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le 2 février 2004

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N° 1381

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 janvier 2004.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (N° 1378) relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics,

PAR M. Pascal CLÉMENT,

Député.

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Voir le numéro : 1382.

INTRODUCTION 5

I. -  LE PORT DE SIGNES RELIGIEUX À L'ÉCOLE : UNE PRATIQUE JURIDIQUEMENT MAL ENCADRÉE QUI FRAGILISE L'ÉCOLE DANS SON RÔLE D'INTÉGRATION 7

A.- LE PORT DE SIGNES RELIGIEUX A L'ÉCOLE : UN RÉGIME JURIDIQUE JURISPRUDENTIEL INSUFFISANT 7

1. La difficile conciliation par le Conseil d'État de deux principes constitutionnels 7

2. Un régime juridique ambigu qui ne permet plus de faire face aux revendications identitaires 10

B.- L'ÉCOLE FRAGILISÉE DANS SON RÔLE D'INTÉGRATION ET DE FORMATION DES CITOYENS : UN CONSTAT PARTAGÉ 14

1. Les constats de la mission de l'Assemblée nationale sur la question du port de signes religieux à l'école 14

2. Les constats de la Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République 15

3. Le discours du Président de la République du 17 décembre 2003 16

II. -  LA RÉAFFIRMATION PAR LA LOI DU PRINCIPE DE LAÏCITÉ À L'ÉCOLE : UNE EXIGENCE SOCIALE ET JURIDIQUE 17

A.- RÉAFFIRMER PAR LA LOI LE MODÈLE D'INTÉGRATION À LA FRANÇAISE 17

B.- ÉTABLIR UN JUSTE ÉQUILIBRE ENTRE LIBERTÉ DE CONSCIENCE ET PRINCIPE DE LAÏCITÉ, CONFORME AUX ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX DE LA FRANCE 18

1. Établir un juste équilibre entre liberté de conscience et principe de laïcité 18

2. Une initiative conforme à la Convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales 19

III. -  LE PROJET DE LOI INTERDIT LE PORT DES SIGNES RELIGIEUX OSTENSIBLES TOUT EN RESPECTANT L'ESPRIT DE TOLÉRANCE ET DE DIALOGUE 21

A.- UNE RÉAFFIRMATION LÉGALE DU PRINCIPE DE LAICITÉ À L'ÉCOLE 21

1. L'interdiction du port des signes et tenues manifestant ostensiblement l'appartenance religieuse 21

2. Le régime juridique actuel sur le port de signes politiques à l'école est satisfaisant 22

3. Une application sur l'ensemble du territoire français 22

B.- UN DISPOSITIF QUI RESPECTE L'ESPRIT DE TOLÉRANCE ET DE DIALOGUE 23

1. Le respect du caractère propre des établissements privés 23

2. Le rôle essentiel des chefs d'établissement et de la médiation 23

3. Un délai de mise en vigueur de la loi pour favoriser l'accompagnement du dispositif 24

DISCUSSION GÉNÉRALE 24

EXAMEN DES ARTICLES 29

Article premier : Interdiction dans les établissements scolaires publics, du port de signes et de tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse 29

Article 2 : Application territoriale de la loi 36

Article 3 : Entrée en vigueur 39

TABLEAU COMPARATIF 41

AMENDEMENTS NON ADOPTÉS PAR LA COMMISSION 45

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi qui nous est soumis est l'aboutissement de plusieurs mois de débat et de réflexion sur un sujet qui touche à l'une des valeurs fondatrices de notre pays : la laïcité.

Dans le cadre d'un débat national particulièrement sensible, parce qu'il concerne la qualité de notre cohésion nationale, deux instances ont été mises en place, l'une par le Président de la République sur l'application du principe de laïcité dans la République, présidée par M. Bernard Stasi, l'autre par notre Assemblée sur le port des signes religieux à l'école, conduite par notre Président Jean-Louis Debré.

Leur travail approfondi, les nombreuses auditions auxquelles elles ont procédé, les ont conduites à la même conclusion : le principe de laïcité qui connaît des difficultés d'application dans une société de plus en plus multiculturelle doit être réaffirmé et en premier lieu à l'école, lieu de formation où les futurs citoyens non seulement acquièrent le savoir mais font également l'apprentissage du « vivre ensemble ».

Le présent projet est donc nécessaire et attendu. Il a également un caractère solennel en répondant à la volonté exprimée par le Président de la République dans son discours du 17 décembre dernier de réaffirmer par la loi le principe de laïcité à l'école.

La nécessité d'une intervention du législateur est également consensuelle parce que le port des signes religieux à l'école est actuellement mal encadré sur le plan juridique et qu'il n'existe aucune base légale permettant d'inscrire clairement dans les règlements intérieurs des établissements scolaires les modalités du port de signes religieux à l'école.

Un avis du Conseil d'Etat de novembre 1989 a tenté d'établir un équilibre entre les deux principes constitutionnels de laïcité et de liberté de conscience. Selon cet avis et la jurisprudence ultérieure, le droit de porter un signe religieux à l'école est actuellement la règle et son interdiction l'exception. Un signe n'est pas ostentatoire en lui-même, il doit s'accompagner d'un comportement de prosélytisme et de provocation qu'il faut prouver. Il en résulte un régime juridique qui dépend de compromis locaux divergents, sources d'insécurité juridique et de dilution du principe de laïcité.

Dans un contexte qui a changé il est donc devenu indispensable de clarifier, par la loi, un régime juridique qui ne permet plus de faire face aux revendications identitaires qui se multiplient dans les établissements scolaires.

Enfin, il faut une intervention du législateur pour répondre à l'exigence juridique d'un fondement légal à la restriction d'une liberté fondamentale, telle qu'elle résulte de la Convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales.

Cette loi n'a pas pour objet de refonder la laïcité. Il ne s'agit pas d'en faire une religion ni un objectif en soi, mais de la réaffirmer comme instrument de cohésion sociale et d'intégration. Et c'est à l'école qu'il faut d'abord intervenir parce que c'est le premier lieu - le plus important - de transmission des valeurs républicaines. Cette loi permettra de rétablir un juste équilibre entre une liberté de conscience qu'il n'est ni question de remettre en cause ni d'affaiblir et un principe de laïcité que l'on souhaite ouvert et tolérant.

Il s'agit concrètement d'inverser la logique d'appréciation de l'équilibre entre les deux libertés en cause et de clarifier le régime juridique. Le principe devient l'interdiction du port de signes religieux par lequel les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse mais il laisse place à la manifestation légitime de croyances religieuses quand elle est discrète.

Votre commission a préféré cette formulation à celle qu'avait préconisée la mission parlementaire en proposant le terme de « visible », parce qu'une telle interdiction, en visant tous les signes religieux, même les plus discrets, poserait des problèmes d'application, risquerait d'être sanctionnée par la Cour européenne des droits de l'homme et fausserait l'objectif de la loi qui est de réaffirmer une laïcité tolérante.

Il ne s'agit pas non plus d'une loi-couperet. L'objectif est de poser un principe clair sur lequel pourront désormais s'appuyer les chefs d'établissement mais le délai d'entrée en vigueur prévu par le projet de loi permettra d'expliquer le dispositif et de préparer l'ensemble de la communauté scolaire à son application à partir de la rentrée scolaire 2004.

Dans ce même esprit d'accompagnement et d'ouverture, votre commission a adopté un amendement qui imposera de recourir au dialogue avant toute procédure disciplinaire. Il n'est surtout pas question de jeter la suspicion sur les capacités d'échange et de dialogue du corps enseignant ou de l'administration scolaire mais de marquer le souci du législateur que l'examen de chaque cas soit l'occasion d'exercer une pédagogie de la laïcité.

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I. -  LE PORT DE SIGNES RELIGIEUX À L'ÉCOLE : UNE PRATIQUE JURIDIQUEMENT MAL ENCADRÉE QUI FRAGILISE L'ÉCOLE DANS SON RÔLE D'INTÉGRATION

En l'absence de texte législatif, l'encadrement juridique du port, par les élèves, de signes religieux à l'école a été déterminé par le Conseil d'État, dans un avis du 27 novembre 1989. Cependant, comme l'ont montré les auditions menées de la mission de l'Assemblée nationale, conduite par la Président Jean-Louis Debré et la Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République, ce régime juridique ne permet plus aux chefs d'établissement de faire face aux revendications identitaires qui remettent en cause le principe de laïcité à l'école et la fragilise dans son rôle d'apprentissage du « vivre ensemble ».

A.- LE PORT DE SIGNES RELIGIEUX A L'ÉCOLE : UN RÉGIME JURIDIQUE JURISPRUDENTIEL INSUFFISANT

1. La difficile conciliation par le Conseil d'État de deux principes constitutionnels

Le port de signes religieux à l'école pose le délicat problème juridique de la conciliation de deux principes constitutionnels : la liberté de conscience et le principe de laïcité.

Le principe de laïcité est consacré à la fois par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui affirme que « l'organisation de l'enseignement laïque et gratuit est un devoir d'Etat », et par l'article premier de la Constitution du 4 octobre 1958 qui dispose que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

Comme l'a rappelé la mission parlementaire sur le port des signes religieux à l'école, la laïcité plonge ses racines dans un long processus historique : « La laïcité « à la française » s'est construite au cours d'un long cheminement. Entre l'expression du principe et sa traduction dans les normes juridiques, plusieurs siècles se sont écoulés. Etendard ambigu de la Révolution, valeur de combat chez les républicains au cours du XIXème siècle, la laïcité, si elle divise moins, interroge encore. Sa pérennité1 dépend moins de son renouvellement - la loi de 1905, qui constitue le socle légal de cette construction, fait aujourd'hui l'objet d'un consensus - que de sa capacité à appréhender des situations nouvelles, telles que le port des signes religieux à l'école. »

Inscrite à l'article X de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et à l'article premier de la Constitution du 4 octobre 1958, la liberté de conscience a, quant à elle, été consacrée par le Conseil constitutionnel comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République2. Elle est aussi garantie par des conventions internationales ratifiées par la France, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales.

Le principe de laïcité implique une limitation à la liberté de manifester sa religion dans la mesure où il impose à l'Etat une obligation de neutralité. Mais, ce principe assure également le respect de la liberté de conscience en garantissant un espace public neutre, tolérant les convictions personnelles de chacun. Ainsi, l'Etat assure l'égalité de tous devant la loi en interdisant toute discrimination fondée sur les opinions religieuses.

Le rôle essentiel de la laïcité dans la protection de la liberté de conscience a été rappelé en ces termes par la Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République : « La laïcité, pierre angulaire du pacte républicain, repose sur trois valeurs indissociables : liberté de conscience, égalité en droit des options spirituelles et religieuses, neutralité du pouvoir politique. La liberté de conscience permet à chaque citoyen de choisir sa vie spirituelle ou religieuse. L'égalité en droit prohibe toute discrimination ou contrainte et l'Etat ne privilégie aucune option. Enfin le pouvoir politique reconnaît ses limites en s'abstenant de toute immixtion dans le domaine spirituel ou religieux. La laïcité traduit ainsi une conception du bien commun. Pour que chaque citoyen puisse se reconnaître dans la République, elle soustrait le pouvoir politique à l'influence dominante de toute option spirituelle ou religieuse, afin de pouvoir vivre ensemble. »

La Constitution ne prévoyant pas de hiérarchie entre ces deux principes constitutionnels, leur conciliation relève d'un équilibre progressivement acquis et précisé par la jurisprudence du Conseil d'Etat.

Dans le domaine de l'enseignement, qui concerne le présent projet de loi, le principe de laïcité et de neutralité religieuse a été introduit dans les programmes de l'enseignement primaire par l'article premier de la loi du 28 mars 1882 qui a substitué « l'instruction morale et civique » à la « morale religieuse ». Aujourd'hui, la laïcité de l'enseignement public est notamment garantie par l'article L.141-5 du code de l'éducation nationale, selon lequel : « dans les établissements du premier degré publics, l'enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque » et par l'article L. 141-4 du même code qui précise que : « l'enseignement religieux ne peut être donné aux enfants inscrits dans les écoles publiques qu'en dehors des heures de classe. »

C'est dans ce cadre constitutionnel et légal, et à la suite de difficultés signalées dans certains établissements scolaires, qu'à la demande du ministre de l'éducation nationale, le Conseil d'Etat a précisé, dans un avis du 27 novembre 1989, le régime juridique du port, par les élèves, de signes religieux dans les établissements scolaires.

Le juge administratif a estimé que « dans les établissements scolaires, le port, par les élèves, de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n'est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l'exercice de la liberté d'expression et de manifestation de croyances religieuses ».

Toutefois, il a assorti cette liberté de réserves fondées sur un certain nombre de circonstances, limitativement déterminées, dans lesquelles il admet une interdiction ponctuelle. Est ainsi prohibé, le port de signes religieux qui, soit par « leur nature », soit par « les conditions dans lesquelles ils seraient portés individuellement ou collectivement, ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif :

- constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande ;

- porteraient atteinte à la dignité ou à la liberté de l'élève ou d'autres membres de la communauté éducative ;

- compromettraient gravement leur santé ou leur sécurité ;

- perturberaient le déroulement des activités d'enseignement et le rôle éducatif des enseignants ;

- troubleraient l'ordre dans l'établissement ou le fonctionnement du service public ».

Le Conseil d'Etat a ajouté que les modalités d'application de ce principe relèvent des règlements intérieurs des établissements scolaires et que les procédures disciplinaires incombent aux directeurs et chefs d'établissement. Ainsi, des sanctions disciplinaires, comme l'exclusion des élèves, peuvent être prises, sous le contrôle du juge administratif.

Il ressort de cet avis qu'en l'état actuel du droit la possibilité de porter un signe religieux à l'école est la règle et son interdiction, l'exception.

Le Conseil d'Etat établit une distinction très claire entre « un signe religieux ostentatoire » et « le port ostentatoire d'un signe religieux ». Le juge refuse en effet de considérer qu'un signe religieux est, en lui-même, ostentatoire3. Ce n'est pas le signe qui est ou peut être ostentatoire, mais bien son port et donc le comportement qui en résulte : prosélytisme, pression, provocation, trouble à l'ordre public, atteinte au bon fonctionnement des enseignements, non-respect de l'obligation d'assiduité.

Deux circulaires du ministre de l'éducation nationale du 12 décembre 1989 et du 20 septembre 1994 sont venues préciser les conclusions de cet avis, mais le Conseil d'Etat a considéré, dans un arrêt « association Un Sysiphe » du 10 juillet 1995, que celles-ci étaient de nature interprétative et n'avaient donc aucune valeur normative.

En conséquence, il n'existe, en droit positif, aucune règle juridique encadrant le port, par les élèves, de signes religieux dans les écoles, autre que la jurisprudence administrative.

Le Conseil d'Etat a été amené à préciser progressivement les circonstances dans lesquelles le port de signes religieux peut être interdit et sanctionné.

Il a ainsi annulé les dispositions d'un règlement intérieur qui interdisait, de façon générale, le port de signes religieux à l'école, par une décision Kherouaa du 2 novembre 1992. Pour autant, comme le relève le commissaire du Gouvernement Yann Aguila, cet arrêt « n'a jamais été le feu vert donné au port du foulard ». Il confirme que chaque cas est apprécié en fonction de circonstances concrètes mais qu'une mesure d'interdiction générale du port de signes religieux inscrite dans un règlement intérieur est toujours censurée.

En revanche, le juge administratif a validé les décisions d'exclusion, lorsqu'elles se fondaient sur un comportement de prosélytisme et de provocation. Il a ainsi considéré que la participation à des mouvements de protestation par des élèves, ayant gravement troublé le fonctionnement normal de l'établissement, justifiait leur exclusion (Ligue islamique du Nord, et Epoux Tlaouziti du 27 novembre 1996). De même, dans une décision Aoukili du 10 mars 1995, le Conseil d'Etat a confirmé la décision d'exclusion de deux élèves ayant refusé d'enlever leur voile en cours de gymnastique.

Votre Rapporteur tient à souligner que si le Conseil d'Etat autorise, selon les circonstances, le port de signes religieux à l'école, il n'admet pas que la liberté d'expression religieuse conduise à porter atteinte à l'obligation d'assiduité des élèves. Ainsi, dans une décision Koen du 14 avril 1995, le juge a refusé d'admettre que la liberté d'expression religieuse puisse justifier une dispense générale d'assistance aux cours du samedi, tout en admettant que des dispenses pouvaient être individuellement et ponctuellement accordées, si elles sont compatibles avec l'accomplissement des études et le respect de l'ordre public.

Mais la question du port de signes religieux se pose aujourd'hui dans un contexte nouveau qui remet en cause l'équilibre que la Haute juridiction administrative a tenté de trouver entre liberté de conscience et principe de laïcité.

Le débat sur la laïcité ne se pose plus dans les mêmes termes qu'au début du siècle, ni même qu'en 1989. Alors qu'en 1905 le juge devait assurer la garantie de la liberté de conscience et de sa libre expression face à des comportements anticléricaux, il est aujourd'hui confronté à des comportements identitaires qui perturbent de plus en plus gravement le fonctionnement des établissements scolaires et qui remettent en cause le modèle républicain d'intégration.

2. Un régime juridique ambigu qui ne permet plus de faire face aux revendications identitaires

Le port de signes religieux dans les écoles est la manifestation d'un problème nouveau qui est celui de l'attitude de l'Etat face à des communautés dont l'identité, notamment religieuse, tend à s'affirmer de plus en plus fortement. L'école, qui devrait être un cadre privilégié d'apprentissage du « vivre ensemble », est, depuis quelques années, perturbée dans sa fonction d'éducation des citoyens et aujourd'hui fortement fragilisée dans son rôle d'intégration.

a) Un régime juridique ambigu

Les opposants à l'intervention du législateur font valoir que les chefs d'établissement, par le dialogue et la médiation, ont la possibilité de faire face aux revendications identitaires auxquelles ils sont confrontés.

Le système actuel privilégie, en effet, la solution du dialogue. Ainsi, en 1994, une structure de médiation a été mise en place au niveau national. De même, la circulaire du 12 décembre 1989, tout en rappelant que le port de signes religieux est autorisé, indique qu'en cas de conflit « le dialogue doit être immédiatement engagé avec le jeune et ses parents afin que, dans l'intérêt de l'élève et le souci du bon fonctionnement de l'école, il soit renoncé au port de ces signes ».

Mais alors que les chefs d'établissement sont incités à dialoguer pour que les jeunes filles retirent leur foulard, la jurisprudence administrative est davantage dans une position d'autorisation du port de signes religieux, sous les réserves déjà évoquées. C'est dans cette contradiction que résident toute l'ambiguïté et la faiblesse du système actuel, les chefs d'établissement se trouvant dans la position délicate de devoir admettre le port de signes religieux dans les écoles, tout en faisant en sorte que cette pratique disparaisse.

Cette contradiction est utilisée par les élèves concernés qui connaissent souvent très bien la jurisprudence et durcissent leur position en refusant le dialogue. Les compromis trouvés sont fragiles et sans cesse remis en cause. Les chefs d'établissement ont le sentiment de devoir céder et souhaitent une clarification du droit.

b) Un régime juridique dont les difficultés d'application montrent les limites

Les partisans du système juridique actuel considèrent que les conditions posées par le Conseil d'Etat au port de signes religieux à l'école proposent un équilibre satisfaisant entre les principes de neutralité et de liberté de conscience. Pourtant, les limites jurisprudentielles apparaissant insuffisantes en pratique.

Le Conseil d'Etat a eu l'occasion de confirmer des décisions d'exclusion aux motifs qu'il y avait actes de prosélytisme. C'est le cas notamment dans l'arrêt Aoukili4 du 10 mars 1995 qui retient que le père des jeunes filles voilées, en distribuant des tracts et en médiatisant l'affaire, avait aggravé le trouble à l'ordre public. Les actes de prosélytisme et de propagande étaient, dans ce cas, manifestes.

De même, le Conseil d'Etat approuve une exclusion lorsque le port du signe est accompagné d'un véritable trouble au fonctionnement de l'école - comme l'organisation d'une manifestation -, ou se traduit par le non-respect d'obligations scolaires - tel le refus d'assister à un cours d'éducation physique sans voile -, mais certaines situations peuvent être problématiques sans pour autant être aussi flagrantes.

Qu'en est-il, par exemple, lorsque les jeunes filles portant le voile déclarent à celles qui ne le font pas qu'elles sont de « mauvaises musulmanes » ? N'est-il donc pas légitime de considérer dans un tel cas que le port de certains signes religieux peut avoir, en soi, un caractère de propagande et de prosélytisme ?

c) L'exercice d'une liberté fondamentale dépend des décisions des chefs d'établissement qui constituent aujourd'hui un véritable « droit local »

L'appréciation de ce qui est ostentatoire au sens de la jurisprudence du Conseil d'Etat est souvent difficile et donne lieu, dans les établissements, à des compromis dont la validité juridique est aléatoire.

Certes, le règlement local des conflits par les chefs d'établissement permet une certaine souplesse et une adaptation aux circonstances locales, mais en l'absence de cadre législatif, ce sont les chefs d'établissement qui doivent déterminer les signes qui doivent être considérés comme ostentatoires et l'on assiste à une très grande diversité de situations et de compromis : port de signes religieux uniquement dans la cour de récréation, foulard en bandeau, foulard de couleur, etc. Les chefs d'établissement ont le sentiment de reculer face aux revendications identitaires.

Lors de son audition par la mission de l'Assemblée nationale sur la question du port de signes religieux à l'école, M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire a reconnu que l'« on voit apparaître une sorte de droit local. Les chefs d'établissement doivent faire du cas par cas. Ici, ils tolèrent le bandeau, là ils ne disent rien et s'arrangent, aménagent un peu les cours, à l'image de certains maires qui ouvrent les piscines à tel moment pour qu'il n'y ait que les musulmans, à tel moment pour qu'il y ait tel autre groupe. On arrive à une sorte de « bricolage » réglementaire local qui, si l'on n'y prend pas garde, installera une sorte de confusion par rapport au principe que nous voulons affirmer. »

Votre Rapporteur ne peut que s'opposer à ce que les conditions d'exercice d'une liberté fondamentale dépendent de compromis locaux. Ce « bricolage » local, selon les termes employés par le ministre, engendre une insécurité juridique en même temps qu'une dilution du principe de laïcité. L'intervention du législateur apparaît, dès lors, indispensable.

d) Les élèves, en tant que membres de la « communauté scolaire », doivent se voir imposer certaines obligations

Le régime juridique actuel repose en outre sur une dichotomie critiquable entre les agents du service public de l'éducation, qui se voient imposer une obligation de neutralité stricte, et les élèves, qui peuvent manifester leurs convictions par le port de signes religieux.

Les enseignants sont en effet tenus à une obligation stricte de neutralité et ne peuvent, dans leurs fonctions, manifester leurs convictions par le port de signes religieux. Ainsi, le Conseil d'Etat, dans un avis contentieux du 3 mai 2000, Demoiselle Marteaux, a jugé que « le fait pour un agent du service de l'enseignement de manifester dans l'exercice de ses fonctions ses croyances religieuses notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion constitue un manquement à ses obligations ». Il a donc validé l'exclusion d'une enseignante qui refusait de retirer son voile.

Une telle dichotomie n'apparaît pas justifiée. En effet, les élèves ne sont pas de simples usagers du service public : ils font partie de la « communauté scolaire » et ils font l'apprentissage, à l'école, de la citoyenneté et du « vivre ensemble ». A ce titre, il ne paraît pas illégitime de leur imposer certaines obligations.

Il est vrai que les élèves se sont vus reconnaître le droit à exercice des libertés fondamentales au sein de l'école par la loi du 10 juillet 1989. Cependant, la même loi prévoit que ces droits doivent être conciliés avec certaines règles nécessaires au bon fonctionnement du service public de l'enseignement. Ainsi, l'obligation d'assiduité peut limiter la liberté d'exercer son culte, comme l'a précisé le Conseil d'Etat dans les arrêts Consistoire des israélites de France et autres et Koen5 du 14 avril 1995. Dans cette affaire, c'est bien l'exercice du culte lui-même qui était en cause - respect du commandement du repos le samedi -, et que le Conseil d'Etat a souhaité limiter.

Compte tenu du développement des revendications identitaires au sein des établissements scolaires et des tensions qu'elles y provoquent, il apparaît tout à fait légitime d'interdire les manifestations ostensibles d'appartenance religieuse qui portent atteinte à la neutralité de l'espace scolaire.

e) Un régime jurisprudentiel qui ne répond pas à l'exigence juridique d'un fondement légal pour restreindre l'exercice d'une liberté fondamentale

Comme on l'a vu, l'encadrement juridique du port de signes religieux à l'école est uniquement jurisprudentiel. Deux circulaires ont été adoptées mais le Conseil d'Etat a jugé qu'elles étaient dépourvues de valeur normative.

Ce système juridique semble peu compatible avec les prescriptions de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 et de la Convention européenne des droits de l'homme qui consacrent la compétence du législateur pour restreindre l'exercice d'une liberté fondamentale.

Discutable sur le plan des principes, difficile à mettre en œuvre par les chefs d'établissement, le régime juridique actuel semble également discutable sur le plan du droit international. L'intervention du législateur apparaît, dès lors, pleinement justifiée.

B.- L'ÉCOLE FRAGILISÉE DANS SON RÔLE D'INTÉGRATION ET DE FORMATION DES CITOYENS : UN CONSTAT PARTAGÉ

Les manifestations d'appartenance religieuse et les comportements communautaristes, tels qu'ils se développent depuis quelques années, remettent en cause l'école dans son rôle d'intégration et d'apprentissage de la citoyenneté.

Il est difficile de mesurer l'ampleur actuelle des revendications identitaires. Les statistiques concernant le port de signes religieux à l'école portent essentiellement sur le foulard islamique et, selon le ministère de l'éducation nationale, les affaires de foulard n'ont donné lieu, en 2002, qu'à 10 contentieux et une centaine de médiations et le nombre de jeunes filles portant un foulard à l'école est environ de 1 500.

Cependant, ces chiffres ne reflètent pas la réalité de la montée du communautarisme à l'école. Les auditions de la mission de l'Assemblée nationale et de la Commission Stasi témoignent des multiples remises en cause de la neutralité de l'espace scolaire. Le refus d'assister à certains cours, les revendications de type alimentaire ou concernant des locaux de cantine séparés, l'absentéisme les jours de fêtes religieuses, le refus d'aller à la piscine ou le refus des élèves de passer devant des examinateurs de sexe opposé sont des manifestations qui se multiplient dans de nombreux établissements.

Elles créent des tensions graves au sein des communautés scolaires et remettent peu à peu en cause la neutralité de l'espace scolaire et la vocation de l'école comme lieu d'intégration à la communauté nationale.

1. Les constats de la mission de l'Assemblée nationale sur la question du port de signes religieux à l'école

Le rapport de la mission d'information sur la question du port de signes religieux à l'école, conduite par le Président Jean-Louis Debré, a consacré un long chapitre aux données historiques de la « laïcité à la française » et à son rôle essentiel dans la construction de l'identité et de la cohésion nationale.

Or le principe de laïcité à l'école connaît aujourd'hui des brèches que les nombreuses auditions ont mises en relief : celles-ci ont démontré que l'école, comme lieu d'apprentissage du « vivre ensemble », est en perte de vitesse. Le rapport met en évidence le décalage entre les constats officiels, qui se veulent rassurants, et la réalité de terrain qui, telle qu'elle s'exprime à travers les propos des enseignants et des chefs d'établissement, se révèle très préoccupante : violences scolaires, refus de certains enseignements, propos antisémites ou sexistes, refus du dialogue de la part des élèves qui portent le voile ou précarité des compromis souvent remis en cause. Si les cas litigieux semblent assez limités, quoique les chiffres soient discutables, le durcissement et la radicalisation des positionnements ont été affirmés par de nombreux observateurs.

De même, les auditions menées par la mission ont montré que le port du voile à l'école témoigne d'un recul de la condition de la femme dans certains quartiers et des pressions très fortes dont elles sont l'objet quotidiennement pour porter le voile.

Face à ce nouveau contexte, marqué par des revendications communautaires, elles-mêmes influencées par la montée de certains fondamentalismes et par les conflits internationaux, la mission a conclu à la nécessité et à l'urgence de l'intervention du législateur : « A l'issue de ces auditions, votre Président a acquis la conviction, partagée par tous les membres de la mission, qu'il est impératif d'agir rapidement en interdisant le port des signes religieux et politiques à l'école. La plupart des membres de la mission ont le sentiment que le silence du législateur, ses hésitations, ses divisions sur ce sujet seront interprétés par une large part de l'opinion comme un aveu de faiblesse et un signe d'impuissance qui ne fera qu'accentuer l'attractivité des thèses extrémistes et les dérives communautaristes. »

C'est pourquoi la mission propose que le port visible de tout signe religieux et politique soit interdit dans l'enceinte des établissements scolaires publics.

2. Les constats de la Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République

Le rapport de la Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République rappelle également la spécificité du principe de laïcité à la française, qui est le résultat d'un long processus historique et un instrument d'édification de la communauté nationale. Il souligne aussi que si la laïcité implique la neutralité de l'Etat, elle permet, avant tout, le respect de la liberté de conscience et de la diversité des options spirituelles. Elle est surtout un instrument de cohésion sociale et de définition d'un bien commun, au-delà des intérêts particuliers : « Dans la conception française, la laïcité n'est pas un simple « garde frontière » qui se limiterait à faire respecter la séparation entre l'Etat et les cultes, entre la politique et la sphère spirituelle ou religieuse. L'Etat permet la consolidation des valeurs communes qui fondent le lien social dans notre pays. ».

Or le principe de laïcité connaît aujourd'hui des remises en cause, tant dans les services publics que dans le monde du travail. L'école apparaît particulièrement touchée : non seulement le port de signes religieux, mais aussi les demandes d'absence systématiques et les contestations de pans entiers des programmes portent atteinte au fonctionnement de l'institution et remettent en cause sa capacité à transmettre des valeurs communes.

Le rapport montre aussi que l'hôpital n'est plus épargné par ces remises en cause. Les refus de se faire soigner ou accoucher par des médecins de sexe masculin se multiplient, des médecins sont récusés au prétexte de leur confession supposée, des cantines parallèles sont organisées pour servir de la nourriture traditionnelle au mépris des règles sanitaires. Ces faits se multiplient et remettent en cause tant les fondements de l'hôpital - l'égalité et la neutralité - que ses objectifs, la protection de la santé et le respect des exigences sanitaires.

De même, le rapport constate les conséquences néfastes de la montée du communautarisme : aggravation de la situation des femmes, atteinte portée à leur liberté individuelle, augmentation des actes racistes et xénophobes et montée d'un nouvel antisémitisme.

Il apparaît donc primordial aux membres de la Commission « d'affirmer une laïcité ferme qui rassemble ». S'agissant de l'école, la Commision propose d'insérer dans un texte de loi portant sur la laïcité la disposition suivante : « Dans le respect de la liberté de conscience et du caractère propre des établissements privés sous contrat, sont interdits dans les écoles, collèges et lycées les tenues et signes manifestant une appartenance religieuse ou politique. Toute sanction est proportionnée et prise après que l'élève a été invité à se conformer à ses obligations ». Cette proposition a été adoptée par la Commission à l'unanimité des présents moins une abstention.

3. Le discours du Président de la République du 17 décembre 2003

Le Président de la République, dans son discours solennel du 17 décembre 2003, a rappelé le rôle essentiel de la laïcité, comme instrument de cohésion sociale, dans une société caractérisée par une grande diversité culturelle. La laïcité permet de faire prévaloir l'égalité et la volonté d'appartenir à une communauté nationale. Cependant, la mondialisation et les tensions internationales suscitent l'inquiétude et la recherche d'identité et incitent au repli sur soi. La laïcité apparaît donc remise en cause par des revendications identitaires de plus en plus fréquentes, tant dans les services publics que dans le monde du travail.

Le Président de la République a donc appelé à une défense des valeurs républicaines. L'école, en tant que lieu de transmission de ces valeurs, doit être préservée. C'est pourquoi le Président a affirmé que les signes qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ne devaient plus avoir leur place à l'école.

II. -  LA RÉAFFIRMATION PAR LA LOI DU PRINCIPE DE LAÏCITÉ À L'ÉCOLE : UNE EXIGENCE SOCIALE ET JURIDIQUE

A.- RÉAFFIRMER PAR LA LOI LE MODÈLE D'INTÉGRATION À LA FRANÇAISE

L'objectif fondamental du présent projet de loi, qui tire les conséquences du débat national des derniers mois, n'est pas de redéfinir les relations entre les religions et l'Etat, mais bien de réaffirmer avec force la volonté de maintenir le modèle français d'intégration.

D'autres modèles existent, propres à d'autres cultures, mais la France ne saurait accepter le modèle d'intégration de type anglo-saxon qui donne une plus grande place à l'expression des communautarismes, car il est contraire à ses traditions, à son héritage historique et à sa culture.

Le refus du communautarisme et la volonté de préserver le modèle français d'intégration ont été rappelés par la Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République qui affirme que le cadre laïque « doit se donner les moyens de faire coexister sur un même territoire des individus qui ne partagent pas les mêmes convictions, au lieu de les juxtaposer en une mosaïque de communautés fermées sur elles-mêmes et mutuellement exclusives. Il est un moyen de faire coexister des individus qui ne partagent pas forcément les mêmes convictions. En ce sens, la laïcité peut être le levain de l'intégration de tous dans la société : elle équilibre reconnaissance du droit à une identité propre et effort nécessaire pour tisser les convictions individuelles avec le lien social. (...) En articulant unité nationale, neutralité de la République et reconnaissance de la diversité, la laïcité crée par-delà les communautés traditionnelles de chacun la communauté d'affections, cet ensemble d'images, de valeurs, de rêves et de volontés qui fondent la République. »

La réaffirmation légale de nos valeurs républicaines est aujourd'hui essentielle. L'augmentation des actes de racismes et la montée d'un nouvel antisémitisme sont aujourd'hui clairement perceptibles. Dans ce contexte, la réaffirmation, par la représentation nationale, des valeurs républicaines et de la volonté de construire une communauté nationale, dépassant les intérêts particuliers et les revendications identitaires, prend tout son sens.

Légiférer permet aussi de répondre aux attentes des chefs d'établissement et du personnel enseignant qui ont aujourd'hui le sentiment de ne pouvoir agir contre les remises en cause de la laïcité. Conscients que le problème dépasse la seule question du port de signes religieux à l'école, ils demandent que la loi constitue un rappel à la fois symbolique et pédagogique des valeurs qui fondent l'école.

Le projet de loi répond aussi aux attentes des jeunes gens, surtout des jeunes filles, qui subissent des pressions fortes et qui sont obligées de porter un signe religieux. Comme l'a rappelé Kaïna Benziane, sœur de Sohane Benziane, morte brûlée vive au pied de la tour où elle vivait à Vitry-sur-Seine, lors de son audition par la mission de l'Assemblée Nationale : « C'est à la République et non à Dieu de protéger ces jeunes filles qui le font en portant le voile. Je suis désolée, mais la République n'a pas protégé ma sœur. Je ne veux plus entendre ce que me disent certains garçons à chaque fois que je les rencontre, à savoir que si ma sœur avait choisi son statut de jeune fille musulmane et avait porté le voile, elle ne serait pas morte. Je regrette, ma sœur était une femme universelle, elle n'était pas une femme musulmane. »

Enfin, ce projet de loi répond à une attente forte de la population. En effet, un sondage de BVA, publié en novembre 2003, montre que 43 % des sondés ont le sentiment que les pouvoirs publics ne défendent pas avec assez de détermination la laïcité, et 72 % des sondés sont favorables à ce qu'une loi interdise le port visible de tout signe d'appartenance religieuse et politique dans les écoles publiques.

Les nombreuses propositions de lois déposées depuis quelques mois sur ce sujet témoignent de cette attente : celle de M. Jérôme Rivière visant à interdire le port de vêtements religieux à toute personne investie de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public dans l'exercice de ses fonctions ; celle de M. Laurent Hénart portant sur le respect du principe de laïcité dans les établissements d'enseignement public ; celle de M. Jean-Marc Ayrault visant à interdire le port apparent de signes religieux, politiques ou philosophiques à l'école ; celle de M. Didier Julia tendant à sauvegarder le droit à l'éducation des enfants qui risquent l'exclusion des cours du fait du port de signes religieux ostentatoires ; celle de M. Maurice Leroy relative au respect du principe de laïcité dans le cadre scolaire ; celle de M. Jacques Myard visant à garantir la laïcité et la neutralité du service public de l'éducation ; et enfin la proposition de loi constitutionnelle de M. Franck Marlin tendant à inscrire le principe de laïcité dans la devise républicaine. Ces initiatives parlementaires témoignent du consensus politique actuel sur la nécessité de l'intervention du législateur.

B.- ÉTABLIR UN JUSTE ÉQUILIBRE ENTRE LIBERTÉ DE CONSCIENCE ET PRINCIPE DE LAÏCITÉ, CONFORME AUX ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX DE LA FRANCE

1. Établir un juste équilibre entre liberté de conscience et principe de laïcité

Interdire dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement leurs appartenances religieuses permettra d'établir un équilibre plus satisfaisant entre principe de laïcité et liberté de conscience.

Certains opposants à l'intervention du législateur font valoir qu'il serait ainsi porté gravement atteinte à la liberté de manifester sa religion et en déduisent que l'intervention du législateur serait contraire à la Constitution.

Mais, on ne peut pas se contenter d'opposer liberté de conscience et principe de laïcité : la réaffirmation de la laïcité et de la neutralité de l'école, dans ce nouveau contexte, a précisément pour objectif de protéger la liberté de conscience et le respect des convictions de chacun.

De plus, en vertu de l'article 34 de la Constitution, le législateur est seul compétent pour déterminer le régime des libertés publiques, et pour concilier leur exercice avec d'autres principes constitutionnels.

En effet, le Conseil constitutionnel admet l'intervention du législateur pour réglementer l'exercice d'une liberté fondamentale lorsqu'elle a pour objectif soit de la rendre plus effective, soit de la concilier avec d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle6. Or interdire la manifestation ostensible des appartenances religieuses à l'école a pour objet de garantir à la fois un principe constitutionnel aujourd'hui menacé, la laïcité, un droit fondamental : la liberté individuelle des élèves, notamment des jeunes filles, de ne pas porter de signes religieux, mais aussi le principe constitutionnel d'égalité entre hommes et femmes, réaffirmé par la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999.

En outre, le régime juridique actuel porte atteinte au principe d'égalité en subordonnant l'exercice d'une liberté fondamentale - la liberté de manifester sa religion - aux décisions aléatoires des chefs d'établissement et de compromis locaux. Or, la nécessité pour le législateur de garantir un exercice uniforme sur le territoire des libertés publiques a été rappelée explicitement par le Conseil constitutionnel dans une décision du 13 janvier 19947. L'intervention du législateur apparaît donc pleinement justifiée pour définir un cadre juridique précis et également applicable dans tous les établissements scolaires.

Enfin, le dispositif législatif proposé est équilibré et laisse une place à une manifestation discrète de ses convictions religieuses : seuls seront interdits les signes religieux ostensibles, tels que le foulard, la kippa et les grandes croix, alors que les signes discrets, tels que les médailles, pourront toujours être portés. La liberté d'expression de l'appartenance religieuse a donc encore parfaitement sa place à l'école.

2. Une initiative conforme à la Convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales

L'obstacle juridique d'une incompatibilité du dispositif législatif avec l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme semble devoir être écarté.

En premier lieu, la Cour admet, dans sa jurisprudence, que la liberté de religion peut être limitée pour des motifs d'intérêt général : celle-ci doit céder devant le respect des lois et règlements relatifs, par exemple, au respect du service militaire (CEDH, 12 décembre 1996, Grandath c/RFA) ou de la fiscalité (CEDH, 15 décembre 1983, C. c/ Royaume -Uni8). De même, dans l'arrêt Dahlab c/ Suisse9 du 15 février 2001, la Cour a validé l'exclusion d'une enseignante suisse qui refusait de retirer son foulard dans une école publique : elle a reconnu que l'obligation de neutralité imposée aux enseignants ne méconnaît pas l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme.

De plus, la Cour reconnaît, dans sa jurisprudence, les traditions de chaque pays, sans chercher à imposer un modèle uniforme des relations entre l'Eglise et l'Etat. Dans l'arrêt Cha'are Shalom ve Tsedek contre France du 27 juin 2000, elle note l'existence « d'une marge d'appréciation qu'il faut laisser à chaque Etat, notamment pour ce qui est de l'établissement des délicats rapports entre les Eglises et l'Etat ». Elle a ainsi reconnu, dans plusieurs décisions, la nécessité de concilier la liberté religieuse et le principe de laïcité. L'arrêt Refah Partisi et autres contre Turquie du 13 février 2003 peut apparaître, à cet égard, comme un arrêt de principe puisque la Cour y affirme : « Les organes de la convention ont estimé que le principe de laïcité était assurément l'un des principes fondateurs de l'Etat, qui cadre avec la prééminence du droit et le respect des droits de l'homme et de la démocratie. Une attitude ne respectant pas ce principe ne sera pas nécessairement acceptée comme faisant partie de la liberté de manifester sa religion et ne bénéficiera pas de la protection qu'assure l'article 9 de la Convention. »

En outre, la Cour européenne des droits de l'homme considère qu'une mesure restreignant l'exercice d'une liberté fondamentale n'est compatible avec la Convention que si trois conditions sont remplies :

- la mesure doit être prévue par la loi,

- elle doit poursuivre un but légitime,

- elle doit être nécessaire et proportionnée au but poursuivi.

Les deux premières conditions sont remplies par le présent projet de loi. De même, l'interdiction est tout à fait proportionnée au but poursuivi : seul le port de signes religieux qui manifeste ostensiblement une appartenance religieuse est interdit, les signes religieux discrets demeureront autorisés. Ainsi, la religion peut garder sa place à l'école. De plus, la Cour prend en compte l'environnement global permettant l'exercice de la liberté de religion, et notamment les solutions alternatives qui peuvent être proposées.

L'interdiction posée par le projet de loi apparaît, à cet égard, tout à fait proportionnée puisque les élèves qui voudront manifester leur appartenance religieuse à l'école pourront s'orienter vers des établissements privés ou suivre un enseignement par le Centre national d'enseignement à distance (CNED), même si, bien entendu, l'objectif de la loi n'est pas d'exclure les élèves de l'école publique.

Enfin, la Cour reconnaît que le port de certains signes religieux peut avoir, en lui-même, un caractère ostensible. Elle s'exprimait ainsi dans l'arrêt Dahlab c/Suisse du 15 février 2001 « comment pourrait-on dans ces circonstances dénier de prime abord tout effet prosélytique que peut avoir le port du foulard, dès lors qu'il semble imposé aux femmes par une prescription coranique qui (...) est difficilement conciliable avec le principe d'égalité des sexes ? ».

III. -  LE PROJET DE LOI INTERDIT LE PORT DES SIGNES RELIGIEUX OSTENSIBLES TOUT EN RESPECTANT L'ESPRIT DE TOLÉRANCE ET DE DIALOGUE

A.- UNE RÉAFFIRMATION LÉGALE DU PRINCIPE DE LAICITÉ À L'ÉCOLE

1. L'interdiction du port des signes et tenues manifestant ostensiblement l'appartenance religieuse

L'article premier du projet de loi pose le principe de l'interdiction, dans les écoles, les collèges et les lycées publics, du port de signes et tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse. Seront donc interdits les signes dont le port conduit à se faire reconnaître immédiatement par son appartenance religieuse. Ce n'est donc plus le comportement qui est visé, comme dans le régime juridique actuel, mais bien certains signes religieux, en tant que tels.

Seront concernés le foulard, la kippa et les croix de dimension manifestement excessives. En revanche, les signes discrets d'appartenance religieuse, comme une croix, une étoile de David, ou une main de Fatima demeurent autorisés.

L'interdiction concerne les écoles, les collèges et les lycées publics : c'est-à-dire toutes les activités placées sous la responsabilité de l'établissement scolaire, y compris en dehors de l'enceinte proprement dite de l'établissement.

Le projet de loi ne suit pas les recommandations de la mission de l'Assemblée nationale visant à interdire le port « visible » de signes religieux. L'objectif de la formulation retenue par la mission était d'éviter toute contestation sur la taille du signe et sur son caractère ostensible. Or il est apparu qu'une telle formulation se heurterait à plusieurs difficultés d'ordre juridique et pratique :

- La distinction entre un signe visible et un signe non visible n'est pas toujours évidente et peut donner lieu à des contestations. Les contrôles des chefs d'établissement pourraient conduire à des appréciations tatillonnes et porter atteinte à l'esprit de confiance et de respect qui doit prévaloir au sein de l'espace scolaire.

- Le terme « visible » ne rend pas l'application de la loi, pour des signes tels que le bandana, plus aisée pour les chefs d'établissement : en effet, que la loi interdise les signes « visibles » ou « ostensibles », ceux-ci devront toujours déterminer si les jeunes filles portent ou non le bandeau pour des motifs religieux.

- En outre, l'interdiction des signes visibles conduirait à inclure les signes discrets (médailles, croix...) et donc à interdire le port de tout signe religieux : une telle formulation équivaudrait à une interdiction générale et absolue et une censure du Conseil constitutionnel ne pourrait, dès lors, être totalement exclue.

- De même, une telle interdiction pourrait donner lieu à une mise en cause de la France devant la Cour européenne des droits de l'homme. En effet, comme cela a été indiqué, la Cour considère que des limitations à l'exercice d'une liberté fondamentale ne sont possibles que si elles sont proportionnées à l'objectif recherché. En cas d'interdiction du port de signes religieux visibles, la Cour pourrait considérer qu'il y a atteinte disproportionnée à la liberté de religion, le port de signes discrets ne portant pas véritablement atteinte au respect du principe de laïcité à l'école.

2. Le régime juridique actuel sur le port de signes politiques à l'école est satisfaisant

L'interdiction posée par le projet de loi ne vise pas non plus les signes politiques. En effet, le régime juridique actuel paraît tout à fait satisfaisant.

Une circulaire du 1er juillet 1936 - dite circulaire « Jean Zay » - toujours en vigueur, interdit le port de signes politiques à l'école. Ceux-ci sont définis comme « tout objet dont le port constitue une manifestation susceptible de provoquer une manifestation en sens contraire ». Ainsi, tous les signes politiques, même discrets, sont interdits. Inclure les signes politiques dans le champ d'application du projet de loi conduirait donc paradoxalement à n'interdire que les signes politiques ostensibles et affaiblirait le droit existant.

3. Une application sur l'ensemble du territoire français

Le projet de loi propose une réaffirmation du principe de laïcité sur l'ensemble du territoire français.

En l'absence de disposition expresse excluant du champ de la loi les départements d'Alsace-Moselle, le dispositif y est donc applicable. En réalité, le projet de loi ne remet pas en cause les spécificités de ces départements, puisqu'aucune règle de droit local ne concerne le port de signes religieux à l'école. En conséquence, l'article L 481-1 du code de l'éducation nationale, selon lequel : « Les dispositions particulières régissant l'enseignement applicables dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle y demeurent en vigueur. », continuera à s'appliquer.

En vertu du principe d'identité législative, les départements d'outre-mer sont automatiquement visés par le projet de loi, sans qu'aucune mention expresse ne soit nécessaire. La loi s'appliquera également, et dans les mêmes conditions, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en application de la loi n°85-595 du 11 juin 1985 relative au statut de l'archipel.

S'agissant des collectivités territoriales d'outre-mer, le principe de spécialité législative subordonne son application à une mention expresse de ces collectivités dans la loi. L'objet de l'article 2 du projet de loi est donc d'étendre l'interdiction à Mayotte, Wallis et Futuna et à certains établissements scolaires de Nouvelle-Calédonie.

En revanche, le projet de loi ne s'applique pas à la Polynésie. En effet, en vertu du statut d'autonomie de cette collectivité, les établissements scolaires relèvent de la compétence des autorités territoriales.

B.- UN DISPOSITIF QUI RESPECTE L'ESPRIT DE TOLÉRANCE ET DE DIALOGUE

1. Le respect du caractère propre des établissements privés

L'extension du projet de loi aux établissements privés pose la question de la portée juridique du « caractère propre » des établissements privés sous contrat. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 23 novembre 1977 a indiqué que la sauvegarde du caractère propre d'un établissement lié à l'Etat par contrat est la mise en œuvre du principe de liberté d'enseignement. Malgré cette consécration constitutionnelle, le Conseil n'a donné aucune précision sur le contenu juridique de cette notion.

On peut néanmoins considérer que le caractère propre des établissements privés sous contrat est constitué par leur identité spécifique et la relation particulière qu'ils entretiennent avec la religion. Les convictions religieuses peuvent donc s'y manifester plus librement.

Les établissements privés sous contrat et hors contrat ne seront pas concernés par le dispositif législatif. Le législateur manifeste ainsi sa volonté de respecter l'identité propre des établissements privés et prend en compte les conclusions concordantes de la mission parlementaire et de la commission Stasi.

2. Le rôle essentiel des chefs d'établissement et de la médiation

Malgré l'intervention du législateur, le rôle des chefs d'établissement reste essentiel.

Leur tâche sera plus aisée dans la mesure où, contrairement au régime juridique antérieur, le signe (ou la tenue) pourra, à lui seul, être considéré comme ostensible, dès lors qu'il sera immédiatement reconnaissable comme manifestant une appartenance religieuse.

Par ailleurs, les chefs d'établissement devront transcrire le nouveau dispositif dans leurs règlements intérieurs en respectant le champ d'interdiction défini par la loi. Ainsi, les règlements intérieurs ne pourront interdire le port de tous les signes religieux, mêmes discrets. De tels règlements seraient censurés par le juge administratif.

Mais les chefs d'établissement et les professeurs conservent un rôle essentiel de pédagogie et de dialogue. L'objectif de la loi est en effet de réaffirmer la laïcité comme une valeur de respect des convictions de chacun et de tolérance. Dans cet esprit, votre Commission a adopté un amendement subordonnant toute procédure disciplinaire à un dialogue préalable dont l'objet est d'éviter le conflit et d'expliquer comment cette valeur doit s'exprimer dans l'espace de neutralité que constitue l'école.

Dans le même esprit, le gouvernement a annoncé qu'un livret républicain serait diffusé par le ministère de l'éducation nationale pour accompagner le monde enseignant dans cette mission de dialogue. Par ailleurs, la structure de médiation mise en place en 1994 au sein du ministère de l'éducation nationale, et confiée à Mme Hanifa Chérifi, sera maintenue.

3. Un délai de mise en vigueur de la loi pour favoriser l'accompagnement du dispositif

L'article 3 du projet de loi prévoit que la loi entrera en vigueur à la rentrée scolaire qui suivra sa promulgation. Le nouveau dispositif devrait donc s'appliquer à la rentrée scolaire 2004. Ce délai est destiné à encourager le dialogue et la concertation et à éviter une application trop brutale de la loi. Les collèges et les lycées publics mettront également ce délai à profit pour adapter leur règlement intérieur. En effet, même si la loi est d'application directe, il est souhaitable, dans un souci de pédagogie, que ses dispositions soient transcrites dans l'acte qui rassemble les règles applicables à la vie interne de l'établissement scolaire.

*

* *

Après l'exposé du rapporteur, plusieurs commissaires sont intervenus dans la discussion générale.

M. René Dosière a tout d'abord tenu à rendre hommage au travail réalisé par la mission d'information sur la laïcité, présidée avec une grande force de conviction par le Président de l'Assemblée nationale, M. Jean-Louis Debré. Il a en effet rappelé, que grâce à un travail approfondi ayant permis à toutes les sensibilités politiques de s'exprimer et de prendre le temps de la réflexion sur un sujet aussi complexe, la mission s'était prononcée, à la quasi-unanimité de ses membres, à la notable exception des députés du groupe udf, en faveur d'une loi prohibant le port « visible » des signes religieux au sein des établissements scolaires.

Il a souligné que, du fait du caractère approfondi des travaux conduits dans le cadre de cette mission d'information, les conditions de délai dans lesquelles la Commission était appelée à statuer sur le projet de loi n'appelaient pas de reproche de sa part. Observant que le texte prévoyait l'interdiction du port des signes manifestant « ostensiblement » une appartenance religieuse, il a regretté que la rédaction suggérée par la mission d'information n'ait pas été prise en considération, alors qu'elle est plus objective et juridiquement plus sûre. Il a exprimé la crainte que les termes utilisés par le projet ne conduisent à stigmatiser la religion musulmane, à la différence de ceux proposés par la mission d'information. Il a souligné par ailleurs que, l'école étant un lieu d'intégration, toute sanction devait être précédée d'un dialogue, et que ce préalable devait figurer dans la loi.

Il a conclu son propos en indiquant que, si le groupe socialiste était convaincu de la nécessité d'adopter une loi sur la laïcité, le texte proposé par le Gouvernement n'était pas exempt de toute critique et que son adoption par les députés socialistes dépendrait de la prise en considération de certaines des modifications qu'il proposait.

Évoquant sa propre expérience professionnelle, M. Guy Geoffroy a souligné le désarroi et l'incertitude juridique dans lesquels se trouvaient les responsables d'établissements scolaires, dont la hiérarchie leur donnait pour toute instruction celle de ne pas prendre de mesures impopulaires à l'encontre des élèves. Il a considéré que, si l'intervention de la loi était éminemment nécessaire et très attendue, les textes d'application et les circulaires devraient veiller à éviter tout risque de détournement. De ce point de vue, il a jugé souhaitable de préciser que la notion d'établissement scolaire comprenait non seulement les bâtiments mais aussi l'enceinte des établissements. Réagissant aux propos tenus par M. René Dosière, il a souligné que la mention dans la loi de l'obligation préalable de dialogue était juridiquement inutile et de surcroît fort injuste à l'égard des chefs d'établissements, qui pratiquent en permanence le dialogue avec les élèves et les familles et préfèrent ne pas avoir à prononcer d'exclusion.

M. Michel Piron s'est interrogé sur l'apport, au regard du droit en vigueur, de l'adverbe « ostensiblement » retenu par le projet de loi et a craint que la jurisprudence en cette matière ne soit aussi variable et incertaine qu'elle l'était auparavant lorsqu'il s'agissait d'interpréter la notion de port « ostentatoire » de signes religieux.

M. Jean-Pierre Dufau a jugé utile de rappeler, par un texte clair et ferme, sans être provocateur, que la France est un État laïque et républicain, protecteur de la liberté de croyance, et qui n'a pas à recevoir de leçons de la part d'États théocratiques où cette liberté fait cruellement défaut. Après avoir rappelé les grandes étapes de la laïcité, comme la loi de 1882 sur la scolarisation obligatoire, ou celle de 1905 relative à la séparation de l'Église et de l'État, il a rappelé que l'école républicaine, en devenant gratuite, avait vocation à s'adresser à tous, que, de ce fait, elle devait être laïque et que, dans ces conditions, elle avait pu devenir obligatoire. Observant que la nécessité d'adopter une loi ne faisait plus guère débat, il a, à son tour, rendu hommage au travail de la mission d'information animée par le Président de l'Assemblée nationale et qui s'était prononcée, à la quasi-unanimité de ses membres, en faveur de l'interdiction du port de signes « visibles » d'appartenance à une religion. Évoquant la jurisprudence du Conseil d'État et l'exégèse, fort complexe, du terme « ostentatoire », il a exprimé la crainte que l'adverbe « ostensiblement » ne conduise de nouveau à des incertitudes et à des divergences d'interprétation résultant de la distinction entre les signes ou tenues et la façon dont ils sont portés. Après avoir de nouveau plaidé avec vigueur en faveur de l'interdiction du port des signes « visibles », il a souligné que le texte ne s'adressait pas seulement aux chefs d'établissement, mais constituait aussi un message fort en direction de l'ensemble de la société.

M. Gérard Léonard, a tenu à saluer le rappel par le rapporteur du rôle de la laïcité, judicieusement définie comme un outil d'intégration. Il a considéré que, si dans l'immédiat, une loi était nécessaire, il reviendrait plus tard au Parlement d'adopter une définition du contenu de la laïcité, afin de dissiper l'incompréhension révélée par le débat public. Après avoir rendu hommage aux travaux de la mission présidée par le Président de l'Assemblée nationale, ainsi qu'à ceux de la commission présidée par M. Bernard Stasi, il a considéré que ces réflexions préalables, quoique d'une qualité digne celle de la « commission Marceau Long » sur l'intégration, ne permettaient naturellement pas de faire l'économie du débat parlementaire. Quant au fond, il a estimé, comme le rapporteur, que l'expertise juridique du Conseil d'État, probablement proche des vues du Conseil constitutionnel, devait être prise en compte à sa juste valeur. Il a relevé que M. René Dosière, tout en défendant l'usage du mot « visible », avait insisté sur l'importance des signes religieux « montrés » par les élèves, justifiant ainsi sa préférence pour le terme « ostensible », mot neutre et moins porteur d'exclusion que celui de « visible ». Il a conclu en souhaitant que le législateur sache élaborer un texte épargnant aux chefs d'établissement l'obligation de mener une négociation sur l'application pratique de la loi.

M. Jean-Pierre Brard a tenu à souligner l'évolution de l'opinion des membres de la mission présidée par M. Jean-Louis Debré, lesquels sont progressivement passés d'une position majoritairement défavorable, à une unanimité moins deux abstentions en faveur de l'intervention d'une loi. Il a considéré que l'objectif n'était pas de résoudre le problème du port du voile, mais de replacer le débat sur la laïcité sur son véritable terrain, qui est celui de la loi de 1905, destinée à garantir la liberté de chacun de pratiquer le culte de son choix. Il a regretté que cette loi de tolérance et d'apaisement ait été historiquement perçue comme anticléricale, du fait de l'attitude de l'Église catholique et souhaité en conséquence que soit amélioré l'enseignement de l'histoire du fait religieux, qui fait partie du patrimoine symbolique commun de la Nation. Il a jugé peu satisfaisante la situation actuelle, le Conseil d'État s'étant arrogé le pouvoir de redéfinir le contenu de la notion de laïcité, avant de rappeler le raisonnement élaboré en ce domaine par la Cour européenne des droits de l'homme, lequel constitue une invitation à légiférer. Il a donc souhaité que le Parlement exerce pleinement sa compétence, sans se laisser dicter sa décision par l'exécutif.

M. Claude Goasguen a fait part de ses interrogations, liées au fait qu'un projet de loi applicable aux établissements scolaires prenne, dans le débat politique, le caractère d'un texte d'intégration, ce que confirme la décision prise par le Premier ministre de venir lui-même le présenter devant le Parlement. S'il a jugé raisonnable de légiférer pour répondre à l'attente de chefs d'établissement confrontés à des désordres dont le problème du voile n'est qu'un épiphénomène et convaincu que la République se devait de rappeler ce qu'était la laïcité, il s'est demandé pourquoi le projet de loi ne portait que sur les manifestations du fait religieux, et a souhaité que l'interdiction soit étendue à l'ensemble des signes attentatoires à la paix dans les établissements scolaires. Il s'est estimé, en cela, fidèle à la politique de Jules Ferry, selon laquelle la laïcité est avant tout le respect de l'autre et exige une attitude de mesure au sein des établissements scolaires. Il a rappelé que les travaux de la « mission Debré » étaient destinés à l'information de ses membres et plus largement de l'Assemblée nationale, et ne pouvaient préjuger du choix du Parlement en faveur des termes de « signes visibles » qu'il a, pour sa part, récusés. En conclusion, il a fait valoir que les parlementaires devraient pouvoir se retrouver sur une position équilibrée tendant à la fois à ne pas fustiger quelque religion que ce soit et à assurer la défense des valeurs de la République.

M. Émile Zuccarelli, tout en reconnaissant que certains pourraient ressentir ce texte comme une provocation, a jugé nécessaire de légiférer en ce domaine. Indiquant que certaines pratiques alimentaires liées à des croyances religieuses étaient d'ores et déjà prises en compte par l'école publique, il s'est toutefois interrogé sur la limitation de l'interdiction au seul domaine vestimentaire et sur le risque de voir ces croyances se manifester d'une autre manière, notamment par le refus de suivre certains enseignements.

Mme Valérie Pécresse a souligné qu'elle s'était finalement ralliée à l'idée de légiférer après avoir eu connaissance du cas d'un élève traduit devant un conseil de discipline et qui s'était fait accompagner d'un avocat. Elle a estimé que seule la loi pouvait donner une base juridique incontestable aux chefs d'établissement et dépasser une jurisprudence tolérante qui ne permettait de sanctionner que les comportements de nature à troubler l'ordre dans les établissements. Elle a souhaité que le législateur, sous peine d'attiser les extrémismes, adopte des dispositions claires et applicables sans ambiguïté.

En réponse, le rapporteur a apporté les éléments suivants :

-  alors que beaucoup considéraient naguère l'intervention du législateur comme inutile, le principe de l'intervention de la loi fait aujourd'hui l'objet d'un large consensus ; il serait hautement souhaitable que le même consensus puisse se retrouver sur le contenu même de la loi ;

-  si le Conseil d'État a défini un régime juridique qui n'apparaît pas aujourd'hui pleinement satisfaisant, il convient de rappeler qu'en 1989 le Conseil d'État avait dû concilier les principes en vigueur pour en dégager le droit applicable au port de signes religieux à l'école ;

-  bien que la mission d'information de l'Assemblée nationale ait préconisé l'interdiction du port de signes « visibles », le projet de loi a retenu l'adverbe « ostensiblement » : en effet, interdire les signes « visibles » aurait constitué une atteinte disproportionnée à la liberté de manifester sa religion, consacrée par l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme, et exposé la France au risque d'une condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme.

Puis la Commission est passée à l'examen des articles du projet de loi.

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EXAMEN DES ARTICLES

Article premier


Interdiction dans les établissements scolaires publics, du port de signes et de tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse

Le présent article complète les dispositions du code de l'éducation nationale consacrées à la laïcité de l'enseignement public en insérant un article L. 141-5-1 qui pose le principe de l'interdiction du port des signes et tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse dans les écoles, les collèges et les lycées publics.

Comme cela a été indiqué précédemment, les modalités du port de signes religieux à l'école ont été encadrées par un avis du Conseil d'Etat du 27 novembre 1989. Celui-ci a considéré que le port, par les élèves, de signes religieux dans les établissements scolaires ne remettait pas en cause le principe de laïcité et devait donc être autorisé.

En revanche, sont prohibés les signes « ostentatoires », c'est-à-dire les signes dont le port constitue un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, porte atteinte à la dignité ou à la liberté de l'élève ou d'autres membres de la communauté éducative, compromet gravement leur santé ou leur sécurité, perturbe le déroulement des activités d'enseignement et le rôle éducatif des enseignants, trouble l'ordre dans l'établissement ou le fonctionnement du service public.

Le Conseil d'Etat établit une distinction très claire entre « un signe religieux ostentatoire » et « le port ostentatoire d'un signe religieux ». Le juge refuse en effet de considérer qu'un signe religieux est, en lui-même, ostentatoire10. Ce n'est pas le signe qui est ou peut être ostentatoire, mais bien son port et donc le comportement qui en résulte.

Par conséquent, le Conseil d'Etat a annulé les règlements des établissements scolaires qui posaient une interdiction générale du port de signes religieux (Conseil d'Etat, 2 novembre 1992, Kherouaa). En revanche, le juge administratif a validé les décisions d'exclusion, lorsqu'elles se fondaient sur un comportement de prosélytisme et de provocation : distribution de tracts, organisation de manifestation, non-respect des obligations de sécurité.

Le présent article propose d'interdire le port de signes religieux par lesquels les élèvent manifestent ostensiblement leur appartenance religieuse.

Le changement proposé n'est pas seulement sémantique : il ne s'agit pas simplement de différencier les signes « ostentatoires » des signes « ostensibles ».

Dans le régime juridique actuel, c'est la façon dont il est porté qui rend le signe ostentatoire : il faut que le port du signe soit accompagné d'actes ou de comportements « ostentatoires ».

L'article premier du présent projet inverse la logique d'appréciation en considérant que le port de certains signes religieux sera considéré, en lui-même, comme manifestant ostensiblement une appartenance religieuse. Le terme « ostensible » qualifie les tenues ou les signes qui sont objectivement extériorisés. Ceux-ci seront interdits, même en l'absence d'actes de prosélytisme qui les rendraient provocants ou ostentatoires.

- les signes visés par l'interdiction

La formule adverbiale, retenue par le projet de loi, est destinée à neutraliser les tentatives de contournement de la loi. Ainsi, ne seront pas seulement interdits les signes religieux à proprement parler, mais tous les signes par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse. Cela évitera les contestations au motif que le signe porté n'est pas, en lui-même, un signe religieux.

Ainsi, le bandana, n'est pas à proprement parler un signe religieux. Cependant, s'il est porté pour manifester de façon ostensible son appartenance religieuse, il sera interdit, la formulation plus large retenue par le projet de loi permettant de l'inclure.

Bien qu'il ne soit pas ici question d'établir un « catalogue » des signes autorisés ou interdits, l'on peut considérer que seront concernés par l'interdiction, des signes tels que le voile, quel que soit le nom qu'on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive. En revanche, les signes discrets d'appartenance religieuse, comme une petite croix, une médaille, une étoile de David ou une main de Fatima resteront autorisés.

Les autres signes, tels que le bandana, seront interdits, dès lors qu'ils ne sont pas portés dans un souci « esthétique », mais dans le but de manifester ostensiblement son appartenance religieuse.

Afin d'éviter toute contestation sur les objets concernés par l'interdiction, le présent article vise, à la fois, les « tenues », c'est-à-dire tout vêtement, et les « signes », c'est-à-dire tous les accessoires qui peuvent être portés sur soi.

Il convient de souligner que les signes politiques ne sont pas visés par le présent projet de loi, car une circulaire du 1er juillet 1936 interdit déjà le port de signes politiques à l'école. Ceux-ci sont définis comme « tout objet dont le port constitue une manifestation susceptible de provoquer une manifestation en sens contraire ». Ainsi, tous les signes politiques, même discrets, sont interdits.

- le champ d'application de l'interdiction

L'interdiction s'applique dans « les écoles, les collèges et les lycées publics », c'est-à-dire dans les locaux situés dans l'enceinte des établissements scolaires, ainsi que lors des activités placées sous la responsabilité des établissements scolaires, y compris les activités se déroulant en dehors de l'enceinte de l'établissement (sortie scolaire, cours d'éducation physique...), comme le précise l'exposé des motifs du projet de loi. Les classes préparatoires et les classes techniques supérieures situées dans un lycée entrent également dans le champ d'application du texte.

En revanche, les universités ne sont pas concernées par l'interdiction. En effet, les élèves y sont alors majeurs et surtout la libre circulation des élèves et des intervenants rendrait impossible la mise en œuvre d'une telle interdiction.

- la transposition de l'interdiction dans les règlements intérieurs des établissements scolaires

Les règlements intérieurs des établissements scolaires qui poseront une interdiction générale de tenues ou de signes religieux seront donc désormais conformes à la loi. Ils devront seulement préciser que cette interdiction ne concerne pas les signes religieux discrets.

Ainsi, si des recours sont formés contre l'interdiction du port d'un voile, d'une kippa ou d'une grande croix, ou contre des règlements intérieurs contenant cette interdiction, ils seront rejetés.

La Commission a examiné un amendement présenté par M. René Dosière interdisant le port visible de tout signe d'appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. L'auteur de l'amendement a fait valoir que l'emploi du qualificatif « visible », déjà proposé par la mission d'information sur les signes religieux à l'école, assurait une neutralité de la loi à l'égard de toutes les religions, alors que l'adverbe « ostensiblement » peut être interprété comme visant surtout le port du voile islamique.

M. Xavier de Roux a déclaré ne pas partager cette opinion, relevant que l'emploi du terme « visible » était trop large, alors que l'emploi de l'adverbe « ostensiblement » permettait de concentrer l'action des autorités sur les seules attitudes qui troublaient réellement l'ordre dans les établissements scolaires.

M. Alain Vidalies, soutenant l'amendement, a contesté l'appréciation selon laquelle la Cour européenne des droits de l'homme pourrait considérer que l'interdiction des signes religieux visibles ne respecterait pas l'exigence de proportionnalité. Il a estimé que le Conseil d'État avait fourni un élément objectif du débat en jugeant que le port du voile n'avait pas en lui-même un caractère ostentatoire, alors que le projet de loi, dans les marges d'interprétation qu'il comportait, se révèlerait difficile à appliquer et alimenterait les contentieux. Il a regretté que la rédaction du texte substitue une définition subjective du port du signe religieux à la définition objective proposée par la mission d'information et a ajouté que la première manifestait une nouvelle conception de la laïcité qui insistait sur le respect de toutes les religions et qui s'affranchissait de sa conception originelle, héritée des drames de l'histoire commune et fondée sur la neutralité à l'égard de toutes les croyances religieuses.

Le rapporteur a confirmé qu'il n'existait aucune certitude quant à la position de la Cour européenne des droits de l'homme sur le texte proposé par la mission d'information, avant de citer à l'appui de son propos l'intervention devant cette mission de M. Ronny Abraham, directeur des affaires juridiques du ministère des affaires étrangères, qui estimait qu'une législation qui interdirait le port visible de signes religieux dans l'enceinte scolaire (...) « répondrait à la première des trois exigences de la Convention européenne des droits de l'homme : l'exigence que toute mesure restrictive soit prévue par la loi, car on aurait là une règle législative parfaitement claire, précise, impérative. On ne pourrait certainement pas nous reprocher de rester dans le flou juridique et nous opposer que les élèves ne savent pas à quoi s'en tenir. En revanche, la question qui se poserait alors serait de savoir si une telle législation répondrait à la troisième des conditions : l'exigence de proportionnalité. (...) J'entends bien qu'il ne s'agit pas d'interdire partout et en toutes circonstances ; il s'agit de protéger la neutralité de l'enseignement public. Même avec cette restriction de localisation, il est très difficile de prévoir (...) ce que la Cour de Strasbourg jugerait en pareil cas. » Le rapporteur a ajouté qu'un jurisconsulte auditionné par ladite mission avait estimé que l'interdiction envisagée pourrait être compatible avec la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, laquelle s'est appuyée à plusieurs reprises sur le principe de laïcité.

Il a estimé que l'amendement conduirait à interdire tous les signes visibles, y compris ceux qui n'avaient pas à proprement parler un caractère religieux, y compris les signes immatériels. Il s'est déclaré favorable à une laïcité « ouverte » plutôt qu'à une sorte de « laïcisme fermé » - termes que M. Bernard Derosier a récusés - et s'est inquiété du risque de caricature qu'entraînerait l'utilisation du terme proposé par l'amendement, alors même que l'expression plus nuancée retenue dans le projet de loi avait été présentée à tort par certains médias comme répressive.

M. Hervé Mariton, favorable au texte du projet et à l'adverbe « ostensiblement », a fait observer que le terme « visible », retenu par la mission présidée par M. Jean-Louis Debré et auquel il s'était rallié dans un premier temps, pouvait conduire à interdire des signes même discrets, alors que la rédaction du projet répond à des situations concrètes, telles que celle d'un élève portant une croix et dont le changement de tenue - à la piscine par exemple - laisserait apparaître le signe sans pour autant constituer une manifestation ostensible. Il a estimé que le projet de loi faisait preuve de tolérance et offrait une réponse pratique aux questions posées.

M. Guy Geoffroy a insisté sur la nécessité de répondre à des cas de figure précis par des mesures concrètes qui ne prêtent ni à interprétation ni à contestation, ce que ne permettrait pas l'emploi du terme « visible ».

M. Sébastien Huyghe a exprimé son attachement au fondement laïque de la République, qui faisait de l'école non seulement un lieu d'apprentissage mais aussi le terreau de l'esprit critique et qui, en conséquence, ne devait pas être le cadre d'un quelconque prosélytisme. Il a estimé que, pour autant, la sanction de tout signe visible, y compris celui qui était porté sans aucune intention prosélyte, serait excessive.

M. René Dosière a partagé l'appréciation du rapporteur sur l'incertitude juridique, liée à la diversité des conceptions que l'on pouvait avoir de la laïcité. Dès lors que le problème revêt un caractère davantage politique que juridique, il lui est apparu souhaitable de lui apporter une solution politique, à laquelle correspond l'amendement qu'il propose.

M. Jacques-Alain Bénisti a rappelé que, selon le Petit Robert, était « ostensible » toute attitude qui exprimait l'intention d'être remarquée, définition qui permettait de clore le débat en faveur du texte du projet.

À l'issue de cette discussion, la Commission a rejeté l'amendement de M. René Dosière.

La Commission a ensuite rejeté l'amendement n° 5 déposé par M. Daniel Garrigue, étendant aux enseignants et aux personnels des établissements scolaires l'interdiction prévue par l'article premier.

Puis elle a examiné l'amendement n° 2, présenté par M. Claude Goasguen, étendant le domaine des signes dont le port est interdit à l'ensemble de ceux manifestant une conviction susceptible d'entraîner des manifestations publiques d'hostilité. Son auteur a indiqué qu'il ne lui paraissait pas souhaitable de limiter la portée du texte aux seules manifestations d'appartenance à une religion, en laissant aux circulaires le soin de traiter le cas des insignes de caractère politique. Il a précisé que l'amendement prenait mieux en compte la formulation retenue par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Il a enfin insisté sur le fait que la laïcité devait être fondamentalement comprise comme une acceptation de l'autre, et pas uniquement comme une garantie de la liberté religieuse.

Le rapporteur ayant considéré que le projet de loi était déjà critiqué en raison du risque supposé d'interprétations jurisprudentielles diverses, et estimé que ce risque serait encore accru par l'usage du terme de « conviction », la commission a rejeté cet amendement.

Elle a ensuite été saisie de l'amendement n° 3 rectifié de M. Hervé Mariton, étendant l'interdiction aux signes dont le port manifeste un engagement politique. Son auteur a souligné, d'une part, que le fait de limiter l'interdiction aux seuls signes religieux risquait de rendre la loi inapplicable et, d'autre part, que la neutralité de l'espace scolaire constituait un tout insécable qui ne lui semblait pas pouvoir faire l'objet d'une différenciation entre domaines religieux et politique. S'agissant de ce dernier, il a rappelé que les circulaires Jean Zay ne se situent pas à un niveau suffisant dans la hiérarchie des normes pour donner lieu à une application efficace et durable, comme en attestent les circulaires et décrets postérieurs. Il a jugé inopérante l'objection selon laquelle cet amendement serait inutile au motif qu'aucun contentieux n'est pendant en la matière, puisque aucune disposition du texte ne permet d'en écarter l'éventualité.

Le rapporteur a répondu que, si l'amendement traduit une proposition soutenue par des personnalités politiques éminentes, pour autant, aucune demande en ce sens n'avait été formulée par les chefs d'établissement eux-mêmes, y compris par M. Guy Geoffroy. Il s'est également inquiété d'éventuelles différences de traitement entre les signes religieux et politiques, eu égard notamment à leur taille respective.

M. Hervé Mariton a précisé que son amendement ne prévoyait aucune différence entre ceux-ci, et que les petits insignes de nature politique échapperaient à l'interdiction, de la même manière que les insignes religieux.

La Commission a rejeté l'amendement n°3 rectifié, de même que l'amendement n°4 déposé MM. Daniel Garrigue et Marc Le Fur, visant à étendre l'interdiction aux signes manifestant une appartenance maçonnique.

La Commission a été saisie de l'amendement n° 1 corrigé présenté par M. Édouard Balladur, tendant à limiter l'interdiction aux cas où le port des signes serait de nature à troubler le bon ordre de l'établissement. Son auteur a précisé que l'amendement avait pour objet de compléter, sans en modifier substantiellement la portée, le dispositif du Gouvernement, par l'ajout d'un membre de phrase assurant la compatibilité du texte avec les principes qui s'imposent à la loi. Il a souligné que, contrairement à certaines assertions, la question que le projet de loi entend traiter n'est pas affectée par un vide juridique, mais est en réalité encadrée par des principes, posés par l'article X de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi que par l'article 9 de la Convention européenne de sauvegarde de droits de l'homme, qui s'imposeront donc à toute loi future, la Convention posant notamment le principe de proportionnalité, qui doit donc être pris en compte. Il a par ailleurs appelé l'attention sur les difficultés pouvant résulter de l'application du texte en Alsace-Moselle, où la présence de croix catholiques dans les établissements publics n'est pas rare, ainsi qu'à Mayotte, dont 90 % de la population est musulmane. Il a jugé souhaitable que le texte qui serait adopté soit pleinement applicable, plutôt que de donner lieu à des méconnaissances volontaires.

Il a ajouté que le texte, quelle que soit sa rédaction, ferait l'objet d'une interprétation par le juge, lequel se fondera notamment sur l'appréciation du trouble apporté, dans les cas d'espèce qui lui seront soumis, au bon ordre de l'établissement. Il a estimé dès lors préférable d'inscrire ce principe dans la loi elle-même, de façon à ne justifier l'interdiction que lorsqu'elle est manifestement nécessaire, ce que propose l'amendement n° 1.

Après avoir salué la qualité de cette argumentation, le rapporteur a indiqué que, même si la jurisprudence évoluait pour tenir compte de la loi nouvelle, l'introduction du concept de « bon ordre » ne ferait qu'en étendre la marge de manœuvre, d'autant plus que, déjà utilisée par le Conseil d'État, cette notion ne fait pas toujours l'objet d'une appréciation identique par le juge et les chefs d'établissement. S'agissant de Mayotte, le rapporteur a souligné que, selon les explications fournies par M. Mansour Kamardine, député de Mayotte, les jeunes filles de l'archipel ne portaient pas le foulard islamique, mais une sorte de coiffe africaine de caractère traditionnel, sans signification religieuse, et que, dans ces conditions, l'application du texte ne susciterait pas de difficulté. S'agissant de l'Alsace-Moselle, il a rappelé que les élus de ces départements étaient également favorables au texte, aucune disposition du Concordat ne s'opposant à son adoption et le port des signes religieux ne devant être accepté dans l'enceinte des établissements publics que pendant les horaires de d'instruction religieuse, au demeurant facultative, et dans les locaux utilisés à cet effet.

M. Claude Goasguen a estimé que l'application du texte à Mayotte ne lui paraissait pas de nature à s'effectuer sans difficultés et que la réponse du rapporteur, dans le cas de l'Alsace-Moselle, plaidait également, a contrario, dans le sens de l'amendement de M. Édouard Balladur, dans la mesure où il n'était pas souhaitable de multiplier les atteintes ponctuelles à la loi.

M. Philippe Houillon, bien que séduit par l'idée contenue dans l'amendement, a souligné le risque de laisser aux chefs d'établissement une marge d'appréciation génératrice d'incertitudes.

M. Philippe Vuilque a estimé que l'amendement proposé rendrait le dispositif plus fragile, puisque le voile, signe d'appartenance religieuse, est aussi celui de la soumission de la femme, qui n'est pas considérée en elle-même comme un trouble à l'ordre de l'établissement.

Après avoir remercié le président de la commission des affaires étrangères pour sa participation au débat de la commission, M. René Dosière a indiqué que l'amendement risquait de perpétuer la situation actuelle, particulièrement critiquable, dans laquelle les chefs d'établissement ont développé, sous la pression des événements et en raison de l'insuffisance des textes normatifs, des formes de « droit local », différent d'un établissement à l'autre. Il a en revanche partagé l'avis de M. Édouard Balladur au sujet de l'Alsace-Moselle, le « caractère propre » de ces territoires étant susceptible de justifier des dispositions particulières, tout comme le caractère propre des établissements privés confessionnels sous contrat, qui a d'ailleurs entraîné leur exemption du champ d'application du projet.

M. Gérard Léonard a tenu à corriger l'affirmation selon laquelle les salles de classe des établissements d'enseignement public d'Alsace-Moselle comporteraient des croix, cette situation étant révolue.

À l'issue de ce débat, la Commission a rejeté l'amendement n° 1.

La Commission a ensuite examinée en discussion commune trois amendements présentés par MM. Gérard Léonard, René Dosière et le rapporteur, tendant à prévoir une procédure de dialogue et de médiation préalablement à la sanction et renvoyant au règlement intérieur les conditions de sa mise en œuvre. M. Gérard Léonard a souligné qu'il ne s'agissait pas de faire peser une suspicion sur les proviseurs, qui sont d'ores et déjà habitués à ces procédures de médiation ; il a considéré cependant qu'une telle précision s'imposait car elle permettrait, en privilégiant le dialogue, de rassurer les Français sur la mise en œuvre de la loi. M. René Dosière s'est déclaré également désireux de faire comprendre aux élèves qu'il ne s'agissait pas de pratiquer l'exclusion. Évoquant les débats qui avaient eu lieu au sein de son groupe sur le projet de loi, il a indiqué que les parlementaires qui y étaient hostiles s'y étaient finalement ralliés du fait de la perspective de l'introduction d'une procédure de médiation préalablement à la sanction. Le rapporteur a exprimé sa satisfaction devant la convergence de vues ainsi exprimée et souhaité que la rédaction qui serait retenue soit cosignée par les trois auteurs d'amendements. M. Guy Geoffroy s'est élevé contre une rédaction qui laisserait entendre que les chefs d'établissement ne remplissaient pas une mission qu'ils accomplissent en réalité de manière permanente, à savoir la mise en œuvre du dialogue au sein de la communauté scolaire, et qui traduirait donc un sentiment de suspicion à l'égard des proviseurs de lycées et collèges. Rappelant les propos de M. Luc Ferry, M. Philippe Vuilque a indiqué que cette procédure contradictoire serait prévue par le décret ou la circulaire ; il a jugé dès lors souhaitable que le législateur en inscrive d'ores et déjà le principe dans la loi, afin de montrer à l'opinion publique qu'il s'agit davantage de persuader l'élève plutôt que de le sanctionner. Sur proposition de M. René Dosière, et avec l'accord du rapporteur, le terme de « dialogue » a été préféré à celui de « médiation ».

Un débat a alors eu lieu sur le point de savoir si le règlement intérieur devait préciser l'ensemble des dispositions de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation, ou seulement la procédure de dialogue. M. Francis Delattre, approuvé par M. Philippe Houillon, a exprimé la crainte que le règlement intérieur ne permette de circonvenir la loi et s'est déclaré en conséquence favorable à une rédaction qui limiterait son intervention à la mise en place du principe du dialogue. M. Guy Geoffroy, rappelant que les règlements intérieurs, identiques pour chaque catégorie d'établissements, comprenaient toujours des dispositions obligatoires et des dispositions facultatives, a jugé qu'il n'y avait pas d'inconvénient à prévoir que le règlement mette en œuvre l'ensemble de la loi. La Commission a finalement adopté l'amendement du rapporteur dans une rédaction qui renvoie au règlement intérieur le soin d'arrêter les modalités de la procédure de dialogue, les amendements de M. René Dosière et Gérard Léonard étant satisfaits.

La Commission a ensuite adopté l'article 1er ainsi modifié.

Article 2


Application territoriale de la loi

Le présent article étend l'interdiction posée par l'article premier à Mayotte, à Wallis et Futuna, à certains établissements scolaires de Nouvelle-Calédonie et aux établissements français d'enseignement à l'étranger.

En vertu du principe d'identité législative, le dispositif s'appliquera automatiquement aux départements d'outre-mer, c'est-à-dire la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et La Réunion, sans qu'aucune mention expresse ne soit inscrite dans le texte.

Il convient toutefois de souligner que dès 1905, la Guyane a été exclue du champ d'application de la loi concernant la séparation des Eglises et de l'Etat. Comme en Alsace-Moselle, l'enseignement des cultes y est donc reconnu et financé par l'Etat. L'application de la loi ne remettra pas en cause ces spécificités, le dispositif législatif ne concernant que le port de signes religieux à l'école et ne rentrant en opposition avec aucune des spécificités du droit local.

La loi s'appliquera également, et dans les mêmes conditions, à Saint-Pierre-et-Miquelon.

En effet, en vertu de la loi n° 85-595 du 11 juin 1985 relative au statut de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, la loi est applicable de plein droit à cette collectivité selon un principe d'assimilation. Les règles scolaires, parmi lesquelles les règles de laïcité, s'appliquent de la même façon sur ce territoire que dans le reste de la France. L'enseignement du premier et du second degré relève de la compétence de l'Etat, sous l'autorité du chef du service de l'éducation de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui a toutes les attributions des inspecteurs d'académies de métropole.

S'agissant des autres collectivités territoriales d'outre-mer, en vertu du principe de spécialité législative, issu de l'article 74 de la Constitution, les textes qui ne sont pas propres aux territoires doivent, pour leur être applicables, comporter une disposition expresse d'applicabilité, ou leur être étendus par une loi ultérieure.

Ainsi, les paragraphes I et II du présent article prévoient l'extension de la loi à Wallis-et-Futuna, à Mayotte et aux établissements du second degré de Nouvelle-Calédonie.

- A Wallis-et-Futuna, les dispositions relatives à la laïcité de l'enseignement public s'appliquent dans leur quasi-intégralité.

Certaines dispositions font cependant l'objet d'adaptations. En effet, l'article L. 141-1 du code de l'éducation nationale, qui reprend le 13ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, selon lequel « la Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation et à la culture ; l'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat », ne s'applique pas. L'article L. 141-3 du même code11, est remplacé par les dispositions suivantes qui reprennent, pour l'essentiel, mais dans une rédaction différente, celles applicables au reste du territoire : « Dans les écoles maternelles et élémentaires publiques, l'organisation de la semaine scolaire ne doit pas faire obstacle à la possibilité pour les parents de faire donner, s'ils le désirent, à leurs enfants l'instruction religieuse, en dehors des édifices scolaires et en dehors des heures de classes. ». Enfin, l'article L. 141-512 disposant que l'enseignement primaire est exclusivement confié à un personnel laïque ne s'y applique pas, puisque l'enseignement public fait l'objet d'une concession de l'Etat à la mission catholique des pères de Sainte Marie. Il s'agit là d'une double dérogation au principe de laïcité de l'enseignement public dans la mesure où les cours sont dispensés par des enseignants religieux dont la rémunération est prise en charge par l'Etat.

Si certaines spécificités juridiques s'appliquent au principe de laïcité, elles ne concernent pas la manifestation de convictions religieuses par les élèves et ne sont donc pas remises en cause par la loi.

L'application du texte ne posera aucune difficulté dans la mesure où la population est exclusivement catholique, et où le texte ne remet pas en cause la spécificité de l'enseignement primaire.

- En Nouvelle-Calédonie, les articles L. 141-1 et L. 141-3 du code de l'Education connaissent les mêmes adaptations qu'à Wallis et Futuna. De plus, en application de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, l'enseignement primaire public relève de la compétence du Congrès du territoire, sous réserve de la possibilité pour les provinces d'adapter les programmes en fonction des réalités culturelles et linguistiques qui leur sont propres ; l'enseignement primaire privé, l'enseignement du second degré public et privé sont de la compétence de l'Etat jusqu'à leur transfert à la Nouvelle-Calédonie au cours de la période correspondant aux mandats du Congrès commençant en 2004 et en 2009.

Par conséquent, l'article 2 prévoit l'application de la loi dans les seuls établissements du second degré qui relèvent de la compétence de l'Etat.

- A Mayotte, malgré l'existence d'un droit personnel, protégé par l'article 75 de la Constitution, l'application de la loi ne posera pas véritablement de problème tant sur le plan juridique que sur le plan pratique.

En effet, les jeunes filles ne portent pas le foulard mais le « kishall » et le « salouva » (sorte de bandana) qui relèvent d'une tradition vestimentaire africaine et non musulmane, et qui se situent donc totalement hors du champ d'application du projet de loi.

Certes, le statut personnel est « protégé » par l'article 75 de la Constitution, qui dispose que « les citoyens de la République qui n'ont pas le statut civil de droit commun, seul visé à l'article 34, conservent leur statut personnel tant qu'ils n'y ont pas renoncé. »

Cependant, le champ du statut personnel a été défini par l'article 68 de la loi de programme pour l'outre-mer du 21 juillet 2003 selon lequel : « Le statut civil de droit local régit l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités. L'exercice des droits, individuels ou collectifs, afférents au statut civil de droit local ne peut, en aucun cas, contrarier ou limiter les droits et libertés attachés à la qualité de citoyen français ». De même, dans sa décision n° 2003-474 DC du 17 juillet 2003, le Conseil constitutionnel a notamment jugé que « les citoyens de la République qui conservent le statut personnel jouissent des droits et libertés de valeur constitutionnelle attachés à la qualité de citoyen français et sont soumis aux mêmes obligations ».

En conséquence, le projet de loi ayant précisément pour objet de rappeler une obligation qui résulte d'un principe de valeur constitutionnelle, le statut personnel mahorais ne saurait affecter l'application de la nouvelle loi à Mayotte, ni fournir une base légale à une éventuelle adaptation de celle-ci.

- En Polynésie, en application de la loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, et de la loi n° 87-556 du 16 juillet 1987, l'enseignement du premier et second degré relèvent de la compétence du territoire, alors que l'enseignement supérieur relève de la compétence de l'Etat.

Le projet de loi s'appliquant aux établissements du premier et second degré, le 3° du II de l'article 2 exclut l'application de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation à la Polynésie française. Les autorités territoriales auront toutefois la possibilité, si elles le jugent nécessaire, d'adopter le même dispositif.

Le paragraphe III de l'article 2 prévoit l'extension de l'interdiction posée à l'article premier aux établissements français à l'étranger.

L'enseignement français des premier et second degrés est dispensé à l'étranger dans des écoles, collèges et lycées homologués par le ministère de l'Éducation nationale, appelés établissements scolaires français à l'étranger. Ils représentent environ 410 établissements et assurent la formation de 235.000 élèves, dont 78.000 Français, dans 127 pays.

Cependant, en vertu du paragraphe III de l'article 2, l'extension de l'article premier se fait selon les modalités de l'article L. 451-1 du code de l'éducation nationale. Il subordonne l'application de l'article à l'adoption de décrets en Conseil d'État qui doivent tenir compte, comme le précise l'article L. 451-1, de la situation particulière de ces établissements et des accords conclus avec les États étrangers.

La Commission a adopté l'article 2 sans modification.

Article 3


Entrée en vigueur

Le présent article prévoit que la loi entrera en vigueur à l'occasion de la rentrée scolaire suivant sa promulgation, c'est-à-dire en septembre 2004.

Ce délai devrait encourager le dialogue et la concertation et éviter une application trop brutale de la loi.

Les établissements scolaires pourront également mettre ce délai à profit pour adapter leur règlement intérieur au nouveau dispositif légal. Même si la loi est d'application directe, il est souhaitable, dans un souci de pédagogie, que ses dispositions soient transcrites dans l'acte qui rassemble les règles applicables à la vie interne de l'établissement scolaire.

La Commission a adopté l'article 3 sans modification.

Puis la Commission a adopté l'ensemble du projet de loi ainsi modifié.

*

* *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République vous demande d'adopter le projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics (n° 1378), modifié par l'amendement figurant au tableau comparatif ci-après.

TABLEAU COMPARATIF

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Texte de référence

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Texte du projet de loi

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Propositions de la Commission

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Article 1er

Il est inséré, dans le code de l'éducation, après l'article L. 141-5, un article L. 141-5-1 ainsi rédigé :

Article 1er

(Alinéa sans modification).

« Art. L. 141-5-1. -  Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. »

« Art. L. 141-5-1. -  (Alinéa sans modification).

« Préalablement à la mise en œuvre d'une procédure de sanction, le chef d'établissement invite l'intéressé, par la voie du dialogue, à se conformer à la règle énoncée à l'alinéa précédent. Le règlement intérieur en prévoit les modalités. »

(amendement n° 8)

Article 2

I. -  La présente loi est applicable :

Article 2

(Sans modification).

Loi organique n° 99-209
du 29 mars 1999 relative
à la Nouvelle-Calédonie


Art. 21. - 
 . . . . . . . . . . . . .
III. -  L'État exerce également jusqu'à leur transfert à la Nouvelle-Calédonie, dans les conditions prévues à l'article 26, les compétences suivantes :

1° Dans les Iles Wallis et Futuna;

2° Dans la collectivité départementale de Mayotte ;

3° En Nouvelle-Calédonie, dans les établissements publics d'enseigne-ment du second degré relevant de la compétence de l'État en vertu du III de l'article 21 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

1° Police et sécurité en matière de circulation aérienne intérieure et de circulation maritime dans les eaux territoriales ;

2° Enseignement du second degré public et privé, sauf la réalisation et l'entretien des collèges du premier cycle du second degré ; santé scolaire ;

3° Enseignement primaire privé ;

4° Droit civil, règles concernant l'état civil et droit commercial ;

5° Sécurité civile.

Code de l'éducation

Art. L. 161-1. -  Sont applicables dans les îles Wallis et Futuna les premier, deuxième, troisième et cinquième alinéas de l'article L. 111-1, les articles L. 111-2 à L. 111-5, L. 112-2, le premier alinéa de l'article L. 113-1, les articles L. 121-1 à L. 121-4, L. 122-1, L. 122-5, L. 123-1 à L. 123-9, L. 131-2, L. 131-4, L. 132-1, L. 132-2, L. 141-2, L. 141-4, L. 141-6, L. 151-1, L. 151-3 et L. 151-6.

II. -  Par voie de conséquence du I ci-dessus, le code de l'éducation est modifié comme suit :

1° Au premier alinéa de l'article L. 161-1, les termes : « L. 141-4, L. 141-6 » sont remplacés par les termes : « L. 141-4, L. 141-5-1, L. 141-6 » ;

Les dispositions de l'article L. 131-1 sont applicables à compter du 1er janvier 2001.

Art. L. 162-1. -  Sont applicables à Mayotte les premier, deuxième, troisième et cinquième alinéas de l'article L. 111-1, les articles L. 111-2 à L. 111-4, L. 112-1 à L. 112-3, le premier alinéa de l'article L. 113-1, les articles L. 121-1 à L. 121-5, L. 122-1, L. 122-2, L. 122-5, L. 131-1, L. 131-2, L. 131-4, L. 132-1, L. 132-2, L. 141-2, L. 141-4 à L. 141-6, L. 151-1 à L. 151-3 et L. 151-6.

2° Au premier alinéa de l'article L. 162-1, les termes : « L. 141-4 à L. 141-6 » sont remplacés par les termes : « L. 141-4, L. 141-5, L. 141-5-1, L. 141-6 » ;

Art. L. 163-1. -  Sont applicables en Polynésie française les premier, deuxième, troisième et cinquième alinéas de l'article L. 111-1, les articles L. 111-2 à L. 111-5, L. 112-2, le premier alinéa de l'article L. 113-1, les articles L. 121-1 à L. 121-4, L. 122-1, L. 122-5, L. 123-1 à L. 123-9, L. 131-1, L. 131-2, L. 131-4, L. 132-1, L. 132-2, L. 141-2, L. 141-4 à L. 141-6, L. 151-1, L. 151-3 et L. 151-6.

3° Au premier alinéa de l'article L. 163-1, les termes : « L. 141-4 à L. 141-6 » sont remplacés par les termes : « L. 141-4, L. 141-5, L. 141-6 » ;

Art. L. 164-1. -  Sont applicables en Nouvelle-Calédonie les premier, deuxième, troisième et cinquième alinéas de l'article L. 111-1, les articles L. 111-2 à L. 111-5, L. 112-2, le premier alinéa de l'article L. 113-1, les articles L. 121-1 à L. 121-4, L. 122-1, le deuxième alinéa de l'article L. 122-5, les articles L. 123-1 à L. 123-9, L. 131-1, L. 131-2, L. 131-4, L. 132-1, L. 132-2, L. 141-2, L. 141-4 à L. 141-6, L. 151-1, L. 151-3 et L. 151-6.

4° L'article L. 164-1 est ainsi modifié :

a) Dans le premier alinéa, les termes : « L. 141-4 à L. 141-6 » sont remplacés par les termes : « L. 141-4, L. 141-5, L. 141-6 ».

b) Il est ajouté un deuxième alinéa ainsi rédigé :

« L'article L. 141-5-1 est applicable aux établissements publics d'enseignement du second degré mentionnés au III de l'article 21 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie qui relèvent de la compétence de l'État. »

Art. L. 451-1. -  Des décrets en Conseil d'Etat fixent les conditions dans lesquelles les dispositions des articles L. 111-1 à L. 111-4, L. 112-2, L. 113-1, L. 121-1, L. 121-3, L. 122-2 à L. 122-5, L. 131-1, L. 132-1, L. 231-1 à L. 231-9, L. 236-1, L. 241-1 à L. 241-3, L. 311-1 à L. 311-6, L. 313-1, L. 313-2, L. 314-2, L. 321-1 à L. 321-4, L. 331-1 à L. 331-4, L. 331-6 à L. 331-8, L. 332-1 à L. 332-5, L. 333-1 à L. 333-3, L. 334-1, L. 335-1, L. 335-2, L. 336-1, L. 337-1, L. 337-2, L. 411-1 à L. 411-3, L. 421-3, L. 421-5 à L. 421-7, L. 421-9, L. 423-1, L. 511-1 à L. 511-4, L. 521-1, L. 521-4, L. 551-1, L. 911-1, L. 912-1, L. 912-3, L. 913-1 sont appliquées aux établissements scolaires français à l'étranger, compte tenu de leur situation particulière et des accords conclus avec des Etats étrangers.

III. -  Dans le texte de l'article L. 451-1 du code de l'éducation, il est inséré, après la mention de l'article L. 132-1, la mention de l'article L. 141-5-1.

Article 3

Les dispositions de la présente loi entrent en vigueur à compter de la rentrée de l'année scolaire qui suit sa publication.

Article 3

(Sans modification).

AMENDEMENTS NON ADOPTÉS PAR LA COMMISSION

Article premier

(art. L. 141-5-1 du code de l'éducation)

Amendement présenté par M. René Dosière et les commissaires membres du groupe socialiste :

Rédiger ainsi cet article :

« Art. L. 141-5-1. -  Dans les écoles, collèges et lycées publics, le port visible de tout signe d'appartenance religieuse est interdit. »

Amendement n° 5 présenté par M. Daniel Garrigue :

Dans cet article, après le mot : « élèves », insérer les mots : « , les enseignants ou les personnels des établissements scolaires ».

Amendement n° 2 présenté par M. Claude Goasguen :

Dans cet article, substituer aux mots : « appartenance religieuse », les mots : « conviction susceptible d'entraîner des manifestations publiques d'hostilité ».

Amendement n° 3 présenté par M. Hervé Mariton :

Dans cet article, après le mot : « religieuse », insérer les mots : « ou un engagement politique ».

Amendement n° 4 présenté par M. Daniel Garrigue :

Dans cet article, après le mot : « religieuse », insérer les mots : « ou maçonnique ».

Amendement n° 1 présenté par M. Edouard Balladur :

Compléter cet article par les mots : « dès lors qu'il est de nature à troubler le bon ordre de l'établissement. ».

Amendement présenté par M. Gérard Léonard :

Compléter cet article par l'alinéa suivant :

« Préalablement à la mise en œuvre d'une procédure de sanction, le chef d'établissement invite l'intéressé, par la voie de la médiation, à se conformer à la règle énoncée à l'alinéa précédent. »

Amendement présenté par M. René Dosière et les commissaires membres du groupe socialiste :

Compléter cet article par le paragraphe suivant :

« Après l'article L. 141-5 du code de l'éducation, il est inséré un article L. 141-5-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 141-5-2. -  Le règlement intérieur met en œuvre la règle énoncée à l'article précédent.

« Sauf en cas de récidive, toute sanction doit être proportionnée et prise après que l'élève a été invité, après un temps suffisant de dialogue, à se conformer à ses obligations. »

Titre

Amendement présenté par M. René Dosière et les commissaires membres du groupe socialiste :

Rédiger ainsi le titre du projet de loi :

« Projet de loi relatif au port de signes religieux dans les établissements publics d'enseignement. »

N° 1381 - Rapport sur le projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics (M. Pascal Clément)

1 Selon un sondage BVA de novembre 2003, 43 % des Français estiment que les pouvoirs publics ne défendent pas la laïcité avec suffisamment de détermination.

2 Décision DC n° 77-87 du 23 novembre 1977 

3 Il est probable que le Conseil d'Etat considèrerait le port d'une burka ou d'une robe et d'un voile recouvrant entièrement le corps comme ostentatoire : cependant, en pratique, aucun signe actuellement porté par les élèves (foulard, bandeau, kippa, croix) n'est considéré, en lui-même, par le juge, comme ostentatoire.

4 Conseil d'Etat, 10 mars 1995, M. et Mme Aoukili

5 Conseil d'Etat, Assemblée, 14 avril 1995, Consistoire des israélites de France et autres, et Koen

6 Le Conseil constitutionnel a très clairement affirmé ce principe dans une décision « entreprises de presse » du 10 octobre 1984 : « s'agissant d'une liberté fondamentale, d'autant plus précieuse que son exercice est l'une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale, la loi ne peut en réglementer l'exercice qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ».

7 Décision n° 93-329 DC du 13 janvier 1994, loi relative aux conditions de l'aide aux investissements des établissements d'enseignement privés par les collectivités territoriales.

8 A propos d'un quaker refusant de contribuer aux dépenses militaires.

9 Cour européenne des droits de l'homme, 15 février 2001, Dahlab c/ Suisse

10 Il est probable que le Conseil d'État considèrerait le port d'une burka ou d'une robe et d'un voile recouvrant entièrement le corps comme ostentatoire : cependant, en pratique, aucun signe actuellement porté par les élèves (foulard, bandeau, kippa, croix) n'est considéré, en lui-même, par le juge, comme ostentatoire.

11  Art. L. 141-3. - Les écoles élémentaires publiques vaquent un jour par semaine en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s'ils le désirent, à leurs enfants l'instruction religieuse, en dehors des édifices scolaires. L'enseignement religieux est facultatif dans les écoles privées.

12  Art. L. 141-5. - Dans les établissements du premier degré publics, l'enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque.


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