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N° 377

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 13 novembre 2002.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN SUR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT (n° 369), relatif à l'organisation décentralisée de la République,

PAR M. Pierre MÉHAIGNERIE,

Député.

--

Voir les numéros :

Sénat : 24 rect., 27 et T.A. 26 (2002-2003).

Assemblée nationale : 376.

État.

INTRODUCTION 5

I.- UNE CLARIFICATION ESSENTIELLE À LA RÉFORME DE L'ÉTAT 11

A.- LE CONSTAT : LES BLOCAGES 11

1.- La nécessité d'une rénovation de la fiscalité locale 11

a) Une complexité incomprise par les citoyens 11

b) Un déclin dans l'ensemble des ressources des collectivités 13

2.- Le poids des dotations et des dégrèvements 14

a) L'État est le premier contribuable des collectivités locales 14

b) L'évolution des dotations de l'État aux collectivités territoriales 17

3.- La recentralisation des finances locales 18

B.- LA LIBRE ADMINISTRATION DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES : UN PRINCIPE À RÉAFFIRMER 20

1.- D'un principe constitutionnel désincarné... 20

2.- ... à des applications concrètes à travers des projets de loi spécifiques 24

C.- LA RÉFORME : DÉTERMINER LIBREMENT L'IMPÔT LOCAL POUR MAÎTRISER LA DÉPENSE PUBLIQUE 28

1.- Une compétence fiscale élargie 28

2.- Des apports potentiellement importants 31

3.- Des limites nécessaires 34

4.- Une nouvelle responsabilisation des élus 36

II.- UNE GARANTIE DE RESSOURCES, GAGE D'EFFICACITÉ 39

A.- DES RESSOURCES PROPRES DONT LA PART DOIT ÊTRE DÉTERMINANTE 39

B.- DES TRANSFERTS DE COMPÉTENCES NÉCESSAIREMENT COMPENSÉS 42

C.- UNE PÉRÉQUATION INDISPENSABLE 47

1.- Une consécration constitutionnelle... 47

2.- ...qui invite à réformer les instruments actuels de la péréquation 49

EXAMEN EN COMMISSION 53

AMENDEMENTS ADOPTÉS PAR LA COMMISSION 71

INTRODUCTION

Malgré un calendrier serré, alors que l'examen du projet de loi de finances pour 2003 n'était pas achevé et que le projet de loi de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République n'a été adopté par le Sénat que le 6 novembre 2002, votre Commission des finances a souhaité, contrairement à celle du Sénat, se saisir pour avis, en application de l'article 87 de notre Règlement, de deux articles de ce projet.

En effet, deux articles concernent les finances locales. Le projet d'article 3 prévoit un dépôt prioritaire au Sénat des projets de loi ayant pour principal objet la libre administration des collectivités territoriales, leurs compétences ou leurs « ressources ». Or, chaque année, l'Assemblée nationale, et par conséquent votre Commission des finances, sont saisies, en premier lieu, en vertu de la Constitution, d'un projet de loi comportant l'autorisation de perception de tous les impôts, y compris les impôts locaux, et, sans doute à titre non « principal », des dispositions relatives aux ressources des collectivités territoriales : le projet de loi de finances. L'examen de celui-ci est même le rendez-vous politique régulier, avec la discussion du projet de loi de finances rectificative de fin d'année, pour procéder aux modifications de fiscalité locale. Le projet d'article 6, quant à lui, est consacré à l'autonomie financière des collectivités territoriales. Avec les articles 2 et 4 reconnaissant le droit à l'expérimentation, il constitue assurément le centre de la réforme.

Mais votre Rapporteur pour avis souhaite, avant de les aborder, replacer les deux articles dont votre Commission des finances s'est saisie, dans l'ensemble de celle-ci.

Formellement, la réforme innove radicalement. Elle devrait rapprocher la France de ses voisins, les constitutions étrangères récentes accordant une place plus importante aux collectivités territoriales (1)que la constitution française et nombreux étant les pays européens s'étant engagés dans des décentralisations poussées.

En effet, la part des collectivités territoriales a toujours été restreinte dans nos constitutions : de la constitution de 1791 qui, dans un article d'une phrase, ne traite que de la « distribution » du Royaume « un et indivisible » à la constitution du 27 octobre 1946 qui, dans un titre spécifique ne comportant que cinq articles, reconnaît les communes, les départements et les territoires d'outre-mer, affirme le principe de la libre administration de ces collectivités territoriales et admet des dérogations à l'unicité de leurs règles, et à celle du 4 octobre 1958 qui prévoit que la représentation des collectivités est assurée par le Sénat, énumère les collectivités, réaffirme le principe de libre administration et admet les adaptations aux règles communes pour tenir compte des situations particulières, en quatre modestes articles (si l'on exclut l'article 75 sur la conservation des statuts personnels dérogatoires au droit commun et les articles du titre XIII consacré aux dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie). Les structures infra-étatiques y ont été souvent traitées, de surcroît, comme de simples structures administratives. Curieusement, le texte constitutionnel en vigueur est même resté, jusqu'à présent, en retrait par rapport à l'évolution législative faisant progresser la décentralisation. En Italie, c'est l'inverse qui s'est produit, la régionalisation prévue par la Constitution n'ayant été mise en place qu'avec vingt ans de retard, en 1970 (2).

Si le projet aboutit, ce serait la seizième révision constitutionnelle. Si la loi constitutionnelle devait être proche des 11 articles du projet de loi adopté par le Sénat, ce serait 9 articles de la Constitution qui seraient modifiés et 6 nouveaux articles qui y seraient insérés. Il s'agirait alors d'une des plus importantes révisions de la Constitution de la Vème République. Elle ferait passer son titre XII, consacré aux collectivités territoriales, de 4 articles à 9 articles. Les 4 articles du projet ayant pour objet les collectivités d'outre-mer feraient, quant à eux, passer le nombre d'articles traitant de ces collectivités de 3 à 6 articles.

Sur le fond, le projet innove profondément. Il permet l'expérimentation, rompant ainsi la fausse harmonie du « jardin à la française », si déconnecté des réalités et diversités locales et, en vérité, envahi par la végétation florissante des législations touffues et des enchevêtrements de compétences lesquels conduisent à des cofinancements, « justifiant » notamment les retards dans la mise en œuvre des investissements et les sous-consommations des crédits d'investissements du budget de l'État. Il consacre la région (3), facilite l'évolution des structures locales, reconnaît l'intercommunalité, élargit les possibilités d'expression démocratique locale, consolide l'autonomie financière des collectivités territoriales et rénove profondément le cadre constitutionnel des collectivités d'outre-mer.

Il appartient, en effet, aujourd'hui, au législateur constitutionnel de moderniser notre loi fondamentale en reconnaissant la réalité incontestable des collectivités territoriales. Il convient non seulement de tenir compte de celles-ci et des lois de 1982 et 1983, et de consacrer les régions, mais aussi de permettre la relance de la décentralisation, le processus engagé il y a vingt ans ayant été largement battu en brèche par des lois ultérieures, notamment par la suppression régulière d'impôts locaux (vignette automobile des particuliers, part régionale de la taxe d'habitation, part salaire de l'assiette de la taxe professionnelle, taxe additionnelle régionale aux droits de mutation à titre onéreux, part régionales et départementales de la taxe foncière sur les propriétés non bâties), remplacés, plus ou moins bien, par des dotations, l'État devenant progressivement le « premier contribuable local ».

Il ne s'agit pas de faire table rase - les bouleversements sont souvent illusoires - mais de permettre des évolutions et d'enrayer les progrès de la dépendance des collectivités territoriales vis-à-vis des dotations déresponsabilisantes.

On affirme trop fréquemment, par exemple, que la France dispose d'un nombre excessif de structures infra-étatiques. Mais dès que l'on aborde la question de la suppression brutale d'un « échelon » - le terme deviendrait constitutionnel en vertu de l'article 4 du projet - les obstacles historiques, sociologiques et politiques, parfois fondés, surgissent de toute part. En vérité, contrairement à une idée reçue, les niveaux des divisions territoriales sont aussi nombreux en Italie, en Irlande, en Allemagne, aux États-Unis, en Espagne, au Portugal, ou en Belgique (4), et les Français réclament moins la suppression d'un échelon que de la clarté et de l'administration adaptée. Le département, souvent visé, apparaît aujourd'hui comme le cadre idéal de l'action sanitaire et sociale. Mais il devra certainement évoluer, probablement dans le cadre d'une certaine spécialisation des collectivités territoriales, et ce malgré la clause générale de compétence qui s'attache traditionnellement au suffrage universel direct. D'autres échelons de proximité tels que les communautés d'agglomération et les communautés de communes devraient assurément bénéficier de cette évolution. Le projet de loi la faciliterait.

On pourrait sans doute être tenté de partager une vision quelque peu « leibnizienne » de l'empilement des structures politico-administratives. On pourrait, en effet, considérer celles-ci comme faisant partie d'emboîtements infinis, d'un système de « poupées russes », se ressemblant tout en étant d'échelles différentes, de la cellule de base - la commune - à l'ensemble européen. Chaque boîte serait alors un détail d'un ensemble, résumant cet ensemble. Il appartiendrait au législateur de veiller à l'harmonie des « mondes » que constituent ces emboîtements et qui s'influencent inévitablement au travers de « micro-perceptions », qui donnent le sentiment d'une gouvernance multi-niveaux.

Chaque collectivité territoriale-monde dispose effectivement de sa logique interne, de sa propre nécessité. Leur diversité est une richesse. Le législateur doit en être effectivement le garant et régler leurs correspondances car il n'y a d'État vivant qu'au travers du tissu local. Opposer les collectivités territoriales à l'État n'a sans doute pas de sens et les collectivités territoriales constituent comme les « plis » (5) du même tissu étatique, l'État étant, à certains égards, une sorte de collectivité territoriale.

Mais la clarification est aujourd'hui indispensable : chaque collectivité ne peut tout faire et être un monde, un État en réduction. Est-il, par exemple, normal que l'éducation soit traitée à tous les niveaux, ceux de la commune (pour l'école primaire), du département (pour les collèges), de la région (pour les lycées) et de l'État (pour les universités), certains départements finançant des pôles universitaires ?

La réforme de l'État passe donc à l'évidence par celle des collectivités territoriales. Celle qui nous est proposée est dès lors stratégique. Visant à garantir l'autonomie des collectivités, elle doit leur permettre de trouver en elles-mêmes le principe de leurs changements dans un cadre constitutionnel plus souple qu'aujourd'hui, l'État se concentrant sur ses missions essentielles (affaires étrangères, sécurité, justice, défense, santé). La sclérose et l'asphyxie seraient, en effet, le fruit, à l'inverse, des inter-dépendances.

Il n'y a là aucune menace pour l'unité de la République.

L'opposition entre l'État unitaire et l'État fédéral est d'ailleurs de moins en moins pertinente. Les situations italienne, britannique (après la « devolution » en faveur de l'Écosse, du Pays-de-Galles et de l'Irlande du Nord entamée en 1999) et espagnole suffisent, on le sait, à la démonstration. L'essentiel est aujourd'hui que chaque question soit traitée, comme le prévoit avec pertinence l'article 4 du projet, à l'échelon qui convient. Yves Mény et Yves Surel (6) constatent justement que l'Allemagne, en dépit des Länder, ressemble d'une certaine manière à un pays centralisé, et que la France, malgré des efforts incessants, n'a jamais réussi à réformer en profondeur son système communal, alors que le Royaume-Uni, pays du « local government » a divisé par trois, en 1974, le nombre de ses autorités locales.

Si la réforme de l'État passe par celle des collectivités territoriales, l'inverse est aussi exact.

Dans l'esprit de votre Rapporteur, la réforme échouerait, et d'ailleurs ne serait pas acceptée par nos concitoyens, si elle devait être isolée et conduire à une hausse des prélèvements obligatoires. Si les lois « Defferre » se sont traduites par une augmentation, de près de trois points de produit intérieur brut, des prélèvements obligatoires effectués par les collectivités territoriales (5,7 % en 1998, contre 3,1 % en 1978) (7), il est hors de question qu'il en soit de même avec la réforme à venir. L'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, et le Royaume-Uni, pays fortement décentralisés, ont des taux de prélèvements obligatoires inférieurs au nôtre. La décentralisation n'est donc pas incompatible avec la maîtrise des prélèvements obligatoires. La consolidation, voire l'accroissement des marges de manœuvre fiscale locale, que votre Rapporteur pour avis ne confond pas avec pouvoir local (8), doit même, grâce au texte qui nous est proposé, contribuer à la responsabilisation des élus et, partant, à la maîtrise de la dépense publique.

L'État, englué dans le quotidien, devra parallèlement et impérativement transférer des compétences, des tâches qu'il a parfois du mal à assumer. Des transferts relatifs à la formation professionnelle, l'éducation, le sport (l'État conservant la politique de lutte contre le dopage et le soutien aux grandes manifestations sportives) viennent immédiatement à l'esprit. L'État devra transférer alors non seulement des moyens financiers, mais aussi des personnels car si l'État compte probablement trop d'agents, au poids budgétaire croissant (9), la fonction publique territoriale dont la hausse des coûts est largement imputable à l'État, n'en compte pas assez. Il conviendra de profiter du fait que, d'ici 2009, près de 30 % des fonctionnaires civils de l'État aujourd'hui en activité prendront leur retraite. Dans cette perspective, il faudra aussi permettre, comme cela a été judicieusement dit par votre Rapporteur général, Gilles Carrez, lors du débat sur l'avenir de l'école nationale d'administration, le 7 novembre dernier (10) aux futurs cadres administratifs des collectivités territoriales d'être formés à l'excellence.

C'est dire l'importance du chantier qui s'ouvre. L'amélioration de la performance de l'État dont la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances a fourni un cadre de mesure, devra pourtant passer par cette nouvelle et audacieuse étape de la décentralisation que le Gouvernement nous invite à mener, avec les 500.000 élus locaux de France.

I.- UNE CLARIFICATION ESSENTIELLE À LA RÉFORME DE L'ÉTAT

A.- LE CONSTAT : LES BLOCAGES

La conception française de la libre administration des collectivités locales implique leur autonomie financière. Celle-ci repose fondamentalement sur quatre principes : l'existence d'une fiscalité locale propre, et non d'une fiscalité nationale partagée, le vote des taux des impôts locaux par les collectivités territoriales, le caractère prépondérant des recettes fiscales dans leurs ressources et la compensation financière des transferts de compétences.

Aussi, la décentralisation a-t-elle consacré un véritable pouvoir fiscal des collectivités territoriales. La loi n° 80-10 du 10 janvier 1980 portant aménagement de la fiscalité directe locale a, en effet, permis aux collectivités territoriales de voter le taux d'imposition propre à chacune des taxes locales. À partir de 1982, les lois relatives à la décentralisation (11) ont accru l'autonomie financière des collectivités territoriales : elles ont rendu exécutoires de plein droit les actes budgétaires, prévu la globalisation des subventions d'équipement grâce à la dotation globale d'équipement, et étendu le principe du vote des taux aux impôts transférés aux collectivités territoriales en contrepartie des transferts de compétences.

Or, l'autonomie financière des collectivités territoriales est aujourd'hui remise en cause tant par le déclin de leurs ressources fiscales que par l'évolution des dotations de l'État. Cette fragilisation met en évidence les atteintes susceptibles d'être portées au principe de libre administration des collectivités territoriales.

1.- La nécessité d'une rénovation de la fiscalité locale

La remise en cause de l'autonomie financière des collectivités territoriales est intrinsèquement liée aux lacunes d'une fiscalité locale qui apparaît aujourd'hui « à bout de souffle ».

a) Une complexité incomprise par les citoyens

Le système fiscal local est devenu, au fil des ans, complexe et difficilement compréhensible par le citoyen. En effet, la superposition des impôts locaux conduit à une certaine opacité des décisions fiscales aux yeux des contribuables, malgré une tentative de clarification dans les avis d'imposition qui font dorénavant apparaître distinctement les contributions perçues par les régions, les départements, la commune et les établissements publics de coopération intercommunale.

De plus, l'obsolescence des valeurs locatives, qui constituent l'assiette des taxes foncières, de la taxe d'habitation, ainsi que d'une fraction de la taxe professionnelle, est aussi souvent mise en cause. Celles-ci ont fait l'objet d'une révision prévue par la loi n°90-669 du 30 juillet 1990 relative à la révision générale des immeubles retenus pour la détermination des bases des impôts directs locaux. Cependant, le vote de la loi précisant l'incorporation des nouvelles bases dans les rôles a été sans cesse repoussé, en raison des transferts de charges entre collectivités que cela aurait impliqué.

Ainsi, l'article 68 de la loi n°95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire a prévu que « les résultats de la révision générale des évaluations cadastrales seront incorporées dans les rôles d'imposition au plus tard le 1er janvier 1997 ». Cependant, le rapport sur la taxe d'habitation, remis au Parlement en application de l'article 28 de la loi de finances pour 2000 a mis en évidence que cette réforme aboutirait à des transferts entre contribuables qui seraient insatisfaisants, tant sur le plan de l'efficacité économique que sur le plan de la justice sociale. Par conséquent, la réforme n'a pas été menée à son terme. Cependant, pour atténuer les effets d'une telle situation, il est procédé à des actualisations annuelles par application d'un coefficient national.

Par ailleurs, la fiscalité locale apparaît aujourd'hui inéquitable. Certes, la variation des taux des impôts locaux est inévitable : elle est le reflet de la diversité des territoires et la contrepartie du principe d'autonomie fiscale des collectivités. Cependant, certaines inégalités entre contribuables devant l'impôt apparaissent aujourd'hui injustifiables. Elles tiennent à un ensemble de facteurs : la révision trop ancienne des bases, des évaluations des valeurs locatives effectuées selon des méthodes différentes, la multiplication des exonérations qui conduit à faire peser le poids de l'impôt sur une minorité de contribuables, la disparité des taux d'imposition à l'échelle nationale, ou encore des distorsions d'imposition au sein de chaque catégorie de contribuables.

La charge fiscale pèse donc davantage sur certaines catégories de contribuables. À titre d'exemple, 10 % des entreprises acquittent 80 % du produit de la taxe professionnelle. De même, le mode de calcul de l'assiette et les différents mécanismes de dégrèvement et d'exonération conduisent à dispenser de contribution au titre de cette taxe 1,5 million d'entreprises. Enfin la charge est très inégalement répartie selon les secteurs d'activité. Par conséquent, depuis la loi n°75-678 du 29 juillet 1975 supprimant la patente et instituant la taxe professionnelle, le régime de cette dernière a été régulièrement modifié, soit pour garantir des ressources aux collectivités locales, soit pour alléger la charge imposée aux contribuables.

« Si la nature d'un bon impôt est d'être large dans son assiette, modéré dans son taux, proportionné aux capacités contributives des contribuables, compréhensible par ces derniers et aisément recouvrable par l'administration, force est de reconnaître que la taxe professionnelle ne répond aujourd'hui à aucune de ces conditions ». Ce constat du Conseil des impôts (12) pourrait en réalité être appliqué à l'ensemble de la fiscalité locale qui cumule aujourd'hui les défauts : archaïsme, complexité, source d'inégalités.

Or, les gouvernements successifs ont préféré financer par le budget de l'État des allègement d'impôts plutôt que de mettre en œuvre des réformes plus globales. Cela a conduit à une prise en charge par l'État d'une part croissante de la fiscalité locale et à un déclin des recettes fiscales dans les ressources des collectivités territoriales.

En conséquence, l'absence de réforme de la fiscalité locale ne pose plus aujourd'hui simplement le problème technique de l'efficacité et du rendement des impôts locaux, mais bien, plus fondamentalement, celui des limites de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales.

b) Un déclin dans l'ensemble des ressources des collectivités

La part des recettes fiscales correspondant à des impôts dont les collectivités territoriales votent les taux dans leurs recettes totales hors emprunt s'élevait à 54 % en 1995. Cette proportion se réduit peu à peu sous l'effet de différentes mesures adoptées dans la période récente. Ces réformes conduisent aussi à limiter la possibilité pour les collectivités territoriales de voter les taux, et donc à restreindre leur pouvoir fiscal.

· La suppression de certains impôts

Les parts régionales et départementales de la taxe foncière sur les propriétés non bâties ont été supprimées par l'article 53 de la loi de finances pour 1993. De même, l'article 29 de la loi de finances pour 1999 a supprimé la taxe régionale additionnelle aux droits de mutations à titre onéreux, soit plus de 10 % des recettes fiscales des régions. La loi de finances rectificative pour 2000 a supprimé la part régionale de la taxe d'habitation, soit près de 15 % des recettes fiscales des régions. Enfin, la loi de finances pour 2001 a supprimé, pour les particuliers, la taxe différentielle sur les véhicules à moteur, soit 10 % des recettes fiscales des départements.

· La suppression de la possibilité de voter les taux

L'article 39 de la loi de finances pour 1999 a réduit le taux des droits de mutation à titre onéreux des départements sur les locaux à usage professionnels et, de fait, a réduit leur capacité à voter les taux de cet impôt. L'article 9 de la loi de finances pour 2000 a poursuivi la réforme de 1999 en unifiant les taux départementaux des droits de mutation à titre onéreux sur ceux applicables aux locaux d'habitation.

· La réduction des bases auxquelles s'appliquent les taux

L'article 44 de la loi de finances pour 1999 a supprimé la fraction de l'assiette de la taxe professionnelle assise sur les salaires, soit environ un tiers de l'assiette de cet impôt, dont le produit représente environ la moitié du produit des quatre taxes directes locales.

À la suite de ces différentes réformes, la part de la fiscalité locale dans les ressources globales (hors emprunt) aura été réduite à 36 % pour les régions, à 43 % pour les départements et à 48 % pour les communes.

La montée en puissance des compensations a alors abouti à déconnecter l'évolution des ressources liées à la fiscalité locale de l'évolution du produit fiscal proprement dit. L'évolution des taux et des bases détermine de moins en moins l'évolution du produit. En 1999, le produit fiscal des quatre taxes a augmenté de 0,7 % alors que les ressources provenant des recettes fiscales et des compensations a progressé de 4,2 %.

Cette accumulation d'allègements et de suppressions d'impôts locaux depuis plus d'une décennie est devenue une préoccupation majeure depuis le débat sur l'exonération de la part salariale de la taxe professionnelle. On n'assiste donc plus simplement à des ajustements à la marge visant à remédier aux défauts les plus visibles des impôts locaux, mais bien à une limitation progressive de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales.

Cependant, cette évolution résulte davantage de la difficulté à réformer les impôts locaux que d'une volonté « jacobine » de l'État de procéder à une recentralisation des ressources des collectivités locales. Plutôt que d'affronter les risques politiques inhérents à une refonte de la fiscalité locale, les pouvoirs publics ont préféré en supprimer une partie et la faire prendre en charge par le budget de l'État.

2.- Le poids des dotations et des dégrèvements

La jurisprudence du Conseil constitutionnel -votre Rapporteur pour avis y reviendra- n'a pu empêcher le développement, apparemment inexorable, des dotations et des dégrèvements. Le Conseil a simplement rappelé que les règles posées par le législateur ne sauraient avoir pour effet de réduire la part des recettes fiscales des collectivités locales « au point d'entraver leur libre administration », sans définir pour autant le seuil en deçà duquel toute nouvelle suppression de recette fiscale devait être considérée comme une entrave à la libre administration.

a) L'État est le premier contribuable des collectivités locales

Sous l'effet des différentes réformes, et en particulier celle de la taxe professionnelle, le poids des compensations versées aux collectivités par l'État s'est accentué. Leur montant a été multiplié par 13 entre 1983 et 2000.

Les compensations d'exonérations et les dégrèvements législatifs ont atteint 17,85 milliards d'euros en 2001, soit une progression de 103,5 % par rapport à 1993. Leur montant dépasse celui de la dotation globale de fonctionnement qui s'élevait à 17,37 milliards d'euros en 2001.

Le tableau ci-après met en évidence l'augmentation considérable des contributions versées par l'État au titre des quatre taxes directes locales :

CONTRIBUTIONS VERSÉES PAR L'ÉTAT AU TITRE DES QUATRE TAXES DIRECTES LOCALES JUSQU'EN 2001

(hors admissions en non-valeur en dégrèvements accordés par l'administration fiscale à titre gracieux ou contentieux)

(en millions d'euros)

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

Compensations (A)

Taxe d'habitation

889

938

1.006

1.052

1.083

1.086

1.113

1.143

2.044

Foncier bâti

367

330

298

275

266

250

213

244

334

Foncier non bâti

190

194

273

342

340

335

335

335

332

Taxe professionnelle

3.472

2.783

2.830

2.711

2.905

2.785

4.238

5.473

7.133

Total

4.918

4.245

4.406

4.380

4.595

4.464

5.915

7.196

9.843

Évolution (en %)

+ 3,7

- 13,7

+ 3,8

- 0,6

+ 4,9

- 2,8

+ 32,5

+ 21,6

+ 36,8

Dégrèvements législatifs (B)

Taxe d'habitation

854

954

1.016

1.067

1.105

1.300

1.323

3.212

2.247

Taxes foncières

130

88

59

53

67

45

30

29

75

Taxe professionnelle

2.865

4.141

4.769

5.096

5.643

5.872

5.920

5.923

5.681

Total

3.850

5.184

5.844

6.215

6.815

7.218

7.272

9.164

8.003

Évolution (en %)

+ 13,8

+ 34,6

+ 12,7

+ 6,4

+ 9,6

+ 5,9

+ 0,7

+ 26,0

- 12,7

Contributions de l'État aux quatre taxes (A + B)

Taxe d'habitation

1.743

1.892

2.022

2.118

2.187

2.386

2.436

4.355

4.290

Taxes foncières

688

612

629

670

674

631

244

608

741

Taxe professionnelle

6.337

6.924

7.599

7.808

8.549

8.657

10.158

11.396

12.814

Total

8.768

9.429

10.250

10.595

11.410

11.681

13.187

16.359

17.846

Évolution (en %)

+ 7,9

+ 7,5

+ 8,7

+ 3,4

+ 7,7

+ 2,4

+ 12,9

+ 24,1

+ 9,1

Part (1) des recettes prise en charge par l'État au titre des quatre taxes (en %)

Taxe d'habitation

19,3

19,6

19,8

19,5

19,3

20,4

20,3

35,3

33,7

Taxes foncières

6,4

5,3

5,1

5,1

4,9

4,4

1,7

4,0

4,7

Taxe professionnelle

29,6

31,0

32,5

31,7

33,1

32,3

36,7

39,4

42,5

Total

21,2

21,6

22,4

21,8

22,4

22,1

24,2

29,0

30,5

Frais de dégrèvement et admission en non-valeur perçus par l'État

1,17

1,28

1,37

1,48

1,55

1,59

1,60

1,62

1,57

(1) Une partie de la charge est financée par les contribuables redevables des quatre taxes au titre des frais de dégrèvements et d admissions en non-valeur (1,57 milliard d'euros en 2001).

Source : Direction générale des Impôts

Par conséquent, en 2001, le taux de prise en charge par le budget national de la taxe professionnelle s'élève à 42,5 % (contre 21,2 % en 1993), celui de la taxe d'habitation à 33,7 % (contre 19,3 % en 1993) et celui des taxes foncières à 4,7 % (contre 6,4 % en 1993). On a donc assisté à une augmentation considérable du taux de prise en charge de la fiscalité directe locale par l'État depuis 1993 comme l'illustre le schéma suivant :

graphique
* Estimation pour 2002 avec l'hypothèse d'une augmentation des taux des communes et EPCI en 2002 identique à celle de l'exercice précédent.

Sources : Direction générale des collectivités locales et direction générale des impôts.

Avec un taux de prise en charge des quatre taxes directes locales de 33,7 % en 2002, l'État est désormais le premier contribuable des collectivités territoriales.

Or, le caractère massif du remplacement de recettes fiscales par des compensations se traduit par un brouillage de la ligne de partage entre fiscalité et compensations. Par exemple, en 1999, les régions ont comptabilisé dans leur budget la compensation de la suppression de la taxe additionnelle régionale aux droits de mutations à titre onéreux comme des recettes fiscales dès lors que l'analyse de leurs comptes administratifs ne permet pas de faire apparaître une diminution de la part de leurs recettes fiscales dans leurs recettes totales.

En tout état de cause, peu à peu, l'expression « fiscalité locale » tend à devenir une expression générique qui englobe non seulement le produit des impôts locaux mais également les compensations, qui ne sont pourtant plus des recettes fiscales puisque leur montant n'évolue ni en fonction des taux, ni des bases des impôts locaux.

Cependant, l'augmentation des dotations de l'État n'implique pas forcément une diminution de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales. Le résultat dépend du mode d'allègement des cotisations fiscales. Ainsi, les dégrèvements législatifs, accordés postérieurement au vote des taux d'imposition n'amputent ni l'autonomie fiscale des collectivités locales, ni leurs ressources fiscales. En revanche, les exonérations placent une ou plusieurs catégories de contribuables hors du champ d'application de la loi fiscale et réduisent donc le champ d'exercice du pouvoir fiscal des collectivités territoriales.

Or, compte tenu du dynamisme des impôts locaux, l'État a cherché à transformer en compensation ce qui relevait du dégrèvement ; il en a été ainsi du plafonnement de la taxe professionnelle par rapport à la valeur ajoutée, des dégrèvements totaux de taxe d'habitation, de la dotation de compensation de la taxe professionnelle (hors sa partie relative à la réduction pour embauche et investissement) ainsi que de la compensation pour suppression de la part « salaire » des bases de taxe professionnelle.

De plus, l'érosion du pouvoir fiscal des collectivités territoriales ne résulte pas seulement des exonérations et dégrèvements des impôts locaux, mais aussi du fait que les transferts de compétences à l'échelon local se sont accompagnés plus de transferts budgétaires que de ressources fiscales nouvelles. Or, le financement budgétaire des transferts, conçu au départ comme une exception est progressivement devenu la norme. À titre d'exemple, la régionalisation de la compétence de l'organisation du transport ferroviaire s'est traduite par des majorations de dotation générale de décentralisation.

b) L'évolution des dotations de l'État aux collectivités territoriales

L'article 32 de la loi de finances pour 1996 a regroupé dans un même ensemble, appelé « enveloppe normée des concours de l'État aux collectivités locales », toutes les dotations de fonctionnement et d'investissement de l'État (à l'exception du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée et des amendes de police), ainsi qu'une compensation d'exonérations fiscales et la dotation de compensation de la taxe professionnelle. L'enveloppe normée évolue en fonction d'un taux d'indexation indépendant du taux d'évolution de chacune de ses composantes. Entre 1996 et 1998, les modalités d'indexation de l'enveloppe normée ont pris le nom de « pacte de stabilité ». De 1999 à 2001, le pacte a été remplacé par le « contrat de croissance et de solidarité ».

La mise en place de cette enveloppe avait pour objectif de concilier la maîtrise des finances publiques et la stabilité des concours financiers octroyés aux collectivités territoriales. En réalité, celle-ci a essentiellement été utilisée à des fins de régulation budgétaire.

En effet, malgré son caractère pluriannuel, elle n'a pas permis de remédier à l'imprévisibilité de l'évolution des concours de l'État aux collectivités territoriales. Ainsi, les dotations sont indexées sur le taux d'évolution de la dotation globale de fonctionnement et restent soumises aux conséquences sur ce taux des mécanismes de recalage et de régularisation : leur évolution est donc imprévisible. De même, cette enveloppe remet en cause le principe de la compensation intégrale des exonérations d'impôts locaux en transformant la dotation de compensation de la taxe professionnelle en variable d'ajustement. De plus, elle repose sur une logique purement budgétaire d'encadrement des dotations d'État et n'a pas de lien avec l'évolution des charges des collectivités territoriales.

La mise en place de cette enveloppe normée a conduit en réalité à une perte de recettes pour les collectivités territoriales. En effet, tant que l'augmentation du montant total de l'enveloppe normée reste inférieure à celle de l'ensemble des dotations qui composent l'enveloppe, l'État réalise des économies puisque l'écart entre les deux progressions se traduit par une baisse de la dotation de compensation de la taxe professionnelle. Le montant de cette dernière est passé de 2,9 milliards d'euros en 1995 à 1,46 milliards d'euros en 2002.

ÉVOLUTION DE LA DOTATION DE COMPENSATION DE LA TAXE PROFESSIONNELLE
(HORS RÉDUCTION POUR EMBAUCHE ET INVESTISSEMENT)

(en milliards d'euros)

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

Montant de la dotation

2,91

2,20

2,24

2,13

1,87

1,73

1,54

1,46

Source : Direction générale des collectivités locales

Par conséquent, l'institution de l'enveloppe normée n'a pas permis un renouvellement des relations financières entre les collectivités territoriales et l'État.

3.- La recentralisation des finances locales

· Une recentralisation insidieuse des finances locales

L'augmentation de la part de la fiscalité locale prise en charge par l'État a conduit à une recentralisation des finances locales. Ainsi, les collectivités dépendant chaque année des choix faits par l'État en matière de compensation. De même, le déclin de la fiscalité locale a affaibli le lien établi entre le citoyen contribuable et la collectivité territoriale, alors qu'il constitue pourtant un des fondements de la décentralisation.

Cependant, cette recentralisation est également lourde de conséquences pour l'État qui prend en charge une part croissante du produit fiscal local. La montée en puissance des dispositifs de compensation a induit une plus grande rigidité dans la gestion des concours de l'État. Ceux-ci ont davantage servi à compenser le déclin de fiscalité locale qu'à permettre la mise en œuvre d'une véritable péréquation permettant de compenser les inégalités entre les collectivités territoriales.

Ainsi, comme le montre la Cour des comptes dans son rapport sur l'exécution des lois de finances pour l'année 2000 : « le caractère automatique des compensations, sans recherche d'une réelle contractualisation entre l'État et les collectivités locales pose pour ces dernières, le problème d'une substitution croissante du contribuable national au contribuable local avec un risque de déresponsabilisation des acteurs locaux, et, pour l'État, la question d'un engagement financier pluriannuel lourd et d'une maîtrise délicate ».

· La complexité des concours financiers

Les concours financiers de l'État ont connu une hausse continue ces dernières années. Cette progression s'est accompagnée d'une complexification qui brouille la lisibilité des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales

La Cour des comptes, dans son rapport sur l'exécution de la loi de finances pour 2000, souligne le manque de clarté des objectifs des dotations : « Se mêlent ainsi des objectifs de stabilisation des budgets des collectivités locales, de péréquation entre celles-ci, de compensation de moindres recettes fiscales, ou encore d'encouragement à l'investissement qui rendent délicates la mise en place d'indicateurs de résultats et l'appréciation de l'efficacité de tels concours ».

· L'accroissement des charges des collectivités locales

Comme l'indique la Commission consultative sur l'évaluation des charges dans son rapport au Parlement de 1997 : « la question des charges nouvelles supportées par les collectivités locales indépendamment des transferts de compétences constitue désormais le centre des préoccupations financières des élus locaux. La stabilisation des budgets locaux et de la fiscalité locale ne peut aller sans une stabilisation des charges. Or, les collectivités locales enregistrent des charges nouvelles sur lesquelles elles n'ont parfois aucune prise ».

En effet, les collectivités territoriales doivent faire face à des charges nouvelles imposées par l'État, non pas du fait de nouveaux transferts, mais induite par des réglementations toujours plus contraignantes.

A titre d'exemple, des frais importants sont assumés par l'échelon local dans le cadre du traitement des déchets. La loi n° 92-646 du 12 juillet 1992 a prévu l'interdiction à compter du 1er juillet 2002 de la mise en décharge brute de déchets et la valorisation de 75 % des emballages ménagers à cette même date. Sa mise en oeuvre représente un coût financier estimé à 9 milliards d'euros en investissements, sans compter les coûts d'élimination des déchets, c'est à dire leur collecte et leur traitement, qui passeraient de 15 euros la tonne à un montant compris entre 45 euros et 90 euros la tonne.

Force est de constater que l'évolution des ressources et des charges des collectivités territoriales remet en cause leur autonomie financière, et menace la mise en œuvre du principe de leur libre administration.

B.- LA LIBRE ADMINISTRATION DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES : UN PRINCIPE À RÉAFFIRMER

« Les raisons ... de la décentralisation ne sont point d'ordre administratif mais bien d'ordre constitutionnel » a pu justement écrire Maurice Hauriou (13). « S'il ne s'agissait que du point de vue administratif, la centralisation assurerait au pays une administration plus habile, plus impartiale, plus intègre et plus économe que la décentralisation. Mais les pays modernes n'ont pas besoin seulement d'une bonne administration, ils ont besoin aussi de liberté politique ».

Il est évident que le jugement ainsi porté, sous la IIIème République, sur la décentralisation est toujours largement partagé par nos concitoyens : si l'administration centrale est caricaturée, dans ses défauts comme dans ses qualités, cette caricature lui prête, en positif, une certaine impartialité, alors qu'une gestion locale fait souvent craindre, de manière d'ailleurs infondée, l'inverse. De même, on pense souvent que la décentralisation engendre des coûts supplémentaires, ce qui est faux : ce sont les empilements de structures, les partages fluctuants de compétences, les circuits décisionnels complexes qui sont facteurs de dépenses publiques supplémentaires.

Si la caricature demeure vive, le fondement de la libre administration des collectivités locales « d'ordre constitutionnel » demeure, lui aussi vrai : la décentralisation a pour but, au-delà d'une meilleure administration, la liberté politique, et, aujourd'hui, elle doit rechercher la meilleure compréhension, par les citoyens, des décisions auxquelles ils doivent être associés. L'enjeu de la décentralisation est posé aujourd'hui, certes en terme de fiscalité ou de compétences, mais aussi de citoyenneté.

On comprend donc toute l'importance que revêt l'affirmation, au niveau constitutionnel, du principe de libre administration, qui doit à la fois mieux préserver le citoyen contre les risques d'une décision trop abstraite parce que trop lointaine, trop arbitraire parce qu'insuffisamment pensée à partir des réalités concrètes, trop rigide parce que mal adaptée, et garantir la citoyenneté, c'est-à-dire assurer la meilleure participation des habitants à la gestion locale.

1.- D'un principe constitutionnel désincarné...

Le principe de libre administration des collectivités locales, pourtant inscrit dans l'article 72 de la Constitution, n'a longtemps fait l'objet que d'une reconnaissance constitutionnelle très limitée, presque par effraction. Cette faible concrétisation traduit une tendance jacobine, fortement ancrée dans la conception française de l'organisation administrative. Même si, juridiquement, elle ne se présumait pas (Conseil d'État, 17 mars 1972, Dame Figaroli) la tutelle de l'État sur les décisions des « collectivités locales » est restée, jusqu'aux lois de décentralisation de 1982 et 1983, le droit commun. Le domaine des affaires locales, étant, en outre, déterminé par la loi, l'autonomie restait un objet d'études universitaires plus qu'une réalité, un objectif plus qu'un dispositif. À partir des « lois Defferre », le processus enclenché a été irréversible, même si par bien des aspects il demeure hétéroclite, fragmentaire ou partiel, notamment en ce qui concerne le volet financier de l'autonomie.

Toutefois, même en tenant compte de ces lois, la libre administration demeure, par bien des aspects, un principe constitutionnel plus affirmé que réalisé. En effet, concrètement, ce principe recouvre quatre données qui ne se recoupent pas nécessairement :

- le principe de l'élection, affirmé par l'article 72 ;

- le principe de spécialité, qui postule l'existence de compétences propres ;

- le principe de liberté de gestion ;

- le principe d'autonomie des moyens.

Votre Rapporteur pour avis consacrera naturellement l'essentiel des développements qui suivent à ce dernier point. Pour autant, il n'est pas inutile de rappeler que le principe de spécialité des affaires locales, objets de la libre administration est, par essence, évolutif. Rien, en la matière, n'était jusqu'ici irréversible. La règle générale sur laquelle il repose est la notion de « clause générale de compétence », selon laquelle il existerait des « affaires locales », par exemple visées, s'agissant des communes, à l'article L. 2121-29 : « le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune ». Mais, en elle-même, cette affirmation n'a pas une grande portée : il faut que la loi donne une consistance concrète à la notion d'affaires locales en transférant des compétences.

À cet égard, votre Rapporteur pour avis rappelle que la loi n° 83-3 du 7 janvier 1983, complétée par la loi n° 83-623 du 22 juillet 1983 ont prévu :

- que les transferts de compétences se feraient « par bloc » c'est-à-dire que l'attribution d'une compétence irait à un seul niveau de collectivités territoriales ;

- que les transferts de compétences sont accompagnés des transferts concomitants de ressources nécessaires à l'exercice normal de ces compétences ;

- que seraient exclues les tutelles d'une collectivité sur une autre.

Ici encore, ces principes qui régissent depuis lors l'autonomie locale nécessitent d'être précisés, ce qui a été l'objet de très nombreuses lois postérieures. Pourtant, la simplification à laquelle ces règles auraient dû aboutir est loin d'être réalisée, à tel point que l'article 65 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour le développement et l'aménagement du territoire, prévoit une clarification de la répartition des compétences dans la durée d'un an suivant la publication de cette loi.

La complexité de cette répartition n'est évidemment pas un gage du bon fonctionnement de la libre administration, et la clarification prévue n'est pas intervenue. Rien n'est, juridiquement, intangible en matière de spécialité des affaires locales.

Mais c'est essentiellement au niveau du transfert des ressources que la libre administration reste difficile à mettre en œuvre. En effet, l'autonomie locale postule l'existence de ressources propres : produits des impôts locaux, des services publics locaux ou encore produits domaniaux. Il est évident que la part de ces ressources par rapport aux ressources de transfert détermine fortement la latitude d'action des collectivités locales, donc qu'elle a un impact concret sur leur autonomie.

Nombre de décisions du Conseil constitutionnel ont donc eu à juger du niveau et de la structure des recettes au regard de ce principe, par exemple à l'occasion de la disparition de telle ou telle recette fiscale. Comme l'écrit un commentateur de la jurisprudence du Conseil constitutionnel : « Il n'y aurait pas, en effet, de libre administration si, faute de pouvoir déterminer le taux de l'impôt, une collectivité territoriale ne pouvait arbitrer entre une charge nouvelle entraînant un surcroît d'imposition et le statu quo. De plus, si les recettes fiscales propres disparaissaient ou devenaient insuffisantes, elle pourrait compromettre la continuité des services publics ... » (14). La liberté, c'est avant tout la liberté des moyens dont disposent les collectivités.

À propos de la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation opérée par le I de l'article 11 de la loi de finances rectificative pour 2000, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2000-432 DC du 12 juillet 2000, a ainsi jugé que : « Les dispositions critiquées, si elles réduisent de nouveau de la part des recettes fiscales des régions dans l'ensemble de leurs ressources, n'ont pour effet, ni de restreindre la part de ces recettes ni de diminuer les ressources globales des régions au point d'entraver leur libre administration ; ». Une formule identique figure, par exemple, dans la décision n° 2000-442 DC du 28 décembre 2000, à propos de la suppression de la vignette pour les véhicules individuels réalisée par l'article 6 de la loi de finances initiale pour 2001.

Votre Rapporteur s'interroge cependant sur la portée de ce considérant de principe.

Il résulte de ces décisions que la libre administration des collectivités territoriales, au regard du niveau des recettes fiscales, ou du montant global des recettes des collectivités territoriales, correspond à une sorte de « non-dit » : chacun voit bien que le principe en cause fait obstacle à ce que des ressources propres - en particulier fiscales - soient inférieures à un certain seuil global de recettes et que ce niveau global ne se réduise pas en deçà d'un certain niveau. Mais dans le même temps, nul ne peut tirer de la jurisprudence une indication précise permettant de déterminer l'un ou l'autre de ces seuils. On peut, naturellement, caricaturer : la suppression des impôts locaux serait inconstitutionnelle si elle n'était remplacée par d'autres recettes fiscales. Mais cette hypothèse ne risque pas de se produire dans les faits.

La seule certitude à l'égard des seuils réside dans les dispositifs que le Conseil constitutionnel a jusqu'ici validés. S'agissant, par exemple, de la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, il a admis que les limites en cause n'étaient pas franchies, alors que la suppression de la part régionale de la taxe diminuait de 22,5 % les recettes de fiscalité directe perçues par les régions et de 7,2 % de leurs recettes totales, hors emprunt. Mais où sont les limites ? Nul ne peut l'indiquer.

Sur d'autres points, des atteintes à la libre administration des collectivités territoriales ont déjà fait l'objet de sanctions, par exemple en ce qui concerne l'exécution des actes des collectivités locales, avec la décision du Conseil constitutionnel n° 92-31 DC du 20 janvier 1993, par laquelle a été jugé contraire à l'article 72 de la Constitution un dispositif qui prévoyait la suspension automatique de l'exécution des actes des collectivités territoriales, dès lors que le préfet introduisait un recours en annulation contre ces actes « dans des domaines importants relevant de leurs compétences en interrompant, le cas échéant, leur mise en œuvre » (c'est-à-dire en matière d'urbanisme, de marchés et de conventions de délégation de services publics). On ne trouve, en revanche, pas trace d'atteintes à la libre administration en matière financière ou fiscale.

La jurisprudence relative à la libre administration aboutit à charger le législateur de mettre en place des règles suffisantes quant à la garantie de son exercice. Il s'agit d'une obligation de résultat et non de moyens. Si en matière de décision exécutoire des exécutifs locaux, ce principe a donc été appliqué, en matière de ressources propres son application n'est encore que virtuelle, et, partant, hypothétique : quels sont les niveaux, les seuils ou les proportions de recettes globales et de recettes fiscales dont le franchissement priverait de garanties légales le principe de libre administration ?

La frontière reste indéfinissable. Cette incertitude de la jurisprudence n'est pas étrangère à l'ambiguïté de la notion de « part déterminante » que doit, aux termes du quatrième alinéa de l'article 6 du présent projet, représenter la part des ressources propres dans le total de leurs recettes, ni à la manière dont ce mot a été réintroduit, par un amendement du Gouvernement au Sénat, alors que la commission des lois avait préféré les mots de « part prépondérante ». Faut-il voir, dans la notion de « part déterminante » la simple consolidation des décisions que l'on vient de citer, et la volonté d'ériger cette fragile jurisprudence au rang d'une norme constitutionnelle pour la conforter, ou faut-il y voir une exigence supplémentaire par rapport à cette jurisprudence ?

Tout en jugeant utile la réaffirmation de cette règle par son insertion dans la Constitution, votre Rapporteur pour avis ne peut que reconnaître que toute ambiguïté n'est pas levée et que si l' « effet cliquet » existe désormais en matière de niveau global des ressources et de niveau des ressources fiscales en leur sein, on ne connaît pas davantage leurs seuils de déclenchement. Le soin de fixer la « mise en œuvre » de la notion de « part déterminante » est remis, par cet article, à une future loi organique et, in fine, à l'appréciation du Conseil constitutionnel. Pourtant, chacun mesure bien à la fois ce que la constitutionnalisation d'un certain nombre de règles, composantes de la libre administration, apporte, mais aussi les limites de ce mouvement. Ces limites sont inhérentes au fait que la Constitution ne peut, par elle-même, tout définir. Pour autant, l'apport que représente le projet est loin d'être négligeable : il concrétise la libre administration.

2.- ... à des applications concrètes à travers des projets de loi spécifiques

L'article 34 de la Constitution fait entrer, à un triple titre, la libre administration dans le domaine de la loi.

Celle-ci doit déterminer « les principes fondamentaux » de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources dans le champ de la loi. Sur ce point, cette mention recoupe le deuxième alinéa de l'actuel article 72, lequel dispose : « Ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi », mais il est plus précis -.

En outre, la loi est compétente pour fixer le régime électoral des assemblées locales.

Enfin, la loi est compétente pour fixer les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures.

Il convient de rappeler que la loi de finances n'a pas de monopole en la matière. La compétence du législateur est donc évidente et étendue, par exemple s'agissant :

- de la dévolution des compétences,

- de la fiscalité locale,

- des règles relatives au régime des actes pris par les autorités locales,

- des règles électorales,

- des règles de fonctionnement des organes délibérants,

etc...

Pour autant, cet ensemble, épars et incomplet, largement regroupé sous le pavillon de « libre administration », ne connaît pas en lui-même de procédure spécifique.

La première des dispositions du texte dont votre Commission des finances est saisie pour avis tend précisément à mieux reconnaître la spécifité des textes en cause, en prévoyant une priorité d'examen de ces textes par le Sénat. L'article 3 confère un droit de priorité au Sénat, s'agissant des principaux projets de loi relatifs aux collectivités territoriales. Le Sénat y a ajouté les textes relatifs aux instances représentatives des Français établis hors de France.

Le droit de priorité qui serait ainsi reconnu au Sénat s'appuie sur la mission, à lui conférée par l'article 24 de la Constitution, d'assurer « la représentation des collectivités territoriales de la République ». Par ailleurs, cet article dispose : « Les Français établis hors de France sont représentés au Sénat. »

Jusqu'ici, cet article n'a eu d'écho, quant à la reconnaissance d'une spécificité sénatoriale, qu'en ce qui concerne son collège électoral, « essentiellement composé de membres des assemblées délibérantes des collectivités locales » (décision n° 2000-431 D.C du 6 juillet 2000), mais jamais pour ce qui est d'une spécificité procédurale. L'article 3 constitue donc à cet égard une innovation, dont il ne faut cependant pas exagérer les incidences concrètes.

Il existe, en effet, une tradition selon laquelle le Sénat, qui représente les collectivités territoriales, est saisi en premier lieu des projets concernant ces dernières. Cette tradition est parfois démentie, comme par exemple s'agissant de la loi du 2 mars 1982, de la loi d'administration territoriale de la République du 23 décembre 1992, des lois d'aménagement et de développement du territoire du 4 février 1995 et du 28 décembre 1999.

L'article 3 imposerait donc une obligation nouvelle au Gouvernement, là ou il n'existe, depuis 1958, qu'une tradition. Mais si elle conforte la place du Sénat, cette innovation doit surtout être appréciée en termes de bicamérisme et de procédure législative.

En termes de bicamérisme, il faut surtout rappeler que l'article 3 du projet n'a aucun impact sur l'article 45 de la Constitution. L'Assemblée nationale garde - et c'est heureux et indispensable - le « dernier mot » sur les projets en cause. Le dispositif ne concerne ni la navette, ni l'équilibre général entre les deux chambres. Pour autant, l'impact de cet article est loin d'être négligeable.

Pour l'instant, le droit de priorité n'est reconnu qu'au profit de l'Assemblée nationale, s'agissant des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale. Il en résulte, pour ces deux textes, trois développements de rang constitutionnel :

- il ne saurait y avoir de proposition de lois de finances ou de lois de financement de la sécurité sociale (en application des articles 47 et 47-1 de la Constitution, mais aussi des textes qui les appliquent, par exemple des articles 38 et suivants de la loi organique du 1er août 2001 pour les lois de finances). L'exigence d'un droit de priorité est, dans la Constitution, toujours liée à un monopole de dépôt par le Gouvernement. En revanche, l'article 3 n'évite pas les risques de débats « rivaux » d'un projet et d'une proposition de loi dans chacune des assemblées. Ce risque n'est pas uniquement théorique depuis que la révision constitutionnelle du 4 août 1995 a prévu une séance par mois réservée par priorité à l'ordre du jour fixé par chaque assemblée, autrement dit des « niches » ;

- ce droit de priorité se justifie, en outre, par l'existence de délais d'examen par le Parlement ;

- la jurisprudence en tire le fait que les dispositions relatives à ces textes présentant un caractère entièrement nouveau doivent respecter le droit de priorité. Il convient de rappeler qu'à la censure d'une taxe sanitaire, introduite au Sénat (décision n° 76-73 DC du 28 décembre 1976) s'ajoutent d'autres cas d'application de cette jurisprudence (voir par exemple la révision des coefficients de valeurs locatives foncières, disposition qui n'est pas entièrement nouvelle : article 40 de la loi de finances rectificative pour 1993 : décision n° 93-32 DC du 21 juin 1993 ; ou encore l'article 85 de la loi de finances initiale pour 1996 : décision du Conseil constitutionnel n° 95-369 DC du 28 décembre 1995). On imagine ce à quoi pourrait aboutir cette règle s'agissant d'un droit de priorité pour un champ d'application vaste et aléatoire....

Compte tenu de ces considérations, on mesure les difficultés procédurales que, par répercussion, posent les matières visées dans le champ de l'article 3. En l'état, ce texte n'apparaît pas acceptable à votre Rapporteur, tant son champ est imprécis. C'est sous cet angle qu'il faut apprécier la spécificité des projets de loi visés par l'article 3.

· En premier lieu, il faut s'interroger sur le point de savoir à partir de quel degré un projet de loi acquiert un contenu ayant « pour principal objet la libre administration des collectivités locales ». La Constitution ne peut se contenter, en la matière, d'affirmations vagues, alors que le champ des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale est, quant à lui, minutieusement défini par la Constitution puis la loi organique. Le « principal objet » est-il quantifiable ? S'agit-il du nombre d'articles, de leur importance qualitative, d'une définition relevant d'un exposé des motifs, des objectifs poursuivis par le texte... ?

Les conséquences d'un champ mal défini auquel s'appliquerait une procédure précise doivent être minutieusement pesées. Votre Rapporteur pour avis estime par exemple qu'un amendement substantiel du Gouvernement, introduit sur un texte ordinaire, pourrait aisément aboutir à contredire l'obligation de l'article 3, avec un risque certain d'inconstitutionnalité. Ce même risque existe d'ailleurs pour les lois de finances, la jurisprudence du Conseil constitutionnel exigeant le dépôt d'un projet de loi de finances rectificative lorsque sont bouleversées les grandes lignes de l'équilibre économique et financier (décision « DDOEF » n° 91-298 DC du 24 juillet 1991). Le droit de priorité fait donc obstacle à l'exercice d'un droit d'amendement substantiel sur d'autres textes que ceux visés à l'article 3, puisqu'il définit une procédure spécifique pour des textes spécifiques.

· En deuxième lieu, il ne paraît pas souhaitable de faire référence aux ressources des collectivités territoriales dans le champ de cet article : celles-ci entrent, classiquement mais non exclusivement, dans le champ des lois de finances, et sur ce point le dispositif ne coïncide guère avec le paragraphe II de l'article 34 de la loi organique du 1er août 2001, qui fait figurer au rang des dispositions pouvant figurer en deuxième partie la fiscalité locale, les modalités de répartition des concours de l'État aux collectivités territoriales et les dispositions de contrôle des finances publiques. Les articles 6 et 34 (I) de la même loi organique prévoient, dans le domaine obligatoire, relevant de la première partie de la loi de finances de l'année, l'évaluation des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales.

Comment admettre, en terme de logique, que la même matière puisse relever de deux procédures constitutionnelles prévoyant, l'une une priorité d'examen par le Sénat, l'autre par l'Assemblée nationale ?

· En troisième lieu, il est nécessaire de garantir que ce droit de priorité n'emporte aucune conséquence quant à l'exercice du droit d'amendement, reconnu au Gouvernement comme aux parlementaires par le premier alinéa de l'article 44 de la Constitution, faute de quoi les inconvénients que votre Rapporteur vient de signaler ne manqueront pas de se produire. Votre Rapporteur a proposé à votre Commission des finances, qui l'a adopté, un amendement reprenant une formule inspirée de celle figurant au début de l'article 48 de la Constitution modifié le 4 août 1995, pour tenir compte de l'existence des « niches parlementaires » : sans préjudice du droit du gouvernement de fixer l'ordre du jour prioritaire.

Ainsi précisé, le droit de priorité sera mieux centré : on ne peut instaurer une procédure spécifique sans en définir le champ. Or, l'un des objets de la révision est, précisément, de mieux identifier des lois relatives aux collectivités territoriales.

Tel est par ailleurs l'une des conséquences essentielles de l'article 6 du projet : il vise, en affirmant au niveau constitutionnel des principes qui existent actuellement au niveau législatif, à créer un « effet cliquet » : en matière de ressources, le législateur disposera toujours d'une large faculté d'appréciation. Il lui incombe toujours d'apprécier souverainement l'opportunité de la décision. Mais celle-ci ne pourra aboutir à un résultat qui serait en retrait par rapport aux exigences des principes affirmés par cet article.

Tel est en particulier l'apport des notions, riches de potentialités, de « part déterminante » des ressources propres dans l'ensemble des ressources des collectivités territoriales, de péréquation, ou encore du principe, figurant dans la législation depuis 1983, selon lequel il doit exister un lien entre la mise à la charge par le législateur de compétences aux collectivités locales et du transfert ou de la création des ressources nécessaires pour les assurer.

La loi devra mettre en œuvre les principes en cause.

Les textes spécifiques aux ressources ne seront pas soumis au droit de priorité établi à l'article 3, dès lors que celui-ci ne fera plus référence à la notion. Pour autant, les lois visées à l'article 6 seront déterminantes au regard du défi que représentent les nouvelles étapes du processus de décentralisation. La mise en œuvre des principes de péréquation, le niveau et la nature des ressources propres, les modalités de transfert des ressources « équivalentes » à la charge transférée conditionnent de facto, et désormais constitutionnellement, l'avenir de la décentralisation.

Au total, si les difficultés posées par l'imprécision de telle ou telle formule pouvaient être levées à l'occasion du débat du présent projet devant votre Assemblée, l'affirmation d'une spécificité législative en matière d'autonomie des collectivités territoriales prendrait alors tout son sens et ferait passer le principe d'autonomie d'une virtualité à une réalité, d'autant plus marquée qu'elle serait constitutionnelle.

C.- LA RÉFORME : DÉTERMINER LIBREMENT L'IMPÔT LOCAL POUR MAÎTRISER LA DÉPENSE PUBLIQUE

1.- Une compétence fiscale élargie

La question des ressources constitue, comme toujours, l'un des angles les plus aigus de la problématique de la décentralisation et des transferts de compétences. Chacun sait bien que le pire mode de gestion public possible est celui dans lequel le décideur de la dépense n'est en rien responsable de son financement. Ainsi, la dérive des dépenses de maladie est-elle partiellement inhérente à la situation française, dans laquelle le prescripteur est entièrement libre de la dépense payée par un tiers : en l'espèce, les régimes sociaux, directement, et, indirectement, les assurés cotisants.

La première grande vague de décentralisation, en 1982, s'est accompagnée du transfert non seulement du produit de ressources fiscales jusqu'alors nationales, mais aussi du choix des taux. Certes, ce choix était plus ou moins contraint. Mais le principe était sain : dans sa décision, le décideur local devait dresser le bilan coûts-avantages de l'utilité d'intérêt local du supplément de dépenses, compte tenu du supplément de prélèvements nécessaire pour le financer. Ou, inversement, mais malheureusement plus rarement, de l'avantage pour l'économie locale d'une diminution du poids des impôts considérés, au regard des éventuelles inconvénients des économies à dégager pour autoriser cet abaissement de la pression fiscale.

Telle est la méthode de responsabilisation qui sied à une démocratie locale digne de ce nom. Ainsi que l'a affirmé le président de la Commission des lois du Sénat, M. René Garrec, la liberté des collectivités territoriales n'est pas uniquement celle de la dépense, mais réside aussi dans la liberté de prélever, et surtout dans le choix du niveau et de la nature du prélèvement.

C'est pourquoi le projet de loi constitutionnelle, sans innover de manière révolutionnaire, présente l'avantage considérable de fixer ce principe au niveau le plus élevé de notre hiérarchie des normes.

1°) La consolidation de l'existant : l'attribution de recettes fiscales, partiellement déterminées par les collectivités bénéficiaires

En prévoyant que les collectivités territoriales peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions, le dispositif constitutionnel proposé consolide l'existant.

Le Conseil constitutionnel reconnaît déjà, selon une jurisprudence constante, la possibilité d'affecter des recettes fiscales à des personnes morales autres que l'État, qu'elles soient publiques ou privées, dès lors qu'elles remplissent une mission de service public. L'article 2 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances a confirmé ce principe, exigeant, de surcroît, que la liste et l'évaluation de ces impositions, comme de toutes celles affectées à des tiers, soient précisées par une annexe explicative accompagnant chaque projet de loi de finances de l'année (15).

Les collectivités territoriales sont ainsi d'ores et déjà, et même depuis très longtemps, affectataires d'impositions qui leur sont uniquement destinées.

Certaines de ces impositions sont spécialisées par catégories de collectivités, soit à raison de leur nature (16), soit à la suite du transfert de ressources lié aux transferts de compétences prévus par les premières lois « Defferre » (17). D'autres sont affectées à des collectivités identifiées (18).

En revanche, les plus importantes par leur produit, notamment les quatre taxes locales directes (19), sont partagées entre tous les niveaux de collectivités et d'intercommunalités. Seule la création récente de la taxe professionnelle unique, perçue directement par une partie des groupements intercommunaux (de droit par les communautés de communes et les communautés d'agglomération nouvellement créées, et sur option par les communautés urbaines) puis redistribuée entre les communes membres, a tendu à limiter ce partage.

Par ailleurs, en prévoyant que la loi peut autoriser les collectivités à fixer l'assiette et le taux des impôts qui leur sont affectés dans les limites qu'elle détermine, le projet confirme aussi le dispositif en vigueur.

En effet, chacun sait que les taux de la plupart des impôts locaux sont d'ores et déjà votés par chaque collectivité (ou structure intercommunale) bénéficiaire. Cette possibilité a été confirmée par le Conseil constitutionnel, qui a jugé que « le législateur peut déterminer les limites à l'intérieur desquelles une collectivité territoriale peut être habilitée à fixer elle-même le taux d'une imposition établie en vue de pourvoir à ses dépenses »(20). Plus précisément, depuis la loi n° 80-10 du 10 janvier 1980 portant aménagements de la fiscalité directe locale, les collectivités locales peuvent fixer les taux de la taxe d'habitation, des taxes foncières et de la taxe professionnelle, sous réserve de plafonds fixés par la loi par référence aux moyennes nationales ou départementales, et de règles de liaison des taux entre eux. L'article 14 du projet de loi de finances pour 2003, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 18 octobre 2002, propose d'ailleurs d'assouplir de manière très sensible ces règles de liaison.

Par ailleurs, les collectivités locales sont entièrement libres, dans la limite de plafonds fixés par la loi, de déterminer le taux de la plupart des autres impôts locaux.

À cet égard, il convient de relativiser fortement les risques d'instabilité et de dérive haussière des taux, parfois soulevés à l'encontre du principe d'autonomie fiscale des collectivités territoriales. Ainsi, en 2001, 77 % des régions, 78 % des départements, 56 % des établissements publics de coopération intercommunales et 59 % des communes ont conservé inchangés leurs taux des quatre taxes directes locales. Par ailleurs, certaines hausses de taux sont essentiellement dictées par les circonstances. Il en va ainsi de décisions qui, quoique financièrement importantes, échappent pourtant largement aux collectivités concernées, à l'instar de la nécessité actuelle pour les conseils généraux de financer le succès beaucoup plus rapide que prévu de la mise en œuvre du transfert aux départements de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), se substituant à la prestation spécifique dépendance (PSD), de manière plus ambitieuse, et donc plus coûteuse.

S'agissant de l'assiette, le cas est un peu différent. En effet, il est peu - s'il en est une -, de taxes locales dont l'assiette soit entièrement déterminée par les collectivités. En l'état actuel de la Constitution et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, celui-ci, lorsqu'il est saisi, censure les régimes d'impositions adoptés par le Parlement, dont l'assiette ne serait pas pleinement déterminée par la loi, au motif de la méconnaissance du domaine exclusif de la loi prévu en matière fiscale par l'article 34 de la Constitution.

Néanmoins, de nombreux impôts locaux recèlent la possibilité d'abattements, qui sont autant d'éléments contribuant à déterminer l'assiette, et dont il appartient aux collectivités de décider ou non la mise en oeuvre, et parfois le niveau. Il en va ainsi, pour ne retenir que quelques éléments de dispositifs riches de diversité, sinon d'intelligibilité :

- s'agissant de la taxe d'habitation perçue sur les résidences principales, des majorations de 5 % ou 10 % des abattements obligatoires pour charges de famille et des abattements généraux facultatifs de 5 %, 10 % ou 15 %, ainsi que de l'abattement spécial facultatif de 5 %, 10 % ou 15 %, pour les personnes de condition modeste. Tous ces abattements sont prévus par la loi fiscale, - en l'occurrence la partie législative du code général des impôts-, et librement décidés par les conseils élus;

- pour la taxe professionnelle, des exonérations temporaires facultatives des créations ou extensions d'entreprises situées dans certaines zones prioritaires (zones d'aménagement du territoire, territoires ruraux de développement prioritaire, zones urbaines sensibles) ; des exonérations des médecins nouvellement installés dans de petites communes (de moins de 2.000 habitants), des entreprises de spectacles et des établissements de spectacles cinématographiques, de certaines activités des établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche... De même, communes et syndicats d'agglomération nouvelles peuvent décider d'exonérer les caisses de crédit municipal (21). A contrario, les collectivités peuvent refuser d'appliquer l'exonération de droit des créations d'entreprises dans les zones de redynamisation urbaine, ou de certaines locations en meublé des habitations personnelles (sous forme de gîtes ruraux, de meublés de tourisme, ...) ;

- pour les taxes foncières, des exonérations de moindre portée, mais néanmoins significatives. Ainsi, les conseils élus peuvent décider d'exonérations temporaires de taxes foncières sur les propriétés non-bâties de terrains plantés en arbres fruitiers ou en noyers. De même, pour la taxe sur le foncier bâti, les communes peuvent décider de supprimer l'exonération de droit pour les immeubles d'habitation nouvellement construits, soit totalement, soit partiellement (pour les constructions financées par certains types de prêts aidés).

Dans un certain nombre de cas, les impositions locales ne sont même que facultatives et c'est leur perception qui est librement décidée par la collectivité. Il existe ainsi un nombre significatif d'impositions dont la mise en recouvrement est librement décidée par les communes, ou, dans certains cas, par certains types de communes : participation pour non-réalisation d'aires de stationnement, taxe de séjour (22), taxe communale sur les véhicules publicitaires, taxe sur les emplacements publicitaires fixes, taxe sur les activités saisonnières, .... Dans quelques cas plus restreints, la faculté de décider la levée de l'impôt est conférée aux départements et aux communes (taxe sur les remontées mécaniques), ou aux départements seuls (par exemple, taxe départementale des espaces naturels sensibles).

2.- Des apports potentiellement importants 

Les réels apports du présent projet de loi constitutionnelle résident dans l'orientation générale que celui-ci a vocation à traduire et à inscrire dans la plus haute norme juridique de notre État de droit.

En premier lieu, le premier alinéa de l'article 6 ouvre le champ d'utilisation des ressources des collectivités territoriales. En effet, le financement n'est justifié que par l'utilisation qui en est faite. La rédaction retenue par le texte adopté par le Sénat, sur proposition du Gouvernement, préserve à la fois le principe de liberté d'utilisation des ressources, et le cadre législatif dans lequel il devra nécessairement s'exercer. La portée de ce cadre n'est pas limitée par le projet de révision. En conséquence, elle ne paraît pas pouvoir conduire à interdire les mécanismes de ressources affectées à certaines dépenses. Ainsi, la dotation globale d'équipement (DGE) devrait-elle pouvoir être maintenue avec sa contrainte de financement de projets identifiés et d'affectation à la section d'investissement. En revanche, les collectivités conserveraient, naturellement, la liberté de choisir leurs projets d'investissement.

A contrario, la formulation du texte soumis à l'Assemblée nationale n'exclut à l'évidence pas de maintenir, par des textes législatifs, certaines dépenses obligatoires à la charge des collectivités territoriales, notamment toutes celles correspondant à des missions de services publics locaux de nature régalienne, telles que l'état-civil, pour prendre la plus évidente.

En second lieu, l'élévation au rang constitutionnel de la possibilité de fixer non seulement le taux, mais également l'assiette des impositions affectées, constitue une innovation, à plusieurs titres.

Elle traduit dans le droit l'objectif de responsabilisation des élus locaux qu'ambitionne de promouvoir le présent projet. Fixer l'assiette et le taux ouvre à la fois la possibilité de faire face aux besoins supplémentaires, et l'exigence de rendre compte à l'électeur. Il conviendra toutefois de s'assurer que, ce faisant, la loi autorisant et encadrant ce pouvoir veillera à éviter de laisser à la charge de l'État, donc du contribuable national, les conséquences de décisions d'augmentation des taux, ou d'élargissement de l'assiette, par le biais de mécanismes de plafonnement donnant lieu à dégrèvement. Dans ce cas, en effet, le relèvement du produit nominal de l'impôt ne modifie pas le prélèvement effectif sur le redevable, mais conduit à lui substituer le budget de l'État. Tel est notamment le cas, aujourd'hui, des dispositifs de plafonnement de la taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée, ou de celui de la taxe d'habitation en fonction du revenu fiscal de référence.

Par ailleurs, le fait de confier la détermination de l'assiette aux collectivités territoriales leur confère également, potentiellement, un instrument d'intervention économique, mais aussi de modernisation fiscale, aujourd'hui essentiellement réservé à l'État. Pour prendre un exemple illustratif, il est ainsi loisible d'imaginer que, dans le cadre d'une réforme future de la taxe professionnelle dont l'assiette a d'autant plus vieilli qu'elle s'est concentrée sur un seul élément (les immobilisations des entreprises), la loi puisse autoriser les collectivités à opter soit pour le maintien de l'assiette actuelle, soit pour le choix d'une assiette nouvelle, comme la valeur ajoutée (sous la réserve, naturellement, que les difficultés techniques de calcul d'une valeur ajoutée affectée à un établissement local d'une entreprise multisites finissent par être résolues).

Plus généralement, le projet pose les fondements constitutionnels d'une fiscalité locale dont les collectivités maîtriseraient les éléments principaux, plutôt que d'affectation d'impôts d'État, dont les paramètres demeureraient déterminés par celui-ci, et dont les modalités de répartition échapperaient à l'échelon territorial. La fiscalité locale véritable, supposant une assiette de préférence stable dans le temps et pas trop fluctuante, serait manifestement plus conforme à l'esprit du texte proposé que de nouveaux prélèvements sur recettes, ventilés suivant des clefs statistiques définies par l'échelon central, et n'ouvrant aucune marge de manœuvre, ni de choix responsable pour les élus locaux (23).

Cette fiscalité locale véritable éviterait, par ailleurs, que les représentants des collectivités territoriales soient contraints de se placer en position de quémandeurs de ressources publiques, et que, à l'échelon national, le financement des besoins supplémentaires soit réalisé par des modifications successives du montant et des règles de répartition des dotations budgétaires ou des prélèvements sur recettes, économiquement supportées par d'autres que ceux qui en bénéficient.

Naturellement, une telle orientation pose immédiatement la question de la réforme de la fiscalité locale, unanimement considérée aujourd'hui comme exsangue dans ses principes mêmes, faute d'avoir pu évoluer en temps utile.

Dans le même sens, les garanties de financement des transferts de compétences auxquels doit conduire le projet de révision constitutionnelle ne manqueront pas d'exiger une réflexion préalable et approfondie sur la « localisation » partielle d'une fiscalité aujourd'hui nationale.

Les idées ne font pas défaut en la matière, mais certaines, y compris parmi les plus répandues, n'iraient pas sans poser de redoutables et multiples problèmes. Parmi les plus importants, peuvent être cités : les risques d'incompatibilité avec le droit communautaire et de concurrence fiscale entre régions, dans l'hypothèse d'une régionalisation partielle de la taxe intérieure sur les produits pétrolier (TIPP) ou de la TVA, accompagnée du pouvoir de fixer les taux; les inégalités de répartition géographique de l'assiette dans l'éventualité d'une territorialisation de l'un des impôts assis sur le revenu (impôt progressif ou, de préférence, contribution sociale généralisée). La réflexion préalable nécessaire pourrait ainsi constituer un puissant moteur de réforme et de modernisation fiscale, locale comme nationale.

En tout état de cause, il convient de rappeler, même si cela va de soi, que la capacité de déterminer, dans les limites fixées par la loi, l'assiette de certains impôts locaux, ou nationaux territorialisés, exigera logiquement que cette assiette soit liée au périmètre de compétences de la collectivité intéressée.

De même, sur le plan des principes fiscaux, il ne fait pas de doute que le texte proposé ne confie pas le pouvoir de lever l'impôt aux collectivités territoriales, qui n'auront la responsabilité que de choisir le taux et l'assiette dans les limites fixées par la loi. En conséquence, l'autorisation de lever les impôts, - tous les impôts -, demeurera de la seule compétence du Parlement et des lois de finances, dans le sens prévu par l'article 47 de la Constitution, tel que précisé par le 1° du I de l'article 34 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

En troisième et dernier lieu, le fait que les ressources propres doivent constituer une part « déterminante » de l'ensemble des ressources, constitue en lui-même une forme de garantie de pérennité dans le temps des recettes de fiscalité locale. Cette question fera l'objet d'analyses plus approfondies dans la suite du présent avis.

3.- Des limites nécessaires

Les orientations constitutionnelles du dispositif de l'article 6 connaissent également des limites liées à la nature même du projet.

Certaines sont inscrites « en creux », à l'instar du fait que le calcul et le recouvrement de l'impôt demeurent de la compétence de l'État, et non des collectivités territoriales, qui ne peuvent décider que des taux et de l'assiette. Comme il a été précédemment indiqué, non seulement les collectivités ne lèveront pas elles-mêmes l'impôt, mais ne seront même pas concrètement chargées de leur collecte.

La situation actuelle sera donc maintenue inchangée, avec une gestion de l'impôt local par les services fiscaux de l'État : la direction générale des impôts continuera, mutatis mutandis, d'assurer les missions d'assiette et de contrôle de la plupart des impôts locaux, et de recouvrement d'une partie plus limitée de ceux-ci (droits d'enregistrements, cadastre), et la direction générale de la comptabilité publique celle de l'encaissement des impôts directs par les receveurs municipaux.

Le maintien de la compétence des services fiscaux s'avère, en effet, nécessaire, pour préserver l'homogénéité de l'application de la législation fiscale, et pour bénéficier des économies d'échelle dues au caractère national de la plupart des dispositifs de fiscalité mis en œuvre localement. Par ailleurs, le maintien de l'organisation actuelle permettra de conserver le mécanisme d'avances du produit fiscal et de la prise en charge par l'État des non-recouvrements (dégrèvements et non-valeurs), en contrepartie de l'obligation faite aux collectivités de déposer leurs fonds libres auprès du Trésor.

D'autres limites, de principe plus que d'organisation, ne sont pas abordées par le projet de loi constitutionnelle, mais devront faire l'objet de réflexions approfondies préalables à sa mise en œuvre effective.

En particulier, la liberté fiscale que traduit le pouvoir de fixer le taux et l'assiette, doit être compatible, ou du moins se concilier, avec plusieurs principes essentiels :

- le principe d'égalité devant l'impôt et les charges publiques, qui n'est pas inscrit de manière distincte dans la Constitution mais est prévu par l'article XIII de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. Ce principe, qui est interprété par le Conseil constitutionnel comme l'exigence du traitement identique de situations identiques, n'interdit toutefois pas des différences entre redevables dans des situations ou des collectivités locales distinctes, mais comme c'est d'ailleurs, aujourd'hui, le cas ;

- néanmoins, la gestion d'un nombre trop important de variantes de politiques fiscales, voire d'impôts entièrement spécifiques à chaque collectivité ne paraît pas aller dans le sens ni de la recherche d'une gestion publique rationnelle et économe de ses moyens, ni d'une organisation de l'économie compatible avec les contraintes d'entreprises d'une taille significative au plan national. Par ailleurs, il conviendra d'éviter les effets pervers potentiels découlant des risques de concurrence fiscale entre les collectivités. Ce qui est regrettable entre États membres de l'Union européenne, par exemple en matière de fiscalité de l'épargne, n'est pas plus complètement justifié entre communes, départements ou régions ;

- de même, l'impôt doit respecter le principe de légalité. Dans ces conditions, et conformément à l'encadrement de l'« autonomie fiscale » des collectivités territoriales prévu par la loi, l'orientation du projet de loi constitutionnelle doit logiquement conduire à ce qu'il revienne à la loi de définir des systèmes d'options portant sur l'assiette, mais sans doute sans aller jusqu'à conférer une liberté totale de détermination d'une assiette propre à chaque collectivité. De surcroît, il convient de souligner que les hypothèses de création intégrale d'impôts par les collectivités territoriales, comme de leur éventuel refus de lever un impôt obligatoire, sont strictement écartées par le projet de loi.

Sur un autre plan, - celui de l'affectation de fractions d'impositions -, il conviendra d'éviter que le souci de clarification de la décentralisation, qui anime légitimement les promoteurs du projet, comme votre Rapporteur pour avis,  ne se traduise malencontreusement par une opacité comparable à celle qui affecte aujourd'hui les lois de financement de la sécurité sociale et la répartition de certains impôts entre de multiples bénéficiaires, au demeurant évolutifs dans le temps(24), que ces lois établissent.

Pour autant, l'option de la spécialisation fiscale, sans doute compréhensible sur le plan des principes, et envisagée par certaines réflexions récentes, ne paraît pas pouvoir être retenue. Le projet de loi constitutionnelle ne le prévoit d'ailleurs pas. Il semble, en effet, difficile d'imaginer que tous les impôts perçus au profit des collectivités locales ne soient affectés qu'à l'une de leurs catégories. De multiples raisons s'y opposent :

- le choix des impôts par catégorie de collectivités conduirait à des différences sensibles de la dynamique de l'assiette des impôts. La compensation des différences d'évolution spontanée des différentes assiettes exigerait de rechercher des compensations dans la hausse des taux pour les collectivités les plus mal loties, alors que celles bénéficiant d'impôts à forte dynamique seraient sans doute tentées de bénéficier de l'accroissement du produit, sans systématiquement réduire les taux. La conséquence d'un tel système risquerait alors de s'avérer, essentiellement, une hausse des prélèvements obligatoires ;

- le maintien d'une certaine diversité fiscale dans les ressources de chaque catégorie de collectivités constitue, a contrario, un facteur de stabilisation des recettes pour chacune de ces catégories, selon le principe sain dit, en matière financière, de « diversification des risques » ;

- le choix des ressources fiscales à transférer, en contrepartie de nouveaux transferts de charges, serait difficile, compte tenu de l'absence de lien a priori entre le montant des charges ainsi transférées à chaque collectivité, et le montant des impositions susceptibles d'être transférées par l'État, même en confiant la fixation du taux à chacune des collectivités bénéficiaires. Dans ces conditions, le financement du transfert pourrait difficilement être opéré uniquement par des ressources fiscales, et devrait donc s'accompagner d'un financement par dotation budgétaire ou par prélèvement sur recettes. 

4.- Une nouvelle responsabilisation des élus

Le présent projet de loi constitue une étape nouvelle de la démarche décentralisatrice qu'exigent des citoyens demandeurs d'une plus grande proximité non seulement de la prise de décisions affectant leur vie quotidienne, mais également des élus qui en assument la responsabilité.

Cette responsabilisation porte tout d'abord sur le champ des dépenses.

Ainsi, l'esprit du projet de loi devrait rapidement conduire à de nouveaux transferts de compétences aujourd'hui exercées par l'État et ses administrations, centrale ou déconcentrées.

Par ailleurs, la rédaction de l'article 4 ouvre la possibilité pour les collectivités territoriales de procéder à des expérimentations dérogeant aux lois et aux règlements régissant l'exercice de leurs compétences, lorsque le principe de telles expérimentations sera lui-même prévu par la loi ou le règlement. Ces expérimentations pourront éventuellement s'exercer tant dans le champ des compétences actuelles des collectivités territoriales, que dans celui des compétences dont les transferts seront décidés dans les mois ou années à venir.

Enfin, l'article 6 interdit le principe de créations par l'État de nouvelles compétences territoriales dépourvues de tout financement, et reposant en conséquence uniquement ou essentiellement sur des relèvements contraints des taux des impôts locaux par les acteurs locaux, alors complètement déresponsabilisés. Dans ce cas, le principe de responsabilisation concernera autant, sinon même plus, les acteurs nationaux, qui ne pourront plus feindre de se désintéresser de la question du financement d'une dépense publique nouvelle, en reportant ce financement sur d'autres qu'eux.

La responsabilisation des acteurs portera aussi sur les choix fiscaux, avec la confirmation constitutionnelle du pouvoir de déterminer les quotités et l'assiette, dans certaines limites.

Le fait que l'exercice de ces deux responsablités soit directement contraint par la nécessité de mettre les ressources en adéquation avec les besoins (notamment de fonctionnement, qui ne peuvent être financés par l'emprunt), constituera enfin la troisième et, sans doute, principale responsabilisation des élus locaux.

Cette combinaison de responsabilités, élargies et systématisées, est essentielle pour éviter que l'approfondissement de la décentralisation conduise à la situation regrettable, constatée dans la décennie qui a suivi la mise en œuvre des lois dites « Defferre », de dérive tendancielle des dépenses transférées aux collectivités locales, répondant à des besoins jusqu'alors insuffisamment traités par l'État, et de celle, parallèle, des taux des impôts locaux indispensables pour les financer, compte tenu de l'insuffisance des transferts de ressources non fiscales.

En particulier, le nouveau cap de la décentralisation ne devra, en aucun cas, conduire à un alourdissement des prélèvements obligatoires au profit des administrations locales, qui ne soit pas compensé par la diminution, à due concurrence, de ceux opérés au profit de l'État.

II.- UNE GARANTIE DE RESSOURCES, GAGE D'EFFICACITÉ

A.- DES RESSOURCES PROPRES DONT LA PART DOIT ÊTRE DÉTERMINANTE

Le projet de loi constitutionnelle, tel qu'adopté en première lecture par le Sénat, pourrait paraître ne pas constituer une avancée majeure en termes de garantie du niveau des ressources propres des collectivités territoriales.

En effet, en première analyse, la rédaction du troisième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution proposée à l'article 6 ne semble guère aller au-delà de la jurisprudence actuelle du Conseil constitutionnel, fondée uniquement sur le principe de libre administration prévu par l'article 72 de la Constitution.

En effet, tout en reconnaissant le principe selon lequel la limitation du niveau des financements globaux, et des ressources fiscales, pourrait nuire, voire empêcher, l'exercice de la libre administration des collectivités territoriales, le Conseil n'est jamais allé jusqu'à fixer le plancher en deçà duquel cet exercice ne serait plus garanti.

Certes, il a clairement affirmé, selon une jurisprudence constante, que « les règles posées par la loi ne sauraient avoir pour effet de restreindre les ressources fiscales des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration »(25). Mais, en dépit de saisines sur ce grief, réitérées à chaque diminution importante du champ de la fiscalité locale compensée par l'État (26), le Conseil n'a jamais consenti à définir un seuil de ressources fiscales dans les ressources globales des collectivités territoriales, par une jurisprudence qui aurait, il est vrai, pu être considérée comme prétorienne faute de tout support normatif.

Le présent projet de loi représente donc, en l'occurrence, une avancée particulièrement notable, en posant le principe que l'ensemble des ressources propres, fiscales et non-fiscales, des collectivités territoriales doit représenter une part « déterminante de l'ensemble de leurs ressources ».

Cette rédaction, issue de la discussion au Sénat, traduit un compromis entre :

- le projet initial, qui ajoutait les dotations reçues d'autres collectivités territoriales (27) aux ressources propres prises en compte pour calculer la part déterminante des ressources globales, d'une part ;

- et la demande de la Commission des lois du Sénat, qui souhaitait substituer au mot « déterminante » le mot « prépondérante » et proposait, parallèlement, que les modalités d'application de l'article 6, dans son ensemble, soient déterminées par une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées parlementaires, d'autre part.

La solution retenue, beaucoup plus précise que la Charte européenne de l'autonomie locale (28), paraît constituer un équilibre satisfaisant.

Elle répond clairement, tout d'abord, sur le plan des principes, à ceux qui considèrent que la libre administration des collectivités territoriales peut être garantie par la mise à disposition de ressources étatiques, complétée par des mécanismes de péréquation suffisamment développés.

Si cette conception peut effectivement se comprendre, y compris pour de grands États fédéraux comme l'Allemagne, elle ne correspond pas à notre tradition républicaine, qui prend ses racines dans la Révolution française, et qui est fondée, depuis plus de deux siècles, sur le principe de la fiscalité locale. Certes, celle-ci a été, pendant longtemps, constituée d'impôts d'État, simplement assis sur une assiette locale. Mais, d'une part, ceux-ci ont été rapidement complétés par des centimes additionnels perçus au profit des collectivités locales à leur demande. D'autre part, l'attribution aux collectivités locales de la contribution des patentes et de la contribution mobilière, jusqu'alors perçues, à titre principal, par l'État, fut décidée dès la loi du 31 juillet 1917 créant l'impôt cédulaire sur le revenu, dans le cadre de la réforme fiscale de fond élaborée par Joseph Caillaux. La fiscalité directe locale affectée aux collectivités locales, telle qu'elle existe aujourd'hui, est donc aussi ancienne que l'impôt sur le revenu.

Dans cette perspective, le dispositif proposé permettra de mettre fin au mouvement de fond, constaté depuis plusieurs années, et, en particulier, sous la précédente majorité, de substitution de compensations budgétaires et de dégrèvements à un rétrécissement des recettes fiscales réellement perçues(29), progressif mais régulier et à sens unique.

Inversement, le texte proposé à l'Assemblée nationale évite les écueils possibles de la notion de part prépondérante.

Tout d'abord, l'obligation de garantir, pour chaque catégorie de collectivités territoriales, des ressources propres excédant la moitié des ressources globales serait susceptible d'entrer en contradiction avec le principe également essentiel d'une péréquation destinée à compenser les inégalités entre collectivités territoriales.

Certes, on peut penser que, si les mécanismes de péréquation ne font que répartir les recettes fiscales propres au sein des catégories de collectivités (entre communes, entre départements, entre régions, ...), ils n'auraient alors aucune incidence sur le montant total des ressources propres de chacune de ces mêmes catégories. Mais rien n'interdit de penser que la péréquation peut s'opérer entre catégories différentes de collectivités territoriales, d'autant que certaines de ces catégories sont en nombre réduit, voire unique (collectivités à statut particulier et collectivités d'outre-mer). De surcroît, leur liste n'est pas aujourd'hui définitive et pourrait être amenée à évoluer à l'avenir puisque l'article 4 du présent projet prévoit qu'il reviendra à la loi de créer toute nouvelle collectivité territoriale non prévue par la Constitution elle-même.

Par ailleurs, la contrainte d'une part « prépondérante » peut également entrer en contradiction avec l'enrichissement de la responsabilisation des élus territoriaux, notamment avec l'élargissement de l'autonomie de décision fiscale prévue par le même article 6. Si, quelle qu'en soit la raison, une proportion importante d'une catégorie donnée de collectivités territoriales était conduite à réduire de son propre chef ses recettes fiscales en baissant les taux ou en réduisant l'assiette, ou à supporter une baisse de l'assiette pour des raisons de conjoncture économique, cette catégorie pourrait voir ses ressources propres passer en dessous du seuil de 50 % de ses ressources globales. Les dotations budgétaires, notamment de péréquation, prévues par la loi de finances suivante devraient alors être également réduites, sous peine de créer un motif d'inconstitutionnalité de celle-ci. L'effet alors atteint ne serait manifestement pas celui recherché. Il en irait de même si un mouvement d'autonomisation de services publics locaux industriels et commerciaux, aujourd'hui exercés en régie et financés en tout ou partie par des ressources propres des collectivités, modifiait significativement la part globale de ce type de ressources propres pour la catégorie de collectivités territoriales considérée.

De même, la fixation dans la loi constitutionnelle d'un plancher normatif de 50 % des ressources globales, exigerait, pour être effectivement applicable et contrôlable par le Conseil constitutionnel, que soit complètement précisée et arrêtée, dans la Constitution, la définition exhaustive des ressources propres, laquelle relève manifestement plus d'une loi organique que de la Constitution.

En tout état de cause, la fixation d'un seuil intangible, sauf à modifier de nouveau la Constitution, pourrait donner lieu, dès lors que l'on s'en approcherait pour une catégorie de collectivités donnée, à des comportements pervers, liés uniquement au souci de ne pas passer en dessous de ce seuil.

Au-delà, le dispositif proposé par le troisième alinéa du nouvel article 72-2 soumis à l'Assemblée nationale appelle quelques réserves.

La première tient à la nécessité de préciser les éléments de définition de la « part déterminante » arrêtée pour chaque catégorie de collectivités, dans un texte qui s'imposera aux lois ordinaires sans pour autant être inscrit au niveau de la Constitution. Le choix initial du Gouvernement d'une loi organique paraît à cet égard opportun, dans la mesure où la Constitution, ainsi explicitée, sera prise en compte par le Conseil constitutionnel pour contrôler la constitutionnalité des dispositions législatives nouvelles qui lui sont déférées, après qu'il aura examiné la conformité de ladite loi organique elle-même, dans toutes ses dispositions, au texte de la loi constitutionnelle qu'il est proposé au Parlement d'adopter.

En revanche, il n'y a pas lieu d'exiger que cette loi organique soit, à l'instar des lois organiques relatives au Sénat(30), adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées. Le Sénat l'a d'ailleurs accepté en adoptant finalement l'article 6 dans la rédaction proposée par le Gouvernement, qui fait de la loi organique prévue une loi organique « ordinaire ». Par ailleurs, votre Rapporteur pour avis soulignera, à cet égard, que, en adoptant initialement un amendement tendant à demander une adoption de la loi organique visée dans les mêmes termes par les deux assemblées, la Commission des lois du Sénat a spontanément reconnu que cette loi organique n'appartenait précisément pas aux lois organiques relatives au Sénat.

Sans attendre le projet de loi organique, il est cependant utile de préciser ce que devraient pouvoir être les ressources propres dont la proportion déterminante de l'ensemble des ressources devra être respectée. De manière synthétique, les ressources propres paraissent devoir se limiter à celles dont les collectivités disposent d'une certaine maîtrise. Selon la direction générale de la comptabilité publique(31), il devrait s'agir des recettes de fiscalité directe et indirecte, ainsi que des produits du domaine et des produits d'exploitation. Ces derniers regroupent les recettes encaissées en contrepartie de services rendus aux usagers de services administratifs, industriels et commerciaux, ou sociaux. En tout état de cause, les ressources propres ne semblent pas pouvoir comprendre les dotations, subventions et compensations budgétaires de l'État, dont le montant échappe totalement aux collectivités prises individuellement.

B.- DES TRANSFERTS DE COMPÉTENCES NÉCESSAIREMENT COMPENSÉS

L'article 6 du présent projet de loi constitutionnelle insère un article 72-2 dont le quatrième alinéa dispose que « Tout transfert de compétences entre l'État et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création de nouvelle compétence est accompagnée de ressources déterminées par la loi ». Il s'agit ainsi de donner une valeur constitutionnelle au principe de compensation intégrale et concomitante des charges résultant pour les collectivités territoriales des transferts et créations de compétences. L'objectif poursuivi est de remédier aux insuffisances du dispositif actuellement en vigueur en matière de compensation financière des transferts de compétences.

Les règles applicables en matière de compensation financière des transferts de compétences sont actuellement fixées par le code général des collectivités territoriales, qui précise que :

- « Tout accroissement net de charges résultant des transferts de compétences effectués entre l'État et les collectivités territoriales est accompagné du transfert concomitant par l'État aux communes, aux départements et aux régions des ressources nécessaires à l'exercice normal de ces compétences. Ces ressources sont équivalentes aux dépenses effectuées, à la date du transfert, par l'État au titre des compétences transférées et évoluent chaque année, dès la première année, comme la dotation globale de fonctionnement. Elles assurent la compensation intégrale des charges transférées » (article L. 1614-1) ;

- « Les charges correspondant à l'exercice des compétences transférées font l'objet d'une évaluation préalable au transfert desdites compétences. Toute charge nouvelle incombant aux collectivités territoriales du fait de la modification par l'État, par voie réglementaire, des règles relatives à l'exercice des compétences transférées est compensée (...). Toutefois, cette compensation n'intervient que pour la partie de la charge qui n'est pas déjà compensée par l'accroissement de la dotation générale de décentralisation » (article L. 1614-2) ;

- « Le montant des dépenses résultant des accroissements et diminutions de charges est constaté pour chaque collectivité par arrêté conjoint du ministre chargé de l'intérieur et du ministre chargé du budget, après avis d'une commission présidée par un magistrat de la Cour des comptes et comprenant des représentants de chaque catégorie de collectivités concernées » (article 1614-3).

Le code général des collectivités territoriales définit également les modalités de la compensation :

- « Les charges sont compensées par le transfert d'impôts d'État, par les ressources du Fonds de compensation de la fiscalité transférées et, pour le solde, par l'attribution d'une dotation générale de décentralisation » (article L. 1614-4) ;

- « Les transferts d'impôts d'État représentent la moitié au moins des ressources attribuées par l'État à l'ensemble des collectivités locales » (article L. 1614-5) ;

- « Les pertes de produit fiscal résultant, le cas échéant, pour les départements ou les régions, de la modification, postérieurement à la date des transferts des impôts et du fait de l'État, de l'assiette ou des taux de ces impôts sont compensés intégralement, collectivité par collectivité (...) par des attributions de dotation de décentralisation » (article L. 1614-5).

Cependant, les principes posés n'ont pas été respectés.

Tout d'abord, les charges transférées ont augmenté beaucoup plus vite que les compensations transférées. Ainsi, entre 1987 et 1996, la part des dépenses liées à l'exercice des compétences transférées dans les dépenses totales des collectivités territoriales est passée de 13,5 % à 17,8 %, tandis que la part des ressources transférées dans les ressources totales des collectivités a diminué de 9,5 % à 8,3 %. De même, le ratio rapportant le coût des compétences transférées au montant des ressources transférées a diminué, pour les départements, de 1,26 en 1989 à 0,89 en 1996, et pour les régions de 0,96 à 0,66 sur la même période.

En 2000, toutes collectivités confondues, les ressources totales correspondant à la somme du produit réel de la fiscalité transférée et des dotations budgétaires ont représenté un montant total de 10,03 milliards d'euros.

La Commission consultative sur l'évaluation des charges, créée en application de l'article L. 1614-3 du code général des collectivités territoriales, a pourtant publié en août dernier, dans son rapport annuel, des tableaux montrant l'écart croissant entre compensations et dépenses réelles, tel celui-ci relatif aux régions :

ÉVOLUTION DES RESSOURCES FINANCIÈRES TRANSFÉRÉES AUX RÉGIONS ET DÉPENSES RÉELLES

graphique

Source : Rapport de la Commission consultative sur l'évaluation des charges

Cette évolution défavorable aux collectivités territoriales est notamment due au mode de calcul des compensations qui, reposant sur la distinction entre l'évolution théorique et l'évolution réelle des ressources, ne permet pas une compensation intégrale. Ce mode calcul postule en effet que, à compter du transfert de compétences, le coût de leur exercice pour les collectivités territoriales n'augmentera pas plus vite que la dotation globale de fonctionnement (DGF). Or, comme il a été choisi d'assurer principalement la compensation des transferts de compétences par la dévolution aux collectivités territoriales d'impôts d'État, dont l'évolution du produit est totalement déconnectée de celle de la DGF, un écart apparaît entre le montant théorique des ressources transférées aux collectivités territoriales et leur montant réel, qui dépend de l'évolution des bases d'impôts transférés. De même, rien n'assure que le coût réel des compétences transférées soit équivalent à leur coût théorique, résultant de l'indexation sur la DGF du coût que représente la compétence au moment du transfert. Enfin, il convient de souligner que les modalités d'évolution de la DGF ont été modifiées à de nombreuses reprises depuis 1990, dans un sens moins favorable que l'indexation sur l'évolution du produit de la taxe sur la valeur ajoutée.

De plus, le simple octroi aux collectivités territoriales des moyens consacrés par l'État à ces compétences à la veille du transfert n'est pas satisfaisant si un bilan de l'existant n'est pas réalisé. Ainsi, s'agissant des équipements, des retards peuvent s'être accumulés en matière d'entretien, de grosses réparations ou d'adaptation aux normes, pour les bâtiments et les infrastructures, ou de renouvellement, pour les matériels. S'il n'est pas tenu compte de ces éléments lors du transfert de compétences, le coût des travaux de mise à niveau est à la charge des collectivités territoriales. Cela a notamment été le cas lors des transferts de compétences en matière d'enseignement : la progression des dépenses réalisées par les collectivités territoriales pour l'équipement des établissements scolaires a été particulièrement forte jusqu'en 1991, reflétant certes la hausse des effectifs mais également la nécessité d'un rattrapage. À titre d'exemple, pour les régions, les dépenses réelles d'équipement des lycées sont passées de 130 millions d'euros en 1986 à 1.245 millions d'euros en 1993, alors que, parallèlement le droit à compensation passait de 57,5 millions d'euros à 203 millions d'euros. D'ailleurs, dans le cadre du plan d'urgence en faveur des lycées lancé en 1998 et destiné à permettre la réalisation de travaux de construction ou d'aménagement, l'État a dû se résoudre à aider les régions à souscrire une enveloppe de prêts de 609,8 millions d'euros. De même, le montant de la compensation versée aux régions en contrepartie des transferts de compétences en matière ferroviaire, généralisée par la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, ne tient pas compte des besoins d'investissement que les régions doivent satisfaire. Il convient également de souligner que le calcul du montant de cette compensation a été effectué à partir d'une étude réalisée par un cabinet privé six ans auparavant, ce qui permet de douter de sa pertinence.

Ces insuffisances en matière de compensation s'accompagnent d'une remise en cause du principe du financement prioritaire des transferts de compétences par la fiscalité. En effet, le financement budgétaire des transferts, qui devait en principe constituer un solde, est progressivement devenu la norme. Les nouveaux transferts ont été compensés non par des transferts de fiscalité, mais par une majoration de la dotation générale de décentralisation. Cela a notamment été le cas du transfert vers les régions de compétences en matière ferroviaire organisé par la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 précitée. De surcroît, l'assiette et le taux des impôts transférés ont été progressivement réduits. À titre d'exemple, peuvent être évoquées la diminution et l'unification des taux des droits de mutation ainsi que la réduction de l'assiette de la taxe sur les véhicules à moteur, impôts qui avaient été transférés aux départements par la loi de finances pour 1984 afin de compenser des transferts de compétences prévus par la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État.

Par ailleurs, les charges nouvelles ou transférées peuvent connaître des évolutions difficilement maîtrisables. La commission consultative sur l'évaluation des charges observe ainsi dans son rapport au Parlement pour 1999 que « les collectivités locales enregistrent des charges nouvelles sur lesquelles elles n'ont parfois aucune prise ».

À ce titre, l'exemple de la mise en place de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) est révélateur. Le dispositif, institué par la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 et dont le coût était alors estimé à 2,53 milliards d'euros, est entré en vigueur le 1er janvier 2002. Or, la montée en puissance du dispositif s'avère être plus rapide que prévu, dans la mesure où, dès 2003, les 800.000 bénéficiaires potentiels devraient la percevoir, nécessitant des recettes complémentaires pour un montant compris entre 1,1 milliard et 1,4 milliard d'euros. Étant donné la répartition actuelle du financement entre l'État et les départements, cette importante charge financière supplémentaire risque d'entraîner, dans certains départements, une augmentation très forte des impôts locaux. Ainsi, en l'absence d'intervention de l'État, le département de la Creuse devrait augmenter le produit de ses impôts locaux de 50 %. En effet, si l'État assure le tiers du financement par le biais du Fonds de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie dont les recettes sont constituées d'une part, d'une participation des régimes obligatoires de base d'assurance vieillesse et, d'autre part, d'une fraction du produit de la contribution sociale généralisée (0,1 point), les départements contribuent à hauteur des deux tiers au financement. La participation des départements, estimée initialement à 1,6 milliard d'euros, devait être alimentée à hauteur de 1,1 milliard d'euros par la réaffectation des ressources consacrées antérieurement à la prestation solidarité dépendance, à l'allocation compensatrice pour tierce personne et à l'aide ménagère, ainsi que par une économie réalisée sur l'aide à l'hébergement. Aussi, la brusque hausse des charges incombant aux départements risque de peser sur leurs budgets et de porter atteinte à leur autonomie financière.

Enfin, il faut rappeler que l'État incite fortement les collectivités locales à financer des dépenses qui relèvent de ses compétences, notamment en matière d'enseignement supérieur, avec le plan « Université du troisième millénaire » (U3M), et en matière de voirie, en particulier dans le cadre des contrats de plan État-régions. Depuis 1987, l'État a refusé de financer des dépenses qu'il prenait en charge auparavant, en matière de santé, de construction de routes ou de travaux sur les bâtiments universitaires.

Aucune disposition constitutionnelle ne pouvait empêcher de telles dérives. Le Conseil constitutionnel a reconnu que la loi pouvait mettre à la charge des collectivités territoriales des obligations et des dépenses, sans pour autant porter atteinte au principe de libre administration résultant de l'article 72 de la Constitution. Selon lui, seul serait constitutif d'une véritable entrave à la libre administration locale, le fait d'imposer des dépenses obligatoires effectivement insupportables pour les budgets locaux. C'est notamment le sens de la décision n° 2000-432 du 12 juillet 2000. Dans la décision n° 2001-447 du 18 juillet 2001 portant sur la loi relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie, le Conseil constitutionnel a décidé que tel n'était pas le cas dès lors que les collectivités territoriales concernées avaient un budget qui supportait déjà une grande partie des dépenses rendues obligatoires par la loi et que celle-ci avait prévu un mécanisme de compensation incluant notamment la possibilité pour les départements dont les dépenses pour l'APA dépassaient un certain seuil d'avoir recours au Fonds de financement en garantie à hauteur du dépassement.

L'article 6 du présent projet de loi constitutionnelle a donc pour objet d'aller plus loin et de mettre un terme aux dérives constatées en donnant une valeur constitutionnelle à des règles qui n'ont jusqu'à présent que valeur législative, et qui, par conséquent, ne peuvent lier le législateur, puisque ce qu'une loi a fait, une autre loi peut le défaire. Toutefois, si la reconnaissance constitutionnelle d'un droit à compensation lors de transferts ou de créations de compétences doit être saluée, il est impératif que le montant des ressources transférées fasse l'objet d'une évaluation récente, sincère et précise, tenant compte des besoins réels.

La commission instituée par l'article L. 1614-3 du code général des collectivités territoriales, chargée d'évaluer les charges imposées aux collectivités territoriales par les évolutions législatives et composée d'un président magistrat de la Cour des comptes et de représentants de chaque catégorie de collectivités territoriales doit jouer, dans cette perspective, un rôle essentiel, en toute indépendance.

C.- UNE PÉRÉQUATION INDISPENSABLE

1.- Une consécration constitutionnelle...

Le dernier alinéa de l'article 6 adopté par le Sénat dispose que « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à compenser les inégalités entre collectivités territoriales ».

Le mot central est clairement celui de « péréquation ». Technique, quoique ancien, peu élégant mais précis, il signifie : « égalité dans la répartition ». La péréquation vise à constituer un contrepoids à la compétitivité entre collectivités laquelle conduit à engendrer des cercles vicieux de déclin et des effets de domination. Elle constitue une traduction de la solidarité nationale.

Les mécanismes sont fondamentalement destinés à atténuer l'opposition entre d'une part le principe de liberté, affirmé au troisième alinéa de l'article 72 et au premier alinéa de l'article 72-2 de la Constitution tels que rédigés respectivement aux articles 4 et 6 du projet et, d'autre part, le principe général d'égalité, applicable aux personnes morales de droit public (32), affirmé à l'article 1er de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, le douzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 1er de la Constitution et, en creux, s'agissant des collectivités territoriales, le dernier alinéa de l'article 72-2 tel que proposé par l'article 6 du projet, au travers du mot « inégalités ».

Le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion, dans décision n° 91-291 DC du 6 mai 1991 relative au fonds de solidarité des communes de la région d'Île-de-France, d'affronter la difficulté de la compatibilité de la péréquation avec le principe de la libre administration des collectivités territoriales. La reconnaissance des mécanismes de la première devrait conduire à assouplir ses critères d'admission.

On relèvera que si l'article 138 de la Constitution espagnole reconnaît la nécessité pour l'État de garantir l'application effective du principe de « solidarité » en veillant aux équilibres économiques et si l'article 106 de la loi fondamentale allemande détaille scrupuleusement les mécanismes de péréquation (33), l'article 119 de la Constitution italienne comporte, depuis la loi constitutionnelle du 18 octobre 2001, le mot même de péréquation, puisqu'il institue un fonds « de péréquation », sans affectation prédéterminée, destiné aux « territoires à faible potentiel fiscal par habitant », l'État étant chargé de dégager des ressources supplémentaires en faveur du développement économique, de la cohésion et la solidarité sociales et de l'atténuation des déséquilibres économiques et sociaux.

La différence est qu'il nous est proposé de prévoir une péréquation non centrée exclusivement sur les ressources des collectivités territoriales. Le texte transmis diffère aussi sur ce point du projet de loi initial déposé au Sénat. En effet, celui-ci prévoyait une péréquation en vue de « corriger les inégalités de ressources entre les collectivités territoriales ». Il en résulte que les inégalités de charges et même les inégalités de situation géographique (insularité ou relief) et de revenu par habitant sont aujourd'hui autant visées par le texte adopté par le Sénat, la prise en compte de celles-ci pouvant pondérer le traitement des inégalités de ressources : il est en effet des collectivités qui ont des ressources supérieures à la moyenne nationale mais qui sont confrontées à des charges très importantes, en raison de leur population, du poids croissant de la gestion de leur personnel (34), de leurs équipements à développer ou à mettre aux normes. D'ailleurs, une étude du Commissariat général du Plan de 2001 (35) s'est appuyée sur le concept « d'équité territoriale » selon lequel la péréquation financière doit viser le potentiel fiscal réel entre collectivités, c'est-à-dire à égaliser d'une collectivité à l'autre le pouvoir d'achat d'un euro de potentiel fiscal. Ce potentiel fiscal réel peut être obtenu en divisant le potentiel fiscal nominal par un indice de « charges » représentatif du coût de fourniture des services publics locaux.

Votre Rapporteur note qu'il est difficile de viser explicitement dans la Constitution le « potentiel fiscal » : la notion, qui fait l'objet de l'article L. 2334-4 du code général des collectivités territoriales, n'est pas exempte de défauts. Elle dépend de l'évolution de la législation, des choix d'assiette fiscale, et donc ne correspond à aucune réalité immanente, incontestable. Elle n'est en rien synonyme de « richesse locale ». Elle ne traduit nullement le revenu réel des ménages. Actuellement, comme l'a relevé une étude récente effectuée pour le Commissariat général du Plan (36), les exonérations, pour l'essentiel compensées par l'État, ne sont quasiment pas comptabilisées. L'indicateur ignore les taxes indirectes, les produits domaniaux, et ne prend pas en compte la correction partielle des disparités primaires de bases d'imposition sur les entreprises réalisée par le fonds national de péréquation. Enfin, les évaluations cadastrales de 1966 ou de 1970, qui servent au calcul des loyers fiscaux, paraissent singulièrement vieillies. Le potentiel fiscal légal ne retracerait que les deux tiers de la capacité de mobilisation locale des ressources courantes des communes.

Bien entendu, il ne peut être non plus fait référence à la « correction » totale ou parfaite des disparités de situation financière des collectivités territoriales. La référence à la « compensation », plus souple, a donc été préférée et à juste titre. Si on corrige des « erreurs », on ne peut que « compenser » des « inégalités ».

Il n'est pas dit, par ailleurs, que la péréquation est seule à assurer la compensation des inégalités. La disposition proposée laisse ainsi toute leur place à d'autres outils tels que les dotations et surtout la politique d'aménagement du territoire (zonages, contrats de plan État-régions).

Enfin, s'il n'est pas fait références aux « catégories de collectivités territoriales », c'est pour préserver les mécanismes de solidarité géographiques, comme ceux existants en Île-de-France, et les dispositifs verticaux.

L'ensemble du dernier alinéa de l'article 6 du projet de loi consacre donc une politique sans fixer de cadre trop rigide.

2.- ...qui invite à réformer les instruments actuels de la péréquation

Les instruments financiers actuels de la péréquation sont nombreux, excessivement complexes et d'une efficacité limitée.

Ils peuvent être rangés en trois catégories :

a) La dotation globale de fonctionnement. Premier concours de l'État aux collectivités territoriales, enveloppe fermée et normée on l'a dit, prenant sa source dans un prélèvement sur recettes (18,87 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2003), elle est composée :

· d'une dotation des communes (15 milliards d'euros en 2002) divisée en une dotation forfaitaire (13 milliards d'euros en 2002) et une dotation d'aménagement (2 milliards d'euros), elle-même divisée en trois enveloppes :

- la dotation d'intercommunalité (1,6 milliards d'euros en 2002) versée aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre et dont le montant établi en premier laisse un solde destiné aux deux dotations suivantes ;

- la dotation de solidarité urbaine (592,7 millions en 2002) ;

- la dotation de solidarité rurale (400 millions d'euros en 2002).

· d'une dotation pour les départements répartie en une dotation forfaitaire et une dotation de péréquation.

b) Les fonds de péréquation. On distingue :

- les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle qui ont pour but, lorsqu'il existe dans une commune un établissement dit « exceptionnel », c'est-à-dire dont les bases par habitant sont supérieures à deux fois la moyenne nationale des bases par habitant, de répartir le produit correspondant aux bases supérieures à deux fois la moyenne nationale entre les autres communes du département. Ces fonds, alimentés par un prélèvement sur les ressources de taxe professionnelle des communes disposant d'établissements exceptionnels, permettre une péréquation au plan local. Ils sont gérés par les conseils généraux.

- les fonds nationaux de péréquation (1,02 milliards d'euros en 2002). Le fonds national de péréquation de la taxe professionnelle est alimenté par une dotation de l'État, destinée notamment au financement d'une dotation de développement rurale, des cotisations de péréquation de taxe professionnelle versées par les entreprises, et, jusqu'en 2002, par une part du produit des impôts locaux payés par La Poste et France Télécom et versés à l'État. Le fonds national de péréquation est, quant à lui, alimenté par le fonds précédent, dont il renforce le caractère péréquateur, et le budget de l'État. Ces fonds versent des attributions aux communes mal dotées en bases fiscales et répondent à une logique verticale de correction des inégalités intercommunales.

c) Les mécanismes de solidarité financière entre collectivités. Il s'agit du fonds de solidarité des communes de la région d'Île-de-France, destiné à compenser la faiblesse de l'intercommunalité dans la région, de la dotation de fonctionnement minimale des départements et du fonds de correction des déséquilibres régionaux qui prélèvent une partie des recettes fiscales de collectivités « riches » pour les redistribuer, en fonction de critères fixés par la loi, à des collectivités moins « favorisées ».

Les efforts en faveur de la péréquation se sont accrus ces dernières années, les dispositifs devenant de plus en plus complexes, sans toutefois parvenir à réduire les « inégalités ».

Le rapport du groupe de travail du Comité des finances locales consacré à la péréquation, de juillet 2000, évaluait à près de 13% la place de la péréquation au sein de la dotation globale de fonctionnement. En reprenant la méthodologie retenue par ce rapport, la place de la péréquation au sein de l'ensemble des concours de l'État aux collectivités locales peut être estimée en 2001 à près de 16%.

L'effort global de l'État en faveur de la péréquation s'est élevé, en 2002, à 4,13 milliards d'euros, soit 7,4% des 56 milliards de dotations versées par l'État aux collectivités locales.

Cet effort est principalement porté sur la dotation d'intercommunalité, qui représente à elle seule 40% des crédits alloués au titre de la politique de péréquation. Mais l'évolution de la dotation d'intercommunalité s'est faite au détriment des autres composantes de la dotation globale de fonctionnement : depuis 1996, le montant du solde de la dotation d'aménagement, qui finance les dotations de solidarité urbaine et rurale, a progressé moins vite que la dotation d'aménagement elle-même, en raison du poids croissant des crédits destinés au financement de l'intercommunalité. Depuis la mise en place de l'enveloppe normée, c'est-à-dire de 1996 à 2002, la dotation d'aménagement a progressé en moyenne de 67,5%, alors que la dotation d'intercommunalité a augmenté de plus de 132%.

Alors, afin d'accroître le montant des dotations de solidarité et de « contrer » les effets du coût croissant de l'intercommunalité, depuis 1999, les lois de finances abondent régulièrement les dotations de solidarité urbaine et rurale. Ce devrait être encore le cas cette année puisque le projet de loi de finances pour 2003 prévoit de nouvelles majorations.

Les abondements représentent ainsi, depuis 2000, autour de 30% du montant total de la dotation de solidarité urbaine. Les contributions ont même permis d'afficher un montant de dotation en constante progression depuis 1996 puisqu'elle a augmenté de plus de 83%, alors que son taux d'évolution « naturel » aurait été de 41,60%.

S'agissant de la dotation de solidarité rurale, les abondements et contributions, en augmentation constante depuis 1996, représentent désormais près de 20% de son montant total.

Mais, pour nécessaires qu'ils soient, les abondements nuisent à la lisibilité des mécanismes de répartition de la dotation globale de fonctionnement et, en raison de l'incertitude qui pèse chaque année sur leur reconduction, rendent difficile pour les collectivités locales concernées la prévision concernant l'évolution de leurs ressources.

Quant aux deux fonds nationaux de péréquation, le fonds national de péréquation de la taxe professionnelle et le fonds national de péréquation, leurs moyens ont décliné, une partie des ressources du fonds national de péréquation de la taxe professionnelle étant reversé à l'État.

Au sein des dépenses des fonds, seules la part principale du fonds national de péréquation visant à corriger les insuffisances de potentiel fiscal, ainsi que la majoration destinée à réduire les écarts de potentiel fiscal de la taxe professionnelle, ont une vocation exclusivement péréquatrice. Or, ces crédits ne représentent qu'un peu plus de la moitié des dépenses des fonds et ont tendance à décroître : ces dotations représentaient 53,11% des dépenses des deux fonds en 2002, contre 55,61% en 1999.

Le caractère insuffisamment péréquateur des dépenses des deux fonds s'explique par les charges nouvelles qui incombent au fonds national de péréquation de la taxe professionnelle depuis 1999.

Selon les informations recueillies par notre collègue Marc Laffineur, Rapporteur spécial des crédits destinés aux collectivités territoriales, le manque à gagner pour les actions à vocation péréquatrice des deux fonds s'élève à 188 millions d'euros en 2002, nécessitant des dotations supplémentaires (dotation France Télécom et abondements budgétaires).

L'efficacité de l'ensemble des techniques de péréquation décrit brièvement ci-dessus, aux montants somme toute réduits, n'a pas empêché les inégalités entre régions françaises de stagner, alors que les inégalités entre pays de l'Union européenne tendent à se réduire. Le produit intérieur brut par habitant au Languedoc-Roussillon (17.827 euros par an, en 2000) reste inférieur de moitié à ce qu'il est dans la région d'Île-de-France (35.946 euros), le produit intérieur brut total de celle-ci atteignant 28,6 % du produit intérieur national, contre 0,4 % pour la Corse. L'étude précitée effectuée pour le Commissariat général du Plan indique d'ailleurs que les transferts (16,77 milliards d'euros en 1997) n'ont réduit les inégalités de potentiels fiscal des communes que de 30 % en 1997. Elle précise que les dispositifs d'écrêtement de taxe professionnelle n'ont corrigé que très partiellement les inégalités primaires observées : après un premier écrêtement au niveau départemental, les inégalités entre communes en matière de richesse fiscale varient encore de 1 à 908.

Il convient d'ajouter que les dégrèvements d'impôts locaux, pris en charge par l'État, dont on a évoqué le poids croissant (8,97 milliards d'euros en 1998 et 9,56 milliards d'euros en 2003), n'ont pas d'effets péréquateurs. Les données de 2001 relatives à la taxe d'habitation font ainsi apparaître des taux de dégrèvements singulièrement inégalitaires, faibles dans des départements modestes comme les Hautes-Alpes (7,9 %), élevés dans d'autres comme la Seine-Saint-Denis (30,7 %).

Il conviendra donc d'innover afin de dégager de nouveaux moyens pour la péréquation et tenir compte des revenus par habitant.

La révision constitutionnelle, qui garantit l'autonomie financière des collectivités territoriales, justifiant ainsi d'autant les mécanismes de péréquation, devrait fixer un cadre incitatif. Un cadre démontrant notre souci de solidarité.

EXAMEN EN COMMISSION

Votre commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan a procédé à l'examen pour avis, sur le rapport de M. Pierre Méhaignerie, Rapporteur pour avis, des articles 3 et 6 du projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République (n° 369), au cours de sa séance du mercredi 13 novembre 2002.

Votre Rapporteur pour avis, a tout d'abord souligné que malgré un calendrier serré, il était heureux que la commission des Finances ait jugé nécessaire de se saisir pour avis des articles 3 et 6 du projet. Au Sénat, plusieurs orateurs ont déploré que la commission des finances ne se soit pas prononcée sur le texte, compte tenu de ses lourdes implications financières.

Les deux articles, objets de l'avis, font partie d'une réforme constitutionnelle d'ampleur qui devrait rapprocher la France de ses voisins, ceux-ci s'étant engagés depuis longtemps dans une décentralisation accrue.

Il s'agit en effet de conférer aux collectivités territoriales, au sein de la Constitution, toute la place qui doit leur revenir. Il convient non seulement de tenir compte des lois de décentralisation de 1982 et 1983, mais aussi de permettre la relance de la décentralisation et les évolutions indispensables, le processus engagé il y a vingt ans ayant été largement battu en brèche par des lois ultérieures, notamment par la suppression régulière d'impôts locaux, remplacés de manière plus ou moins pertinente, par des dotations, l'État devenant progressivement le « premier contribuable local ».

La réforme qui est proposée doit accompagner celle de l'État. L'une ne va pas sans l'autre. Les transferts de compétences en faveur des collectivités territoriales devront donc, non seulement être accompagnés de transferts de ressources, mais aussi d'un allégement réel des tâches de l'État. Le double mouvement est essentiel si l'on veut maîtriser la dépense publique et, partant, le niveau des prélèvements obligatoires. La recherche de simplifications administratives et la réduction des empilements de structures devront être menées parallèlement.

Dans cette perspective, les avancées proposées dans le projet de loi sont notables : l'affirmation du principe de l'organisation décentralisée de la République, la création du droit à l'expérimentation, la reconnaissance constitutionnelle des régions, l'instauration de la faculté de supprimer des échelons de collectivités territoriales au profit de nouvelles collectivités, l'inscription dans la Constitution de la nécessité d'adapter les compétences aux niveaux qui conviennent, le renforcement des possibilités d'expression démocratique locale lequel devrait permettre d'améliorer le contrôle des citoyens et de renforcer le sens des responsabilités des élus, et enfin l'assouplissement du cadre constitutionnel des collectivités d'outre-mer autorisant, notamment, l'institution d'assemblées délibérantes uniques pour les départements et régions d'outre-mer et l'adaptation de la législation outre-mer par la voie d'ordonnances.

Mais il convient que la Commission s'attache plus particulièrement aux articles 3 et 6 du projet. Le premier crée une catégorie de projets de loi particulière - les projets de loi ayant pour « principal objet » la libre administration des collectivités territoriales, leurs compétences ou leurs ressources - et institue un droit de priorité du Sénat pour leur examen. Le second a trait à l'autonomie financière des collectivités territoriales. Les deux articles semblent perfectibles, sans remise en cause de l'architecture générale du dispositif.

M. Jean-Pierre Balligand a contesté que l'on puisse parler de « grand texte » à propos de ce projet de loi constitutionnelle. Il s'agit en réalité d'une addition de truismes : « l'organisation décentralisée » à laquelle il est fait référence existe depuis les lois « Defferre » de 1982 et 1983, complétées par les lois de 1985, 1992 et 1999. Quant au droit à l'expérimentation en matière de transfert de compétences, ce n'est en rien une nouveauté, comme l'atteste l'exemple du transport ferroviaire régional, désormais entièrement régionalisé. Il y avait des lois bavardes. Il y a maintenant un projet de loi constitutionnelle bavard : on atteint le sommet de l'absurdité législative française. L'article 3 pose un problème de principe, car il revient à admettre l'existence d'un mandat impératif de représentation des collectivités territoriales au profit du Sénat. L'assemblée représentant, en tant que telle, les collectivités locales, aurait préséance par rapport à l'assemblée directement élue par le peuple. Rien n'empêche le Gouvernement, s'il le souhaite, de déposer des projets de loi en premier lieu sur le bureau du Sénat, ce qui est bien différent de l'inscription d'un mandat impératif dans la Constitution. On peut s'étonner que des députés soient prêts à l'admettre, alors que par ailleurs, on interdit jusqu'à l'accès des groupes de pression aux couloirs de l'Assemblée, au nom de la prohibition des mandats impératifs.

Par ailleurs, ce texte est étonnamment dépourvu de véritable dessein politique. Or un partage du pouvoir ne s'improvise pas, comme l'ont montré les précédents des lois de 1992 et 1999. Sur le plan financier non plus, aucune perspective n'est tracée. Tout transfert de compétence doit pourtant désormais s'accompagner d'un basculement d'une partie de la fiscalité vers les collectivités locales, tant il est évident que les limites de la fiscalité locale actuelle ont été atteintes. Il importe donc de préciser de telles orientations dans le projet de loi, alors que le renvoi aux lois ou aux lois organiques se fait sans aucune connaissance de leur futur contenu.

M. Charles de Courson a rappelé l'attachement traditionnel du groupe UDF à la décentralisation, qui emporte donc un soutien logique au projet de loi constitutionnelle. Cependant, s'il faut reconnaître l'importance du droit à expérimentation que contient ce texte, il faut aussi souligner que beaucoup de compétences peuvent être transférées sans expérimentation. Le cas des routes nationales, dont la Marne, par exemple, s'est vu transférer, depuis 1972, 1.200 kilomètres sur 1.600, l'illustre parfaitement. Par ailleurs, il paraît raisonnable de prévoir un droit d'option en cas de transfert de compétence.

À propos de l'article 6, il est de tradition française, tradition d'ailleurs partagée par la majorité comme par une partie au moins de l'opposition, même si elle a parfois été malmenée, que l'autonomie fiscale des collectivités locales est la contrepartie naturelle de la responsabilité des exécutifs devant l'électeur. Or la fiscalité locale est aujourd'hui totalement obsolète. Aucun gouvernement n'a eu le courage de réformer les assiettes des impôts locaux, alors que les bases de la taxe d'habitation et des taxes sur le foncier bâti et non bâti sont plus que dépassées. Même si d'autres systèmes existent à l'étranger, il faut s'en tenir à cette tradition d'une imposition dont l'assiette et les taux relèvent de niveaux de décision locaux. Mais pour ce faire, l'instauration d'un impôt moderne pour remplacer taxe d'habitation et taxe sur le foncier bâti est indispensable ; il pourrait s'agir, comme l'a suggéré le Comité des finances locales, de fixer un taux additionnel à l'assiette de la CSG, solution qui présenterait l'avantage d'éviter les manipulations, et de faire contribuer 90 % des Français, qui ressentiraient ainsi très directement la nécessité de la contribution publique. En outre, elle serait compatible avec la réglementation communautaire, ce qui n'est pas le cas d'un transfert de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, laquelle ne peut qu'être partagée avec l'État. Ce projet de loi devra donc s'accompagner d'un véritable volet fiscal, et surtout pas d'un aménagement du système actuel des dotations. Un consensus sur ce point est nécessaire et possible.

M. Augustin Bonrepaux s'est montré dubitatif quant à la pertinence d'une révision constitutionnelle pour atteindre les objectifs poursuivis. Pourquoi ne pas commencer par tenir les engagements contenus dans la loi de 1994, dite « loi Pasqua », qui prévoyait une mise en place de la péréquation entre collectivités locales avant 1996, et la révision des bases locatives avant 1997 ? Si cela n'a pas été réalisé, en quoi l'inscription de ces principes dans la Constitution changera-t-elle cet état de choses ? Entend-on charger le Conseil constitutionnel de vérifier la qualité de la péréquation qui sera mise en place ? L'expérimentation rendue possible par le projet de loi doit être encadrée, afin de la rendre applicable, dans des conditions identiques, pour toutes les collectivités locales, faute de quoi les inégalités existantes s'aggraveront. Quant aux transferts de compétence, ils devront faire l'objet d'une évaluation financière précise, et révisable périodiquement. Une commission pourrait en être spécialement chargée, à l'image de celle qui était prévue par une disposition de la « loi Pasqua » de 1994, restée lettre morte. La question de la fiscalité est effectivement primordiale, et il est réjouissant de constater que l'UDF rejoint le groupe socialiste pour souhaiter la prise en compte du revenu dans la fiscalité locale, comme il l'a fait pour la taxe d'habitation. La CSG est à cet égard une piste possible. Une contradiction flagrante figure dans le projet de loi : alors que le début du 1er alinéa de l'article 72 proposé pérennise l'existence de certaines collectivités territoriales, la seconde phrase du même alinéa permet leur disparition. Ainsi, pourra-t-on supprimer le département, alors qu'il est mentionné dans la Constitution. Enfin, l'intercommunalité est réduite à la portion congrue, ce qui présente un danger de recul par rapport aux progrès récemment accomplis.

M. François Goulard, Président, a rappelé que la Commission est saisie des seuls articles 3 et 6, le reste du texte relevant d'un débat en séance publique.

M. Marc Laffineur a souligné qu'il était essentiel de rester vigilant sur les conditions du transfert de compétences aux collectivités locales et surtout sur les modalités de financement de ces transferts. On a souvent pu faire le constat, notamment lors des transferts de compétences de 1982 concernant les lycées et les collèges, d'une absence de financement adapté et suffisant. Ce risque doit être évité à l'occasion de cette loi, qui est une grande loi parce qu'elle témoigne d'un changement de culture. Ce changement est illustré par la modification de l'article 1er de la Constitution mentionnant l'organisation décentralisée de la République. Il doit être possible de transférer des impôts nationaux. Il est important de commencer par le vote de cette loi pour pouvoir ensuite mettre en œuvre une décentralisation effective.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a précisé qu'il était important de s'interroger sur les recettes fiscales et autres ressources propres mentionnées à l'article 6 du projet de loi constitutionnelle, et notamment sur la notion de « part déterminante de l'ensemble de leurs ressources ». Comment appréhender les éventuels transferts d'impôts aux collectivités territoriales ? Jusqu'à présent, les réformes de la fiscalité locale se sont faites principalement par deux biais. D'une part, des fractions d'impôts locaux ont été transformées en dotations, et l'on estime que le taux d'autonomie fiscale des collectivités locales est passé de 60 % à 40 % et qu'il atteint seulement 25 % en Île-de-France. D'autre part, des exonérations et des dégrèvements ont souvent été accordés. Il ne faut pas non plus oublier les très nombreux transferts de région à région. L'exemple du plafonnement de la taxe additionnelle à la valeur ajoutée rappelle que le financement des mesures concernant la fiscalité locale repose souvent in fine sur le contribuable national. Or, lorsqu'il était possible de s'attaquer aux enjeux véritables, comme celui de la révision des valeurs locatives, le courage a manqué. Aujourd'hui, il est certainement nécessaire de procéder à des transferts d'impôts d'État. Mais ces transferts doivent se faire dans des conditions équitables. Ainsi, la réforme de la TIPP en Corse l'an dernier s'est traduite par la rétrocession d'une fraction de l'impôt sous forme de dotation, ce qui n'engendre pas une véritable décentralisation. Mais les autres voies de réforme de la fiscalité locale encourent, la plupart du temps, un risque d'incompatibilité avec les principes et les normes communautaires. S'agissant de la contribution sociale généralisée, aucun problème d'eurocompatibilité ne s'est, certes, posé. Mais il ne faudrait pas que le thème de la décentralisation s'inscrivît uniquement dans une logique d'accroissement de la pression fiscale, qui aurait à terme pour effet inévitable de rendre impopulaires les réformes décentralisatrices. L'article 6 du projet de loi constitutionnelle, en mentionnant la notion de « péréquation destinée à compenser les inégalités entre collectivités territoriales », ouvre un vaste chantier. La suppression de la part salariale de la taxe professionnelle a été une réforme totalement anti-péréquatrice, parce qu'elle a asséché le Fonds de compensation de la taxe professionnelle et parce que les inégalités de richesse entre les collectivités territoriales ne se sont pas modifiées. En Île-de-France, on observe même une corrélation anti-péréquatrice : les collectivités qui bénéficient de la dotation globale de fonctionnement la plus forte sont également celles qui ont le potentiel fiscal le plus élevé. Aussi, si l'objectif du projet de loi constitutionnelle est éminemment louable, sa constitutionnalisation devra nécessairement se traduire par son application effective.

M. Michel Bouvard s'est interrogé sur le bien-fondé de l'article 3 du projet tendant à soumettre en premier lieu au Sénat les projets de loi ayant pour « principal objet » la libre administration des collectivités territoriales et ceux relatifs aux instances représentatives des Français établis hors de France. On peut s'étonner de cette primauté donnée au Sénat. Seule l'Assemblée nationale est élue au suffrage universel direct et le mode d'élection des sénateurs permet de s'interroger sur la place du Sénat dans la Constitution.

M. Augustin Bonrepaux a manifesté son plein accord avec le sens de cette interrogation.

M. Michel Bouvard a souligné que la notion de péréquation ne le choquait pas, mais qu'il était impératif de prendre en considération non seulement l'ensemble des ressources, mais également l'ensemble des charges des collectivités territoriales. Il ne faut plus se fonder sur les seuls potentiels fiscaux, mais inclure les différences de charges entre collectivités. L'exemple du financement des logements sociaux montre que le législateur peut créer des mécanismes qui s'avèrent ensuite impossibles à financer.

M. Jean-Pierre Brard a indiqué que le projet est un texte flou et très vague. Au contraire, son exposé des motifs est long et précis. Mais ce dernier n'engage guère que son auteur, et les certitudes quant à l'application de telles intentions ont la pérennité d'une bulle de savon : il faut se rappeler que seul le texte de la loi constitutionnelle aura une valeur juridique. Le Président Jean-Louis Debré a eu l'occasion de faire part de ses réticences sur ce projet, ce qui est un signe fort au vu de l'héritage politique qu'il incarne. Ce texte n'ouvre-t-il pas la voie à l'Europe des régions et au développement de l'idée fédérale en Europe ? Le principe de subsidiarité est très vaguement défini dans le projet, notamment s'agissant des relations entre l'État et les collectivités territoriales. Bref, ce texte apparaît comme un blanc-seing qui ne permettra pas de progresser vers la décentralisation. Le risque encouru est celui d'une crise idéologique majeure, dans la mesure où si le Président de la République tient effectivement l'ensemble de ses engagements électoraux, la mise en œuvre de ces derniers se traduira par une grave crise financière, partiellement occultée par une décentralisation qui ne sera qu'un transfert de charges.

M. Jean-Yves Chamard a indiqué son désaccord avec l'opinion du Premier ministre selon laquelle le problème de la charge financière de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) pour les collectivités territoriales ne se poserait plus. L'APA n'est pas une compétence nouvelle des départements, mais résulte de la transformation d'un mécanisme existant. L'article 6 est, à cet égard, insuffisamment précis.

M. François d'Aubert a commenté trois articles du projet. Il a considéré que la priorité accordée au Sénat par l'article 3 pour examiner certains textes n'avait pas de raison d'être, même s'il ne s'agit pas d'un point essentiel du projet de loi constitutionnelle. L'article 4 contient une curiosité juridique puisque le représentant de l'État n'est pas à proprement parler « dans » le ressort des collectivités territoriales de la République. Il n'y a pas de représentant de l'État dans les communes, par exemple. Enfin, s'agissant de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales prévue à l'article 6, les propositions de M. Charles de Courson aboutiraient à alourdir l'impôt sur le revenu, même si la CSG n'est pas progressive. L'idée d'un transfert d'un impôt d'État important est plus séduisante. Le transfert, plutôt qu'un impôt additionnel, d'un impôt comme la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), permettrait de contenir le risque d'une augmentation des prélèvements obligatoires et de limiter les dépenses de l'État, ainsi privé de ressources.

En quatre ou cinq ans, on devrait pouvoir passer d'une TIPP nationale à une TIPP locale, ce délai permettant de déterminer l'enveloppe destinée à la décentralisation. Il faut éviter le risque d'ajouter à la fiscalité d'État non transférée un nouveau développement de la fiscalité locale, afin de contenir les prélèvements obligatoires.

M. Didier Migaud, après avoir estimé que le projet de loi constitutionnelle n'ajoutait quasiment rien à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, a souligné qu'il n'existait pas de lien entre l'autonomie fiscale et la réalité des pouvoirs exercés au niveau local, comme le montre l'exemple des autres pays européens. Cela étant, il faut une fiscalité locale. Elle responsabilise les élus. Le fait qu'elle soit déterminante ou prépondérante n'est pourtant pas primordial, la jurisprudence du Conseil constitutionnel ayant déjà tranché en faveur d'une place déterminante. Le texte consacre le marché de dupe qui est régulièrement passé entre l'État et les collectivités territoriales lorsqu'il y a transfert de compétences, les compétences transférées se révélant plus coûteuses que prévues. Le projet risque à terme d'augmenter la dépense publique, dans la mesure où le rapprochement du lieu de décision coûte en général plus cher qu'une décision centralisée, comme le montre l'exemple des collèges. Il s'agit donc d'un texte préoccupant, car il consacre la pratique du Gouvernement consistant à transférer des compétences aux collectivités locales sans les moyens afférents.

L'article 3 est particulièrement critiquable car, en dépit du fait que l'Assemblée nationale conserve le droit de statuer définitivement, il laisse à penser que le Sénat serait plus légitime que l'Assemblée nationale pour examiner les textes relatifs à la libre administration des collectivités territoriales, idée que l'amendement de votre Rapporteur pour avis conforte en maintenant le droit de priorité que s'est octroyé le Sénat. Or, le Sénat n'est pas une assemblée élue au suffrage universel direct par le peuple souverain. Le fait que le Premier ministre ait été sénateur ne doit pas conduire à admettre cet article, faute de quoi l'Assemblée nationale perd toute dignité.

Votre Rapporteur pour avis, a apporté les précisions suivantes :

- sur l'article 3, l'amendement déposé en restreint la portée par l'insertion du mot « exclusif » et la suppression du mot « ressources » qui permettent de définir plus précisément le champ des textes concernés par le droit de priorité du Sénat, et préserve dans le cas qu'il a cité le droit d'amendement par sa référence à l'article 44 de la Constitution ;

- l'appréciation de M. Didier Migaud sur la réforme constitutionnelle et la jurisprudence du Conseil constitutionnel n'est pas juste car la première va au-delà de la seconde. Elle empêche tout retour en arrière par un effet cliquet ;

- il faut donner une base juridique au dispositif de l'expérimentation, qui est fragile compte tenu du principe d'égalité. On l'a constaté lors du débat sur le dernier projet de loi relatif à la Corse. Les critiques de l'actuelle opposition sur l'expérimentation y avaient été moins marquées ;

- la mise en œuvre de l'expérimentation nécessite effectivement des transferts de blocs de compétences. Par contre, elle devrait être élargie à d'autres domaines comme le logement, la santé ou le sport, pour tester la réforme avant de la généraliser. C'est là une voie de modernisation de l'État qui permet de surmonter d'abord les appréhensions, puis de mettre en oeuvre la réforme ;

- l'idée selon laquelle la fiscalité locale aurait toutes les vertus et l'État tous les vices est exagérée. La maîtrise des dépenses publiques vaut en effet aussi pour les collectivités locales, comme cela a pu être rappelé lors de l'assemblée des présidents des communautés de communes et des communautés d'agglomérations, parfois contre l'avis des personnes présentes. Le procès fait à l'État qui transférerait les compétences sans transférer les moyens est fondé mais le constat inverse l'est aussi : l'État a pris en charge 60 milliards d'euros de dégrèvements, ce qui  conduit parfois à remettre en cause les efforts de péréquation. Dans les Alpes-Maritimes, le dégrèvement de la taxe d'habitation est en effet pris en charge par l'État à hauteur de 450 francs par habitant, contre seulement 59 francs en Lozère. Plus la collectivité locale connaît des niveaux d'imposition élevés, plus l'État prend à sa charge des dégrèvements. Il y a donc des marges de redéploiement possibles ;

- il existait dans la loi « Pasqua » une exigence de péréquation qui n'a pas été mise en œuvre. Le fait que cet objectif soit inscrit dans le projet lui confère désormais une solidité qui ne résultait pas de la loi et conduira le législateur à une obligation de résultat ;

- c'est le Parlement qui habilite et évalue les propositions d'expérimentation des collectivités locales, mais l'avenir de ces expérimentations dans trois ans est incertain : on ne sait pas s'il faudra les annuler, les prolonger, les pérenniser ou avoir recours à une loi cadre, laissant aux collectivités les modalités d'application. Une autre solution aurait consisté à accepter la diversité des situations, comme par exemple pour l'Alsace, mais cette possibilité semble exclue par le Gouvernement soucieux du maintien de l'unité de la République ;

- le Gouvernement n'avait pas d'autre solution sur la question de l'intercommunalité, car ces collectivités ne sont pas élues au suffrage universel et ce principe d'élection ne serait pas accepté aujourd'hui ;

- sur la péréquation, le débat doit avoir lieu : la notion pourrait être étendue à la péréquation en fonction du revenu par habitant ;

- sur la subsidiarité introduite dans l'alinéa 2 de l'article 4, le Gouvernement ne pouvait guère aller plus loin ; un texte plus précis aurait accru les pouvoirs d'appréciation du Conseil constitutionnel ;

- l'article 6 précise que toute création de nouvelles compétences doit recevoir les ressources correspondantes par une loi. L'Allocation personnalisée d'autonomie (APA) constitue-t-elle une nouvelle compétence ou une extension de compétences ? L'absence de réponse certaine à cette question mérite en effet que le texte soit précisé sur ce point ;

- l'analyse de M. Didier Migaud est valable au niveau européen, mais il reste que les collectivités ont le sentiment que les impôts supprimés - la vignette, le droit de mutation, la taxe d'habitation et la part salariale de la taxe professionnelle - avaient un plus grand potentiel de croissance que les dotations. C'est donc un progrès de vouloir inscrire certains éléments dans la Constitution.

Article 3 : Dépôt en premier lieu au Sénat des projets de loi ayant pour principal objet la libre administration des collectivités territoriales

M. Jean-Pierre Brard a présenté un amendement de suppression de cet article, jugeant le droit de priorité reconnu au Sénat totalement illégitime.

M. Charles de Courson a rappelé que la priorité donnée à l'Assemblée nationale pour l'examen des projets de loi de finances se fondait sur l'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le Sénat ne représentant pas la Nation mais les collectivités territoriales. Dès lors, la référence à des projets de loi ayant pour « principal objet » les ressources des collectivités territoriales pose problème et pourrait avoir des répercussions sur le contenu même des projets de loi de finances. Plus généralement, la définition des projets de loi entrant dans le champ de l'article 3 demeure particulièrement floue, étant donné l'imprécision de la formule « principal objet ». Dès lors, l'amendement présenté par votre Rapporteur pour avis est de nature à résoudre toute difficulté d'interprétation.

Votre Rapporteur pour avis, a rappelé que l'article 3 avait trait au droit de priorité dont disposerait le Sénat s'agissant de certains projets de loi relatifs aux collectivités territoriales : sont visés les projets de loi ayant pour principal objet la libre administration des collectivités locales, leurs compétences ou leurs ressources. Il apparaît que la rédaction issue du Sénat poserait plusieurs difficultés procédurales.

Le Rapporteur pour avis s'est d'abord interrogé sur l'opportunité d'admettre cette priorité donnée au Sénat, même s'il est vrai qu'il existe une tradition selon laquelle le Sénat, qui représente les collectivités territoriales en application de l'article 24 de la Constitution, est saisi en premier lieu des projets les concernant. Il est vrai que cette tradition a été parfois démentie dans le passé, par exemple pour les lois du 2 mars 1982, du 6 février 1992 et du 4 février 1995. Le texte adopté par le Sénat est loin d'être sans portée, car il risque de limiter le droit d'amendement du Gouvernement, voire des députés. En effet, depuis une décision de principe du 28 décembre 1976, le Conseil constitutionnel a jugé que les amendements du Gouvernement à un projet faisant l'objet du droit de priorité et présentant un caractère entièrement nouveau devaient respecter ce droit de priorité et ne pouvait donc être déposés devant la Chambre saisie la deuxième.

Par ailleurs, le champ d'application du droit de priorité n'est pas défini avec précision. La notion de « principal objet » conduirait à appliquer le droit de priorité à des dispositions qui ne relèveraient pas de la libre administration des collectivités locales, dès lors qu'elles seraient présentées dans un projet de loi qui entrerait, à titre principal, dans le champ de l'article 3. La définition des projets ayant pour « principal objet » la libre administration des collectivités locales est particulièrement floue. Si ce flou devait être maintenu, il ferait courir un risque constitutionnel sur toute procédure parlementaire entamée à l'Assemblée nationale. De même, il ne paraît pas opportun de faire référence aux ressources des collectivités locales pour définir le champ de l'article 3, car celles-ci entrent de facto, chaque année, dans le champ des lois de finances.

M. Jean-Pierre Balligand s'est étonné que le raisonnement implacable du Rapporteur ne le conduise pas à proposer la suppression de l'article 3 et qu'il se contente de ne présenter qu'un amendement de repli. Or, il est hors de question de capituler, l'Assemblée nationale étant la seule détentrice de la souveraineté populaire issue du suffrage universel. Si les projets de loi de MM. Gaston Deferre ou Pierre Joxe avaient dû être déposés d'abord au Sénat, ils n'auraient sans doute jamais été adoptés, subissant ainsi un sort identique au projet présenté sous la présidence de M. Valéry Giscard d'Estaing par M. Christian Bonnet, texte qui a été enterré au Sénat.

M. Charles de Courson s'est interrogé sur la rédaction de l'amendement de votre Rapporteur pour avis et notamment sur le sens qu'il fallait donner à l'expression « principes fondamentaux de leurs compétences ». De même, il s'est interrogé sur le point de savoir si la question des ressources des collectivités territoriales ne figurait pas parmi les principes fondamentaux de leur libre administration, comme semble l'indiquer la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

M. François Goulard, Président, a indiqué que l'amendement s'inspirait de la rédaction de l'article 34 de la Constitution. Par ailleurs, le fait que cet article mentionne, dans un alinéa différent, les impositions de toutes natures répond à la deuxième interrogation de M. Charles de Courson : le fait de supprimer la référence aux ressources a bien une portée sur les lois relatives à la fiscalité locale.

M. Jean-Yves Chamard a jugé que la rédaction de l'amendement était astucieuse, donnant satisfaction au Sénat tout en préservant les prérogatives de l'Assemblée nationale.

Votre Rapporteur pour avis, a indiqué que l'amendement qu'il présente apporte trois modifications dont il ne faut pas sous-estimer l'importance.

M. Didier Migaud s'est refusé à tout compromis sur les dispositions de l'article 3.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a reconnu que l'article 3 constituait une innovation dont l'Assemblée nationale se serait sans doute passée. Si l'amendement ne répond pas à la question de principe soulevée par le groupe socialiste, il apporte cependant des garanties fondamentales, puisqu'il préserve le droit d'amendement des députés en toutes circonstances et restreint le champ d'application du droit de priorité.

M. Yves Deniaud s'est associé aux remarques du Rapporteur général, estimant que l'article 3 verrait ainsi son champ d'application réduit.

M. Jean-Pierre Brard s'est interrogé sur les arrière-pensées qui avaient conduit le Gouvernement à proposer une telle disposition. Le Sénat n'a pas la même légitimité que l'Assemblée nationale.

M. Didier Migaud a suggéré que l'article 3 correspond en fait à l'ambition du Premier ministre de se faire élire à la présidence du Sénat. C'est inacceptable.

M. Jean-Pierre Brard a considéré que l'article 3 portait une atteinte fondamentale aux principes de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en reconnaissant une légitimité particulière à une assemblée qui n'était pas élue au suffrage universel direct. Quelles que soient les acrobaties ou les circonvolutions avec lesquelles la majorité habille ses renoncements et ses capitulations, elle s'apprête à remettre en cause à la fois le suffrage universel et les fondements historiques de l'État républicain. Il a déclaré ne pas vouloir, par sa présence, cautionner une décision qui rappelle par trop les renoncements « qui conduisent de Retondes à Bordeaux ».

Votre Rapporteur pour avis, a fait observer que les sénateurs socialistes ou communistes n'avaient pas été hostiles au dispositif lors du débat au Sénat.

M. Jean-Pierre Brard a suggéré que leur attention avait peut être été assoupie.

M. Jean-Pierre Balligand a jugé que les députés n'avaient pas le droit de capituler devant les revendications sénatoriales et d'accepter un Munich constitutionnel. Il a indiqué que les commissaires socialistes refusaient de continuer à participer à cette discussion et avaient donc décidé de quitter la réunion, pour ne pas cautionner une telle entorse à des principes essentiels de la démocratie élective.

Les députés des groupes socialiste et communiste et républicain ont alors quitté la réunion.

M. François Goulard, Président, a regretté les excès des interventions des commissaires socialistes. Il a rappelé que dans la mesure où l'article 3 ne remettait pas en cause le dernier mot reconnu à l'Assemblée nationale, l'ordre de présentation des projets de loi n'avait pas une si grande importance, d'autant plus que le Sénat s'était traditionnellement toujours vu reconnaître une compétence particulière en matière de collectivités locales. De ce point de vue, l'amendement présenté par le Rapporteur pour avis constitue un compromis acceptable.

La Commission a alors rejeté l'amendement présenté par M. Jean-Pierre Brard et adopté l'amendement du Rapporteur pour avis.

M. Marc Laffineur a présenté un amendement supprimant le droit de priorité du Sénat pour les projets de loi relatifs aux instances représentatives des Français établis hors de France. Cette disposition n'a aucun lien avec le reste du projet de loi et le droit de priorité pour les projets de loi relatifs à la libre administration des collectivités territoriales est une concession déjà suffisante vis-à-vis du Sénat : « trop c'est trop ».

M. Jean-Yves Chamard a indiqué qu'il était tout à fait d'accord avec cet amendement.

Votre Rapporteur pour avis, s'en est remis à la sagesse de la Commission, après avoir rappelé que le Sénat avait voulu tirer les conséquences des dispositions de l'article 24 de la Constitution selon lesquelles les Français établis hors de France sont représentés en son sein.

La Commission a adopté l'amendement de M. Marc Laffineur.

Article 6 : Autonomie financière des collectivités territoriales

Votre Rapporteur pour avis, a indiqué que cet article visait les ressources des collectivités locales selon les grands principes suivants : principe de l'existence de ressources propres, possibilité d'impositions affectées, principe d'une part « déterminante » - et non plus prépondérante - de ces ressources dans l'ensemble des recettes, lien entre la mise à la charge de compétences aux collectivités locales et les transferts de compétence ou la création des ressources nécessaires pour les assumer et, enfin, reconnaissance du principe de péréquation. L'apport de cet article n'est pas considérable, mais le fait de faire figurer ces principes dans la Constitution fait obstacle à ce que le législateur puisse ensuite les nier. A l'instar de ce qui existe pour certaines garanties légales mettant en œuvre des garanties constitutionnelles, que le législateur peut toujours modifier à condition de les remplacer par des normes équivalentes, principe connu sous le nom d' « effet cliquet », le législateur disposera ainsi du choix des moyens, mais il ne devra pas aboutir à descendre au-dessous d'un seuil minimal ou garanti.

La rédaction du premier alinéa de cet article pourrait être améliorée. C'est le sens d'un amendement rédactionnel substituant au verbe « bénéficier » le verbe « disposer ».

Le dispositif essentiel de cet article réside dans le troisième alinéa qui a trait à la « part déterminante » que doit prendre la fiscalité « et les autres ressources propres » dans l'ensemble des ressources des collectivités territoriales. Cette part est appréciée par catégories de collectivités. Si cette formule impliquait que le poids de la fiscalité locale soit plus important que l'apport des dotations de l'État, la situation actuelle de la fiscalité locale ne permettrait pas d'y parvenir. C'est la raison pour laquelle la notion de part « prépondérante » n'a finalement pas été retenue. Le troisième alinéa vise simplement à réaffirmer la jurisprudence actuelle du Conseil constitutionnel, telle qu'elle est synthétisée dans la décision du 12 juillet 2000 portant sur la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation.

Enfin, le dernier alinéa de l'article 6 prévoit que les transferts de compétences s'accompagnent de transferts de ressources. L'exemple récent de l'allocation personnalisée d'autonomie illustre la nécessité d'une telle disposition.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a estimé que cet article posait la question de la définition de la notion de ressources propres. Les dotations de l'État en font-elles partie ? A l'évidence non, car il ne s'agit pas de ressources garanties. A l'inverse, si l'on considérait que les dotations étaient des ressources propres, la formule « part prépondérante » aurait pu être conservée.

M. Jean-Yves Chamard a considéré qu'une ressource propre était une ressource dont la collectivité territoriale avait le pouvoir de fixer les taux.

M. Marc Le Fur a jugé que cette notion correspondait à des ressources qui n'étaient pas déterminées par un tiers.

M. Charles de Courson a estimé que les cinq alinéas de l'article 6 avaient une portée très variable. Il s'est interrogé sur le point de savoir si le premier alinéa, en visant la libre disposition des ressources, n'aurait pas pour effet d'interdire les dotations affectées. Rappelant que les collectivités territoriales n'avaient le droit de lever l'impôt que par délégation du Parlement accordée dans le cadre de chaque article premier des lois de finances de l'année, il s'est également demandé si le deuxième alinéa ne remettait pas en cause le principe fondamental d'annualité budgétaire en indiquant qu'une lecture possible de ce dispositif aboutissait à ce que les collectivités territoriales puissent recevoir, sans limitation de durée, tout ou partie du produit des impositions de toutes natures.

Le troisième alinéa constitutionnalise un concept flou dégagé par le Conseil constitutionnel, puisqu'on ne sait pas en deçà de quel seuil minimum la part des recettes fiscales et des autres ressources propres n'est plus déterminante. Dans la définition des recettes fiscales, faut-il tenir compte des abattements et des dégrèvements ? Dans la définition des autres ressources propres, faut-il, au-delà des produits domaniaux ou des rémunérations pour services rendus, tenir compte des transferts entre collectivités et des emprunts ? Sans doute, non. Le choix entre les deux adjectifs, « prépondérant » ou « déterminant », dépend des réponses données à ces deux questions. Il serait utile de procéder à des calculs précis pour savoir si, en retenant une définition large, l'on n'aboutit pas au seuil de 50 %, ce qui permettrait alors de rétablir dans le texte l'adjectif « prépondérant », comme son amendement le prévoit. De même, il convient de s'interroger sur la notion de catégorie de collectivités territoriales. En effet, comment sera calculé le degré d'autonomie des communes, si l'intégration fiscale au sein des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre progresse ?

Votre Rapporteur pour avis, a rappelé que selon le troisième alinéa de l'article 72-2, ces questions relèvent du champ de la loi organique.

M. Charles de Courson a jugé que cela aboutissait à s'en remettre trop largement au Conseil constitutionnel.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a indiqué que le débat sur l'article 6 ressemblait à celui qui avait eu lieu lors de la réforme de la taxe professionnelle. La libre administration des collectivités territoriales se limite-t-elle à la libre décision sur la dépense ? Il sera donc nécessaire de demander des explications très précises au Gouvernement pour apprécier la portée de cet article.

M. Charles de Courson a également estimé que le quatrième alinéa de l'article 72-2 constitue une avancée, et aurait empêché le dérapage des finances départementales provoqué par l'instauration de l'allocation personnalisée d'autonomie. En revanche, en ne définissant pas la notion de péréquation, le dernier alinéa du même article laisse au juge constitutionnel une marge de manœuvre beaucoup trop large.

M. Marc Le Fur a exposé un point de vue différent de celui de M. Charles de Courson. Il est généralement admis que la libre administration des collectivités territoriales suppose que celles-ci soient financées, de manière déterminante, par des ressources propres. En liant liberté et impôts locaux, cette idée risque de limiter le mouvement de décentralisation, faute de possibilités, pour le Gouvernement, de créer en faveur des collectivités territoriales de nouvelles ressources propres. De même, on considère souvent que le fait de financer les dépenses locales par l'impôt permet de limiter la dérive des charges des collectivités territoriales. L'évolution de la dépense publique démontre pourtant le contraire : ce sont les finances locales qui ont dérapé plus rapidement que celles de l'État. Dans plusieurs pays fédéraux comme par exemple l'Allemagne, c'est la part des ressources non fiscales qui est déterminante dans le financement des collectivités territoriales. En fait, la dotation, à condition que sa progression soit garantie, n'est pas contraire à la liberté locale laquelle ne passe pas impérativement par la création d'impôts.

En outre, il conviendrait d'aller au bout de la logique proposée par l'article 72-2, en s'interrogeant sur l'existence d'une ressource propre susceptible de représenter effectivement une part déterminante de l'ensemble des recettes locales. Il est clair que l'impôt local est aujourd'hui exsangue, et que seul un impôt sur les stocks peut raisonnablement être localisé. Il est en effet difficile d'envisager de créer un impôt local sur les flux : compte tenu de l'inégalité des revenus des ménages d'un département à l'autre, l'impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée pourraient difficilement être territorialisés. On s'aperçoit aujourd'hui que le lien entre la liberté locale et l'impôt s'est imposé avant la décentralisation décidée en faveur des départements et des régions, à un moment où seules les communes étaient concernées. C'est par conséquent une idée exclusivement hexagonale et aujourd'hui historiquement datée.

M. Jean-Yves Chamard a considéré que le premier alinéa de l'article 72-2 peut être interprété comme supprimant les dotations affectées, et que cette suppression donnerait davantage de liberté aux collectivités territoriales. En outre, le deuxième alinéa du même article semble effectivement faire disparaître le principe de l'annualité de la perception des impôts locaux. Par ailleurs, consacrer la prépondérance des ressources propres serait antinomique, non seulement avec le mouvement de décentralisation, mais aussi avec l'égalité entre collectivités. En donnant aux impôts une part prépondérante dans les finances locales, on renforce en effet mécaniquement la nécessité de la péréquation.

M. Charles de Courson a fait observer que le dérapage des dépenses locales a, en fait, été pris en charge par l'État. Dans certains territoires, la taxe d'habitation n'existe pratiquement plus, l'État finançant une part croissante des charges locales. Plutôt que de choisir le système anglais qui, en finançant la dépense locale par des dotations nationales, favorise l'irresponsabilité et la pression des élus pour obtenir l'augmentation des concours de l'État, il faut recourir à l'impôt local, et seul le revenu défini au sens de la contribution sociale généralisée peut servir aujourd'hui d'assiette à cet impôt. L'inégalité des revenus est en effet moins importante que celle des bases locatives servant d'assiette à la taxe d'habitation ou à la taxe sur le foncier bâti.

Votre Rapporteur pour avis, a jugé que le système français ne favorise pas la responsabilisation financière des collectivités territoriales. Pour cent euros de dépenses, les élus locaux ne demandent en moyenne que 10 euros à 50 % de leurs électeurs. Alors qu'il faudrait instaurer des verrous pour maîtriser les finances publiques, la dépense locale est actuellement électoralement payante.

Appuyant l'observation du Rapporteur pour avis, M. Jean-Yves Chamard a fait observer que le dispositif actuellement en place peut même aboutir à ce qu'une hausse des impôts locaux ne coûte rien aux électeurs.

La Commission a alors adopté l'amendement du Rapporteur pour avis donnant une nouvelle rédaction au premier alinéa de l'article 72-2 de la Constitution.

Elle a ensuite rejeté l'amendement de M. Pierre Albertini, soutenu par M. Charles de Courson substituant, dans le troisième alinéa de l'article 72-2, l'adjectif « prépondérante » à l'adjectif « déterminante ».

Trois amendements de M. Jean-Pierre Brard fixant la part des ressources locales à 75 % au moins du total des ressources, pérennisant les transferts financiers liés aux transferts de compétences et prévoyant le dépôt d'un rapport sur le coût des compétences transférées n'ont pas été défendus, ainsi qu'un amendement de M. Daniel Garrigue prévoyant que seuls l'État, les collectivités territoriales et leurs groupements sont compétents pour répartir les crédits publics.

M. Jean-Yves Chamard a ensuite présenté un amendement visant à préciser que toute modification de compétence ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses d'une collectivité territoriale doit s'accompagner de ressources déterminées par la loi. La compensation financière ne doit en effet se limiter ni aux transferts d'une compétence jusqu'à présent assurée par l'État, ni à la création, en faveur d'une collectivité territoriale, d'une nouvelle compétence, mais englober toute extension d'une compétence locale existante.

Votre Rapporteur pour avis, a fait observer que le recours à la notion de « modification » proposé par M. Jean-Yves Chamard recouvre à la fois la création d'une nouvelle compétence et l'extension d'une compétence existante. Il a donc proposé de modifier l'amendement de manière à remplacer la compensation prévue par le Sénat par une compensation de toute création ou extension de compétence ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses d'une collectivité territoriale.

La Commission a adopté cet amendement ainsi rectifié.

Votre Rapporteur pour avis, a ensuite présenté un amendement visant à fonder la péréquation sur un principe d'équité. La notion de péréquation apparaît pour la première fois dans le texte de la Constitution, sans aucune précision : la rédaction retenue par le Sénat ne permet pas de dire si la loi doit prévoir des mécanismes de compensation des « inégalités entre collectivités territoriales » dans tous les cas, ou s'il s'agit d'une affirmation souple, sans réelle portée normative, ce qui serait d'autant plus gênant qu'on se situe au niveau constitutionnel. Si il ne s'agit que de rechercher un effet d'affichage symbolique, qui ne met aucune obligation à la charge du législateur, on ne peut pas l'admettre. On peut regretter que le Sénat ait fait appel à la notion d'inégalités. Elle ne figure pas actuellement dans la Constitution, et on en discerne mal les contours. Aussi une rédaction plus proche de celle où il s'agit d'établir des discriminations positives est- elle souhaitable, inspirée de l'article 3 de la Constitution, de manière à ce que le législateur soit tenu de prendre des dispositions favorisant « l'équité ». L'amendement proposé est surtout destiné à ouvrir le débat sur ce point important.

M. Charles de Courson a attiré l'attention sur le fait que la déclaration des Droits de l'homme et du citoyen n'a recours qu'à la notion d'égalité. L'équité serait par conséquent un principe constitutionnel nouveau, alors même que la distinction entre équité et égalité n'est pas évidente à établir. En introduisant un principe nouveau sans le définir, on risquerait de s'en remettre à la définition qu'en donnerait le Conseil constitutionnel. En revanche, le principe d'égalité, créé pour s'appliquer à des personnes physiques, est difficilement transposable aux collectivités locales qui constituent des personnes morales.

Votre Rapporteur pour avis, a rappelé que son amendement a pour objectif d'ouvrir un débat, afin de permettre au Gouvernement de préciser ses intentions. Le projet de loi utilise la notion d'inégalités qui ne figure nulle part dans la Constitution, et aurait l'inconvénient d'introduire une proportionnalité entre la compensation et les charges supportées par la collectivité territoriale concernée, au risque de créer une incitation à l'augmentation des dépenses locales. Le principe d'équité permettrait d'instaurer une obligation de compensation plus souple.

M. François Goulard, Président, a fait remarquer que si la notion d'égalité repose sur des données objectives, celle d'équité introduit une dimension morale et semble ainsi, au contraire de l'appréciation qu'en fait le Rapporteur, plus contraignante. Tel est d'ailleurs le sens souvent retenu pour ce terme dans la jurisprudence communautaire.

M. Louis Giscard d'Estaing a rappelé que le débat sur la péréquation entre collectivités territoriales rejoint les enjeux de la politique d'aménagement du territoire, qui revient à constater des inégalités et à rechercher les moyens de les compenser. La notion d'équité semble difficilement compatible avec le simple constat de l'inégalité. Cette dernière notion semble donc plus conforme aux principes de l'aménagement du territoire.

Votre Rapporteur pour avis, a estimé que l'obligation de péréquation va au-delà des seuls enjeux de la politique de l'aménagement du territoire, en visant à compenser des charges spécifiques et à réduire des inégalités de revenus. Le recours à la notion d'équité se défend, même si plusieurs arguments militent en faveur du maintien de la notion d'égalité.

M. Yves Deniaud a présenté un amendement déposé par M. Michel Bouvard visant à préciser que la péréquation doit compenser les inégalités des collectivités territoriales, à la fois en terme de ressources et de charges. Il importe en effet que la Constitution précise les éléments qui entreront dans le calcul de la péréquation.

Votre Rapporteur pour avis, a fait observer que l'amendement de M. Michel Bouvard peut être interprété comme plus restrictif que la rédaction adoptée par le Sénat.

M. Jean-Yves Chamard a considéré que l'obligation de compenser les inégalités n'impose que de les réduire partiellement, et qu'il ne faut par conséquent pas introduire une péréquation trop contraignante, laquelle obligerait par exemple à compenser intégralement un différentiel de potentiels fiscaux.

M. Michel Diefenbacher a noté que la rédaction du Sénat ne précise pas que la compensation est intégrale, et laisse donc une marge de manœuvre au Conseil constitutionnel, ce qui ne manquera pas de poser problème. Sur ce point, la notion d'équité est trop floue, et risque d'accroître encore davantage le pouvoir d'appréciation du juge constitutionnel.

M. Pierre Hériaud a jugé préférable d'éviter les connotations morales introduites par la notion d'équité, et proposé de recourir à un terme positif en visant la notion d'égalité, à la place de celle d'inégalité.

M. Xavier Bertrand a estimé qu'une rédaction trop précise risque de rendre le texte constitutionnel restrictif et, de ce fait, trop directif.

Votre Rapporteur pour avis, a insisté sur la nécessité d'employer le terme « favoriser » qui exclut clairement toute obligation de compensation intégrale.

M. François Goulard, Président, a proposé de modifier l'amendement du Rapporteur afin de remplacer la notion d'équité par celle d'égalité. Il a insisté sur le fait que le terme « favorise » est employé à l'article 3 de la Constitution.

La Commission a adopté cet amendement ainsi rectifié, et l'amendement de M. Michel Bouvard est ainsi devenu sans objet, de même qu'un amendement de M. Jean-Pierre Brard visant à renforcer le principe de péréquation.

M. François Goulard, Président, a précisé que M. Michel Bouvard garde la possibilité de présenter son amendement en séance publique, dans la mesure où celui-ci n'est pas incompatible, sur le fond, avec l'amendement adopté par la Commission.

Votre Commission a émis un avis favorable à l'adoption du projet de loi ainsi modifié.

AMENDEMENTS ADOPTÉS PAR LA COMMISSION

Article 3

_ Amendement n° 21 présenté par M. Pierre Méhaignerie, Rapporteur pour avis :

Rédiger ainsi la première phrase du dernier alinéa de cet article :

« Sans préjudice du premier alinéa de l'article 44, les projets de loi ayant pour objet exclusif de déterminer les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, ou de leurs compétences, sont soumis, en premier lieu, au Sénat. »

_ Amendement n° 22 présenté par M. Pierre Méhaignerie, Rapporteur pour avis, et M. Marc Laffineur :

Supprimer la dernière phrase du dernier alinéa de cet article.

Article 6

(article 72-2 de la Constitution)

_ Amendement n° 23 présenté par M. Pierre Méhaignerie, Rapporteur pour avis :

Dans le premier alinéa de cet article, substituer aux mots :

« bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement »,

les mots :

« disposent librement de ressources propres ».

_ Amendement n° 24 présenté par M. Pierre Méhaignerie, Rapporteur pour avis :

Rédiger ainsi le début de la dernière phrase de l'avant-dernier alinéa de cet article :

« Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée... (le reste sans changement). »

_ Amendement n° 25 présenté par M. Pierre Méhaignerie, Rapporteur pour avis :

Dans le dernier alinéa de cet article, substituer aux mots :

« compenser les inégalités entre »,

les mots :

« favoriser l'égalité entre les ».

377 - Avis de M. Pierre Méhaignerie (commission des finances) sur le projet adopté par le Sénat, relatif à l'organisation décentralisée de la République

1 () À la suite des révisions de 1999 et 2001 (adoptée par référendum en octobre 2001), la constitution italienne, désormais, ne comporte pas moins de quinze articles, dont un article particulièrement développé sur les ressources, consacrés aux collectivités territoriales. Les constitutions espagnole (21 articles) et allemande (45 articles) traitent abondamment également de l'autonomie des collectivités territoriales.

2 () Les cinq régions à statut spécial ont cependant été instituées entre 1946 et 1948.

3 () Le comité consultatif pour la révision de la Constitution, présidé par le doyen Georges Vedel avait suggéré une telle reconnaissance dans son rapport au Président de la République, en 1993.

4 () Cependant, les différences de superficies peuvent être très importantes. La France rassemble ainsi la moitié des 73.000 communes européennes.

5 () Voir Gilles Deleuze, Le Pli, Les Éditions de Minuit, 1988.

6 () Politique comparée, Montchrestien, 2001.

7 () La part de la fiscalité destinée aux administrations locales dans le produit intérieur brut a atteint 5,1 % en 2001 mais a dû s'accroître en 2002, année de déclin de la croissance mais durant laquelle les taux de la fiscalité directe locale ont cru de 2,1 %.

8 () D'après une étude du Conseil de l'Europe, la fiscalité propre ne représente que 35 % des ressources des budgets locaux en Allemagne, pays fédéral, 31 % en Italie, pays régionalisé, ou 25 % au Royaume-Uni et 15 % aux Pays-Bas. On observe, en outre, que la part des impôts locaux dans le produit intérieur brut est en Allemagne et au Royaume-Uni plus faible que dans les pays scandinaves.

9 () Les dépenses de la fonction publique atteignaient 40,1 % des dépenses de l'État en 1991 et 44,4 % en 2000.

10 () Débat sur les crédits de la fonction publique pour 2003.

11 () Loi n°82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions et loi n°83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État.

12 () Conseil des impôts : rapport relatif à la taxe professionnelle (1997).

13 () Précis de droit administratif.

14 () J.E. Schoettl, AJDA, 20 septembre 2000, p. 734.

15 () Jusqu'en 2002, l'annexe des voies et moyens ne prévoyait pas la liste et l'évaluation de l'ensemble des impositions affectées aux collectivités locales. Le Gouvernement a décidé, dès le projet de loi de finances pour 2003, que cette annexe intégrerait par anticipation les taxes affectées aux collectivités locales, autres que celles déjà évaluées dans le compte d'avances aux collectivités locales.

16 () Notamment, pour prendre l'exemple des communes :

- pour les taxes directes : la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, la taxe de balayage, l'imposition forfaitaire sur les pylônes électriques, ... ;

-  et pour les impôts indirects : les taxes d'urbanisme, la surtaxe communale sur les eaux minérales,...

17 () Ainsi de la taxe sur les permis de conduire et de la taxe sur les certificats d'immatriculation (dite taxe sur les « cartes grises» affectée aux régions ; reliquat de la taxe différentielle sur les véhicules à moteur, (dite « vignette automobile »), attribuée aux département et à la région Corse.

18 () Redevance pour création de bureaux en Île-de-France, perçue au profit de la région Île-de-France ; taxes spécifiques aux départements d'outre-mer (taxe sur les passagers maritimes embarqués, taxe spéciale sur les carburants, droits de consommation sur les tabacs en Guyane et à la Réunion, droit d'octroi de mer), à la Corse (droit annuel de francisation et de navigation en Corse, droit de consommation sur les tabacs, ...) et à certains départements et régions (taxe spéciale d'équipement routier au profit du département de la Savoie, taxe complémentaire d'équipement au profit de la région d'Île de France, ...), ou à des structures intercommunales identifiées (versement transport au profit du syndicat des transports d'Île de France).

19 () Taxe d'habitation, taxes foncières sur le bâti et le non-bâti, taxe professionnelle, mais également droits de mutations à titre onéreux sur les immeubles d'habitation, ou encore diverses micro-taxes territoriales telles que la taxe sur les remontées mécaniques (communales ou départementales), la taxe sur l'électricité, la taxe de séjour (communale et additionnelle départementale, ...).

20 () Décision DC n°90-277 DC du 25 juillet 1990.

21 () Les communes ont également la charge de retenir la valeur locative du logement de référence constituant la base de calcul de la cotisation minimale de taxe professionnelle. On observera toutefois que, en l'occurrence, si les collectivités déterminent un élément essentiel de l'assiette de l'impôt, celui-ci n'est pas perçu à leur profit, mais à celui du budget général de l'État.

22 () Pour les communes touristique, qui, par nature, doivent supporter des charges saisonnières et financer des investissements dimensionnés en fonction de populations qui n'ont pas à s'acquitter d'impôts locaux.

23 () Ainsi en est-il du récent transfert à la collectivité territoriale de Corse d'une fraction du produit de la taxe intérieure sur les produits pétroliers mis à la consommation en Corse. Le montant de ladite fraction , d'abord fixé à 10 % en 1995, a été relevé à 18 % en 2002. Mais, dans les deux cas, la détermination du taux a été opérée par la loi, et non par les élus de la collectivité de Corse (même si l'on peut supposer que la loi a répondu à leur demande).

24 () Comme par exemple les droits de consommation sur les alcools prévus aux articles 403 et suivants du code général des impôts ou sur les tabacs prévus aux articles 575 et 575 A du même code, dont la répartition du produit a été modifiée quasiment chaque année, jusqu'à leur affectation totale aux régimes de sécurité sociale.

25 () Décisions n°91-298 DC du 24 juillet 1991, 91-291 DC du 6 mai 1991, 98-405 DC du 29 décembre 1998, ou encore 2000-432 DC du 12 juillet 2000.

26 () Notamment, pour les deux derniers cas, suppression progressive de la part salaires de la taxe professionnelle par la loi de finances pour 1999, et de la part régionale de la taxe d'habitation par la loi de finances rectificative pour 2000 du 13 juillet 2000.

27 () Notamment redistribuées aux communes par les groupements percevant la taxe professionnelle unique.

28 () L'article 9-3 de la Charte, adoptée par les membres du Conseil de l'Europe, le 15 octobre 1985, dispose « qu'une partie au moins des ressources financières des collectivités locales doit provenir de redevances et d'impôts locaux dont elles ont le pouvoir de fixer le taux, dans les limites de la loi. »

29 () Pour rappel, le taux de prise en charge par l'État des recettes de la taxe professionnelle est passée, entre 1996 et 1999, de 37,6 % à 42,5 %,

30 ( ) En application du quatrième alinéa de l'article 46 de la Constitution.

31 () Citée par le rapport de la Commission des lois du Sénat (n° 27 du 23 octobre 2002)

32 () Décision n° 82-137 DC du 25 février 1982.

33 () Le système allemand de finances locales se caractérise par un recours limité aux impôts propres, une large place accordée aux impôts partagés et des mécanismes péréquateurs puissants.

34 () La hausse des rémunérations constatée entre 2001 et 2002 s'est élevée à 6,1 %.

35 () Effets redistributifs des dotations de l'État aux communes, 2001.

36 () Effets redistributifs des dotations de l'État aux communes, 2001.


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