Version PDF
Retour vers le dossier législatif

graphique
N° 2442

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 6 juillet 2005.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 2366) de M. EDOUARD LANDRAIN sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (COM [2004] 607 final / E 2704)

PAR M. Pierre MORANGE,

Député.

--

Voir le numéro : 2369

INTRODUCTION 5

I.- LE CONTEXTE : LA RÉVISION DE LA DIRECTIVE DU 4 NOVEMBRE 2003 SUR L'AMÉNAGEMENT DU TEMPS DE TRAVAIL 7

A. LES RAISONS DE LA MODIFICATION DE LA DIRECTIVE DE 2003 7

1. Le cadre posé par la directive de 2003 7

2. La nécessité de modifier ce cadre juridique 8

B. LE CONTENU DE LA PROPOSITION DE RÉVISION DE LA DIRECTIVE DE 2003 9

1. La question de la durée maximale hebdomadaire du travail 9

a) L'opt-out, un régime dérogatoire 9

b) La modification du régime de l'opt-out par la Commission européenne 10

c) La modification par la Commission européenne de la période de référence retenue pour apprécier le respect de la limite des quarante-huit heures hebdomadaires 11

d) La question du délai d'intervention du repos compensateur en cas de dérogation à la durée maximale du travail quotidien ou hebdomadaire 11

2. La définition du temps de garde 12

II.- LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION DE LA DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE 13

A. LA RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LE SÉNAT LE 18 JUIN 2005 13

B. LES PRINCIPES SUR LESQUELS SE FONDE LA DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE 14

C. LES PRISES DE POSITION DE LA DÉLÉGATION 14

1. Le calcul de la durée hebdomadaire du travail 14

a) La perspective de la suppression de l'opt-out dans un délai de trois ans à compter de la transposition de la nouvelle directive 15

b) L'annualisation du temps de travail 16

2. Le temps de garde 16

3. L'intervention du repos compensateur 17

4. La conciliation entre vie professionnelle et vie familiale 17

TRAVAUX DE LA COMMISSION 19

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION 27

AMENDEMENTS NON ADOPTÉS PAR LA COMMISSION 29

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR 31

INTRODUCTION

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales est saisie d'une proposition de résolution relative à l'aménagement du temps de travail (n° 2366) présentée par M. Edouard Landrain, adoptée par la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale le 8 juin 2005. Cette proposition porte sur une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, en date du 22 septembre 2004.

La proposition de résolution s'inscrit dans une réflexion plus large sur le temps de travail, menée par la délégation depuis plusieurs mois, ainsi que l'atteste l'excellent rapport d'information (n° 1519) présenté également par M. Edouard Landrain, déposé le 8 avril 2004, intitulé « Entre les exigences de la flexibilité et celles du réalisme : la voie étroite de l'aménagement du temps de travail en Europe ».

Les questions principales qui font l'objet de cette proposition de résolution ont trait d'une part à la question du calcul de la durée hebdomadaire du temps de travail, qu'il s'agisse du choix de la période de référence pour le calcul de la durée moyenne hebdomadaire du travail ou de la question des possibilités de dépassement de cette durée (le mécanisme dit d'opt-out), d'autre part à la définition des temps de garde.

Il convient d'emblée de noter que si la proposition de résolution porte avant tout sur la proposition, émanant de la Commission européenne, de directive du Parlement européen et du Conseil en date du 22 septembre 2004 (qui tend à modifier la directive du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail), il importe de garder à l'esprit qu'une résolution législative a été adoptée par le Parlement européen sur cette même proposition de directive le mercredi 11 mai 2005 - résolution législative sur laquelle se fonde expressément la proposition de résolution de la délégation pour l'Union européenne. Par ailleurs, le 1er juin 2005, la Commission européenne a diffusé une nouvelle version de sa proposition de modification de la directive du 4 novembre 2003.

Tels sont donc les enjeux de la présente résolution, qui appelle l'Assemblée nationale à se prononcer sur des éléments de caractère sans doute souvent technique, mais en même temps centraux pour la préservation des équilibres sociaux et économiques de la France comme de l'ensemble des autres Etats européens.

*

I.- LE CONTEXTE : LA RÉVISION DE LA DIRECTIVE DU 4 NOVEMBRE 2003 SUR L'AMÉNAGEMENT
DU TEMPS DE TRAVAIL

Il convient de rappeler les raisons de la modification de la directive de 2003, avant de revenir sur les propositions émises par la Commission européenne en septembre 2004 et sur lesquelles porte la proposition de résolution de la délégation.

A. LES RAISONS DE LA MODIFICATION DE LA DIRECTIVE DE 2003

1. Le cadre posé par la directive de 2003

Le 22 septembre 2004, la commission européenne a proposé un texte visant à modifier la directive 2003/88/CE qui fixe, au niveau européen, les principales règles relatives à la protection et à la santé et la sécurité en matière d'aménagement du temps de travail.

Il faut noter que la directive du 4 novembre 2003 qu'il est ainsi proposé de modifier n'est qu'une version consolidée d'une précédente directive 93/104/CE du 23 novembre 1993 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail. Ces directives - qui donc ne font aujourd'hui qu'un seul et même texte - fixent des règles minimales notamment en matière de temps de pause, de repos quotidien ou hebdomadaire, de congés annuels ou de travail de nuit, tout en comportant de nombreuses dispositions permettant aux Etats membres de mettre en œuvre des règles dérogatoires selon les secteurs ou les catégories de salariés visés.

Principales règles en matière d'aménagement du temps de travail résultant de l'application de la directive du 4 novembre 2003

Repos quotidien

11 heures consécutives

Repos hebdomadaire

24 heures consécutives

Durée maximale hebdomadaire du travail

48 heures en moyenne sur une période de référence

Durée maximale du travail de nuit

8 heures en moyenne par période de 24 heures

Il est important de garder à l'esprit que ces règles sont minimales : tout Etat membre de l'Union européenne devra les respecter, mais aura toujours la possibilité de prévoir, pour ses travailleurs, des dispositions plus favorables. C'est d'ailleurs le cas en France, où le droit national est beaucoup plus favorable aux salariés que le droit communautaire : à titre d'exemple, on rappellera qu'au cours d'une même semaine, la durée du travail ne peut dépasser, en principe, quarante-huit heures (article L. 212-7 du code du travail(1).

L'article 23 de la directive du 4 novembre 2003 précise d'ailleurs que la mise en œuvre des dispositions de la présente directive « ne constitue pas une justification valable pour la régression du niveau général de protection des travailleurs ».

2. La nécessité de modifier ce cadre juridique

Le texte établi par la Commission européenne en septembre 2004 répond à une double finalité.

D'une part, le texte de la directive de 1993 avait expressément prévu que le Conseil réexaminerait, sur proposition de la Commission et dans un délai de dix ans, certaines de ses dispositions. Le dernier alinéa du 1. de l'article 22 de la directive de 2003 dispose en conséquence qu'« avant le 23 novembre 2003, le Conseil, sur la base d'une proposition de la Commission, accompagnée d'un rapport d'évaluation, réexamine les dispositions du présent paragraphe [relatif à la clause d'opt-out] et décide des suites à y donner ». La proposition de directive ainsi établie vise à satisfaire à cette obligation, certes avec un certain retard.

D'autre part, une question n'avait pas été tranchée par les textes initiaux de 1993 et 2003 : la définition des temps de garde et temps d'astreinte. En l'absence de texte, la Cour de justice des communautés européennes a considéré que le temps de garde accompli sur le lieu de travail doit être intégralement considéré comme du temps de travail effectif, y compris les périodes d'inactivité ; quant aux périodes d'astreinte, effectuées à domicile, elle a considéré que seule la durée correspondant à une prestation de travail effective devait être considérée comme du temps de travail.

Cette solution n'a pas satisfait tous les Etats membres qui ont pu estimer, notamment, que le personnel médical pourrait, dans ces conditions, être insuffisant pour assurer un fonctionnement continu des hôpitaux. La France en particulier, du fait de son régime spécifique dit des « équivalences », a craint que la pérennité de son système de décompte du temps de travail dans certaines professions ne soit mise en cause.

B. LE CONTENU DE LA PROPOSITION DE RÉVISION DE LA DIRECTIVE DE 2003

La Commission européenne, dans sa proposition du 22 septembre 2004, fait pour l'essentiel des propositions de modification concernant deux thèmes : la question de la durée maximale hebdomadaire du travail ; la question du temps de garde.

1. La question de la durée maximale hebdomadaire du travail

a) L'opt-out, un régime dérogatoire

Aux termes de la directive du 23 novembre 1993 et de celle du 4 novembre 2003, il est prévu que « la durée moyenne de travail pour chaque période de sept jours n'excède pas quarante-huit heures, y compris les heures supplémentaires » (article 6 de la directive du 4 novembre 2003).

Cette durée est toutefois considérée dans sa valeur moyenne sur une période de référence. L'article 22 de la directive contient en effet une disposition selon laquelle « un Etat membre a la possibilité de ne pas appliquer l'article 6 [relatif à la durée maximale hebdomadaire du travail de quarante-huit heures] tout en respectant les principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs » :

- sous la réserve que la moyenne hebdomadaire du travail de quarante-huit heures soit respectée au sein d'une période qui ne doit en principe pas dépasser quatre mois (article 16 de la directive du 4 novembre 2003) ;

- période pouvant toutefois être portée à six mois pour certains secteurs ou dans certaines circonstances (article 19 de la directive du 4 novembre 2003) ;

- période pouvant être portée à douze mois par convention ou accord collectif pour des raisons objectives, techniques ou d'organisation du travail (article 19 de la directive du 4 novembre 2003).

Il s'agit donc d'une modalité de décompte de la durée hebdomadaire du travail envisagée sous une forme « cyclique », au sein de la période de référence.

Mais plus encore, l'article 22 prévoit le cas où l'employeur peut demander au travailleur de travailler plus de quarante-huit heures considérées sur la période de référence avec « l'accord du travailleur pour effectuer un tel travail ». C'est la clause dite « d'opt-out ». La Grande-Bretagne a été à l'origine de cette clause, qui permet aux Etats membres d'autoriser les salariés à renoncer à la réglementation relative à la durée maximale hebdomadaire du travail (et qui, de ce fait, permet l'affranchissement de toute période de référence).

Aux termes de cet article, certaines conditions entourent le recours à l'opt-out : nécessité de l'accord du travailleur concerné ; tenue de registres recensant les travailleurs qui effectuent un tel travail ; mise à disposition des autorités compétentes de ces registres ; information des autorités compétentes sur les accords donnés par les travailleurs pour effectuer un tel travail.

Au total, le régime de la mise en œuvre de cette clause est somme toute assez souple.

Différents Etats ont, en pratique, recours à cette clause : Allemagne, Espagne, Luxembourg, mais aussi la France qui laisse la possibilité aux praticiens hospitaliers d'accomplir de façon volontaire, en sus de leurs obligations de service chaque semaine, un temps de travail supplémentaire - temps pouvant porter leur durée hebdomadaire de travail au-delà de quarante-huit heures, jusqu'à soixante heures. Exemple le plus connu, la Grande-Bretagne y a recours de manière plus fréquente : un salarié sur cinq dans l'industrie travaille habituellement plus de quarante-huit heures par semaine.

b) La modification du régime de l'opt-out par la Commission européenne

Au terme des modifications qu'elle propose pour l'article 22 de la directive, la Commission souhaite rendre plus restrictif l'accès des Etats à cette clause.

Ainsi, la mise en œuvre de cette faculté dérogatoire devrait « être expressément prévue par la convention collective ou l'accord conclu entre partenaires sociaux au niveau national ou régional ou en conformité avec la législation et/ou les pratiques nationales, par voie de conventions collectives ou d'accords conclus entre partenaires sociaux à un niveau adéquat ». En l'absence de convention collective et de représentation du personnel habilité à en conclure, cette faculté est aussi ouverte par la conclusion d'un simple accord entre l'employeur et le travailleur.

En outre, la Commission a prévu des garanties venant s'ajouter aux garanties déjà existantes :

- l'accord passé entre l'employeur et le travailleur ne peut être valable pour une durée supérieure à un an (durée renouvelable) ;

- cet accord ne peut être passé au moment de la signature du contrat de travail ou pendant toute période d'essai ;

- il est établi un plafond hebdomadaire de soixante-cinq heures par semaine (donc un peu moins de onze heures par jour en moyenne) - sauf disposition contraire résultant de la signature d'une convention ou d'un accord collectif : il s'agit là d'un plafond absolu, puisque le régime visé est celui de l'opt-out, et non d'un plafond à envisager comme une moyenne au sein d'une période de référence ;

- aucun travailleur ne peut subir de préjudice du fait qu'il n'est pas disposé à donner son accord pour effectuer un tel travail.

Comme le note la délégation pour l'Union européenne dans son rapport sur la directive (2), « même si elle ne traduit pas une mauvaise intention puisqu'elle vise à fixer un maximum là où il n'y en a actuellement pas et à éviter les conséquences fâcheuses d'une durée du travail constamment élevée, cette limite de soixante-cinq heures a paru excessive au point que certains commentateurs ont pu parler de directive « travaux forcés ». Il faut convenir de ce que la mention d'un seuil aussi élevé n'est pas d'une grande adresse ».

Dans le cadre de la clause de réexamen, la Commission européenne a en outre évoqué la possibilité de la suppression de cette dérogation (la date n'en étant toutefois pas établie - point 9 de l'article 1er). Dans le considérant 9, elle énonce que « la décision finale purement individuelle de ne pas être tenu par l'article 6 de la directive peut poser des problèmes en ce qui concerne la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et aussi du libre choix du travailleur ».

c) La modification par la Commission européenne de la période de référence retenue pour apprécier le respect de la limite des quarante-huit heures hebdomadaires

La Commission, dans son texte de septembre 2004, a proposé d'accroître la souplesse dans l'aménagement du temps de travail en facilitant le recours à une période de référence de douze mois. Aux termes de l'article 1er (point 3) de sa proposition, il serait ainsi possible aux Etats de porter cette période à douze mois par voie législative ou réglementaire « pour des raisons objectives ou techniques ou pour des raisons ayant trait à l'organisation du travail », sous réserve « du respect des principes généraux concernant la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs » et de la « consultation des partenaires sociaux intéressés et d'efforts pour encourager toutes les formes pertinentes de dialogue social, y inclus la concertation si les parties le souhaitent ».

d) La question du délai d'intervention du repos compensateur en cas de dérogation à la durée maximale du travail quotidien ou hebdomadaire

Concernant cette question, la Commission européenne a proposé qu'en cas de dérogations à l'application des règles relatives au repos journalier, au temps de pause et au repos hebdomadaire (articles 3, 4 et 5 de la directive du 4 novembre 2003), « des périodes équivalentes de repos compensateur soient accordées aux travailleurs concernés dans un délai raisonnable qui ne peut être supérieur à soixante-douze heures » (point 4).

2. La définition du temps de garde

Une jurisprudence assez nourrie de la Cour de justice des communautés européennes a assimilé le temps de garde à du temps de travail, et ce dans sa totalité (CJCE, 3 octobre 2000, SIMAP ; CJCE, 9 octobre 2003, Jaeger ; CJCE, 5 octobre 2004, Pfeiffer).

Dans sa proposition de septembre 2004, la Commission européenne définit le temps de garde comme la « période pendant laquelle le travailleur a l'obligation d'être disponible sur son lieu de travail afin d'intervenir, à la demande de l'employeur, pour exercer son activité ou ses fonctions ». Le temps de garde est donc expressément distingué de l'astreinte, qui n'oblige pas l'intéressé à rester en permanence sur le lieu de travail. La position adoptée par la Commission européenne consiste à distinguer, en matière de temps de garde, des périodes inactives, qui ne sont pas considérées comme du temps de travail - sauf disposition législative nationale ou accord collectif le prévoyant. Par opposition, « la période pendant laquelle le travailleur exerce effectivement ses activités ou ses fonctions pendant le temps de garde est toujours considérée comme du temps de travail » (article 1er, point 2).

Il convient de noter que cette question est particulièrement sensible dans le cas français. En principe, dans le droit français, la durée du travail s'entend du travail effectif du salarié. Mais pour les professions où il existe des « temps morts », pendant lesquels les travailleurs sont présents sans fournir de travail effectif, le législateur a institué une durée équivalente à la durée légale, comprenant à la fois du temps de travail effectif et des temps d'inaction.

En pratique, des salariés exerçant des activités soumises au régime d'équivalence pourront être contraints à une durée de présence dépassant trente-cinq heures par semaine (cette durée de présence étant assimilée à la durée légale, le décompte des heures supplémentaires ne commencera qu'aux heures excédant la durée équivalente de travail). Il résulte également de l'application de ce mécanisme que la rémunération des salariés est calculée sur la base de la durée légale du travail, bien que leur horaire de présence soit plus important que cette durée.

Ce régime spécifique dit « d'équivalence », aux termes de l'article L. 212-4 du code du travail, peut être institué par voie d'accord collectif ou par décret en Conseil d'Etat.

Le 3 décembre 2003, le Conseil d'Etat avait saisi la Cour de justice d'un recours préjudiciel posant la question de la compatibilité de ce dispositif avec la jurisprudence précitée assimilant temps de garde et temps de travail.

II.- LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION DE LA DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

La présente proposition de résolution, se fondant sur les principes du droit social communautaire, procède à la réaffirmation d'un certain nombre de priorités, en s'inspirant des amendements contenus dans la résolution législative du Parlement européen sur la proposition de directive du 22 septembre 2004, résolution législative en date du 11 mai 2005. A titre de rappel, il faut toutefois au préalable revenir sur les termes d'une proposition de résolution voisine devenue définitive au Sénat le 18 juin.

A. LA RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LE SÉNAT LE 18 JUIN 2005

A la suite de l'adoption d'une proposition de résolution par la délégation pour l'Union européenne du Sénat portant sur cette même question, ainsi que du dépôt par le groupe Communiste, républicain et citoyen d'un autre texte, la commission des affaires sociales du Sénat a eu à se prononcer, au mois de juin 2005, sur les mêmes questions. Elle a ainsi adopté une résolution devenue résolution du Sénat le 18 juin 2005.

Le texte établi est proche de celui qui est soumis aujourd'hui à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale :

- il se fonde sur l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux ;

- il souligne l'importance de la dimension sociale de la construction européenne - dans des termes un peu différents de ceux retenus par la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale : « doter la construction européenne d'une ambitieuse dimension sociale, pour contrecarrer le dumping et améliorer la sécurité et la santé des travailleurs » ;

- s'agissant de l'opt-out, il se prononce en faveur de sa « suppression programmée » ;

- ce texte reprend le principe selon lequel le temps de garde doit être considéré comme du temps de travail, tout en ménageant la possibilité de spécificités nationales, à l'instar du cas français des équivalences expressément cité, « pour des raisons objectives et techniques ».

Sur un point, le texte du Sénat semble se détacher quelque peu de la proposition de résolution de la délégation de l'Assemblée nationale : il s'agit de la question de l'annualisation de la période de référence pour le calcul de la durée maximale hebdomadaire du travail. Alors que le texte de la délégation évoque la nécessité de « renforcer les garanties des salariés », le texte du Sénat va jusqu'à « subordonne[r] le passage à l'annualisation de [cette période] à la conclusion d'un accord collectif apportant aux travailleurs des garanties suffisantes et effectives, tant en ce qui concerne les conditions de travail que la possibilité de concilier vie personnelle et professionnelle ».

Il convient en outre de noter que le texte du Sénat ne comporte pas de disposition relative aux délais dans lesquels doit être pris le repos compensateur en cas de dérogations aux règles du repos quotidien ou hebdomadaire.

B. LES PRINCIPES SUR LESQUELS SE FONDE LA DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Dans sa proposition de résolution, la délégation de l'Assemblée nationale commence par rappeler le contenu de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux, selon lequel tout travailleur a droit « à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité » et « à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire ainsi qu'à une période annuelle de congés payés ».

En outre, elle évoque la nécessité que la construction européenne s'accompagne « d'une consolidation du modèle social européen, laquelle repose notamment sur une harmonisation par le haut des conditions de travail dans les Etats membres de l'Union européenne et ainsi des règles touchant à la santé et à la sécurité au travail ».

On retrouve donc une inspiration commune aux délégations respectives des deux Assemblées. Celle-ci est également présente dans le texte de la Commission de septembre 2004 (considérant 14) : « la présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus notamment par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. En particulier, la présente directive vise à assurer le plein respect du droit à des conditions de travail justes et équitables (article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne). »

C. LES PRISES DE POSITION DE LA DÉLÉGATION

1. Le calcul de la durée hebdomadaire du travail

La délégation commence par se féliciter de l'adoption par le Parlement européen, à une large majorité (3), le 11 mai 2005, d'une résolution législative qualifiée d'« équilibrée ».

Le rapport établi par la délégation permet d'apprécier ce qualificatif. Il rappelle en effet le contenu de cette résolution en des termes élogieux : « dans l'ensemble, le texte du Parlement européen rejoint les positions de la France et répond à son souci d'une harmonisation par le haut des conditions de travail en Europe, d'une meilleure protection de la santé et de la sécurité au travail ainsi que, sur le plan plus général, de la protection du modèle social européen. Il offre un compromis raisonnable entre les diverses positions telles qu'elles ont été exprimées, compte tenu des exigences de la protection de la santé et de la sécurité des salariés ».

a) La perspective de la suppression de l'opt-out dans un délai de trois ans à compter de la transposition de la nouvelle directive 

La Commission européenne s'était montrée réservée sur l'opt-out, sans prôner de manière tranchée sa suppression.

Le Parlement européen propose quant à lui que l'article 22 relatif à l'opt-out soit « abrogé trente-six mois après l'entrée en vigueur de la directive 2005/.../CE ».

Le texte de la proposition de résolution évoque la suppression « à un terme précis » de l'opt-out. On peut, dans un premier temps, s'étonner de cette différence, alors que par ailleurs le texte de la résolution semble recevoir l'approbation de la délégation. Dès lors, on peut se demander dans quelle mesure il ne serait pas opportun de faire référence également à ce délai de trois ans.

Cela semblerait d'autant plus pertinent que, le 1er juin dernier, la Commission européenne a diffusé une proposition modifiée de directive, qui pourrait laisser craindre certaines dérives. Aux termes de celle-ci, « pendant une période n'excédant pas trois ans après la date prévue à l'article 3 de la directive 2005/.../CE, les Etats membres ont la faculté de ne pas appliquer l'article 6 tout en respectant les principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs », autrement dit la faculté de mettre en œuvre une clause d'opt-out. Cette possibilité devrait être prévue par une convention ou un accord collectif ou par la loi nationale. Elle serait encadrée par un certain nombre de garanties, au premier rang desquelles une limite absolue de cinquante-cinq heures par semaine (et non plus, comme dans la première proposition de septembre 2004, soixante-cinq).

Mais la Commission européenne précise aussi qu'il serait possible de prolonger l'opt-out au-delà de cette période de trois ans pour des raisons ayant trait au marché du travail.

En tout état de cause, il convient de garder à l'esprit que la position du Parlement européen, à laquelle renvoie la proposition de résolution, va incontestablement et expressément dans le sens de la suppression de l'opt-out dans un délai de trois ans.

b) L'annualisation du temps de travail

Dans sa résolution, le Parlement européen approuve et maintient le principe de l'extension des possibilités d'annualiser la période de référence pour l'appréciation de la limite des quarante-huit heures hebdomadaires. Néanmoins, le Parlement ajoute de nouvelles garanties quant à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et quant à la consultation des partenaires sociaux.

C'est ce renforcement des garanties que vise le texte de la présente proposition de résolution, pour l'approuver. Il est important, comme le fait la délégation pour l'Union européenne dans son rapport, de lier cette question à celle de l'opt-out : « l'argument d'une insuffisante flexibilité du droit social européen ne peut donc plus être invoqué pour la pérennisation de l'opt-out ».

Il convient de noter que, dans sa proposition de modification en date du 31 mai 2005, la Commission européenne se rallie à cette position en des termes assez voisins, puisqu'elle prévoit que les Etats membres ont la faculté, tout en respectant les principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, de permettre que, pour des raisons objectives ou techniques ou pour des raisons ayant trait à l'organisation du travail, la période de référence soit portée à une période ne dépassant pas douze mois, et ce sous réserve de la consultation des partenaires sociaux et de la prise de toute mesure de nature à remédier aux risques en matière de santé et de sécurité (article 1er, point 7).

2. Le temps de garde

La présente proposition de résolution souligne « avec satisfaction que [la résolution du Parlement européen] vise à reconnaître le temps de garde comme du temps de travail ».

Le Parlement, dans sa résolution du 11 mai, inverse en effet la logique qui avait été retenue par la Commission : le principe serait que le temps de garde est du temps de travail ; par dérogation, une disposition nationale légale ou conventionnelle peut prévoir des modalités spécifiques de décompte.

Cette solution préserve la possibilité de pérenniser le régime français des équivalences : c'est le sens de l'ajout figurant dans le texte de la proposition de la délégation, selon lequel la résolution du Parlement permet « la prise en compte, le cas échéant, de sa spécificité ».

Sur cette question, la proposition modifiée de la Commission européenne reste semblable à sa première proposition, dans la mesure où les périodes inactives ne sont pas considérées comme temps de travail, sauf disposition de la législation nationale ou accord collectif de travail contraire.

3. L'intervention du repos compensateur

Le Parlement européen renvoie, dans sa résolution du 11 mai 2005, à la loi ou à la négociation collective pour définir les modalités d'intervention du repos compensateur. Quant à la Commission, dans sa proposition modifiée, elle ne cite plus le délai de soixante-douze heures, mais un délai « raisonnable » devant être déterminé par la législation nationale ou une convention ou un accord collectif.

La proposition de résolution fait référence pour sa part à un « délai adapté » pour l'intervention du repos compensateur. Il convient en effet d'éviter de figer les situations et de préserver la possibilité d'un aménagement au cas par cas des périodes de repos, qui satisfasse à la fois aux nécessités d'une récupération rapide et à une possibilité d'organiser ces périodes de repos de la façon la plus optimale pour le salarié.

Il faut noter que ces modalités ne remettent, en tout état de cause, pas en question l'applicabilité des règles générales de repos minimal, qu'il soit quotidien (onze heures) ou hebdomadaire (vingt-quatre heures) : le repos compensateur n'intervient qu'en cas de dérogation à ces durées.

4. La conciliation entre vie professionnelle et vie familiale

Il s'agit là d'un objectif qu'a souligné la résolution du Parlement européen, mais qui était évoqué dès la première proposition de la Commission (considérant 5) : « La conciliation entre travail et vie familiale est un élément essentiel pour atteindre les objectifs que l'Union s'est fixés dans la Stratégie de Lisbonne. Elle est de nature à créer non seulement un climat de travail plus satisfaisant, mais aussi à permettre une meilleure adaptation aux besoins des travailleurs, notamment de ceux ayant des responsabilités familiales ». La délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale a souhaité reprendre à son compte cet objectif.

C'est en effet une question importante, comme l'a montré la récente discussion devant l'Assemblée nationale du projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes - qui comprend des nombreuses mesures à cette fin.

Le dernier alinéa de la proposition revient, de façon ultime, sur la nécessité de la suppression de l'opt-out, montrant bien en cela qu'il s'agit là du point central en débat.

*

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission a examiné, sur le rapport de M. Pierre Morange, la présente proposition de résolution au cours de sa première séance du mercredi 6 juillet 2005.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

Mme Martine Billard a rappelé que, lors de la discussion du projet de loi sur l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, elle avait obtenu par un de ses amendements de substituer au terme de « conciliation » le terme d'« articulation » entre le temps de travail et la vie familiale. Il serait souhaitable d'obtenir la même modification rédactionnelle dans le cadre de la présente discussion. En effet, la vie professionnelle et la vie familiale ne sont pas deux choses contradictoires comme le sous-tendrait l'emploi du terme conciliation.

Plus globalement, le texte adopté par le Parlement européen constitue une avancée par rapport à la proposition initiale présentée par la Commission européenne. L'Assemblée nationale doit cependant adopter une position claire sur l'opt-out. Il ne faut pas d'emblée chercher un compromis, sinon la France partira perdante dans le débat, qui est programmé pour le mois d'octobre au Parlement européen mais qui pourrait être reporté à l'année prochaine.

Il faut être offensif pour obtenir la suppression de l'opt-out et s'en tenir au délai de trois ans fermes. En effet, la proposition modifiée de directive contient une formule permettant à la Commission de prolonger ce délai en fonction de critères relatifs à l'état du marché du travail ; il convient de revenir sur cette faculté dérogatoire pour supprimer impérativement la clause d'opt-out au bout de trois années.

Les nouveaux pays de l'Union européenne sont en effet très intéressés par le recours à l'opt-out. Ils ne disposeront pas des aides européennes qu'avaient obtenues la Grèce, l'Espagne et le Portugal lors de leur entrée dans la Communauté européenne. Aussi utiliseront-ils au maximum le dumping fiscal et social pour assurer leur développement économique et social.

Par ailleurs, l'annualisation du temps de travail a certes été introduite en France par la loi « Aubry II ». Mais son officialisation par la Commission européenne va aboutir à fixer des temps de travail hebdomadaires bien plus lourds que ceux prévus par la législation française. Ce sera notamment le cas dans le secteur du jouet. Il convient donc de maintenir la limite hebdomadaire du temps de travail à quarante-huit heures de manière ferme, sans permettre, notamment, son calcul sur une période de référence portée à douze mois.

Après avoir félicité le rapporteur pour la qualité de son travail, M. Georges Colombier a rappelé que cette discussion se déroule seulement quelques semaines après qu'un long débat a eu lieu sur l'avenir de l'Union européenne, durant lequel sa position n'a pas varié : l'Europe ne doit pas tirer la France vers le bas ; bien au contraire, la France doit tirer l'Union vers le haut.

Il convient donc de se réjouir de l'adoption d'une résolution équilibrée par le Parlement européen, d'inspiration largement française, tant en matière de droit du travail, que de protection sociale ou de conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale. La France doit rester une référence pour que la situation sociale européenne ne se dégrade pas et que l'élargissement, redouté par certains, se déroule dans les meilleures conditions.

M. Gaëtan Gorce a souligné combien l'Europe peut jouer un important rôle social en créant un ordre public social ; les accords de Val Duchesse initiés par M. Jacques Delors en juin 1985 constituent les débuts de l'Europe sociale. L'Union européenne, bien avant 1993, avait un rôle important en ce domaine. En outre, un certain nombre de progrès ont aussi été accomplis depuis cette date. Certaines règles communautaires, comme celles relatives au repos obligatoire quotidien ou aux temps de pause, ont ainsi été transposées en droit français. La Charte des droits fondamentaux comporte également des éléments très positifs, que le gouvernement doit garder à l'esprit. Bien sûr, il ne s'agit que de règles minimales, de planchers - c'est une nécessité au regard des différences existant entre les Etats -, mais elles sont autant de garanties.

S'agissant de la proposition de directive, il convient de se réjouir de la résolution du Parlement européen - à la suite, notamment, de la publication du rapport d'Alejandro Cercas en faveur de la suppression de l'opt-out - contrant l'offensive de la Commission qui avait tenté d'imposer ses vues sans l'accord des syndicats européens. La résolution du Parlement européen permet un meilleur encadrement de l'opt-out, disposition inacceptable. Désormais, la position du gouvernement français doit être ferme, même si la contradiction est évidente avec les dispositions relatives aux heures choisies introduites en droit français par la loi n° 2005-296 du 31 mars 2005 portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise, qui constituent bien une forme d'opt-out. C'est la seule voie pour aller plus loin que le Parlement européen - avant d'en venir, dans un second temps éventuellement, à un compromis sur la progressivité de la suppression - et supprimer définitivement cette clause d'opt-out.

S'agissant de la modulation du temps de travail, le plafond de quarante-huit heures calculé sur quatre mois au lieu d'un an est une bonne chose et il convient d'afficher une opposition claire à l'extension de la période de référence à douze mois. Il importe de rappeler que les règles nationales françaises de calcul se fondent sur une période de référence de trois mois.

On parle ici de flexibilité : certes il faut se rappeler que les autres pays européens ne bénéficient pas de l'annualisation du temps de travail introduite par la loi « Aubry II », mais si la Grande-Bretagne fait la leçon à la France, c'est pour cacher le fait que la productivité horaire de ses salariés est bien inférieure à la nôtre et qu'elle doit donc compenser par un temps de travail plus élevé.

Le président Jean-Michel Dubernard a souligné la persistance d'une ambiguïté pour le temps de garde, puisqu'il est assimilé au temps de travail, « tout en permettant la prise en compte, le cas échéant, de sa spécificité ». Si la règle s'applique sans problème aux anesthésistes, elle pose par exemple des difficultés pour les obstétriciens.

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

- Concernant l'utilisation du terme « conciliation », plutôt que celui d'« articulation », pour parler du lien entre le temps de travail et la vie privée, de nombreuses interrogations se sont effectivement posées au cours du débat sur l'égalité professionnelle. C'est d'ailleurs un vrai sujet au sein même de l'Union européenne. Le premier terme a été préféré car il laisse plus de place à la négociation. Le droit français est de toute façon plus protecteur et le principe de subsidiarité s'applique. Il est effectivement souhaitable que l'harmonisation soit réalisée par le haut, tout en conciliant l'hétérogénéité des situations dans les Etats membres. Le compromis seul permettra des avancées étape par étape.

- S'agissant de l'opt-out, la proposition de résolution affirme clairement qu'il convient de supprimer cette clause. La France doit effectivement avoir une position ferme sur ce sujet et elle a déjà obtenu gain de cause dans le cadre de l'adoption par le Parlement européen d'une résolution très favorable.

- La décision relative à l'annualisation de la période de référence pour le calcul de la moyenne hebdomadaire de travail résulte, comme les autres, d'un compromis entre pays européens, la suppression de l'opt-out étant à mettre en balance avec cette décision. Il faut en outre rappeler que la France effectue son calcul sur trois mois, ce qui est plus protecteur, mais la construction européenne évolue toujours par le biais de compromis, cheminement peut-être considéré par certains comme laborieux mais en tout cas méthodique.

- S'agissant de la loi du 31 mars 2005 précitée, il n'est pas exact de dire qu'elle crée une forme d'opt-out, puisqu'elle a prévu expressément que les heures choisies ne pourraient être effectuées au-delà de la durée maximale de quarante-huit heures par semaine.

- Concernant les temps de garde, le système français des équivalences tient compte des contraintes des différentes branches et a vocation à répondre aux demandes spécifiques de chacun, dans le cadre de la négociation collective. Il s'agit là d'une réponse concrète, qui vise à tenir compte de la réalité des faits, par exemple l'explosion de la demande en matière de santé face à une relative pénurie de l'offre.

La commission est ensuite passée à l'examen des amendements.

La commission a examiné un amendement de M. Gaëtan Gorce proposant une nouvelle rédaction du sixième alinéa de la proposition de résolution, afin que la directive prévoie la suppression définitive de la clause dérogatoire de l'opt-out en matière de durée maximale hebdomadaire du travail.

M. Gaëtan Gorce a précisé qu'il s'agit d'une position de négociation et que le Parlement français doit être aussi ferme que l'avait été le gouvernement britannique, même s'il approuve le principe de la suppression en deux ou trois ans proposé par le Parlement européen. Il a ajouté, s'agissant de la loi du 31 mars 2005, qu'il y a néanmoins opt-out dès lors que des seuls accords collectif et individuel de travail permettent de porter le temps de travail au-delà du contingent d'heures supplémentaires.

Le président Jean-Michel Dubernard a indiqué que le terme d'opt-out porte à confusion puisqu'on parle également d'opting out ou d'opting in en matière de dons d'organes par exemple. Il conviendrait de trouver un autre terme, français de préférence.

M. Jean Bardet a déploré qu'on utilise des anglicismes dans un texte juridique français. Ce terme d'opt-out n'est en outre pas compréhensible des non-initiés.

Le rapporteur a estimé que, par-delà la pertinence de ces remarques, la définition de l'opt-out en français est tout à fait claire dans la proposition de directive. Par ailleurs, le terme anglais est bien mis entre parenthèses. Enfin, il s'agit d'un concept communément utilisé. En tout état de cause, il conviendrait avant de faire un tel choix de procéder à une expertise juridique préalable.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a rejeté l'amendement.

La commission a ensuite examiné un amendement de Mme Martine Billard visant à substituer, au début du sixième alinéa de l'article unique, aux mots « Se félicitant de ce que » les mots « Considérant que ».

Mme Martine Billard a estimé que le compromis adopté le 11 mai 2005 par le Parlement européen ne justifie pas qu'on s'en félicite. Il convient donc d'adopter une rédaction plus neutre indiquant que l'Assemblée nationale prend acte de l'état de la négociation mais aurait néanmoins souhaité plus de garanties et peut espérer mieux.

Le rapporteur a indiqué que, au contraire, l'équilibre atteint entre suppression programmée de l'opt-out et annualisation de la période de référence doit être souligné, comme l'a fait la délégation pour l'Union européenne dans son rapport en précisant que «  l'argument d'une insuffisante flexibilité du droit social européen ne peut plus être invoqué pour la pérennisation de l'opt-out ».

Cet équilibre doit donc être salué : la proposition de résolution témoigne en effet de l'émergence d'un espace social européen ce qui, en soi, est une avancée importante, réclamée par la France. Si on se projette quelques années en arrière, une telle évolution était loin de s'imposer comme une évidence.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a rejeté l'amendement.

Suivant l'avis défavorable du rapporteur, la commission a ensuite rejeté un amendement de Mme Martine Billard visant à supprimer la qualification d'« équilibrée » appliquée à la résolution du Parlement européen, pour les mêmes raisons que celles exposées à l'occasion de la discussion de l'amendement précédent.

Puis, la commission a examiné un amendement de Mme Martine Billard tendant à requalifier l'exposé par la proposition de résolution de la position du Parlement européen sur l'opt-out.

Mme Martine Billard a déclaré que l'expression utilisée dans la proposition de résolution indiquant que le Parlement européen s'est prononcé pour la suppression à un terme précis de toute possibilité de recours à l'opt-out ne correspond pas à la réalité de la position retenue par celui-ci. En l'état actuel de la négociation, rien ne permet en effet d'affirmer une telle chose, ce principe pouvant très bien être reconduit à l'issue de la période dérogatoire de trois ans.

Après avoir précisé que l'amendement 20 à l'article 22 de la directive adopté par le Parlement européen mentionne expressément la suppression de l'article de la directive de 2003 relatif à l'opt-out dans un délai de trente-six mois, le rapporteur a émis un avis défavorable.

La commission a rejeté l'amendement.

La commission a ensuite examiné un amendement de M. Gaëtan Gorce visant, dans l'attente de la suppression de la procédure d'opt-out, à fixer la durée hebdomadaire maximale du travail à cinquante-cinq heures.

M. Gaëtan Gorce a déclaré que le plafond actuel, fixé à soixante-cinq heures en cas d'absence d'opt-out par la Commission européenne dans sa première proposition de modification de la directive, pose un véritable problème pour la santé des salariés. Le groupe socialiste souhaite adopter les positions les plus en pointe pour peser le plus efficacement possible sur la négociation.

Le rapporteur a émis un avis défavorable indiquant que cette préoccupation est déjà satisfaite par la version modifiée de la directive diffusée par la Commission européenne le 1er juin 2005, qui a ramené cette limite à cinquante-cinq heures, et que le Parlement européen s'est d'ores et déjà prononcé par principe contre toute dérogation à une échéance de trois ans à compter de la transposition de la nouvelle directive.

La commission a rejeté l'amendement.

Puis, suivant l'avis défavorable du rapporteur, elle a rejeté un amendement de M. Gaëtan Gorce visant à limiter à quatre mois la période de référence pour la prise en compte de la durée moyenne hebdomadaire de travail.

La commission a examiné un amendement de Mme Martine Billard visant à ce que la directive reconnaisse explicitement que le temps de garde est considéré comme du temps de travail, en supprimant dans la proposition de résolution la possibilité de prise en compte, le cas échéant, de la spécificité de certains temps de garde.

Le rapporteur a opposé un avis défavorable précisant qu'en tout état de cause, le régime français des équivalences reste un régime d'exception qui n'affecte que certains secteurs limitativement énumérés, tels la batellerie fluviale, le commerce de détail de denrées alimentaires, le gardiennage, les hôpitaux, les services d'incendie ou encore le secteur des hôtels, cafés et restaurants. En outre, il s'agit d'un régime introduit dans la loi française dès 1936 pour de nombreux secteurs d'activité, et ce au terme de longues négociations professionnelles. Revenir sur ce principe risquerait enfin d'exposer de nombreux employeurs à des rappels d'arriérés difficilement supportables au plan financier.

La commission a rejeté l'amendement.

Enfin, la commission a examiné un amendement de Mme Martine Billard visant à ce que la résolution soit réellement porteuse de garanties pour les salariés européens et réalise ainsi le meilleur compromis.

Mme Martine Billard a précisé qu'à cet effet la directive devra nécessairement contenir trois éléments rappelant la position du Parlement français : la suppression définitive de l'opt-out sans aucune possibilité de le proroger à titre dérogatoire dans une législation nationale ; la reconnaissance sans limitation du temps de garde comme du temps de travail ; le non-passage à l'annualisation comme référence de décompte des maxima de temps de travail lorsqu'il existe des périodes de décompte plus courtes et donc plus favorables aux salariés.

Après que le président Jean-Michel Dubernard a souligné le travail remarquable effectué, comme à son habitude, par Mme Martine Billard, le rapporteur a émis un avis défavorable estimant qu'il faut tenir compte, dans l'appréciation de la législation, du cadre dans lequel elle intervient : national ou européen. Au niveau européen, la nécessité du compromis ne permet pas d'obtenir d'accord autour de positions maximalistes. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que, quelle que soit la teneur de la directive, les dispositions nationales plus favorables continueront à s'appliquer, permettant une harmonisation européenne par le haut.

La commission a rejeté l'amendement.

Estimant qu'elle ne peut accepter que le Parlement français se « félicite » d'un compromis très perfectible et considérant qu'elle se serait abstenue si son amendement relatif à cette question avait été adopté, Mme Martine Billard a indiqué qu'elle votera contre l'adoption de la résolution.

M. Gaëtan Gorce, au nom des commissaires membres du groupe socialiste, s'est rallié à une position identique indiquant qu'il aurait préféré - en dépit des progrès réels que représente la résolution du Parlement européen - que la commission se prononce pour des exigences plus grandes afin de pouvoir peser plus fortement sur la négociation européenne.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a adopté l'article unique de la proposition de résolution sans modification.

*

En conséquence, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales demande à l'Assemblée nationale d'adopter la proposition de résolution dont le texte suit.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION SUR LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL MODIFIANT LA DIRECTIVE 2003/88/CE CONCERNANT CERTAINS ASPECTS DE L'AMÉNAGEMENT DU TEMPS DE TRAVAIL (COM [2004] 607 FINAL / E 2704)

Article unique

L'Assemblée nationale,

- Vu l'article 88-4 de la Constitution,

- Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (COM [2004] 607 final / E 2704) ;

- Considérant que l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux prévoit que tout travailleur a droit « à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité » et « à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire ainsi qu'à une période annuelle de congés payés » ;

- Soulignant que la construction européenne doit s'accompagner d'une consolidation du modèle social européen, laquelle repose notamment sur une harmonisation par le haut des conditions de travail dans les Etats membres de l'Union européenne et ainsi des règles touchant à la santé et à la sécurité au travail ;

- Se félicitant de ce que le Parlement européen a adopté à une large majorité, le 11 mai 2005, une résolution législative équilibrée qui tend, d'une part, à supprimer à un terme précis toute possibilité de déroger au plafonnement à 48 heures en moyenne de la durée hebdomadaire de travail (suppression de l'opt out), et, d'autre part, à renforcer les garanties des salariés pour ce qui concerne le recours à l'annualisation du temps de travail ;

- Soulignant avec satisfaction que cette même résolution vise à reconnaître le temps de garde comme du temps de travail tout en permettant la prise en compte, le cas échéant, de sa spécificité ;

- Considérant que cette résolution législative vise également à assurer dans un délai adapté l'intervention du repos compensateur en cas de dérogation aux repos minima quotidien et hebdomadaire ainsi qu'à permettre aux salariés de mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale ;

Estime que le texte qui sera en définitive adopté à l'issue de la procédure de codécision doit conserver les principaux éléments de la position adoptée par le Parlement européen sur les points évoqués, et en particulier maintenir, sur le principe, la suppression de l'opt out.

AMENDEMENTS NON ADOPTÉS PAR LA COMMISSION

Article unique

Amendement présenté par M. Gaëtan Gorce :

Rédiger ainsi le sixième alinéa de cet article :

« Propose que la directive prévoie la suppression définitive de la clause dérogatoire de l'opt-out en matière de durée maximale hebdomadaire du travail. »

Amendements présentés par Mme Martine Billard :

·  Au début du sixième alinéa de cet article, substituer aux mots :

« Se félicitant de ce »,

le mot :

« Considérant ».

·  Dans le sixième alinéa de cet article, supprimer le mot : « équilibrée ».

·  Dans le sixième alinéa de cet article, remplacer les mots :

« supprimer à un terme précis toute possibilité »,

par les mots :

« limiter les possibilités ».

Amendements présentés par M. Gaëtan Gorce :

·  Après le sixième alinéa de cet article, insérer l'alinéa suivant :

« Souhaite que dans l'attente de la suppression de la procédure d'opt-out, la durée hebdomadaire du travail ne puisse excéder cinquante-cinq heures. »

·  Après le sixième alinéa de cet article, insérer l'alinéa suivant :

« Souhaite que la période servant de base au calcul de la durée hebdomadaire du travail soit fixée à quatre mois. »

Amendements présentés par Mme Martine Billard :

·  Dans le septième alinéa de cet article, supprimer les mots :

« tout en permettant la prise en compte, le cas échéant, de sa spécificité ».

·  Remplacer le dernier alinéa de cet article par les alinéas suivants :

« Estime que le texte qui sera en définitive adopté à l'issue de la procédure de codécision doit prévoir :

« a) la suppression définitive de l'opt-out sans aucune possibilité de le proroger à titre dérogatoire dans une législation nationale ;

« b) la reconnaissance sans limitation du temps de garde comme du temps de travail ;

« c) le non passage à l'annualisation comme référence de décompte des maxima de temps de travail lorsqu'il existe des périodes de décompte plus courtes et donc plus favorables aux salariés. »

ANNEXE

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LE RAPPORTEUR

¬ CFDT - M. Didier Prono, secrétaire confédéral, responsable du service en charge de l'aménagement du temps de travail

¬ CGT - Mme Francine Blanche, secrétaire confédérale, et M. Denis Meynent, conseiller confédéral Europe

¬ MEDEF - Mme Chantal Foulon, directrice-adjointe des relations sociales, et M. Guillaume Ressot, chargé des relations avec le Parlement

¬ CFTC - M. Patrick Rouget, conseiller technique

¬ CGT-FO - Mme Laure Batut, assistante au secteur international temps de travail

¬ UPA - M. Pierre Burban, secrétaire général, et M. Guillaume Tabourdeau, chargé des relations avec le Parlement

¬ CGPME - M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales

Par ailleurs, la CFE-CGC a fait parvenir une contribution écrite au rapporteur.

___________________

N° 2442 - Rapport sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (Pierre Morange)

1 () Calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives, cette durée ne peut dépasser quarante-quatre heures ; un décret pris après conclusion d'une convention ou d'un accord collectif de branche peut prévoir que cette durée hebdomadaire sera calculée sur une période de douze semaines sans pouvoir dépasser quarante-six heures.

2 () Rapport d'information (n° 2369) déposé par la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne sur des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution du 12 avril au 6 juin 2005 (nos E 2851, E 2852, E 2855, E 2856, E 2859 à E 2861, E 2863, E 2879, E 2880, E 2886, E 2888, E 2891 à E 2895) et sur les textes nos E 2179, E 2433, E 2553, E 2704, E 2765, E 2796, E 2807, E 2818, E 2823-4, E 2841 et E 2842.

3 () Le texte a été adopté par 355 voix contre 272.


© Assemblée nationale