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le 8 décembre 2005

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N° 2711

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 novembre 2005.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI n° 2626, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif à certaines questions immobilières,

PAR M. FRANÇOIS ROCHEBLOINE,

Député

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INTRODUCTION 5

I - L'AFFAIRE DES LÉGATIONS BALTES 7

A - LES VICISSITUDES DE L'HISTOIRE 7

B - LES NÉGOCIATIONS ENGAGÉES DEPUIS 1991 8

II - LE RÈGLEMENT DE CE LITIGE GRÂCE À L'INTERCESSION DE LA FRANCE 11

A - LE « VOLET BALTE » DE L'ACCORD 11

B - LE « VOLET RUSSE » DE L'ACCORD 12

CONCLUSION 15

EXAMEN EN COMMISSION 17

Mesdames, Messieurs,

Nous sommes saisis d'un projet de loi n° 2626 autorisant l'approbation de l'accord conclu entre la France et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif à certaines questions immobilières. Sous cet intitulé peu explicite, cet accord, signé le 10 décembre 2004, s'emploie à mettre un terme à une affaire épineuse opposant les pays baltes à la Russie, le territoire français ayant été le théâtre de ce litige.

Les trois ambassades baltes installées à Paris après l'indépendance de ces pays au sortir de la Première guerre mondiale ont été occupées à partir de 1940 par les services diplomatiques de l'Union soviétique puis, à compter de la chute de l'URSS, par ceux de la Fédération de Russie. La question des légations baltes à Paris a ressurgi en 1991. Il aura fallu attendre dix ans pour qu'elle puisse connaître une issue favorable.

L'Assemblée nationale a déjà eu à connaître de cette affaire puisqu'elle a adopté en décembre 2002 trois projets de loi autorisant l'approbation de trois accords avec la Lituanie, l'Estonie et la Lettonie. Ces conventions constituaient le premier pan de l'accord global qui a permis de résoudre ce litige.

C'est aujourd'hui de la seconde partie de cet accord que notre assemblée est saisie.

I - L'AFFAIRE DES LÉGATIONS BALTES

A - Les vicissitudes de l'histoire

Pour mieux appréhender les tenants et les aboutissants de cette affaire, revenons quelques décennies en arrière.

Après la chute de l'empire des tsars, les pays baltes ont proclamé leur indépendance en 1918 : la Lituanie le 16 février, l'Estonie le 24 février et la Lettonie le 18 novembre. Dans un contexte politique confus, alors qu'ils menaient une guerre au côtés des troupes blanches contre l'Armée rouge, les Occidentaux, dont la France, reconnurent le 20 août 1919 ces trois nouveaux Etats indépendants, en formulant toutefois une réserve ; les Alliés souhaitaient que ces déclarations d'indépendance fasse l'objet d'une décision définitive de la Société des nations qui, à l'époque, n'avait pas encore vu le jour.

Il fallut attendre les traités de paix bilatéraux signés entre les jeunes Républiques et Moscou en 1920 - le traité de Tartu avec l'Estonie le 2 février 1920, le traité de Moscou le 12 juillet 1920 avec la Lituanie et le traité de Riga le 11 août 1920 avec la Lettonie - et leur admission à la Société des Nations le 26 janvier 1921 pour que ces Etats indépendants soient pleinement reconnus au plan international.

C'est alors que la petite histoire - immobilière - fit son entrée dans la grande histoire des peuples.

Les Etats baltes firent l'acquisition à Paris d'immeubles pour y loger leurs légations. La Lituanie acheta ainsi un bâtiment, en 1925, place Malesherbes, actuellement au 17, place du général Catroux dans le XVIIe arrondissement. La Lettonie fit de même dans un quartier tout proche, en 1927, au 8, rue de Prony. Enfin, l'Estonie prit plus de temps pour acquérir, en 1936, un immeuble au 4, rue du général Appert dans le XVIe arrondissement.

A la suite des accords du 23 août 1939 - le fameux Pacte germano-soviétique de sinistre mémoire qui prévoyait la non-agression entre l'URSS et l'Allemagne - et de ses protocoles secrets, les trois pays baltes furent occupés militairement et intégrés de force à l'URSS entre 1940 et 1945. La France n'a jamais reconnu l'annexion, véritable état de fait historique.

Toutefois, dans cette période trouble, les trois immeubles acquis par les pays baltes furent mis à la disposition de l'URSS en août 1940, puis, après leur réquisition par l'occupant allemand, de nouveau en septembre 1944.

Réalisme politique oblige, ce furent les autorités françaises qui mirent à disposition de l'URSS ces bâtiments bien que la France n'ait, pour autant, jamais reconnu juridiquement le changement de propriété de ces bâtiments au profit de l'Etat soviétique.

La situation n'évolua pas pendant un demi-siècle jusqu'à ce que les Etats baltes soient les premiers à secouer le joug soviétique, avec le courage et la ténacité que l'on sait.

Lorsque les Etats baltes ont proclamé leur deuxième indépendance avec la chute du système soviétique en 1990 - le 11 mars pour la Lituanie - et en 1991 - le 21 août pour la Lettonie et l'Estonie -, la France a repris les contacts diplomatiques avec chacun de ces Etats.

La question des bâtiments occupés par les autorités russes vient en discussion. Les Etats baltes souhaitaient, à juste titre, faire valoir leurs droits.

B - Les négociations engagées depuis 1991

Quel est l'usage actuel de ces immeubles ?

L'ancienne légation d'Estonie est un immeuble d'habitation de la représentation commerciale de la Fédération de Russie en France. L'ancienne légation de Lettonie est, quant à elle, le siège de la délégation permanente de la Fédération de Russie auprès de l'UNESCO et des archives consulaires de ce pays. Enfin, l'ancienne légation de Lituanie est le centre d'information de l'agence de presse Ria Novosti et le service d'information de l'ambassade de la Fédération de Russie.

De leurs côtés, les Etats baltes ont acquis ou loué de nouveaux locaux. La Lettonie a acheté un bâtiment au 6, Villa Saïd, dans le XVIe arrondissement dans lequel son ambassade a emménagé en 1997. L'Estonie loue, depuis 1999, des locaux au 46, rue Pierre Charon ; son ambassade devrait déménager sous peu pour des locaux qu'elle a acquis au mois de mars 2005 au 17, rue de La Baume dans le VIIIe arrondissement. Pour sa part, la Lituanie possède un immeuble au 22, boulevard de Courcelles, dans le XVIIe arrondissement.

D'un point de vue juridique, les pays baltes n'ont jamais cessé d'être propriétaires des immeubles occupés par les autorités russes. C'est pourquoi ces Etats ont multiplié les démarches, après leur indépendance nouvelle, pour obtenir la restitution de leurs biens. Ils déposèrent des requêtes auprès de la cour d'appel de Paris et de la cour d'appel de Versailles pour obtenir gain de cause. Ces pays entamèrent aussi des démarches auprès de notre Gouvernement. La Lettonie a ainsi remis un mémorandum au Quai d'Orsay en 1997 et un aide mémoire en février 2001. Des échanges se sont alors déroulés sur cette question entre les plus hautes autorités de l'Etat. Mais rien n'a abouti entre 1991 et 2001.

Ces démarches se sont heurtées à la position très ferme de la Fédération de Russie et à la protection diplomatique dont bénéficiaient ces locaux conformément à la convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques.

De leur côté, les organes du Conseil de l'Europe se sont saisis de cette question et l'assemblée parlementaire de cette organisation, par un avis datant de 1996, a appelé à un règlement rapide du litige. Par une recommandation datant de 1998, elle a reconnu que ces immeubles étaient toujours, d'un point de vue juridique, la propriété des Etats baltes, et a estimé qu'ils devaient être restitués à leurs propriétaires légitimes. Enfin, le comité des ministres, par une décision datant de 2000, a appelé les Etats concernés à mener des négociations dans les meilleurs délais, dans l'esprit de l'avis de 1996. Sans adopter de position clairement tranchée, le Conseil de l'Europe a donc invité à plusieurs reprises les Etats concernés à négocier un règlement de cette question.

La France n'a pas ménagé ses efforts pour régler le dossier de façon pragmatique, dès le retour des Etats baltes à l'indépendance. Pour preuve de sa bonne volonté, elle a décidé d'assumer, à partir de 1991, la charge de l'installation provisoire des nouvelles ambassades baltes à Paris, dans des locaux loués à leur profit au 14, boulevard Montmartre, dans le IXe arrondissement ; notre pays a pris en charge les loyers et les diverses charges afférentes à cette location.

D'un point de vue formelle, la France n'était pas partie au litige. Mais nos autorités ont estimé, à bon droit, que notre pays avait une responsabilité morale dans cette affaire et devait œuvrer pour son règlement.

II - LE RÈGLEMENT DE CE LITIGE GRÂCE
À L'INTERCESSION DE LA FRANCE

A - Le « volet balte » de l'accord

Alors que les négociations n'aboutissaient pas entre Russes et Baltes, la France a exposé à toutes les parties concernées, pour la première fois le 11 avril 2001, un schéma de négociation triangulaire, à l'occasion d'un entretien avec les ambassadeurs des trois pays baltes et celui de la Fédération de Russie.

Ce schéma se décomposait en deux volets.

Le premier consistait en une indemnisation préalable des trois Etats baltes. Une fois celle-ci effectuée, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie s'engageaient à transférer à la France les titres de propriété des trois bâtiments.

Le deuxième volet de cette opération reposait sur le principe d'une participation financière de la Russie en échange de la remise par la France des titres de propriété des anciennes légations baltes. L'idée d'une acquisition de la Maison Igoumnov, résidence de l'ambassadeur de France à Moscou, puis celle d'un bail emphytéotique à coût modéré pour la location de ce même bâtiment ont été successivement évoquées.

Les Etats baltes ont fait des concessions significatives dans le règlement de ce dossier. Ils ont, en effet, renoncé à la restitution de leurs biens. Il ne s'agissait pas, pour eux, d'une simple revendication immobilière. La chose avait évidemment le poids d'un symbole : celui de la souveraineté nationale, de la continuité d'Etats malmenés par l'histoire et la réparation d'une injustice historique. Ces Etats ont également renoncé à réclamer à la France le manque à gagner représenté par la non perception de loyers depuis 1940. Enfin, les pays baltes ont accepté l'évaluation des immeubles faite par les services français, évaluation trois fois inférieure à celle initialement proposée par ces Etats.

En acceptant un compromis global, incluant la déduction de la prise en charge par la France de l'installation provisoire des ambassades baltes, dès 1991, boulevard Montmartre, ces trois pays ont fait montre de leur sens de la mesure et de leur esprit de responsabilité, qu'il faut saluer à sa juste valeur.

A l'issue des négociations qui ont pris en compte un certain nombre d'éléments comme le préjudice subi depuis la Seconde guerre mondiale par ces trois pays, l'évaluation financière, la déduction des loyers pris en charge par la France, les diverses demandes spécifiques des Baltes - il a été convenu d'indemniser les trois Etats baltes à hauteur de 3 963 674 € pour la Lettonie, de 3 917 939 € pour l'Estonie et de 3 506 327 € pour la Lituanie.

C'est le Président de la République, lors de ses visites d'Etat les 26, 27 et 28 juillet 2001 en Lituanie, Lettonie et Estonie, qui a annoncé publiquement le règlement de la question des légations. Le 13 décembre 2001, les ministres des Affaires étrangères des trois Etats baltes se sont rendus à Paris pour signer solennellement les trois accords, ceux-ci ayant été par la suite approuvés par le Parlement (1). Nous examinons ici le second volet de cet accord triangulaire, celui qui concerne la Russie.

B - Le « volet russe » de l'accord

La France et la Fédération de Russie ont signé le 10 décembre 2004 ce second volet.

Cet accord est intervenu après qu'en janvier 2003, la France et la Russie fussent parvenues à un accord de principe. La France s'est engagée à transférer à la Russie les titres de propriété des trois bâtiments en échange d'une réduction du loyer de la résidence de l'ambassadeur de France en Russie de quatre millions d'euros sur dix ans et de la réalisation de travaux pour un montant de deux millions d'euros. La Russie a donc consenti une participation financière de six millions d'euros, soit la moitié de ce que le rachat des immeubles aux trois pays baltes a coûté à la France.

Il a fallu attendre un an et demi d'âpres négociations portant notamment sur la monnaie de référence de cette transaction, les modalités de transfert des titres de propriété ainsi que la nature et le montant des travaux à effectuer dans la résidence de l'ambassadeur de France, pour qu'un accord soit finalisé en juillet 2004 à Moscou.

Ce dossier a toujours revêtu un caractère sensible pour la partie russe qui n'a cessé de considérer qu'elle était propriétaire légitime des trois immeubles en question. C'est pourquoi l'accord entre notre pays et la Russie ne fait aucune mention des accords conclus par la France avec les Etats baltes. Pour cette même raison, l'accord fait état d'un « transfert des titres de propriété » et non d'une vente ou d'une transaction afin de ménager les susceptibilités russes.

L'article 1er de l'accord dont nous sommes saisis aujourd'hui établit l'obligation faite à la France de transférer à la Fédération de Russie les titres de propriété des trois immeubles. Il stipule que l'enregistrement et la publication des titres de propriété n'occasionnera aucun frais à la partie russe. L'acquisition est exonérée de droits d'enregistrement par l'application combinée de l'article 1040 du code général des impôts et de l'article 24 de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Paris le 26 novembre 1996.

L'article 2 de l'accord correspond à la contrepartie financière consentie par la Russie. Il mentionne la garantie accordée par la Fédération de Russie pour la signature d'un nouveau contrat de bail pour la résidence de l'ambassadeur de France à Moscou à compter du transfert des titres de propriété des trois immeubles à la Russie.

Les aspects techniques ne figurent pas dans l'accord intergouvernemental, mais dans deux notes verbales qui ont été échangées par le ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie et l'ambassade de France en Russie, auxquelles était annexé le contrat de bail négocié par les deux parties, le 10 décembre 2004, jour de la signature de l'accord. Ces deux notes et le contrat de bail définissent les modalités de la participation financière de la Fédération de Russie, à savoir une réduction de loyer pour une période de dix années, la somme payable annuellement pour la location de la résidence soit 170 000 dollars et la mention de travaux à effectuer dans le bâtiment pour un montant global de deux millions d'euros.

La réduction de loyer de quatre millions d'euros sur dix ans est, en effet, obtenue par une diminution du loyer de la résidence de 621 355 à 170 000 dollars sur la base d'un taux de change conventionnel de 1,12 dollars pour un euro. Le montant des travaux est fixé à deux millions d'euros, le contrat de bail précisant qu'il s'agit d'un montant hors taxes et que les devis et études ne devront pas dépasser 1 % du coût total des travaux.

L'article 3 de l'accord concerne les dispositions finales de l'accord. Il prévoit qu'il entrera en vigueur à la date de la réception de la dernière notification de l'accomplissement des procédures constitutionnelles requises pour son approbation.

CONCLUSION

Alors que les trois pays baltes ont rejoint l'Union européenne depuis 2004, il est satisfaisant qu'un accord ait pu être trouvé, mettant ainsi un terme à un litige qui n'a que trop duré.

Votre Rapporteur vous invite à adopter ce projet de loi qui constitue l'épilogue d'un chapitre douloureux de l'histoire européenne.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mardi 29 novembre 2005.

Après l'exposé du Rapporteur, et suivant ses conclusions, la Commission a adopté le projet de loi (no 2626).

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La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de l'accord figure en annexe au projet de loi (n° 2626).

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N° 2711 - Rapport au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi n 2626, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie relatif à certaines questions immobilières (M. François Rochebloine)

1 () Ce sont les lois du 12 mars 2003, n° 2003-209 pour l'Estonie, n° 2003-210 pour la Lettonie, n° 2003-211 pour la Lituanie. Voir aussi le rapport de M. Michel Destot, n° 372 du 13 novembre 2002 fait au nom de la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale.


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