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le 18 novembre 2002

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N° 376

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 13 novembre 2002.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR :

LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE (N° 369), ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, relatif à l'organisation décentralisée de la République ;

LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE (N° 249) DE M. HERVÉ MORIN ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES, relative à l'exercice des libertés locales.

PAR M. PASCAL CLÉMENT,

Député.

--

(1ère partie)

Voir les numéros :

Sénat : 24 rect., 27 et T.A. 26 (2002-2003).

Assemblée nationale : 249 et 369.

État.

INTRODUCTION 7

PREMIÈRE PARTIE : UN NOUVEL ÉLAN POUR LA DÉCENTRALISATION 8

I. - LA RÉUSSITE DE LA DÉCENTRALISATION S'EST INSCRITE DANS UN CADRE CONSTITUTIONNEL INCHANGÉ DEPUIS 1958 8

A. LA DÉCENTRALISATION : UNE EXIGENCE DÉMOCRATIQUE, UNE RÉUSSITE ÉCONOMIQUE 8

1. La décentralisation, facteur d'élargissement de l'espace public 8

2. La décentralisation, facteur de développement économique 11

B. LA PERMANENCE DU CADRE CONSTITUTIONNEL 13

1. Un cadre souple 13

2. La construction d'un droit constitutionnel local 15

II. - LA MISE EN PLACE D'UNE NOUVELLE ÉTAPE DE LA DÉCENTRALISATION EXIGE UNE RÉVISION DE LA LOI FONDAMENTALE 16

A. UN MODÈLE À BOUT DE SOUFFLE 16

1. Les limites des lois de décentralisation 16

2. L'aspiration européenne 19

B. UN CADRE CONSTITUTIONNEL À SON POINT DE RUPTURE 20

1. Une conciliation difficile du principe de libre administration avec les autres principes constitutionnels 20

2. Une jurisprudence insuffisamment protectrice des libertés locales 22

III. - LE PROJET DE LOI PROPOSE UN NOUVEL ÉQUILIBRE CONSTITUTIONNEL ENTRE LES PRINCIPES D'ÉGALITÉ ET D'UNITÉ ET LES LIBERTÉS LOCALES 23

A. LA DÉMARCHE DU GOUVERNEMENT : UNE RÉFORME GLOBALE À L'ÉCOUTE DES ACTEURS LOCAUX 23

B. UN MODÈLE NOVATEUR D'ORGANISATION INSTITUTIONNELLE 24

1. Le projet de loi de révision constitutionnelle 24

2. L'examen du projet de loi de révision constitutionnelle par le Sénat 26

3. La proposition de loi constitutionnelle présentée par le groupe UDF 27

DEUXIÈME PARTIE : LA REFONTE DU PAYSAGE INSTITUTIONNEL DE L'OUTRE-MER 29

I. - LE CADRE CONSTITUTIONNEL EST DEVENU TROP ÉTROIT
POUR RENDRE COMPTE DE LA DIVERSITÉ INSTITUTIONNELLE
DE L'OUTRE-MER
29

A. UN DUALISME DOM-TOM AUJOURD'HUI DÉPASSÉ 29

1. Les catégories juridiques héritées de 1946 29

a) Les départements d'outre-mer ou la toute-puissance du modèle assimilationniste 30

b) Les territoires d'outre-mer : la reconnaissance du particularisme dans un État unitaire 34

2. L'apparition de collectivités à statut spécifique 38

B. DES COLLECTIVITÉS EN QUÊTE D'ÉVOLUTION 40

1. Les revendications des DOM et des collectivités à statut particulier 40

2. La disparition progressive des TOM 44

II. - LE PROJET DE LOI PROPOSE UN CADRE CONSTITUTIONNEL
SIMPLIFIÉ ET ASSOUPLI
46

A. UNE REPARTITION DES COLLECTIVITÉS D'OUTRE-MER ENTRE DEUX CATÉGORIES JURIDIQUES AU CONTENU RENOUVELÉ 47

1. Deux nouvelles catégories 47

2. Une passerelle entre les deux 48

B. DES CATÉGORIES JURIDIQUES SOUPLES 49

1. Les départements et régions d'outre-mer : une faculté d'adaptation accrue 49

2. Les collectivités d'outre-mer : des statuts ajustés à chaque collectivité 51

AUDITION de M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, de M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales,
et de
Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer
53

DISCUSSION GÉNÉRALE 59

EXAMEN DES ARTICLES 65

Article premier (article premier de la Constitution) : Organisation de la République 65

Article premier bis (article 34 de la Constitution) : Harmonisation rédactionnelle 69

Article 2 (article 37-1 de la Constitution) : Expérimentations prévues par la loi ou le règlement 71

Article 3 (article 39 de la Constitution) : Priorité d'examen du Sénat sur les projets de loi ayant pour principal objet la libre administration des collectivités territoriales et les instances représentatives des Français établis hors de France 76

Article 4 (article 72 de la Constitution) : Libre administration des collectivités territoriales 81

2ème partie du rapport

Article 5 (article 72-1 de la Constitution) : Renforcement de la démocratie participative locale

Article 6 (article 72-2 de la Constitution) : Autonomie financière des collectivités territoriales

Article 7 (articles 72-3 et 72-4 de la Constitution) : Régime des collectivités situées outre-mer

Article 8 (article 73 de la Constitution) : Régime des départements et régions d'outre-mer

Article 9 (article 74 de la Constitution) : Régime constitutionnel des collectivités d'outre-mer

Article 10 (article 74-1 de la Constitution) : Habilitation permanente pour actualiser le droit applicable outre-mer par ordonnances

Article 11 (articles 7, 13 et 60 de la Constitution) : Assouplissement des conditions de délai pour l'organisation du scrutin présidentiel - Nomination des représentants de l'État dans les collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie - Contrôle du Conseil constitutionnel sur la régularité des opérations de référendum

TABLEAU COMPARATIF

AMENDEMENTS NON ADOPTÉS PAR LA COMMISSION

ANNEXE I : Éléments de droit comparé sur l'organisation territoriale
des pouvoirs publics

ANNEXE II : Le débat institutionnel dans les départements français d'Amérique

ANNEXE III : Article 299 § 2 du traité d'Amsterdam relatif aux régions
ultra-périphériques

MESDAMES, MESSIEURS,

La France continue à souffrir d'un excès de centralisation. Le constat n'est pas nouveau puisque déjà en 1835, Alexis de Tocqueville, comparant les mérites du modèle américain avec le régime français, décrivait ainsi les excès de centralisme affectant notre pays (1) :

« La centralisation administrative n'est propre qu'à énerver les peuples qui s'y soumettent, parce qu'elle tend sans cesse à diminuer parmi eux l'esprit de cité. La centralisation administrative parvient, il est vrai, à réunir à une époque donnée et dans un certain lieu, toutes les forces disponibles de la Nation, mais elle nuit à la reproduction des forces. Elle la fait triompher le jour du combat et diminue à la longue sa puissance. Elle peut donc concourir admirablement à la grandeur passagère d'un homme, non point à la prospérité durable d'un peuple ».

Cette description préfigure, avec une extraordinaire acuité, les enjeux actuels de la décentralisation : il s'agit à la fois d'un impératif démocratique et d'une exigence d'efficacité économique, car seule la décentralisation est à même de garantir « l'esprit de cité » et la prospérité.

Il aura fallu en fait plus d'un siècle et demi pour prendre la mesure de ces enjeux et donner aux libertés locales un début de réalité. La France connaît désormais un modèle d'organisation original, qui s'éloigne de l'étatisme jacobin, tout en se distinguant également du modèle fédéral, puisque les compétences des collectivités locales ne sont pas déterminées par la norme suprême.

Pourtant, les avancées en terme de libertés locales n'ont pas permis de rompre totalement avec une culture politique et administrative où Paris demeure au c_ur de toute chose ; la complexité actuelle des niveaux de décisions, l'enchevêtrement des compétences et l'absence de responsabilités clairement établies rendent le fonctionnement de nos institutions incompréhensibles aux yeux des citoyens et contribuent, sans aucun doute, à aggraver le désintérêt pour la chose publique. Les dernières consultations électorales ont montré à quel point la refondation de l'action publique, notamment locale, était devenue incontournable.

La réforme de l'État passe donc d'abord et avant tout par un approfondissement de la décentralisation et une meilleure adéquation entre la décision et la proximité de l'échelon qui la met en _uvre. Il est donc nécessaire d'aller plus loin en termes de libertés locales et, surtout, de se prémunir contre tout retour en arrière ; tel est l'objet du présent projet de loi constitutionnelle, qui propose, en conséquence, un nouveau cadre d'action pour les collectivités de métropole et d'outre-mer.

PREMIÈRE PARTIE :
UN NOUVEL ÉLAN POUR LA DÉCENTRALISATION

I. - LA RÉUSSITE DE LA DÉCENTRALISATION S'EST INSCRITE DANS UN CADRE CONSTITUTIONNEL INCHANGÉ DEPUIS 1958

A. LA DÉCENTRALISATION : UNE EXIGENCE DÉMOCRATIQUE, UNE RÉUSSITE ÉCONOMIQUE

1. La décentralisation, facteur d'élargissement de l'espace public

Les lois de décentralisation de 1982 et 1983 ont indéniablement marqué le début d'un mouvement qui devrait aboutir à créer de nouveaux espaces de liberté ; avec elles devait s'achever une longue tradition de défiance du pouvoir central vis-à-vis des citoyens et de leurs élus. Jusqu'alors, les relations entre l'État et les citoyens étaient souvent empreintes de paternalisme, comme en témoigne la proclamation ambitieuse de Napoléon Bonaparte sur l'institution des préfets : « je veux que de ce jour date le bonheur des Français ». Le bonheur se décrète d'en haut, il est calculé par un État rationnel, mû par des considérations souvent abstraites, qui doit pourtant faire face à une société civile émotive et changeante.

Pour autant, l'échelon local n'est pas nié car il correspond à une réalité historique : il est simplement entravé par des liens tutélaires extrêmement puissants. La méfiance envers les corps intermédiaires conduit ainsi les révolutionnaires, par un décret du 11 avril 1789, à supprimer les privilèges particuliers des provinces, principautés, pays, cantons, villes et communautés d'habitants. À l'enchevêtrement des anciennes circonscriptions, qui était devenue illisible et paralysante, suit une division rationnelle du territoire, avec la création du département et du district sous la période révolutionnaire. De la période napoléonienne date l'institution préfectorale, les représentants de l'État ayant vocation à administrer seuls les affaires locales, entourés de conseils consultatifs compétents sur les affaires fiscales ou contentieuses.

La Monarchie de Juillet réhabilite l'échelon communal et départemental par les lois du 21 mars 1831 et du 22 juin 1833, qui prévoient l'élection des conseils municipaux et généraux par des collèges électoraux restreints ; les maires restent toutefois désignés par le roi, pour les communes de plus de 3 000 habitants, ou par les préfets, pour les autres. Suivent deux lois d'attribution, la loi municipale du 18 juillet 1837 et la loi du 10 mai 1838, qui permettent de définir les compétences réglées par les délibérations du conseil municipal ou du conseil général, ainsi que celles sur lesquelles ces assemblées peuvent émettre des v_ux. Le préfet reste cependant l'organe exécutif du conseil général et assure, en outre, une tutelle très présente sur les actes des communes ; la double nature du maire est consacrée, en tant que représentant de l'État et exécutif du conseil municipal.

Les avancées réalisées pendant la Monarchie de Juillet, un temps remises en cause sous le Second Empire, vont trouver un approfondissement sous la Troisième République. De cette période datent les deux grandes lois d'organisation locale, première étape de la décentralisation républicaine, que sont les lois du 10 août 1871 sur les départements et du 5 avril 1884 sur les communes. Ces deux textes sont les premiers à déterminer légalement un régime d'organisation complet ; ils renforcent les pouvoirs des instances élues et opèrent un compromis entre pouvoir local et tradition centralisatrice ; le préfet demeure chef de l'exécutif départemental et le conseil général délibère sur les affaires du département ; le maire, élu par le conseil municipal, sauf à Paris, assure l'administration de la commune et y représente également l'État ; les délibérations des conseils municipaux deviennent exécutoires, sous réserve de la tutelle exercée par le préfet ; ces conseils se voient reconnaître une compétence générale d'attribution, puisqu'il leur échoit de régler tout ce qui relève des affaires de la commune. Cette clause générale de compétence est une première tentative destinée à protéger les pouvoirs locaux des empiètements du centralisme étatique.

Pour autant, le mouvement de décentralisation opéré sous la Troisième République n'est pas dénué d'ambiguïté ; davantage que d'instaurer des contre pouvoirs à un pouvoir central ou de reconnaître une démocratie locale, il s'agit, pour le législateur de consolider la mystique républicaine, en réaffirmant au niveau local la prééminence rationnelle de la Nation contre l'Église, les cultures locales et les corporations. La spécificité locale est ignorée, les lois de 1871 et de 1884 instaurant un régime uniforme pour tous les départements et toutes les communes, grandes ou petites. En fait, la Troisième République se méfie toujours de ce qui peut apparaître comme un attachement suspect à une culture régionale ; s'il peut s'agir au mieux d'un folklore représentant une certaine valeur intellectuelle ou littéraire, comme en témoigne le renouveau de la langue provençale à l'initiative de Frédéric Mistral, l'appel à la « petite patrie » a pu aussi prendre l'allure du mouvement réactionnaire et contre-révolutionnaire, illustré par les écrits de Charles Maurras ou de Maurice Barrès.

Entre l'aspiration régionaliste et le conservatisme, l'émergence d'un réel engagement en faveur de la démocratie locale tarde à apparaître ; le régime de Vichy traduit évidemment de façon extrême cette méfiance, en imposant, afin de mieux les contrôler, la nomination de tous les responsables territoriaux. Le rejet de la démocratie - notamment à l'échelon local - l'emporte sur la mystique barrésienne et provinciale.

En réaction, la Constitution du 27 octobre 1946 va définitivement ancrer le fait régional et local dans l'organisation institutionnelle française et faire de la décentralisation un enjeu démocratique ; forts du principe que les collectivités locales sont un des éléments du corps politique de l'État, les constituants opèrent une rupture avec la conception classique du droit public, qui fait des collectivités locales des émanations administratives de l'État. Pour Pierre Cot, les pouvoirs publics comprennent nécessairement le pouvoir local, et « à la base du pouvoir politique démocratique, il y a le pouvoir local démocratique » (2). L'article 85 de la Constitution de 1946 dispose tout d'abord que « La République française, une et indivisible, reconnaît l'existence des collectivités territoriales ». Les collectivités territoriales sont donc distinctes de l'État et ont une antériorité historique sur celui-ci ; à ce titre, elles s'administrent librement par des conseils élus au suffrage universel. Il est prévu que des lois organiques étendent les libertés communales et départementales et déterminent des modalités de fonctionnement et d'organisation différentes pour les grandes villes.

Les inerties culturelles et politiques demeurent fortes et tous ces principes novateurs ne seront pas tous appliqués ; le projet de loi du 21 mai 1947, qui prévoit le transfert des attributions du préfet à un élu, est repoussé, par crainte de voir émerger un « maire départemental » aux pouvoirs trop étendus.

La Constitution du 4 octobre 1958 reprend, dans une formule apparemment plus neutre, la consécration des collectivités locales comme entités politiques distinctes de l'État ; le premier alinéa de l'article 72 relève simplement que « les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements et les territoires d'outre-mer ». Le deuxième alinéa dispose que « ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus dans les conditions prévues par la loi ».

En dépit de cette consécration, le mouvement décentralisateur connaît encore bien des péripéties : les pôles de résistance demeurent encore vivaces au sein de notre pays. Le projet de révision constitutionnelle de 1969, instituant les régions comme véritables collectivités locales et réformant le Sénat, est repoussé par référendum. Bien que ce rejet tienne certainement à d'autres raisons que le refus de la décentralisation elle-même, l'échec de 1969 freine toute initiative innovante sur le sujet. La structure des collectivités locales est donc maintenue. Cependant, le mouvement que l'on sent inéluctable ne peut être totalement arrêté : il est créé, avec la loi du 5 juillet 1972, un établissement public régional. En outre, le peu de succès que rencontre la loi du 16 juillet 1971 sur la fusion de communes incite également à procéder désormais par petites touches, ajouts ou suppressions : la tutelle préfectorale est allégée par la loi du 31 décembre 1970, qui supprime l'approbation préalable du budget des communes et réduit le nombre de délibérations des conseils municipaux soumises à approbation ; les concours spécifiques de l'État aux collectivités locales sont intégrés progressivement dans une enveloppe globale intitulée dotation globale de fonctionnement, par la loi du 3 janvier 1979 ; le vote direct des impôts locaux est acquis par la loi du 10 janvier 1980.

Le projet de loi relatif au développement des responsabilités des collectivités locales, présenté en 1980 par le ministre de l'intérieur, M. Christian Bonnet exprime la volonté du Gouvernement de l'époque de maintenir les structures existantes, de renforcer leur autonomie et d'encourager leur diversité ; adopté par le Sénat après une longue discussion parlementaire, il ne peut cependant être achevé avant l'alternance de 1981.

Le mouvement de décentralisation connaît, on le sait, un nouvel essor entre 1982 et 1986, avec l'adoption des « lois Defferre » : les régions sont érigées en collectivités locales de droit commun, le pouvoir exécutif des conseils régionaux et généraux est confié aux présidents des assemblées délibérantes, la tutelle a priori du préfet est remplacée par un contrôle juridictionnel a posteriori, de nouvelles compétences sont transférées aux collectivités territoriales, en même temps que les services, personnels et ressources correspondants.

Pour Gaston Defferre, ces lois sont « un acte de confiance pour les Français, dans leur capacité à se gérer eux-mêmes » ; même si l'histoire a démontré par la suite que cette confiance n'était que relative, il est indéniable que, pour la première fois, l'exigence démocratique de la décentralisation est concrètement reconnue. L'échelon local n'est pas seulement le lieu où s'exerce un pouvoir administratif. Il devient la cellule de base de l'expression démocratique.

Au terme de ce mouvement, les 36 779 communes de France, les 100 départements, les 26 régions apparaissent comme autant de lieux de débat ; loin d'être un handicap, le nombre de collectivités locales illustre le dynamisme de cette démocratie de proximité, qui a indéniablement permis de rapprocher le citoyen de la sphère de décisions. Ce sont les maires, les conseillers généraux, les conseillers régionaux qui font vivre au quotidien ces liens sociaux ; c'est à ces 500 000 élus locaux qu'il revient d'assumer, jour après jour, le rôle de médiateurs à l'écoute des préoccupations quotidiennes des Français, à eux d'intervenir dans un contexte économique local parfois difficile pour restaurer la confiance des entreprises, à eux de répondre aux besoins lorsque le tissu social est déchiré... En cela, la décentralisation a permis de démultiplier l'espace public, c'est-à-dire, au sens propre, la République.

Les Français sont profondément attachés à la richesse de cette organisation démocratique ; les élections locales, si elles ne mobilisent plus les électeurs autant que par le passé, sont cependant perçues comme des enjeux politiques, au même titre que les élections nationales ; et c'est d'ailleurs bien ainsi que le conçoit le Conseil constitutionnel, qui a qualifié l'élection des conseillers municipaux de « suffrage politique » (3). Cette approche « politique » de la décentralisation, par opposition à une conception administrative qui n'y verrait qu'une forme d'organisation territoriale, correspond à une véritable attente en matière de proximité du pouvoir : pour 67 % des Français, la coexistence de trois échelons locaux, régions, départements, communes, est une bonne chose, car elle permet de gérer les dossiers au plus près des citoyens, et de manière satisfaisante ; 57 % souhaitent aller plus loin ou amplifier largement cette évolution décentralisatrice (4).

2. La décentralisation, facteur de développement économique

L'exigence démocratique de la décentralisation est généralement admise, car elle est un gage de proximité de la prise de décision. En revanche, tel est rarement le cas de sa réussite économique ; on dénonce très souvent, et parfois à juste titre, les coûts induits par l'existence de différents niveaux de collectivités, ou les dérives financières de telle ou telle collectivité. C'est faire peu de cas du rôle des collectivités locales comme facteur de dynamisme économique.

La structure des dépenses des administrations publiques locales est en effet fort différente de celle de l'État ; elle se caractérise notamment par une part importante consacrée aux investissements, plus des deux tiers de l'investissement public ayant été réalisés par les administrations publiques locales depuis le début des années 90 (5; en 2001, la part des investissements publics locaux a ainsi représenté près de 34 milliards d'euros. Selon une étude portant sur l'évolution des comptes des administrations publiques locales entre 1959 et 1994, « plus l'investissement public local augmente, plus le PIB est stimulé. On observe un effet stimulant analogue de l'investissement des administrations locales sur la productivité et l'emploi du secteur privé. Il y a là une manifestation significative de ce que l'on appelle la croissance endogène (6) ». Le lien entre investissement public national et évolution du PIB n'a pas, en revanche, été clairement démontré.

L'investissement local est donc facteur de dynamisme économique ; s'y ajoutent les interventions économiques des collectivités locales, ces dernières étant autorisées, dans des conditions strictement définies par le code général des collectivités territoriales, à octroyer des aides aux entreprises en difficulté ou en milieu rural. En 2000, ces aides ont représenté au total 2,3 milliards d'euros : d'un montant relativement modeste, elles doivent néanmoins être analysées dans un ensemble plus vaste, incluant les actions d'ingénierie financière et de garanties d'emprunt, ainsi que, plus généralement, toutes les actions destinées à favoriser l'environnement immédiat des entreprises dans le domaine notamment de la recherche, de la formation ou des transports.

L'action des collectivités locales dans le domaine économique, qui a incontestablement permis de faire vivre le tissu local, n'a pas induit pour autant une dérive budgétaire : l'Observatoire des finances locales précise ainsi, dans son rapport sur les finances des collectivités locales en 2002, que les collectivités ont pu dégager des capacités de financement grâce à la rigueur de leur gestion, les efforts réalisés sur l'épargne et le dynamisme des recettes d'investissement. En 2001, les collectivités territoriales se sont désendettées à hauteur de 1,3 milliard d'euros et le stock de leur dette s'est réduit de plus de 7 milliards d'euros en cinq ans.

Plus généralement, c'est bien grâce à la rigueur budgétaire des comptes locaux que la France a pu satisfaire aux critères du Traité de Maastricht ; aux termes de ce Traité, le déficit maximal des administrations publiques ne peut être supérieur à 3 % du PIB et l'endettement public supérieur à 60 %. Comme le note le Conseil économique et social dans son rapport sur l'avenir de l'autonomie financière des collectivités locales (7) : « l'objectif n'a été atteint en 1997 par la France que grâce à la capacité de financement dégagée par les collectivités territoriales à partir de 1996 ».

Lieu de débat démocratique, facteur de dynamisme économique, la décentralisation est bien davantage encore : elle fait désormais très concrètement partie de la vie quotidienne des Français ; le maire, mais également le président du conseil général ou du conseil régional sont des figures connues ; on reconnaît le logo du conseil général quand on prend le matin le car de ramassage scolaire ; on sait que c'est la région qui a rénové le lycée où se rendent les enfants... Cette proximité est une richesse ; elle semble désormais aller de soi, alors qu'elle représente pourtant une véritable rupture avec le mode d'organisation institutionnelle connu jusqu'alors. Cette évolution du paysage institutionnel français depuis vingt ans est d'autant plus remarquable qu'elle a eu lieu dans un cadre inconstitutionnel inchangé.

B. LA PERMANENCE DU CADRE CONSTITUTIONNEL

1. Un cadre souple

Consacrée par le titre XII de la Constitution, l'existence des collectivités territoriales fait l'objet de quatre articles, dont trois concernent l'outre-mer. Seul l'article 72 traite de l'ensemble des collectivités et définit, par trois alinéas, le principe de l'autonomie locale et les modalités de son contrôle :

« Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les territoires d'outre-mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi.

« Ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi.

« Dans les départements et les territoires, le délégué du Gouvernement a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois. »

Cette rédaction n'a pas été modifiée depuis 1958, le projet de régionalisation de 1969 ayant été repoussé par référendum, tandis que la proposition de loi constitutionnelle déposée en décembre 1979 par l'opposition de l'époque, aux fins de reconnaître l'échelon régional et un pouvoir réglementaire propre aux collectivités locales n'a jamais connu de suite, une fois la gauche au pouvoir.

C'est donc dans ce cadre inchangé depuis 1958, et de plus largement hérité de la Constitution de 1946, qu'a pu s'engager le mouvement de décentralisation. C'est le même cadre constitutionnel qui a vu la fin de la tutelle, la création de la région, le développement de l'intercommunalité et les revendications des particularismes territoriaux.

La permanence de ce cadre juridique s'explique de plusieurs façons ; jusqu'en 1974, la saisine du Conseil constitutionnel est restreinte au Président de la République, au Premier ministre et aux Présidents des assemblées parlementaires ; lorsque le Conseil constitutionnel est saisi, c'est essentiellement à l'initiative du Premier ministre pour faire respecter la distinction entre la loi et le pouvoir réglementaire. Les décisions du Conseil constitutionnel relatives aux collectivités locales sont donc, dans les premiers temps, rares et semblent en outre parfaitement s'accommoder de l'existence d'une tutelle sur les actes des collectivités, comme en témoigne sa décision n° 64-29 L. du 12 mai 1964 : « Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, "la loi détermine les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources" ; qu'il résulte de cette disposition que, si la détermination du domaine de la tutelle administrative qui s'exerce sur les collectivités locales ainsi que sur les établissements publics qui leur sont rattachés relève du domaine de la loi, il appartient au pouvoir réglementaire de répartir, dans les limites ainsi tracées, les attributions de cette tutelle entre les diverses autorités susceptibles de l'exercer ».

La deuxième explication à cette permanence du cadre juridique tient très certainement dans le laconisme de l'article 72 ; la brièveté des dispositions constitutionnelles a contribué à ne pas enfermer le législateur dans des limites trop précises et a permis d'adapter le contenu des libertés locales aux évolutions postérieures ; ainsi que l'a noté Michel Verpeaux, « [la Constitution] confie donc à la loi le soin de définir le contenu concret de la libre administration, au fur et à mesure de ses interventions. De cette manière, la libre administration ne peut être définie que par la somme des lois, chaque loi apportant une pierre supplémentaire à l'_uvre de définition (8)»

Le meilleur exemple que l'on puisse donner de cette plasticité du cadre constitutionnel est l'interprétation qu'a faite le juge constitutionnel de l'alinéa 1er de l'article 72 qui dispose que « toute autre collectivité territoriale est créée par la loi », en autorisant le législateur à créer une catégorie de collectivité ne comprenant qu'une unité et dotée d'un statut spécifique (9). Il parait ainsi possible au législateur de recourir à la création d'une collectivité à statut particulier lorsque le cadre commun applicable aux différentes catégories de collectivités prévues par la Constitution apparaît inadéquat.

Il faut enfin ajouter que le Conseil constitutionnel n'a pas restreint le droit constitutionnel local à la seule interprétation de l'article 72 ; il a fait une lecture combinée de cet article avec d'autres articles de la Constitution : l'article 34, qui dispose que la loi détermine les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources ; l'article 1er, qui pose les principes de l'indivisibilité de la République et de l'égalité devant la loi ; l'article 2, qui proclame que la langue de la République est le français ; l'article 24 qui fait du Sénat le représentant des collectivités locales. L'ensemble de ces dispositions a permis au juge constitutionnel d'élaborer une construction jurisprudentielle visant à concilier des principes apparemment antagonistes. Cette construction jurisprudentielle reste cependant, par nature, incomplète car elle est tributaire de la volonté politique des parlementaires ; ainsi, le Conseil constitutionnel n'ayant pas eu à se prononcer sur la loi du 12 juillet 1999 tendant au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, la portée constitutionnelle de l'intercommunalité reste toujours à déterminer.

En dépit de son caractère incomplet, le droit constitutionnel local est désormais bien établi, à partir des interprétations nombreuses qu'a faites le Conseil constitutionnel des différentes dispositions de la Constitution.

2. La construction d'un droit constitutionnel local

Le principe de libre administration des collectivités locales a ainsi été consacré comme ayant valeur constitutionnelle par une décision de 1979 portant sur la Nouvelle-Calédonie (10; dans plusieurs décisions, le Conseil constitutionnel s'est attaché à préciser ce que recouvrait ce principe, en l'interprétant tout d'abord comme une règle de procédure. Sur le fondement de l'article 34 et du deuxième alinéa de l'article 72, le Conseil constitutionnel a considéré que seule la loi pouvait fixer les conditions et les garanties de la libre administration locale ; il a estimé à ce titre que relevaient de la compétence de la loi la définition des ressources (11), le statut des personnels (12) et la détermination des limites à l'intérieur desquelles les collectivités peuvent elles-mêmes fixer le taux d'imposition (13). C'est à la loi également de définir les compétences respectives de l'État et des collectivités territoriales (14) ou encore de définir les règles d'adoption du budget (15). La jurisprudence du Conseil constitutionnel est abondante et a, de plus, été maintes fois confortée par le juge administratif (16.

Après avoir affirmé la compétence du législateur pour tout ce qui touche aux libertés locales, le juge constitutionnel a ensuite cherché à encadrer ce pouvoir législatif ; faisant incontestablement _uvre créatrice, le Conseil estime qu'il lui appartient de déterminer le contenu de la libre administration des collectivités locales en protégeant ce principe contre un arbitraire supposé du législateur ; il a ainsi considéré que l'article 72 de la Constitution interdit au législateur d'instituer une tutelle d'une collectivité sur une autre (17) et lui fait, en revanche, obligation de créer des collectivités disposant d'attributions effectives (18). Le principe de libre administration des collectivités locales s'oppose également à ce que soit imposée par le législateur la publicité des séances de la commission permanente de ces collectivités.

Ainsi, au fil des décisions, le Conseil constitutionnel a dégagé des critères qui permettent de mieux appréhender la portée concrète de l'article 72 : il apparaît en fait que le législateur peut imposer des sujétions aux collectivités territoriales, mais à condition « qu'elles ne méconnaissent pas leur compétence propre [...], qu'elles n'entravent pas leur libre administration et qu'elles soient définies de façon suffisamment précises quant à leur objet et à leur portée (19) », et également « qu'elles répondent à des exigences constitutionnelles ou concourent à des fins d'intérêt général (20) ».

L'interprétation qu'a faite le juge constitutionnel de la Constitution de 1958 a incontestablement permis de reconnaître la décentralisation comme une évolution irréversible de l'organisation territoriale française. Cependant, face aux initiatives locales qui se multiplient, à une construction européenne qui mise de plus en plus sur l'échelon local et aux tentatives de l'État de recentraliser les compétences locales, force est de constater aujourd'hui que le tuteur constitutionnel est désormais trop court. La plasticité du cadre a atteint ses limites et parait aujourd'hui approcher son point de rupture.

II. - LA MISE EN PLACE D'UNE NOUVELLE ÉTAPE DE LA DÉCENTRALISATION EXIGE UNE RÉVISION DE LA LOI FONDAMENTALE

A. UN MODÈLE À BOUT DE SOUFFLE

1. Les limites des lois de décentralisation

La loi du 2 mars 1982 annonçait dans son article 1er qu'elle serait suivie d'autres lois ; de fait, le régime applicable aux collectivités locales a très fortement évolué en vingt ans et il serait impossible de citer les multiples réformes qui sont venues compléter un droit déjà très complexe ; mentionnons simplement les grandes étapes, avec la loi du 31 décembre 1982 sur l'organisation administrative de Paris, Marseille et Lyon, les deux lois du 7 janvier 1983 et du 22 juillet 1983 relatives aux transferts de compétences, la loi du 26 janvier 1984 sur les dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, la loi du 30 décembre 1985 sur le cumul des mandats nationaux et locaux, la loi du 5 janvier 1988 relative à l'amélioration de la décentralisation, la loi du 6 février 1992 d'orientation relative à l'administration territoriale de la République, la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995, puis la loi du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale et la loi du 27 février 2002 sur la démocratie de proximité. Encore faut-il noter que cette fastidieuse énumération ignore les multiples réformes ayant modifié le régime des collectivités outre-mer.

Le droit des collectivités locales est désormais un droit complexe, voire confus ; la juxtaposition législative s'est faite au détriment de la clarté et de l'intelligibilité et la codification de ce droit en 1996, dans un code général des collectivités territoriales, n'a pas réellement permis d'apporter un remède à cette inflation.

Pour complexe qu'elle soit, la profusion législative a néanmoins tenté de répondre aux attentes des élus locaux et de la population ; la pratique du referendum consultatif local, la mise en commun des compétences par la voie de l'intercommunalité, l'instauration de conseils d'arrondissement dans les grandes villes, la reconnaissance de la notion de pays sont autant d'acquis précieux qui ont permis de faire évoluer la décentralisation.

Il apparaît néanmoins que la voie de la réforme législative a ses limites et qu'elle ne permet plus de répondre correctement aux revendications croissantes des acteurs locaux : il est incontestable que, pour le grand public, la question de la pertinence du modèle décentralisé à la française est apparue au moment du « relevé de conclusions » établi le 20 juillet 2000 à l'issue du processus de Matignon sur l'avenir de la Corse ; quel pouvait être le degré de différenciation reconnu à une région en fonction de ses spécificités ? En quoi ce processus était-il susceptible de remettre en cause l'unité de la République ? En fait, la question n'était pas nouvelle puisque des régimes différenciés préexistaient déjà avant l'irruption de la question corse dans le débat public. L'existence d'un droit local en Alsace-Moselle ou même l'adoption d'un régime différencié pour Paris, Marseille ou Lyon témoignent très concrètement de cette diversité.

Pour autant, la question corse a véritablement mis à jour le carcan constitutionnel dans lequel sont enfermées les initiatives locales ; il était déjà apparu outre-mer en 1982 lorsque le Conseil constitutionnel avait refusé de tenir compte des spécificités des départements d'outre-mer pour autoriser dans ces départements une assemblée unique. Mais c'est bien en 2000 que les Français ont réalisé que la Constitution présentait une réelle rigidité, s'agissant notamment de revendications simples telles que la réunification de deux départements et d'une région en une seule collectivité (21).

Cette prise de conscience a eu lieu au moment même où le rôle de l'État était de plus en plus contesté ; le modèle de décentralisation à la française a en effet perdu en vingt ans de sa pertinence, face à un double mouvement opéré par l'État, consistant à « recentraliser » le fonctionnement des collectivités locales, tout en accroissant dans le même temps les charges pesant sur elles.

Le retour de balancier, quinze ans après les lois de décentralisation, a principalement affecté les finances locales : la suppression de la part salariale des bases de taxe professionnelle, de la part régionale de la taxe d'habitation, de la taxe différentielle sur les véhicules à moteur, pour les particuliers, de la taxe régionale additionnelle aux droits de mutation à titre onéreux ainsi que l'abaissement, puis le plafonnement du tarif du droit de mutation à titre onéreux sont autant de mesures qui ont fortement affaibli les marges de man_uvre dont jouissaient les collectivités locales. Elles menacent, en outre, à terme, les équilibres budgétaires des collectivités dans la mesure où la prise en charge par l'État d'une part croissante de la fiscalité locale s'est faite principalement par le biais de compensations d'exonérations, et non par des dégrèvements : alors que ces derniers assurent une totale neutralité pour la collectivité puisqu'ils consistent à faire prendre en charge par l'État le montant de l'impôt local, la compensation d'exonération s'analyse comme un dédommagement, calculé par rapport à une année de référence et indexé plus ou moins justement pour les années suivantes.

Parallèlement à cette « recentralisation » des finances locales, l'État s'est attaché à maîtriser la croissance des concours financiers aux collectivités, en enserrant la progression des dotations dans une enveloppe budgétaire dont la progression est elle même régie par des critères d'indexation précis. Dénommé contrat de croissance et de solidarité, ce mécanisme apparaît de prime abord favorable aux collectivités puisque il est indexé, depuis la loi de finances pour 1999, sur un tiers de l'indice de croissance du PIB ; toutefois, chaque dotation évoluant selon ses propres critères, le « bouclage » de l'enveloppe n'est assuré que par le choix d'une variable d'ajustement, en l'occurrence la dotation de compensation de la taxe professionnelle, dont l'évolution à la hausse ou à la baisse répond à des impératifs qui n'ont plus rien à voir avec l'objectif initial de compensation de la taxe professionnelle (22). En outre, le montant du contrat de croissance et de solidarité varie en fonction de critères d'indexation proposés par le Gouvernement et validés d'année en année par le Parlement. Ils peuvent, à tout moment, être remis en question, au gré des nécessités budgétaires de l'État.

C'est donc sous cette menace budgétaire et avec ces marges réduites de financement que les collectivités ont dû, dans le même temps, faire face à des accroissements de charges importants ; l'État a en effet cherché à réduire son déficit par une politique de transferts de compétences, sans accorder l'équivalent en terme de ressources. Analysant ainsi, compétence par compétence, le poids de ces transferts, le rapport précité du Conseil économique et social a permis de montrer que les collectivités territoriales ont dû faire face à des retards d'investissements importants, notamment en matière de lycées et de collèges, sans que les montants de la dotation départementale d'équipement des collèges ou de la dotation régionale d'équipement ne tiennent compte de ces besoins. Il est bien évident que l'état déplorable de ses établissements n'a pu être amélioré que grâce à une mobilisation massive des collectivités locales.

La loi du 3 mai 1996 relative aux services d'incendie et de secours et, plus récemment, la loi du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie ont également contribué à peser lourdement sur les budgets des collectivités locales, qui ont dû, pour faire face à ces charges nouvelles, augmenter la fiscalité locale. Le rapport de l'Observatoire des finances locales pour 2002 souligne ainsi que les départements ont prévu un financement de 1,866 milliard d'euros destiné à l'allocation personnalisée d'autonomie, nécessitant, pour 68 départements, une hausse substantielle de la fiscalité directe (23).

Les transferts de compétence ont parfois également pris la forme plus insidieuse de la contractualisation, l'État, par le biais des contrats de plan État-régions, s'étant dégagé progressivement, dans des domaines qui pourtant lui reviennent, de dépenses lourdes touchant notamment au financement de la voirie ou aux constructions universitaires : pour les autoroutes, le rapport du Conseil économique et social révèle que l'État avait prévu dans son budget pour 2000 de financer l'entretien du réseau routier non concédé à hauteur de 3,4 milliards d'euros, le reste, soit 4 milliards, étant financé par des fonds de concours provenant en majorité des régions et, dans une moindre mesure, des départements ; s'agissant du programme Université 2000, les régions ont été appelées à financer 50 % d'un programme évalué au total à 5,03 milliards d'euros.

Précisons également qu'à ces transferts de compétence sont venus s'ajouter des charges nouvelles imposées par l'État, induites par des réglementations toujours plus contraignantes, que ce soit dans des domaines techniques, tels que la prévention et la lutte contre la pollution, ou dans celui de la gestion du personnel territorial, dont les évolutions sont strictement dépendantes du statut de la fonction publique de l'État. Ainsi, l'application de la nouvelle durée du temps de travail, imposée aux collectivités locales sans réelle concertation, a lourdement pesé dans les budgets locaux, les charges de personnel ayant augmenté de 6,1 % entre 2001 et 2002.

Il est donc désormais incontestable que la décennie quatre-vingt-dix a connu les plus graves atteintes aux principes de la décentralisation. Le constat est partagé par tous, qu'il s'agisse de la Cour des comptes, qui en a fait état dans son rapport sur l'exécution de la loi de finances pour 2000, du Conseil économique et social, des sénateurs (24) et même du Premier ministre à l'origine des lois de décentralisation de 1982 (25).

C'est pourtant cette même décennie qui a vu, dans un mouvement inverse, une accélération des libertés locales chez nos voisins européens (26).

2. L'aspiration européenne

En Irlande, le « local government act » de 1991 a permis de confier aux collectivités locales une compétence générale, assortie d'importants pouvoirs, pour mener toute action d'intérêt local. En outre, des autorités régionales ont été mises en place en 1994 ; en Grèce, la loi du 13 juin 1994 a transformé les départements jusqu'alors administrés par l'État en collectivités territoriales ; dans les pays nordiques, déjà très décentralisés, d'importants transferts de compétences ont eu lieu au profit des communes. Plusieurs expérimentations sont en cours ou ont eu lieu au Portugal et en Suède pour expérimenter un système de régions comparables aux Länder allemands ; la Finlande a constitué un niveau régional, sans qu'il s'agisse toutefois d'une véritable collectivité. La Belgique est devenue un État fédéré doté de deux niveaux de collectivités, les régions et les communautés. L'Écosse se voit désormais dotée d'un parlement élu, dont les responsabilités toucheront à des secteurs clés, tels que l'éducation, la santé et le logement, les seuls secteurs totalement exclus étant les affaires de défense et la politique extérieure. C'est en Espagne et en Italie que les mesures en faveur des collectivités de niveau régional ont connu la plus grande ampleur, avec l'extension des champs de compétences, l'octroi d'un pouvoir législatif et le renforcement de l'autonomie locale.

Seul le Royaume-Uni, à l'exception de l'Écosse, a opéré a contrario un mouvement de « recentralisation », avec le transfert de nombreuses compétences locales à des organismes publics ou para-publics.

Toutes ces réformes ont été inspirées par la recherche d'une plus grande efficacité des politiques publiques, en favorisant l'émergence de territoires compétitifs au niveau européen. La construction européenne a, en effet, fortement modifié la perception de l'échelon local par les États et les citoyens ; cette construction repose certes sur les États, mais la politique communautaire exerce également une influence déterminante dans les domaines des marchés publics, des aides économiques ou de l'environnement, autant de secteurs qui intéressent de près l'échelon local. En outre, les collectivités locales ont vu leur existence progressivement reconnue au sein des institutions européennes, que ce soit par le biais du Comité des régions, institué par le Traité de Maastricht en 1991, ou par celui du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe, organe consultatif du Conseil de l'Europe créé en 1994. C'est, en outre, au sein du Conseil de l'Europe qu'a été élaborée la Charte européenne de l'autonomie locale, qui affirme le principe de l'autonomie locale comme « le droit et la capacité effective des collectivités locales de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, sous leur propre responsabilité et au profit de leurs populations, une part importante des affaires publiques ». La France a signé cette charte, entrée en vigueur le 1er septembre 1988, mais ne l'a pas ratifiée.

Surtout, le Traité de Maastricht de 1991 affirme comme fondement de la construction européenne le principe de subsidiarité. Ce principe ne concerne en théorie que les relations entre la Communauté et les États membres ; cependant, le préambule du Traité, qui affirme qu'est recherchée « une Union dans laquelle les décisions sont prises le plus près possible des citoyens » en donne une conception exigeante et très favorable à l'initiative locale, en organisant les compétences selon la proximité des lieux de pouvoir avec les citoyens.

La reconnaissance du niveau local par les instances européennes a conduit les acteurs locaux, et principalement régionaux, à être présents à Bruxelles pour mieux s'informer et mieux informer ; presque toutes les régions françaises y disposent désormais de bureaux de représentation permanents. On est encore loin toutefois des États fédérés, qui se voient parfois représenter au sein des instances européennes par l'échelon régional, lorsque la négociation porte sur un domaine qui lui est propre.

Dans ce contexte européen, les régions françaises doivent désormais rivaliser avec les Länder allemands, les autonomies espagnoles ou les régions italiennes. La prise en compte de l'échelon local au niveau européen a indéniablement suscité des interrogations sur la capacité du modèle français à proposer des solutions d'avenir ; la Constitution de 1958 est apparue à cet égard insuffisamment protectrice de l'initiative locale.

B. UN CADRE CONSTITUTIONNEL À SON POINT DE RUPTURE

1. Une conciliation difficile du principe de libre administration avec les autres principes constitutionnels

L'élasticité de la Constitution de 1958 doit beaucoup à la construction jurisprudentielle du juge constitutionnel ; il paraît toutefois désormais difficile d'aller plus avant dans le processus de décentralisation sans modification de la loi fondamentale.

Le principe de libre administration des collectivités locales se heurte, en effet, à d'autres principes constitutionnels, que le juge s'efforce de concilier au mieux. L'analyse de sa jurisprudence montre toutefois qu'il a toujours entendu faire prévaloir les principes d'indivisibilité de la République, d'unité de la souveraineté et d'égalité, au détriment de l'article 72 de la Constitution.

La relation entre le principe d'indivisibilité de la République, affirmée à l'article 1er, et l'article 72 sur la libre administration des collectivités locales a été affirmée très explicitement par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 25 février 1982 : après avoir rappelé les deux alinéas de l'article 72, le Conseil précise le nécessaire respect « de règles supérieures de droit par lesquelles la Constitution adoptée par le peuple français a proclamé l'indivisibilité de la République, affirmé l'intégrité du territoire et fixé l'organisation des pouvoirs publics ». Il faut ajouter que le Conseil constitutionnel a associé à ce principe d'indivisibilité celui du contrôle exercé par le représentant de l'État, affirmé au troisième alinéa de l'article 72.

En application de ce principe, le Conseil constitutionnel a considéré que la référence au peuple français avait valeur constitutionnelle, et que ce peuple était indivisible car composé de tous les citoyens français sans distinction d'origine, de race ou de religion. Il a, en conséquence, annulé la référence au « peuple corse » faite à l'article 1er de la loi du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de Corse.

Le même principe d'indivisibilité de la République a également conduit le Conseil constitutionnel à déclarer contraire à la Constitution la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, élaborée dans le cadre du Conseil de l'Europe ; le Conseil a considéré que cette charte reconnaissait un droit à une langue officielle pour des communautés de toute nature, ce qui était contraire au principe de l'unicité du peuple français.

Le principe de souveraineté se traduit, quant à lui, par l'interdiction faite au législateur de déléguer ses compétences ; le Conseil constitutionnel a ainsi estimé « qu'en ouvrant au législateur, fût-ce à titre expérimental, dérogatoire et limité dans le temps, la possibilité d'autoriser la collectivité territoriale de Corse à prendre des mesures relevant du domaine de la loi, la loi déférée [était] intervenue dans un domaine qui ne relève que de la Constitution (27) ».

Enfin, le principe d'égalité a prévalu sur celui de la libre administration des collectivités locales lorsque le Conseil constitutionnel a estimé qu'étaient en jeu les conditions d'exercice d'une liberté publique, celle-ci ne pouvant en aucun cas différer au gré des décisions des collectivités territoriales (28).

S'agissant de domaines autres que ceux touchant aux libertés publiques ou aux droits fondamentaux, le Conseil constitutionnel a admis que puissent être appliquées des politiques différentes à des situations locales différentes, en reconnaissant que l'échelon local était parfois plus adapté que l'échelon central ; il a ainsi considéré que « le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce qu'à des situations différentes soient appliquées des règles différentes ; que la loi pouvait donc, pour la protection d'intérêts généraux, tels que la sauvegarde des sites et des milieux naturels qui ne peut être assurée qu'a partir d'appréciations concrètes, confier sa mise en oeuvre à des autorités administratives locales » (29).

Néanmoins, cette entorse au principe d'égalité reste très strictement encadrée : la mesure discriminatoire doit répondre à un objectif d'intérêt général, en rapport avec l'objet de la législation qui justifie cette dérogation. Dans le domaine fiscal, cela se traduit notamment par la nécessité que l'octroi d'avantages repose « sur des critères objectifs et rationnels, en fonction des buts » que le législateur se propose d'atteindre (30). Si cette jurisprudence, inspirée par le pragmatisme, a le mérite de reconnaître la diversité territoriale, elle conduit cependant à nier le principe de l'initiative locale ; les initiatives locales ne sont admises que si elles s'intègrent dans une politique menée à l'échelon national et décidée par le législateur. On pourrait parfaitement soutenir au contraire que la politique des discriminations territoriales puisse être un instrument de restructuration des territoires locaux qui permettrait de donner aux élus de véritables pouvoirs en matière économique et sociale. Il s'agirait ainsi de donner une légitimité démocratique à l'interventionnisme local, encore trop souvent utilisé par l'État au service d'un intérêt général qu'il a lui-même défini (31). Réduites à leur plus simple expression, les capacités d'initiative locale se limitent, en conséquence, au droit pour les collectivités locales de fixer le taux des impôts locaux dans les conditions déterminées par la loi, de décider d'éventuels abattements ou exonérations et de recourir, pour les communes essentiellement, à un certain nombre de taxes facultatives.

2. Une jurisprudence insuffisamment protectrice des libertés locales

C'est précisément dans le domaine de la fiscalité que le Conseil constitutionnel n'a pas donné de la norme suprême une interprétation susceptible d'endiguer le mouvement de recentralisation opéré dans les années quatre-vingt dix. Ainsi, le juge s'est toujours contenté de rappeler qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, c'est au législateur qu'il appartient de fixer les règles relatives aux impositions de toute nature et de déterminer les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources. Le Conseil constitutionnel a simplement précisé que le législateur ne saurait diminuer les ressources globales des collectivités locales ou réduire la part des recettes fiscales dans ces ressources « au point d'entraver leur libre administration (32) », mais il n'a, à ce jour, invalidé aucune loi supprimant une recette fiscale locale ou amputant les ressources. Comme le note un observateur attentif de la jurisprudence constitutionnelle, « il n'existe pas de règle de valeur constitutionnelle obligeant l'État à compenser " au franc le franc " une mesure d'exonération d'impôt local, pas plus d'ailleurs qu'un transfert de compétences. (33) »

En fait, le Conseil constitutionnel n'a que très rarement fait appel au principe de libre administration des collectivités locales énoncé à l'article 72 pour censurer des dispositions législatives : il a ainsi été amené à déclarer contraires à la Constitution certaines dispositions de la loi relative à la fonction publique territoriale qui privaient les collectivités du droit de procéder librement à la nomination de leurs agents (34) en affirmant clairement que la liberté de décision et de gestion des collectivités en matière de personnel était inhérente à la libre administration. De même, il a affirmé le principe de la liberté contractuelle des collectivités, en censurant une disposition de la loi relative à la prévention de la corruption limitant les possibilités de prolongation d'une délégation de service public (35; il a également censuré une disposition imposant la publicité des séances des commissions permanentes, « plutôt que de laisser au règlement intérieur du conseil régional le soin de déterminer cette règle de fonctionnement » (36). Enfin, il a considéré que méconnaissait le principe de libre administration un mécanisme institué dans la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, sanctionnant les collectivités qui n'auraient pas respecté les obligations mises à leur charge en matière de logements sociaux (37).

Ces quatre décisions, pour importantes qu'elles soient, contrastent avec le nombre de saisines invoquant le principe de libre administration à l'appui d'un recours ; ce simple constat confirme qu'il existe indéniablement une hiérarchie établie par le Conseil constitutionnel entre les différents principes à valeur constitutionnelle, et que cette hiérarchie correspond à la logique d'un État unitaire ; force est cependant de constater qu'une telle jurisprudence a favorisé l'uniformité et le centralisme, au détriment de la reconnaissance des spécificités locales.

Dans un objectif de modernisation de l'organisation territoriale, le projet de loi de révision constitutionnelle s'attache à reconnaître l'action des collectivités locales en mettant en place une nouvelle architecture des pouvoirs.

III. - LE PROJET DE LOI PROPOSE UN NOUVEL ÉQUILIBRE CONSTITUTIONNEL ENTRE LES PRINCIPES D'ÉGALITÉ ET D'UNITÉ ET LES LIBERTÉS LOCALES

A. LA DÉMARCHE DU GOUVERNEMENT : UNE RÉFORME GLOBALE À L'ÉCOUTE DES ACTEURS LOCAUX

Le présent projet de loi de révision constitutionnelle s'inscrit dans une démarche de grande ampleur visant à terme une réforme globale de l'organisation territoriale et administrative de l'État.

L'examen du projet de loi est ainsi concomitant avec les Assises des collectivités locales, qui ont pour objet de faire émerger les souhaits des collectivités territoriales en matière de décentralisation. Des Assises nationales devraient, au mois de janvier 2003, établir une synthèse des Assises régionales, puis, à l'issue de ce processus de concertation, un projet de loi organique portant application des dispositions constitutionnelles sera présenté au Sénat, suivi peu après d'un premier projet de loi ordinaire de transferts de compétences et d'expérimentation.

Ainsi, cette nouvelle étape de la décentralisation est laissée à l'initiative des collectivités locales et n'est pas « octroyée » comme cela avait été le cas en 1982. En outre, en donnant un fondement constitutionnel à la décentralisation, le Gouvernement entend inscrire cette réforme dans la durée et prévenir l'essoufflement du mouvement décentralisateur constaté dans les années quatre-vingt dix, faute d'une base normative suffisamment solide.

Le processus de décentralisation sera accompagné, comme l'a annoncé le ministre délégué aux libertés locales devant la commission des Lois du Sénat, d'une réorganisation de l'État ; « si l'État central ne change pas, la décentralisation perd l'essentiel de sa vertu » écrivait Michel Crozier en 1992 ; la décentralisation ne peut en effet réussir que si elle s'accompagne des réformes de structures au niveau central, ne serait ce que pour éviter les doublons de compétences induits.

Le processus de décentralisation sera également accompagné d'une réforme des finances locales ; le financement des collectivités locales par la voie des dotations constitue, en effet, comme on l'a vu, une atteinte majeure au principe de l'autonomie financière des collectivités locales, principe qui sera désormais affirmé à l'article 72-2 de la Constitution ; les conditions d'indexation de ces dotations, et plus globalement le calcul de leur montant, échappent totalement aux collectivités locales. La voie de la réforme passe indubitablement par une réforme de la fiscalité locale qui permettrait d'asseoir les impôts locaux sur une base dynamique. L'audition du ministre de l'Intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales lors de l'examen des crédits de son ministère a permis de dévoiler plusieurs pistes de réflexion, dont l'une, fort prometteuse, consisterait à déléguer une partie de la fixation des taux de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, dans le cadre d'une éventuelle délégation de compétences de la voirie nationale.

Ce faisant, le projet de loi présenté par le Gouvernement propose, conformément au souhait émis par le Président de la République lors de la campagne présidentielle, un modèle novateur « entre l'étatisme jacobin et un fédéralisme importé ».

B. UN MODÈLE NOVATEUR D'ORGANISATION INSTITUTIONNELLE

1. Le projet de loi de révision constitutionnelle

Le projet de loi de révision constitutionnelle reconnaît l'organisation décentralisée de la République et en tire les conséquences sur la répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales. Ce faisant, le Gouvernement a choisi une voie originale, qui ne correspond à aucun modèle existant en Europe, puisqu'il ne s'agit ni d'un État fédéral, ni même d'un État « régionalisé » : les États fédéraux se caractérisent en effet par une présence marquée des États fédérés, qui disposent d'un pouvoir d'organisation interne, assurent le contrôle administratif et budgétaire et participent au financement des collectivités territoriales. Leurs compétences sont déterminées dans la loi fondamentale et les conflits inhérents au partage de ces compétences sont réglés par une juridiction indépendante, gardienne et interprète de la Constitution. Les États régionalisés, comme l'Espagne ou l'Italie, reconnaissent aux régions un pouvoir législatif exclusif dans toutes les matières ne relevant pas expressément de la compétence de l'État.

En affirmant le caractère décentralisé de l'organisation territoriale, la révision constitutionnelle maintient pour sa part l'existence d'un centre, à partir duquel les autorités publiques décident de dé-centraliser ; néanmoins, inscrit dans la Constitution, ce mouvement acquiert un caractère désormais irréversible. Figurant à l'article premier de la Constitution, ce principe permet de conférer à la décentralisation le même rang constitutionnel que le principe d'égalité ou celui d'indivisibilité.

Ce principe d'organisation décentralisée reçoit une application très directe à l'article 4 de la révision constitutionnelle, modifiant l'article 72, qui affirme le principe de subsidiarité comme mode d'élaboration de la décision administrative : les collectivités territoriales ont ainsi vocation à acquérir l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être exercées à l'échelle de leur ressort. En outre, dans l'exercice de ces compétences, le cinquième alinéa de l'article 4 prévoit la possibilité d'une collaboration entre plusieurs échelons territoriaux, le législateur ayant la faculté de confier à une collectivité chef de file le soin de définir les modalités de l'action menée conjointement.

Le projet de loi consacre, toujours dans ce même article 4, l'existence des régions, qui se trouvent désormais inscrites au rang des collectivités territoriales, au même titre que les départements et les communes. Il reste, en revanche, muet sur les structures intercommunales, qui ne disposent pas d'une compétence générale et ne sont que le prolongement des communes, mais l'évolution vers la reconnaissance d'un tel statut reste possible puisque la loi pourra, comme c'est déjà le cas actuellement, créer de nouvelles catégories de collectivités territoriales. Il est, en outre, explicitement reconnu la possibilité de créer une catégorie de collectivité ne comportant qu'une unité, dénommée collectivité à statut particulier. Le projet proposé par le Gouvernement permet également de mettre fin à la rigidité du texte actuel, qui avait été interprété comme faisant obstacle à ce qu'une collectivité unique créée par le législateur puisse se voir transférer une part substantielle des attributions normalement exercées par les collectivités expressément mentionnées par cet article, et a fortiori, se substitue à l'une ou l'autre de ces collectivités.

Le projet de loi innove également en prévoyant, à l'article 2 pour l'État et à l'article 4 pour les collectivités locales, un droit à l'expérimentation ; il est ainsi reconnu la faculté de mettre en _uvre des politiques publiques sur une portion du territoire, d'en apprécier la validité puis de l'étendre à l'ensemble du pays. Pour les collectivités locales, ce nouveau droit d'expérimentation permettra de déroger à des dispositions législatives ou réglementaires, à l'exception des domaines touchant aux libertés publiques ou à des droits constitutionnellement garantis.

Le dernier alinéa de l'article 72 de la Constitution confirme le rôle du représentant de l'État, qui conserve la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois. Son autorité se trouve renforcée, le texte précisant qu'il représente chacun des membres du Gouvernement dans le ressort des collectivités territoriales.

Afin de permettre aux collectivités d'exercer leurs compétences de façon adéquate, leur pouvoir réglementaire acquiert une valeur constitutionnelle, à l'article 4 du projet ; en outre, le principe de la garantie de leurs ressources et de leur libre disposition est reconnu à l'article 6 du projet, qui crée à cette fin un nouvel article 72-2 dans la Constitution. Les collectivités locales se verront garantir le droit de recevoir le produit d'impositions et d'en fixer elles mêmes le taux et l'assiette, dans les conditions définies par le législateur. Les recettes fiscales, les autres ressources propres des collectivités et les dotations qu'elles reçoivent d'autres collectivités territoriales devront représenter une part déterminante de l'ensemble des ressources, ceci afin de faire pièce aux tentatives de recentralisation des ressources que n'a pu éviter le Conseil constitutionnel faute de dispositions explicites dans la Constitution. Une loi organique devra déterminer les conditions de mise en _uvre de cette autonomie financière.

Le projet de loi approfondit la décentralisation en mettant en place de nouveaux moyens d'expression directe des citoyens. Il propose ainsi, dans un article 5, d'inscrire dans un nouvel article 72-1 de la Constitution, le droit pour les collectivités locales d'organiser des referendums à caractère décisionnel, et non plus simplement consultatif, sur des questions relevant de leurs compétences. Un droit de pétition est également reconnu aux électeurs afin de faire inscrire à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante de leur collectivité une question relevant de sa compétence.

Enfin, le projet de loi de révision constitutionnelle instaure une nouvelle procédure en conférant au Sénat la priorité d'examen pour les projets de loi ayant pour principal objet la libre administration des collectivités territoriales, leurs compétences ou leurs ressources.

2. L'examen du projet de loi de révision constitutionnelle par le Sénat

Adopté le 6 novembre dernier, le projet de loi de révision constitutionnelle a nécessité plus de cinq jours de débat et fait l'objet de près de 200 amendements.

En dépit de la longueur des débats, le texte finalement retenu ne sort pas profondément modifié des discussions sénatoriales : le Sénat a simplement souhaité, à l'article 2 portant sur l'expérimentation, en préciser les modalités.

A l'article 4, qui propose une nouvelle rédaction de l'article 72, le Sénat a apporté une précision rédactionnelle permettant de lever une ambiguïté sur l'obligation ou non de supprimer des collectivités existantes lorsque est créé une collectivité à statut particulier. Ces collectivités à statut particulier voient, en outre, leur existence explicitement reconnue par la Constitution, puisqu'elles figurent désormais dans l'énumération faite au premier alinéa de l'article 72. Le Sénat a souhaité également que soit inscrit dans la loi fondamentale le principe de l'interdiction d'une tutelle d'une collectivité sur une autre, ce principe faisant pendant au principe reconnu de la notion de collectivité « chef de file » sur un projet. S'agissant de l'expérimentation au niveau des collectivités locales, le Sénat a supprimé l'interdiction qu'elle puisse porter sur un droit constitutionnellement garanti ; il a en outre ouvert ce droit à l'expérimentation aux groupements de collectivités.

Les mécanismes de démocratie locale, prévus à l'article 5, sont davantage encadrés puisque le Sénat a adopté un amendement limitant le droit de pétition au pouvoir de demander l'inscription d'une question à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante. Le droit de pétition perd donc son caractère automatique puisque le projet initial permettait d'obtenir, et non simplement de demander, cette inscription.

L'article 6 a été entièrement réécrit, à l'initiative du Gouvernement, afin de préciser la notion d'autonomie financière ; si la notion de ressources déterminantes a été maintenue pour définir le concept d'autonomie financière, elle n'inclut plus les dotations issues d'autres collectivités locales et ne concerne désormais que les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités. De plus, le texte adopté par le Sénat précise désormais explicitement que toute nouvelle compétence est accompagnée de ressources. L'obligation de péréquation a été réécrite et recouvre désormais une acception plus large puisque la péréquation est destinée à compenser des inégalités entre collectivités territoriales, qu'il s'agisse des inégalités de ressources ou de charges.

Enfin, un amendement présenté par M. Christian Cointat, à l'article 3, a étendu la procédure de dépôt prioritaire au Sénat de tous les projets de loi relatifs aux instances représentatives des Français de l'étranger.

3. La proposition de loi constitutionnelle présentée par le groupe UDF

Déposée le 9 octobre 2002, la proposition de loi constitutionnelle relative à l'exercice des libertés locales présentée par le groupe UDF (38) répond au même objectif que le projet de loi, en inscrivant dans la Constitution les conditions préalables à la mise en _uvre d'une nouvelle étape de la décentralisation. La proposition de loi définit ainsi l'objectif d'une clarification des compétences, qui repose sur le principe de subsidiarité ; la possibilité d'une coopération souple entre collectivités est autorisée avec la désignation d'une collectivité pilote sur un projet, ce principe devant cependant se concilier avec celui de l'interdiction pour une collectivité d'exercer une tutelle sur une autre.

La libre administration des collectivités territoriales est garantie par le principe de l'autonomie financière et fiscale ; la Cour des comptes est chargée de remettre chaque année un rapport au Parlement évaluant les conditions dans lesquelles cette autonomie est garantie. En outre, les lois relatives aux collectivités locales sont adoptées selon la même procédure que les lois organiques.

Afin de tenir compte des spécificités locales, les collectivités territoriales disposent d'un droit à l'expérimentation ; elles peuvent ainsi être habilitées par le législateur à fixer des règles adaptées aux spécificités locales, excepté l'exercice d'une liberté individuelle ou un droit fondamental est en cause.

Enfin, la démocratie locale est renforcée par l'inscription dans la Constitution de procédures de consultation et d'information des citoyens.

La proposition de loi constitutionnelle est en définitive très proche de la rédaction du projet de loi ; elle s'inspire du même principe de libre administration des collectivités locales et propose, à peu de choses près, les mêmes moyens de la garantir. Il faut se féliciter qu'un consensus se dégage pour confier aux élus locaux davantage de responsabilités dans un cadre constitutionnel rénové ; en revanche, deux dispositions figurant dans la proposition de loi constitutionnelle ne paraissent pas pouvoir être reprises en l'état ; il s'agit de deux articles concernant le mode de scrutin et le cumul d'une fonction ministérielle avec un mandat local, dont l'objet est étranger à la décentralisation.

DEUXIÈME PARTIE

LA REFONTE DU PAYSAGE INSTITUTIONNEL
DE L'OUTRE
-MER

La Constitution de 1958, comme celle qui la précédait, n'a initialement prévu que deux types de statut pour la France d'outre-mer, celui de département d'outre-mer régi par l'article 73 et celui de territoire d'outre-mer défini à l'article 74. Ce bel ordonnancement binaire a été progressivement remis en cause avec l'apparition de collectivités à statut particulier. Les collectivités territoriales sui generis de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon, au régime juridique hybride, ont été créés par le législateur sur la base de l'article 72 de la Constitution, tandis que la Nouvelle-Calédonie est sortie de la catégorie de territoire d'outre-mer pour devenir une collectivité originale régie par un titre constitutionnel spécifique. Les statuts définis pour les DOM comme pour les TOM ont atteint leurs limites et ne répondent plus à l'ensemble des aspirations exprimées outre-mer.

Le projet de loi constitutionnelle permet de refondre le cadre constitutionnel de l'outre-mer, afin de le simplifier et de l'assouplir pour répondre aux besoins spécifiques de chaque collectivité.

I. - LE CADRE CONSTITUTIONNEL EST DEVENU TROP ÉTROIT POUR RENDRE COMPTE DE LA DIVERSITÉ INSTITUTIONNELLE DE L'OUTRE-MER

A. UN DUALISME DOM-TOM AUJOURD'HUI DÉPASSÉ

1. Les catégories juridiques héritées de 1946

Le Constituant de 1946 s'est efforcé d'organiser les relations de la République avec l'outre-mer sur des bases nouvelles faisant disparaître toute trace de colonialisme. Le préambule de La Constitution du 27 octobre 1946 proclame solennellement l'égalité des peuples, tandis que son titre VIII crée un nouvel édifice destiné à remplacer les anciennes structures de l'Empire : l'Union française. Celle-ci est formée, d'une part, de la République française, composée de la France métropolitaine et des départements et territoires d'outre-mer, et, d'autre part, des territoires et États associés(39). La Constitution définit des catégories abstraites, sans classer les différents territoires parmi ces catégories. Dans l'esprit des constituants, les départements d'outre-mer regroupent les quatre vieilles colonies : la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion, déjà érigées en départements français par la loi du 19 mars 1946 ; les territoires d'outre-mer comprennent les autres colonies (40).

a) Les départements d'outre-mer ou la toute-puissance du modèle assimilationniste

· La loi de départementalisation du 14 mars 1946 représente la concrétisation d'une demande ancienne de la part des quatre colonies françaises d'Amérique (Guadeloupe, Martinique, Guyane) et de l'océan Indien (la Réunion).

« Les colonies de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française sont érigées en départements français ». La rigueur toute juridique de l'article 1er de la loi du 14 mars 1946, votée à l'unanimité par l'Assemblée constituante, ne doit pas tromper. Dans ces quatre territoires, qui sont, en 1946, les plus vieilles colonies françaises, la revendication d'assimilation est une constante depuis le début du XIXe siècle.

Elle trouve d'abord sa source dans le contexte de l'Ancien Régime : c'est avec la promesse qu'il n'y aurait aucune différence de traitement entre les habitants de la métropole et les hommes libres de chacune des colonies que la monarchie impose sa souveraineté à ces territoires. Aux yeux des habitants de ce qu'il est courant de désigner sous le nom des « quatre vieilles », la République ne pouvait, par conséquent, faire moins que la monarchie, alors que les régimes qui se succèdent au cours du « siècle des Révolutions » façonnent un nouveau paysage administratif en métropole.

Par ailleurs, l'assimilation juridique, dont la départementalisation représente l'incarnation institutionnelle, est, dans la réalité et dans l'imaginaire collectif de l'outre-mer, étroitement associée à la première abolition de l'esclavage par la loi du 4 février 1794. En effet, cet événement radical qui, plus qu'un legs de la Révolution française, en représente le symbole pour nos compatriotes d'outre-mer, conduit le Directoire à départementaliser, une première fois, l'outre-mer.

La revendication de 1946 s'inscrit également dans le droit fil de l'évolution juridique des territoires concernés tout au long du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe. En 1946, en effet, le statut des « quatre vieilles » est plus proche de celui des départements de métropole que des autres colonies. Même adaptées, les grandes lois républicaines y ont été systématiquement étendues, qu'il s'agisse des lois sur le département du 10 août 1871, sur la commune du 5 avril 1884, ou de celles sur les libertés de la presse, de réunion, d'association ou encore sur la justice. En 1911, c'est à leur à leur demande expresse que ces territoires passent sous le régime du service militaire obligatoire, instauré en métropole depuis 1872.

Enfin, la revendication en faveur de la départementalisation résulte de la prise en compte de la volonté des populations concernées, volonté d'acquérir, via une égalité juridique déjà largement réalisée dans le cadre colonial, une véritable égalité sociale. Dans l'esprit de ses promoteurs, l'objet de cette loi était, en effet, de parvenir à une réelle égalité sociale, alors que se mettent en place, en métropole, les grandes lois fondatrices de la sécurité sociale : « Après la fraternité et la liberté, nous venons vous demander l'égalité devant la loi, l'égalité des droits » (41). Aimé Césaire le rappelait en 1986 : « La politique de départementalisation ... je devrais dire le combat de la départementalisation, je l'ai mené parce que mon objectif était de conquérir pour le peuple... l'ensemble des lois sociales qui devaient assurer sa sécurité ». Il ne s'agit, par conséquent, en rien d'une réforme technocratique imposée par la métropole.

· La Constitution de 1946 consacre l'assimilation des DOM.

En dépit de sa double portée historique et symbolique, la loi de départementalisation n'est pas une loi d'assimilation. En effet, son article 2 perpétue le principe de spécialité législative, hérité de la période coloniale. En conséquence, si la loi de 1946 représente sans nul doute une date charnière pour l'intégration républicaine de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane et de la Réunion, c'est la Constitution de 1946 qui réalise l'unité juridique entre départements métropolitains et les nouveaux départements d'outre-mer. Le Constituant de 1946 fait, en effet, le choix de l'assimilation contre la spécialité législative. L'article 73 de la Constitution qui fonde la IVe République dispose ainsi que « Le régime législatif des départements d'outre-mer est le même que celui des départements métropolitains, sauf exceptions déterminées par la loi ».

Cette révolution copernicienne introduite dans la lettre de la Constitution, par le glissement d'une présomption de différence vers une présomption d'identité législative pour les DOM, ne trouva pas, cependant, une traduction immédiate dans la pratique législative et réglementaire. Outre le fait que de nombreuses lois dérogatoires intervinrent, certains textes omirent de mentionner leur caractère non applicable, sous prétexte que celui-ci découlait de la nature même du texte. Nul besoin, à cet égard, de souligner les problèmes d'interprétation que cette pratique ne manqua pas de poser. A l'inverse, l'habitude perdura de faire figurer, dans les lois et règlements, une mention expresse d'applicabilité dans les DOM, à l'encontre de la présomption inscrite au c_ur du principe d'assimilation. Enfin, de trop nombreuses lois subordonnèrent leur application dans les DOM à l'adoption de mesures complémentaires d'exécution et d'adaptation, ce qui contribua à différencier la législation métropolitaine de celle applicable aux DOM, non seulement dans son contenu, mais également dans le temps. A l'évidence, l'assimilation proclamée dans la Constitution mit quelque temps à s'inscrire dans la pratique institutionnelle.

· La Constitution de 1958, tout en mettant l'accent sur l'adaptation, a développé une pratique très assimilationniste.

La Constitution de 1958, consacrant la politique de départementalisation et d'assimilation instaurée en 1946, reprend très largement le schéma institutionnel défini par la IVème République. Aux termes de l'article 73, « Le régime législatif et l'organisation administrative des départements d'outre-mer peuvent faire l'objet de mesures d'adaptation nécessitées par leur situation particulière ».

Le régime d'assimilation défini par la Constitution de 1958 diffère néanmoins du précédent sur cinq points :

-- explicite dans la Constitution de 1946, l'assimilation est désormais implicite, ce qui met en valeur, par contraste, la faculté d'adaptation ouverte par cet article ;

-- seules des adaptations sont désormais possibles par rapport à la norme édictée pour la métropole, là où la Constitution de 1946 autorisait des exceptions ;

-- le champ de l'adaptation fait l'objet d'une définition, d'ailleurs très vaste, puisqu'elle porte aussi bien sur le régime législatif que sur l'organisation administrative des DOM ;

-- alors qu'aucune condition n'était posée aux exceptions dans le texte de 1946, la faculté de procéder à des adaptations est désormais conditionnée, en l'occurrence par la situation particulière des DOM ;

-- enfin, le Constituant de 1958 supprimant toute référence explicite au caractère législatif de l'exception, celle-ci peut être aussi bien réglementaire que législative.

A l'évidence, l'article 73 précité ouvrait la voie à des pratiques institutionnelles diverses : l'accent serait-il mis sur le principe implicite - l'assimilation - ou sur la faculté explicite - l'adaptation ? Cette dernière lecture, que d'aucuns résumèrent par la notion de « départementalisation adaptée », était d'autant plus plausible qu'en droite ligne du texte constitutionnel, furent pris, le 26 avril 1960, trois décrets relatifs à l'adaptation. Le premier, notamment, qui portait sur l'adaptation du régime législatif et de l'organisation administrative des DOM, prévoyait une obligation de consultation des conseils généraux des DOM sur tous les projets de lois et les décrets d'adaptation, ainsi qu'une faculté de proposition par ces mêmes organes locaux.

En pratique cependant, ces adaptations statutaires furent peu exploitées : l'obligation précitée de consulter les conseils généraux, instaurée par le décret du 26 avril 1960, n'a eu qu'une portée réduite dans les faits. Il est vrai que, limitée dans son champ - elle ne porte ni sur l'application du droit commun ni sur les projets d'actes communautaires -, elle fut trop souvent formelle, quand elle eut lieu, faute de conditions de délais satisfaisants. De même, les conseils généraux ont très peu recouru à la possibilité de faire des propositions « tendant à l'intervention de dispositions spéciales motivées par la situation particulière de chaque département ». C'est donc une pratique largement assimilationniste qui s'est instaurée sous la Vème République : comme le résume de manière lapidaire le professeur Olivier Gohin, « pour faire simple, les départements d'outre-mer, c'est un cheval d'assimilation et une alouette d'adaptation » (42).

· La jurisprudence du Conseil constitutionnel a définitivement imposé une lecture et une pratique assimilationnistes de l'article 73.

« J'ai engagé dans l'incompréhension un deuxième combat qui vient de prendre fin avec la loi de régionalisation. Ça a été le combat pour la reconnaissance du droit à la différence ». Ces mots prononcés par Aimé Césaire, le 21 février 1986, en disent long sur la déception que fit faire naître la pratique institutionnelle de la Vème République dans certains DOM. Ardemment départementalistes, les élus des départements français d'Amérique (DFA) n'avaient, en réalité, jamais été assimilationnistes, contrairement, par exemple, à la majorité de leurs homologues réunionnais. « On peut parler le même langage mais avoir des pensées différentes. Ils (les Réunionnais) étaient assimilationnistes, moi - j'ai inventé le mot - j'étais départementaliste. La départementalisation, c'est un changement juridique, administratif. L'assimilation, c'est un changement moral » : cette analyse d'Aimé Césaire (43) résume parfaitement l'état d'esprit qui prévaut dans les DFA après plus de trois décennies d'une départementalisation conçue sur le mode quasi exclusif de l'assimilation. Le sentiment dans cette région est que, si la République a su intégrer, elle n'a pas su adapter en prenant en compte les différences qui auraient pourtant justifié cette adaptation.

C'est pourquoi l'outre-mer attendait beaucoup des lois de décentralisation de 1982 et 1984, les élus locaux espérant que celle-ci fonctionne comme un « correctif à la départementalisation », pour reprendre, là encore, les mots d'Aimé Césaire. Une départementalisation qui est vécue, de plus en plus, comme un carcan...

De fait, le législateur, en 1982, prévoit, pour les DOM, l'instauration d'une assemblée unique, qui se substitue au conseil général et au conseil régional : entre la spécificité que ferait naître la superposition, sur le même territoire, de deux collectivités, par application stricte du régime métropolitain, et cette autre spécificité qui consiste à créer une assemblée sui generis, le législateur fait le choix de la rupture avec le modèle métropolitain. Cette démarche est toutefois invalidée par le juge constitutionnel. Dans sa décision du 2 décembre 1982 (44), le Conseil constitutionnel censure, en effet, cette disposition, non pas sur la base de son opportunité - le législateur n'a pas excédé sa compétence en faisant le choix d'une assemblée unique -, mais sur le fondement des modalités pratiques de mise en _uvre de cette assemblée unique. Le juge constitutionnel censure ainsi l'atteinte à l'unité de la catégorie de département résultant du choix, par le législateur, d'un mode de représentation de l'assemblée délibérante des DOM différent de celui existant dans les départements métropolitains. En un mot, la faculté d'adaptation prévue à l'article 73 de la Constitution ne saurait conduire à adopter, pour les DOM, l'« organisation particulière » prévue pour les seuls TOM à l'article 74.

Cette lecture binaire du texte constitutionnel, que d'aucuns ont pu qualifier d'« asséchante » (Olivier Gohin), sera par la suite constamment réaffirmée par le juge. Le législateur peut « prévoir des mesures d'adaptation susceptibles de se traduire par un aménagement limité des compétences des régions et départements d'outre-mer par rapport aux autres régions et départements » (décision du 25 juillet 1984 relative aux compétences des régions d'outre-mer) (45) mais ces dérogations doivent avoir une « portée limitée », de même que les mesures d'adaptation doivent respecter le régime propre des autres collectivités.

b) Les territoires d'outre-mer : la reconnaissance du particularisme dans un État unitaire

· La Constitution de 1946 a préparé la sortie du régime colonial.

En 1946, la catégorie des territoires d'outre-mer est créée pour les possessions ultra-marines dans lesquelles l'assimilation apparaît impossible. Elle correspond à ce que le rapporteur du projet de Constitution, M. Pierre Coste-Floret, appelle « la novation des colonies » et s'étend au huit territoires de l'Afrique occidentale française, aux quatre territoires de l'Afrique équatoriale française, à Madagascar et ses dépendances, aux Établissements de l'Inde, à la côte des Somalis, à l'archipel des Comores, à la Nouvelle-Calédonie, aux Établissements de l'Océanie et à Saint-Pierre-et-Miquelon. La Cochinchine s'est rapidement intégrée à l'État associé du Viêt-Nam, après être passée par le statut de territoire d'outre-mer.

La volonté des constituants à égard des TOM peut se résumer à trois idées : les intégrer le plus possible à l'ordre juridique métropolitain ; respecter cependant leurs particularismes locaux en les dotant d'une certaine autonomie administrative ; par ces mesures, les préparer à une évolution future, vers une assimilation plus complète ou une autonomie plus poussée.

La Constitution prévoit ainsi de doter chaque TOM d'un statut particulier tenant compte de ses intérêts propres dans l'ensemble des intérêts de la République (article 74). Ce statut doit comprendre une assemblée élue (article 77), mais le représentant du Gouvernement demeure le chef de l'administration du territoire (article 76). Reprenant les principes posés dans la loi du 7 mai 1946 voté par l'Assemblée constituante dite loi « Lamine-Gueye », la Constitution reconnaît aux ressortissants des TOM la qualité de citoyen au même titre que les nationaux français de la métropole, en réservant toutefois à des lois particulières la définition des conditions d'exercice de leurs droits (article 80). Elle accepte l'existence des statuts personnels locaux à côté du statut français de droit commun : selon l'article 82, les citoyens qui n'ont pas le statut civil français conservent leur statut personnel tant qu'ils n'y ont pas renoncé. Enfin, le principe de la spécialité législative est maintenu par l'article 75 qui établit un nouveau mode de répartition des compétences. Le pouvoir législatif appartient au Parlement en ce qui concerne la législation criminelle, le régime des libertés publiques et l'organisation administrative et politique. Dans les autres matières, ou bien la loi française peut être étendue par le législateur, ou bien elle peut être étendue par le Gouvernement, mais après avis de l'Assemblée de l'Union française. Enfin, des dispositions particulières à chaque territoire d'outre-mer peuvent être édictées par le Président de la République sur l'avis préalable de l'Assemblée de l'Union française. Le régime législatif mis en place est proche de celui des « quatre veilles colonies » sous le sénatus-consulte de 1854, mais deux organes spéciaux participent à la confection des règles applicables : l'Assemblée de l'Union française, qui sert de conseiller au Parlement et à l'Exécutif, et les assemblées locales, dont le rôle législatif est purement consultatif.

De 1946 à 1956, le Parlement n'a pas adopté les lois organiques fixant le statut et l'organisation intérieure de chaque territoire d'outre-mer. Un certain nombre de mesures fragmentaires ont été prises, mais aucune loi d'ensemble organisant et précisant les mesures générales prévues par la Constitution n'a vu le jour (46). Ainsi, c'est bien souvent le régime antérieur qui s'est appliqué. L'application de l'article 80 étendant la citoyenneté française à tous les ressortissants des TOM s'est faite d'une manière assez complète dans le domaine des libertés publiques et de la législation du travail, mais elle est restée limitée dans un domaine important, celui des droits électoraux. Des restrictions au suffrage universel et des doubles collèges ont été instaurés. La création d'assemblées élues a constitué une grande innovation, puisque, sauf dans les communes dites de plein exercice au Sénégal, aucune assemblée de ce genre n'existait avant guerre dans les territoires d'outre-mer. Toutefois, leurs compétences sont demeurées limitées et elles furent soumises à la tutelle administrative.

La loi-cadre du 23 juin 1956 et ses décrets d'application ont profondément modifié la physionomie des institutions des territoires d'outre-mer. Le régime électoral qui leur était applicable a été profondément réformé avec la suppression de la restriction à l'universalité du suffrage et des doubles collèges. Par ailleurs, la décentralisation et la déconcentration administrative ont été étendues. Une distinction entre les services d'État et les services territoriaux a été opérée, tandis que les institutions territoriales étaient réorganisées. Les assemblées territoriales se sont vu reconnaître des attributions accrues, y compris pour réglementer certaines matières qui relevaient selon le droit commun des autorités nationales. Enfin, des conseils de gouvernement élu par les assemblées territoriales ont été instaurés.

· La Constitution de 1958 a ouvert la voie de l'autonomie.

L'Union française constituait une étape dans la voie de l'affirmation de l'autonomie politique des dépendances ultramarines, mais le refus des États associés d'établir des relations avec la France sur le fondement du titre VIII et la volonté des territoires d'outre-mer d'évoluer ont conduit à l'élaboration par la Constitution du 4 octobre 1958 d'un édifice nouveau : la Communauté. Le référendum constituant du 28 septembre 1958 a offert un choix fondamental aux TOM, puisque le refus du texte proposé par un territoire entraînait son indépendance. De plus, la nouvelle Constitution a prévu pour ces territoires la faculté de choisir, dans un délai de quatre mois à compter de sa promulgation, entre le maintien de leur statut, l'adoption de celui d'État membre de la Communauté ou de celui de DOM (article 76 de la Constitution). Ces dispositions conduisirent à une forte diminution du nombre des TOM. A la fin de l'année 1959, cette catégorie ne rassemblait plus que les Comores, la Côte française des Somalis, la Polynésie française, Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie et dépendances, Saint-Pierre-et Miquelon, ainsi que les Terres Australes et Antarctiques françaises. Par la suite, deux territoires d'outre-mer sont devenus indépendants après un référendum d'autodétermination : l'archipel des Comores en 1975, à l'exception de l'île de Mayotte, et la côte française des Somalis, dénommée « territoire des Afars et des Issas », qui est devenue République de Djibouti en 1977.

La Constitution de 1958 consacre le particularisme des territoires d'outre-mer dans l'article 74 qui leur garantit l'existence d'un statut particulier tenant compte de leurs intérêts propres dans l'ensemble des intérêts la République. En outre, l'article 75 autorise la reconnaissance d'un statut personnel pour leurs habitants (47). L'article 74 a été modifié par la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 afin de renforcer et de mieux protéger le particularisme constitutionnel des TOM : leur statut est désormais déterminé par une loi organique tandis que les autres modalités de leur organisation particulière continuent de relever de la loi ordinaire.

Depuis 1958, les statuts des TOM se sont diversifiés et ont fortement évolué. Au-delà de la spécificité des règles appliquées, leur particularisme constitutionnel s'est affirmé tant dans leur régime législatif que dans leur organisation administrative.

-  Les spécificités du régime législatif

Le principe de la spécialité législative est demeuré un élément essentiel de la différenciation juridique des territoires d'outre-mer même s'il n'a pas été expressément maintenu par la Constitution. A l'exception des lois dite « de souveraineté » (48) qui s'appliquent de plein droit, les lois métropolitaines ne s'appliquent dans ces territoires que sur mention expresse et doivent faire alors l'objet d'une promulgation locale. Le principe de spécialité permet ainsi de prendre en compte systématiquement les particularités de chaque territoire tandis que la promulgation locale peut être utilisée pour retarder, le cas échéant, l'application de textes métropolitains soulevant des difficultés, afin d'instaurer des mesures transitoires.

A côté d'une participation au processus législatif commune à l'ensemble des collectivités territoriales de la République par le biais de l'élection de représentants au Parlement, la Constitution prévoit une procédure spécifique d'association des territoires d'outre-mer à l'élaboration des textes nationaux les concernant. L'article 74 impose ainsi la consultation des assemblées territoriales sur les lois organiques relatives à leur statut et sur les lois ordinaires portant sur leur organisation particulière. Le Conseil constitutionnel a eu une conception extensive de la notion d'organisation particulière. Il l'a étendue à l'ensemble des textes de loi qui comprennent des dispositions spécifiques à un ou plusieurs territoires d'outre-mer établissant ainsi une corrélation étroite entre le principe de spécialité législative et d'organisation particulière. Les modalités de la consultation des autorités territoriales n'ont pas été définies par la Constitution mais par la jurisprudence. Le Conseil constitutionnel a cherché a concilier deux exigences contradictoires : assurer la pleine effectivité de la consultation sans entraver le travail législatif. La consultation doit intervenir en temps utile pour que l'avis soit transmis avant l'examen de la première assemblée saisie. Les dispositions introduites par amendement au projet ou à la proposition de loi qui a fait l'objet d'une consultation n'ont pas à être soumis aux autorités territoriales. En revanche, l'absence de consultation préalable interdit d'étendre aux TOM un projet de loi qui, dans sa teneur initiale, ne les visait pas. En tout état de cause, le législateur n'est pas lié par l'avis.

Le particularisme de la répartition des compétences entre la loi et le règlement dans les territoires d'outre-mer constitue un élément remarquable de la spécificité de leur régime législatif. Dès 1965, le Conseil constitutionnel a reconnu la possibilité de déroger dans ces territoires aux articles 34 et 37 de la Constitution. Dans une décision du 2 juillet 1965 (49), il énonce que « si, d'après l'article 73 de la Constitution, le régime législatif des départements d'outre-mer peut faire l'objet de mesures d'adaptation nécessitées par la leur situation particulière, l'organisation des territoires d'outre-mer peut, a fortiori, déroger au régime législatif résultant de l'article 34 de la Constitution. » Dès lors, le législateur peut autoriser les autorités des territoires d'outre-mer à régir des matières qui ressortissent normalement à sa compétence et qui conservent alors dans ces territoires un caractère réglementaire. Cette possibilité est exclusivement réservé aux territoires d'outre-mer, ni les départements d'outre-mer, ni les collectivités territoriales sui generis ne pouvant en bénéficier (50). Dans les faits, le législateur a progressivement étendu les possibilités d'intervention des TOM dans les matières de sa compétence le statut de la Polynésie française de 1996 en fournit une belle illustration. Il s'est cependant heurté à certaines limites résultant du caractère indivisible de la République, du principe de la libre administration des collectivités territoriales et du principe d'égalité dans les droits et libertés. Ainsi, dans sa décision du 9 avril 1996 (51) relative à la loi organique établissant un statut d'autonomie pour la Polynésie française, le Conseil constitutionnel a considéré que « la prise en compte de l'organisation particulière des territoires d'outre-mer ne sauraient conduire à ce que les conditions essentielles de mise en oeuvre des libertés publiques ne puissent ne pas être les mêmes sur l'ensemble du territoire de la République ». En outre, le Conseil constitutionnel a estimé que le législateur pouvait à tout moment se ressaisir de son domaine sous la seule réserve de consultation de l'assemblée territoriale (52). La révision constitutionnelle du 25 juin 1992 a toutefois rendu ce processus de « récupération » plus difficile puisque, désormais, les dispositions statutaires, dont la définition des compétences des territoires d'outre-mer, relèvent de la loi organique, et non plus de la loi ordinaire.

-  Une organisation administrative particulière

Le particularisme constitutionnel des territoires d'outre-mer s'est également traduit dans leur organisation administrative. Le Conseil constitutionnel a reconnu à chaque territoire le droit de disposer de structures propres, contrairement aux départements d'outre-mer. Dans sa décision du 8 août 1985 (53) relative à la loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie, il considère ainsi que le législateur est compétent pour fixer l'organisation particulière de chacun des territoires d'outre-mer en tenant compte de ses intérêts propres et peut prévoir, pour l'un d'entre eux, des règles d'organisation répondant à sa situation spécifique, distinctes de celles antérieurement en vigueur, comme de celles applicables dans les autres territoires. Il doit respecter le principe de la libre administration des collectivités locales, chaque territoire devant disposer d'une assemblée délibérante, élue au suffrage universel direct et dotée d'attributions effectives. Le Conseil a également admis que les collectivités de droit commun mises en place dans les TOM présentent des spécificités. Ainsi les territoires d'outre-mer ont-ils pu se doter d'institutions propres inédites en métropole : la Polynésie française dispose, par exemple, d'un Gouvernement, d'une assemblée et d'un conseil économique et social. A Wallis-et-Futuna, les institutions territoriales sont composées d'un chef du territoire, (le Préfet), d'un conseil territorial, qui comprend notamment les trois chefs traditionnels des trois royaumes, et d'une assemblée territoriale élue.

Le cadre constitutionnel applicable aux TOM a permis de consacrer progressivement l'autonomie de certains d'entre eux : ce fut le cas à partir des lois du 6 septembre 1984, pour la Polynésie, et avec des retours en arrière, pour la Nouvelle-Calédonie. Le particularisme constitutionnel des TOM s'est exprimé par l'utilisation de procédés qui caractérisent traditionnellement les États composés, mais ces territoires demeurent des collectivités territoriales de nature administrative, le caractère unitaire de la République empêchant des les ériger en collectivités infra étatiques de nature politique.

2. L'apparition de collectivités à statut spécifique

Le binôme DOM-TOM défini par la Constitution de 1958 ne rend plus compte aujourd'hui de la réalité institutionnelle de l'outre-mer, caractérisée par l'émergence progressive de collectivités « hors catégorie », qu'il s'agisse des collectivités sui generis instituées sur le fondement de l'article 72 de la Constitution ou de la Nouvelle-Calédonie. Le dualisme a laissé place à l'éparpillement.

· Les collectivités sui generis : Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte

Tel est, en premier lieu, le cas de Saint-Pierre-et-Miquelon. Ce « "dernier arpent de neige" du premier empire colonial français, progressivement liquidé entre le traité de Paris de 1763 et le traité de Vienne de 1815 », érigé en TOM en 1946, passe sous le statut de DOM avec la loi du 19 juillet 1976. Toutefois, l'arrêt Hansen de la Cour de justice des communautés européennes de 1978, qui exige la mise en _uvre, trop longtemps différée, du droit communautaire aux DOM, place Saint-Pierre-et-Miquelon en contradiction avec l'article 227 § 2 du traité de Rome. En effet, bien que DOM, Saint-Pierre-et-Miquelon échappait au régime de l'assimilation en matière de fiscalité et de douane. Nul doute qu'au regard du juge européen, cette particularité excédait largement les « mesures spécifiques en vue de répondre aux besoins de ces territoires » qu'autorisait la jurisprudence communautaire, le c_ur même de la construction européenne se trouvant remis en cause par le statut douanier de Saint-Pierre-et-Miquelon. A l'évidence, la doctrine binaire de la Constitution de 1958 se heurtait de front au droit communautaire.

C'est pourquoi, sur la base de l'article 72 de la Constitution, la loi du 11 juin 1985 a érigé Saint-Pierre-et-Miquelon en collectivité à statut particulier, le principe de la réforme reposant, d'une part, sur le maintien d'une organisation administrative proche du DOM, y compris au regard du principe d'assimilation, et, d'autre part, sur la possibilité, ouverte aux pouvoirs publics français, de prendre toutes les mesures d'exception requises par la situation économique et sociale spécifique de l'archipel.

La situation de Mayotte témoigne également de la capacité créative du législateur pour contourner la rigidité du cadre binaire régissant l'outre-mer français. En l'occurrence, ce sont des contraintes, non pas communautaires, mais internationales, qui ont conduit à l'adoption d'un statut spécifique.

En effet, alors que, par deux consultations en date du 22 décembre 1974 et du 8 février 1976, Mayotte démontrait clairement sa volonté de rester dans l'ensemble français, la souveraineté de la France était contestée par les Comores, ancienne colonie française devenue indépendante en 1975, qui revendiquait Mayotte au nom de l'unité et de l'intégrité de son territoire. Le 11 avril 1976, la population de Mayotte refusa cependant massivement le statut de territoire d'outre-mer, 80 % des votants mahorais exprimant même, par le biais de bulletins « sauvages », leur désir de voir Mayotte érigé en DOM. La situation de la collectivité ne permettant pas à la République d'accéder à ce souhait - rappelons que c'est au terme d'un long processus que les DFA et la Réunion sont devenus des DOM -, la loi du 24 décembre 1976 mit en place un régime temporaire, érigeant Mayotte en collectivité territoriale à statut particulier pour une durée de trois ans. Au terme de ce délai, la population mahoraise devait à nouveau être consultée et choisir entre trois options : le statu quo, la transformation en DOM ou l'adoption d'un statut différent. La loi du 22 décembre 1979 vint toutefois modifier ce calendrier, en prorogeant le délai de cinq années supplémentaires.

Aucune consultation n'ayant été organisée en 1984, Mayotte s'est trouvée, deux décennies durant, dans une situation hybride, caractérisée par un double particularisme : d'une part, son statut lui-même n'entrait dans aucune des catégories instaurées par les articles 73 et 74 de la Constitution ; d'autre part, il n'était que temporaire.

La situation s'est débloquée en 2000, à la suite de la demande de sécession d'Anjouan, qui, confirmant l'instabilité politique chronique de la région, mettait en lumière la - relative - prospérité de Mayotte dans la zone. Les élus mahorais eux-mêmes, comprenant que l'intérêt de Mayotte était moins d'accéder au statut de DOM que de bénéficier d'un statut stable, s'entendirent alors sur la définition d'un statut spécifique de collectivité départementale.

Approuvé par la population le 2 juillet 2000, ce nouveau statut est défini par la loi du 11 juillet 2001 qui, d'une part, affirme l'appartenance de Mayotte à la République, seule sa population étant autorisée à y mettre un terme, et, d'autre part, érige Mayotte en collectivité départementale, collectivité territoriale à statut particulier, créée en application de l'article 72 de la Constitution. Par ailleurs, elle met en place une dynamique institutionnelle, destinée à organiser progressivement la normalisation juridique de Mayotte, ou du moins son assimilation à l'organisation administrative métropolitaine. Trois étapes rythmeront ce processus dans les années à venir : 2004 verra le transfert de l'exécutif de la collectivité départementale au président du conseil général, tandis que les actes de la collectivité départementale deviendront exécutoires dans les conditions de droit commun en 2007. Enfin, une ultime étape est prévue en 2010, avec la possibilité conférée au conseil général de la collectivité d'adopter, à la majorité des deux tiers, une résolution portant sur la modification du statut de Mayotte. Il convient, enfin, de noter que la spécialité législative reste le principe applicable à Mayotte, même s'il est atténué par l'introduction de l'identité législative dans plusieurs domaines importants (nationalité, état des personnes, droit patrimonial de la famille, droit pénal, etc.).

On peut douter de la constitutionnalité des lois créant les collectivités sui generis de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte, qui n'ont pas, en effet, été soumises au Conseil constitutionnel. En effet, ces deux collectivités disposent de compétences dans des matières qui relèvent de l'article 34, en particulier dans le domaine fiscal. Or, il convient de rappeler que le Conseil constitutionnel considère que les dérogations au partage de compétence entre le pouvoir législatif et réglementaire sont réservées aux TOM.

- Une collectivité originale : la Nouvelle-Calédonie

La Nouvelle-Calédonie a connu, entre 1976 et 1988, cinq statuts différents qui furent sources d'insatisfaction, et parfois de troubles graves. Les accords de Matignon, signés le 26 juin 1988, lui ont permis de retrouver dix ans de stabilité. Dans la voie ainsi ouverte, l'accord de Nouméa, signé le 5 mai 1998, a prévu ; après une période de vingt ans au cours de laquelle s'effectueraient le transfert progressif de certaines compétences de l'État à la collectivité et la mise en place de nouvelles institutions, que les citoyens de la Nouvelle-Calédonie se prononceront sur son éventuelle accession à la pleine souveraineté. Prenant acte de l'accord de Nouméa, la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998 a introduit dans notre texte fondamental un titre XIII consacré à des « dispositions transitoires en Nouvelle-Calédonie ». La loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 et la loi ordinaire n° 99-210 du même jour ont défini le nouveau statut de la collectivité. Dérogeant à certaines dispositions constitutionnelles, il confère à la Nouvelle-Calédonie une large autonomie, cherchant à établir une souveraineté partagée avec l'État, pour reprendre la terminologie de l'accord de Nouméa.

B. DES COLLECTIVITÉS EN QUÊTE D'ÉVOLUTION

1. Les revendications des DOM et des collectivités à statut particulier

· Le bilan en demi-teinte de la logique d'assimilation

Au terme de plus de cinquante-cinq années d'une départementalisation conçue sur le mode de l'assimilation, dont la décentralisation n'a pas permis de corriger les excès, la plupart des élus d'outre-mer plaident pour un renouvellement du contrat républicain outre-mer.

Sans doute tous les acteurs locaux s'accordent-ils à reconnaître que la logique d'intégration et d'assimilation qui prévaut depuis 1946 doit être considérée, à certains égards, comme un succès. Ainsi, pour prendre quelques exemples particulièrement éclairants, l'espérance de vie dans les DOM est aujourd'hui équivalente à celle de la métropole, alors qu'elle ne dépassait pas quarante ans aux Antilles en 1946. Le paludisme, cause d'un tiers des décès en 1948, a été totalement éradiqué en 1979. Enfin, l'indice synthétique de développement humain défini par les Nations Unis, élaboré à partir de trois critères (espérance de vie à la naissance, éducation, niveau de vie), a progressé en moyenne de 21 % pour les DOM entre 1982 et 1992, contre 4 % pour la métropole et 10 % pour le reste de la zone caraïbe.

Cependant, les élus locaux outre-mer estiment également, pour la majorité d'entre eux, que le modèle assimilationniste a occulté l'enjeu du développement économique. D'aucuns, parmi les spécialistes de l'outre-mer - nombreux à s'être exprimés au moment du cinquantième anniversaire de la loi de départementalisation -, estiment même qu'en plus des difficultés naturelles de ces territoires - éloignement, étroitesse du marché intérieur, climat difficile -, la départementalisation et son corollaire, l'égalité sociale, en ont ajouté un quatrième : la hausse des coûts de production qui, en termes d'avantages comparatifs dans l'environnement régional, pèsent en défaveur des DOM. De fait, dès les années 1950, ceux-ci étaient deux ou trois fois supérieurs à ceux des pays voisins concurrents. Selon ces analyses, seule la mise en _uvre précoce, en parallèle de l'application progressive de l'égalité sociale, d'une politique de développement globale, et non pas seulement d'une politique de rattrapage des normes d'équipement métropolitaines, aurait pu éviter de conduire à la situation de « croissance des services sans véritable développement économique » évoquée, en 1987, par le Conseil économique et social (54).

En bref, le défi de l'assimilation institutionnelle et sociale a été relevé, mais pas celui du développement économique. A telle enseigne que c'est l'ensemble du modèle d'intégration qui est aujourd'hui menacé, le triptyque ne pouvant fonctionner de manière dissocié. L'effet boomerang de la situation économique en matière sociale est, en effet, redoutable : alors même que l'égalité sociale avec la métropole est aujourd'hui acquise, les déséquilibres économiques structurels des DOM, en mettant en question la capacité d'insertion sociale des économies domiennes, c'est-à-dire, in fine, l'égalité sociale au sein même des DOM, font peser une menace, mortelle à terme, sur la cohésion sociale outre-mer.

· L'analyse institutionnelle de la question économique

Pourquoi ce que les élus d'outre-mer ressentent comme une impasse économique débouche-t-il sur une revendication institutionnelle ? Après tout, cette analyse, partagée par tous les DFA, ne vaut pas à la Réunion, qui s'en tient à une approche économique des problèmes comme de leurs solutions. Par ailleurs, à l'heure même où certains DOM mettent en cause l'édifice juridique mis en place par l'article 73 de la Constitution, les Mahorais y voient l'objectif à atteindre dans la décennie à venir, après l'avoir érigé en idéal pendant près de vingt-cinq ans.

L'idée qui prévaut néanmoins dans les DFA est que la rigidité du statut actuel prive les DOM de l'autonomie administrative et financière indispensable à l'émancipation économique. Il est vrai que la décentralisation n'a pas introduit la souplesse nécessaire à la prise en compte de la spécificité des DOM en matière économique. La jurisprudence du Conseil constitutionnel conduit même à ce paradoxe qu'en voulant sauvegarder au maximum l'assimilation entre l'organisation administrative des DOM et celle de la métropole, le juge a créé une situation tout à fait unique dans l'organisation territoriale de la République, avec la superposition, sur un même territoire, d'une région et d'un département.

De fait, le modèle départemental - régional a échoué dans trois DOM sur quatre : si la Réunion a su mettre en place une véritable culture partenariale entre le département et la région, force est de constater que la coexistence institutionnelle pose problème dans les DFA. Au-delà même du dédoublement des frais d'installations et des coûts de fonctionnement des collectivités - qui n'étaient certes pas dirimants comme l'illustre le cas réunionnais, mais dont le coût objectif ne peut être nié -, des conflits de compétences n'ont pas manqué d'apparaître. Sur certains sujets (logement, développement touristique ou investissements routiers), les politiques locales mises en _uvre ont été « au mieux redondantes, au pire contradictoires », comme le notait, en 1996, un groupe de travail des élèves de l'ENA. Des conflits de compétence négatifs ont même pu émerger, qui laissèrent l'État gérer seul des problèmes dont l'ampleur eût, tout au contraire, nécessité une synergie entre les deux collectivités.

Les élus d'outre-mer ont, par ailleurs, le sentiment légitime d'être largement exclus du mouvement que l'on pourrait qualifier de créativité institutionnelle qui s'est développé au cours des années récentes, tant à l'égard de l'outre-mer que dans le cas de la Corse. La « territorialisation du droit » (Yves Madiot), opéré sur la base de l'article 72 de la Constitution, est une réalité, largement validée, qui plus est, par le Conseil constitutionnel. A propos des adaptations au principe d'égalité, ce dernier juge « que leur champ d'application soit limité à certaines parties du territoire national répond à la prise en compte de situations différenciées et ne saurait par suite méconnaître le principe d'égalité, non plus que porter atteinte au principe d'indivisibilité de la République ». De même, sa décision du 9 mai 1991 (55) laisse penser qu'à ses yeux, le législateur dispose d'une grande liberté pour doter une collectivité territoriale existante d'un statut spécifique, le Conseil n'exigeant même pas de façon expresse que cette collectivité présente des éléments de particularisme tels qu'ils justifient une organisation institutionnelle différente du régime du droit commun. Dans ces conditions, l'article 73, dans sa rédaction actuelle, conserve-t-il une utilité et ne devient-il pas seulement l'article de constitutionnalisation des DOM ? La question mérite, à tout le moins, d'être posée.

La décision rendue par le Conseil sur la loi d'orientation pour l'outre-mer, le 7 décembre 2000, ne fait que conforter cette interrogation. Sans doute, cette loi, en s'efforçant de satisfaire la revendication de différenciation des DOM et de créer une institution compétente - dénommée Congrès - pour faire des propositions d'évolutions institutionnelles, ne pouvait-elle être qu'un rendez-vous manqué, à cadre constitutionnel constant. En dépit des commentaires qui, ici ou là, soulignèrent que, dans ses principales innovations, cette loi n'avait pas encouru la censure du juge constitutionnel, le fait est que ce dernier n'a nullement fait évoluer sa position sur l'article 73. S'il n'a pas censuré, en effet, l'instauration du Congrès, c'est précisément parce qu'il ne s'agissait en rien de l'assemblée unique demandée par les élus des DFA, mais seulement d'une structure de concertation entre les deux assemblées locales. Pour le reste, la décision du 7 décembre 2000 (56) met, une fois encore, en lumière le contraste entre une lecture très stricte de l'article 73 et « l'interprétation généreuse de l'article 72 » (57). De fait, en soulignant que « la possibilité de disposer à l'avenir d'une organisation institutionnelle propre » à chaque département, prévue par la loi, « ne peut être entendue que dans les limites fixées par l'article 73 de la Constitution », le Conseil a envoyé un message sans ambiguïté au législateur désireux de donner suite aux revendications exprimées par les élus des de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique.

· La richesse du débat institutionnel outre-mer au cours des années récentes

L'effet positif de ce qui peut s'analyser comme une impasse juridique réside dans la richesse du débat institutionnel qu'elle a suscitée outre-mer au cours des années récentes. Il faut reconnaître que celui-ci a été grandement facilité par la levée de l'hypothèque que faisait peser l'ambiguïté du statut des DOM au regard du droit communautaire. En effet, l'ajournement d'un tel débat a longtemps été justifié par la place incertaine de ces collectivités dans l'édifice juridique européen : la crainte existait de voir les acquis communautaires obtenus par ces départements remis en cause par une évolution de leur statut. La reconnaissance officielle des DOM français comme régions ultrapériphériques par l'article 299 § 2 du traité d'Amsterdam permet, désormais, de dissocier la réflexion institutionnelle sur les DOM de leur insertion dans l'édifice juridique de l'Union européenne.

Dans ce contexte, les DOM se sont engouffrés dans la voie tracée par le Président de la République qui, dans une allocution prononcée à la Martinique le 11 mars 2000, a défini le cadre de la nouvelle synthèse républicaine outre-mer : « On mesure bien l'étendue du champ des réflexions allant du maintien de la départementalisation à l'autonomie régionale. Aucune de ces démarches ne me choque. Toutes les orientations, s'agissant des départements d'outre-mer, sont admissibles, dès lors, je le répète, que les principes de la République et de la démocratie sont respectés et que les population concernées sont, le cas échéant, consultées ».

Ainsi, en Guadeloupe (58) , le Congrès des élus départementaux et régionaux a approuvé une résolution qui cadre, de façon générale, les compétences de la future assemblée territoriale unique que les élus souhaitent mettre en place et détaille, par ailleurs, la répartition des compétences, exclusives et conjointes, de la collectivité et de l'État. La nouvelle collectivité souhaiterait se voir attribuer, outre les compétences actuelles du département et de la région, des compétences propres dans les domaines suivants : fiscalité, régime douanier, formation professionnelle, aménagement du territoire (y compris logement et littoral), patrimoine foncier et agricole, tourisme, culture (et moyens de sa diffusion), gestion de la fonction publique territoriale, sport, transports intérieurs et inter-îles, énergie, eau, coopération régionale, choix des emblèmes et signes distinctifs de l'identité de la nouvelle collectivité, à côté de ceux de la République.

En Martinique, le schéma institutionnel envisagé est, dans ses grandes lignes, proches de celui défini par la Guadeloupe : création d'une collectivité unique, dotée d'une assemblée bénéficiant des compétences dévolues précédemment au département et à la région, mais également de nouvelles compétences que l'État transférerait en même temps que les charges correspondantes. Ainsi, l'assemblée unique exercerait seule les compétences relatives au développement économique, à la culture, au patrimoine, à la jeunesse et aux sports (définition des modalités particulières d'organisation, gestion du patrimoine), à l'équipement et au logement, au transport (définition de la politique de transport interne et international), à l'agriculture et la pêche, au tourisme, à l'énergie, à la formation professionnelle, à l'insertion et à l'emploi (définition des règles, des politiques et des priorités d'accès) et au régime de la propriété et à la politique foncière (transfert de domanialité publique et privée forestière, définition de règles territoriales sur l'accès à la propriété et à la politique foncière).

Le projet institutionnel de la Guyane s'inspire largement des évolutions institutionnelles de la Nouvelle-Calédonie (lois du pays, corps électoral spécial, modification des domaines respectifs de la loi et du règlement, ...). Il prévoit une nouvelle collectivité territoriale de Guyane dans le cadre de la République et de l'Europe, avec un pouvoir d'initiative législative et réglementaire dans certains domaines de compétences, doublé de mesures de rattrapage et d'accompagnement financées par l'État.

Pour sa part, la Réunion ne souhaite pas d'évolution statutaire.Le débat institutionnel sur la bidépartementalisation, qui n'a trouvé aucun consensus politique, est aujourd'hui marginal. Une mission de la Commission des lois l'avait déjà constaté en 1999, le rapporteur peut à nouveau en témoigner, après la mission qu'il a effectuée dans ce département au mois de septembre 2002 : s'agissant de la Réunion, c'est bien d'une non-question institutionnelle qu'il faut parler.

2. La disparition progressive des TOM

Le modèle des territoires d'outre-mer apparaît aujourd'hui à bout de souffle. Conçu comme une solution évolutive, débouchant progressivement sur l'indépendance, effectivement acquise pour l'essentiel des territoires, il fait figure de repoussoir pour les collectivités d'outre-mer qui, comme Mayotte, présente de fortes spécificités, mais souhaitent marquer leur attachement à la République. Pour les collectivités qui aspirent à de profonds changements, le modèle à suivre est celui de la Nouvelle-Calédonie.

La catégorie des TOM s'est considérablement réduite depuis 1958 puisqu'elle ne compte plus que les terres australes et antarctiques (TAAF), Wallis-et-Futuna et la Polynésie française. En outre, la qualification de territoire d'outre-mer pour les TAAF paraît inappropriée puisqu'il s'agit d'un territoire sous administration directe dépourvu d'une population autochtone permanente et donc d'électeurs.

Le statut et les aspirations de Wallis-et-Futuna et de la Polynésie française ne présentent guère de points communs. Devenues territoire d'outre-mer tardivement, en 1961, après avoir été placées sous un régime de protectorat, les îles Wallis-et-Futuna présentent également de fortes spécificités qui justifient leur appartenance à la catégorie des TOM. Les habitants de l'archipel n'étaient pas, lors du référendum constituant du 28 septembre 1958, des citoyens français et ne purent donc être consultés dans ce cadre. Toutefois, à la suite de motions émanant des trois rois et des chefs de districts appelant à une intégration dans la République assortie d'une autonomie de gestion et de la conservation des coutumes et institutions traditionnelles, une consultation de la population a été organisée en décembre 1959. Son résultat quasi unanime conduisit à la mise en place du statut de 1961. Ce statut, défini par la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961, n'a, depuis, fait l'objet que de modifications très ponctuelles. Le territoire de Wallis-et-Futuna est doté d'une assemblée territoriale, mais le chef du territoire est l'administrateur supérieur, représentant de l'État. Ce dernier préside le conseil territorial, qui comprend notamment les trois chefs traditionnels des îles. Il exerce un contrôle de tutelle sur les délibérations de l'assemblée territoriale. Comme le note le professeur Jacques Ziller : « Pour résumer, le statut du territoire s'apparente à celui d'un département avant la décentralisation avec deux différences de taille : on n'y retrouve pas réellement l'équivalent des communes et le principe de spécialité y déploie tous ses effets. » Depuis de nombreuses années, le thème d'une modification du statut de Wallis-et-Futuna est évoqué, sans que des propositions concrètes ne soient formulées par les autorités ou les forces vives du territoire. Les autorités coutumières, soucieuses de leurs prérogatives, sont plutôt favorables, dans l'immédiat, à une concertation pour établir le bilan de l'application de l'actuel statut de 1961 et définir les modalités d'exercice de toutes les compétences existantes. Sans répondre à tous les maux dont souffre le territoire, une réforme statutaire permettrait peut-être de redonner à l'archipel un regain de dynamisme.

Contrairement à Wallis-et-Futuna, la Polynésie française a connu une évolution institutionnelle et statutaire lui permettant d'accéder à une autonomie pleine et entière. De 1946 à 1977, une revendication autonomiste s'est développée. La loi statutaire du 12 juillet 1977 a doté la Polynésie française de l'autonomie administrative et financière et reconnut au territoire une compétence de droit commun, l'État ne conservant qu'une compétence d'attribution. Mais, c'est avec la loi du 6 septembre 1984 que l'autonomie interne a été consacrée et que la tutelle exercée par le haut-commissaire a disparu au profit d'un contrôle de légalité a posteriori sur les actes émanant des autorités territoriales. Les pouvoirs du gouvernement territorial ont été renforcés et le président du gouvernement est devenu un acteur essentiel du dispositif institutionnel. La loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996 a poursuivi cette évolution, en accroissant ses compétences et en améliorant le fonctionnement de ses institutions. De nouveaux transferts de compétences aux autorités territoriales ont été opérés dans le domaine des communications et des relations internationales notamment ; la Polynésie s'est vu reconnaître un domaine public maritime et un droit d'exploration et d'exploitation des ressources maritimes. Le nouveau statut lui a permis, en outre, d'exercer ses attributions de manière concurrente à celle de l'État, là où celui-ci est demeuré compétent. La loi organique de 1996 constitue l'aboutissement de l'évolution statutaire possible dans le cadre de l'article 74 de la Constitution. Aller plus loin n'est guère envisageable sans révision de notre texte fondamental comme l'a montré la décision du Conseil constitutionnel n° 96-373 DC du 9 avril 1996 relative au statut de la Polynésie. Le partage des compétences entre le territoire et l'État se révèle dans certains cas insatisfaisant. L'État détient des compétences transversales, en droit pénal, en procédure pénale ou encore en matière de libertés publiques, qui se superposent à celles détenues par le territoire et les restreignent parfois excessivement.

La révision constitutionnelle relative à la Nouvelle-Calédonie a ouvert la voie à une réflexion sur l'évolution du statut de la Polynésie française. Le contexte politique, géographique, social et culturel des deux territoires est extrêmement différent et la solution adoptée pour la Nouvelle-Calédonie n'est pas transposable à la Polynésie française, dont les habitants, dans leur très grande majorité, souhaitent demeurer au sein de la République française. Néanmoins, les autorités polynésiennes ont formulé le souhait d'une autonomie renforcée, comprenant de nouveaux transferts de compétence et un dispositif leur permettant de mettre en place les conditions d'une meilleure protection de l'emploi local et de l'activité économique.

Le projet de loi constitutionnelle relatif à la Polynésie française, déposé en mai 1999, prévoyait de reconnaître à ce territoire le statut singulier de « pays d'outre-mer », d'organiser à son profit un nouveau transfert de compétences et de créer une citoyenneté polynésienne. Ce texte, adopté dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat, n'a pas cependant été soumis au Congrès. A la réflexion, on peut s'interroger sur son approche, consistant à consacrer à la Polynésie un titre spécifique dans la Constitution. Par ailleurs, l'introduction d'une notion de citoyenneté polynésienne pouvait prêter à confusion. S'il s'agissait, en effet, de reconnaître aux Polynésiens des droits spécifiques en matière d'accès à l'emploi, de droit d'établissement pour l'activité économique et d'accession à la propriété foncière, il n'était, en revanche, nullement envisagé de limiter l'exercice du droit de vote, comme c'est le cas en Nouvelle-Calédonie. Le nouveau statut de la Polynésie française reste donc à redéfinir dans un nouveau cadre constitutionnel.

II. - LE PROJET DE LOI PROPOSE UN CADRE CONSTITUTIONNEL SIMPLIFIÉ ET ASSOUPLI

Le Président de la République s'est engagé à moderniser les institutions des collectivités d'outre-mer pour renforcer la démocratie de proximité en responsabilisant davantage les élus locaux. Comme il le soulignait « Une nouvelle répartition des pouvoirs est encore plus nécessaire pour les collectivités d'outre-mer en raison de leur grand éloignement géographique des centres de décisions nationaux - jusqu'à 20 000 kilomètres - et des problèmes spécifiques qu'elles rencontrent par rapport à ceux du reste du pays, et de l'environnement international particulier dans lequel elles évoluent (...) L'heure des statuts uniformes est passé. Il n'y a plus aujourd'hui de formule unique pour répondre efficacement aux attentes variées des différentes collectivités d'outre-mer. Chacune d'entres elle doit être libre de définir, au sein de la République, le régime le plus conforme à ses aspirations et à ses besoins, sans se voir opposer un cadre rigide et identique. »

Mais, pour ne pas ouvrir la porte à toutes les dérives, cette évolution institutionnelle de l'outre-mer doit s'inscrire dans des limites clairement établies. Il s'agit :

-  de respecter l'unité et l'indivisibilité de la République ;

-  d'interdire toute dérogation aux principes qui fondent le pacte républicain et figurent dans la Constitution ;

-  de garantir le maintien des relations avec l'Europe ;

-  de consulter obligatoirement les populations concernées sur des projets qui doivent être conformes à la Constitution ; aucune collectivité d'outre-mer ne doit être entraînée dans des évolutions qui ne seraient pas explicitement souhaitées par sa population ; c'est pourquoi, si la Réunion choisit de rester dans son statut départemental actuel, ce choix doit être respecté.

Conformément à ces principes, le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République va permettre d'assouplir et de clarifier le cadre institutionnel de l'outre-mer. Clarifier, parce qu'il définit deux catégories juridiques qui ont vocation à englober chacune des collectivités d'outre-mer ; assouplir, parce qu'il organise l'éventuel passage d'une catégorie à l'autre et propose, pour chacune d'elles, un cadre flexible et évolutif permettant d'appréhender leur diversité.

Il convient, par ailleurs, de souligner que les collectivités situées outre-mer, parties intégrantes du titre XII de la Constitution, pourront bénéficier de l'ensemble des dispositions introduites par le projet de loi constitutionnelle.

A. UNE RÉPARTITION DES COLLECTIVITÉS D'OUTRE-MER ENTRE DEUX CATÉGORIES JURIDIQUES AU CONTENU RENOUVELÉ

Le projet de loi constitutionnelle innove en inscrivant le nom de chacune des collectivités d'outre-mer dans un nouvel article 72-3 de la Constitution et en les répartissant entre deux catégories juridiques qu'il redéfinit (article 7). La désignation nominative des collectivités d'outre-mer dans la Constitution permet de consacrer solennellement leur appartenance à la République. Ainsi, ces collectivités ne pourront plus en sortir sans révision de notre texte fondamental, ce qui constitue une garantie importante contre une évolution non souhaitée.Cette disposition répond au voeu de certaines collectivités, dont Mayotte en particulier, qui n'a pas cessé d'être revendiquée, depuis 1975, par l'Union des Comores. Comme l'a souligné la ministre de l'outre-mer, il était, en outre, paradoxal que seule la Nouvelle-Calédonie, qui dispose d'un statut fortement dérogatoire, figure dans la Constitution dans un titre spécifique. Bien que la Nouvelle-Calédonie reste régie par le titre XIII de la Constitution, le Sénat a souhaité la mentionner dans le nouvel article 72-3, estimant notamment que cela permettrait de mieux affirmer son caractère de collectivité de la République.

1. Deux nouvelles catégories

En réécrivant les articles 73 et 74 de la Constitution, Le projet de loi constitutionnelle perpétue une distinction entre deux catégories, simplifiées sans être figées:

-  L'article 73 définit le statut des départements ou régions d'outre-mer régis par le principe de l'assimilation législative. Il concernera les DOM actuels.

-  L'article 74 institue une nouvelle catégorie juridique dénommée « collectivité d'outre-mer », qui se substitue à celle des territoires d'outre-mer et a vocation à englober toutes les collectivités régies entièrement ou partiellement soumises au principe de la spécialité législative Elle concernera ainsi les anciens TOM, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna, mais également les collectivités de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte. Ces quatre collectivités ont également pour point commun d'exercer des compétences propres dans des matières qui relèvent du domaine de la loi et elles sont dans une même situation au regard du droit communautaire.

Outre la Nouvelle-Calédonie, les terres australes et antarctiques françaises, dernier territoire d'outre-mer en vertu de sa loi statutaire du 6 août 1955, resteront en dehors de cette classification. Le dernier alinéa de l'article 72-3 renvoie au législateur ordinaire le soin de déterminer leur régime législatif et leur organisation particulière. Cette mise à l'écart se justifie puisque ce territoire n'est pas habité par une population autochtone permanente.

2. Une passerelle entre les deux

La répartition des différentes collectivités entre les deux catégories n'est pas figée : une procédure de transfert d'une catégorie à l'autre est prévue dans un nouvel article 72-4 de la Constitution. Elle prévoit le consentement préalable des électeurs de la collectivité concernée, ce qui constitue une importante innovation, et l'adoption d'une loi organique.

Le changement de statut d'une collectivité d'outre-mer n'est pas prévu par la Constitution actuellement. Une loi ordinaire est suffisante pour créer une collectivité sui generis ou un DOM et effectuer le passage de l'un à l'autre, sans qu'il soit nécessaire de consulter la population de la collectivité concernée, comme ce fut le cas pour Saint-Pierre-et-Miquelon en 1985. En revanche, depuis la révision constitutionnelle de 1992, la transformation d'un territoire d'outre-mer en département d'outre-mer, ou l'inverse, nécessite une loi organique, puisque le statut des territoires d'outre-mer relève d'une telle loi. La consultation préalable de l'assemblée territoriale intéressée est requise, mais le législateur n'est pas lié par son avis.

S'agissant des collectivités sui generis et des DOM, le Conseil constitutionnel a admis, en se fondant sur le deuxième alinéa du Préambule de la Constitution de 1958, que le législateur puisse prévoir une consultation de la population de la collectivité intéressée sur les évolutions statutaires envisagées, à condition qu'il ne soit pas lié par son résultat (59).

Le projet de loi constitutionnelle va beaucoup plus loin : aucun changement de régime ne pourra intervenir sans le consentement des populations intéressées. Ce dispositif devrait ainsi permettre de rassurer les populations d'outre-mer qui craignent, pour certaines, qu'un changement de statut aboutisse à leur abandon par la métropole.

Le texte initial avait prévu que les électeurs des collectivités intéressées seraient convoqués par le Président de la République sur proposition du Gouvernement. Le Sénat a sensiblement amélioré le dispositif dans un sens plus favorable au Parlement, en s'inspirant des dispositions de l'article 11 de la Constitution. Il a prévu que la consultation pourrait également intervenir sur proposition conjointe de deux assemblées et que, dans le cas où elle interviendrait à l'initiative du Gouvernement, une déclaration serait faite par celui-ci devant chaque assemblée et donnerait lieu à un vote. La possibilité de changer de statut est non seulement ouverte aux collectivités d'outre-mer, mais également à une portion d'entre elles : l'île de Saint-Barthélemy rattachée à la Guadeloupe par exemple. Dans ce cas, le Sénat a prévu que seul le consentement des électeurs de la partie de collectivité souhaitant changer de statut serait requis.

B. DES CATÉGORIES JURIDIQUES SOUPLES

Le projet de loi constitutionnelle conserve la ligne de partage entre les collectivités soumises au principe de l'assimilation législative et celles qui se voient reconnaître une spécialité législative. Toutefois, il assouplit le cadre constitutionnel consacré à chaque catégorie aux articles 73 et 74, afin de répondre à chacune de leurs attentes et d'éviter la création de multiples collectivités sui generis.

1. Les départements et les régions d'outre-mer : une faculté d'adaptation accrue

« Si l'on part du postulat que l'enjeu essentiel des départements d'outre-mer est d'y développer des activités économiques pour maintenir et développer l'emploi tout en veillant à maintenir les équilibres sociaux, c'est à une construction différente fondée sur la reconnaissance de la spécificité et intégrant très probablement un haut niveau d'évolubilité que nous sommes invités. Peut-on régler le problème institutionnel de l'outre-mer sans s'échapper du modèle de référence que sont les départements et les régions ? La question mérite à l'évidence débat (...) mais ma conviction (...) est que tant que l'on se référera à un modèle métropolitain, on n'offrira pas de solution adaptée aux départements d'outre-mer » (60). Cette opinion émise, en 1999, par un éminent juriste résume les enjeux de la réforme proposée dans le présent projet de loi constitutionnelle : offrir aux DOM la possibilité de choisir le modèle institutionnel qu'ils estimeront le plus pertinent, sans remettre en cause l'acquis fondamental représenté par l'assimilation.

Tel est ce que propose la présente réforme en son article 8, relatif au régime des DOM et des régions d'outre-mer (ROM). L'article 73 n'invoquera plus seulement les départements d'outre-mer mais également les régions d'outre-mer, ce qui entre dans la logique de la révision constitutionnelle, qui inscrit la région dans la Constitution, auprès des autres collectivités territoriales. DOM et ROM disposeront, en outre, d'une faculté d'adaptation de leur organisation administrative : la fusion des deux collectivités ou l'institution d'une assemblée unique sera dorénavant possible. Par ailleurs, si le principe de l'assimilation législative est maintenu, il fait l'objet de trois assouplissements. En premier lieu, la possibilité d'adaptation des lois et règlements par les autorités nationales sera désormais ouverte sur une base élargie, prenant en compte les « caractéristiques et contraintes particulières » des départements et régions d'outre-mer : le texte constitutionnel prend acte de la terminologie communautaire, en se référant à l'article 299 § 2 du traité d'Amsterdam, qui ouvre des possibilités d'adaptation plus importantes que l'article 73 actuel. En deuxième lieu, les collectivités concernées pourront être habilitées par la loi à décider elles-mêmes de ces adaptations dans leurs domaines de compétences. Enfin, le projet ouvre la possibilité de transférer à ces collectivités un véritable pouvoir normatif. Ainsi, « pour tenir compte de leurs spécificités », le législateur pourra habiliter les départements et les régions d'outre-mer à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, y compris dans des matières relevant du domaine de la loi. Seront toutefois exclues de ce dispositif un certain nombre de compétences régaliennes.

In fine, au schéma actuel reposant sur une triple assimilation (assimilation des DOM au régime législatif de la métropole d'une part, à l'organisation administrative métropolitaine de droit commun d'autre part, et assimilation des DOM entre eux), est substitué le triptyque « assimilation - adaptation - différenciation » : assimilation tout d'abord, en ce que le principe d'assimilation législative et réglementaire des DOM à la métropole est, à nouveau, explicitement affirmé ; adaptation ensuite, dans un cadre élargi, s'agissant aussi bien des conditions ouvrant la possibilité d'adaptation, que de la liste des titulaires de la faculté d'adaptation ; différenciation enfin, chaque DOM et ROM ayant la faculté de choisir où il souhaite placer le curseur entre assimilation et adaptation.

Il convient de saluer ce retour à la réalité du terrain, beaucoup plus respectueuse de l'identité propre à chaque DOM que ne l'est le statut actuel qui, sous prétexte de l'appartenance à la même catégorie générique de DOM, prétend calquer la même organisation sur des territoires divers. Sans doute ces derniers présentent-ils de nombreuses caractéristiques communes (éloignement de la métropole, conditions climatiques, économie de plantation combinée à une culture vivrière), mais ils ont également, et surtout, des traits distinctifs, à commencer par un rapport différent à leur histoire, élément essentiel s'il en est. Les DOM ne sont, par conséquent, comparables ni dans leurs aspirations ni dans leurs problèmes.

Fallait-il pour autant faire apparaître cette ligne de partage dans le texte constitutionnel, comme l'a fait le Sénat lors de l'examen du texte en première lecture ? Soucieux de répondre aux inquiétudes de certains élus réunionnais, la seconde chambre a privé la Réunion de la faculté d'adapter ou de fixer elle-même les règles applicables sur son territoire, alors que cette possibilité était très encadrée et soumise à la demande de la collectivité. Si, à ce jour, la Réunion ne souhaite pas faire usage de cette faculté, elle pourrait le souhaiter à l'avenir. Dans cette hypothèse, une révision de la Constitution s'imposerait.

Reste qu'au-delà de visions différentes de leur avenir institutionnel, les DOM partagent, en revanche, une conviction commune : le débat institutionnel ne doit plus focaliser l'attention et l'énergie de tous les responsables, mais doit rapidement servir l'enjeu du développement économique qui l'inspire. Là réside la portée de la présente réforme : de même que la loi de 1946 fut une révolution sereine, visant un objectif défini sans ambiguïté, celui de l'égalité sociale, de même, la révision constitutionnelle qui nous est aujourd'hui soumise vise à permettre aux DOM de prendre à bras le corps, mais dans la sérénité, le problème du développement économique. Sereinement, c'est-à-dire en ayant choisi les outils avec lesquels chacun d'entre eux compte entamer ce chantier majeur. L'égalité sociale avec la métropole signifiait la stricte assimilation. Par un paradoxe qui n'est qu'apparent, le développement économique durable signifie aujourd'hui la mise en _uvre de politiques spécifiques à chaque DOM. C'est aux acteurs locaux de terrain qu'il appartiendra de décliner l'égalité dans la spécificité, l'objectif essentiel étant de libérer les énergies et de rétablir les voies de la cohésion et de l'intégration sociales.

2. Les collectivités d'outre-mer : des statuts ajustés à chaque collectivité

La réforme met fin à l'existence des TOM. Les collectivités d'outre-mer régies en partie ou totalement par le principe de la spécialité législative pourront bénéficier de statuts « sur mesure », en fonction de leurs spécificités et de leurs aspirations. Comme c'était déjà le cas pour les territoires d'outre-mer, leur statut relèvera de la loi organique. Il devra comporter un certain nombre de dispositions obligatoires : la définition du régime législatif applicable, les compétences de la collectivité, les règles d'organisation et de fonctionnement de l'assemblée délibérante, les conditions de consultation de la collectivité sur les projets de textes législatifs ou réglementaires le concernant et sur la ratification ou l'approbation d'engagements internationaux conclus dans des matières relevant de sa compétence. Il convient de souligner qu'un certain nombre de matières d'essence régalienne dont la liste figure désormais dans la Constitution seront insusceptibles de transfert,

Le nouvel article 74 consacre l'existence de collectivités dotées de l'autonomie pour lesquelles il prévoit d'importantes innovations. Un contrôle juridictionnel spécifique sur certains actes qu'elles prendront dans des matières relevant en métropole du domaine de la loi pourra être institué ainsi qu'une procédure de «déclassement » par le Conseil constitutionnel de dispositions législatives empiétant sur leur compétence. Ces collectivités pourront être autorisées à adopter des mesures préférentielles en faveur de leur population en matière d'accès à l'emploi, de droit d'établissement et de protection du patrimoine foncier. Enfin, elles pourront participer à l'exercice des compétences conservées par l'État.

Ce nouveau cadre constitutionnel répond aux préoccupations de la Polynésie française tout en reproduisant, sous une formulation impersonnelle susceptible de s'appliquer, le cas échéant, à chacune des collectivités d'outre-mer, certaines des possibilités offertes par le projet de loi constitutionnelle adopté en 1999. Il propose en outre deux avancées supplémentaires, en instaurant une procédure de déclassement permettant aux collectivités d'outre-mer de contrecarrer les éventuelles immixtions du législateur dans ses compétences et en associant ces collectivités à l'exercice de certaines compétences régaliennes.

S'agissant de l'outre-mer, le projet de loi prévoit également une procédure accélérée d'actualisation du droit applicable dans les collectivités soumises au principe de spécialité dans un nouvel article 74-1 (article 10). En outre, il modifie l'article 7 de la Constitution, afin d'assouplir les conditions de délai pour l'organisation du scrutin présidentiel et permettre ainsi la prise en compte du décalage horaire pour le vote des électeurs d'outre-mer (article 11).

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Avant d'examiner le projet de loi, la Commission a procédé, le mardi 12 novembre 2002, à l'audition de M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, de M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, et de Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer.

Avant de présenter le contenu du projet de loi constitutionnelle et les modifications apportées par le Sénat, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, a rappelé les objectifs et la méthode adoptés par le Gouvernement.

Il a, tout d'abord, indiqué que ce dernier avait jugé souhaitable, pour engager la réforme de la décentralisation, de procéder, en premier lieu, à une modification de la Constitution, qui fixe des perspectives, avant que de présenter, en second lieu, au cours de l'année 2003, sur le fondement des débats qui se déroulent actuellement dans les régions et permettent à tous ceux qui le souhaitent de s'exprimer sur l'évolution de la décentralisation, une première série de textes organiques et ordinaires, destinés à mettre en application les orientations nouvelles qui seront inscrites dans la Constitution. Évoquant les débats qui ont eu lieu au Sénat, il a relevé qu'ils avaient fait apparaître des attentes, qui ne pourront être immédiatement satisfaites par le texte constitutionnel, mais le seront ultérieurement par les projets de loi organique ou ordinaire à venir.

S'agissant du contenu du projet de loi constitutionnelle, le ministre a d'abord souligné qu'il consacrait l'existence et le rôle des régions, reconnaissait l'organisation décentralisée de la République et en tirait les conséquences fondatrices sur la répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales, ce qui implique l'application du principe de subsidiarité. Il a ajouté que le texte, conformément aux souhaits exprimés depuis plusieurs années, ouvrait aux collectivités territoriales une capacité d'expérimentation déjà mise en pratique par de nombreux acteurs locaux dans des domaines toutefois exclusivement réglementaires. Il a précisé que, corrélativement, une capacité d'expérimentation était reconnue à l'État, ce qui lui permettrait de conduire plus sûrement sa réforme globale. Puis, il a fait observer que le projet de loi garantissait l'autonomie financière des collectivités territoriales, rappelant que, depuis une vingtaine d'années, la question de la part que la fiscalité locale doit représenter dans le total des ressources des collectivités restait posée. Enfin, il a souligné que le cadre juridique de l'outre-mer serait renouvelé, conformément aux v_ux du Président de la République et aux attentes de nombreux élus d'outre-mer, sur la base, notamment, d'une clarification des deux grandes catégories de collectivités locales, visées respectivement aux articles 73 et 74 de la Constitution.

Le ministre a, ensuite, présenté les modifications apportées par le Sénat. Relevant que l'article 1er n'avait pas été modifié, que l'article 1er bis apportait une modification rédactionnelle utile, il a insisté sur l'extension du champ d'application de l'article 3, relatif aux textes soumis en premier lieu au Sénat, aux projets de loi relatifs aux instances représentatives des Français établis hors de France. S'agissant de l'article 4 du projet de loi, il a observé que le Sénat avait précisé l'énumération des collectivités territoriales prévue dans le premier alinéa de l'article 72 et donné valeur constitutionnelle au principe selon lequel aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre, même si, pour l'exercice d'une compétence qui nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l'une d'entre elles à organiser les modalités de leur action commune. Puis il a indiqué que le Sénat avait limité la portée de l'article 5 relatif au droit de pétition, en prévoyant que les électeurs ont le droit de demander, et non d'obtenir, l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante d'une collectivité d'une question relevant de sa compétence. Enfin, il a indiqué que le Sénat avait adopté un amendement du Gouvernement procédant à une réécriture de l'article 6, afin, notamment, de préciser que toute création de nouvelle compétence est accompagnée de ressources déterminées par la loi et d'affirmer que la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à compenser les inégalités entre collectivités territoriales.

Présentant les modifications apportées par le Sénat concernant la partie du projet de loi relative à l'outre-mer, Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, a indiqué que les débats avaient permis une clarification et une amélioration notable du texte, notamment par l'introduction d'un article 72-4 et par la nouvelle rédaction de l'article 72-3, qui concourent à préciser les conditions d'un changement de régime d'une collectivité existante et à encadrer le régime de la collectivité d'outre-mer dont l'existence résulterait d'une fusion de deux collectivités. Elle a, en revanche, regretté l'exclusion de La Réunion du dispositif de l'article 73, mais s'est félicitée des amendements portant modification de l'article 74, qui permettent de répondre aux souhaits exprimés, notamment, par les Polynésiens.

Après avoir observé que l'article 4 adopté par le Sénat reconnaissait expressément aux groupements un droit à l'expérimentation, le Président Pascal Clément s'est interrogé sur la portée de la notion de collectivités « chefs de file », se demandant si, par une interprétation a contrario, cette qualité était déniée aux groupements qui ne sont pas explicitement mentionnés. Il a souhaité savoir si les dispositions relatives à l'expérimentation, aux référendums locaux et aux droits de pétition s'appliquaient également aux collectivités situées outre-mer et s'est enquis des modalités du contrôle juridictionnel spécifique pour les actes des assemblées territoriales intervenant dans le domaine de la loi. Il a également souhaité connaître les modalités de la participation des collectivités d'outre-mer aux compétences régaliennes de l'État. Enfin, il a demandé des précisions sur la notion de « consentement des électeurs inscrits dans le ressort de ces collectivités », que le Sénat a maintenu à l'article 8 du projet de loi constitutionnel, alors qu'il l'a supprimée ailleurs.

Après avoir souligné que la réforme de la décentralisation, du vote du projet de loi constitutionnelle jusqu'à celui des lois d'habilitation, allait s'étaler sur plusieurs mois, M. Marc-Philippe Daubresse a interrogé les ministres sur la date à laquelle les grands principes des lois organiques à venir seraient rendus publics. Prolongeant la question posée par le Président Pascal Clément, il a souhaité que l'on réfléchisse à d'éventuels transferts de compétences aux groupements de communes, notamment aux communautés urbaines, faisant valoir que ces structures intercommunales pouvaient gérer des budgets supérieurs à un milliard d'euros. Observant que l'expérimentation pouvait avoir un caractère soit national, soit local, il s'est demandé si une loi organique différencierait ces deux types d'expérimentations.

Tout en indiquant que le groupe socialiste était favorable à la décentralisation, Mme Ségolène Royal a souligné la nécessité d'avoir connaissance de l'ensemble des textes organisant les transferts de compétences et de ressources envisagés, avant le vote de la réforme constitutionnelle, rappelant que le président de la République avait formulé la même exigence à l'occasion de la révision constitutionnelle sur la justice. Après avoir souligné que les premières lois de décentralisation n'avaient pas un caractère constitutionnel, elle a estimé que la majeure partie des dispositions proposées ne relevait pas de la loi fondamentale, ainsi que l'a d'ailleurs jugé le Conseil d'État dans son avis. Citant les propos du Premier ministre faisant notamment de la révision constitutionnelle le fondement de l'ensemble de la réforme, elle a critiqué le décalage existant entre les ambitions affichées par le Gouvernement et le flou du texte proposé, estimant que cette imprécision présentait un réel danger.

Tout en reconnaissant que la décentralisation constituait une réponse à la demande de démocratie exprimée par les Français et était un moyen de combattre leur désintérêt pour la politique, M. Jacques Brunhes a estimé que la réforme constitutionnelle proposée modifiait profondément l'architecture de la République, en mettant en cause son caractère unitaire et solidaire. Il a regretté la précipitation avec laquelle le Parlement légiférait sur cette question, alors même que l'enjeu est crucial, et s'est inquiété de l'absence d'informations sur le contenu des lois organiques à venir. Après avoir estimé que le projet de loi avait été rédigé à la hâte, sans concertation réelle, les assises des libertés locales revêtant avant tout un caractère formel, il a critiqué l'imprécision des dispositions proposées. Il a également regretté la rapidité de l'examen du projet de loi au Sénat, observant que des amendements adoptés par la commission des Lois avaient été retirés en séance publique, sans que la commission ne soit à nouveau réunie. Il s'est ensuite inquiété des compétences restant à l'État à l'issue des transferts envisagés. Il a enfin souhaité savoir si la question du corps électoral néo-calédonien serait réglée dans le cadre de la révision constitutionnelle, estimant qu'il serait souhaitable d'organiser un référendum sur cette question.

M. Xavier de Roux a estimé que seuls les quatre premiers alinéas du nouvel article 72 proposé par l'article 4 et les dispositions relatives au référendum contenues dans l'article 5 relevaient d'une loi constitutionnelle, les autres dispositions proposées, notamment celles relatives au droit de pétition, ayant davantage leur place dans une loi organique. Il s'est ensuite interrogé sur la portée du nouvel article 37-1 de la Constitution, qui autorise l'existence de dispositions expérimentales dans la loi et le règlement.

Mme Anne-Marie Comparini a salué l'ouverture de ce débat sur la décentralisation et a jugé surprenant que l'on puisse contester le fait qu'il débute par une réforme de la Constitution. Elle a cependant souhaité avoir des précisions sur la façon dont seront régulées les relations entre les collectivités locales, dans le contexte d'une décentralisation accrue. Tout en considérant qu'il n'était pas souhaitable qu'une collectivité puisse exercer une tutelle sur d'autres, elle a regretté l'affaiblissement du concept de « chef de file », particulièrement attendu dans des domaines tels que les transports ou le développement économique. Abordant, par ailleurs, le volet financier de la réforme, elle s'est interrogée sur la possibilité pour les collectivités locales de percevoir une fraction de certains impôts nationaux, tels que la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) ou la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). A cet égard, elle a souhaité savoir si cette orientation soulevait effectivement des problèmes au regard du droit communautaire, comme l'a récemment indiqué le comité des finances locales.

M. Bernard Roman a fait part de ses réserves sur les dispositions du projet de loi qui consacrent, pour la première fois sous la Ve République, une certaine prééminence du Sénat sur l'Assemblée nationale. Il a rappelé que le général de Gaulle et son premier ministre de l'époque, M. Michel Debré, avaient veillé, en 1958, à ce qu'il n'en soit pas ainsi. Il a jugé cette orientation d'autant plus choquante qu'elle ne s'accompagne d'aucune contrepartie en ce qui concerne la durée du mandat des sénateurs ou leur représentativité. Par ailleurs, il a souhaité savoir si le droit à l'expérimentation prévu par le projet de loi pourrait s'exercer aussi bien aussi au niveau national que local.

M. Guy Geoffroy a considéré qu'il n'était pas possible de déduire de l'article 3 du projet de loi, qui ne fait que prévoir que certains projets de loi seront soumis en premier lieu au Sénat, une quelconque prééminence d'une assemblée sur une autre, observant que cette disposition ne changeait rien aux compétences respectives des deux chambres.

M. Émile Zuccarelli a jugé que le débat qui s'est développé sur ce qui relève, respectivement, de la Constitution ou de la loi organique, était révélateur du manque d'homogénéité du texte du Gouvernement. Il a fait référence, en particulier, à la précision selon laquelle l'organisation de la République française est décentralisée. Il a également fait part de ses réserves sur l'articulation proposée entre la décentralisation et l'expérimentation, jugeant qu'une expérimentation trop extensible pourrait conduire à la coexistence de régimes juridiques excessivement différents. Il a, par ailleurs, contesté l'application du principe de l'expérimentation au domaine législatif, jugeant suffisant de confier aux collectivités locales le pouvoir de déterminer les modalités d'application de la loi. Observant que ceux qui réclamaient le droit d'adapter les normes nationales ne savaient généralement pas sur quelles matières ils seraient susceptibles d'exercer cette compétence, il a jugé qu'ils recherchaient surtout des « effets d'affichage » et s'est inquiété de la répercussion particulièrement préjudiciable de ces initiatives sur le texte même de la Constitution.

Mme Christiane Taubira s'est interrogée sur la portée réelle du principe de l'expérimentation en ce qui concerne l'outre-mer, et notamment sur les perspectives de généralisation qui sous-tendent l'expérimentation. Elle a insisté sur le fait que cette expérimentation devrait pouvoir être mise en _uvre y compris sur des enjeux propres aux DOM, comme par exemple les problèmes de navigabilité des fleuves en Guyane, et non pas uniquement sur des questions susceptibles de concerner l'ensemble du territoire français.

M. Philippe Vuilque a observé qu'il existait souvent un décalage entre la perception qu'ont les Français, d'une part, et les élus, d'autre part, des problèmes institutionnels. De ce point de vue, il a jugé que la réforme engagée par le Gouvernement en matière de décentralisation, qu'il a qualifiée d'« occasion manquée », ne parviendrait pas à combler ce décalage. Il a estimé que le dossier de la modernisation de la vie politique aurait dû être considéré comme prioritaire et s'est prononcé en faveur de nouvelles réformes concernant, notamment, le Sénat, le mode de scrutin des conseils généraux et le cumul des mandats.

M. Jean Leonetti a constaté que le projet de loi présenté par le Gouvernement ne conduisait pas à la disparition à terme, défendue par certains, des départements. Il s'est félicité de ce choix, considérant que les départements participaient pleinement à l'épanouissement de la citoyenneté locale. Il a cependant estimé qu'il ne fallait pas sous-estimer les inconvénients d'une stratification des différents niveaux de collectivités et s'est demandé si la reconnaissance d'un chef de file en fonction des domaines d'intervention ne serait pas un moyen de résoudre cette difficulté.

M. André Chassaigne a fait part de sa crainte que ce projet de loi ne fasse qu'accentuer les inégalités déjà très fortes qui existent entre des territoires, dont le niveau de développement est sensiblement différent. Il a jugé particulièrement important que l'État assume ses responsabilités en matière de péréquation.

M. Jacques-Alain Bénisti a relevé qu'en matière de péréquation, le Sénat avait modifié l'article 6 du projet de loi, qui fait désormais référence à la « compensation », et non plus à la « correction », des inégalités entre collectivités territoriales. Il a jugé préférable, sur ce point, de rétablir le texte initial du Gouvernement, tout en soulignant que les modalités d'application de cette disposition relevaient bien de la loi organique.

En réponse aux intervenants, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, a apporté les précisions suivantes :

-- S'agissant de la méthode retenue par le Gouvernement pour procéder à cette nouvelle étape de la décentralisation, le choix a été fait de procéder d'abord à la révision de la Constitution, pour permettre à chacun de s'exprimer en organisant parallèlement des consultations régionales et nationales, avant de présenter les projets de loi organique et ordinaire nécessaires à la prise en compte des souhaits exprimés ; si ce choix n'est pas le plus simple, notamment en termes de communication, la solution inverse aurait été incohérente.

-- S'agissant de l'intercommunalité, le Gouvernement, contrairement aux v_ux exprimés par une minorité de sénateurs, n'a pas souhaité constitutionnaliser les établissements publics de coopération intercommunale, non par méfiance à leur égard mais parce que ces groupements sont encore en pleine évolution, tant en ce qui concerne leurs structures que le mode de désignation de leurs représentants. Si le projet de loi adopté par le Sénat en première lecture n'autorise pas ces groupements à organiser les modalités d'une action commune à plusieurs collectivités, il en fait, en revanche, des supports pour l'expérimentation. En outre, le projet de loi constitutionnelle ne rend pas impossible tout transfert supplémentaire de compétences au profit des structures intercommunales : celui-ci pourra éventuellement être prévu par la loi, l'étendue des compétences de ces groupements tenant, en tout état de cause, à la volonté exprimée en ce sens par les communes qu'ils rassemblent.

-- L'article 2 du projet de loi constitutionnelle ne concerne nullement les collectivités territoriales ; il tend à permettre au législateur et au Gouvernement - qui, en vertu de la Constitution, dispose d'un pouvoir réglementaire autonome - de procéder à des expérimentations, ce qui, en l'absence de révision constitutionnelle, serait impossible. La décentralisation étant avant tout une réforme de l'autorité publique, il serait regrettable de reconnaître un pouvoir d'expérimentation aux collectivités territoriales sans en doter simultanément l'État ; l'expérimentation peut, en effet, se révéler un préalable indispensable à la mise en _uvre de réformes complexes ou de grande ampleur. A titre d'exemple, il sera désormais envisageable de prévoir, dans une loi, l'expérimentation de nouvelles modalités d'organisation judiciaire dans quelques tribunaux d'instance. Cette expérimentation - dont le Sénat a précisé qu'elle aura un objet et une durée limités - pourra avoir pour objet un territoire ou un contenu et se fera sous le contrôle du Conseil constitutionnel qui arbitrera entre droit à l'expérimentation et respect du principe d'égalité.

-- S'agissant du concept de collectivité chef de file, la rédaction adoptée, à l'article 4, par le Sénat affirme, dans un premier temps, le principe de l'absence de tutelle d'une collectivité sur une autre, et définit, dans un second temps, la possibilité d'y déroger ponctuellement, la loi pouvant charger une collectivité d'organiser les modalités d'une action commune à plusieurs d'entre elles.

-- En ce qui concerne le rôle et la place du Sénat sous la Ve République, il convient de rappeler que c'est la Constitution de 1958 qui a restauré le bicamérisme.

-- Il n'entre pas dans les projets du Gouvernement d'introduire la question de la réforme des modes de scrutin dans la présente révision constitutionnelle.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, a ensuite apporté les précisions suivantes :

-- La méthode retenue par le Gouvernement pour procéder à cette réforme n'est pas assimilable à celle adoptée par le précédent Gouvernement sur la réforme de la justice. En effet, les lois organiques concernaient alors des questions annexes à celles traitées dans le projet de loi constitutionnelle, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, la révision constitutionnelle énonçant des droits qui seront organisés et mis en _uvre dans des textes organiques. Ces derniers préciseront notamment les critères d'expérimentation - nécessité de réversibilité, d'évaluation et de volontariat - ainsi que les conditions d'organisation des référendums locaux. De même que le code pénal a donné corps aux principes très généraux inscrits dans la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, ce sont les dispositions organiques qui concrétiseront le projet de loi constitutionnel qu'il est, au demeurant, paradoxal de qualifier de flou et de dangereux à la fois. D'une façon générale, la révision constitutionnelle rendra nécessaires d'autres réformes, par exemple en matière fiscale, dont le contenu sera déterminé par la teneur de la réforme constitutionnelle adoptée.

-- Alors que la réforme de 1982 n'avait été précédée d'aucune concertation préalable dans les collectivités, les assises des libertés locales, actuellement organisées dans les régions, permettront de définir, non le contenu de la réforme constitutionnelle, mais les transferts de compétences susceptibles d'être opérés ainsi que le champ d'application du principe de subsidiarité. Elles seront également l'occasion de faire apparaître les interrogations suscitées par la réforme constitutionnelle, auxquelles il conviendra de répondre dans les textes subséquents. Dans ces conditions, il est nécessaire de clore ces assises avant d'examiner les dispositions organiques ; à l'inverse, si le Gouvernement présentait d'ores et déjà ces dernières, il pourrait lui être reproché de ne laisser aucune marge de man_uvre dans leur élaboration. D'une façon générale, le Gouvernement a engagé le débat sur la réforme constitutionnelle dans un esprit d'ouverture, comme l'atteste le nombre élevé d'amendements sénatoriaux sur lesquels il a émis un avis favorable.

- Inscrire les établissements publics de coopération intercommunale dans la Constitution aurait peut-être conduit à en faire un échelon obligatoire, alors qu'ils reposent sur le volontariat des collectivités. En outre, en faire des collectivités territoriales de plein exercice les contraindraient à respecter les dispositions de la charte européenne de l'autonomie locale de 1988, qui impose notamment l'élection au suffrage universel direct des assemblées délibérantes des collectivités territoriales. Or, même si une telle évolution est souhaitable, l'imposer trop rapidement risquerait de porter atteinte au développement de l'intercommunalité, en suscitant des réticences de la part des communes.

-- Dès lors que le régime de la TVA est défini au niveau européen, il n'est pas possible de confier compétence en la matière aux régions ; en revanche, ces dernières peuvent se voir reconnaître le pouvoir de fixer le taux de la TIPP, dont l'Union européenne ne fixe que les taux minima.

-- Actuellement, la définition des règles applicables en matière d'expérimentation est d'origine jurisprudentielle, ce qui conduit à une relative insécurité juridique. C'est pourquoi, afin de préserver et d'encadrer cette procédure, il est préférable de l'inscrire dans la loi constitutionnelle.

-- D'ores et déjà, il arrive que le Sénat soit saisi le premier d'un projet de loi, ce qui n'entraîne nulle prééminence sur le fond. La présente réforme ne fait, par conséquent, qu'inscrire une pratique, qui dépend actuellement de la seule volonté du Gouvernement, dans le droit. Elle la limite, en outre, à deux domaines, qui correspondent aux compétences reconnues au Sénat par l'article 24 de la Constitution, qui dispose que celui-ci assure la représentation des collectivités territoriales de la République et ajoute que les Français établis hors de France y sont représentés.

-- Le mécanisme de péréquation ne visera nullement à compenser les inégalités conjoncturelles, nées de la mise en _uvre d'une mauvaise gestion dans une collectivité, mais seulement à corriger les inégalités structurelles, liées à la situation géographique ou historique, héritée notamment de pratique excessivement centralisatrice du passé, par exemple en matière de transport ferroviaire ou aérien.

Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, a enfin apporté les précisions suivantes :

- Au-delà de leurs spécificités reconnues par les articles 73 et 74 de la Constitution, les collectivités situées outre-mer relèvent, au même titre que celles de métropole, des dispositions de droit commun figurant au titre XII de la Constitution. Dès lors, ces collectivités pourront, bien évidemment, mettre en _uvre des expérimentions en matière législative et réglementaire mais celles-ci ayant pour objet, le cas échant, d'être généralisées à l'ensemble du territoire, elles semblent donc moins bien adaptées à la prise en considération des spécificités de l'outre-mer que ne l'est la procédure permettant à ces collectivités d'adapter les dispositions législatives en vigueur. C'est pourquoi, le Gouvernement s'en est remis à la sagesse du Sénat sur l'amendement présenté par M. Jean-Paul Virapoullé, tendant à exclure l'île de la Réunion du bénéfice de l'application des dispositions relatives au pouvoir d'adaptation des règles en matière législative au profit de l'application des seules dispositions relatives à l'expérimentation. Le projet de loi constitutionnelle renforce considérablement la portée des possibilités d'adaptation dans les départements et régions d'outre-mer. Il autorise trois sortes d'assouplissements. S'inspirant de l'article 299-2 du traité d'Amsterdam, il autorise les adaptations nécessitées par les caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités. En outre, il permet au législateur d'habiliter la collectivité qui le souhaite à fixer elle-même ces adaptations. Enfin, la nouvelle rédaction de l'article 73 de la Constitution prévoit que les collectivités concernées pourront être habilitées à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, y compris dans certaines matières relevant du domaine de la loi.

- Afin de renforcer la démocratie outre-mer, la rédaction de l'article 73 de la Constitution proposée par le projet de loi innove en prévoyant que le consentement des électeurs inscrits dans le ressort des collectivités concernées doit être recueilli préalablement à la création, par la loi, d'une collectivité se substituant à un département et une région d'outre mer ou à l'institution d'une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités. L'article 72-4 permettra, pour sa part, de consulter des électeurs d'une partie d'une collectivité située outre-mer sur leur volonté de changer de statut.

- Le projet de loi permettra aux collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 d'être associées à l'exercice de compétences régaliennes, aux côtés de l'État qui doit demeurer, en tout état de cause, le seul maître d'oeuvre en ces matières. A titre d'illustration, la Polynésie française bénéficie, d'ores et déjà, de la possibilité de prendre des dispositions de portée générale dans des matières qui relèvent, en métropole, de la compétence de l'État, mais elle n'a pas la compétence pour s'assurer du contrôle de leur application. Cette situation, qui n'est pas satisfaisante, ne devrait plus prévaloir après la mise en _uvre de la présente réforme constitutionnelle.

- L'accord de Nouméa du 5 mai 1998 évoque, non sans une certaine ambiguïté, la possibilité de modifier les règles relatives à la composition du corps électoral en Nouvelle-Calédonie. Le précédent Gouvernement avait proposé, dans le cadre du projet de loi constitutionnelle relatif à la Polynésie française, adopté par l'Assemblée nationale le 10 juin 1999, de substituer à un corps électoral dit « glissant » celui qualifié de « bloqué ». Le nouveau Gouvernement n'a pas l'intention de poursuivre dans cette voie compte tenu, notamment, du recours intenté contre la République française devant la Cour européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, fondé précisément sur les modalités de détermination du corps électoral. Dans un tel contexte, il serait, en effet, particulièrement malvenu et maladroit de restreindre davantage l'accès au corps électoral néo-calédonien alors même qu'aucun caractère d'urgence n'est attaché à cette réforme qui, en tout état de cause, ne trouverait lieu de s'appliquer qu'à partir de 2008.

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* *

Après l'exposé du rapporteur, plusieurs commissaires sont intervenus dans la discussion générale.

M. Émile Zucarelli a jugé indispensable que soit levée l'ambiguïté recelée, selon lui, par le projet de loi constitutionnelle sur la détermination de l'autorité compétente pour engager une expérimentation.

Mme Ségolène Royal a estimé que la présentation du texte faite par le rapporteur - qu'elle a qualifiée d'«  idyllique » - attestait du caractère extrêmement technique de la réforme proposée par le Gouvernement, ce qu'elle a jugé paradoxal alors que celui-ci prétend engager une action destinée à rapprocher les citoyens de leurs gouvernants. Évoquant le souhait prêté au Premier ministre par certains journalistes de vouloir sortir du « piège de la décentralisation », elle a estimé que cet écueil aurait pu être évité si la réforme avait été accompagnée de la présentation de textes prévoyant des transferts précis de compétences, par exemple en matière d'action sociale pour les départements, de formation professionnelle ou d'intervention économique pour les régions. Stigmatisant le caractère théorique d'une réforme, difficilement compréhensible pour les Français, elle a fait observer que l'objectif commun des élus était la réussite de la décentralisation et, rappelant la méthode retenue en 1982, a jugé qu'il aurait été préférable d'avoir un débat concret sur les transferts de compétences envisagés, avant de procéder à une révision constitutionnelle.

Prenant ensuite l'exemple de la régionalisation des transports ferroviaires, elle a souligné que l'expérimentation n'imposait pas de révision constitutionnelle, puis a fait part de ses craintes sur l'habilitation donnée au législateur pour procéder à des expérimentations, jugeant que celle-ci pourrait entraîner la désorganisation de l'État. Après avoir demandé des éclaircissements sur l'avenir des pays, elle a rappelé que la loi de 1995, présentée par M. Charles Pasqua, n'avait pas été suivi d'une réforme des règles de péréquation financière, contrairement à ce qui avait alors été annoncé ; elle a jugé que l'inaction en la matière serait lourde de conséquences, compte tenu des fortes attentes exprimées par les citoyens et du souci affiché par le Gouvernement d'apporter des réponses concrètes à leurs préoccupations.

Jugeant, au contraire, que l'exposé du rapporteur avait utilement levé certaines ambiguïtés, M. Jean Leonetti a fait observer que, de même qu'il n'est pas nécessaire de maîtriser le détail des techniques médicales pour se convaincre de l'utilité de la médecine, l'éventuelle incompréhension des Français sur l'articulation entre Constitution et lois organiques ne saurait être un argument pour critiquer la réforme proposée aujourd'hui par le Gouvernement. Après avoir considéré qu'il était logique d'ouvrir des perspectives générales avant de préciser le processus de décentralisation, il a exprimé des réserves sur l'expression de « chef de file », souhaitant qu'une réflexion soit engagée au sein de la Commission, afin de trouver une terminologie permettant de définir, de façon adéquate, le rôle d'une collectivité qui anime un projet que plusieurs collectivités financent.

Évoquant l'article 3 du projet de loi constitutionnelle, M. Francis Delattre a jugé discutable de soumettre en premier lieu au Sénat les textes ayant pour objet les compétences des collectivités locales. En effet, il a exprimé la crainte que cette disposition ne réduise le rôle de l'Assemblée nationale sur des secteurs aussi importants que la formation professionnelle ou le logement. Il a jugé une telle évolution particulièrement regrettable, au moment où l'on observe une prégnance de plus en plus importante du droit communautaire. Il a rappelé, en effet, que l'Assemblée nationale était, avec le Président de la République, seule détentrice de la légitimité démocratique et, à ce titre, gardienne de l'intérêt général.

Approuvant les propos tenus par M. Francis Delattre, M. Philippe Vuilque a considéré, à son tour, qu'il était inadmissible que le projet de loi constitutionnelle accorde au Sénat la primeur de l'examen de tous les projets de loi relatifs aux collectivité locales, compte tenu, notamment, de l'élection au suffrage universel indirect des sénateurs qui ne leur confère pas la même légitimité démocratique que celle dont jouissent les députés. Rappelant que la Constitution du 4 octobre 1958 ne prévoyait la prééminence institutionnelle du Sénat, plus précisément de son président, sur l'Assemblée nationale que dans l'hypothèse très exceptionnelle de vacance ou d'empêchement du Président de la République, il a regretté que le dispositif du projet de loi constitutionnelle ait pour conséquence de modifier l'équilibre des pouvoirs entre les deux assemblées.

Précisant qu'il n'avait pas d'hostilité de principe au dispositif du nouvel article 37-1 de la Constitution qui permet à l'État d'expérimenter, temporairement et sur tout ou partie du territoire, la norme qu'il a édicté lui-même, M. Xavier de Roux a jugé cependant contestable qu'une telle possibilité lui soit offerte en matière fiscale, considérant que le principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques devait être scrupuleusement respecté.

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

- Il est infondé de s'opposer au projet de réforme constitutionnelle au motif que la représentation nationale n'est pas encore informée du contenu des futures lois organiques et ordinaires d'application ; exciper, à cet égard, du précédent que constituerait le refus du Président de la république de convoquer le Congrès à l'occasion de la réforme de la justice proposée par le précédent Gouvernement relève d'une simple manoeuvre politicienne. Il faut rappeler que le principe d'égalité fait actuellement obstacle à l'expérimentation. Il est donc nécessaire d'aménager le cadre constitutionnel avant d'adopter des lois qui permettront de transférer aux collectivités locales de nouvelles compétences dans le cadre desquelles des expérimentations pourront être menées.

- La réforme constitutionnelle proposée prévoit que tout transfert de compétence entre l'État et les collectivités territoriales doit s'accompagner de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Il ne sera donc plus loisible au Gouvernement de confier, par la loi, de nouvelles compétences aux collectivités territoriales, sans leur garantir les moyens financiers de les assumer comme cela a été trop souvent le cas auparavant ; à cet égard, la création, en 2000, de l'allocation personnalisée d'autonomie dont la charge a été unilatéralement confiée aux départements, constitue un exemple de ce qu'il ne faudra plus faire. En outre, le dernier paragraphe du nouvel article 72-2 de la Constitution, qui dispose que la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à compenser les inégalités entre collectivités territoriales, devant permettre de compenser les inégalités de richesse entre les collectivités locales - et non la plus ou moins bonne gestion - sans se heurter au principe à valeur constitutionnelle de la libre administration des collectivités locales.

- Dans le cadre de projets communs à plusieurs collectivités, la possibilité de charger l'une d'entre elles d'organiser les modalités de leur action commune, quoique délicate à mettre en _uvre, semble néanmoins correspondre à une réelle attente des élus locaux et, notamment, des présidents de région.

- Le Sénat étant le représentant des collectivités territoriales, il n'est ni choquant ni illégitime que les projets de loi concernant lesdites collectivités soient soumis en premier lieu à son examen. Toutefois, cette règle ne saurait prévaloir en matière fiscale, puisque l'Assemblée nationale doit demeurer le lieu institutionnel du consentement à l'impôt ; le rapporteur proposera un amendement écartant le principe de l'examen prioritaire du Sénat pour les textes relatifs aux ressources des collectivités locales.

- Les expérimentations qui seront menées par l'État en application des dispositions de l'article 37-1 de la Constitution devraient principalement porter sur des réformes relatives à l'organisation et au fonctionnement des services publics.

La Commission a ensuite rejeté l'exception d'irrecevabilité n° 1 et la question préalable n° 1 présentée par M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste.

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EXAMEN DES ARTICLES

Article premier

(article premier de la Constitution)

Organisation de la République

L'article premier de la Constitution énumère les principes fondateurs de l'identité de la République. Cet article a pour objet d'y ajouter le principe selon lequel l'organisation de la République est décentralisée.

La décentralisation serait ainsi consacrée, aux côtés du caractère indivisible, laïque, démocratique et social de la République, de l'égalité des citoyens devant la loi, sans distinction d'origine, de race ou de religion, et du nécessaire respect de toutes les croyances. En outre, l'inscription dans la Constitution de la décentralisation rendrait ce processus irréversible. Comme le souligne l'exposé des motifs du projet de loi, « la République s'est construite sur les principes fondateurs de l'indivisibilité du territoire et de l'égalité des citoyens devant la loi [...] l'idée selon laquelle ces principes exigeraient que l'on bride les initiatives locales appartient au passé. » L'affirmation du principe de la décentralisation viendra conforter le principe de la libre administration des collectivités territoriales et permettra d'affirmer la spécificité et l'originalité du modèle français.

-  Le principe de libre administration et ses limites

· Le mouvement de décentralisation initié par la loi du 2 mars 1982 a pris appui sur le principe de libre administration des collectivités territoriales, affirmé à l'article 72 de la Constitution, situé dans le titre XII consacré aux collectivités territoriales, et reconnu pour la première fois par la jurisprudence du Conseil constitutionnel en 1979 à propos de la Nouvelle-Calédonie (61). Dans plusieurs décisions, le Conseil constitutionnel s'est attaché à préciser les contours de ce principe. Sur le fondement de l'article 34 et du deuxième alinéa de l'article 72, il a tout d'abord considéré qu'il appartenait au législateur de fixer les conditions et les garanties de la libre administration locale, aucune contrainte ne pouvant être imposée aux collectivités territoriales par la voie réglementaire. Le Conseil a ainsi estimé que relevaient de la compétence de la loi la définition des ressources, le statut des personnels  et les compétences respectives de l'État et des collectivités territoriales(62)

Le juge constitutionnel a ensuite cherché à donner un contenu au principe de libre administration et à encadrer corrélativement le pouvoir du législateur. Il a ainsi considéré que l'article 72 interdit au législateur d'instituer une tutelle d'une collectivité sur une autre (63) et lui fait, en revanche, obligation de créer des collectivités disposant d'attributions effectives (64). Ainsi, au fil de ses décisions, le Conseil constitutionnel a dégagé les critères qui permettent de mieux appréhender la portée concrète de l'article 72. Le législateur peut imposer des sujétions aux collectivités territoriales, mais à condition « qu'elles ne méconnaissent pas leur compétence propre [...], qu'elles n'entravent pas leur libre administration et qu'elles soient définies de façon suffisamment précise quant à leur objet et à leur portée (65) », et également « qu'elles répondent à des exigences constitutionnelles ou concourent à des fins d'intérêt général (66) ».

Les décisions du Conseil constitutionnel censurant des atteintes à la libre administration des collectivités territoriales restent cependant extrêmement rares. Le Conseil a censuré des dispositions qui privaient les collectivités territoriales du droit de se prononcer librement sur les créations et suppressions d'emplois et de celui de procéder librement à la nomination de leurs agents (67). Il a ensuite annulé une disposition qui créait une « contrainte excessive pour les collectivités territoriales », en prévoyant que les prorogations de la durée des délégations de service public ne pourraient atteindre qu'un tiers de la durée initialement prévue. De même, a été censurée la faculté reconnue au représentant de l'État de provoquer la suspension des actes des collectivités territoriales pendant trois mois (68). Enfin, le Conseil constitutionnel a estimé que le législateur avait méconnu la libre administration des collectivités territoriales en imposant la publicité des séances des commissions permanentes des conseils régionaux, estimant que cette question relevait du règlement intérieur des assemblées délibérantes (69).

· Si le Conseil a donné un contenu positif au principe de la libre administration des collectivités territoriales, il a, cependant, été amené à en limiter la portée pour le concilier avec d'autre principes : celui de l'indivisibilité de la République et celui de l'égalité des citoyens devant la loi.

Le juge constitutionnel a ainsi considéré que l'indivisibilité de la République, associée à l'unité de la souveraineté nationale, consacrée par l'article 3 de la Constitution, s'opposait à la reconnaissance de tout pouvoir normatif autonome aux collectivités territoriales. Dans sa décision du 17 janvier 2002 sur la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse, le Conseil a estimé que la loi qui lui était déférée « en ouvrant au législateur, fût-ce à titre expérimental, dérogatoire et limité dans le temps, la possibilité d'autoriser la collectivité territoriale de Corse à prendre des mesures relevant du domaine de la loi, la loi qui lui était déférée (était) intervenue dans un domaine qui ne relève que de la Constitution (70) ». Dans cette même décision, il a précisé que le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales était subordonné à ceux du Premier ministre et du Président de la République. Il convient de souligner, toutefois, que le Conseil constitutionnel a admis que le législateur puisse autoriser les assemblées des territoires d'outre-mer à prendre des mesures ressortissant en métropole au domaine de la loi, mais a bien précisé que cette dérogation à la répartition des compétences entre la loi et le règlement ne pouvait s'appliquer qu'à ces collectivités en raison de leur spécificité.

Le principe d'indivisibilité de la République interdit également toute possibilité d'« auto-organisation » des collectivités territoriales, le législateur ayant, par exemple, seul compétence pour déterminer l'organisation et le statut des territoires d'outre-mer (71). Enfin, l'indivisibilité de la République s'accompagne de l'unité du peuple français. C'est sur ce fondement, enfin, que le Conseil constitutionnel s'est opposé à la notion de « peuple corse, composante du peuple français » dans sa décision du 9 mai 1991 relative à la Corse (72).

Le principe d'égalité des citoyens devant la loi constitue une autre limite à la décentralisation. Le Conseil constitutionnel a en effet souligné à plusieurs reprises que les conditions d'exercice d'une liberté publique devaient être les mêmes sur l'ensemble du territoire et ne sauraient dépendre de décisions des collectivités territoriales(73).

Si la jurisprudence du Conseil constitutionnel a permis d'ancrer la décentralisation dans la République, sans doute a-t-elle interprété parfois de façon trop stricte le principe d'indivisibilité de la République. En outre, les protections constitutionnelles des collectivités territoriales apparaissent insuffisantes pour les prémunir contre une recentralisation des compétences par l'État ou la création de charges financières excessives.

-  La portée du principe

L'inscription en tête de la Constitution du principe selon lequel l'organisation de la République est décentralisée permettra de consacrer symboliquement la décentralisation et de marquer l'irréversibilité du processus. Il ne s'agit pas de remettre en cause le caractère unitaire de l'État, mais d'affirmer l'originalité et la spécificité du modèle français par rapport à d'autres pays européens, en particulier les États fédéraux.

Sur le plan juridique, l'inscription de ce principe ne devrait pas rester sans effet sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui devra le pendre en compte au même titre que l'indivisibilité de la République et l'égalité des citoyens devant la loi. En tout état de cause, cette inscription devrait écarter tout retour en arrière du législateur en marquant le caractère désormais irréversible de la décentralisation. On peut ainsi penser que le Conseil constitutionnel sera particulièrement attentif à préserver les acquis des collectivités territoriales en censurant des lois qui auraient pour objet, ou pour effet, de restreindre leurs prérogatives. Ce n'était pas le cas jusqu'alors puisque, dans sa décision du 8 août 1985 relative à la Nouvelle-Calédonie, le Conseil avait considéré qu'il était possible au législateur de restreindre les compétences des élus locaux, celui-ci n'étant pas tenu d'aller dans le sens d'un accroissement des libertés locales.

L'affirmation du caractère décentralisé de la République n'ouvre pas la voie au fédéralisme. Soulignons ainsi que des États européens comme l'Italie, qui sont également des États unitaires, n'ont pas hésité à reconnaître dans leur Constitution le principe de la décentralisation. La Constitution italienne dispose ainsi, dans son article 5, que « la République italienne, une et indivisible, reconnaît et favorise les autonomies locales, réalise dans les services qui dépendent de l'État la plus large décentralisation administrative ; adapte les principes et les méthodes de sa législation aux exigences de l'autonomie et de la décentralisation. »

La commission des Lois du Sénat avait envisagé de faire figurer la disposition selon laquelle l'organisation de la République est décentralisée à la fin de l'article 2, avec les autres caractéristiques de la République : sa langue, son emblème, son hymne, sa devise et son principe de Gouvernement, et également de préciser qu'il s'agissait de l'organisation territoriale de la République. Cette modification ne semblait pas pertinente.

En effet, La décentralisation est un grand principe. A ce titre, elle mérite de figurer à l'article 1er, qualifié par M.  René Cassin de « prolongation du préambule ». En outre, l'intention est bien de conjuguer de manière équilibrée l'indivisibilité de la République et la décentralisation, raison pour laquelle ces deux notions doivent figurer dans le même article. Enfin, l'expression « organisation territoriale de l'État » semble trop réductrice, car la décentralisation fait référence à un nouveau modèle de relations entre l'État et les collectivités territoriales de la République.

La Commission a tout d'abord rejeté un amendement de M. Émile Zucarelli tendant à supprimer la référence au caractère décentralisé de l'organisation de la République, le rapporteur ayant fait valoir que, contrairement à l'analyse de l'auteur de l'amendement, cette mention essentielle devait être introduite dans le texte de la Constitution.

Après avoir rejeté un amendement présenté par M. Daniel Poulou proposant d'introduire, dans le texte constitutionnel, une mention relative aux langues et cultures régionales, la Commission a examiné un amendement de Mme Christiane Taubira, tendant à mettre sur le même plan le principe de décentralisation et d'indivisibilité de la République, ainsi que son caractère laïque et social. Mme Christiane Taubira ayant fait valoir que l'affirmation de ce principe ne relevait en rien d'une simple modalité administrative, mais revêtait un caractère politique, comme l'illustraient les réformes proposées en matière de référendum local et de droit de pétition, le rapporteur a expliqué que la présente réforme ne visait en rien à mettre en place un État fédéral. Après que l'auteure de l'amendement eut expliqué que, si elle avait souhaité la mise en place d'un État fédéral, elle se serait clairement exprimée en ce sens, comme elle l'avait fait en matière européenne, la Commission a rejeté cet amendement.

De même, elle a rejeté l'amendement de M. Émile Blessig visant à assortir le principe de décentralisation d'une référence à la diversité des composantes territoriales de la République, le rapporteur ayant fait observer que cette diversité était déjà reconnue dans le titre XII de la Constitution. Enfin, elle a rejeté un amendement de repli de M. Émile Zuccarelli, précisant que le caractère décentralisé de la République s'appliquait à son organisation territoriale.

La Commission a adopté l'article premier sans modification.

Après l'article premier

La Commission a rejeté un amendement présenté par Mme Christiane Taubira, relatif à la reconnaissance constitutionnelle des langues régionales, le rapporteur ayant opposé, à la richesse culturelle mise en exergue par Mme Taubira, le rôle déterminant joué par l'adoption d'une seule langue officielle dans la promotion de l'égalité des citoyens, au cours de l'histoire de la République.

Elle a ensuite examiné un amendement présenté par M. Émile Blessig, tempérant l'article 21 de la Constitution relatif au pouvoir réglementaire du Premier ministre. M. Émile Blessig a expliqué que, pour donner tout son sens au processus de décentralisation, il fallait que, lorsqu'une collectivité usait de sa faculté dans ce domaine, elle intervînt en substitution, et non en subordination, de la compétence réglementaire du Premier ministre. Prolongeant le propos de M. Émile Blessig en abordant le thème de l'expérimentation par habilitation législative, M. Xavier de Roux a estimé qu'il convenait, dans ce cas, de savoir si, en cas de transfert de compétences, le pouvoir réglementaire exercé par une collectivité territoriale était seulement délégué ou s'il s'agissait d'un pouvoir propre, c'est-à-dire s'il existait une unicité ou une dualité du pouvoir réglementaire. Le rapporteur a expliqué qu'en matière d'expérimentation, le législateur, comme le pouvoir réglementaire, disposaient de la faculté de récupérer toute leur compétence, dès lors que l'expérimentation n'était pas concluante, la collectivité bénéficiaire de l'expérimentation disposant, dans l'intervalle, d'un pouvoir réglementaire propre qui s'exerçait dans le respect de l'organisation des pouvoirs constitutionnels. S'agissant du statut du pouvoir réglementaire dans l'hypothèse d'un transfert pérenne de compétences, il a fait valoir que, de même, la collectivité territoriale exercerait un pouvoir réglementaire propre, dans le cadre de l'organisation des pouvoirs définis par la Constitution. A la suite de ce débat, la Commission a rejeté l'amendement de M. Émile Blessig.

Puis, la Commission a rejeté deux amendements présentés par Mme Anne-Marie Comparini, le premier tendant à affirmer le principe selon lequel les modes de scrutin assurent la représentation des hommes et des territoires et favorisent, dans le respect du pluralisme des opinions, la constitution de majorités dans les assemblées parlementaires et locales et le second ayant pour objectif d'interdire tout cumul d'une fonction gouvernementale et d'un mandat exécutif local. Elle a également rejeté un amendement présenté par Mme Christiane Taubira tendant à substituer, dans le huitième alinéa de l'article 34 de la Constitution l'expression assemblées territoriales à l'expression assemblées locales.

Article premier bis

(article 34 de la Constitution)

Harmonisation rédactionnelle

Introduit par le Sénat à l'initiative de son rapporteur, le présent article tend à modifier l'article 34 de la Constitution qui concerne la délimitation du domaine de la loi et du règlement, afin d'y substituer l'expression de collectivités territoriales à celle de collectivités locales.

Il s'agit en fait de remédier à une imprécision du texte constitutionnel qui parfois emploie le terme « collectivités territoriales », comme à l'article 24 sur la représentation du Sénat ou à l'article 72 sur le principe de libre administration, et parfois le terme « collectivités locales », comme à l'article 34 régissant les domaines pour lesquels la loi fixe les principes fondamentaux.

La doctrine s'est longtemps penchée sur le sens à donner à cette distinction (74), certains juristes soutenant que la notion de collectivité locale serait plus large que celle de collectivité territoriale et engloberait également les groupements à personnalité juridique et à assise territoriale, tandis que d'autres défendaient la position inverse, la notion de collectivité territoriale incluant, selon eux, les collectivités locales, limitées aux départements et aux communes, et englobant les territoires d'outre-mer et les régions.

Cette querelle sémantique n'a plus cours depuis que le Conseil constitutionnel, dans ses décisions n° 82-137 et 82-138 du 25 février 1982, a utilisé indifféremment le terme de libre administration des collectivités locales ou libre administration des collectivités territoriales, et les deux expressions sont désormais considérées comme équivalentes.

L'harmonisation proposée par le Sénat permet de mettre définitivement un terme à cette anomalie ; le rapporteur propose en conséquence d'adopter l'article sans modification.

La Commission a adopté l'article 1er bis sans modification.

Après l'article premier bis

La Commission a rejeté un amendement présenté par Mme Christiane Taubira ayant pour objet de compléter le quatorzième alinéa de l'article 34 de la Constitution par la mention des mesures spécifiques permettant de tenir compte des handicaps des collectivités territoriales, notamment insulaires ou éloignées, afin de mieux garantir les conditions équitables de leur développement, le rapporteur ayant précisé que l'objet de l'amendement était satisfait par la rédaction actuelle du projet de loi,

Puis, la Commission a été saisie d'un amendement présenté par M. Émile Blessig tendant à réserver à une loi organique la définition des pouvoirs, des compétences et des ressources des collectivités territoriales, l'auteur de l'amendement estimant nécessaire, pour ces matières, d'assurer la double garantie d'une adoption à la majorité qualifiée et d'un contrôle systématique du Conseil constitutionnel. Se ralliant à cette position, M. Xavier de Roux a insisté sur l'importance de la répartition des compétences plaidant pour une loi organique afin de ne pas laisser aux juges, qu'ils soient constitutionnel ou administratif, le soin de trancher d'éventuels chevauchements en la matière. M. Émile Zuccarelli a également souligné l'importance des matières visées par l'amendement, estimant qu'elle justifiait l'intervention d'une loi organique, notamment, pour le transfert de blocs entiers de compétences.

Le rapporteur a jugé nécessaire de préserver l'équilibre du projet de loi, qui permettra d'opérer des transferts immédiats pour celles des compétences qui font l'objet d'un consensus, comme l'attribution des routes nationales aux départements, mais pourra également, pour des compétences plus délicates à mettre en oeuvre, exiger une expérimentation, dans les conditions prévues par la loi organique. M. Jean-Luc Warsmann, Président, s'est également déclaré hostile à l'amendement, soulignant le caractère excessivement contraignant de l'exigence d'une loi organique. Il a observé, en effet, qu'il serait impossible, dans cette hypothèse d'introduire un amendement relatif à l'organisation ou aux compétences des collectivités locales dans le cadre de la discussion d'un projet de loi ordinaire. Il a ajouté que l'ouverture, depuis 1974, du droit de saisine du Conseil constitutionnel à soixante sénateurs ou soixante députés permettait l'exercice du contrôle de constitutionnalité sur toute loi ordinaire. La Commission a rejeté cet amendement.

Article 2

(article 37-1 de la Constitution)

Expérimentations prévues par la loi ou le règlement

Cet article tend à insérer un nouvel article dans la Constitution, au sein du titre V consacré aux rapports entre le Parlement et le Gouvernement. Son objet étant d'autoriser la loi ou le règlement à comporter des dispositions à caractère expérimental, il est inscrit très logiquement à la suite de l'article 37 qui concerne la délimitation du pouvoir réglementaire.

L'initiative de ces expérimentations reviendrait au Parlement et au Gouvernement ; il s'agit donc d'une « expérimentation d'État », qui se distingue des conditions d'expérimentation prévues à l'article 4 du projet de loi pour les collectivités territoriales.

· L'intérêt de l'expérimentation

L'idée d'une norme expérimentale a longtemps paru contraire à l'héritage philosophique de la Révolution : la loi, expression de la volonté générale, s'applique « à tous les cas et à toutes les personnes entrant dans les prévisions abstraites des textes régulateurs ». (75)

En dépit de cet héritage, plusieurs facteurs militent pour la mise en _uvre d'un droit expérimental ; la diversité des situations relatives aux groupes et aux individus caractérise indubitablement nos sociétés modernes. Cette diversité constitue une richesse mais elle est également porteuse de complexité. Il en résulte une grande difficulté à appréhender la multitude de ces situations et à les réformer. Dans ce contexte, l'intérêt d'une expérimentation prend tout son sens, puisqu'elle permet de s'assurer que toutes les données d'un problème ont bien été prises en compte et toutes les conséquences évaluées. Il s'agit d'éviter ainsi la généralisation d'erreurs sur le territoire, « une mesure mal préparée et insuffisamment éprouvée, entraînant des conséquences irréparables (76) ».

L'expérimentation prend également tout son intérêt dans cette période de défiance des citoyens envers toutes décisions imposées d'en haut sans concertation préalable. Elle permet ainsi de vaincre les réticences et de mieux faire accepter le changement. Comme le note le Conseil d'État dans son rapport public de 1996, « les pouvoirs publics se doivent aujourd'hui davantage qu'hier, de convaincre de la nécessité des réformes et, dans ce but, d'en démontrer concrètement la pertinence avant de les traduire par la règle de droit ».

Enfin, un troisième motif de recourir à l'expérimentation est d'ordre technique : les évolutions technologiques qui caractérisent nos sociétés exigent un encadrement normatif. S'agissant d'un domaine qui n'est pas stabilisé, il peut paraître opportun de s'assurer d'abord, par une expérimentation, que les nouvelles règles répondent de façon adéquate aux problèmes rencontrés.

· La pratique de l'expérimentation

En raison de l'intérêt qu'elle présente, la pratique de l'expérimentation est devenue une technique fréquemment utilisée ; les cas d'expérimentation ont pu porter sur l'ensemble du territoire, et revêtir un caractère expérimental car limité dans le temps, ou être appliqués à une catégorie de personnes ou à un territoire géographiquement délimité.

L'expérimentation limitée dans le temps et appliquée à l'ensemble du territoire connaît peu d'exemples: ce fut le cas de la loi du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de grossesse ou, plus récemment, de la loi du 1er décembre 1988 instituant le revenu minimum d'insertion.

Cette technique de l'expérimentation d'un droit pour une durée déterminée sur l'ensemble d'un territoire est toutefois d'un intérêt limité puisque l'expérimentation suppose l'établissement d'un échantillon aux fins de comparaison. Les travaux préparatoires de la loi pérennisant l'interruption volontaire de grossesse font ainsi état des difficultés pour évaluer les conséquences sociales résultant de l'application du texte, à partir d'une optique simplement temporelle(77).

C'est pourquoi l'expérimentation est, le plus souvent, menée sur une partie du territoire ou sur une partie de la population, avec, à terme, l'objectif d'une généralisation.

Les expérimentations portant sur une catégorie de personnes ont été fréquemment utilisées dans le domaine de la fonction publique : la loi du 19 juin 1970 instaure ainsi l'expérimentation d'une activité professionnelle à mi-temps, pour les fonctionnaires titulaires en position d'activité ou de détachement, remplissant par ailleurs des conditions spécifiques à caractère familial. La loi du 23 décembre 1980 relative au temps de travail à temps partiel dans la fonction publique instaure la possibilité de réaliser des « expériences de travail à temps partiel » pour un échantillonnage concernant les fonctionnaires de l'État de certaines administrations ou services.

Les exemples d'expérimentations conduites sur une partie du territoire sont plus nombreux : le plus ancien date de 1962, avec une expérimentation portant sur une nouvelle organisation des services de l'État, qui concerna d'abord quatre départements, la Corrèze, l'Eure, la Seine-Maritime et la Vienne, puis fut étendue à l'Isère l'année suivante et à l'ensemble du territoire en 1964.

Une nouvelle expérimentation est en cours actuellement qui porte sur l'organisation des services déconcentrés de l'État et consiste à mettre en place une gestion globalisée des crédits des préfectures. Ce nouveau mode de gestion vise à déléguer aux préfets une enveloppe fongible comprenant, outre le budget de fonctionnement, les crédits de personnel et d'équipements. Cette réforme a d'abord concerné quatre préfectures en 2000, puis a été étendu à dix en 2001 et à quatre autres en 2002. Le projet de loi de finances pour 2003 prévoit une application du dispositif expérimental à 29 préfectures, soit un tiers de l'ensemble. Un bilan de l'expérience est prévu en 2003, avant la généralisation du système, envisagée pour 2004.

Ces deux exemples d'expérimentation ne portent que sur des modalités d'organisation de l'administration ; mais l'expérimentation « externe », qui a des effets sur les administrés, existe aussi, comme cela a été le cas pour la réforme de la tarification sanitaire et sociale, conduite dans deux régions par un décret du 15 janvier 1988, puis étendue à l'ensemble du territoire par la loi du 23 janvier 1990, de l'introduction des chèques services pour les employeurs de salariés à domicile, ou de l'expérience des modulations de tarifs appliqués par la SNCF pour le TGV Nord-Europe.

C'est dans le cadre des lois de décentralisation que l'expérimentation à l'échelon local a connu un développement particulièrement important : en 1986, le conseil général d'Ille-et-Vilaine a mis en place un complément local de ressources, qui a préfiguré la loi instaurant un revenu minimal d'insertion. Ce même département a également créé, en 1988, une dotation globale de développement intercommunal tendant à favoriser le partage des ressources entre les communes, qui a par la suite partiellement inspiré les mécanismes péréquateurs institués par les lois du 6 février 1992 et du 31 décembre 1993.

La loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a également utilisé le principe de l'expérimentation pour confier aux régions de nouvelles compétences, en matière de développement des ports maritimes, des aérodromes et de patrimoine culturel. Le mode opératoire de ce transfert de compétences de l'État vers les régions est identique pour ces trois compétences : dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi, les régions candidates à l'expérimentation passent des conventions avec l'État sur les modalités de transfert. En 2006, un rapport dressant le bilan de l'expérimentation est établi par l'État et les collectivités territoriales.

La question de la portée juridique de ces expériences a souvent été posée, car l'expérimentation suppose la dérogation et toute dérogation porte atteinte au principe d'égalité. Le Conseil d'État comme le Conseil constitutionnel se sont attachés, en conséquence, à définir les conditions de légalité de cette pratique.

· L'encadrement du principe d'expérimentation par la jurisprudence

Le Conseil d'État admet, sous certaines conditions, la légalité de l'expérimentation : dans deux arrêts déjà anciens (78) ainsi que dans un avis de l'Assemblée générale plus récent (79), la Haute juridiction a considéré que la démarche expérimentale était légale si elle était limitée dans le temps ou résultait d'une mise en application progressive et s'il existait d'impérieux motifs d'intérêt général justifiant l'atteinte portée au principe d'égalité devant la loi.

Le Conseil constitutionnel a donné à son tour, dans une décision qui a été longuement commentée(80), les conditions de mise en _uvre de l'expérimentation : il admet ainsi le principe des règles à caractère expérimental, à condition que l'expérimentation ait un caractère explicite et que sa nature et sa portée soit précisément définie. Le Conseil constitutionnel établit également des conditions relatives au bilan de fin de l'expérience, le législateur devant clairement préciser les conditions et les procédures d'évaluation conduisant au maintien, à la modification, à la généralisation ou à l'abandon de l'expérimentation. Dans une décision de 1994 (81), le Conseil constitutionnel apporte également des précisions sur la durée limitée de l'expérimentation : le législateur peut instaurer des expérimentations juridiques à condition que l'essai du droit ait un caractère temporaire et non immédiatement renouvelable. Dès lors que ces conditions sont respectées, il n'y a pas atteinte aux règles et principes à valeur constitutionnelle et, en conséquence, il n'y a pas atteinte au principe d'égalité.

Il est en outre probable, sans que cette question ait été tranchée de façon définitive, que le Conseil constitutionnel s'opposerait à ce que l'expérimentation porte sur des domaines mettant en cause les libertés publiques ; le juge veille en effet, dans ces domaines, à une stricte application du principe d'égalité ; au nom de ce principe, il a censuré une disposition permettant qu'une même catégorie d'infractions, et donc de contrevenants, puisse être jugée par des juridictions composées différemment (82).

· Le projet de loi constitutionnelle

Le projet de loi inscrit dans la Constitution le principe de l'expérimentation, en indiquant que la loi ou le règlement peuvent comporter des dispositions à caractère expérimental. Le Sénat, à l'initiative du Gouvernement a adopté un amendement précisant que l'objet et la durée de cette expérimentation devaient être limités.

Ce dispositif doit être distingué de celui mis en place à l'article 4 à l'initiative des collectivités territoriales : l'expérimentation qui sera conduite le sera en fonction d'une loi ou d'un règlement. C'est la loi ou le règlement qui dérogeront au corpus normatif général, et non, comme c'est le cas à l'article 4, la collectivité locale. Pour autant, le dispositif d'expérimentation pourra ne concerner qu'une collectivité locale, les conditions de l'expérimentation étant fixées par la loi ou le règlement et non, comme pour l'article 4, déterminées par la collectivité elle-même.

Ainsi rédigé, le dispositif proposé ne diffère pas fondamentalement de ce qu'autorisait déjà la jurisprudence du juge administratif et du Conseil constitutionnel : toutefois, son inscription dans la Constitution permet de consacrer un procédé pragmatique d'élaboration de la norme et d'en assurer la sécurité juridique. En outre, faisant désormais l'objet d'une consécration constitutionnelle, sa conciliation avec le principe d'égalité sera interprétée de façon moins restrictive ; il n'est donc plus exclu, comme l'annonçait le Garde des sceaux devant le Sénat, que la pratique de l'expérimentation puisse être utilisée dans des domaines touchant les libertés publiques ou les garanties fondamentales, le ministre citant à cet effet l'exemple de l'échevinage, qui pourra désormais être introduit de façon progressive dans les tribunaux d'instance.

Cette expérimentation fera toujours, dans les mêmes conditions qu'actuellement, l'objet d'un contrôle du juge, Conseil constitutionnel ou Conseil d'État selon qu'il s'agira d'une loi ou d'un règlement, qui devra vérifier notamment si la durée de l'expérimentation prévue dans la loi ou le règlement n'est pas trop excessive eu égard à l'objectif visé par l'expérimentation, si cet objectif est précisément décrit et si les modalités d'évaluation sont correctement précisées.

Le juge devra vérifier en outre que, dans le champ même de l'expérimentation, le principe d'égalité est respecté ; il devra également s'assurer, pour le règlement, de la légalité de l'expérimentation : il va de soi en effet que si la loi ne comporte pas de dispositions de caractère expérimental, il en sera de même de ses décrets d'application. L'expérimentation prévue par voie réglementaire ne pourra ainsi concerner que des domaines relevant du pouvoir réglementaire autonome ou des décrets pris en application d'une loi comportant elle-même des dispositions expérimentales. Un décret d'application ne saurait avoir pour effet de rendre expérimental un dispositif législatif d'application générale.

Les entorses au principe d'égalité, induites par le principe de l'expérimentation, ne pourront qu'être temporaires ; une fois la durée expirée, l'unité de la règle sera rétablie, par une généralisation si l'expérience s'est révélée fructueuse, ou un retour à la norme ancienne si aucune intervention n'a eu lieu pour généraliser ou renouveler la durée de l'expérimentation. Le renouvellement de l'expérimentation, s'il ne semble pas a priori exclu devra toutefois demeurer compatible avec le caractère temporaire de l'expérimentation, inscrit explicitement dans le texte constitutionnel, à la suite de l'amendement du Gouvernement. Outre l'entorse durable au principe d'égalité qu'un tel renouvellement induirait, l'irréversibilité des situations juridiques qu'entraînerait une période d'expérimentation excessivement longue doit être évitée.

L'expérimentation par voie législative ou réglementaire est incontestablement facteur de rénovation de l'action publique ; elle consacre une vision pragmatique et moderne de la norme, qui exige assurément un changement radical des mentalités, puisque il est désormais admis que l'État n'est pas omniscient, qu'il peut se tromper et qu'il lui est utile d'expérimenter sur un échantillon, avant de généraliser. Mais l'expérimentation exige également un changement des méthodes de travail, qui devront désormais mettre l'accent sur la pratique de l'évaluation. Dans ce nouveau processus normatif, le Parlement devra trouver toute sa place en se dotant des outils nécessaires pour suivre les expérimentations qu'il aura autorisées.

La Commission a rejeté deux amendements présentés par Mme Christiane Taubira, le premier tendant à inscrire dans la Constitution la possibilité de prévoir dans une loi ou un règlement des dispositions dérogatoires à caractère permanent, le second ayant pour objet de supprimer l'obligation de limiter l'objet et la durée d'une expérimentation.

La Commission a ensuite adopté l'article 2 sans modification.

Article 3

(article 39 de la Constitution)

Priorité d'examen du Sénat sur les projets de loi
ayant pour principal objet la libre administration des collectivités territoriales et les instances représentatives des Français établis hors de France

Dans sa rédaction initiale, cet article complétait le second alinéa de l'article 39 de la Constitution afin de prévoir que les projets de loi ayant pour principal objet la libre administration des collectivités territoriales, leurs compétences ou leurs ressources soient soumis en premier lieu au Sénat. Sur proposition de M. Christian Cointat, le Sénat a élargi cette priorité d'examen aux projets de loi relatifs aux instances représentatives des Français établis hors de France.

Dans sa rédaction actuelle, l'article 39 de la Constitution laisse au Gouvernement le choix de déposer ses projets de loi sur le bureau de l'une ou l'autre assemblée, sauf pour les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale (83) qui doivent nécessairement être soumis en premier lieu à l'Assemblée nationale. Cette priorité d'examen repose sur le principe du consentement à l'impôt, fondement même de la démocratie représentative, consacré par l'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Les dispositions introduites par cet article trouvent pour leur part une justification dans le troisième alinéa de l'article 24 de la Constitution, selon lequel le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République et des Français établis hors de France. Si certains ne voient dans ce principe qu'une règle de droit électoral (84), qui détermine la façon dont les sénateurs sont élus, on peut cependant penser qu'il définit aussi le rôle institutionnel du Sénat et justifie, par là même, l'existence d'une seconde chambre (85).

Les sénateurs, de droite comme de gauche, ont formulé un certain nombre de propositions tendant à accroître les pouvoirs du Sénat dans la procédure législative, lorsque les textes en cause concernent les collectivités territoriales. Ils ont même envisagé de donner le dernier mot à la seconde chambre en cas de désaccord entre les deux assemblées (86). La priorité d'examen prévue par cet article a un objet beaucoup plus limité. Il ne s'agit nullement d'instituer un droit de veto en faveur du Sénat, ni de restreindre l'initiative des députés. Ces derniers conserveront la faculté de déposer des propositions de loi portant sur le même objet que les projets devant être soumis prioritairement au Sénat, comme l'a justement souligné le rapporteur de la commission des lois du Sénat, M. René Garrec.

La priorité d'examen instituée en faveur des sénateurs diffère donc de celle qui est conférée aux députés pour les lois de finances puisqu'en matière financière les parlementaires ne disposent pas du droit d'initiative. Elle ne peut donc être aussi absolue. S'il est évident que les députés, qui conservent le droit d'initiative primaire au travers des propositions de loi, pourront également proposer des dispositions nouvelles, même substantielles, par voie d'amendement, on doit également considérer que le Gouvernement ne sera pas soumis pour le dépôt de ses propres amendements aux mêmes contraintes qu'en matière de loi de finances (87).

En outre, cet article tend à limiter le nombre de projets de loi qui feront l'objet d'une priorité d'examen. En employant l'expression « ayant pour principal objet », il cherche à prévenir toute interprétation extensive qui conduirait à soumettre prioritairement au Sénat une grande majorité de projets de loi, du simple fait de leur référence aux collectivités territoriales.

Il est intéressant de noter, à ce propos, que les propositions précédemment formulées avaient un objet beaucoup plus large. En 1996, M. Pierre Mauroy (88) avait suggéré que « tout projet de loi concernant les collectivités territoriales soit déposé en première lecture au Sénat, le Conseil d'État assurant la qualification du texte ». Les propositions de loi constitutionnelle présentées respectivement au Sénat par le Président Christian Poncelet et à l'Assemblée Nationale par M. Hervé Morin envisageaient, pour leur part, de faire porter la priorité d'examen du Sénat sur les projets de loi relatifs à la libre administration des collectivités territoriales, définies comme les textes déterminant leur organisation, leurs compétences, leurs ressources et celles de leurs établissements publics.

Toutefois, même si la priorité d'examen du Sénat semble circonscrite, il convient de ne pas sous estimer les difficultés pratiques qu'elle risque de soulever. Le Sénat ayant un système d'examen de la recevabilité financière des amendements beaucoup plus souple que celui de l'Assemblée nationale, puisqu'il ne présente pas un caractère systématique, le Gouvernement devra être particulièrement vigilant au cours des débats pour éviter toute surenchère. En outre, le nouvel élan que le Gouvernement entend donner à la décentralisation va se traduire par le dépôt d'un grand nombre de textes ayant pour principal objet l'organisation, les compétences ou les ressources des collectivités territoriales, qu'il s'agisse des projets de loi organique destinés à mettre en _uvre les nouveaux articles de la Constitution portant sur l'expérimentation, les ressources des collectivités et les mécanismes de démocratie directe ou des textes relatifs aux collectivités territoriales d'outre-mer. La gestion de l'ordre du jour des assemblées risque donc de s'en trouver compliquée et le rythme des réformes ralenti.

La définition de la catégorie des « projets de loi ayant pour principal objet la libre administration des collectivités locales, leurs compétences ou leurs ressources » risque de soulever des difficultés et d'alimenter, en conséquence, un important contentieux que le Conseil constitutionnel devra trancher. En effet, la priorité d'examen du Sénat constituera une règle de procédure dont la méconnaissance pourra entraîner la censure du texte. Au cours des débats au Sénat, M. Michel Charasse a présenté un amendement tendant à confier, en amont, au Conseil d'État le soin de définir si les projets du Gouvernement entraient dans le champ de l'examen prioritaire du Sénat afin de prévenir tout contentieux. Mais, comme le soulignait M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, cela conduirait à alourdir la procédure et à lier le Gouvernement à l'avis du Conseil d'État, alors que celui-ci ne peut avoir qu'un rôle purement consultatif.

Le champ de la priorité d'examen du Sénat mérite d'être mieux défini. En effet, il ne semble pas opportun que les projets de loi ayant pour principal objet les ressources de ces collectivités soient concernés. Le principe du consentement à l'impôt, qui doit s'appliquer quelque soit la collectivité bénéficiaire, plaide en la faveur d'un examen prioritaire de l'Assemblée nationale. D'ailleurs, les projets de loi de finances, qui doivent être soumis en priorité à l'Assemblée nationale comportent traditionnellement un grand nombre de dispositions relatives aux ressources des collectivités territoriales. Bien souvent, ils ne se limitent pas aux dotations de l'État mais portent également sur la fiscalité locale. Dès lors, il convient d'éviter tout conflit de compétences entre les deux assemblées du fait des prérogatives dont chacune disposerait en vertu des différents alinéas de l'article 39 en supprimant de la priorité d'examen du Sénat sur les textes relatif aux ressources des collectivités ainsi que sur les textes portant sur le principe de la libre administration des collectivités territoriales, cette expression englobant, à l'évidence, les ressources des collectivités.

La Commission a été saisie de deux amendements, le premier présenté par Mme Christiane Taubira, tendant à supprimer cet article, le second, présenté par le rapporteur, tendant à restreindre le champ d'application de la priorité d'examen établie en faveur du Sénat aux projets de loi relatifs aux instances représentatives des Français établis hors de France ainsi qu'aux projets de loi ayant pour principal objet la détermination de l'organisation et des compétences des collectivités territoriales, ce dernier amendement étant assorti d'un sous-amendement, présenté par M. Jean-Luc Warsmann, tendant à écarter également du champ d'application de l'article les textes relatifs aux compétences des collectivités territoriales.

Défendant son amendement, Mme Christiane Taubira a considéré que les dispositions de l'article 3 du projet de loi n'étaient pas cohérentes avec l'organisation institutionnelle de la France, qui n'est pas un État fédéral, dans lequel la légitimité démocratique proviendrait à la fois du suffrage universel et de la représentation des collectivités territoriales.

S'opposant à la suppression de l'article 3 du projet de loi, le rapporteur a, au contraire, estimé que le principe de la représentation des collectivités territoriales par le Sénat, affirmé par l'article 24 de la Constitution, justifiait de prévoir une priorité d'examen au profit de cette assemblée sur certains textes relatifs à ces collectivités. En revanche, il a jugé inopportun d'inclure dans ce dispositif les textes ayant pour principal objet les ressources des collectivités territoriales, considérant que le principe du consentement à l'impôt plaidait, au contraire, en faveur d'un examen prioritaire par l'Assemblée nationale et soulignant d'ailleurs que les projets de lois de finances comportaient traditionnellement des dispositions relatives à la fiscalité locale. Il a également évoqué les difficultés que pourrait soulever l'examen prioritaire du Sénat, en insistant sur le fait que la recevabilité financière n'était pas appréciée dans les mêmes conditions dans les deux chambres. Il a cependant jugé souhaitable, sous réserve de l'adoption de son amendement de maintenir le dispositif de l'article 3, qui donne toute sa place à une institution malmenée sous la précédente législature et est cohérente avec le renforcement du rôle des collectivités territoriales prévu par la présente réforme.

Justifiant son sous-amendement, M. Jean-Luc Warsmann a précisé qu'il s'agissait, en limitant la priorité d'examen aux textes ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales, d'éviter des risques de censure par le Conseil constitutionnel résultant d'une mauvaise orientation initiale d'un texte comportant des dispositions difficiles à définir, de prendre en compte les conditions particulières d'examen de la recevabilité financière au Sénat et de préserver la souplesse dont dispose le Gouvernement pour organiser les travaux parlementaires, alors que la définition d'un champ trop large de la priorité d'examen pourrait entraîner un encombrement de l'ordre du jour du Sénat. En réponse à M. Émile Blessig, il a précisé que le terme d'« organisation » recouvrait des questions telles que le mode d'élection des assemblées délibérantes, les modalités d'organisation intercommunale ou le statut des collectivités d'outre-mer.

Se déclarant favorable à l'amendement présenté par Mme Christiane Taubira, M. Francis Delattre a constaté que l'amendement du rapporteur permettrait au moins de ne pas avoir à modifier l'ordonnance organique relative aux lois de finances. Il s'est, cependant, interrogé sur l'opportunité d'inscrire dans la Constitution une règle de « préséance » au profit du Sénat, jugeant qu'elle contribuerait à affaiblir les prérogatives de l'Assemblée nationale, alors que cette institution dispose pourtant de la légitimité démocratique.

M. Philippe Vuilque a souligné que les modifications proposées à l'article 3 par le rapporteur et M. Jean-Luc Warsmann, en limitant le champ de la priorité d'examen reconnue au Sénat, attestait la gêne de la majorité sur cette question et soulignait la nécessité de préserver la priorité accordée à l'Assemblée nationale en matière budgétaire.

Exprimant le souhait que l'avis rendu par le Conseil d'État sur le projet de loi constitutionnelle soit officiellement transmis aux parlementaires, afin que, en l'absence de contrôle par le Conseil constitutionnel, les observations présentées par la plus haute instance juridique administrative leur soient connues, Mme Ségolène Royal, s'est fait l'écho des réserves exprimées par cette haute juridiction sur l'article 3. Après avoir insisté sur la différence de légitimité démocratique des deux chambres, elle a relevé que les textes concernant les collectivités territoriales étaient nombreux, évoquant en particulier tous les projets de loi qui découleront de la réforme constitutionnelle, et a observé que la priorité d'examen par le Sénat priverait le Gouvernement d'un outil essentiel pour organiser le travail parlementaire. Puis elle s'est interrogé sur le sort d'un texte qui, en cours de navette, serait substantiellement complété par des dispositions touchant aux collectivités locales ainsi que sur la portée de l'article 3, souhaitant savoir s'il concernerait par exemple un projet de loi relatif à l'organisation des collèges.

Après s'être déclaré convaincu que les dispositions de l'article 3 n'entraîneraient pas de modifications de l'équilibre institutionnel, M. Jérôme Bignon a souhaité savoir quelles seraient les incidences des modifications proposées par le rapporteur et M. Jean-Luc Warsmann sur le déroulement des travaux parlementaires.

Tout en jugeant légitime que les projets de loi intéressant les collectivités territoriales soient soumis en premier lieu au Sénat, M. Émile Zuccarelli a jugé que constitutionnaliser cette priorité d'examen serait une source inutile de rigidités ; puis il s'est interrogé sur le sort d'un texte qui serait rejeté par le Sénat en première lecture.

Mme Brigitte Barèges a exprimé des réserves sur la nécessité d'inscrire dans la Constitution une priorité d'examen au profit du Sénat, de même que M. Xavier de Roux qui a fait observer que le Gouvernement était actuellement libre de déterminer devant quelle assemblée il entendait déposer un projet de loi.

A l'inverse, M. Guy Geoffroy s'est déclaré favorable à l'adoption de l'article 3 modifié par l'amendement du rapporteur et le sous-amendement de M. Jean-Luc Warsmann, considérant qu'il ne porterait en rien préjudice à la légitimité de l'Assemblée nationale.

Relevant la faiblesse des arguments opposés à son amendement, Mme Christiane Taubira a estimé qu'il n'y avait pas lieu de favoriser le Sénat et jugé regrettable que la majorité hésite à se rallier au simple bon sens. Le rapporteur a exprimé des réserves sur le sous-amendement présenté par M. Jean-Luc Warsmann, tout en se déclarant sensible à certains de ses arguments avancés. Il a rappelé que la priorité d'examen prévue par l'article 3 ne concernait que les textes ayant pour principal objet la détermination de l'organisation et des compétences des collectivités locales, soit un nombre limité de textes. Reprenant l'exemple de l'organisation des collèges, évoqué par Mme Ségolène Royal, il a indiqué, que seules les dispositions relatives à des questions relevant de la compétence des collectivités locales, comme la construction ou le financement des établissements scolaires, entreraient dans le champ des nouvelles dispositions constitutionnelles. M. Jean-Luc Warsmann a, par ailleurs, précisé que le rejet d'un texte soumis en premier lieu au Sénat n'entraînerait pas l'interruption de la procédure législative, ainsi que le précise l'article 109 du règlement de l'Assemblée nationale.

Après avoir rejeté l'amendement tendant à supprimer cet article, la Commission a adopté l'amendement du rapporteur rectifié sur proposition de M. Jean-Luc Warsmann (amendement n° 11).

La Commission a ensuite adopté l'article 3 ainsi modifié.

Après l'article 3

La Commission a rejeté deux amendements de Mme Anne-Marie Comparini, le premier tendant à compléter l'article 47 de la Constitution afin de préciser que la Cour des comptes fournit un rapport sur le respect du principe d'autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales, le second tendant à compléter l'article 61 de la Constitution afin de soumettre obligatoirement au Conseil constitutionnel les lois relatives à la libre administration des collectivités territoriales.

Article 4

(article 72 de la Constitution)

Libre administration des collectivités territoriales

Cet article a pour objet de réécrire entièrement l'article 72 relatif à la libre administration des collectivités territoriales ; comprenant désormais six alinéas, l'article 72 reprend, dans une rédaction plus actuelle et plus précise, l'énumération des catégories de collectivités dont l'existence est garantie par la Constitution ; il confirme, en l'explicitant, le principe de libre administration, et conforte le rôle du représentant de l'État.

Dans sa nouvelle rédaction, l'article 72 comprend également des principes totalement nouveaux : il en est ainsi du principe d'adéquation entre une compétence et l'échelon de collectivité le mieux à même d'en assurer l'exercice, de la consécration du pouvoir réglementaire des collectivités locales, de la possibilité pour ces dernières de déroger, à titre expérimental, à des dispositions législatives et réglementaires et de la reconnaissance de la notion de collectivité « chef de file » pour l'exercice de compétences croisées.

Actualisant le droit applicable et instituant des principes novateurs en matière de décentralisation, c'est cet article 4 qui permet de donner véritablement une portée concrète au principe d'organisation décentralisée de la République affirmé à l'article premier.

· Les catégories de collectivités territoriales

Le premier alinéa de l'article 72 de la Constitution, dans sa rédaction actuelle, dispose que « les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les territoires d'outre-mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi. »

La rédaction retenue en 1958 s'inscrit dans la continuité de celle contenue dans la Constitution de 1946, qui dressait également une liste des collectivités. En revanche, à l'inverse de la Constitution précédente, celle de 1958 laisse à la loi la possibilité de créer d'autres collectivités.

Il se déduit de la première phrase du premier alinéa de l'article 72 que seuls les départements, les communes et les territoires d'outre-mer ont un statut constitutionnel ; ces « catégories » de collectivités, puisque le mot est employé pour la première fois par le Conseil constitutionnel en 1982, ne peuvent donc être supprimées sans révision préalable de la Constitution. Pour autant, leur situation n'est pas figée, puisque le code général des collectivités territoriales prévoit que les limites territoriales des communes et des départements peuvent être modifiées(89), cette modification pouvant même, dans le cas des communes, aboutir à une fusion (90). Or, si l'existence de la catégorie des communes, des départements et des territoires d'outre-mer est constitutionnellement garantie, il n'en va, à l'évidence, pas de même bien entendu de chaque collectivité locale. L'énumération faite au premier alinéa est donc une énumération abstraite, à la différence - remarquable - de la Constitution de l'an III qui avait fixé, en souvenir de la politique suivie lors de la Terreur à l'égard des départements, une liste nominative des départements

La catégorie des territoires d'outre-mer regroupe actuellement la Polynésie française, les îles Wallis-et-Futuna et les Terres australes et antarctiques françaises, la Nouvelle-Calédonie n'étant plus un territoire d'outre-mer depuis la révision constitutionnelle de 1998.

Le Conseil constitutionnel a fait de cette énumération des catégories de collectivités une interprétation stricte, puisque il a dénié aux départements d'outre-mer le droit d'être une catégorie spécifique : « en créant une collectivité territoriale qui supprime le département, la loi viole le principe d'assimilation des départements d'outre-mer aux départements de la métropole consacrés par l'article 72 (91). En revanche, il a interprété de façon plus extensive la disposition selon laquelle « toute autre collectivité territoriale est créée par la loi ».

La doctrine s'est longtemps interrogée sur la portée du pouvoir de création réservé au législateur par ce premier alinéa de l'article 72 de la Constitution (92) : celui-ci était-il compétent pour créer des catégories de collectivités distinctes des communes, départements et territoires d'outre-mer, ou devait-il se limiter au droit de créer, ou supprimer, une collectivité territoriale, sans pouvoir dépasser le triptyque « département, commune, territoire d'outre-mer » ? Les travaux préparatoires, qui révèlent que fut rejeté un amendement supprimant de la phrase l'adjectif « autre », laissaient à penser que les pouvoirs du législateur devaient être entendus de façon extensive. La question fut définitivement réglée en 1982, le Conseil constitutionnel admettant non seulement que le législateur puisse créer de nouvelles catégories de collectivités, mais également que cette catégorie nouvellement créée ne contienne qu'une unité.

Relève de la première hypothèse la création des régions, qui se sont vues reconnaître le statut de collectivité territoriale de plein exercice par les lois du 2 mars 1982 et du 16 mars 1986.

À la seconde hypothèse se rattachent les collectivités à statut particulier ; dans sa décision du 25 février 1982, le Conseil a admis que le législateur pouvait créer de nouvelles catégories de collectivités territoriales ne comprenant qu'une seule unité ; il a, par là même, en quelque sorte « validé » a posteriori les statuts législatifs antérieurs de la Ville de Paris et de la collectivité territoriale de Mayotte. Le Conseil constitutionnel a confirmé sa jurisprudence en 1991, toujours au sujet de la Corse, en indiquant que le législateur pouvait créer, sur le fondement des articles 34 et 72, « une nouvelle catégorie de collectivité territoriale, même ne comprenant qu'une unité, et la doter d'un statut spécifique (93) ».

Les collectivités ainsi créées, régions ou collectivités à statut particulier, n'ont pas une existence constitutionnellement garantie et pourraient donc être supprimées par la loi.

Toutefois, compte tenu de l'importance que ces nouvelles catégories de collectivités ont pu revêtir au cours du temps, s'agissant notamment des régions, il est apparu rapidement indispensable de mettre un terme à cette distinction entre collectivités au statut constitutionnellement garanti et autres collectivités ; le Comité consultatif pour la révision de la Constitution, présidé par le doyen Georges Vedel, suggérait ainsi en 1993 que les régions soient ajoutées dans la liste des collectivités et qu'il soit inscrit de façon explicite que le législateur peut, en outre, créer des collectivités à statut particulier. Il préconisait également, pour les départements français d'Amérique et la Réunion, que soit prévu le cas d'une seule assemblée administrant deux collectivités ayant le même territoire.(94).

Conformément à ces recommandations, le projet de loi consacre la place de la région dans la Constitution. Plus qu'une simple actualisation, il faut voir dans cette consécration la confirmation de la place croissante qu'occupent les régions, tant au niveau national qu'au niveau européen.

En outre, la notion de territoire d'outre-mer est remplacée par celle de collectivité d'outre-mer, mieux à même de traduire les possibilités d'organisation particulière offertes à ces collectivités, dans un cadre constitutionnel rénové (95).

Le projet de loi inscrit également dans la Constitution, de façon explicite, l'existence de collectivités à statut particulier. La rédaction retenue est issue d'un amendement de la Commission des lois du Sénat, qui précise également que toute autre collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant en lieu et place d'une ou de plusieurs collectivités. Tout en s'inscrivant dans la jurisprudence actuelle du Conseil constitutionnel, cette rédaction permet de mettre fin à une rigidité du texte qui avait été interprété comme interdisant au législateur de confier à la collectivité unique une part substantielle des attributions normalement exercées par les collectivités de droit commun, voire de s'y substituer totalement(96).

La rédaction initiale du projet de loi ne différait pas fondamentalement de cette approche ; elle comprenait néanmoins une ambiguïté puisqu'elle pouvait être comprise comme l'obligation faite à une collectivité à statut particulier de se substituer aux collectivités existantes. La rédaction issue du Sénat, et adoptée avec l'avis favorable du Gouvernement, précise donc que cette substitution n'est que facultative.

La rédaction proposée par le Gouvernement comme par la commission des Lois du Sénat ne fait pas mention, dans l'énumération des catégories de collectivités territoriales, des groupements de collectivités ; le statut de collectivité territoriale ne leur est donc pas reconnu. Le rapporteur approuve ce choix : les établissements publics de coopération intercommunale n'ont pas une compétence générale, mais sont régis, comme tous les établissements publics, par le principe de spécialité. En outre, la reconnaissance du statut de collectivité territoriale impliquerait que les représentants des EPCI soient élus au suffrage universel direct, alors que ceux-ci sont actuellement désignés par les assemblées délibérantes des communes membres. La révision de la Constitution va susciter un nouvel élan de la décentralisation ; il est trop tôt pour dire si cet élan se traduira par une accélération du mouvement intercommunal, ou, à l'inverse, par une rénovation de l'échelon communal. Il importe, en tout cas, de ne pas figer, par l'inscription dans la Constitution, une évolution dont on ne connaît pas les contours exacts..

Après avoir rejeté un amendement présenté par Mme Anne-Marie Comparini proposant une nouvelle rédaction de l'article 72 de la Constitution afin d'en faire la disposition fondatrice du caractère décentralisé de la République précisant l'ensemble des compétences reconnues aux collectivités locales, la Commission a été saisie d'un amendement de M. Marc-Philippe Daubresse tendant à inscrire les communautés urbaines dans la liste des collectivités territoriales énumérées au premier alinéa de l'article 72 de la Constitution. Rappelant que les communautés urbaines étaient des structures de coopération intercommunales créées par la loi de 1966, dont la constitution était initialement obligatoire et ne reposait pas sur une démarche volontaire des communes concernées, son auteur a jugé souhaitable de les faire figurer parmi les collectivités reconnues par la Constitution afin de leur permettre de bénéficier, le cas échéant, des dispositions relatives à l'expérimentation et d'être « chefs de file » de projets communs à plusieurs collectivités. Tout en reconnaissant que le développement des structures de coopération intercommunale était inéluctable, le rapporteur a considéré que leur inscription dans la Constitution au rang des collectivités territoriales était prématurée, compte tenu, notamment, des fortes réticences exprimées à ce sujet par les maires des petites communes. Suivant l'avis émis par son rapporteur, la Commission a rejeté cet amendement ainsi qu'un amendement de coordination présenté par M. Emile Blessig.

· Le principe de l'adéquation des compétences à l'échelon territorial

Le deuxième alinéa du texte proposé pour l'article 72 introduit un principe totalement nouveau dans la Constitution, puisqu'il dispose que « les collectivités territoriales ont vocation à exercer l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en _uvre à leur échelon ».

Il s'agit, avec cet alinéa, de mettre en application, de façon très concrète, le caractère décentralisé de la République.

La loi du 2 mars 1982 précisait que les communes, les départements et les régions pouvaient intervenir pour favoriser le développement économique, protéger les intérêts économiques et sociaux de la population locale et assurer le maintien des services nécessaires à la satisfaction des besoins de la population en milieu rural, en cas de carence ou d'absence d'initiatives privées. La véritable répartition des compétences entre collectivités n'a eu lieu qu'un an plus tard, avec les lois des 7 janvier et 22 juillet 1983, qui vont opérer les transferts par la voie de « blocs de compétences » : ces lois dressent une énumération limitative des domaines d'intervention pour chaque niveau de collectivité, en fonction du principe de proximité. Il est possible de résumer schématiquement cette répartition en disant que la commune se voit confier les questions de proximité ; le département devient responsable de la gestion des services et des actions de solidarité ; la région a en charge le long terme.

La pratique de la décentralisation va quelque peu brouiller ce bel ordonnancement ; l'exercice des compétences implique bien souvent l'intervention de plusieurs niveaux de collectivités, de telle sorte que la pratique des financements croisés est apparue indispensable pour réaliser des équipements dont les coûts n'auraient pu être pris en charge par une collectivité seule. En outre, utilisant pleinement le principe d'évocation des affaires générales qu'elles tiennent de par la loi (97), les collectivités ont également eu tendance à intervenir plus activement pour répondre aux besoins économiques et sociaux, parfois au détriment des règles de répartition fixées par les lois de 1983.

Le projet de loi de révision constitutionnelle propose une nouvelle règle de répartition, qui obligera désormais à rechercher le niveau le plus adéquat pour l'exercice d'une compétence ; il trace ainsi, comme le précise l'exposé des motifs, « une ligne de partage, dans le domaine administratif, entre l'action des services de l'État et celle des collectivités territoriales ». Une telle règle s'inspire indubitablement du droit communautaire : l'article 5 du Traité sur l'Union européenne indique, en effet, que la Communauté européenne n'est fondée à intervenir que « si et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions et des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire ».

Pour autant, il serait hâtif de comparer le projet de loi avec le principe de subsidiarité communautaire : inspiré du droit canon, et, plus encore, de la loi fondamentale allemande, le principe communautaire correspond à une logique fédérale ; la compétence s'exerce à l'échelon le plus bas, sauf s'il existe un intérêt, en terme d'efficacité de l'action publique, à ce que la compétence soit mise en _uvre à l'échelon plus élevé. Dans le projet de révision constitutionnelle, la logique est, à l'inverse, celle d'un État unitaire qui a vocation à être décentralisé. En outre, le mouvement se fait du haut vers le bas, l'objectif recherché étant tout autant l'efficacité de l'action publique que la proximité de la décision. En d'autres termes, le principe de subsidiarité communautaire est avant tout un principe de protection, tandis que celui introduit dans notre Constitution est un principe dynamique. Il serait plus approprié en fait de le qualifier de « principe d'adéquation » que de « principe de subsidiarité », ce dernier ne correspondant pas à notre modèle d'organisation.

Son affirmation dans la Constitution permet d'indiquer une direction, un objectif à atteindre ; le législateur devra ainsi s'astreindre constamment à évaluer le niveau de décision le plus approprié pour la mise en _uvre d'une compétence. L'expérimentation au niveau local, introduite dans la Constitution au quatrième alinéa du même article, ainsi qu'au nouvel article 37-1, facilitera sa démarche. On mesure ici la cohérence profonde de la démarche du Gouvernement. Pour autant, il s'agit d'un objectif et non d'une obligation ; les collectivités « ont vocation à » exercer les compétences qui peuvent le mieux être exercées à leur échelon, sans pour autant que ce principe soit reconnu comme un droit. Il est, en effet, très complexe d'apprécier le niveau de décision adéquat et il est à craindre qu'une rédaction trop contraignante ne donne lieu à un contentieux abondant. Le législateur doit disposer d'une certaine liberté d'appréciation, le contrôle du juge constitutionnel se limitant à vérifier qu'il n'y a pas d'erreur manifeste dans un domaine qui ressortit moins au droit strict qu'à la gestion des politiques publiques.

Il convient de noter enfin que les services déconcentrés de l'État obéissent - en théorie, du moins - au même principe d'adéquation : la loi d'orientation sur l'administration générale de la République, promulguée le 6 février 1992, introduit dans l'organisation étatique le principe suivant lequel les compétences de l'échelon central doivent être réduites à des missions présentant un caractère national ou dont l'exécution, en vertu de la loi, ne peut être déléguée à un échelon territorial. Le décret du 4 juillet 1992 portant charte de la déconcentration affirme à son tour, dans son article premier, que « la déconcentration est la règle générale de répartition des attributions et des moyens entre les différents échelons des administrations civiles de l'État ». Il va de soi que la mise en _uvre du principe constitutionnel devra s'accompagner d'un renouveau de la politique de déconcentration. Il appartiendra à l'État de prendre toute sa part, aux cotés des collectivités locales, dans les réformes que tous nos concitoyens appellent de leurs v_ux.

Le Sénat, tout en exprimant les mêmes craintes que le rapporteur sur la marge d'appréciation laissée au législateur pour déterminer le niveau adéquat de décision, n'a adopté sur cette disposition qu'un amendement d'ordre rédactionnel.

La Commission a été saisie d'un amendement présenté par M. Émile Zuccarelli tendant à supprimer la définition du principe de subsidiarité dans le deuxième alinéa de l'article 72 de la Constitution, son auteur ayant jugé qu'il présentait un caractère ambigu et contraire à l'unité et l'indivisibilité de la République, puisqu'il s'inscrivait plutôt dans la logique d'une République fédérale. Considérant que cet amendement soulevait la question essentielle de la nature de la République et de ses éventuelles évolutions, le rapporteur a jugé qu'il convenait de concilier le principe de l'unité de la République, auquel tous les parlementaires sont attachés, avec celui de subsidiarité qui garantit que les décisions sont prises à l'échelon territorial le plus pertinent dans la matière concernée. La Commission a rejeté cet amendement.

Elle a, en revanche, adopté un amendement présenté par le rapporteur tendant à préciser que les collectivités locales ont vocation à prendre les décisions relatives à l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en _uvre à leur échelon. Le rapporteur souhaite en effet que les collectivités exercent pleinement les responsabilités qui leur reviennent dans le cadre des compétences qu'elles exercent ; l'amendement présenté permet d'inscrire ainsi explicitement dans la Constitution qu'elles ont un pouvoir de décision dans le cadre de l'exercice de leurs compétences (amendement n° 12).

La Commission a ensuite rejeté un amendement présenté par M. Émile Blessig prévoyant qu'une loi organique détermine la répartition des compétences entre l'État et les différentes collectivités locales. Elle a également rejeté un amendement présenté par M. Gilles Bourdouleix prévoyant que les communes peuvent, en se regroupant, transférer certaines de leurs compétences à des communautés urbaines, d'agglomération ou de communes, le rapporteur ayant fait valoir que le dispositif proposé pourrait avoir pour effet d'interdire a contrario aux communes concernées de recourir à d'autres structures de coopération intercommunale comme les syndicats à vocation unique ou multiple.

· La consécration du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales

Le troisième alinéa du texte proposé pour l'article 72 reprend, avec une légère modification rédactionnelle, le deuxième alinéa actuel qui dispose que, dans les conditions prévues par la loi, les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus.

La rédaction initiale du projet de loi complétait cet alinéa par une deuxième phrase aux termes de laquelle, dans les mêmes conditions, c'est-à-dire dans celles prévues par la loi, les collectivités territoriales disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences. Le Sénat, à l'initiative de son rapporteur, a proposé un amendement rédactionnel reprenant, dans une version plus concise, la rédaction du projet.

Il s'agit ainsi de reconnaître dans la Constitution les moyens juridiques dont disposent les collectivités territoriales pour mener à bien leurs missions ; cette consécration constitutionnelle ne modifie pas les conditions d'exercice de ce pouvoir réglementaire, telles qu'elles ont été délimitées à la fois par la jurisprudence constitutionnelle et administrative.

Le pouvoir réglementaire est le fait d'édicter des normes générales et impersonnelles qui ne sont pas arrêtées sous forme de loi. L'article 21 de la Constitution confie ce pouvoir au Premier ministre, sous réserve des prérogatives propres du Président de la République. En pratique, d'autres autorités se sont vues attribuer un pouvoir réglementaire dans des limites précisément définies : il s'agit notamment des ministres, des préfets, des assemblées délibérantes des collectivités locales, des directeurs d'établissements publics et de certaines autorités administratives indépendantes : Conseil supérieur de l'audiovisuel, Autorité de régulation des télécommunications, ou institutions publiques sui generis comme la Banque de France.

La place du pouvoir réglementaire local a fait l'objet d'une importante doctrine, la question étant de savoir s'il existait un pouvoir réglementaire autonome et concurrent du pouvoir réglementaire général.

Le juge administratif a d'abord admis que les chefs de service, notamment les maires et les présidents de conseils régionaux et généraux, disposaient d'un pouvoir réglementaire leur permettant « de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l'administration placée sous leur autorité » (98). La collectivité peut ainsi prendre toute mesure réglementaire utile à son organisation interne, par la voie notamment du règlement intérieur.

Le juge administratif a également reconnu l'existence d'un pouvoir réglementaire local pour l'exercice d'une attribution ; tel est le cas des règlements d'urbanisme, des règlements départementaux d'aide sociale, du pouvoir de fixer les taux d'impositions locales et, plus généralement, de l'ensemble des décisions destinées à régir l'organisation des services publics, compétence qui ne peut s'exercer sans un pouvoir réglementaire. Il en est de même de la police administrative, pour laquelle les décisions du maire peuvent elles aussi revêtir un caractère réglementaire.

En revanche, la fixation des modalités de mise en _uvre de cette attribution relève du pouvoir législatif et du pouvoir réglementaire national. En conséquence, le pouvoir réglementaire local n'est jamais exclusif du pouvoir réglementaire général du Premier ministre et ne peut être qualifié de pouvoir d'application des lois. L'imprécision d'une loi ne saurait avoir pour effet de conférer aux collectivités territoriales le pouvoir de décider des modalités de son exécution, la norme locale étant subordonnée à l'intervention du décret d'application (99; en revanche, l'exercice du pouvoir réglementaire local est admis si le décret n'est ni prévu par la loi, ni nécessaire(100).

Ainsi, le pouvoir réglementaire local est un pouvoir résiduel, qui s'exerce dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur. Dans sa décision du 17 janvier 2002 sur la loi relative à la Corse, le Conseil constitutionnel a confirmé sans ambiguïté cette interprétation, en encadrant ce pouvoir de façon très précise : le pouvoir réglementaire dont dispose une collectivité locale dans le respect des lois et règlements ne peut s'exercer en dehors du cadre des compétences qui lui sont dévolues par la loi ; « [ces compétences] n'ont ni pour objet, ni pour effet de mettre en cause le pouvoir réglementaire d'exécution des lois que l'article 21 de la Constitution attribue au Premier ministre, sous réserve des pouvoirs reconnus au Président de la République par l'article 13 de la Constitution »(101).

La consécration de ce pouvoir réglementaire dans le troisième alinéa de l'article 72 est bien évidemment étroitement liée à la reconnaissance du principe de libre administration des collectivités locales. Les moyens juridiques dont disposent les collectivités locales pour exercer leurs compétences étant élevés au niveau constitutionnel, ils ne pourront dès lors être remis en cause, pas plus que ne peut être remis en cause le principe de libre administration. En revanche, comme le rappelle l'exposé des motifs du projet de loi, ce pouvoir réglementaire « ne pourra s'exercer que dans la mesure où la loi l'a prévu et pour la seule mise en _uvre des attributions que les collectivités tiennent de la loi ».

L'inscription du pouvoir réglementaire dans la Constitution n'a donc pas pour objet de remettre en cause la jurisprudence du juge administratif et constitutionnel sur le caractère subordonné et encadré de ce pouvoir ; c'est pour ce motif que le Gouvernement s'est déclaré défavorable à un amendement du rapporteur de la commission des lois du Sénat inscrivant, à l'article 21 de la Constitution, que le pouvoir réglementaire du Premier ministre s'exerçait sous réserve des dispositions du troisième alinéa de l'article 72. Cette rédaction revenait à faire du pouvoir réglementaire local, un pouvoir concurrent du pouvoir général exercé par le Premier ministre, la commission des lois souhaitant que puisse ainsi être reconnu au législateur, dans certains cas, le pouvoir de confier les modalités d'application des lois aux collectivités locales. Le Gouvernement ayant fait valoir que cette inscription était source de confusion entre pouvoir réglementaire général et pouvoir réglementaire local, le rapporteur a retiré son amendement.

Si elle s'inscrit dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État, la consécration du pouvoir réglementaire local dans la Constitution ne relève pas, pour autant, du simple « affichage » mais revêt, au contraire, une réelle signification. S'agissant de la répartition des domaines entre l'article 34 et l'article 37 de la Constitution, force est de constater que les intentions du pouvoir constituant de 1958 ont été perdues de vue : alors que la loi devrait, aux termes de l'article 34, « fixer les règles » et « déterminer les principes fondamentaux », elle est devenue omniprésente et omnipotente. La précision et la complexité des dispositions législatives ont réduit le domaine du pouvoir réglementaire national à la portion congrue ; que dire alors du pouvoir réglementaire local, reconnu comme pouvoir « résiduel » et devenu, par la force des choses, pouvoir « virtuel » ; la rénovation de l'action publique passe par la réaffirmation de la solennité de la loi, qui permettra de laisser au pouvoir réglementaire, national ou local, la place qui lui revient. On sait ce qu'il en est des bonnes intentions des gouvernements en début de législature ; la mise en pratique est toujours plus ardue. L'inscription du pouvoir réglementaire local dans la Constitution traduit, à l'inverse des pratiques précédentes, un réel engagement du Gouvernement de modifier les procédures d'élaboration de la norme, et d'en tirer toutes les conséquences en terme de pouvoir réglementaire local.

La Commission a rejeté un amendement de M. Émile Blessig précisant le contenu de la notion de libre administration des collectivités en inscrivant dans la Constitution que celles-ci disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences et que leurs conseils élus conduisent librement les politiques dont ils ont la responsabilité.

· L'expérimentation locale

Le quatrième alinéa du texte proposé pour l'article 72 autorise les collectivités locales à déroger, à titre expérimental, aux lois et règlements qui régissent l'exercice de leurs compétences.

L'intérêt d'un droit d'expérimentation a déjà été évoqué à l'article 2, qui inscrit dans la Constitution la possibilité de prévoir, dans la loi ou le règlement, des dispositions qui dérogent, pour un objet et une durée limités, au droit en vigueur. L'expérimentation permet d'éprouver une mesure nouvelle avant sa généralisation éventuelle, de mieux en percevoir les imperfections par une politique d'évaluation approfondie et d'en faciliter, le cas échéant, l'acceptation par la population.

Cette pratique revêt, en outre, un intérêt particulier dans le cadre de la décentralisation, puisqu'elle permet de tester l'exercice d'une compétence à un niveau territorial, avant d'envisager une généralisation à l'ensemble de la catégorie de collectivités locales concernées. Le droit à l'expérimentation apparaît, dans ce contexte, comme un corollaire du principe énoncé au deuxième alinéa de l'article 72, qui dispose que les collectivités locales ont vocation à exercer l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en _uvre à leur échelon.

Ce principe de l'expérimentation au niveau local n'est pas une innovation (102) : la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a ainsi permis aux régions d'exercer, à titre expérimental, jusqu'en 2006, des compétences en matière de politique culturelle, de ports maritimes ou d'aéroports. L'expérimentation d'un revenu minimum d'insertion en Ille-et-Vilaine, en 1988, relevait également de la même logique.

Si ces expériences ont toujours été menées dans le cadre de la loi et de la réglementation en vigueur, il n'en va pas de même pour les expérimentations prévues par la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse, qui autorise la collectivité territoriale de Corse à déroger, pour la mise en _uvre de ses seules compétences, aux dispositions réglementaires nationales, à la condition de ne porter atteinte ni à l'exercice d'une liberté individuelle ou d'un droit fondamental, ni au pouvoir réglementaire d'exécution des lois que le Premier ministre tient de l'article 21 de la Constitution. Le Conseil constitutionnel a, en revanche, censuré, dans la même disposition, la possibilité d'habiliter la collectivité territoriale de Corse à procéder à des expérimentations comportant des dérogations aux dispositions législatives en vigueur, considérant que, en autorisant la collectivité à prendre des mesures relevant du domaine de la loi, le législateur était intervenu dans un domaine qui ne relève que de la Constitution.

C'est précisément afin d'autoriser l'expérimentation dans les domaines relevant de la compétence législative que le projet de révision constitutionnelle introduit ce quatrième alinéa à l'article 72.

Cependant, plutôt que de reconnaître à telle ou telle collectivité une particularité qui la place de facto, de façon permanente, hors de la loi de la République, le projet de loi constitutionnelle s'attache au contraire à reconnaître aux collectivités un rôle d'entraînement et d'exemplarité. C'est parce que telle compétence fonctionne dans telle région, et parce que l'on comprend pourquoi et dans quelles conditions elle fonctionne que l'on pourrait, le cas échéant, l'étendre à toutes les autres. Dans cette perspective, la décentralisation n'apparaît plus comme un mouvement centrifuge, mais comme une dynamique.

Le droit à l'expérimentation, tel qu'il est prévu à l'article 72, est un droit encadré ; le quatrième alinéa précise que ce sont les collectivités territoriales, et non l'État, qui ont l'initiative de cette expérimentation, mais la décision elle-même revient au législateur ou au pouvoir réglementaire puisque il appartient à la loi ou au règlement d'autoriser, au cas par cas, ces dérogations. Une fois la durée de l'expérimentation expirée, l'autorité normative apprécie les conséquences qu'il convient d'en tirer, en la généralisant, en la renouvelant si besoin est, ou, à l'inverse, en y mettant fin. Il est également possible d'imaginer qu'une expérimentation se révèle fructueuse dans une collectivité territoriale, mais, pour autant, difficilement transposable ailleurs : se poserait alors la question de la modification du statut de la collectivité concernée, seul le régime de collectivité à statut particulier paraissant autoriser l'exercice, de façon permanente, de compétences relevant en droit commun du domaine de la loi ou du règlement(103).

La procédure mise en place par le projet de loi constitutionnelle permet de prévenir tout risque de dérive, en encadrant l'habilitation par une intervention de l'autorité délégante au début de l'expérimentation et à la fin, s'il est décidé de l'élargir à l'ensemble du territoire. En cas d'échec de l'expérience, c'est la norme générale qui trouvera de nouveau lieu de s'appliquer. Une loi organique, prévue dans le projet de révision constitutionnelle, permettra de préciser les conditions de formulation de la demande par la collectivité territoriale, de définir le cadre général de l'expérimentation et de donner des indications en terme de durée de l'expérience. Elle aura également pour objet de déterminer les conditions de sortie de l'expérimentation, les modalités de son évaluation et le retour à la norme générale en cas d'échec de la procédure. Cette loi organique devra enfin s'attacher à préciser les conditions de légalité des actes pris par la collectivité dans le cadre de l'expérimentation ; restant des actes administratifs, ils seront susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif, mais il serait peut-être opportun de prévoir en plus, et de façon dérogatoire, une procédure de référé, ou de suspension provisoire lorsque ils excèdent le domaine de l'habilitation.

Le risque de dérives est également limité par un encadrement strict des domaines dans lesquels il peut y avoir habilitation : les collectivités territoriales ne pourront être habilitées à déroger à des dispositions normatives touchant aux libertés publiques ; cette précision permet ainsi d'éviter, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel(104), que les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique varient en fonction de décisions des collectivités territoriales. Les libertés publiques ne sauraient, en effet, être interprétées différemment en différents points du territoire national.

Il doit d'ailleurs en être de même des droits constitutionnellement garantis ; l'interdiction d'habilitation dans des domaines touchant à ces droits était pourtant explicitement prévue à juste titre dans le projet de loi initial du Gouvernement, mais le Sénat, à l'initiative de son rapporteur, a supprimé cette limitation. Il a estimé, en effet, que les expérimentations ne sauraient remettre en cause des droits constitutionnellement garantis, puisque la loi d'habilitation elle-même ne peut, par définition, porter atteinte à ces droits. Le Sénat a effectivement considéré que ces droits étant garantis par la Constitution, la loi ne pouvait, sous peine d'être censurée par le Conseil constitutionnel, y porter atteinte.

Pourtant, une lecture minutieuse du quatrième alinéa proposé par le projet de révision constitutionnelle invite à contester ce raisonnement. Il semble s'être fondé sur une interprétation erronée de l'expression contenue dans cet alinéa : « lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti ». Le Sénat a considéré que le projet entendait par là « la remise en cause » de ces libertés et de ces droits. Or, il ne s'agit pas de cela.

Le projet prévoit simplement le cas où la loi d'habilitation délèguerait au pouvoir réglementaire local la possibilité d'intervenir dans le domaine des droits et des libertés. Le Gouvernement souhaite interdire une telle faculté, ce à quoi on ne peut que souscrire pour les raisons exposées précédemment. Dès lors, la suppression par le Sénat de la référence aux droits constitutionnellement garantis soulève une réelle difficulté.

En effet, une loi déléguant au pouvoir local le soin d'intervenir dans le domaine des droits fondamentaux ne porterait pas elle même atteinte à ces droits garantis par la Constitution ; elle se contenterait de déléguer la possibilité d'en modifier le régime. Selon la rédaction du Sénat, le législateur pourrait finalement donner au pouvoir réglementaire local la faculté d'intervenir dans le régime des droits fondamentaux, mais pas dans celui des libertés publiques. Telle n'était évidemment pas l'intention de la haute assemblée.

Une telle distinction entre le régime des libertés publiques et des droits constitutionnellement garantis n'est évidemment pas justifiée. Au regard du droit à l'expérimentation locale, un seul et même régime doit leur être appliqué. Ces deux notions sont en effet proches mais ne se recoupent pas totalement ; c'est pourquoi le Gouvernement les a toutes deux mentionnées. Sont reconnues comme liberté publique par la jurisprudence et la doctrine la liberté d'association, la liberté d'enseignement, la liberté de conscience, la liberté d'aller et venir, le droit d'asile, les droits de la défense, le droit d'agir en justice, la liberté d'expression, la liberté de communication et la liberté de la presse ; figurent au rang des droits constitutionnellement garantis les droits économiques et sociaux tels que le droit à la protection de la santé, le droit de grève, la liberté syndicale, le droit au travail, la liberté d'entreprendre, le droit de propriété, les droits de la famille, l'intégrité du corps humain.

En conséquence, la Commission a adopté un amendement du rapporteur tendant à rétablir les dispositions initiales du projet de loi écartant la mise en _uvre d'expérimentations dans le domaine des droits constitutionnellement garantis (amendement n° 13).

La proposition de loi constitutionnelle de M. Pierre Méhaignerie, adoptée à l'Assemblée nationale le 16 janvier 2001, avait le même objet que le projet de loi constitutionnelle, en consacrant dans la Constitution un droit à l'expérimentation pour les collectivités locales (105). Elle était destinée notamment à assouplir le cadre institutionnel de la République, ce qui permettrait notamment de résoudre la question de la spécificité corse dans un mouvement plus général de décentralisation, valable pour toutes les collectivités territoriales. Les domaines pouvant faire l'objet d'une habilitation étaient toutefois sensiblement moins étendus que ceux proposés dans le projet de loi constitutionnelle, puisque seules les matières régissant les compétences des collectivités locales, leur organisation ou leurs ressources pouvaient faire l'objet d'une expérimentation. En outre, les matières mentionnées aux troisième, quatrième, cinquième, dixième et treizième alinéas de l'article 34 étaient exclues, soit, pour l'essentiel, les matières régissant les droits civiques et les garanties fondamentales, les sujétions imposées en matière de défense nationale, la nationalité, le droit civil, le droit pénal, la procédure pénale, l'organisation judiciaire, les garanties accordées aux fonctionnaires et le régime de la défense nationale.

La procédure d'habilitation était également légèrement différente puisque seule la loi pouvait autoriser une collectivité locale à déroger à des dispositions législatives et réglementaires.

Il convient de s'interroger sur la rédaction du projet de loi constitutionnelle, qui dispose que les collectivités peuvent déroger « aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences » : cette rédaction doit être comprise à la fois comme autorisant une dérogation aux règles de répartition des compétences, et une dérogation aux règles régissant la compétence déléguée. Il s'agit donc à la fois d'une règle de forme, la répartition des compétences entre collectivités et entre l'État et les collectivités, et d'une règle de fond, la détermination d'un corpus normatif régissant un secteur.

Concrètement, il sera désormais possible de confier à la région la compétence « collège », dans le cadre d'une expérimentation qui déroge à la répartition des compétences ; il sera également possible, compte tenu de cette double lecture du projet de loi constitutionnelle, de déléguer à la région, dans une compétence qu'elle exerce déjà, les lycées par exemple, l'ensemble du corpus normatif régissant cette compétence « lycées », qu'il s'agisse de dispositions législatives ou réglementaires. Il va de soi que l'on peut également faire une lecture croisée de cette disposition, en envisageant à la fois une dérogation aux règles de répartition des compétences et une dérogation aux règles régissant la compétence, soit dans notre exemple, la compétence « collège », avec l'ensemble des dispositions législatives et réglementaires qui régissent ce secteur.

Il faut toutefois relativiser l'importance de cette distinction entre habilitation en matière législative et habilitation en matière réglementaire : force est de reconnaître que la loi intervient aujourd'hui dans des domaines qui ne relèvent pas de l'article 34 ; les habilitations que le législateur sera amené à autoriser relèveront formellement de dispositions législatives, mais, sur le fond, concerneront dans la grande majorité des cas des dispositions à caractère réglementaire. La généralisation de l'expérimentation permettra ainsi aux collectivités territoriales de retrouver des compétences dont l'exercice relève actuellement de façon indue de l'État. La reconnaissance du pouvoir réglementaire local, prévue au troisième alinéa, permettra d'assurer ces compétences dans de bonnes conditions.

La Commission a été saisie d'un amendement de M. Émile Zuccarelli supprimant la possibilité de déroger à des dispositions législatives. Après avoir souligné que cette possibilité risquait de remettre en cause l'égalité des citoyens devant la loi et de conduire à une complexification croissante du droit applicable, son auteur a fait valoir que le Parlement pouvait déjà, en tout état de cause, adopter des dispositions spécifiques ne concernant qu'une partie du territoire national, comme par exemple les zones de montagne. M. Jean-Luc Warsmann, président, a rappelé que, si le Conseil constitutionnel admettait la constitutionnalité de dispositions législatives spécifiques répondant à des situations particulières, il refusait l'adoption de dispositions de portée limitée non justifiées par des particularismes, d'où l'intérêt de la disposition proposée. En réponse à M. Émile Zuccarelli, qui estimait que cette expérimentation devait relever de la compétence du Parlement, il a précisé qu'elle ne pourrait s'exercer que si la loi l'avait prévue. La Commission a alors rejeté l'amendement.

Le Sénat n'a pas apporté de modification de fond à cette procédure ; il n'a pas repris notamment l'amendement qu'il a présenté à l'article 2, pour restreindre les expérimentations à un objet et une durée limités. Il est regrettable qu'une lecture différente puisse être faite des deux modalités de l'expérimentation ; c'est la raison pour laquelle le rapporteur a proposé une modification en ce sens de l'article, qui a été adoptée par la Commission (amendement n° 14). La Commission a en conséquence rejeté, par coordination avec ses décisions antérieures, l'amendement de Mme Christiane Taubira supprimant le caractère expérimental de l'habilitation.

A l'initiative de M. Daniel Hoeffel, le Sénat a adopté un amendement permettant de reconnaître aux groupements de collectivités un droit à l'expérimentation ; il ne s'agit pas, par cette modification, de conférer le statut de collectivités territoriales aux groupements intercommunaux, mais d'en confirmer la réalité ; l'intercommunalité est en effet appelée à jouer un rôle tout à fait décisif dans la voie de la décentralisation, notamment dans le domaine de l'expérimentation. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a exprimé son « enthousiasme » devant une telle initiative.

Si l'on peut donc partager le souci des sénateurs de ne pas laisser l'intercommunalité en dehors du champ de cette révision constitutionnelle, on peut néanmoins s'interroger sur l'interprétation a contrario des autres dispositions de l'article 72, notamment celle énoncée au cinquième alinéa sur la notion de collectivité « chef de file » ; en l'absence d'une mention explicite faisant référence à l'intercommunalité, ces dispositions ne pourront être applicables aux groupements de communes.

S'agissant de l'expérimentation autorisée aux groupements, la Commission a été saisie de l'amendement n° 2 présenté par M. Hervé Mariton tendant à supprimer cet ajout du Sénat. Intervenant en application des dispositions de l'article 86, alinéa 5 du Règlement, son auteur a jugé prématuré de faire référence aux groupements dans la Constitution, observant qu'aucune disposition n'interdisait aux différentes collectivités menant des expérimentations de se regrouper afin de mettre en commun leurs moyens. Exprimant son accord avec les propos tenus par l'auteur de l'amendement, M. Alain Gest a souligné l'imprécision du terme de groupement et, en conséquence, jugé inopportun de l'introduire dans la Constitution.

M. Marc-Phillippe Daubresse a considéré, au contraire, qu'il serait regrettable de ne pas inscrire dans la Constitution la possibilité de confier aux groupements de collectivités le soin de mener des expérimentations, dès lors que ces derniers peuvent, dans certains domaines comme le logement, représenter l'échelon le mieux adapté pour la mise en _uvre des politiques publiques. Rappelant son attachement au principe de subsidiarité, le rapporteur a, en conséquence, jugé peu opportun de ne pas mentionner les groupements parmi les collectivités susceptibles de mener des expérimentations ; il a observé que la relative imprécision de la notion de groupement présentait l'avantage de garantir l'adaptation du dispositif constitutionnel proposé aux éventuelles évolutions futures de l'organisation administrative. Suivant son rapporteur, la Commission a rejeté cet amendement.

· La notion de collectivité chef de file

Le cinquième alinéa de l'article 72, tel que proposé par le projet de loi, permet de reconnaître à la loi, lorsque une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités, la possibilité de confier à l'une d'entre elles le soin de fixer les modalités de leur action commune. Il s'agit ainsi d'inscrire dans la Constitution la notion de collectivité « chef de file ».

Le Sénat a complété cette rédaction, à l'initiative de son rapporteur, afin de préciser que cette prééminence reconnue à une collectivité sur un projet ne saurait se traduire par l'instauration d'une tutelle d'une collectivité sur une autre.

La reconnaissance de la notion de « chef de file » répond à une considération pragmatique ; la décentralisation par voie de « blocs de compétences » a montré ses limites : certains secteurs transversaux, tels que l'aménagement du territoire ou la politique de la ville, exigent l'intervention de plusieurs collectivités et rendent, dès lors, indispensable la pratique des financements croisés. L'enchevêtrement des compétences implique en conséquence des procédures de coordination entre collectivités, que le projet de loi constitutionnelle s'attache à définir en reconnaissant à une collectivité la faculté d'organiser les modalités d'une action commune.

La notion de collectivité chef de file existe déjà, sans qu'elle soit nommée explicitement, dans le code général des collectivités territoriales ; la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a, en effet, confié à la région un rôle dynamique en matière d'aides aux entreprises, en faisant d'elle le chef de file des actions menées en ce domaine. Les communes, les départements et les groupements sont associés à ces actions, par la voie de conventions.

La loi du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement du territoire avait également prévu, de façon plus générale, la possibilité de confier à une collectivité un rôle de chef de file en énonçant qu'une loi ultérieure définirait « les conditions dans lesquelles une collectivité pourra assurer le rôle de chef de file pour l'exercice d'une compétence ou d'un groupe de compétences relevant de plusieurs collectivités territoriales ». Elle ajoutait que « jusqu'à la date d'entrée en vigueur de cette loi, les collectivités territoriales pourront, par convention, désigner l'une d'entre elles comme chef de file pour l'exercice de ces mêmes compétences. »

Le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition, non par opposition de principe à la notion de chef de file, mais parce que le législateur n'avait pas suffisamment défini les pouvoirs et les responsabilités afférents à cette notion(106). Conformément à cette jurisprudence, le projet de loi constitutionnelle précise qu'il reviendra à la loi d'organiser les modalités d'une action commune. Néanmoins, ainsi que le précise à juste titre le rapporteur du Sénat, il est possible d'imaginer que, dans certains cas prévus par la loi, la fonction de chef de file soit définie par voie de conventions entre les collectivités territoriales volontaires.

Le Sénat a souhaité que ce rôle de chef de file ne conduise pas au rétablissement d'une tutelle d'une collectivité locale sur une autre : affirmé de façon explicite à l'article L. 1111-3 du code général des collectivités territoriales, l'interdiction de ce principe est étroitement liée à la libre administration des collectivités locales. Elle a trouvé une consécration constitutionnelle dans la décision du Conseil constitutionnel relative à la Corse (107), le Conseil s'étant attaché à vérifier que les dispositions relatives à l'Assemblée de Corse ne conduisaient pas à placer les communes et les départements sous la tutelle de la collectivité territoriale.

Dans le même objectif de prévenir toute tutelle d'une collectivité sur une autre, le Sénat a préféré atténuer la notion de collectivité chef de file, en précisant que celle-ci serait amenée à organiser les modalités d'une action commune et non, comme le prévoyait la rédaction initiale du projet, à fixer les conditions de cette action.

La Commission a été saisie de deux amendements de M. Émile Zuccarelli, le premier proposant une nouvelle rédaction de la notion de collectivité territoriale « chef de file » et le second supprimant l'adverbe « cependant » qui sépare cette notion du principe d'interdiction de tutelle d'une collectivité locale sur une autre. Après avoir souligné la nécessité de proscrire toute tutelle, leur auteur a exprimé la crainte que la rédaction actuelle ne permette, dans les faits, d'en rétablir une, ajoutant que l'exercice de la mission de « chef de file » était indépendant de ce principe.

Tout en reconnaissant l'ambiguïté de la rédaction proposée, le rapporteur a estimé préférable de la maintenir, faisant valoir que l'adverbe « cependant » permettrait d'éviter d'éventuels recours de collectivités associées dans des actions communes qui contesteraient les décisions de la collectivité chef de file au nom du principe d'interdiction de toute tutelle. Il a considéré que le texte proposé semblait autoriser la collectivité chef de file à imposer son point de vue aux autres dans l'organisation des modalités de leur action commune. Prolongeant les propos du rapporteur, M. Jean-Luc Warsmann, président, a estimé que le financement des actions communes s'apparenterait pour les collectivités impliquées à une dépense obligatoire.

Considérant que l'amendement de M. Émile Zuccarelli permettait d'alléger le texte sans en changer le contenu, M. Guy Geoffroy s'est déclaré favorable à l'adoption de celui-ci. Après avoir souligné que la rédaction adoptée par le Sénat était moins contraignante que la version initiale proposée par le Gouvernement, la première faisant référence à la possibilité de confier à une collectivité territoriale le pouvoir de fixer les modalités de l'action commune, alors que la seconde mentionne la possibilité d'autoriser cette collectivité à organiser ces modalités, M. Jérôme Bignon s'est prononcé en faveur du maintien de l'adverbe « cependant » permettant, selon lui, de rétablir une certaine contrainte. En réponse à M. Philippe Vuilque et à Mme Brigitte Bareges, qui s'interrogeaient sur les moyens de résoudre les conflits en cas de difficulté dans la détermination de la collectivité chef de file, le rapporteur a rappelé que cette collectivité serait désignée par la loi. M. Marc-Philippe Daubresse ayant rappelé les propos tenus au Sénat sur l'importance de l'adverbe « cependant », la Commission a rejeté les deux amendements de M. Émile Zuccarelli.

Elle a ensuite adopté deux amendements identiques présentés par le rapporteur et par M. Marc-Philippe Daubresse, donnant la possibilité aux groupements de collectivités territoriales d'être chef de file d'un projet commun à plusieurs collectivités (amendement n° 15). M. Alain Gest s'est déclaré défavorable à cette disposition, estimant que cette consécration des établissements publics de coopération intercommunale était prématurée. La Commission a ensuite rejeté l'amendement n° 9 de M. Daniel Garrigue tendant à supprimer les financements croisés conditionnés.

· La clarification du rôle de représentant de l'État

Le dernier alinéa de l'article 72, dans sa rédaction actuelle, dispose que « Dans les départements et les territoires, le délégué du Gouvernement a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ».

Cet alinéa garantit le caractère unitaire de l'État ; il doit donc être compris comme le corollaire indispensable du principe de libre administration des collectivités territoriales, énoncé dans l'alinéa précédent de l'article.

Le projet de loi de révision constitutionnelle ne modifie pas les attributions imparties au délégué du Gouvernement ; il a simplement pour objet de conforter son rôle en précisant qu'il est le représentant de l'État, et non plus simplement son délégué, et, en tant que tel, qu'il représente chacun des membres du Gouvernement dans le ressort des collectivités territoriales de la République.

Le décret du 10 mai 1982 (108), dans son article premier, consacrait déjà ce rôle de représentant de tous les ministres, en précisant qu' « [le préfet] est dépositaire de l'autorité de l'État dans le département. Délégué du Gouvernement, il est le représentant direct du Premier ministre et de chacun des ministres. Il dirige sous leur autorité les services des administrations civiles de l'État ».

La rédaction du projet de loi ne diffère pas fondamentalement de ces dispositions réglementaires ; son inscription dans la Constitution permet cependant d'affirmer de manière solennelle le rôle du préfet, dans un contexte de décentralisation accrue. La décentralisation va, en effet, de pair avec un renforcement du rôle du préfet, indispensable pour garantir l'unité de l'État et assurer la coordination interministérielle. Ainsi que l'a rappelé le Garde des sceaux en séance au Sénat, à propos d'un amendement du rapporteur supprimant cette référence au rôle de représentant de chacun des membres du Gouvernement, le principe de l'unicité du Gouvernement, incarnée en la personne du préfet, est essentiel à la poursuite du mouvement de déconcentration. La rédaction adoptée par le Sénat s'est finalement limitée à supprimer la référence au ressort de compétence du préfet.

La Commission a été saisie de deux amendements identiques présentés par M. Hervé Mariton (n° 1) et M. François Goulard (n° 4), supprimant le dernier alinéa de l'article 72 de la Constitution, qui fait référence au représentant de l'État. Se défendant de mettre en cause l'existence même ou la qualité du corps préfectoral, M. Hervé Mariton s'est interrogé, en premier lieu, sur la pertinence qu'il y avait à faire coïncider l'organisation territoriale de l'État et celle des collectivités territoriales, en conséquence de la suppression par le Sénat de toute mention relative au « ressort » de celles-ci. Faisant ensuite observer que, comme le rappelait le site Internet du ministère de l'intérieur, les représentants du gouvernement étaient les seuls hauts fonctionnaires dont la compétence reposait sur une base constitutionnelle, il s'est étonné de cette spécificité, alors que, s'agissant des magistrats par exemple, seules étaient évoquées, dans la Constitution, leur existence et leurs conditions de nomination. Par ailleurs, il a regretté que le même site Internet évoque ce corps comme un « noyau central, permanent et quasi-immuable », à l'encontre même de la réalité du mouvement de décentralisation opéré depuis vingt ans. Enfin, arguant du fait que le contrôle de légalité devait relever des tribunaux compétents, sur saisine des personnes ayant intérêt à agir, ce qui inclut bien évidemment l'État et son représentant, il s'est interrogé sur le maintien de l'attribution du contrôle de légalité au profit du représentant de l'État, dont les moyens correspondent, en outre, bien peu aux missions qui lui sont assignées. Qualifiant le contrôle de légalité de « scorie d'une construction antérieure à la décentralisation », il a souhaité, en le supprimant du texte constitutionnel, encourager la décentralisation et mettre en route la réforme de l'État.

En écho aux propos de M. Hervé Mariton, M. Alain Gest a estimé que la rédaction initiale du projet de loi, qui faisait référence au ressort des collectivités territoriales, était plus satisfaisante que celle adoptée par le Sénat, peu cohérente avec le principe de décentralisation. M. Francis Delattre, soutenu par M. Patrick Delnatte, a fait observer que, sans aller jusqu'à supprimer la référence au représentant de l'État, il serait judicieux de rétablir la rédaction initiale. Appuyant cette analyse, M. Guy Geoffroy s'est également déclaré opposé à la suppression de la référence au représentant de l'État, dont il a rappelé le rôle de conseil aux collectivités territoriales et la fonction préventive au regard des risques de contentieux.

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur a jugé nécessaire de rappeler que, dans un pays unitaire, c'est à l'État et aux fonctionnaires qui le servent qu'il revenait de garantir l'intérêt national, et a mis en doute la maturité du peuple français pour abandonner aujourd'hui le principe d'unité de l'État et son symbole qu'est le corps préfectoral. A une interrogation de M. Jérôme Bignon sur la pertinence de la précision apportée dans le projet de loi, selon laquelle le représentant de l'État serait également le représentant de chacun des membres du Gouvernement, le rapporteur a fait valoir qu'en cohérence avec la relance et l'approfondissement de la décentralisation, le Gouvernement voulait accentuer le mouvement de déconcentration, de façon à rapprocher l'administration centrale des administrés. À l'issue de ce débat, la Commission a rejeté les amendements de M. Hervé Mariton et de M. François Goulard.

Après avoir rejeté un amendement de Mme Christiane Taubira transférant ce dernier alinéa de l'article 72 à l'article 22 de la Constitution, la Commission a également rejeté l'amendement n° 6 de M. Daniel Garrigue, proposant de substituer aux mots de représentant du Gouvernement celui de préfet, de même qu'elle a rejeté l'amendement de Mme Christiane Taubira supprimant la référence au rôle du représentant de l'État en matière de représentation du Gouvernement. Elle a également rejeté deux amendements relatifs à la compétence du représentant de l'État, le premier, présenté par M. Émile Zucarelli, faisant référence à la multiplicité de ses attributions, le second, de Mme Christiane Taubira, supprimant la mention du contrôle administratif, avant de rejeter l'amendement n° 7 de M. René André donnant compétence au préfet sur l'ensemble des services de l'État.

La Commission a ensuite adopté l'article 4 ainsi modifié.

- suite du rapport

376 - Rapport de M. Pascal Clément (commission des lois) sur le projet de loi adopté par le Sénat sur l'organisation décentralisée de la République

1 () Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, première partie, chapitre IV.

2 () Séance du 19 juillet 1946, Commission de la Constitution de la seconde Assemblée nationale constituante.

3 () Décision n° 82-146-DC du 18 novembre 1982.

4 () Sondage Sofres effectué pour la Commission pour l'avenir de la décentralisation en août 2000.

5 () Les chiffres sont issus du rapport de la mission d'information commune sur la décentralisation, présidée par M. Jean-Paul Delevoye, Pour une République territoriale, Sénat n° 447 (1999-2000).

6 () Jacques Méraud, Les collectivités locales et l'économie nationale, Crédit local de France-Dexia, 1997.

7 () Jean-Pierre Brunel, L'avenir de l'autonomie financière des collectivités locales, rapport présenté au nom du Conseil économique et social par 2001.

8 () Décentralisation et Conseil constitutionnel, Les notices de la Documentation française, juin 2002.

9 () Décision n° 82-138 DC du 25 février 1982.

10 () Décision n° 79-104 DC du 23 mai 1979.

11 () Décision n 64-29 L du 12 mai 1964.

12 () Décision n° 83-138 DC du 20 janvier 1984.

13 () Décision n° 90-277 DC du 25 juillet 1990.

14 () Décision n° 90-274 DC du 29 mai 1990.

15 () Décision n° 75-84 L du 19 novembre 1975.

16 () Cf. notamment CE 19 avril 1984, Ordre des architectes.

17 () Décision n° 2001-454 DC du 17 janvier 2002.

18 () Décision n° 85-196 DC du 8 août 1985

19 () Décision n° 90-274 DC du 29 mai 1990.

20 () Décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000.

21 () Le relevé de conclusions établi le 20 juillet 2000 au terme du processus de Matignon reportait à 2004 et à une éventuelle révision constitutionnelle la suppression des départements de Haute-Corse et de Corse du Sud.

22 () Le montant de la DCTP est ainsi passé de 2,29 milliards d'euros en 1995 à 1,68 milliard en 2000.

23 () Joël Bourdin, Les finances des collectivités locales en 2002, Rapport présenté au nom de l'Observatoire des finances locales, juillet 2002.

24 () Jean-Paul Delevoye, op. cit.

25 () Pierre Mauroy, Refonder l'action publique locale, Rapport au nom de la Commission pour l'avenir de la décentralisation, octobre 2000.

26 () Des notes synthétiques sur l'organisation territoriale en Allemagne, Grande-Bretagne, Italie et Espagne figurent en annexe du rapport.

27 () Décision n° 2001-454 DC du 17 janvier 2002.

28 () Décision n° 84-185 DC du 18 janvier 1985.

29 () Décision n° 85-189 DC du 17 juillet 1985.

30 () Décision n° 95-369 DC du 28 décembre 1995.

31 () Cf. en ce sens François Priet, Interventionnisme local, liberté d'entreprendre et principe d'égalité in Droit constitutionnel local, Economica.

32 () Décision n° 2000-432 DC du 12 juillet 2000.

33 () J.-E. Schoettl, AJDA 2000, n°9.

34 () Décision n° 83-168 DC du 20 janvier 1984.

35 () Décision n° 92-316 DC du 20 janvier 1993.

36 () Décision n° 98-407 DC du 14 janvier 1999.

37 () Décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000.

38 () Proposition de loi constitutionnelle n° 249 relative à l'exercice des libertés locales, présentée par M. Hervé Morin et plusieurs de ses collègues.

39 () Ces catégories abstraites n'épuisent pas la réalité politique et juridique de la France. L'Algérie, formée de deux départements qui n'ont jamais eu la qualification d'outre-mer, y échappe. Par ailleurs, les territoires associés, juridiquement non intégrés au territoire français, seront en fait administrés comme les territoires d'outre-mer.

40 () Les territoires dits associés sont les anciens territoires sous tutelle tandis que les États associés sont ceux dont l'existence internationale a survécu à la colonisation et qui étaient liés à la France par un traité de protectorat.

41 () Gaston Monnerville, débat du 14 mars 1946 à l'Assemblée constituante.

42 () Jean-Yves Faberon et Jean-François Auby (dir.), L'évolution du statut de département d'outre-mer, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1999.

43 () Entretien réalisé par les élèves de l'ENA le 16 octobre 1996.

44 () Décision n° 82-147 DC du 2 décembre 1982.

45 () Décision n° 84-174 DC du 25 juillet 1984.

46 () Cf. François Borella, L'évolution politique et juridique de l'Union française depuis 1946, LGDJ, 1958.

47 () L'article 76 qui leur permettait de changer éventuellement de statut a été abrogé par la loi constitutionnelle du 4 août 1995.

48 () Catégorie aux contours imprécis, les lois de souveraineté comprennent notamment les lois constitutionnelles, les lois relatives à un organe commun à la métropole et à la France d'outre-mer, les lois constituant des statuts au profit des personnes pouvant résider soit en métropole soit outre-mer, tels que les fonctionnaires, les textes relatifs au statut civil de droit commun.

49 () Décision n° 65-34 L du 2 juillet 1965.

50 () Décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991 relative à la loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse.

51 () Décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996.

52 () Décision n° 82-155 DC du 30 décembre 1982.

53 () Décision n° 85-196 DC du 8 août 1985.

54 () Rapport du Conseil économique et social n° 23, JO du 31 décembre 1987.

55 () Décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991.

56 () Décision n° 2000-435 DC du 7 décembre 2000.

57 () Dominique Custos, « Le statut constitutionnel des départements d'outre-mer », AJDA, 20 septembre 2001.

58 () Cf. annexe sur le débat institutionnel dans les DOM.

59 () Décision n° 2000-428 DC du 4 mai 2000 relative à la loi organisant une consultation de la population de Mayotte et décision n° 2000-435 DC du 7 décembre 2000 relative à la loi d'orientation pour l'outre-mer.

60 () Jean-François Auby, « Les départements d'outre-mer et la République : structures et compétences », in L'évolution du statut de département d'outre-mer, op. cit.

61 () Décision n° 79-104 DC du 23 mai 1979.

62 () Décision n° 90-277 DC du 25 juillet 1990, Décision n° 64-29 L du 12 mai 1964 et Décision n° 83-138 DC du 20 janvier 1984.

63 () Décision n° 2001-454 DC du 17 janvier 2002.

64 () Décision n° 85-196 DC du 8 août 1985.

65 () Décision n° 90-274 DC du 29 mai 1990.

66 () Décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000.

67 () Décision n° 83-168 DC du 20 janvier 1984.

68 () Décision n° 92-316 DC du 20 janvier 1993.

69 () Décision n° 98-407 DC du 14 janvier 1999.

70 () Décision n° 2001-454 DC du 17 janvier 2002.

71 () Décision n° 83-160 DC du 19 juillet 1983.

72 () Décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991.

73 () Décisions n° 84-185 DC du 18 janvier 1985, n° 93-329 DC du 13 janvier 1994 et n° 2001-454 DC du 17 janvier 2002.

74 () Cf « La Constitution de la République française » de François Luchaire et Gérard Conac, Economica.

75 () R. Carré de Malberg La loi, expression de la volonté générale, 1931.

76 () Rapport du Sénat présenté par M. J. Béranger, sur le travail à temps partiel dans la fonction publique.1980

77 () Rapport de J. Delaneau relatif à l'interruption volontaire de grossesse, Assemblée nationale, 1980. A contrario, la loi du 29 juillet 1992 reconduisant le RMI a permis d'apporter de nombreuses améliorations par rapport au dispositif mis en place en 1988.

78 () Conseil d'État, 13 octobre 1967, Peny et Conseil d'État, 21 février 1968, Ordre des avocats de la cour d'appel de Paris.

79 () Section des Travaux publics, n353605 du 24 juin 1993, Rapport public 1993.

80 () Décision n° 93-322 DC du 28 juillet 1993.

81 () Décision n° 93-333 DC du 21 janvier 1994.

82 () Décision n 75-76 DC du 23 juillet 1975.

83 () Les lois de financement de la sécurité sociale ont été créées par la révision constitutionnelle du 22 février 1996.

84 () Thèse défendue par François Robbe,  La représentation des collectivités territoriales par le Sénat, étude sur l'article 24 alinéa 3 de la Constitution française du 4 octobre 1958 , L.G.D.J, mars 2001.

85 () En 1991, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'administration territoriale de la République, M. Christian Poncelet, à l'époque président de la commission des finances, déplorait que le Sénat, pourtant « grand conseil des collectivités territoriales de France, ne soit plus, comme cela a toujours été la tradition, saisi en priorité des projets de loi concernant les collectivités locales. Cette méconnaissance de l'article 24 de la Constitution (...) tend à devenir systématique ».

86 () Plusieurs propositions ont été formulées : certaines tendent à exclure les textes relatifs aux collectivités territoriales de la procédure d'urgence et à conférer au Sénat le dernier mot en cas de désaccord avec l'Assemblée nationale ; d'autres prévoient qu'en cas de désaccord entre les deux assemblées, ces textes ne puissent être adoptés par l'Assemblée nationale en dernière lecture qu'à la majorité absolue de ses membres (comme pour les lois organiques) ou encore qu'ils prennent la forme de loi organique nécessitant l'accord du Sénat.

87 () Dans le domaine des lois de finances, la priorité donnée aux députés est absolue. Elle s'étend même aux amendements du Gouvernement introduisant une mesure financière entièrement nouvelle, décision n° 76-73 DC du 28 décembre 1976  relative à la loi de finances pour 1977: «   Considérant que l'article 39 de la Constitution dispose, in fine, que "les projets de loi de finances sont soumis en premier lieu à l'Assemblée nationale"; qu'il est constant que l'article 16 prévoyant l'institution d'une taxe sanitaire et d'organisation du marché des viandes a été soumis par le Gouvernement pour la première fois devant le Sénat, sous forme d'amendement, et que s'agissant d'une mesure financière entièrement nouvelle, il l'a été en méconnaissance de l'article 39 susvisé de la Constitution ».

88 () Pierre Mauroy, « Le Sénat, chambre de la décentralisation », Pouvoirs locaux, n° 30, 1996, p.31.

89 () Articles L. 2112-1 et L 3112-1 du code général des collectivités territoriales.

90 () Chapitre III du titre premier du livre premier du code général des collectivités territoriales consacré à l'organisation de la commune

91 () Décision n° 82-147 DC du 2 décembre 1982.

92 () Cf. l'article de Michel Verpeaux, La Constitution et les collectivités territoriales, dans Les quarante ans de la Vème République, Revue de droit public, 1998.

93 () Décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991.

94 () Propositions pour une révision de la Constitution, Rapport au Président de la République, La Documentation française, 1993.

95 () Cf. commentaire de l'article 9.

96 () Décision n° 82-147 DC du 2 décembre 1982.

97 () Aux termes des articles L. 2121-29, L. 3211-1 et L. 4221-1 du code général des collectivités territoriales, le conseil municipal, le conseil général et le conseil régional règlent, par leurs délibérations, les affaires relevant de la collectivité territoriale.

98 () Conseil d'État, 7 février 1936, Jamart.

99 () CE.Sect. Avis 20 mars 1992 : alors que la loi modifiée sur la fonction publique territoriale prévoyait que l'assemblée délibérante de chaque collectivité fixait les régimes indemnitaires dans la limite de ceux dont bénéficiaient les différents services de l'État, le Conseil d'État a estimé que ces dispositions n'étaient pas suffisamment précises pour que leur application soit possible avant l'intervention d'un décret en Conseil d'État déterminant les conditions de mise en _uvre de la règle fixée par la loi.

100 () CE, 13 février 1985, Syndicat communautaire d'aménagement de la Ville nouvelle de Cergy-Pontoise et CE, 2 décembre 1994, Commune de Cuers.

101 () Décision n° 2001-454 DC du 17 janvier 2002.

102 () Cf. le commentaire de l'article 2.

103 () Il faut rappeler que les articles 8 et 9 du projet de loi constitutionnelle permet également aux départements et collectivités d'outre-mer de déroger de manière pérenne à la loi et au règlement.

104 () Décision n° 93-329 DC du 13 janvier 1994 et décision n° 2001-454 DC du 17 janvier 2002.

105 () Proposition de loi constitutionnelle (n° 2278) de M. Pierre Méhaignerie, tendant à introduire dans la Constitution un droit à l'expérimentation pour les collectivités locales, adoptée le 16 janvier 2001 et rapport de M. Emile Blessig (n° 2854) fait au nom de la Commission des lois.

106 () Décision n° 94-358DC du 26 janvier 1995.

107 () Décision n° 2001-454 DC du 17 janvier 2002.

108 () Décret n° 82-389 du 10 mai 1982 relatif aux pouvoirs du préfet et à l'action des services et organismes de l'État dans les départements.


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