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le 18 décembre 2003

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N° 1292

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 décembre 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l'approbation du traité entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord relatif à la mise en oeuvre de contrôles frontaliers dans les ports maritimes de la Manche et de la mer du Nord des deux pays,

PAR M. LOUIS GUÉDON,

Député

--

Voir les numéros :

Sénat : 443 rectifié (2002-2003), 8 et T.A. 12 (2003-2004)

Assemblée nationale : 1246

Traités et conventions

SOMMAIRE

___

INTRODUCTION 5

I - LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION CLANDESTINE
    VERS LE ROYAUME-UNI : LA VOIE MARITIME
7

A - LE ROYAUME-UNI RESTE UNE DESTINATION D'IMMIGRATION ET D'ASILE 7

1) L'augmentation des flux migratoires à destination du Royaume-Uni 7

2) L'adoption de nouvelles dispositions législatives à caractère dissuasif 8

3) Les conséquences de ces flux migratoires pour la France 9

B - LES MODALITÉS ACTUELLES DU CONTRÔLE DE POLICE ET D'IMMIGRATION 10

II - L'APPORT DU TRAITÉ DU TOUQUET 14

A - LA CRÉATION DE BUREAUX À CONTRÔLE NATIONAUX JUXTAPOSÉS 14

B - LE TRAITEMENT DES DEMANDES D'ASILE 15

C - LES MODALITÉS DE MISE EN œUVRE 16

CONCLUSION 20

EXAMEN EN COMMISSION 22

Mesdames, Messieurs,

Le Royaume-Uni fait face, depuis environ cinq ans, à une augmentation considérable de l'immigration clandestine qui prend souvent la forme d'une demande d'asile adressée aux autorités britanniques : le nombre des demandes d'asile, qui était de 45 000 environ en 1998, est passé à 76 000 en 2000 et à 84 000 en 2002.

Ce phénomène inquiète tant les responsables politiques britanniques que l'opinion publique, en particulier lorsque des tentatives d'immigration illégale tournent au drame, avec le décès des immigrants au cours du voyage, que ce soit par la voie maritime ou ferroviaire. Ces accidents tragiques, comme par ailleurs la difficulté et le coût de la gestion d'un si grand nombre de procédures d'asile ont conduit le gouvernement britannique à faire adopter plusieurs lois plus strictes dans le domaine de l'asile et de l'immigration.

Progressivement, les autorités britanniques ont voulu s'attaquer aux différentes routes, ferroviaire ou maritimes, de l'immigration clandestine en provenance de France ou de Belgique : on citera notamment le protocole de Sangatte de 1991 qui concernait le contrôle des personnes empruntant la liaison ferroviaire transmanche, suivi d'un protocole additionnel en 2000. Ce dernier a prévu la création de six bureaux de contrôle binationaux dans les gares britanniques et françaises, situés à chaque extrémité de la liaison et aux différents arrêts desservis par le train.

Après une période de « pic » pendant les années 2000 à 2002, le flux de personnes cherchant à gagner le Royaume-Uni a très nettement baissé en 2003. Il demeure néanmoins élevé, c'est pourquoi les autorités britanniques souhaitent poursuivre une politique ferme de dissuasion. Ainsi, les Britanniques ont-il demandé la fermeture du centre d'accueil installé par la Croix-Rouge à Sangatte, ce qu'ils ont obtenu le 15 décembre 2002. Les autorités britanniques considèrent aujourd'hui que les mesures prises - durcissement de leur législation nationale, coopération accrue des autorités, fermeture du centre de Sangatte et installation de systèmes de détection dans les ports - ont contribué à dissuader une partie des immigrants potentiels. A ces mesures, il convient d'ajouter la recherche et l'interpellation de passeurs en nombre important par les autorités françaises.

La mise en œuvre du protocole additionnel de Sangatte a porté ses fruits : seules trois personnes en situation irrégulière ont été interpellées en 2003 dans les gares françaises du lien fixe transmanche. En ce qui concerne les liaisons maritimes, comme on le verra, l'installation d'un système de détection au port de Calais s'avère très efficace. Mais ces mesures dissuasives ont aussi pour effet de déplacer le flux des immigrants vers les autres ports français, tels Le Havre, Dunkerque et Boulogne ou encore vers les ports belges.

C'est pourquoi la France et le Royaume-Uni ont signé, le 4 février 2003, le présent traité qui est en quelque sorte le corollaire du protocole de Sangatte, concernant les ports maritimes, les questions juridiques et pratiques relatives au contrôle apparaissant assez similaires dans les deux domaines.

L'objet principal du présent traité, signé au Touquet le 4 février 2003 est de donner une base juridique à l'exercice de contrôles frontaliers d'entrée sur le territoire britannique avant même l'embarquement sur les navires à destination du Royaume-Uni, par les agents britanniques eux-mêmes, qui seront donc autorisés à procéder à ces contrôles sur le sol français. Cette procédure suppose l'installation de bureaux « à contrôles nationaux juxtaposés », selon un modèle existant déjà sur les différentes frontières françaises.

On notera que les modalités de mise en œuvre du traité sont précisées dans trois arrangements bilatéraux, signés en octobre et novembre 2003 entre les autorités des deux pays, arrangements qui entreront en vigueur en même temps que le traité.

I - LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION CLANDESTINE
VERS LE ROYAUME-UNI : LA VOIE MARITIME

A - Le Royaume-Uni reste une destination d'immigration et d'asile

1) L'augmentation des flux migratoires à destination du Royaume-Uni

Le Royaume-Uni est l'Etat membre de l'Union européenne qui reçoit le plus grand nombre de demandes d'asile : le nombre de celles-ci s'est élevé à 80 315 en 2000, 71 300 en 2001 et 84 130 en 2002, ce qui correspond à 110 000 personnes en incluant les personnes dépendantes du demandeur. L'année 2002 a donc connu une hausse de 20 % par rapport à 2001.

Toutefois, il semble que la tendance se soit inversée en 2003, sous l'effet de la mise en œuvre des mesures restrictives contenues dans la loi relative à l'asile et à l'immigration de 2002.

L'évaluation du nombre d'entrées clandestines au Royaume-Uni est basée sur le nombre de documents classés « illegal entry » qui sont délivrés. Le Royaume-Uni a octroyé successivement 47 325 documents classés « illegal entry » en 2000, 69 875 en 2001 et 84 050 en 2002. Cependant, comme en France, ces chiffres ne peuvent pas refléter une vision exacte de l'immigration clandestine. L'immigration irrégulière était évaluée, en 2000, à 180 000 personnes, les principales nationalités représentées étant les Afghans, les Iraniens, les Kurdes de Turquie, les Albanais du Kosovo, les Chinois et les Sri Lankais.

Un nombre très élevé de personnes en situation irrégulière sont interpellées dans les ports du Pas-de-Calais concernés par l'application du traité du Touquet. Ce nombre fait apparaître une période de « pic » de 2000 à 2002 : en 1999 : 4751 personnes ; en 2000 : 15 339 personnes ; en 2001 : 9 409 personnes ; en 2002 : 27 021 personnes. Le flux de personnes en situation irrégulière semble avoir nettement baissé en 2003, puisque le nombre d'interpellations au 31 août 2003 était descendu à 3 843 personnes. Les autorités françaises et britanniques estiment que la fermeture du centre d'hébergement d'urgence de Sangatte (qui a fonctionné de 1999 à fin 2002) a contribué à la réduction de la pression migratoire dans la région. Ce centre avait accueilli, en trois ans, 63 000 personnes cherchant un moyen de départ pour le Royaume-Uni.

Le nombre des personnes en situation irrégulière interpellées dans le port de Dunkerque est beaucoup plus restreint, et il varie en fonction de l'existence ou non d'un trafic transmanche dans ce port. En 1999, il n'y a eu aucun trafic transmanche. En 2000, 138 personnes ont été interpellées, elles étaient 592 en 2001 et 1 455 en 2002. Au 31 août 2003, 722 personnes en situation irrégulière ont été interpellées

2) L'adoption de nouvelles dispositions législatives à caractère dissuasif

Le contrôle de l'immigration est régi au Royaume-Uni par l'Immigration Act de 1971, plusieurs fois modifié, notamment par le Nationality, Immigration and Asylum Act de 1999, et, enfin, par le Nationality, Immigration and Asylum Act de 2002.

La section 32 de l'Immigration and Asylum Act de 1999 a notamment institué une amende à caractère civil (amende forfaitaire de 2000 livres) applicable à la personne ou aux personnes responsables de l'entrée d'un clandestin sur le territoire britannique.

Le Nationality, Immigration and Asylum Act de 2002 a substitué à l'amende fixe une amende variable et établi la responsabilité civile individuelle de chaque personne ayant transporté clandestinement un immigré. Avec le nouveau système d'amendes, chaque personne ou personnalité morale reconnue responsable pourra être amenée à payer une amende pouvant aller jusqu'à un plafond de 2000 livres. Enfin, cette loi a institué une procédure d'appel contre la décision imposant l'amende devant les juridiction de premier ressort.

La loi relative à l'asile et à l'immigration de 2002 contient plusieurs dispositions visant à simplifier les procédures de reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière.

Elle donne au Ministre de l'Intérieur un pouvoir de détention similaire à celui pouvant être exercé par les officiers de l'immigration. Celui-ci peut exercer ce pouvoir dans l'attente de la décision d'accorder ou de refuser l'autorisation d'entrée sur le territoire britannique, ou dans l'attente de la décision concernant le refoulement.

Elle autorise la reconduite à la frontière des étrangers nés au Royaume-Uni lorsque leurs parents font l'objet d'une telle mesure.

Elle prévoit par ailleurs qu'un demandeur d'asile peut être obligé de résider pendant quatorze jours auprès d'un endroit où il lui sera communiqué des informations concernant la procédure d'asile.

La loi comporte des dispositions permettant au Ministre de l'Intérieur de révoquer les autorisations de séjour accordées pour une période indéfinie.

Enfin, la section 143 de la loi sur l'immigration de 2002 prévoit que le fait d'aider un étranger à violer la législation relative à l'immigration d'un Etat membre de l'Union européenne constitue une infraction passible d'une peine d'incarcération maximale de quatorze ans ou d'une amende non plafonnée. Le fait d'accueillir un immigré clandestin est inclus dans le champ de cette infraction. D'autre part, le fait pour un citoyen européen d'aider un immigré faisant l'objet d'une mesure d'expulsion à entrer sur le territoire britannique constitue une infraction.

3) Les conséquences de ces flux migratoires pour la France

Le caractère attractif du Royaume-Uni a pour conséquence de faire du territoire français, et de la région Nord-Pas-de-Calais en particulier, un lieu de transit pour les candidats à l'émigration clandestine outre-Manche en provenance de très nombreuses régions du monde.

Le phénomène d'accroissement de la pression migratoire a été très fortement ressenti dans la région du Calaisis entre 1999 et 2001, et la gestion de la population clandestine attendant une opportunité de départ, dans une situation d'insécurité et des conditions sanitaires déplorables, s'est avérée très difficile. Les amendes britanniques menaçant les transporteurs routiers (et la crainte de voir le véhicule confisqué) ont rendu ceux-ci plus vigilants. En conséquence, les clandestins demeurent en moyenne plusieurs semaines dans la région, contre quelques jours auparavant.

Toutefois, il semble qu'une diminution du flux se soit produite en 2003 : le nombre d'interpellations, qui s'est élevé à 84 450 en 2002, a été limité à 14 132 en 2003 (au 1er octobre). En 2003, 5 000 Irakiens ont été interpellés, alors qu'ils étaient plus de 33 000 en 2002. De même, 1 143 Afghans seulement étaient interpellés en 2003, alors qu'ils avaient été 43 300 en 2002.

Le nombre de gardes à vue a augmenté en 2003, grâce au renforcement des effectifs de la Police aux frontières, qui permet de conduire la procédure judiciaire jusqu'à son terme. C'est pourquoi le nombre des mesures d'éloignement a aussi sensiblement augmenté : il atteint 779 en 2003, dont 331 réadmissions, 398 reconduites à la frontière et 50 expulsions. On soulignera une progression des réadmissions vers la Belgique, signe d'une coopération plus efficace des autorités des deux pays.

Les nationalités concernées ont évolué : les immigrants en provenance du Soudan sont plus nombreux (en augmentation de 728%), de même que les Vietnamiens (+ 652%) et les Palestiniens (+ 292%) ainsi que les Indiens et Chinois dont le nombre a progressé. La Police aux frontières note que les Irakiens, Soudanais et Indiens représentent 80 % des interpellations mais ne sont pas reconductibles.

B - Les modalités actuelles du contrôle de police et d'immigration

Le flux de passagers entre la France et le Royaume-Uni est, depuis 2000, de 18 900 passagers par jour en janvier et de 59 500 passagers par jour en août. Le nombre total de passages pour l'année 2002 s'est élevé à 15 millions.

Dans l'organisation actuelle, le « Point de passage autorisé » (au sens de la convention de Schengen) de Dunkerque Loon Plage relève de la compétence des services douaniers. Le service de la Police aux frontières de Dunkerque assure la prise en charge des migrants illégaux interpellés sur ce PPA, puis le traitement judiciaire et administratif de leur situation. Les contrôles d'accès à la zone enclose sont effectués par un sous-traitant de la compagnie Norfolk Lines, la société Pretory SA.

En revanche, à Calais port, c'est bien le service de la Police aux frontières (PAF) qui assure les contrôles exigés par la convention de Schengen à l'entrée sur le territoire français et à sa sortie, en provenance ou à destination de Douvres exclusivement. Ce service est dirigé par un Commandant échelon fonctionnel, chef de service, assisté d'un commandant, chef de service général. L'effectif total est de 99 fonctionnaires ; se relaient trois brigades de roulement de jour de 59 fonctionnaires et trois groupes de roulement de nuit. Depuis l'arrêt du trafic maritime commercial fret à Boulogne sur mer, le 13 juin 2001, 3 fonctionnaires qui y étaient affectés renforcent temporairement ces effectifs à Calais port. La Police aux frontières est compétente dans les zones encloses, pour le contrôle à la frontière, et responsable de la sécurité publique dans les zones publiques. Cependant, de par sa proximité géographique sur le site portuaire, elle est fréquemment sollicitée par les usagers du port et accomplit en fait quotidiennement des interventions de police générale.

Le flux très important de passagers et le contexte du port de Calais au regard du flux migratoire vers le Royaume-Uni rend l'accomplissement des missions de police particulièrement difficile. Ainsi, la Commission de contrôle Schengen avait estimé en 2002 que la France remplissait imparfaitement les exigences de la convention, ne parvenant pas à effectuer un contrôle « à 100 % » des voyageurs entrant sur le territoire français, et par conséquence dans l'espace Schengen. En effet, on rappellera que la convention de Schengen impose aux autorités un contrôle systématique des personnes franchissant une frontière extérieure (ce qui est le cas en provenance du Royaume-Uni) notamment afin de prononcer un refus d'entrée aux personnes signalées aux fins de non-admission, ou d'interpeller les personnes recherchées. La Convention impose aussi un contrôle de sortie pour les mêmes raisons.

Ces exigences supposent des personnels en nombre important. La présence moyenne de policiers est actuellement d'une vingtaine pendant la journée ; or ceux-ci doivent opérer les contrôles à 20 points d'entrée et de sortie dans l'espace Schengen, effectuer la surveillance des gardés à vue, pratiquer l'interpellation des refoulés vers la France, constituer les escortes résultant des déferrements, et, enfin, remplir les procédures afférentes aux découvertes des milliers de clandestins interpellés chaque année.

En 2002, le service a procédé à 3474 gardes à vue, et effectué plus de 27 000 interpellations, ce qui a occasionné une très importante augmentation des charges opérationnelles et de soutien. Malgré le renforcement significatif des effectifs en 2002, les personnels affectés au service de la PAF de Calais port sont encore en nombre insuffisant, ne serait-ce que pour assurer pleinement leur mission de contrôle de l'entrée dans l'espace Schengen, c'est-à-dire occuper de manière permanente les 10 points de contrôle ouverts en période de pic d'affluence.

Au terminal tourisme, à chaque débarquement, les contrôles transfrontières sont répartis sur 2 aubettes destinées aux véhicules de tourisme soit quatre files et une file pour les bus, et durent entre 20 et 30 minutes. Ils trouvent leur plus grande intensité lorsque le trafic est concentré entre 8 et 18 heures en haute comme en basse saison. Les flux de sortie de France sont plus chargés le soir, et l'affluence plus importante en fin de semaine.

Le trafic fret, principal vecteur d'immigration clandestine vers la Grande-Bretagne, est en revanche plus concentré en milieu de semaine en raison des restrictions de circulation le week-end. A la demande de la Commission transmanche, et sur recommandation du Ministre de l'Intérieur, des contrôles sont effectués à l'entrée du terminal fret afin de vérifier la présence de clandestins dans les camions en direction de la Grande-Bretagne.

Par ailleurs, la Direction départementale de la PAF regrette de ne disposer d'aucun local ou matériel de contrôle à proximité immédiate des postes d'accostage des navires de commerce, de croisière, de pêche ou de plaisance.

La Police aux frontières considère ne pas être en mesure d'assurer une mission de contrôle systématique des navires de commerce. Elle effectue un contrôle des fichiers sur la base des listes d'équipage fournies par le consignataire. Elle délivre également, lors des relèves d'équipages, des visas de transit en France nécessaires au retour des marins vers leur pays d'origine. Elle informe l'aéroport de départ du transit des marins.

Des navires de croisière, dont les passagers sont essentiellement de nationalité française ou issus de l'espace Schengen effectuent des voyages vers la Norvège. Quatre voyages ont été effectués au cours de l'année 2003.

La flottille de pêche de Calais est constituée de 14 unités. Aucun bateau de pêche étranger au port de Calais ne vient décharger de poisson, exception faite d'avaries ou de conditions météorologiques défavorables, qui pourraient contraindre des navires étrangers à une escale technique. La Police aux frontières n'a donc pas à intervenir dans ce domaine.

Quant aux mouvements de bateaux de plaisance, ils n'entraînent qu'une activité de contrôle de personnes très marginale.

II - L'APPORT DU TRAITÉ DU TOUQUET

A - La création de bureaux à contrôle nationaux juxtaposés

Le présent traité franco-britannique permet aux autorités des deux parties de créer des bureaux à contrôles nationaux juxtaposés (BCNJ) dans les zones de contrôles des ports maritimes de la Manche et de la Mer du Nord des deux pays.

On rappellera que de tels bureaux ont été mis en place, à partir des années 1960, sur les différentes frontières françaises ou à proximité de celles-ci : ils permettent de juxtaposer les contrôles policiers et douaniers des deux pays sur une même aire d'arrêt pour les véhicules. De tels bureaux ont été mis en place avec l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, notamment : ceux-ci, dans le cadre de la coopération Schengen, ont ensuite évolué pour devenir des commissariats communs puis des centres de coopération policière et douanière. Actuellement des BCNJ demeurent sur la frontière avec la Suisse et avec Andorre.

Les contrôles effectués dans ces structures communes porteront sur les personnes, mais aussi sur les véhicules et le fret.

Les contrôles migratoires seront effectués par les agents de ces bureaux. Les agents de l'Etat d'arrivée disposeront des mêmes prérogatives que celles dont ils jouissent sur leur propre territoire, la législation de l'Etat d'arrivée relative à l'immigration étant applicable dans ces zones, avec les mêmes conséquences en cas d'infraction. Ils seront autorisés à retenir pour interrogatoire, pendant une durée de 24 heures renouvelables une fois, les personnes suspectées d'enfreindre la législation sur l'immigration. Ce délai sera mis à profit pour enquêter sur les réseaux fournissant de faux documents aux étrangers souhaitant émigrer.

En cas de refus d'entrée d'une personne sur le territoire de l'Etat d'arrivée, le traité prévoit que l'Etat de départ sera tenu de la reprendre.

Du côté français, le premier bureau sera mis en place à Calais. Depuis la signature d'un accord, en août 2002, entre les Ministres de l'Intérieur des deux pays, des pré-contrôles sont déjà effectués au port de Calais, qui préfigurent ceux qui seront institués sur la base du présent accord. Les contrôles de sortie du territoire sont effectués par les agents français, et les contrôles d'entrée sur le territoire britannique par des agents de l'Immigration Service.

Le deuxième bureau sera mis en place à Dunkerque.

Actuellement, le faible niveau du trafic transmanche dans les autres ports de la Manche et de la Mer du Nord ne justifie pas la création d'autres bureaux dans ces ports, bien que cette possibilité soit ouverte par le traité. A Boulogne sur mer cependant, la délimitation de la zone de contrôle britannique et la mise à disposition de locaux ont été prévues par l'arrangement relatif aux zones de contrôle. Les autorités britanniques n'ont cependant pas confirmé qu'elles investiraient les lieux, du moins tant qu'aucun trafic transmanche de passagers n'aura été rouvert.

On soulignera que le troisième arrangement administratif, signé à Londres le 24 novembre 2003 par les autorités des deux pays, prévoit la mise à disposition par le Royaume-Uni de matériels de détection de la présence humaine dans les véhicules pour en équiper les sept ports français de la Manche et de la Mer du nord (Cherbourg, Caen-Ouistreham, Calais, Dieppe, Dunkerque, Roscoff, Saint-Malo). Les contrôles au moyen de ces nouveaux équipements seront effectués par les autorités gestionnaires de chaque port : le recours à ces matériels permettront aux compagnies de transport de mieux remplir les obligations de recherche qui leur incombent au titre de la loi britannique relative à la responsabilité des transporteurs. L'arrangement en question entrera en vigueur après la ratification du présent traité.

On considère aujourd'hui que la mise en œuvre de ces nouveaux moyens de contrôle devrait permettre une efficacité suffisante dans ces ports au trafic plus réduit. L'expérience déjà acquise au port de Calais, où ces matériels de détection ont été installés dès janvier 2002, a montré l'efficacité de cet apport aux moyens de contrôle humains : 6 300 voyageurs clandestins ont été interpellés avant l'embarquement des véhicules entre janvier et octobre 2003. La fiabilité exceptionnelle de ce matériel a contribué à la chute spectaculaire du nombre de clandestins découverts aujourd'hui : les services constatent que si 100 personnes étaient découvertes par jour en 2002, elles ne sont plus actuellement que 100 par mois.

Du côté britannique, l'installation d'un bureau à contrôles nationaux juxtaposé est prévue à Douvres.

B - Le traitement des demandes d'asile

Le traité comporte, dans son article 9, des dispositions précises sur le pays responsable du traitement des demandes d'asile présentées dans les ports concernés. Si une personne émet une demande d'asile au cours d'un contrôle effectué en France par les agents britanniques, la demande devra être examinée par les autorités françaises. Il en sera de même si la demande est présentée après l'accomplissement des formalités de contrôle et avant le départ du navire. Le contrôleur britannique sera alors fondé à remettre le candidat à l'asile aux agents français présents sur le port, la procédure étant traitée par la préfecture. En revanche, si la demande d'asile est présentée après le départ du navire, elle sera examinée par l'Etat d'arrivée, et donc par les autorités britanniques.

Ces dispositions sont calquées sur celles prises par le protocole additionnel au protocole de Sangatte, déjà mentionné, pour la liaison ferroviaire.

Elles sont favorables au Royaume-Uni, car elles auront pour effet de diminuer la charge incombant aux autorités de ce pays en ce qui concerne l'examen des demandes d'asile.

On rappellera que la convention de Dublin de 1990 relative à la détermination de l'Etat membre compétent pour l'examen des demandes d'asile prévoit qu'un étranger ne peut déposer qu'une seule demande d'asile dans les pays de l'Union : toute demande déposée en France exclut pour le demandeur la possibilité d'obtenir l'asile en Grande-Bretagne. Cela entraîne la possibilité d'un surcroît de travail pour l'administration française, mais il est aussi possible que les personnes dont l'objectif est d'atteindre la Grande-Bretagne rechercheront d'autres routes pour l'atteindre.

C - Les modalités de mise en œuvre

L'organisation des contrôles devrait être modifiée pour mettre en œuvre les dispositions du présent accord.

Pour la liaison Douvres-Calais, les mesures prises sont les suivantes.

Dans le port de Calais, en amont de la zone enclose, un nouveau rond-point d'accès sera aménagé, prévoyant trois lignes pour le contrôle « sûreté », en amont de l'aubette de contrôle des passeports ; ces deux types de contrôles sont systématiques, et le temps nécessaire à chaque contrôle de camion ne devrait pas excéder trois minutes.

Dans la zone enclose, une zone de contrôle britannique sera mise en place sur le terminal de la compagnie transmanche Norfolk Lines : la compétence des officiers britanniques sera strictement limitée aux questions d'immigration. Cette zone de contrôle sera déterminée en aval sur l'accès aux parkings de pré-embarquement de la compagnie maritime. Les officiers d'immigration britanniques effectueront le contrôle des documents de voyage tel que prévu par leur législation nationale, et auront recours, dans la recherche des clandestins, à des matériels électroniques et des équipes cynophiles, selon un mode aléatoire. Les douanes françaises exerceront leurs contrôles sur la totalité des emprises, y compris la zone britannique.

La Police aux frontières, effectuant les contrôles d'immigration du côté français, n'interviendra pas dans la zone britannique.

Dans le port de Douvres, des renforts d'effectifs de la Police aux frontières seront nécessaires pour constituer le Bureau à contrôles nationaux juxtaposés. Un renfort de 32 fonctionnaires a été demandé par la Direction départementale pour créer le service PAF de Douvres. Au total, avec des redéploiements, une cinquantaine de fonctionnaires devraient être affectés à Douvres, ce qui permettra la présence permanente d'une douzaine de personnes. Des locaux d'une superficie d'environ 200 m2 devraient y être prêts en juillet 2004.

Le Ministère de l'Intérieur britannique prévoit d'affecter, dans des locaux de 1400 m² qui doivent être mis à sa disposition, une trentaine de fonctionnaires présents en permanence sur le port de Calais, ce qui suppose un effectif total d'une centaine de personnes ou plus.

En ce qui concerne le trafic maritime en provenance et en direction de Dunkerque, les mesures seront les suivantes.

Dans le port de Dunkerque, 22 agents supplémentaires du corps de maîtrise et d'application sont attendus, dans le but d'assurer 24 heures sur 24 une présence minimale de trois fonctionnaires par vacation sur le point de passage autorisé Schengen (ou PPA) de Dunkerque Loon Plage. Les effectifs nouveaux seront intégrés dans les brigades existantes du service de Dunkerque pour constituer à chaque vacation un détachement déployé en poste avancé sur le PPA transmanche, qui viendra assister les officiers britanniques, et effectuera les contrôles propres à la partie française.

Les effectifs de l'Immigration Service britannique devraient être de deux équipes de dix personnes. Ce service envisage de s'implanter dès la ratification du traité du Touquet, soit dès cette fin d'année 2003.

Un bâtiment est déjà disponible, mais d'autres aménagements doivent encore être réalisés avant l'entrée en vigueur du système total de contrôle prévu, en février prochain.

La tâche du BCNJ de Dunkerque Loon Plage devrait, dans une première phase, se limiter aux contrôles documentaires ; elle sera mise en œuvre simultanément avec les contrôles effectués à Douvres. Lorsque les travaux seront achevés, le contrôle comportera les contrôles électroniques pour la recherche des clandestins.

Les implantations actuelles devront être complétées, compte tenu de l'absence de locaux disponibles pour la Police aux frontières sur le port, par la mise à disposition de locaux permettant l'accueil des clandestins en attente de transfert.

En conclusion, on soulignera que la mise en place des BCNJ, qui entraînera la présence de policiers britanniques en nombre important, comme on l'a vu, à Calais particulièrement, aura pour conséquence une efficacité accrue des contrôles de personnes. Corrélativement, on peut s'attendre à une augmentation des interpellations, et autant de procédures de réadmission, de déferrement, et de reconduite à la frontière. Le nombre des demandes d'asile devrait également s'accroître. Il conviendra d'être vigilant quant à l'affectation de personnels en nombre suffisant pour faire face à l'ensemble de ces tâches. Il est souhaitable que des postes supplémentaires soient prévus pour accompagner l'entrée en vigueur du traité.

Enfin, on observera - et cela pourrait apporter un élément d'optimisme, même s'il n'est pas évident d'en tirer la conséquence qu'il y aurait de moindres tensions à travers le monde - que le flux de migrants a connu au cours de cette année une baisse énorme, de 83 %, dans le Pas-de-Calais. Cette baisse apparaît en comparant le nombre d'interpellations effectuées sur onze mois : ce nombre était de 95 000 au 1er décembre 2002, or il n'est que de 16 000 au 1er décembre 2003.

Certes, cette baisse est accompagnée d'un déplacement des migrants vers d'autres points d'ancrage : Le Havre, Dieppe, Saint-Omer ou Zeebrugge, en Belgique. De même, beaucoup de migrants sont interpellés sur les liaisons autoroutières ou dans les agglomérations comme Calais. Néanmoins, Calais étant le premier port en nombre de passagers, une baisse importante des clandestins dans ses alentours signifie aussi une baisse globale.

CONCLUSION

La ratification du présent traité par le Royaume-Uni a eu lieu en novembre 2003. L'entrée en vigueur se fera le premier jour du second mois suivant le dépôt du second instrument de ratification. De façon concomitante entrera en vigueur l'arrangement administratif relatif à la mise en place des zones de contrôle, conclu le 16 octobre 2003, prévoyant notamment la mise à disposition par le Gouvernement britannique des matériels de détection de la présence humaine dans les véhicules. Le traité et l'arrangement pourront donc entrer en vigueur dès le mois de février 2004.

La mise en oeuvre de l'ensemble des dispositions résultant du traité et de l'arrangement permettra d'escompter une mise en œuvre plus efficace des procédures.

D'une part, un contrôle à 100% des flux de personnes et de véhicules pourra être effectué à l'entrée en France, soit à l'entrée de l'espace Schengen : ce contrôle systématique de toute personne franchissant la frontière extérieure Schengen est en effet exigé par l'article 2 de la Convention d'application de 1990. La réalisation de ce contrôle dépend du déploiement d'effectifs de la direction départementale de la Police aux frontières du Pas-de-Calais au BCNJ implanté au port de Douvres : le renfort d'effectifs s'impose donc.

L'entrée en vigueur du traité devrait permettre à la France, dont la façade ouest constitue une frontière extérieure de l'espace Schengen, de mieux contrôler cette frontière et donc de mieux assumer ses obligations envers nos partenaires européens.

A la sortie de l'espace Schengen, il est également escompté une plus grande efficacité des procédures. Mais ceci pourrait se traduire par une forte augmentation du nombre d'étrangers en situation irrégulière interpellés à l'embarquement des ferries : il faudra en tirer les conséquences sur le plan du personnel affecté aux services concernés de la Police aux frontières.

Il faut espérer que ce nouveau dispositif reposant sur la mise en place des BCNJ jouera son rôle de dissuasion et permettra de faire baisser durablement la pression migratoire clandestine dans le Pas de Calais à destination du Royaume-Uni.

Pour ces raisons, votre Rapporteur propose à la Commission de donner un avis favorable au présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du 16 décembre 2003.

Après l'exposé du Rapporteur, M. Guy Lengagne a tout d'abord observé que cette situation découlait de la législation anglaise relative au statut des demandeurs d'asile très attractive pour les candidats à l'immigration. Les autorités britanniques ont demandé et obtenu la fermeture du centre de Sangatte, ce qui n'a pas fait disparaître le flux de migrants mais a entraîné sa dispersion dans dans toute la région.

En outre, le système des contrôles d'immigration réalisés en amont sur le territoire de l'Etat de départ, déjà appliqué à la gare du Nord par exemple pour l'embarquement sur Eurostar, risque d'être mal vu par les compagnies maritimes dans la mesure où les 50 000 passagers quotidiens vont certainement être perturbés par les contrôles successifs.

De même, il conviendrait d'être prudent devant les chiffres de l'immigration qui augmentent ou diminuent en fonction de l'évolution des conflits afghans, irakiens ou autres.

Enfin, certes ces mesures sont efficaces, mais, d'une façon concrète, les populations du Kosovo, d'Albanie ou d'Afghanistan par exemple fuient leur pays même si les contrôles aux frontières anglaises sont stricts et c'est la France qui doit gérer la situation créée par la difficulté de gagner le territoire britannique.

Le Président Edouard Balladur en a conclu que la solution résidait probablement dans l'adaptation de la législation actuellement applicable au Royaume-Uni.

M. Richard Cazenave a souligné qu'il revenait, dans l'espace Schengen, au premier Etat qui accueille les immigrants de traiter la question du droit d'asile. Dans ces conditions, la solution du problème se situe plus en amont car ces clandestins entrent sur le territoire français en provenance d'autres pays de l'Union européenne.

M. Guy Lengagne a cependant indiqué que la plupart de ces immigrants ne souhaitaient pas rester en France mais désiraient aller au Royaume-Uni, aussi ne présentent-ils pas de demandes d'asile en France.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (no 1246).

La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte du traité figure en annexe au projet de loi (n° 1246).

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N° 1292 - Rapport sur le projet de loi -  approbation du traité avec la Grande Bretagne et l'Irlande du Nord - mise en oeuvre de contrôles financiers dans les ports maritimes de la Manche et de la mer du Nord (Sénat, 1ère lecture) (M. Louis Guédon)


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