sur les contrôles à diligenter dans n'importe quel territoire, sitôt qu'une compétition internationale y est organisée, sans attendre la décision des fédérations concernées. On pourrait imaginer, à chaque fois qu'est organisée une compétition européenne, que l'UEFA ait autorité pour contrôler les clubs participants. Et comme ce sont les plus importants et donc ceux qui manipulent le plus d'argent, tout porte à croire que cela aurait un effet déstabilisateur.

M. Laurent DAVENAS : Ne confondons pas le respect du règlement sportif, contrôlé par une commission, et la violation de la loi pénale, fiscale et commerciale qui relève des pouvoirs publics. Il faut en finir avec cette propension française à vouloir tout contrôler, pénaliser, et jeter continuellement la suspicion sur les pratiques de nos concitoyens. Il y a une règle, celui qui la viole est sanctionné, éliminé, point final !

M. Bertrand CAULY : Pour l'instant, seuls les agents sont montrés du doigt... Nous n'en sommes qu'au début du débat.

M. Gianni INFANTINO : Nous ne sommes pas ici pour critiquer qui que ce soit, mais pour améliorer les choses. S'il fallait changer de gouvernement à chaque fois qu'une loi ne marche pas du premier coup, on ne s'en sortirait jamais... Rappelons au passage qu'en matière de dopage, ce n'est pas l'AMA qui contrôle et sanctionne dans les compétitions de l'UEFA, mais l'UEFA elle-même.

M. le Président : Pourquoi ?

M. Gianni INFANTINO : Parce que l'AMA se borne à un règlement cadre dont l'application relève des différentes fédérations. L'intégrité et la régularité de l'activité sportive doivent être contrôlées, et au besoin sanctionnées, par les autorités sportives. Je suis d'accord avec M. Davenas : le viol d'un règlement sportif doit être sanctionné par les instances disciplinaires sportives. Si l'on part du principe que les instances de la fédération, de la ligue ou de l'UEFA ne sont pas indépendantes au motif qu'elles sont élues, il n'y a même plus d'arbitres... N'allons pas mêler les sanctions pénales, administratives, fiscales et sportives.

M. le Président : Y compris sur les flux financiers ?

M. Gianni INFANTINO : Y compris sur les flux financiers. C'est pour cela qu'a été mis en place le système des licences.

M. Philippe PIAT : Allons jusqu'au bout de la comparaison : l'AMA a la possibilité de faire appel au Tribunal arbitral du sport (TAS) des sanctions prononcées.

M. le Président : L'AMA sous-traite à l'organisateur des compétitions, mais elle peut pratiquer elle-même les contrôles si elle estime qu'ils n'ont pas été correctement diligentés sur le terrain.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : À ma connaissance, jamais la FIFA n'a autorisé la présence d'observateurs de l'AMA dans une compétition de football...

M. le Président : Les choses sont en train de se régulariser.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : M. Infantino a parlé de certification ISO. Comment cela se traduit-il pour les fédérations ?

M. Gianni INFANTINO : La fédération est toujours responsable - les Anglais parlent de sport governance board, « organisme de gouvernance du sport ». C'est à nous de mettre en place un système de contrôle fédéral efficace et exempt de toute suspicion, grâce à différents moyens : certification, indépendance, etc. Nous avons imposé aux 718 clubs européens de faire certifier leurs comptes par un auditeur externe et indépendant, affilié à la fédération internationale des auditeurs : pour la majorité d'entre eux, c'était une nouveauté.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Avez-vous avancé sur la norme ISO 9001 ?

M. Gianni INFANTINO : À partir de 2008-2009, les fédérations auront la possibilité d'avoir ou bien une certification « licences » normale, ou bien une certification ISO.

M. Laurent DAVENAS : À propos du dopage, rappelons que le principe de la peine automatique a été censuré par le Conseil constitutionnel - nous verrons ce qu'en dira le Conseil d'État. Autrement dit, le problème est loin d'être réglé. En tant que membre de l'agence, je passe tous mes jeudis matin à sanctionner des fumeurs de joints qui font du sport alors que la société civile ne le fait plus... Évitons de basculer d'un excès dans l'autre.

M. Fabrice RIZZO : Si le problème des flux financiers et des agents s'inscrit dans la problématique plus générale de l'intégrité et de l'équilibre des compétitions, la logique veut que les fédérations et les ligues s'occupent du contrôle, voire des sanctions. Mais ne devraient-elles pas avoir la possibilité de déléguer cette mission à un organisme externe ? Le contrôle de la profession d'agent relève-t-il réellement de l'organisation des compétitions ? On peut en discuter. Pour ma part, je ne suis pas hostile à l'idée d'un contrôle externe de la profession, voire des flux financiers. Certains nous ont qualifiés la semaine dernière de partenaires des représentants du foot-business ; je réfute d'autant plus cette accusation que j'ai été un des premiers universitaires à admettre, sur le plan conceptuel, l'idée d'un contrôle externe dans la mesure ou, force est de le constater, celui effectué jusqu'à présent par les fédérations a échoué. Cela ne signifie pas que celles-ci n'auraient pas le pouvoir...

M. Philippe PIAT : Mais elles pourraient décider de l'externaliser.

M. Fabrice RIZZO : Exactement. L'idée du contrôle externe ne doit pas être rejetée par principe : non seulement elle est bonne en elle-même, et utilisée dans d'autres professions, mais le système actuel aboutit à un constat d'échec. Je suis donc disposé à la défendre, sous certaines conditions.

M. António CAMPINOS : L'indépendance et l'intégrité d'une entité quelconque ne dépendent pas du fait que celle-ci soit interne ou externe à une organisation, mais de ses statuts et de la qualité des membres qui la composent. Nous avons, au Portugal comme chez vous, des autorités, dont les membres sont nommés qui par la Président de la République, qui par l'Assemblée, qui par le Gouvernement, sans mandat renouvelable, et qui fonctionnent en parfaite indépendance.

M. le Président : Une ligue n'est finalement rien d'autre qu'une assemblée des présidents de club qui se réunissent, avec un conseil d'administration et une assistance administrative. À défaut de pouvoir s'occuper eux-mêmes du contrôle des contrats ou des flux financiers, ils le délégueront à une administration. Le problème est qu'une administration interne hésitera naturellement à mettre en difficulté son donneur d'ordre...

M. António CAMPINOS : Je suis bien d'accord. Reste que notre autorité de la concurrence vient de prendre des décisions contraires à la volonté du Gouvernement portugais ; et pourtant, son président avait été nommé par ce même gouvernement. L'essentiel est qu'il n'y ait pas de lien hiérarchique entre l'un et l'autre.

M. le Président : Il y en a forcément un si l'on reste dans l'organisation actuelle, et si on en est le salarié...

M. António CAMPINOS : Comment sont rémunérés les membres des hautes autorités en France, si ce n'est par l'État ?

M. le Président. Il y a tout de même une différence entre l'État, pris dans sa globalité, et une ligue professionnelle de football, de basket ou de rugby...

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Après tout, les magistrats sont payés par la République...

M. Philippe PIAT : Je fais moi-même partie du conseil d'administration de la ligue. Les commissions indépendantes n'ont d'indépendance que celle que l'on veut bien qu'elles aient ! Si Jacques Lagnier vient, au nom de la DNCG, faire son rapport au conseil d'administration devant Gervais Martel ou Jean-Michel Aulas, je me doute qu'il fera attention à ce qu'il dira s'il entend les critiquer...

M. le Président : C'est humain !

M. Laurent DAVENAS : Un commissaire aux comptes est payé par l'entreprise qu'il contrôle...

M. le Président : À ceci près qu'il est lui-même contrôlé derrière.

M. Laurent DAVENAS : Nous avions proposé un système d'échevinage, c'est-à-dire une commission de contrôle composée d'agents faisant autorité dans leur profession et de personnalités extérieures au football.

M. Philippe FLAVIER : Philippe Piat siège au conseil d'administration ; j'observe que les agents sont la seule corporation à n'être représentée dans aucune instance de la fédération ni de la ligue. Nous ne sommes pas plus bêtes que les autres pour essayer de trouver des solutions ; il ne serait pas neutre, y compris vis-à-vis du grand public, de montrer que les agents font eux aussi partie du football.

M. Jean-Pierre KLEIN : Nous-mêmes avons proposé la création d'une commission des agents au sein même de la ligue... Et pour ce qui est de l'indépendance, la commission d'appel, dans laquelle je siège avec M. Davenas, a souvent pris le contre-pied de décisions prises par la ligue, y compris contre l'avis de Jean-Michel Aulas et d'autres. Nous ne sommes « cornaqués » par personne.

M. Bertrand CAULY : Reste que les conflits d'intérêts potentiels sont permanents...

M. Jean-Pierre KLEIN : Peut-être, mais nous n'avons d'intérêts dans aucun club. Le fait d'être Marseillais ne m'a pas empêché de juger des affaires de l'OM et même de le condamner. Je vous invite à lire les réquisitions des procureurs dans les affaires du football français. Elles sont édifiantes... Plusieurs clubs français, parmi les plus grands, sont ou seront bientôt impliqués dans des affaires particulièrement sérieuses.

M. Jean-Michel MARMAYOU : Si cette mission s'intéresse essentiellement au football, ce ne sera pas le cas de la loi : seront tout aussi bien concernés le rugby que le handball, le basket et même les agents intervenant dans le golf, l'athlétisme, des disciplines individuelles où le transfert n'existe pas - encore que l'on en voie dans les échecs... Il faudra en tenir compte. Peut-être pourrait-on trouver une autorité indépendante unique qui permettrait, en regroupant les moyens, de contrôler les agents dans toutes les disciplines ; non seulement les sports où cela va un peu mieux participeraient à l'assainissement de ceux ou cela va un peu moins bien, mais l'élargissement, en diluant les situations de conflits d'intérêts, permettrait d'avancer dans le sens de l'indépendance.

M. le Président : Il y a finalement assez peu de différences entre les sports collectifs professionnels où, si les chiffres diffèrent, les règles sont les mêmes. Dans le cas des sports individuels, la démarche de l'agent s'apparente à celle d'un agent du monde du spectacle : il ne s'agit pas de gérer une relation contractuelle avec un club sur quelques années, mais de chercher les tournois les plus intéressants, avec les meilleurs partenaires.

M. Jean-Michel MARMAYOU : Il est à noter que le problème du paiement de l'agent par le club, dans le cas du rugby, provoquerait une véritable levée de boucliers : les clubs de rugby ont l'habitude d'avoir des agents car ils sont obligés d'aller chercher leurs joueurs souvent très loin, aux Fidji ou en Nouvelle-Zélande. La discussion aurait tourné très différemment...

M. le Président : Je pourrais aussi vous parler d'un milieu que je connais bien, où il arrive fréquemment de travailler avec les États-Unis. On y retrouve les statistiques, les cassettes qui circulent, etc., et aussi les erreurs de recrutement...

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : On s'interroge sur la nécessité de créer une autorité administrative indépendante, mais le nombre d'agents concernés en vaut-il la chandelle ? J'aimerais également que l'on aborde la question des mineurs, pour lesquels les pratiques en matière de transfert s'apparentent à un véritable esclavage.

M. le Président : On peut se demander si un joueur, y compris en centre de formation, ne devrait pas avoir systématiquement un agent - ce qui pose le problème de sa rémunération tant que le joueur n'a pas de contrat professionnel. Ajoutons qu'en l'état actuel des choses, un agent ne peut être contractualisé avec un joueur que pour une durée de deux ans...

M. Fabrice RIZZO : Ce n'est pas la loi qui l'impose, mais la FIFA.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Le système actuel, qui exclut toute rémunération pour les transferts de mineurs, mais également toute sanction, doit être repensé. Après tout, il vaut mieux qu'un mineur ait un bon agent rémunéré comme tel, plutôt que d'en avoir un non officiel, avec un système de rémunération retardé ou un sous la table... Encore faudra-t-il un dispositif particulièrement encadré. Non que je jette la pierre aux agents : je sais que les parents eux-mêmes sont souvent les premiers fautifs. Pour une voiture neuve, certains feraient n'importe quoi !

M. Bertrand CAULY : D'où des effets pervers : on voit des enfants envoyés au fin fond de l'Europe, où la législation est différente, pour être rémunérés.

M. le Président : Encore faudra-t-il déterminer sur quoi repose la rémunération : le travail en amont, sa valorisation, sans oublier le repérage ou le scouting... Comment rémunérer tout cela, et sous quelle forme, sachant que cela ne donne pas normalement lieu à transaction financière ?

M. Philippe FLAVIER : Normalement, il n'y a pas de rémunération. Il faudrait également prendre en compte une profession qui se répand de plus en plus dans les clubs : les recruteurs, dont le statut est pour le moins ambigu.

M. le Président : Ils sont normalement des salariés du club.

M. Patrick MENDELEWITSCH : C'est une autre catégorie de collaborateurs.

M. le Président : C'est le principe même de la NBA (National Basket Association - la Ligue nationale de basket aux États-Unis), qui envoie dans le monde entier des personnes pour observer les joueurs. C'est un métier...

M. Tanguy DEBLADIS : Mais la plupart de ces recruteurs ne sont pas salariés. Ils sont payés sur la base de défraiements, d'indemnités kilométriques...

M. le Président : Comment réglementer tout cela ?

M. Philippe FLAVIER : Par le salariat. De la même façon que nous proposons de salarier nos collaborateurs, les recruteurs ou les scouts des clubs doivent être salariés par les clubs, ce qui évitera la tentation de se faire défrayer tout à la fois par les clubs et par les agents.

M. le Président : Mais s'il n'y a plus d'agents de club ?

M. Philippe PIAT : C'est bien le sens de notre proposition : il n'y a plus d'agents que de joueurs, et les clubs ont des salariés pour les missions qu'ils veulent leur faire faire.

M. le Président : Cela ira dans le football, où les clubs ont les moyens, mais certainement pas dans les autres sports. Les clubs de rugby ou de basket ne peuvent se permettre d'envoyer en permanence des salariés en Nouvelle-Zélande ou en Australie pour repérer les talents...

M. Philippe PIAT : Il s'agit en fait d'indépendants, non de salariés au sens strict du terme. Ils touchent un honoraire pour leur travail, mais il n'y a aucune raison qu'ils perçoivent un pourcentage sur la transaction.

M. le Président : Je suis d'accord.

M. Henri NAYROU : J'admets pour ma part qu'il puisse exister des agents de club pour remplir des missions ponctuelles de recherche répondant à un besoin bien précis. Un club même remarquablement structuré pour « cueillir » des enfants à l'âge de douze-treize ans n'est pas nécessairement outillé pour trouver un joueur argentin libre de vingt et un ans et de nationalité française...

M. Philippe PIAT : La fonction ne disparaîtra pas, mais ne sera plus confiée à un agent : ce sera un collaborateur, salarié ou non, chargé d'une mission précise et payé pour cela, mais sans relation avec le montant de la transaction ni du salaire du recruté.

M. Alain NÉRI : Pourquoi réinventer l'eau chaude ? Dans toute activité commerciale ou industrielle, il arrive de confier une mission à durée déterminée, avec une lettre de mission précise, un cahier des charges et une rémunération clairement identifiée. Il n'y a pas besoin de licence pour cela.

M. Philippe FLAVIER : On a déjà du mal à rendre les choses transparentes, mais si vous voulez autoriser un club à passer un contrat d'entreprise avec un individu qui n'est pas un agent pour aller chercher un joueur, nous aurons du mal ! Comment allez-vous le contrôler ? Vous avez déjà du mal avec ceux qui ont une licence...

M. Philippe PIAT : Ceux qui ont une licence sont des agents de joueurs, chargés de défendre les intérêts du joueur.

M. Serge AGREKE : Le ministère tenait à laisser les acteurs directs du terrain dialoguer librement avec les parlementaires avant de vous faire part de son point de vue, qui recoupe au demeurant la position de plusieurs intervenants.

En premier lieu, évoluant dans un contexte européen et international, il convient de se garder de réponses par trop franco-françaises ; l'expérience récente a montré que cela pouvait obliger par la suite à reprendre des dossiers, voire à reconsidérer des positions trop tranchées. L'objectif reste évidemment de corriger les dysfonctionnements observés, mais en s'inscrivant dans le droit sportif international et peut-être en préfigurant, comme l'a souhaité M. Infantino, une réponse que l'Europe, dans un deuxième temps, pourrait apporter. Le ministre souhaite à cet égard que la réflexion s'inscrive dans la perspective d'une démarche au niveau de la FIFA ou de l'UEFA, quitte à pousser ces organismes à réfléchir davantage sur les positions à prendre.

Deuxièmement, la fédération tient évidemment, aux yeux du ministère, une place essentielle. Probablement y a-t-il des points à améliorer, des dispositifs de contrôle à construire, une indépendance et des pouvoirs à conforter dans certaines instances : je pense notamment à la commission des agents dont la composition pourrait être ouverte à des autorités extérieures au monde « footballo-footballistique », suivant l'exemple de la DNCG. Elle pourrait ainsi servir d'organe de première instance en cas de contestations de décisions, le comité directeur de la fédération se réservant les appels. Quoi qu'il en soit, les fédérations, délégataires des crédits publics, doivent garder toute leur place dans le modèle sportif français.

Troisièmement, force est de tirer les conséquences de la montée en puissance généralisée du sport professionnel, dans les grands sports collectifs comme dans des disciplines individuelles où l'on ne s'y attendait pas, et où surgissent dorénavant les mêmes problématiques. Nous serons amenés d'ici à quelques mois à modifier le décret relatif aux ligues professionnelles afin de permettre à l'ensemble des disciplines individuelles de pouvoir constituer leurs propres ligues et garantir leur fonctionnement. Ainsi, les dispositions régissant les centres de formation, souvent pensées « football », la discipline phare, et assez facilement transposables au basket, handball ou autres, deviennent franchement handicapantes dans le cas de disciplines comme le cyclisme, impérativement contraint d'intégrer dans sa ligue professionnelle les organisateurs de compétitions sportives.

Quatrièmement, le ministère des sports n'était pas loin de faire sienne les conclusions de l'étude indépendante ; il regrette en tout cas que l'ensemble des pays européens n'ait pas saisi l'occasion de prendre ce dossier à bras-le-corps et souhaite que le débat se poursuive.

Enfin, le ministre a réaffirmé que la liaison agent-joueur restait à ses yeux une relation essentielle et incontournable, que le paiement de l'agent devait rester l'affaire du joueur ; toutes les propositions visant à garantir l'effectivité de cette rétribution, sous des formes techniquement et juridiquement à préciser, ne peuvent que rencontrer son aval.

M. Philippe PIAT : Nous en prenons acte, mais encore faudra-t-il en tirer les conséquences sur le plan fiscal : s'il s'agit seulement de transférer la charge de l'un à l'autre, nous aurons été pour les joueurs de bien piètres avocats...

M. le Président : Je vais demander que l'on prenne un cas bien précis afin d'en examiner les conséquences.

M. Philippe PIAT : Cela devrait être relativement simple : les joueurs français étant payés à hauteur de 30 % en droits d'image, assimilables à des bénéfices non commerciaux, ils doivent pouvoir imputer les dépenses correspondant au paiement de leur agent en frais dans leur quote-part BNC.

M. Jean-Christophe LAPOUBLE : Je veux à nouveau insister sur la nécessité de poursuivre la réflexion sur le cas des mineurs, qui peut donner lieu à des situations dramatiques.

M. Bertrand CAULY : Qu'on ne se méprenne pas sur le sens de mes propos : tout le monde s'accorde à reconnaître le travail remarquable que la LFP et la FFF réalisent au niveau de l'organisation des compétitions, et c'est précisément pour cette raison que nous regrettons de voir leur image brouillée par des affaires par trop récurrentes.

M. le Président : C'est justement pour cela que j'appelais à les mettre dans les meilleures conditions de confort possible pour exercer leur mission principale...

M. Bertrand CAULY : Exactement.

M. Philippe FLAVIER : Je veux tous vous remercier pour ce débat serein, alors que nous avions souvent l'habitude d'être au bout du fusil... Les jugements se relativisent et la réflexion a avancé. Je remercie également le représentant du ministère d'avoir compris l'importance de la question des sanctions - sanctions sportives, mais également légales. Nous aurons fait grandement évoluer les choses lorsque les gens commenceront à avoir peur de se livrer à des malversations.

M. Laurent DAVENAS : Lorsque le milieu naturel ne règle pas les problèmes, c'est malheureusement le juge pénal qui les règle pour lui... Et c'est catastrophique.

M. Gianni INFANTINO : Tout en vous remerciant pour ce débat, je veux moi aussi souligner l'importance du problème des mineurs.

M. Henri NAYROU : Je saisis l'occasion pour inviter le représentant de l'UEFA à inciter, comme nous le ferons de notre propre côté, la Commission européenne à se saisir d'un problème qu'elle avait quelque mal à appréhender. L'Europe, qui ne se prive pas de faire de l'excès de zèle dans certaines questions de détail, serait bien inspirée de s'occuper de celle-ci, autrement plus importante. Le football n'est que du sport, me dira-t-on ; mais l'ampleur des flux financiers en cause et des malversations qui s'y attachent mériteraient qu'elle se départisse de sa prude réserve...

M. António CAMPINOS : Je vous remercie de nous avoir invités en insistant, à mon tour, sur la nécessité de nous pencher sur la question de la protection des mineurs dans le cadre des transferts internationaux.

M. le Président : Mesdames, Messieurs, il ne nous reste plus qu'à nous féliciter de cette table ronde et de vos contributions très riches, et à souhaiter bon vent au sport français.

Audition de M. Rodolphe ALBERT,
ancien directeur financier du Paris Saint-Germain


(31 janvier 2007)

Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Vous avez été témoin du fonctionnement interne d'un grand club français, puisque que vous avez successivement exercé les fonctions de contrôleur de gestion, de directeur financier, puis de directeur attaché à la présidence du Paris Saint-Germain entre 1997 et 2005. Vous venez d'ailleurs de publier un ouvrage fondé sur cette expérience, « Les secrets du PSG, la danseuse de Canal + - mai 1991-avril 2006 ».

Votre témoignage intéresse notre mission, dont l'objectif est d'identifier les mécanismes qui peuvent mener à des pratiques non conformes à la réglementation lors des transferts de joueurs, et de trouver des voies d'amélioration de la transparence des flux financiers lors des transferts et dans l'exercice de la profession d'agents sportifs. À cet égard, votre expérience nous est utile et nous souhaiterions connaître votre sentiment sur l'efficacité des contrôles actuels, et notamment sur le rôle de la Direction nationale de contrôle de gestion (DNCG).

Nous avons déjà entendu tous les acteurs du monde sportif, y compris au niveau international - à l'exception de la FIFA, que nous recevons la semaine prochaine - car nos travaux ont montré que ce sont surtout les transferts internationaux qui posent problème. Nous avons aussi confronté les points de vue à l'occasion de deux tables rondes ouvertes à la presse. Nous avons donc déjà beaucoup avancé dans notre réflexion.

Nous entendrons après vous le ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative, M. Jean-François Lamour, qui, comme nous tous, est soucieux de moraliser les pratiques du football mais aussi de l'ensemble des sports professionnels. En effet, si notre mission est axée sur le football, ses recommandations auront vocation à s'appliquer à l'ensemble du sport professionnel.

Je crois savoir que vous avez des propositions à nous présenter et c'est précisément sur ce point que je voudrais axer cette rencontre. Comment est-il possible d'améliorer le système ? Que peut faire le législateur ? Que faut-il faire au niveau international ?

M. Rodolphe ALBERT : Je souhaite davantage vous exposer ma vision des solutions possibles que vous parler des problèmes que j'ai pu constater. Je pense que c'est également votre objectif. Nous ne sommes pas là pour faire le travail des juges.

Différents thèmes sont couramment évoqués. S'agissant du paiement de l'agent, j'ai une position assez ferme : il faut à tout prix éviter, ou limiter le plus possible, la rémunération des agents par les clubs. C'est justement lorsqu'il y a des flux financiers entre le club et l'agent qu'il y a des risques de dérives.

Il est donc clair que la loi n'est pas respectée et je pense qu'il ne faut surtout pas revenir sur ces dispositions législatives. Pour que la loi ne soit pas contournée, il faut strictement contrôler le type de contrats possibles entre un club et un agent. Il s'agit de contrôler cette relation de l'extérieur, plutôt qu'en organisant le contrôle au cœur même de la relation entre le club et l'agent. À mon sens, les mandats de recherche et les mandats de négociation de transfert devraient être totalement exclus.

S'agissant du mandat de recherche, il ne se justifie nullement. Les clubs ont en effet des salariés superviseurs, qui parcourent le monde, vont assister à des matchs, connaissent le monde du football. Un club n'a nul besoin d'un agent pour identifier un joueur.

M. le Président : C'est sans doute vrai pour les clubs qui occupent le sommet de la hiérarchie. Mais n'oublions pas que nous cherchons des solutions pour l'ensemble du sport professionnel.

M. Rodolphe ALBERT : En effet. Cela m'amène d'ailleurs à nuancer mon propos. Ce qui me gêne, c'est qu'un mandat de recherche soit confié à un agent. Mais qu'un club ait recours à un prestataire de services pour rechercher un joueur ou superviser le marché sud-américain, cela peut très bien se comprendre. Ce qui doit être exclu, c'est qu'une telle mission soit confiée à quelqu'un censé représenter les joueurs, et qui, de toute façon, a pour métier d'identifier des joueurs afin de les faire entrer dans son portefeuille.

M. le Président : Si je comprends bien, vous considérez que la mission de l'agent doit se limiter à être le conseil du joueur, et que l'autre mission, celle consistant à mettre en relation deux partenaires, peut être assurée soit par un agent, soit par une personne, soit par une société ?

M. Rodolphe ALBERT : Oui. Concrètement, lorsqu'un joueur a été identifié, on n'a plus besoin de l'agent. La négociation de l'indemnité de transfert doit se faire de président à président.

Pour ce qui est d'identifier des joueurs, des sociétés tierces pourraient intervenir. Mais c'est le métier quotidien de l'agent de joueur que de chercher des joueurs. Pourquoi lui demanderait-on de rechercher un joueur correspondant à tel ou tel profil ou de superviser le marché sud-américain, alors que c'est ce qu'il est censé faire tout le temps, en dehors des périodes de transferts ?

M. le Président : Vous voulez dire qu'à un moment donné, quand un club a un besoin particulier, il peut lancer un appel d'offres auprès des agents qu'il connaît, sur le mode : « Je cherche tel type de joueur, l'avez-vous dans votre portefeuille ? »

M. Rodolphe ALBERT : Un tel appel d'offres serait en fait fictif. Tout le monde sait exactement qui est l'agent de qui. Lorsque l'on veut contacter tel joueur, on sait quel agent il faut appeler.

M. le Président : Y compris dans des pays un peu exotiques ?

M. Rodolphe ALBERT : Dans ces cas-là, la mise en relation s'établira de manière moins directe, mais on connaît toujours quelqu'un qui connaît quelqu'un qui connaît l'agent du joueur. C'est d'ailleurs en cela que réside la véritable valeur ajoutée des meilleurs directeurs sportifs : ils ont un carnet d'adresses qui leur permet d'entrer rapidement en contact avec un joueur.

Mandat de recherche et mandat de négociation de transfert sont donc des conventions biaisées. Il y a toujours un risque de prestation artificielle.

M. le Président : À ceci près que normalement, le président ou le directeur sportif d'un club ne peut pas contacter un joueur évoluant dans un autre club autrement que par l'intermédiaire de son agent.

M. Rodolphe ALBERT : En effet. Dans ce cas, ils savent très bien qui contacter. Tout en ne contactant pas directement le joueur, ils connaissent les coordonnées de son agent.

Parmi les autres types de conventions avec les agents qui ont été au cœur de l'instruction du dossier du PSG, il y a aussi les conventions de supervision et les conventions de valorisation.

La convention de supervision est un contrat passé, sur une durée déterminée, entre un agent et un club. Le mandat peut être par exemple : « Surveillez le Brésil et dites-nous s'il y a là-bas des joueurs susceptibles de nous intéresser. » Évidemment, on joue sur le caractère prétendument oral de ces prestations, qui constituent en général le principal vecteur de fraude quand il s'agit de faire passer de l'argent en franchise fiscale à l'étranger.

Cette mission de supervision pourrait être accomplie par des sociétés qui ne seraient pas un agent sportif. Des réseaux existent en France, des personnes sillonnent les terrains, signalant tel ou tel jeune.

M. le Président : Ce travail peut être fait par un agent.

M. Rodolphe ALBERT : Un agent peut signaler qu'il a identifié tel ou tel joueur. Mais pourquoi passer une convention avec lui afin de le payer pour cela ? Cela n'a aucun sens. En fait, la prestation n'a pas de réalité.

M. le Président : Si la mission de supervision est accomplie par une société, l'agent va monter une société ad hoc, sous le couvert de laquelle il effectuera ce travail.

M. Rodolphe ALBERT : On accable beaucoup les agents, mais il ne faut pas oublier que lorsque des montages sont effectués, c'est plutôt à la demande des dirigeants et au bénéfice des actionnaires des clubs.

Lorsqu'un agent accepte une convention de supervision, c'est pour diverses raisons, généralement pour faire passer de l'argent qui n'a pas pu être inclus dans un mandat de recherche, ou pour faire passer de l'argent au joueur en franchise fiscale en utilisant un compte à l'étranger. Ce type de contrat est à éviter absolument.

Le contrat de valorisation est quant à lui un contrat par lequel le club demande à l'agent d'un joueur de valoriser un joueur qui est dans son effectif. Il s'agit ainsi d'augmenter la valeur du joueur pour que son indemnité de transfert potentielle soit plus élevée. Son salaire sera aussi plus élevé, à terme, s'il est transféré. Là aussi, il s'agit d'une prestation de complaisance. Elle est peu tangible et sa matérialité est très difficile à établir. En fait, il est de l'intérêt de l'agent d'accomplir cette mission, il n'a pas à être payé pour cela. Il percevra, en tant qu'agent, une commission d'autant plus forte que le montant du transfert est plus élevé. Pourquoi le payer à la fois sur le contrat de travail et sur le transfert si ce n'est parce que c'est une façon commode de faire passer de l'argent à l'étranger ?

Les agents sont très inquiets à l'idée d'être payés par les joueurs, en raison de risques tenant à un défaut de solvabilité des joueurs.

M. le Président : Ce n'est pas faux.

M. Rodolphe ALBERT : En effet. Ce problème peut recevoir diverses solutions. On a évoqué le paiement par le club « pour le compte de ». Je pense qu'il vaut peut-être mieux s'en tenir à un dispositif dans lequel les commissions d'agents seraient garanties par les salaires des joueurs. Au moment où le joueur signe son contrat, il pourrait également signer une sorte de reconnaissance de dette, un document reconnaissant que la prestation de son agent est accomplie. En cas de défaillance de paiement, l'agent pourrait se retourner vers le club pour réclamer le paiement des sommes dues.

M. le Président : Soit, mais il est gênant qu'un agent soit sans arrêt obligé de quémander auprès de celui qu'il est censé défendre. Cela le met dans une situation psychologiquement et contractuellement difficile. S'il a trop de conflits avec le joueur, celui-ci risque de choisir un autre agent.

On pourrait également imaginer d'instituer une sanction sportive : en cas de défaut de paiement, on retirerait la licence.

M. Rodolphe ALBERT : Mais cela revient à pénaliser le club, qui n'est pas responsable du défaut de paiement de la part de son joueur.

Je n'ai pas d'opinion arrêtée sur ce sujet. Mais quoi qu'il en soit, il faut retenir le principe du paiement par le joueur.

M. le Président : Il faudrait peut-être également que la commission soit perçue au prorata des années d'exécution du contrat. Il n'est pas normal de payer trois ans de commission en une seule fois.

M. Rodolphe ALBERT : Tout à fait. C'est un problème auquel nous avons été confrontés au PSG. Au début, nous ne posions pas de question, nous payions d'emblée la totalité des honoraires. Puis, nous avons tenté d'élaborer des conditions de suspension de paiement. Ce système n'a pas été validé par la justice. Dans le cas d'Holger Klemme, l'agent de Christian Worms, les paiements étaient censés être subordonnés à la présence du joueur. Mais la justice a considéré que la prestation avait été faite, l'agent ayant accompli son mandat de recherche.

M. le Président : S'il y avait un mandat de recherche, c'est tout à fait normal.

M. Rodolphe ALBERT : J'ajoute que le fait que les joueurs paient l'agent est aussi une bonne chose parce qu'ils n'ont en général pas du tout conscience des sommes qui transitent dans leur dos. Quand on leur en parle, ils tombent des nues. Cela pourrait donc aussi contribuer à modérer le montant des commissions.

S'agissant du dépôt des contrats, je pense que l'absence de dépôt est parfois confortable pour tout le monde, y compris pour les instances officielles, qui considèrent que, par défaut, il n'y a pas d'agent. Peut-être une solution consisterait-elle à obliger les joueurs à déposer les contrats avec leurs agents ou à déclarer officiellement qu'ils n'ont pas d'agents.

L'agent et le joueur devraient déclarer leur contrat. Et si ni l'un ni l'autre ne l'ont déclaré, ce contrat ne serait pas opposable en justice. Ce système serait de nature à exercer une pression sur les agents, qui, en cas de non-déclaration du contrat, pourraient perdre tout lien juridique avec le joueur.

M. le Président : C'est le cas actuellement : ils n'ont pas de lien juridique.

M. Rodolphe ALBERT : Oui, mais le contrat existe tout de même. Parfois, il est non écrit, c'est vrai. Mais il arrive qu'il soit écrit et non déposé à la Fédération. Il faudrait officialiser les choses, en considérant que le blanc-seing d'un organe de contrôle est la validité juridique finale d'un contrat.

M. le Président : Il paraît un peu surréaliste qu'un agent exige, devant la justice, que son joueur le paie, alors même qu'il a reçu un mandat de recherche par le club.

M. Rodolphe ALBERT : Je me situe dans l'hypothèse de la disparition des mandats de recherche.

En ce qui concerne l'organe de contrôle, on a parfois évoqué l'idée d'une extension des pouvoirs de la DNCG. J'ai beaucoup pratiqué cet organisme. Mon sentiment est que son rôle est davantage de veiller à la pérennité économique des clubs que de contrôler leur gestion. Elle n'a pas de pouvoir d'investigation, et on peut, pour dire les choses clairement, la « balader » assez facilement. Étendre ses pouvoirs ne serait pas la solution. En effet, bien qu'elle soit théoriquement indépendante, elle est très imbriquée avec le monde du football, et notamment avec la Ligue du football professionnel. Quand on est auditionné par la DNCG, on a en face de soi des commissaires aux comptes totalement extérieurs au monde du football, mais aussi des membres d'autres clubs. Cela ne garantit pas l'indépendance du contrôle qu'elle exerce.

L'organe de contrôle doit être totalement extérieur au monde du football. Il doit avoir deux fonctions. La première - décisionnelle - devrait être confiée à des membres qui pourraient avoir un mandat non renouvelable, et être nommés soit par le Parlement soit par le ministère. La seconde fonction  - gestionnaire - pourrait être confiée à des salariés permanents ou à une société spécialisée ayant des compétences juridiques et financières. Les personnes exerçant cette fonction devraient connaître le monde du football, afin de ne pas être aisément abusées. J'ai pu en effet constater, au moment où le PSG a changé de commissaire aux comptes, que celui-ci a eu besoin de deux ou trois ans avant de comprendre le fonctionnement du système.

M. le Président : Comment la DNCG peut-elle valider la pérennité financière d'un club si, s'agissant d'un transfert important, elle ne connaît pas les tenants et les aboutissants du contrat ? Elle ne connaît que des enveloppes globales, sans individualiser les opérations. Cela n'a pas de sens.

M. Rodolphe ALBERT : En effet. Il faudrait que l'organe de contrôle indépendant que j'appelle de mes vœux lui fournisse copie de l'ensemble des documents en sa possession.

M. le Président : Bien sûr. Car selon l'avis de la DNCG, on accorde ou pas la licence. Nous sommes le 31 janvier. Le mercato finit ce soir. La DNCG va voir arriver ce soir, sur son bureau, quelque chose comme dix ou quinze dossiers, sur lesquels elle devra se prononcer afin que les joueurs puissent jouer demain ou après-demain en Coupe de France ou en championnat. Ce n'est pas sérieux.

M. Rodolphe ALBERT : Absolument.

On pourrait prévoir que la DNCG donne son accord pour l'engagement en championnat, sous la réserve d'une masse salariale précise, et que, compte tenu des engagements contractuels déjà pris, il ne reste plus que telle enveloppe pour recruter au mercato. Tout contrat qui excéderait ce montant en termes de salaire serait refusé.

M. le Président : Ce dont vous parlez ici concerne la pérennité financière des clubs. Mais il faut aussi contrôler la régularité financière des opérations. Si la DNCG ne connaît pas tous les aspects du contrat, comment peut-elle juger de sa régularité ?

M. Rodolphe ALBERT : Il faut lui fournir en effet plus d'éléments.

M. le Président : Je suis stupéfait d'entendre les membres de la DNCG me dire très calmement qu'il n'est pas de leur mission de vérifier les contrats.

M. Rodolphe ALBERT : Dans les faits, la DNCG est assez éloignée de ce que devrait être un organe de contrôle.

Il est évident que la difficulté pour les autorités judiciaires est de pouvoir inquiéter les véritables responsables de la fraude. Peut-être faudrait-il prévoir une automaticité de poursuite des actionnaires des clubs si les fraudes ont donné lieu à une amélioration du bénéfice. Dans le cas du PSG, les enquêteurs ont beaucoup de mal à réunir les éléments de preuve permettant de mettre en cause les dirigeants de Canal Plus.

M. le Président : Dans une entreprise, il n'y a pas de lien direct entre les actionnaires et ceux chargés de la gestion. Il peut y avoir des actionnaires multiples. Il est difficilement envisageable de leur imputer une responsabilité, alors même qu'ils ont délégué la gestion à une personne physique.

M. Rodolphe ALBERT : C'est là tout le problème. Si une personne physique a fraudé, c'est bien souvent conformément aux consignes de l'actionnaire. Cela dit, je ne suis pas juriste.

Par ailleurs, il est très dommageable pour le monde du football que des personnes qui ont été condamnées puissent continuer à y exercer une activité. Il faudra songer à les exclure, à un moment ou à un autre.

J'ai insisté à plusieurs reprises sur le fait que les joueurs ne sont pas bénéficiaires des fraudes. On ne peut pas leur reprocher grand-chose. Cependant, ils restent les réceptacles ultimes de la fraude. À ce titre, ils ont une vision quasiment aussi complète du système de fraude que les décisionnaires. Ne faut-il pas envisager de trouver un moyen de les mettre en cause pénalement, ne serait-ce que de façon symbolique ?

M. le Président : C'est le problème du consommateur de drogue, qui dit n'avoir aucun rôle dans le trafic de stupéfiants, alors qu'il est bien le destinataire ultime de ce trafic.

M. Rodolphe ALBERT : Lorsque j'ai témoigné devant le juge Van Ruymbeke, Le Parisien a titré : « PSG, la grande triche », ce qui ne manquait pas de pertinence, car une fraude financière est aussi une fraude sportive. On fraude pour s'attacher les services d'un joueur que l'on n'aurait pas pu, en respectant la loi, faire venir dans un club. Le monde du football doit sanctionner sportivement les clubs qui ont fraudé.

M. le Président : Sauf si la fraude est généralisée. Il est difficile d'enlever cinq points à tous les clubs de Ligue 1.

M. Rodolphe ALBERT : Certes, mais il n'est pas cohérent de rétrograder un club qui est dans une situation financière fragile, alors qu'on ne prend pas de sanction à l'encontre de clubs qui ont fraudé.

M. le Président : Vous avez raison.

M. Rodolphe ALBERT : Il faut également s'engager dans la prévention. Pour mettre les acteurs du football devant leurs responsabilités, il serait bon de formaliser un engagement par une déclaration dans laquelle ils certifieraient qu'ils ne sont pas liés par d'autres contrats que ceux qu'ils ont déposés auprès de la Ligue.

M. le Président : C'est la règle.

M. Rodolphe ALBERT : Oui, mais il conviendrait de demander au joueur de signer un document par lequel il déclare n'avoir, en dehors de son contrat, aucune source de revenus provenant du club, directe ou indirecte, d'indiquer la liste de tous ses contrats d'image, en France ou à l'étranger, et de tous les contrats tripartites l'associant au club et à un tiers. Je pense que cet engagement formel ferait réfléchir les joueurs, et aurait un effet dissuasif.

Dans le même esprit, il faudrait que les clubs déposent officiellement auprès d'un organe de contrôle indépendant leurs procédures internes de recrutement ou de signature de contrats ayant un objet sportif. Ainsi, les responsabilités seraient clairement définies, et il serait ainsi plus difficile aux différents acteurs de se renvoyer la balle en cas de mise en cause.

M. le Président : Quand une entreprise signe un contrat d'image avec un Brésilien au Brésil, vous n'y pouvez pas grand-chose.

M. Rodolphe ALBERT : Soit, mais le fait de disposer d'une déclaration sur l'honneur du joueur, selon laquelle les rémunérations versées en exécution de ce contrat n'ont pas de caractère substitutif, le fait d'être informé des liens tripartites entre un joueur, un club et une société, tout cela permet d'améliorer le processus de contrôle et dissuade les fraudeurs potentiels de se lancer dans des montages douteux.

M. Henri NAYROU : Les représentants des syndicats de joueurs demandent que l'on cesse d'infantiliser les joueurs au point de leur ôter toute responsabilité dans la conduite de leur carrière. Mais les agents souhaitent être payés par les clubs parce qu'ils craignent que le paiement par les joueurs ne soit pas sécurisé. Comment répondre à cette objection ? Certains proposent que la commission versée par les joueurs à leurs agents puisse être considérée comme frais professionnels.

M. Rodolphe ALBERT : C'est tout à fait possible. Le problème fiscal est ainsi réglé. Subsiste le problème des charges sociales, mais elles ont un impact très relatif si l'on considère que la commission s'élève à 7 % de l'ensemble du contrat.

M. le Président : D'autant que la loi du 15 décembre 2004 a permis, s'agissant du droit à l'image, d'exonérer de charges sociales, patronales et salariales, 30 % de la rémunération versée par les clubs aux joueurs professionnels. Cela dit, dans la plupart des autres sports, il n'en est pas de même.

M. Rodolphe ALBERT : L'infantilisation des joueurs est indéniable. Les clubs vont jusqu'à payer leurs factures EDF. Concernant la sécurisation des paiements des honoraires d'agents, je pense que la garantie du club serait une solution. Si l'agent n'est pas payé par le joueur, il pourrait se retourner vers le club pour obtenir le paiement des sommes qui lui sont dues, lesquelles seraient retenues sur le salaire du joueur. Il est très important de sécuriser le paiement des agents. Il est vrai que les joueurs ne sont pas de très bons payeurs.

M. le Président : Il y a également le fait qu'ils ne parlent jamais de salaire brut. Ils ne connaissent que le revenu net.

M. Rodolphe ALBERT : Absolument. La notion de salaire brut leur est étrangère. Le « net d'impôt » est pour eux une obsession.

M. Henri NAYROU : Certains responsables de la Ligue de football professionnel souhaitent maintenir le système actuel, qui est, de fait, contraire à la loi. Leur discours est le suivant : si la pratique est illégale, légalisons la pratique. Qu'en pensez-vous ?

M. Rodolphe ALBERT : J'y suis opposé. Toutes ces personnes sont conscientes du problème depuis des années, même si elles font mine de le découvrir. Légaliser la pratique n'est pas la solution car tout flux financier entre le club et l'agent est générateur de fraudes.

M. le Président : S'agissant des transferts, il faut impérativement que les flux financiers passent de club à club. L'autre grande question est de savoir s'il faut qu'ils soient centralisés par un organisme. Est-ce techniquement possible ?

M. Rodolphe ALBERT : C'est possible puisque cela se fait en Angleterre.

M. le Président : Certes, mais des problèmes se posent néanmoins.

M. Rodolphe ALBERT : En passant par un organisme central, on saura au moins avec certitude où va l'argent. Tout contrat à objet sportif devrait être contrôlé par cet organe de contrôle indépendant dont les coûts de fonctionnement seraient assumés par le monde du football.

M. Henri NAYROU : Le modèle de cet organisme pourrait être la Caisse autonome de règlement pécuniaire des avocats, la CARPA (221).

Que pensez-vous de la solution consistant à conclure les transferts par acte notarié ? Les fonds seraient versés à un notaire, qui doit respecter des règles d'éthique assez exigeantes.

M. Rodolphe ALBERT : Dans le cas d'un transfert international, cela n'empêchera pas la fraude fiscale consistant à surévaluer l'indemnité de transfert. Cela peut éviter les paiements de tiers dans des paradis fiscaux, mais cela ne supprimera pas tous les problèmes. C'est d'ailleurs pour cette raison que je propose l'instauration d'un système déclaratif, dans lequel le joueur déclarerait l'ensemble de ses contrats.

M. le Président : Je ne nie pas que ce soit une piste à explorer. Mais ce serait tout de même assez compliqué. Certains joueurs très célèbres ont de très nombreux contrats, sans liens entre eux, selon des modes de rémunération différents. C'est la vie des affaires. Il convient d'éviter de mettre en place une usine à gaz qui aurait des effets contre-productifs. Il faut afficher clairement notre volonté d'aider les dirigeants du sport professionnel à sortir par le haut de cette situation. Mais il n'est pas utile de compliquer le système, dès lors que la DNCG et la Ligue disposent de tous les documents, et qu'il existe un organisme central. Au demeurant, la DNCG peut très bien donner son aval à l'engagement du joueur, les flux financiers étant contrôlés par la suite.

M. Henri NAYROU : Êtes-vous favorable à ce qu'une liste soit déposée auprès de la Ligue de football professionnel, où figurerait en face du nom de chaque joueur le nom de son agent ?

M. Rodolphe ALBERT : Oui au principe de la liste, mais je ne suis pas sûr qu'elle doive nécessairement être déposée auprès de la Ligue. Un joueur devrait également déclarer, s'il n'a pas d'agent, qu'il n'en a pas. Les choses doivent être très claires. Un contrat qui ne serait déposé ni par le joueur ni par l'agent ne pourrait pas être opposable en justice.

M. Henri NAYROU : Seriez-vous d'accord pour l'établissement d'une liste d'agents de clubs ? Après tout, il est possible que les clubs dont les sergents recruteurs ne seraient pas en mesure de trouver la bonne solution pour trouver un milieu défensif fassent appel à un agent.

M. Rodolphe ALBERT : Si l'on crée des agents de clubs, ils ne devraient pas pouvoir être agents de joueurs.

M. le Président : Dans ce cas, ces « agents de clubs » ne seraient pas des agents. Il vaudrait mieux accepter le recours à des intermédiaires, lesquels pourraient d'ailleurs être agents ou non, dès lors qu'ils ne seraient pas agent du joueur concerné par le transfert.

M. Rodolphe ALBERT : L'important est que tout contrat à objet sportif soit déposé auprès d'un organe de contrôle indépendant.

M. le Président : Dans ce cas, on ouvre à toute personne physique ou morale la possibilité d'être un intermédiaire.

M. Henri NAYROU : Des contrats de très longue durée sont signés, alors qu'ils sont destinés à être très vite rompus, n'ayant pour but que d'accroître la valeur marchande des joueurs. Comment éviter cette dérive ?

M. Rodolphe ALBERT : Au risque de vous surprendre, je ne suis pas choqué par cette pratique. Cela dit, elle m'a toujours étonné. Si j'étais joueur, j'irais au bout de mes contrats, parce que cela me permettrait d'espérer des salaires plus élevés dans mon nouveau club. En effet, quand un club recrute un joueur, il le fait en considérant la dépense globale correspondant à ce recrutement, c'est-à-dire la somme du salaire versé au joueur et de l'indemnité de transfert.

Quand un joueur signe une prolongation de contrat peu de temps avant que celui-ci arrive à échéance, c'est pour lui un moyen de sécuriser son avenir. C'est son libre arbitre.

M. le Président : Soit, mais cette pratique a pour effet d'augmenter artificiellement la valeur marchande du joueur.

M. Henri NAYROU : Michel Platini nous a rappelé qu'il était toujours allé au bout de ses contrats, ce qui lui permettait de négocier ses salaires, libéré de tout engagement.

Par ailleurs, êtes-vous favorable à l'idée de limiter le nombre de clubs dans lesquels un footballeur pourrait jouer tout au long de sa carrière ?

M. Rodolphe ALBERT : Cette question pose en fait la question de la philosophie générale devant prévaloir dans le monde du football. Il s'agit en fait de savoir s'il convient de supprimer les transferts. Cela éviterait des malversations. Mais il faudrait que cette suppression soit effective dans l'ensemble du football mondial.

Cela dit, il faut qu'un joueur respecte la durée de son contrat. Le fait qu'il puisse partir quand il veut me semble excessif. On peut difficilement construire une équipe performante si l'horizon est la saison, voire la demi-saison. Supprimer le marché des transferts serait plutôt sain. Il faudrait garantir une durée minimale de présence des joueurs dans les clubs.

M. le Président : Je vous remercie de votre contribution aux travaux de notre mission d'information.

Audition par visioconférence de M. Jérôme CHAMPAGNE,
délégué du président de la Fédération internationale de football association (FIFA),
et de M. Omar ONGARO, chef du département du statut du joueur de la direction juridique de la FIFA


(13 février 2007)

Présidence de M. Dominique JUILLOT, Président-Rapporteur

M. le Président : Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

Je rappelle que notre mission d'information, constituée le 25 octobre dernier par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, porte sur les conditions de transfert des joueurs professionnels de football et sur le rôle des agents sportifs, en France et ailleurs. Notre objectif est de voir comment il est possible d'améliorer les différents systèmes et de faire en sorte qu'il y ait de moins en moins d'affaires devant les tribunaux.

Si, bien évidemment, en tant que législateur national, notre vocation première est de nous intéresser aux textes français, il nous est apparu très utile, et même impératif, de connaître votre vision mondiale du football et de savoir si vous jugez suffisantes la réglementation et la transparence. Pensez-vous par ailleurs que le travail des ligues et des fédérations est suffisamment coordonné ? Sur tous ces sujets que vous connaissez bien, sur lesquels vous vous penchez depuis des années et sur lesquels de nombreux rapports vous ont donné l'occasion de fournir des débuts de réponses, nous aimerions connaître votre sentiment.

Pensez-vous en particulier qu'il y ait des lacunes dans les compétences réglementaires des uns et des autres et dans la réglementation internationale ? S'agissant de l'encadrement de la profession des agents sportifs, qui ne peut naturellement être envisagé uniquement dans un cadre national, pensez-vous qu'il soit possible de porter un regard européen et mondial ? Qu'est-il possible d'envisager concernant la rémunération des intermédiaires qui repose sur des mécanismes plus ou moins vertueux ? Les contrôles et les sanctions vous semblent-ils adaptés ? Les pouvoirs sportifs disposent-ils suffisamment de pouvoirs en la matière ? Enfin, au regard de l'inflation du montant des transferts et des masses financières en jeu, les dispositifs de sécurité et la transparence vous paraissent-ils suffisants ?

M. Jérôme CHAMPAGNE : Je propose que nous commencions par nous présenter. Je suis français, diplomate de carrière et détaché auprès de la FIFA depuis neuf ans. Je suis actuellement délégué du président après avoir été pendant quatre ans son conseiller politique, alors que Michel Platini était conseiller pour le football. J'ai ensuite été pendant trois ans secrétaire général adjoint et je suis désormais directement rattaché au président chargé de la politique sportive et des relations avec les fédérations et les gouvernements. Je m'occupe donc de tout ce qui a trait aux questions de nature à structurer l'organisation du football.

M. Omar ONGARO : Je suis pour ma part italien, même si j'ai vécu presque toute ma vie en Suisse. Je travaille à la FIFA depuis sept ans et j'y exerce depuis deux ans les fonctions de chef du département du statut du joueur.

Ce département traite des litiges internes en relation directe avec le football, c'est-à-dire trouvant leur origine dans le contrat de travail entre le joueur et le club ou dans le contrat de transferts entre les clubs, mais aussi de tous les litiges autour des agents des joueurs, qu'il s'agisse de litiges contractuels, entre l'agent et son client, ou des investigations contre les agents de joueurs qui n'ont pas respecté le règlement des agents de joueurs de la FIFA.

M. Jérôme CHAMPAGNE : Sur le fond, il me paraît important de rappeler l'architecture du monde du football. La FIFA est l'instance mondiale. Six branches continentales - l'UEFA pour l'Europe - regroupent 207 fédérations nationales, avec, pour certaines, une délégation d'organisation sous la forme d'une ligue professionnelle. Chacune de ces structures est responsable du règlement de ses propres compétitions. En revanche, les règlements d'organisation structurelle du football sont de la compétence exclusive de la FIFA, tout simplement parce que, dans une vision universaliste du football, il est apparu clairement que seuls des règlements universels permettent de mettre en relation le football du Vietnam avec celui de la Bolivie ou celui de la France avec celui de l'Afrique du Sud. Tel n'était pas le cas auparavant. Ainsi, lors de la finale de 1930, il a fallu tirer au sort non seulement pour décider du terrain mais aussi pour choisir le ballon, les deux finalistes, l'Argentine et l'Uruguay, étant arrivés chacun avec le sien car tout cela n'était pas normalisé. On peut donc dire qu'une des raisons du succès du football et de la FIFA tient à l'universalité des règlements.

Aujourd'hui, toutes les questions qui nous préoccupent se sont mondialisées et le cadre réglementaire, qu'il soit, dans le cas de la France, national ou européen, n'a jamais été à même d'apporter de réponses. La majorité des transferts sont désormais internationaux et souvent extra européens. Il est de plus en plus rare que les transferts financiers, même dans le cas du transfert d'un joueur d'un pays européen vers un autre, n'impliquent pas des structures extérieures à l'Europe. C'est pourquoi, dans ce monde totalement dérégulé du capitalisme contemporain, nous devons maintenir un corpus juridique qui tienne compte des particularités nationales et continentales tout en répondant à l'impératif de l'universalité.

C'est une tâche extrêmement difficile, pour laquelle nous avons beaucoup souffert depuis vingt ans de la vision de la Commission européenne qui ne conçoit le football et le sport en général que dans leur dimension économique. Tout ceci a été extrêmement dérégulé et il est bien difficile de faire le chemin inverse.

Lors de vos réunions précédentes, dont j'ai lu les comptes rendus, certaines des personnes auditionnées se sont demandé en quoi une association de droit privé suisse avait autorité pour édicter des règlement ou des directives ayant valeur d'ordre public dans certains domaines. Quoi qu'il en soit, notre sentiment est que nous avons besoin, face à cette déréglementation économique, de re-réguler l'activité footballistique.

Notre philosophie, qui est aussi, depuis l'élection de Michel Platini, celle de l'UEFA, est de considérer que pour faire passer le sport avant la dimension des affaires, nous devons placer le football au centre des règlements. C'est pour cela que dans le cadre de la task force qui, pour la première fois dans l'histoire du football, réunit joueurs, clubs, ligues, fédérations, confédérations et FIFA, nous avons créé des groupes de travail, dont celui relatif aux affaires financières. Son objet est d'améliorer les règlements, de renforcer la discipline financière, mais aussi de promouvoir des mécanismes de transparence financière pour les licences des clubs et pour les transferts.

Nous avons la conviction profonde que, face aux problèmes du football, il n'y a pas de solution locale ni même continentale : dans un monde dérégulé et dépourvu d'organe centralisé, seules des solutions mondiales permettront de régler les difficultés. D'une certaine façon, la FIFA est l'ONU du football, mais avec des compétences disciplinaires plus étendues. Ainsi, la semaine dernière, le Tribunal fédéral suisse a reconnu l'autorité disciplinaire de la FIFA à l'égard d'un club espagnol qui considérait qu'il n'avait pas à respecter un certain nombre de règles.

Le débat extrêmement difficile sur la spécificité du sport est porté par la FIFA, par l'UEFA et par le CIO. Nous ne demandons pas d'exception mais simplement que le sport, en particulier le football, ne soit pas vu uniquement sous sa dimension économique. Naturellement, un footballeur professionnel est un travailleur. Pour autant est-il un travailleur comme un autre ? Si le PDG d'une entreprise qui fabrique des machines à laver a pour objectif d'éliminer ses concurrents, le sport, lui, vit de la concurrence. Or, ce qui nous inquiète, à la FIFA, c'est que cette dérégulation économique et réglementaire que nous observons depuis des années dans le monde du football remet en cause l'incertitude du résultat et aboutit indirectement à une re-concentration économique. Alors que la force du football est d'être joué par 250 millions de personnes dans 207 pays, nous craignons qu'on en arrive à une sorte de NBA (222) du football dans laquelle nous aurions une vingtaine de clubs de quatre ou cinq pays.

Notre intervention devant votre mission nous paraît donc fondamentale, non seulement parce qu'elle intervient deux semaines après l'élection de Michel Platini, qui clôt dix ans de guerre interne au football, mais surtout parce que nous avons besoin des autorités politiques pour que cette régulation indispensable puisse se mettre en œuvre.

M. le Président : Merci de vos propos liminaires.

Nous sommes convaincus que les choses doivent se régler au niveau européen et, plus sûrement, mondial. Mais cela ne nous empêche pas d'essayer de prendre un peu d'avance.

Y a-t-il selon vous une réelle volonté des instances de football, dans chacune des ligues, de prendre vraiment les choses en main et de pratiquer les contrôles nécessaires, en commençant par leur propre territoire ? C'est une question que l'on peut aujourd'hui se poser, y compris en France.

M. Jérôme CHAMPAGNE : Je vais vous répondre très directement mais en faisant un peu de sémantique. J'aime beaucoup la notion de fédération car, à la base, il y a le mot « fédérer », c'est-à-dire combiner intérêts particuliers et intérêts collectifs, court terme et long terme. En revanche, derrière le mot « ligue », il y a l'idée de se liguer contre quelque chose. Lorsqu'elles sont apparues, les ligues étaient des démembrements des fédérations, où tous les corps de métier travaillaient dans le même sens. Aujourd'hui, elles sont essentiellement des syndicats de président de club.

M. le Président : Des syndicats patronaux.

M. Jérôme CHAMPAGNE : Exactement. Pour avoir auditionné Philippe Piat, qui est président du syndicat mondial et du syndicat français des joueurs, vous savez que si les joueurs sont très largement représentés au sein des fédérations française, italienne ou espagnole, ils le sont en revanche de manière marginale au sein des ligues, en raison précisément de l'évolution de ces dernières vers des syndicats de patrons de club.

Pour notre part, nous pensons que ce n'est pas parce que des lois et des règlements ne sont pas appliqués qu'il faut les changer. En ce qui concerne un des thèmes centraux de votre mission, le paiement des agents de joueurs, notre position est extrêmement claire : ce n'est pas parce que la réglementation est violée - les clubs payent les agents de joueurs - qu'il faut, comme certains l'ont demandé devant vous, admettre cette illégalité. Nous considérons au contraire qu'il faut re-réguler ou re-réglementer ces activités, pour le bien du sport.

C'est pour cela que, si nous sommes profondément attachés à l'autonomie du mouvement sportif qui a, comme le mouvement associatif, le droit de s'autogérer, nous sommes convaincus que nous avons besoin de l'aide des politiques pour contrer les dérives criminelles. En effet, ni la FIFA ni l'UEFA ni la Fédération française ne disposent des pouvoirs de police permettant, par exemple, d'écouter le téléphone mobile d'un arbitre soupçonné de corruption ou d'ouvrir le coffre de la voiture d'un joueur suspecté de dopage.

M. le Président : Je suis président d'un club professionnel de basket-ball et je sais la difficulté qu'il y aura concrètement à faire payer les agents par les joueurs.

Par ailleurs, il faut que nous parvenions à une réglementation qui ne permette pas seulement au football de s'y retrouver mais aussi à l'ensemble des disciplines sportives professionnelles, dans lesquelles les masses financières et les pratiques ne sont pas les mêmes.

Nous sommes également confrontés au fait que les pratiques diffèrent selon les pays. Le législateur français ne peut donc pas régler le problème seul et nous avons, nous aussi, besoin de votre aide. Nous avons pleine confiance en Michel Platini, qui vient d'être élu président de l'UEFA et qui est en phase avec nous, notamment sur la rémunération des agents. Cependant, nous nous interrogeons sur la volonté politique des instances du football européen et mondial pour inciter les ligues à prendre les dispositions nécessaires.

On sait par exemple que lorsqu'un club paie un agent, il n'y a pas de charges sociales. C'est peut-être dérisoire dans le monde du football, mais c'est un élément de coût important dans les autres sports professionnels. Les conclusions de notre mission iront sans doute dans le sens de l'application de la loi, même si nous ne pouvons ignorer les difficultés d'application. Nous avons besoin de l'aide des instances internationales afin que le football français ne soit pas moins compétitif que celui d'autres pays.

M. Jérôme CHAMPAGNE : Je suis totalement d'accord avec vous. Il est évident que nous rencontrons des difficultés pour appliquer les textes. Mais il est intéressant de voir que la FIFA, l'UEFA sous la présidence de par Michel Platini et les syndicats de joueurs défendent la même position.

Sans jeter l'opprobre sur les présidents de clubs, il faut être conscient que la tentation est humaine et que c'est bien parce que la réglementation n'est pas correctement appliquée que nous rencontrons un certain nombre de dérives.

Il est vrai que le football français est désavantagé par rapport aux autres pays. Ainsi, pour garantir à un joueur un salaire net de 100, il faut 128 en Grande-Bretagne et 150 en France. Les clubs professionnels français s'en trouvent bien évidemment désavantagés sur le marché des transferts.

Au sein de la task force de la FIFA, nous travaillons à la mise en place d'un système informatisé de contrôle des transferts, au renforcement de la transparence financière, mais aussi à des modifications du règlement de la FIFA concernant les agents de joueurs. Mais, si l'UEFA participe à l'élaboration des règlements mondiaux, force est de constater qu'il n'y a pas de règlement européen. En effet, il est difficile d'avoir un règlement continental pour une activité mondiale.

Omar Ongaro est mieux à même que moi de vous présenter l'état des réflexions sur la modification du règlement des agents de joueurs.

M. Omar ONGARO : Les travaux viennent de commencer et le sous-groupe de la task force qui se préoccupe du règlement des agents de joueurs a eu jusqu'ici à trancher une question principale : faut-il changer complètement les principes ou considérer que le problème tient surtout au fait que nous ne parvenons pas à faire respecter les règles actuelles ? Il est apparu que le règlement actuel contient tous les éléments propres à garantir une certaine transparence dans l'activité des agents. Il prévoit des sanctions qu'il est difficile de mettre en pratique.

On constate ainsi que certains agents qui ne sont pas licenciés travaillent avec des clubs et avec des joueurs. Mais si tout le monde s'en satisfait, pourquoi serions-nous saisis de ces cas ? Et lorsque nous le sommes, faute d'indications, il n'est pas aisé de trouver des preuves.

Il en est de même pour le paiement de l'agent, qui doit incomber au joueur lorsqu'il est le mandant, mais qui est en fait très souvent supporté par le club, principalement pour des raisons fiscales.

Notre principale tâche est donc moins de changer les textes que de trouver les moyens pour qu'ils soient effectivement respectés.

M. le Président : Dans la mesure où vous n'avez pas la possibilité d'imposer des sanctions financières ou pénales, pensez-vous qu'il faudrait prévoir des sanctions sportives ?

M. Omar ONGARO : En effet. Dans le cas d'Olivier Jouanneaux, agent qui avait contribué à la rupture du contrat de Philippe Mexès avec l'AJ Auxerre, une suspension de six mois de la licence d'agent a été prononcée. Un agent norvégien a aussi été sanctionné de la sorte. Le règlement prévoit également des amendes, ainsi que des interdictions de pratiquer sur certains territoires.

M. le Président : Lorsqu'un problème est soumis à votre appréciation, c'est parce qu'il y a eu une demande spécifique de la part d'un club, d'un joueur ou d'un agent, mais vous n'êtes pas appelés à examiner la très grande majorité des transferts et des contrats, alors qu'il peut y avoir des malversations.

En France, nous avons constaté que bien souvent les dirigeants du football ne se donnent pas, ou n'ont pas les moyens, de pratiquer les contrôles nécessaires pour s'assurer que tout est bien fait dans les règles. Cela vaut pour la Fédération française de football et surtout pour la DNCG, qui n'a pas les moyens matériels nécessaires et dont on peut également douter de la volonté d'agir.

À quoi bon élaborer des règlements si vous n'êtes pas sûrs de disposer, en aval, des instances aptes à les faire appliquer ?

M. Omar ONGARO : C'est bien un des problèmes que le groupe de travail a identifié. Les fédérations nationales ont une responsabilité certaine dans le contrôle des activités des agents, mais elles n'ont pas les moyens d'appliquer le règlement de manière stricte.

Comme vous l'avez souligné, nous ne pouvons intervenir que lorsque nous sommes saisis par un agent, par un club ou par un joueur. Nous allons probablement modifier ce point afin de donner à la FIFA la possibilité de procéder à une enquête lorsqu'elle présume une irrégularité. Nous souhaitons donc renforcer nos responsabilités et exercer un meilleur contrôle de l'activité des agents.

M. Jérôme CHAMPAGNE : La FIFA est en train de se doter d'un droit d'auto saisine dans un certain nombre de situations. Ainsi, elle peut intervenir lorsqu'une fédération ne sanctionne pas un cas de racisme dans un stade. De même, nous pouvons nous auto saisir lorsqu'un cas de dopage n'est pas suffisamment réprimé au niveau national. Désormais, nous pourrons aussi le faire lorsque une fédération ne respectera pas les obligations qu'elle a au regard des règlements de la FIFA.

M. le Président : Mais nous parlons de centaines de contrats, avec des dates butoir qui entraînent l'arrivée massive de contrats à enregistrer, donc à contrôler. Comment être à peu près sûr que l'ensemble de ces contrats soient passés dans des conditions normales, garantissant la pérennité financière des clubs - car c'est quand même ce que doivent en premier lieu vérifier les directions nationales de contrôle de gestion -, et avec un minimum de sécurité quant à la provenance et à la destination des fonds ?

Bien évidemment un contrôle efficace doit se faire au niveau mondial, mais il suppose des moyens considérables, ainsi qu'un certain abandon de souveraineté de la part des autorités du football de chaque pays.

M. Jérôme CHAMPAGNE : Je suis tout à fait d'accord. Je l'ai dit, le football a suivi le mouvement de mondialisation et de dérégulation du capitalisme. Nous devons nous y adapter et c'est pour cela que la FIFA essaie de trouver un meilleur équilibre entre le principe de subsidiarité, puisque nous déléguons un certain nombre de compétences aux instances continentales ou nationales, voire aux ligues, et une certaine re-concentration des pouvoirs afin de « resserrer les boulons ».

Vous connaissez la volonté de Michel Platini de créer une DNCG européenne pour améliorer le contrôle de gestion. Au niveau mondial, dans le cadre de la task force, nous réfléchissons à une licence mondiale pour les clubs. Aujourd'hui, il est difficile de savoir, par exemple, quel est le propriétaire des Corinthians de São Paulo. De telles situations favorisent les flux d'argent illégaux.

Une des décisions de la task force, ratifiée par le congrès de la FIFA, est d'élaborer un système informatisé d'enregistrement des transferts, qui comportera aussi, bien sûr, des renseignements sur les agents.

Vous savez par ailleurs que pour l'instant, lorsqu'un joueur est transféré d'un club A vers un club B, il est extrêmement rare que l'argent aille directement du compte bancaire du club A vers celui du club B. Là aussi, nous souhaitons qu'un système centralisé garantisse une plus grande transparence.

Ces tâches sont particulièrement ardues parce que le monde est totalement dérégulé, mais aussi parce que nous assistons à une judiciarisation sans précédent. Aujourd'hui, dès lors que nous intervenons à l'encontre d'un agent, nous sommes confrontés à des dizaines d'avocats qui invoquent la liberté de travailler ou de contracter devant la Commission européenne. Mais s'il y a beaucoup de libertés, il y a peu d'obligations. Ainsi, des nageurs espagnols suspendus pour dopage se sont-ils plaints d'entrave à la liberté de travailler...

Comment s'étonner dès lors que plus personne n'accepte les sanctions ? Vous savez à quel point nous avons dû intervenir pour que la Juventus de Turin soit effectivement rétrogradée en série B. Notre rôle de gendarme, pourtant fondamental dans ce monde dérégulé, est ainsi sans cesse contesté.

C'est bien parce que ce travail est extrêmement difficile que nous avons besoin de coopérer avec vous pour le mener à bien. Le président de la FIFA, totalement soutenu désormais par le nouveau président de l'UEFA, est prêt à prendre ses responsabilités et à accélérer les choses. Notre objectif est qu'à l'occasion du prochain congrès de la FIFA, au mois de mai à Zurich, puissent être prises des décisions engageant l'avenir du football.

M. Henri NAYROU : Il est apparu devant notre mission que si les transferts étaient à peu près « propres » sur le sol français, les difficultés s'exacerbaient au niveau européen et mondial et se compliquaient encore plus avec la notion sud-américaine de propriété des joueurs, qui peuvent appartenir à la fois à une société commerciale et à un club. Des flux financiers autour de certains joueurs suscitent aussi des comportements condamnables.

Vous qui avez la responsabilité du monde de football, êtes-vous prêts aujourd'hui à engager le combat pour assainir et clarifier le système des transferts ? La FIFA, avec l'appui de l'UEFA et de Michel Platini, dont nous avons apprécié la prise de position concernant le paiement de l'agent par le joueur, est-elle disposée à s'engager dans ce combat de façon impitoyable ?

M. Jérôme CHAMPAGNE : Une des quatre raisons qui ont poussé sept fédérations européennes à fonder la FIFA, le 21 mai 1904, 229 rue du faubourg Saint-Honoré à Paris, était déjà le transfert des joueurs. Depuis lors, nous menons ce combat. Mais, comme pour le dopage, nous devons en permanence nous adapter à la réalité.

En 1999, 2000 et 2001, nous avons engagé des négociations extrêmement difficiles avec la Commission européenne, qui était tentée de faire exploser le système en ne le soumettant plus à aucune réglementation. Pour notre part, nous sommes convaincus qu'entre la dimension sportive et la dimension économique, le pendule du football doit être ramené vers le sport. Mais c'est un combat très dur car la Commission a du mal à comprendre les notions de service public et de régulation. Si je défends, en tant que citoyen européen, la liberté de mouvement des personnes, je ne puis que constater ses conséquences négatives sur les transferts de joueurs et sur le football national. Notre engagement est constant, tout comme notre conviction que nous devons faire plus car si l'argent, pour nécessaire qu'il soit, n'est pas contrôlé, il entraînera un déclin de l'incertitude du résultat sportif, ce qui ne signifie pas moins que la mort du football.

Un certain nombre de faits doivent nous faire réfléchir. Tout le monde est admiratif de ce qu'a fait M. Aulas depuis qu'il a racheté en 1987 à la mairie de Lyon, l'Olympique Lyonnais, club qui était alors en deuxième division. Mais quand on voit que le club compte aujourd'hui 11 points d'avance dans le championnat de France et qu'il est presque automatiquement assuré de participer à la Champions' League, avec les conséquences financières que l'on sait, on peut quand même se demander si cela n'entraîne pas dans le championnat national un dérèglement inacceptable. Et on rejoint là la réflexion de Michel Platini qui veut réduire la participation d'un certain nombre de grands pays à la Champions' League afin d'ouvrir les perspectives sportives.

Tel est notre combat quotidien dans ce monde dérégulé et individualiste du football que certains voudraient déréguler encore davantage, tel ce Français qui, pour avoir été recalé deux fois à l'examen d'agent est allé se plaindre à Bruxelles que notre règlement violait un certain nombre de droits fondamentaux. Et c'est bien parce que, pour nous, l'incertitude du résultat est fondamentale que notre détermination à lutter contre les dérives est sans faille.

Si nous réclamons, avec le CIO, la reconnaissance de la spécificité du sport, ce n'est pas pour prôner l'illégalité. Je rappelle d'ailleurs que l'article 228 du projet de constitution européenne, qui a été rejeté par la France et par les Pays-Bas, préconisait pour la première fois de ne plus appliquer de manière aveugle les principes communautaires.

La FIFA a également d'autres objectifs. Ainsi, il faut savoir que nous dédions un tiers de nos revenus à des projets de développement à travers le monde, comme à Khartoum, où j'étais hier avec le président Blatter.

M. Alain NÉRI : J'ai écouté avec plaisir votre déclaration, qui est d'ailleurs assez proche de celle que Michel Platini a faite devant nous. Je partage très largement ce que vous venez de dire sur la dérégulation et sur les moyens de mettre un terme aux dérives. Nous avons pour notre part la volonté de le faire en France, mais nous nous rendons bien compte que nous ne pourrons pas aller bien loin face à l'européanisation et à la mondialisation du football que vous venez de décrire.

Mais ne nous disait-on pas la même chose à propos de la lutte contre le dopage ? Or, l'Europe et le monde ont suivi en la matière le mouvement initié par la France. Je crois donc qu'il serait fort utile, sur les questions qui nous préoccupent aujourd'hui, de lancer une coopération européenne et mondiale, avec la FIFA, avec l'UEFA, mais aussi avec l'Union européenne, afin de mettre sur pied des structures permettant d'éviter les dérives.

M. Jérôme CHAMPAGNE : Je suis totalement d'accord avec vous. Je suis persuadé que nous avons besoin de chambres mondiales de compensation, quitte à les décliner ensuite en des chambres continentales. C'est pour moi le seul moyen de réguler les flux financiers.

Aujourd'hui, faute d'une harmonisation fiscale et bancaire, même un règlement européen ne suffirait plus. En effet, dans un certain nombre de pays d'Europe, il n'est pas obligatoire de déclarer une somme d'argent si elle reste moins de 24 heures sur un compte bancaire. Or nous savons, même si nous n'avons pas de preuves, que le produit de certains transferts transite de la sorte dans sept pays européens différents en sept jours, sans aucune traçabilité, avant d'émigrer vers des paradis fiscaux. Nous sommes confrontés aux égoïsmes nationaux. Face à la mondialisation des transferts - que serait le football européen sans les joueurs africains et sud-américains ? - et des flux financiers, nous avons besoin, en effet, de structures mondiales. Nous sommes déterminés à les promouvoir et c'est pour cela que nous cherchons à créer un système informatisé mondial d'enregistrement des transferts.

M. le Président : Devons-nous, dans les conclusions de notre mission, faire preuve de détermination et nous situer un peu en avance par rapport aux autres ? Pour en décider, nous avons besoin de savoir à quel moment vous serez notre allié car, même si nous nous situons dans un cercle vertueux, on risque de nous faire le reproche d'isoler le sport professionnel français et de le rendre ainsi moins compétitif.

Il va bien falloir que nous répondions à cette question car nous sentons bien les difficultés qu'ont les instances nationales françaises à nous suivre complètement dans notre démarche. Nous avons même parfois l'impression qu'elles font bloc, comme si elles pensaient que le pouvoir politique était en train d'essayer de s'emparer du monde du sport. Or, telle n'est absolument pas notre intention : nous ne sommes pas là pour rédiger les règlements du football mais pour garantir l'équité du monde économique qui gravite autour de lui.

Par conséquent, si vous ne faites pas la démonstration de votre détermination à agir dans un délai annoncé, je nous vois mal avoir une longueur d'avance sur ce sujet. Et la situation est encore pire que pour le dopage car nous étions face à des cas isolés, tandis qu'il s'agit ici d'une famille sportive complète, qui touche des millions et des millions de personnes. Notre responsabilité est donc engagée.

M. Jérôme CHAMPAGNE : Allez-vous charger la barque du football français par des règlements que les clubs des autres pays n'auraient pas à supporter ? C'est en effet une question très importante, mais il me semble que l'on peut toujours s'enorgueillir d'être en avance et d'avoir raison seul. Aurions-nous dû renoncer à abolir l'esclavage au motif que cela pénalisait l'économie française ? Il faut avoir le courage de ses opinions.

Par ailleurs, je connais un peu les dirigeants du football français et je vous invite à ne pas vous laisser intimider par cet argument selon lequel nous pénaliserions nos clubs tandis que, dans d'autres pays, le football ne serait soumis à aucun règlement. C'est faux et il n'est sans doute pas innocent qu'on le profère au moment même où l'on vous demande de laisser les clubs continuer à payer les agents de joueurs...

On se souvient de la grève de 1968 et de l'introduction du contrat à durée déterminée, dont on disait qu'il allait tuer le football français. Mais auparavant, le joueur était un véritable esclave et le football français n'en est pas mort.

La vraie difficulté tient au fait que nous sommes dans une Europe dérégulée et que la Commission européenne ne voit le football que sous l'angle économique. Vous m'interrogez sur la détermination de la FIFA. Elle est totale. J'ai mené en son nom, en 1999, 2000 et 2001, un véritable combat de rue contre la Commission afin d'instaurer des règles de solidarité. Quand nous lui avons par exemple demandé l'autorisation d'interdire les transferts de mineurs, elle nous a répondu « droit du travail »...

Notre volonté de lutter contre le dopage et contre les dérives criminelles est absolue parce que nous savons qu'à défaut, l'incertitude du résultat sera mise à mal. Nous sommes là dans la continuité de notre combat en faveur de la transparence car si les flux financiers, souvent d'argent sale, peuvent arriver dans les clubs, c'est le résultat sportif qui en sera affecté.

C'est la même logique qui nous guide quand nous décidons d'amener la coupe du monde en Afrique : si nous nous étions soumis aux lois du marché pour comparer les dossiers de candidature, nous ne l'aurions jamais fait ! Comme je l'ai dit un jour dans une interview, la FIFA, c'est le Robin des bois du football...

Je vous assure donc à nouveau de notre détermination qui s'inscrit dans un combat permanent pour faire respecter l'universalité du sport au sein de la mondialisation.

M. Henri NAYROU : Nous prenons acte de votre détermination. Je suis agréablement surpris par la netteté de vos propos, car l'on pouvait craindre que vous adoptiez un langage « Quai d'Orsay », mais dans une version sportive. Je suis d'accord avec vos critiques contre le dévoiement du système des libertés en Europe, qui est peut-être une des causes de l'euroscepticisme.

Michel Platini nous a dit n'avoir connu que trois clubs au cours de sa carrière, la valorisation de son talent s'étant traduite non pas par le montant de ses transferts mais par une augmentation de son salaire. Or, à l'heure actuelle, la valorisation du football se fait par le biais des transferts et prend une forme plus perverse encore avec l'entrée en bourse des clubs professionnels, qui est l'illustration d'un système capitaliste fondé sur la marchandisation de l'être humain.

Je sais que ce ne sera pas facile, mais pensez-vous qu'il sera possible de parvenir, peut-être en plusieurs générations, à un autre système de valorisation des sportifs ?

M. Jérôme CHAMPAGNE : Vous savez fort bien que les médias s'intéressent davantage aux scandales qu'au bien que l'on peut faire. Les dirigeants de la FIFA ont l'image de gens âgés, corrompus, vivant sur le dos du football. C'est faux ! Nous travaillons depuis des années en faveur du développement. Je vous l'ai dit, j'étais hier au Soudan ; nous avons fait venir la coupe du monde en Afrique mais personne n'en parle...

Notre détermination n'est pas nouvelle. Ayant partagé le bureau de Michel Platini à mon arrivée à la FIFA, il ne faut pas vous étonner que nos propos soient sous-tendus par la même philosophie. J'ai été pendant sept ans pigiste à France Football et ma culture du football ne s'est pas éteinte au cours de ma carrière au Quai d'Orsay.

Quand nous nous battons pour assurer la solidarité des grands clubs envers les plus petits, nous rencontrons les mêmes problèmes : on nous répond qu'il s'agit d'une activité économique qui ne saurait par conséquent être régulée.

Sepp Blatter et Michel Platini considèrent que la présence en bourse d'un club de football est une absurdité, tout simplement parce que le résultat sportif doit demeurer imprévisible et ne saurait donc être conforme aux intérêts des actionnaires. Il y a trois ans, lors du dernier match du championnat d'Italie, l'AS Roma a perdu le scudetto sur un penalty. En vertu d'une loi italienne qui permet d'attaquer quelqu'un en justice au motif de perte de richesse économique d'autrui, les actionnaires du club ont attaqué l'arbitre parce qu'il avait sifflé le penalty. Voilà le monde dans lequel nous vivons !

Nous ne demandons pas d'exception culturelle, nous n'exigeons pas de vivre en dehors de la réalité, nous réclamons simplement, tout comme Jacques Rogge, Président du CIO, la reconnaissance de la spécificité du sport. Mais aujourd'hui Arsenal, club qui se prétend anglais, n'a aucun joueur sélectionnable en équipe d'Angleterre. On voit bien que l'on est dans l'hyper capitalisme du sport et il ne faut pas s'étonner que de tels clubs gagnent, puisqu'ils sont les plus riches.

Ne vous étonnez pas que mes propos rejoignent ceux de Michel Platini. Son élection à la tête de l'UEFA est de nature à arrêter la guerre de tranchées qui opposait cette institution à la FIFA.

M. le PRÉSIDENT : Nous partageons votre point de vue. Mais il vous faut des relais au niveau national. Quel serait votre relais naturel en France ?

M. Jérôme CHAMPAGNE : La Fédération.

M. Alain NÉRI : Et nous disons la même chose...

M. Jérôme CHAMPAGNE : Pour leur part, le président Escalettes et toute son équipe sont décidés à ce que le pendule retrouve une position d'équilibre entre sport et argent.

M. le Président : Nous ne faisons de procès à personne et nous considérons par principe que chacun est honnête. Mais à un moment donné, il faut considérer le rapport de force. Au cours de la première de nos deux tables rondes, le président de la Ligue a été un peu chahuté, sans que ce soit insupportable, mais il a décidé de ne pas participer à la table ronde suivante. En solidarité, l'ensemble des dirigeants sportifs, de la Fédération à l'Union des clubs professionnels, y compris la DNCG, ne sont pas venus non plus, m'expliquant qu'ils ne pouvaient se désolidariser du président de la Ligue. On voit bien que le système est verrouillé. Quand la FFF a des problèmes financiers, elle fait bien évidemment appel à ceux qui apportent le plus d'argent, c'est-à-dire les clubs et les joueurs professionnels. Comment sortir de cette situation où tout le monde se tient et comment faire confiance à des personnes qui se contrôlent elles-mêmes, les membres de la DNCG étant une émanation de ceux qu'elle doit contrôler ?

M. Jérôme CHAMPAGNE : L'autorégulation n'est pas, à mon avis, un motif de suspicion. Que je sache, le fait que les membres du Conseil constitutionnel soient nommés par le Président de la République et par les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat n'empêche pas cette institution de jouer pleinement son rôle.

Il serait dommage de remettre en cause, pour le football, un système qui fonctionne bien dans d'autres secteurs. J'ajoute que nous avons toutes les raisons de nous enorgueillir de la DNCG française. Le mécanisme de contrôle des licences des clubs institué par l'UEFA ne fonctionne pas, précisément parce qu'il n'a pas ce caractère indépendant qu'a su préserver la DNCG, en dépit de son mode de nomination. Je conteste donc le lien que vous semblez établir entre mode de nomination et efficacité. À la FIFA, nos instances juridictionnelles sont effectivement nommées mais elles fonctionnent de manière indépendante.

Nous sommes un peu irrités par ailleurs, au sein du monde de football, d'être sans cesse accusés et suspectés. C'est notamment le cas des agents de joueurs, soupçonnés de tous les maux du monde pour quelques brebis galeuses comme il y en a dans toutes les activités humaines. Il conviendrait ainsi de rapporter les quelques cas de corruption d'arbitres que nous avons rencontrés en Allemagne, en Pologne et en Belgique, à l'ensemble de nos 750 000 arbitres dans le monde.

S'il faut bien évidemment travailler ensemble et modifier les règlements pour éradiquer les délits criminels, il faut éviter de mettre tout le monde en accusation et de faire des amalgames. On sait par exemple que le salaire moyen d'un joueur sur six ou sept ans n'a rien à voir avec l'idée que s'en fait l'opinion publique, qui croit qu'il n'y a que des Beckham et des Zidane. Aujourd'hui, nous nous battons contre les dérives mais je vous demande instamment de ne pas penser, à partir de quelques cas, que tout est pourri.

J'ai lu le compte-rendu de votre table ronde du 10 janvier et je suis moi aussi parfois sorti de mes gonds en entendant les critiques faites à la FIFA. Nous ne sommes ni parfaits ni capables de tout régler, mais cette sorte d'« anti footballisme » primaire n'est pas de mise. Que je sache, les incidents de la tribune Boulogne du Parc des Princes ne se produisent pas dans tous les stades.

Je ne crois pas que tout le monde est « lié », les intérêts sont même parfois très différents et Jean-Pierre Escalettes doit tout à la fois préserver l'ensemble des intérêts en jeu et défendre les valeurs éthiques qu'il a incarnées toute sa vie.

M. le Président : Vous l'aurez compris, mes propos étaient destinés à vous faire réagir et je vous remercie pour votre franchise.

Si cela peut vous rassurer, nous insisterons probablement dans nos conclusions sur le fait que les agents ne peuvent être tenus pour seuls responsables de l'ensemble des dérives observées dans le monde du football. Nous proposerons par ailleurs un renforcement du rôle de la DNCG, ce qui montre que nous souhaitons que le contrôle soit effectué d'abord par ceux qui sont en charge du devenir du football. En effet, il n'appartient pas au pouvoir politique de régler ces problèmes : nous sommes là simplement pour exercer un devoir d'alerte et faciliter les choses.

M. Alain NÉRI : Si nous avons demandé la création une commission d'enquête, qui est ensuite devenue cette mission d'information, c'est parce que nous sommes des amoureux du sport, du football en particulier, et parce que nous voulons lui redonner toute sa grandeur et toute sa valeur éthique, afin que les propos parfois proférés à son encontre n'aient plus de raison d'être.

M. Henri NAYROU : Merci encore pour vos propos, qui tranchent avec l'idée que l'on pouvait se faire de la FIFA.

M. le Président : Merci beaucoup de ce que vous avez apporté à notre mission. Nous vous tiendrons informés de notre constat comme de nos préconisations. Bien évidemment, rien ne se fera sans ceux qui sont en charge du football en France, en Europe et dans le monde.

Annexe 3
glossaire

AMA Agence mondiale antidopage

CARPA Caisse de règlement pécuniaire des avocats

CDES Centre de droit et d'économie du sport

CIO Comité olympique international

CNDS Centre national de développement du sport

CNOSF Comité national olympique et sportif français

DNCG Direction nationale du contrôle de gestion

EEE Espace économique européen

FFF Fédération française de football

FIAB International football association board (Fédération internationale des associations de football)

FIFA Fédération internationale de football association

FIFpro Fédération internationale du football professionnel

FMI Fonds monétaire international

GAFI Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux

IFRS International financial reporting standards (Normes internationales d'évaluation financière)

IGF Inspection générale des finances

IGJS Inspection générale de la jeunesse et des sports

IRB International rugby board (Fédération internationale de rugby)

LFP Ligue de football professionnel

SCPC Service central de prévention de la corruption

UASF Union des agents sportifs de football

UCPF Union des clubs professionnels de football

UEFA Union of European football association (Union des associations européennes de football)

UNFP Union nationale des footballeurs professionnels

URSSAF Union pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales

1 () Dans le silence des textes de la FIFA et de la FFF sur cette question, la définition donnée par l'Union royale belge des sociétés de football association a été retenue, selon laquelle : « un transfert est l'opération qui permet à un affilié affecté d'obtenir un changement d'affectation ou une qualification temporaire pour un autre club. »

2 () Circulaire de la FIFA n° 769 présentant les principaux points du règlement FIFA relatif aux transferts résultant de l'accord du 5 mars 2001 avec la Commission européenne.

3 () L'article 256 de la Charte du football professionnel prévoit qu'un contrat non homologué est « nul et de nul effet ». La validité de cette disposition a été entérinée par la Cour de cassation, sur le fondement de la valeur de convention collective de la Charte du football professionnel (Chambre sociale, arrêts Bétancourt du 3 février 1993 et Steck du 2 février 1994).

4 () Article 9 du règlement FIFA du statut et du transfert des joueurs, 2005.

5 () Article 129 du règlement de la LFP : « Le club qui utilise les services d'un joueur venant de l'étranger sans que la Ligue de football professionnel ait été en possession de son certificat de sortie aura match perdu si des réserves ont été régulièrement déposées. Il est en outre passible d'une sanction en application des dispositions de l'article 220 des règlements généraux de la FFF. »

6 () Jean-Jacques Gouguet et Didier Primault, « Analyse économique du fonctionnement du marché des transferts dans le football professionne» et « La crise financière du football en Europe : une exception française » - Centre de droit et d'économie du sport, université de Limoges.

7 () CJCE, 15 décembre 1995, affaire C-415/93.

8 () Audition du 10 janvier 2007.

9 () Considérant 135 de l'arrêt Bosman : « Quant au maintien de l'équilibre sportif, il convient d'observer que les clauses de nationalité, qui empêcheraient les clubs les plus riches d'engager les meilleurs joueurs étrangers, ne sont pas aptes à atteindre cet objectif, dès lors qu'aucune règle ne limite la possibilité pour ces clubs de recruter les meilleurs joueurs nationaux, laquelle compromet tout autant cet équilibre. »

10 () M. Jean-François Pons, directeur général adjoint à la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne, présente ainsi le résultat des négociations : « Le second sujet de préoccupation était les contrats, notamment la question de la limitation de leur durée, l'un des objectifs étant d'éviter le contournement de l'arrêt Bosman. Ainsi, les contrats furent limités à une durée maximale de cinq ans, et à une durée minimale d'un an afin d'éviter les transferts en cours de saison qui faussent la compétition. Ces derniers doivent se limiter à des cas exceptionnels, telles qu'une blessure ou une mésentente totale du joueur avec son entraîneur, etc. Quant à la rupture des contrats, la Commission encourage un système équilibré de rupture unilatérale de contrat. Auparavant, la FIFA imposait l'accord des deux clubs pour qu'un footballeur puisse être transféré en cours de contrat. Aujourd'hui, un joueur peut être transféré sans ce double accord, mais des compensations peuvent, soit être prévues directement dans le contrat du joueur, soit être justifiées par le club. Des montants exorbitants sont passibles de recours devant les tribunaux. De plus, les dirigeants de clubs et de fédérations ont souligné qu'une équipe se construit sur plusieurs années et le départ d'un joueur après seulement un ou deux ans ruine donc en partie cette construction. Pour limiter ces ruptures dangereuses, un mécanisme de sanctions sportives, pouvant atteindre quatre mois de suspension en fin de première ou de deuxième année, a donc été prévu. En revanche, ces sanctions ne peuvent plus être infligées au terme de la troisième année. Ce système limite donc les ruptures de contrat lors des deux premières années mais les favorise à partir de la troisième année. Un équilibre a ainsi été trouvé entre les intérêts des différents acteurs. Une certaine flexibilité a également été introduite afin de respecter les règles de « juste cause sportive ». Par exemple, il sera possible à un joueur de résilier unilatéralement son contrat au cas où il aurait participé à moins de 10 % des matches officiels joués par son club. »

Jean-François Pons, Direction générale de la Concurrence, « Sport et politique européenne de la concurrence : règles du jeu et exemples récents d'application », le 18/11/2001.

11 () TPICE, 26 janv. 2005, M. Piau c/Commission, aff. T-193/02.

12 () Le Comité national olympique français et sportif français indique dans son livre blanc qu'en 2005, 60 % de l'offre sportive des chaînes hertziennes en France a concerné quatre disciplines seulement : le football, le tennis, le rugby et le cyclisme.

13 () Audition du 4 février 2003 devant la Commission des affaires culturelles du Sénat.

14 () Les autres recettes télévisuelles proviennent de la retransmission des Coupes nationales (représentant de l'ordre de 5 % du total) et des reversements opérés par l'UEFA, au titre de la Coupe des champions notamment, pour un montant qui dépend des résultats des équipes françaises engagées (leur apport varie entre 10 et 30 % du total des droits totaux perçus par le football).

15 () Jusqu'en 2004, l'article 18-1 de la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 réservait les droits d'exploitation des manifestations et compétitions sportives aux fédérations, qui pouvaient les déléguer à leur ligue comme c'est notamment le cas pour le football. Dans la pratique, compte tenu de la rétrocession de ces produits aux clubs de Ligue 1 (à hauteur de 81 % du total) et de Ligue 2 (à hauteur de 19 %), on peut considérer qu'il s'agit en termes économiques d'un monopole de commercialisation, sur lequel les dispositions relatives à la propriété des droits télévisuels contenues dans la loi du 1er août 2003 n'ont eu que peu d'incidence.

16 () La fusion de Canal + et de TPS a été autorisée par le Gouvernement le 31 août 2006, au terme de 10 années d'existence pour TPS. La LFP a annoncé en novembre 2006 qu'elle présentait un recours gracieux auprès du Premier ministre, dans le but d'éviter le préjudice résultant de la diminution du nombre de candidats pour la retransmission intégrale des matches du championnat français.

17 () Le merchandising est l'exploitation de l'image du club en tant que marque apposée sur un catalogue de produits destinés à la vente (ballons, tee-shirts, accessoires...).

18 () Décret Salva Calcio (« Sauver le football ») d'août 2003, qui a produit une amélioration du résultat comptable, sans effet direct sur la trésorerie des clubs.

19 () Ce point a été abordé au cours de l'audition de M. José-Luis Arnaut, ministre du Portugal et auteur d'un rapport européen, lorsque celui-ci est revenu sur les problèmes d'équité que posent les aides consenties par certains gouvernements de l'Union européenne, et en particulier sur l'opération immobilière dont a bénéficié le Real de Madrid.

20 () Frédéric Bolotny, « la crise financière en Europe, quelle exception française ? », mars 2004.

21 () La clé utilisée par la Ligue de football professionnel française en 2004-2005 pour répartir les droits télévisuels prend en compte à hauteur de 25 % les résultats sportifs de la précédente saison, pourcentage inférieur à ceux en vigueur dans les autres fédérations européennes.

22 () Le budget moyen d'un club de Ligue 1 est passé de 13 millions d'euros lors de la saison 1995/1996 à 35 millions d'euros entre 2002 et 2005.

23 () Dans leurs échanges avec les clubs étrangers, puisque dans les échanges entre clubs français, le montant des cessions et des acquisitions s'équilibrent mathématiquement, hormis les différences dues aux dates de comptabilisation.

24 () Art. 106 : « Un club ne peut conclure avec des personnes morales, à l'exception d'un autre club, ou physiques, une convention dont l'objet entraîne, directement ou indirectement, au bénéfice de telles personnes, une cession totale ou partielle de leurs droits patrimoniaux résultant de la fixation des diverses indemnités auxquelles ils peuvent prétendre lors de la mutation d'un ou plusieurs de leurs joueurs.

La violation du premier alinéa du présent article est passible d'une amende au moins égale au montant des sommes indûment versées, infligée au club en infraction, et de sanctions disciplinaires à l'encontre de ses dirigeants. Elle entraîne également la limitation d'homologation ou la non homologation des nouveaux contrats durant une ou plusieurs saisons.

La Direction nationale du contrôle de gestion est compétente pour connaître des violations de la règle fixée au premier alinéa du présent article. »

25 () Cour d'appel de Lyon, Urssaf c/ SASP OL, 13 juin 2006.

26 () Source : document I.07 002 transmis le 9 janvier 2007 par l'Olympique Lyonnais à l'Autorité des marchés financiers, en vue de l'introduction du club en bourse.

27 () Rodolphe Albert « Les secrets du PSG », chapitre 3, Éditions Privé, 2006.

28 () Audition du 20 décembre 2006.

29 () Table ronde du 10 janvier 2007.

30 () Intervention de M. Jacques Lagnier, secrétaire général de la commission de la DNCG en charge des clubs professionnels, à la table ronde du 10 janvier2006.

31 () Table ronde du 17 janvier 2007

32 () La rédaction plus ambiguë du règlement FIFA sur l'aspect impératif de l'indemnité de transfert porte la marque des négociations menées avec la Commission européenne, qui ont permis la conclusion de l'accord du 5 mars 2001.

33 () Jean-Jacques Gouguet et Didier Primault, « Analyse économique du fonctionnement du marché des transferts dans le football professionnel » in « Le sport professionnel après l'arrêt Bosman : une analyse économique internationale » - CDES - 2004.

34 () Article 112 : « Les dirigeants de clubs ne peuvent conclure un contrat contenant une " clause libératoire ", prévoyant avant terme, en contrepartie d'une indemnité, la rupture de la relation contractuelle par l'un ou l'autre des cocontractants, une " clause résolutoire " ou une clause de résiliation unilatérale avec un joueur professionnel français ou étranger qu'il s'agisse du club ou du joueur. »

35 () Dictionnaire Lamy Droit du sport, sous la direction scientifique de Fabrice Rizzo et Didier Poracchia, chronique 342-95.

36 () Cette méthode d'imputation budgétaire consiste à étaler sur plusieurs exercices une charge exceptionnelle constatée une année donnée, de manière à en diminuer l'incidence sur le résultat comptable. C'est la méthode qu'ont adopté 18 clubs parmi les 20 clubs de Ligue 1 pour l'imputation des coûts d'indemnités de transfert.

37 () Introduites par les articles 1 à 5 de la loi n° 2003-708 du 1er août 2003, portant notamment sur les droits d'exploitation audiovisuels.

38 () Aux termes des dispositions du règlement 2004-07 du 23 novembre 2004 édictés par le comité de la réglementation comptable.

39 () Lorsque moins de 90 % du chiffre d'affaire d'une société est soumis à la TVA, la société est redevable d'une taxe complémentaire assise sur les salaires et calculée sur la fraction du chiffre d'affaire réalisé hors TVA. C'est souvent le cas pour les clubs professionnels, qui ne sont pas soumis au paiement de la TVA sur les recettes issues de la billetterie, celles-ci faisant l'objet d'une une taxe spécifique.

40 () Avis du 23 juin 2004 du Conseil national de la comptabilité, selon lequel : « il est peu probable qu'un talent spécifique en matière de direction ou de technique satisfasse à la définition d'une immobilisation incorporelle, à moins que ce talent ne soit protégé par des droits permettant son utilisation et l'obtention des avantages économiques futurs attendus de ce talent et à moins qu'il ne satisfasse également aux autres dispositions de la définition. »

41 () Dictionnaire Lamy Droit du Sport, sous la direction scientifique de Fabrice Rizzo et Didier Poracchia, chronique 342-12.

42 () Audition du 21 novembre 2006.

43 () Walter C. Neale a dégagé formellement en 1964 les termes de ce paradoxe, à partir des travaux de Rottenberg (1956), mais celui-ci est davantage connu sous le nom de paradoxe de Sloane, dont les travaux ont approfondi l'analyse des comportements de cartel adoptés par les clubs sportifs au sein d'une ligue fermée (1971). D'après « The economics of professional sports leagues : a bargaining approach », Spiros Bougheas et Paul Downward, Université de Nottingham, mars 2000.

44 () Arrêt Bosman, CJCE, 15 décembre 1995, affaire C-415/93, considérant n° 106. Accord du 5 mars 2001 entre la Commission européenne et la FIFA.

45 () Wladimir Andreff et Jean-François Nys, Économie du sport, Édition Presses Universitaires de France, 2002.

46 () « Faut-il transposer à l'Europe les instruments du sport professionnel nord-américain ? » Marc Lavoie, in « Le sport professionnel après l'arrêt Bosman : une analyse économique internationale », recueil sous la direction de Jean-Jacques Gouguet, édité par le CDES.

47 () Yvon Collin, « Quels arbitrages pour le football professionnel », Rapport d'information du Sénat n° 336 fait au nom de la délégation pour la planification du Sénat - 8 juin 2004

48 () Audition du 13 février 2007.

49 () Avis de la commission de l'emploi et des affaires sociales sur l'avenir du football professionnel en Europe. Document 2006/2130 (INI) - PE 378.710V02-00

50 () Audition de MM. Jérôme Jessel et Alain Vernon du 6 décembre 2006.

51 () Arnaud Rouger, « Limitation des effectifs vs limitation des salaires : une nouvelle forme de salary cap ? », in « Le sport professionnel après l'arrêt Bosman : une analyse économique internationale » - CDES - 2004.

52 () Source : document I.07-002 transmis le 9 janvier par l'Olympique Lyonnais auprès de l'Autorité des marchés financiers, en vue de l'introduction du club en bourse.

53 () Audition du 20 décembre 2006.

54 () Audition du 28 novembre 2006.

55 () Noël Pons, « Cols blancs et mains sales », Éditions Odile Jacob, 2006, p. 33.

56 () Audition du 19 décembre 2006

57 () « Le point sur l'impact de la coupe du monde sur le marché des joueurs », Frédéric Bolotny et Didier Primault, Centre de droit et d'économie du sport. Revue juridique et économique du sport - septembre 2006.

58 () M. Noël Pons est également l'auteur à titre privé d'un ouvrage abordant ce sujet : « Cols blancs et mains sales », Éditions Odile Jacob, 2006.

59 () On peut reprendre l'illustration donnée par M. Alain Vernon lors de son audition : « Prenons un exemple, je suis le patron d'un club important et vous le patron d'un autre club. Je veux un de vos joueurs. Nous en parlons de vous à moi ou plutôt, parce que je n'ai pas trop de temps, par le biais d'un agent. L'agent revient me voir et m'annonce que ce joueur vaut 10 millions d'euros. Je demande à mon agent de vous dire qu'il en vaut non pas 10, mais 30 millions d'euros. Vous me ferez une facture de 30 millions ; j'en entrerai 10 en comptabilité légale dans le club, et les 20 millions restants iront à une banque située dans un paradis fiscal, sur le compte de l'agent en question. Celui-ci reviendra de son paradis fiscal avec une valise et on redistribuera le liquide à tous les acteurs du marché : vous, moi, le joueur, sa femme, ma femme, la vôtre... Il y a suffisamment d'argent pour tout le monde. »

60 () Didier Poracchia, « Abus de biens sociaux et transferts des sportifs », Recueil Dalloz 2006, Chroniques p. 304.

61 () D'après la légende, le blanchiment aurait été inventé par Al Capone : celui-ci aurait utilisé une chaîne de laveries automatiques disséminées dans Chicago pour maquiller les revenus qu'il tirait du jeu, de la prostitution, du racket et de la violation des lois de la prohibition.

62 () Article 1741 du CGI : « Quiconque s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts visés dans la présente codification, soit qu'il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt, soit qu'il ait organisé son insolvabilité ou mis obstacle par d'autres manœuvres au recouvrement de l'impôt, soit en agissant de toute autre manière frauduleuse, est passible, indépendamment des sanctions fiscales applicables, d'une amende de 37 500 euros et d'un emprisonnement de cinq ans. »

63 () Audition du 6 décembre 2006.

64 () Rodolphe Albert, « Les secrets du PSG », Éditions Privé, 2006.

65 () Le Monde, 16 novembre 1982, cité dans  « Le football professionnel à la française » de Jean-Michel Faure et Charles Suaud, aux éditions PUF, 1999.

66 () Article 11 du règlement de la DNCG.

67 () « Quels arbitrages pour le football professionnel ? » - Rapport d'information n° 336 fait par M. Yvon Collin au nom de la délégation du Sénat pour la planification - 8 juin 2004.

68 () Idem.

69 () Audition du 28 novembre 2006.

70 () « L'entreprise blanchit lorsqu'elle introduit des fonds illégaux dans son système comptable. Elle noircit lorsqu'elle fait sortir illégalement des fonds non délictueux de son système comptable pour remplir une caisse noire. Des fonds illégaux peuvent intégrer directement la caisse noire sans affecter les comptes officiels, ils ne sont alors pas blanchis puisqu'ils restent occultes. » Rapport 2003 du SCPC, p. 89.

71 () Les ventes de contrats de joueurs représentent en moyenne 13 % du chiffre d'affaires des clubs de Ligue, D'après le dictionnaire Lamy Droit du sport.

72 () Point 10.6.4.10 et annexe VIII du manuel UEFA sur la licence de club.

73 () Le cas de mise en cause judiciaire de la DNCG, rapporté par M. Laurent Davenas lors de son audition du 28 novembre 2006, paraît justifier rétrospectivement ces craintes : « M. Lagnier, secrétaire général de la DNCG a été impliqué dans une procédure pénale concernant le dépôt de bilan d'un club de Ligue 2 pour les conseils qu'il avait donnés en tant que DNCG. Un juge d'instruction l'a mis en examen parce la DNCG avait fermé les yeux sur un certain nombre de choses. Il a eu un non-lieu mais, pendant une grosse année, il y a eu un tremblement de terre. »

74 () Dictionnaire Lamy Droit du sport, sous la direction scientifique de Fabrice Rizzo et Didier Poracchia, chronique 972-145.

75 () Circulaire SEC-D1/04028014P/D1-A.

76 () Audition du 6 décembre 2006

77 () Idem

78 () Idem

79 () Circulaire SEC - D1/04028014P/D1-A

80 () Idem

81 () Audition du 19 décembre 2006.

82 () Audition du 19 décembre 2006.

83 () Audition du 19 décembre 2006.

84 () GAFI, rapport sur les typologies du blanchiment de capitaux - 1999-2000.

85 () Gérald Simon, « Puissance sportive et ordre juridique étatique » - Éditions Librairie générale du droit et de la jurisprudence - 1990.

86 () Après avoir constaté que parmi les spécificités de l'activité sportive comptait celle de se doter d'un corpus fourni de règles techniques et organisationnelle, le Conseil d'État écrit notamment « C'est l'existence de cette base réglementaire qui justifie aux yeux de certains la notion d'autonomie du droit sportif, notion qui permettrait d'extraire le sport du champ d'application des principes généraux de la régulation juridique que connaissent les autres activités humaines. Il ne s'agit d'ailleurs pas de dire que le monde sportif ne devrait pas connaître le droit, mais plus exactement de constater qu'il a pris l'habitude de vivre sous l'empire d'un ensemble de règles coutumières qui lui sont propres et de les consacrer. Une telle conception ne semble pas conciliable avec la définition et les exigences d'un véritable État de droit dont les règles générales ont vocation à l'universalité » - Étude du Conseil d'État : « Sports : pouvoir et discipline » 1991.

87 () Rapport d'information n° 3642 de Mme Arlette Franco, au nom de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne le 30 janvier 2007, sur l'organisation et le financement du sport en Europe.

88 () Affaire Walrave-Koch c. Association union cycliste internationale (CJCE, 36/74, 12.12.74)

89 () Affaire Deliège c. Ligue Francophone de Judo, Ligue Belge de Judo, Union Européenne de Judo, (CJCE, 11.04.00).

90 () Décision de la Commission européenne, affaire Lille-Mouscron.

91 () Décision de la Commission européenne du 21 avril 2001 (IP/01/583).

92 () Affaire C-145/93, du 15 décembre 1995, Considérant 71.

93 () « Meca-Medina : un pas en arrière pour le modèle sportif européen et la spécificité du sport », Gianni Infantino, UEFA.

94 () CJCE, 18 juillet 2006, David Meca-Medina c/ Commission, affaire C-519/04 P :

« Point 25 - La Cour a cependant jugé que les interdictions qu'édictent ces dispositions du traité ne concernent pas les règles qui portent sur des questions intéressant uniquement le sport et, en tant que telles, étrangères à l'activité économique (voir, en ce sens, arrêt Walrave et Koch, précité, point 8).

Point 26 - S'agissant de la difficulté de scinder les aspects économiques et les aspects sportifs d'une activité sportive, la Cour a reconnu, dans l'arrêt Donà, précité, points 14 et 15, que les dispositions communautaires en matière de libre circulation des personnes et de libre prestation des services ne s'opposent pas à des réglementations ou pratiques justifiées par des motifs non économiques, tenant au caractère et au cadre spécifiques de certaines rencontres sportives. Elle a cependant souligné que cette restriction du champ d'application des dispositions en cause doit rester limitée à son objet propre. Dès lors, elle ne peut être invoquée pour exclure toute une activité sportive du champ d'application du traité.

Point 27 - Au vu de l'ensemble de ces considérations, il ressort que la seule circonstance qu'une règle aurait un caractère purement sportif ne fait pas pour autant sortir la personne qui exerce l'activité régie par cette règle ou l'organisme qui a édicté celle-ci du champ d'application du traité. »

95 () Audition du 6 décembre 2006.

96 () Audition du 6 décembre 2006

97 () Idem

98 () Idem

99 () « Sport de haut niveau et argent », rapport présenté par M. Jean-Luc Bennahmias devant le Conseil économique et social, 2002.

100 () Audition du 19 décembre 2006

101 () Audition du 10 janvier 2007

102 () Idem

103 () Idem

104 () Idem

105 () Audition du 10 janvier 2007

106 () Idem

107 () Pascal Boniface, Football et mondialisation, Armand Colin, 2006.

108 () Au sein de l'IFAB, la FIFA dispose de 4 voix et les 4 fédérations britanniques (The Football Association, The Scotish Football Association, The Football Association of Wales et Irish Football Association) d'une voix chacune.

109 () Table ronde du 17 janvier 2007

110 () Table ronde du 17 janvier 2007

111 () Sur l'historique de la profession d'agent sportif, voir l'article : « Les agents dans le sport professionnel : éléments d'un débat » par MM. Jean-Jacques Gouguet et Didier Primault, in Revue juridique et économique du sport, décembre 2006.

112 () Audition du 14 novembre 2006.

113 () Rapport d'activité pour l'année 2003. Rapport à M. le Premier ministre et au ministre de la justice, garde des Sceaux.

114 () Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, toute activité consistant à servir habituellement d'intermédiaire, sous quelque forme que ce soit, entre personnes appelées à se lier par une relation de travail les plaçant sous un état de subordination l'une par rapport à l'autre, correspond à un bureau de placement (Cour de cassation, chambre criminelle, 6 mars 1984).

115 () Audition du 15 novembre 2006.

116 () « Les agents dans le sport professionnel : éléments d'un débat » par MM. Jean-Jacques Gouguet et Didier Primault, in Revue juridique et économique du sport, décembre 2006.

117 () Entretien du 13 novembre 2003, cité dans l'ouvrage de Mme Delphine Verheyden, « Agents de sportifs », éditions du Puits fleuri, 2004.

118 () Audition du 19 décembre 2006.

119 () « Les agents dans le sport professionnel : éléments d'un débat » par MM. Jean-Jacques Gouguet et Didier Primault, in la revue juridique et économique du sport, décembre 2006.

120 () Audition du 22 novembre 2006.

121 () Table ronde du 10 janvier 2007.

122 () Audition du 6 décembre 2006.

123 () Audition du 31 janvier 2007.

124 () Service central de prévention de la corruption - Rapport d'activité pour 1998-1999.

125 () Audition du 14 novembre 2006.

126 () Audition du 21 novembre 2006.

127 () L'expression est celle utilisée par M. Noël Pons, inspecteur des impôts au service central de prévention de la corruption (SCPC) lors de son audition du 15 novembre 2006.

128 () Audition du 28 novembre 2006.

129 () Audition du 22 novembre 2006.

130 () Audition du 14 novembre 2006.

131 () Éditions Odile Jacob. Mars 2006.

132 () Audition du 15 novembre 2006.

133 () Pour d'autres exemples de pratiques frauduleuses, voir l'article « Les agents dans le sport professionnel : éléments d'un débat » par MM. Jean-Jacques Gouguet et Didier Primault, in Revue juridique et économique du sport, décembre 2006.

134 () Voir « Acteurs du spectacle sportif, auxiliaires du spectacle sportif » in Lamy droit du sport, octobre 2006.

135 () Si une commission est versée sans qu'une prestation soit effectuée, les dirigeants de clubs peuvent être condamnés pour abus de biens sociaux.

136 () Rapport n° 2770 de M. Thierry Mandon, député, sur le projet de loi modifiant la loi n°84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives et portant diverses dispositions relatives à ces activités.

137 () CJCE 12 décembre 1974 « Walrave et Koch c/Association union cycliste internationale», affaire 36/74 Recueil p. 1405.

138 () CJCE, 18 juillet 2006 « Meca-Medina c/Commission», affaire T-313/02, Recueil p. II-3291.

139 () Directive 86/653/CEE du Conseil de l'Union européenne relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants.

140 () Cour d'appel de Metz, 20 mars 2002, Revue juridique et économique du Sport, 2003, n° 66, p. 50.

141 () Conseil d'État, arrêt du 8 novembre 2006 n°289702. Le juge administratif avait été saisi en vue d'invalider la décision de la commission des agents de la Fédération française de football, de n'organiser plus qu'une seule session d'examen d'accès à la licence par an, alors que le règlement de la Fédération internationale de football association en impose deux. Le Conseil d'État a rejeté la requête, rappelant l' « absence d'effet direct en droit interne de la réglementation des fédérations sportives internationales. »

142 () Tribunal de première instance des Communautés européennes, 26 janvier 2005, « Laurent Piau c/Commission européenne et FIFA », Rec. CJCE II, p. 209, RLC 2006/6 n° 487.

143 () Article L. 312-7 du code du travail.

144 () Loi n° 92-652 du 13 juillet 1992 modifiant la loi n°84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives et portant diverses dispositions relatives à ces activités.

145 () Loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives.

146 () Décret n° 93-393 du 18 mars 1993.

147 () Loi n° 2000-627 du 6 juillet 2000 modifiant la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives.

148 () Rapport n° 2115 fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur le projet de loi modifiant la loi n°84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives.

149 () Ordonnance n° 2006-596 du 23 mai 2006 relative à la partie législative du code du sport.

150 () Outre la France, l'Italie et la Belgique sont au nombre des États disposant d'un législation relative aux agents sportifs.

151 () Article L. 222-5 et suivants du code du sport.

152 () Définition de G. Cornu in « Vocabulaire juridique », Association H. Capitant, PUF, Édition 2002.

153 () Convention de la Haye du 14 mars 1978, article 16, selon lequel, « lors de l'application de la présente convention, il pourra être donné effet aux dispositions impératives de tout État avec lequel la situation présente un lien effectif, si et dans la mesure où, selon le droit de cet État, ces dispositions sont applicables quelque soit la loi désignée par ses règles de conflit. »

Convention de Rome du 19 juin 1980, article 7-2 donne prééminence aux règles « du pays du juge qui régissent impérativement la situation quelque soit la loi applicable au contrat. »

154 () Bernard Audit « Loi applicable au contrat d'intermédiaire chargé de négocier le transfert d'un joueur de football » in Recueil Dalloz 2002, Sommaires commentés, p. 1391.

155 () « Acteurs du spectacle sportif, auxiliaires du spectacle sportif » in Lamy Droit du sport, octobre 2006.

156 () Cour de cassation chambre criminelle, 24 janvier 2006, n° 04-85016.

157 () Commentaire J-P Karaquillo de l'arrêt de la Cour de cassation du 24 janvier 2006, in Recueil Dalloz 2006, p. 2649.

158 () Audition du 21 novembre 2006.

159 () Entretien du 13 novembre 2003, cité dans l'ouvrage de Mme Delphine Verheyden, « Agents de sportifs », éditions du Puits fleuri, 2004.

160 () Rapport d'inspection commun de l'Inspection générale de la Jeunesse et des sports et de l'Inspection générale des finances, février 2005.

161 () Table ronde du 10 janvier 2007.

162 () Audition du 21 novembre 2006.

163 () Table ronde du 10 janvier 2007.

164 () Directeur de l'Union des clubs professionnels de football (UCPF).

165 () Audition du 29 novembre 2006.

166 () Table ronde du 10 janvier 2006.

167 () Ainsi, un ancien directeur financier du Paris Saint-Germain est devenu agent de joueur moins d'un an après avoir cessé ses fonctions dans ce club. Un autre agent s'est contenté, au début de la saison 2003-2004, de « louer » son « portefeuille » de joueurs, alors qu'il intervenait comme « conseiller » auprès du nouveau président du Club de football de Monaco. Outre ces cas largement médiatisés, la lecture de la presse spécialisée permet d'apprendre qu'un autre agent, par ailleurs mis en examen dans le cadre de l'affaire du SC Bastia, a conseillé un temps un éphémère président du club de football d'Angers.

168 () Le rapport IGJS -IGF note ainsi qu'une société appartenant à deux agents sportifs a détenu plus de 16 % du capital du FC Grenoble.

169 () Audition du 22 novembre 2006.

170 () Audition du 22 novembre 2006.

171 () Audition du 29 novembre 2006.

172 () Audition du 29 novembre 2006..

173 () Idem.

174 () Audition du 15 novembre 2006.

175 () Idem.

176 () Table ronde du 10 janvier 2007.

177 () Audition du 28 novembre 2006.

178 () Audition du 22 novembre 2006.

179 () Audition du 29 novembre 2006.

180 () Table ronde du 10 janvier 2007.

181 () Audition du 28 novembre 2006.

182 () Table ronde du 10 janvier 2007.

183 () Audition du 31 janvier 2007.

184 () Audition du 22 novembre 2006.

185 () « Le montant des commissions perçues au cours de l'année 2004 pour les seuls agents intervenant dans le football aurait atteint 30 millions d'euros contre 10 millions d'euros pour la saison 1995 et 20 millions d'euros pour 1998-1999 . » - Rapport de l'IGF-IGJS précité.

186 () Table ronde du 17 janvier 2007.

187 () Article 131-6 du code pénal : « Lorsqu'un délit est puni d'une peine d'emprisonnement, la juridiction peut prononcer, à la place de l'emprisonnement, une ou plusieurs des peines privatives ou restrictives de liberté suivantes (...)
11º L'interdiction pour une durée de cinq ans au plus d'exercer une activité professionnelle ou sociale dès lors que les facilités que procure cette activité ont été sciemment utilisées pour préparer ou commettre l'infraction. »

188 () Table ronde du 17 janvier 2007.

189 ()La sanction des intermédiaires non licenciés relève du droit pénal. Le juge a en effet eu l'occasion de préciser que le recours aux faux agents est un délit d'exercice illégal de la profession. La Cour d'appel d'Aix-en-Provence a ainsi condamné le 30 juin 2004 un faux agent sportif sur le fondement de l'exercice illégal de la profession.

190 () Audition du 31 janvier 2007.

191 () Audition du 29 novembre 2006.

192 () Audition du 29 novembre 2006.

193 () Table ronde du 10 janvier 2007.

194 () Audition du 15 novembre 2006.

195 () Audition du 15 novembre 2006.

196 () Audition du 14 novembre 2006.

197 () « Pour un transfert de joueur important, vont se présenter auprès des clubs des intermédiaires qui se donnent une légitimité qu'ils n'ont pas, et qui vont faire monter les enchères. Pour qu'ils n'interfèrent pas dans la négociation, le club s'en « débarrasse » en leur payant une commission. » - Audition de M. Laurent Davenas du 28 novembre 2006.

198 () Manuel UEFA : point 10.6.4.10 et annexe VIII.

199 () FIFA - règlement gouvernant l'activité des agents de joueurs, article 12, §3 : « L'agent de joueurs doit être rémunéré exclusivement par son mandant pour les services rendus et en aucun cas par une tierce partie. »

200 () Alex Ferguson, manager du club de Manchester United. Un reportage de la BBC a dénoncé les liens entre le manager et son fils Jason, agent de footballeur.

201 () Allusion au procès dit des matchs truqués en Série A dans lequel le fils de Marcello Lippi, Davide, est impliqué. Marcello Lippi lui-même est suspecté d'avoir favorisé les contrats des « protégés » de la GEA World, la société d'agents de joueurs dirigée par le fils de l'ex-directeur général de la Juventus Turin, Luciano Moggi. Ces faits remontent à l'époque où Lippi entraînait la Juventus de Turin, club avec lequel il a remporté cinq titres de champion d'Italie et une Ligue des champions en 1996.

202 () Direction nationale du contrôle de gestion.

203 ( Frédéric Thiriez, président de la LFP (Ligue de Football Professionnel).

204 () M. Raud évoque ici la question écrite n° 38339, dont le texte suit :

Question N° : 38339

de M. Mariani Thierry (Union pour un Mouvement Populaire - Vaucluse )

QE

 

Question publiée au JO le : 27/04/2004 page : 3128

 

Réponse publiée au JO le : 06/07/2004 page : 5164

Texte de la QUESTION :

Suite à sa question écrite n° 23207 du 4 août 2003, M. Thierry Mariani prie M. le ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative de bien vouloir lui indiquer les motifs des deux avis défavorables du Conseil d'État relatifs au décret du 29 avril 2002 concernant le statut professionnel des intermédiaires sportifs. Il souhaite en effet savoir si les avis défavorables du Conseil d'État sont motivés par des conditions de forme, de fond ou d'opportunité.

Texte de la REPONSE :

Le décret d'application n° 2002-649 du 29 avril 2002 a précisé les modalités d'attribution, de renouvellement et de retrait de la licence d'agent sportif. Il prévoit notamment que cette licence est délivrée, par le comité directeur de la fédération, aux personnes physiques ou aux représentants des personnes morales ayant satisfait aux épreuves d'un examen écrit. En tout état de cause, il est rappelé à l'honorable parlementaire que les avis rendus par le Conseil d'Etat dans sa mission de conseil du Gouvernement n'ont pas vocation à être rendus publics.

205 () Comité français à accréditation : association sans but lucratif chargée de l'accréditation.

206 () Organe de contrôle de gestion des clubs de rugby.

207 () Président de l'Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP).

208 () Michael Essien de Lyon à Chelsea : 38M€ (information disponible sur Internet).

209 () CFA : Championnat de France amateur.

210 () Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), « Arrêt du 15 décembre 1995, Union royale des sociétés de football association ASBL e.a./Jean-Marc Bosman e.a., affaire C-415/93 », in Recueil de la Jurisprudence de la Cour de justice et du Tribunal de première instance. 1995, p. I - 4921.

211 () http://www.lequipe.fr/Football/20061122_093649Dev.html.

212 () Conseil d'État, 25 février 1998, Ville de Bordeaux - req. n° 14399

213 () National Basket Association (association nationale de basket aux États-Unis).

214 () Roger Rocher (1920-1997), industriel stéphanois connu pour ses succès sportifs et ses déboires judiciaires au poste de président de l'AS Saint-Étienne (1961-1981).

215 () Henri Jooris, président du LOSC Lille Métropole de 1910 à 1932.

216 () .Président de l'OM de 1965 à 1973.

217 () Claude Cuny, président de l'AS Nancy-Lorraine.

218 () Président du RC Lens.

219 () Accusé de fausses déclarations et fraude fiscale liées à son transfert du Benfica Lisbonne vers le Sporting Portugal en 2000, l'ancien international portugais Joao Pinto a été mis en examen le 3 janvier 2007 après avoir été entendu par la police judiciaire.

220 () Directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants

221 () Caisse des règlements pécuniaires des avocats.

222 () National Basket Association (Association nationale du basket aux États-Unis).