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le 14 mars 2006

N° 2933

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 mars 2006.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE
L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE LOI (N° 2894)
DE M. JACQUES BRUNHES,
tendant à accorder la primauté à la commune de
résidence des parents
pour l'enregistrement de l'acte de naissance,

PAR M. Jacques Brunhes,

Député.

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INTRODUCTION 5

I. -  UNE DISJONCTION GRANDISSANTE ENTRE LIEUX DE RÉSIDENCE ET LIEUX DE NAISSANCE 6

A. LA CONCENTRATION DES NAISSANCES ET DES DÉCLARATIONS DE NAISSANCE DANS QUELQUES COMMUNES 6

1. La fin des accouchements à domicile et la concentration des maternités 6

2. L'obligation actuelle de déclaration à l'officier d'état civil du lieu de naissance 7

B. DES CONSÉQUENCES POUR LES CITOYENS 9

1. La perte d'identité territoriale et la dévitalisation des communes 9

2. La délivrance des extraits d'acte de naissance éloignée des citoyens 10

II. -  MAINTENIR UN SERVICE PUBLIC DE L'ÉTAT CIVIL PROCHE DES CITOYENS 10

A. DES INITIATIVES PARLEMENTAIRES CONVERGENTES 11

B. DONNER AUX PARENTS LA LIBERTÉ DE CHOISIR LE LIEU DE LA DÉCLARATION DE NAISSANCE 12

C. LA QUESTION DU LIEU DE NAISSANCE 13

DISCUSSION GÉNÉRALE 15

MESDAMES, MESSIEURS,

Les services publics assurés au niveau local établissent un lien fort avec les citoyens. Parmi ces services publics, le service de l'état civil, géré par la commune au nom de l'État, marque chacune des étapes de la vie, de la naissance au décès, en passant éventuellement par le mariage ou le pacs.

Sous l'Ancien Régime, les registres paroissiaux faisaient office d'état civil. Le clergé catholique tenait les registres de baptêmes et de décès depuis l'ordonnance de Villers-Cotterets de 1539, auxquels s'ajoutèrent les registres de mariage après l'ordonnance de Blois de 1579.

La création d'un état civil affranchi de la religion eut lieu pendant la Révolution française. La loi du 20 septembre 1792 étendait à tous les citoyens la sécularisation de l'état civil accomplie par l'édit de novembre 1787 pour les non catholiques. Pour les naissances, l'article 6 du titre III de cette loi prévoyait que : « L'enfant sera porté à la maison commune ». Le fait de présenter le nouveau-né à l'officier de l'état civil en mairie, afin de constater la réalité de la naissance, facilita le développement des baptêmes civiques pendant la période révolutionnaire.

La législation révolutionnaire en matière d'état civil est confirmée par le code civil de 1804. Le titre II du livre premier de ce code est relatif aux « Actes de l'état civil ». L'article 55 dispose : « Les déclarations de naissance seront faites, dans les trois jours de l'accouchement, à l'officier de l'état civil du lieu : l'enfant lui sera présenté. » Ce n'est qu'avec la loi du 20 novembre 1919 que cette condition de présentation de l'enfant est supprimée.

Les grands principes de l'état civil tel qu'il a été fondé par la Révolution et confirmé par le code civil sont restés inchangés jusqu'à nos jours. L'acte est établi par déclaration. Les seules personnes susceptibles d'enregistrer ces déclarations sont les officiers de l'état civil. Les actes inscrits sur les registres font l'objet d'une publicité totale à l'égard des intéressés et sont gratuits.

Mais, face à cette permanence institutionnelle, les évolutions de la société conduisent à une disjonction grandissante entre le lieu de résidence des parents et le lieu de naissance des enfants. Ainsi, l'obligation de déclaration de la naissance au lieu de naissance, qui était justifiée à l'époque des accouchements à domicile, l'est beaucoup moins maintenant. Aussi, la proposition de loi examinée par votre Commission vise à répondre à cette évolution sociale et à maintenir un service public de l'état civil proche des citoyens.

I. -  UNE DISJONCTION GRANDISSANTE ENTRE LIEUX DE RÉSIDENCE ET LIEUX DE NAISSANCE

Les naissances et les déclarations de naissance sont désormais concentrées dans un petit nombre de communes : celles qui ont encore la chance d'abriter des maternités. Pour toutes les autres communes, l'enregistrement des actes de naissance est devenu exceptionnel, voire inexistant. Cette évolution n'est pas neutre mais a des conséquences pour le rapport des citoyens au service public de l'état civil, que ce soit en termes d'identité ou en termes de recours à ce service.

A. LA CONCENTRATION DES NAISSANCES ET DES DÉCLARATIONS DE NAISSANCE DANS QUELQUES COMMUNES

1. La fin des accouchements à domicile et la concentration des maternités

À l'heure actuelle, les naissances ont lieu, de manière presque exclusive, en milieu hospitalier. Ce phénomène contribue à concentrer les naissances dans les seules communes qui disposent de maternités.

Sur un total annuel d'environ 770 000 naissances en France, les accouchements inopinés à domicile sont d'environ 2 000 à 2 500. Les accouchements à domicile volontaires sont encore plus rares (près de 500 par an). L'accouchement à domicile est beaucoup plus fréquent dans certains pays développés qui ont gardé vivace cette tradition. Par exemple, aux Pays-Bas, les accouchements à domicile représentent près d'un tiers de l'ensemble des accouchements.

Le second phénomène, plus récent, qui a accentué la concentration des naissances dans quelques communes, est la disparition progressive des petites maternités, notamment pour des raisons démographiques, sanitaires, ainsi que de mise en _uvre des schémas régionaux d'organisation sanitaire. Le nombre de maternités a diminué de moitié entre 1975 (1 379 maternités) et 2002 (653 maternités). Ce mouvement de baisse a été continu pendant vingt ans, puis s'est légèrement accéléré depuis 1996 (1).

UNE BAISSE CONTINUE DU NOMBRE DE MATERNITÉS DEPUIS 30 ANS

Année

Nombre de maternités

Diminution (en % annuel)

1975

1 369

 

1985

1 035

2,44 %

1996

814

1,94 %

2002

653

3,30 %

Source : drees pour les données de 1975 à 1996 ; dhos pour les données de 2002.

Le nombre de communes équipées de maternités est ainsi passé de 750 au début des années 1980 à 520 en 2001. Désormais, dans certains départements, une seule commune dispose de maternités (Creuse, Haute-Corse, Gers, Haute-Loire, Lozère, Pyrénées-Orientales).

Ainsi, ce sont désormais moins du tiers des accouchements qui ont lieu dans la commune de résidence des parents.

DE MOINS EN MOINS D'ACCOUCHEMENTS DANS LA COMMUNE DE RÉSIDENCE

Lieu de l'accouchement

1980

1990

2001

Commune de domicile

36,1 %

31,1 %

29,1 %

Département (hors commune de domicile)

52,1 %

55,1 %

57,8 %

Région (hors département de domicile)

8,3 %

9,2 %

9,5 %

Autre région

3,3 %

3,4 %

3,4 %

France (domiciliation à l'étranger)

0,2 %

0,2 %

0,2 %

Source : insee, état civil.

2. L'obligation actuelle de déclaration à l'officier d'état civil du lieu de naissance

Le code civil comporte un titre entier relatif aux actes de l'état civil (titre 2 du livre premier relatif aux personnes). Au sein de ce titre, un chapitre est consacré aux actes de naissance (articles 55 à 62-1 du code civil).

L'article 55 dispose que les déclarations de naissance doivent être faites, « dans les trois jours de l'accouchement, à l'officier de l'état civil du lieu » de l'accouchement. Comme le précise un décret (2), ce délai de trois jours ne comprend pas le jour même de l'accouchement et, de plus, est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable lorsque le dernier jour dudit délai est un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé (3).

L'obligation de déclaration de naissance incombe au père ou à défaut, aux médecins, sages-femmes et autres personnes ayant assisté à l'accouchement (article 56 du code civil). L'obligation n'est pas limitée aux seules naissances de citoyens français mais concerne toute naissance dès lors qu'elle intervient sur le territoire français. Ainsi, même des ressortissants d'un autre pays ayant déclaré la naissance aux autorités consulaires de leur pays doivent également déclarer la naissance à l'officier de l'état civil du lieu de la naissance. L'absence de déclaration dans les délais prescrits est dans tous les cas sanctionnée, conformément à l'article R. 645-4 du code pénal, par une contravention de cinquième classe (soit 1 500 euros d'amende au plus).

Pour les naissances d'enfants de citoyens français en pays étranger, le délai de déclaration est porté à quinze jours et la déclaration doit être faite devant un agent diplomatique ou consulaire (4). Les actes concernant les événements de l'état civil des français survenus à l'étranger sont ensuite centralisés au service central d'état civil, qui est situé à Nantes (5).

La déclaration de naissance auprès de l'officier de l'état civil emporte inscription sur les registres de l'état civil de la commune (ou de l'arrondissement, dans le cas des villes de Paris, Lyon et Marseille), sous la forme d'un acte de naissance « rédigé immédiatement » (article 56 du code civil). De plus, l'officier de l'état civil complète le livret de famille qui lui est présenté.

L'article 57 du code civil précise les éléments qui doivent obligatoirement figurer dans l'acte de naissance : « le jour, l'heure et le lieu de la naissance, le sexe de l'enfant, les prénoms qui lui seront donnés, le nom de famille, suivi le cas échéant de la mention de la déclaration conjointe de ses parents quant au choix effectué, ainsi que les prénoms, âges, professions et domiciles des père et mère, et s'il y a lieu, ceux du déclarant ».

L'officier de l'état civil doit, en aval de l'enregistrement de la naissance, communiquer cette information à différents services :

- en vertu de l'article 7 bis du décret n° 51-284 du 3 mars 1951 (6), il doit en aviser, dans les trois jours, l'officier de l'état civil du lieu de domicile des parents. La naissance de l'enfant est alors inscrite sur la table annuelle et sur la table décennale des actes de la commune du lieu de domicile ;

- conformément à l'article 16 du décret n° 92-785 du 6 août 1992 (7), il est tenu d'adresser un extrait de l'acte de naissance de l'enfant avec indication de la filiation, dans les quarante-huit heures de la déclaration de naissance, au médecin responsable du service de protection maternelle et infantile du département dans lequel résident les parents ;

- il adresse également à l'Institut national de la statistique et des études économiques (insee) un bulletin statistique relatif à la naissance.

Ces différentes communications ont chacune leur raison d'être : la communication à la commune du lieu de résidence des parents permet une publicité plus large donnée à la naissance ainsi qu'une information de cette commune sur la vitalité démographique de sa population ; la communication au médecin chargé de la protection maternelle et infantile garantit la surveillance sanitaire et sociale de l'enfant ; la communication à l'insee assure l'établissement des statistiques mensuelles de naissance.

En dépit de ces communications, la concentration des naissances dans les seules communes où se trouvent des maternités, qui a pour conséquence directe la concentration des déclarations de naissance dans lesdites communes, engendre des conséquences quant à la relation des citoyens avec l'état civil qu'il convient de prendre en compte.

B. DES CONSÉQUENCES POUR LES CITOYENS

1. La perte d'identité territoriale et la dévitalisation des communes

Le lieu de naissance est un signe, qui dit souvent une origine. Il participe ainsi de la constitution de l'identité de la personne, tant vis-à-vis d'elle-même que vis-à-vis des autres.

Par la concentration des naissances dans quelques pôles urbains, l'identité territoriale tend à s'atténuer, voire à disparaître, tant en zone rurale qu'en zone urbaine. Cette perte d'identité territoriale peut être préjudiciable pour la personne. Comme le disait fort justement l'exposé des motifs d'une précédente proposition de loi relative à ce problème, « le besoin d'identification se fait de plus en plus nécessaire, [...] la volonté de se reconnaître d'une région, d'une commune est un facteur d'intégration, de joie et même de fierté » (8).

En outre, les collectivités territoriales pâtissent également de cette situation. En effet, les communes qui ne disposent pas d'un hôpital ou d'une maternité n'enregistrent plus de naissances, et leur image en est ainsi dévitalisée. À l'inverse, les quelques communes qui concentrent les naissances voient leurs services de l'état civil de plus en plus sollicités.

Certes, pour remédier aux difficultés que pose la concentration des déclaration de naissance dans quelques communes, l'article 7 bis du décret du 3 mars 1951 prévoit l'inscription de la naissance sur la table annuelle et sur la table décennale des actes de la commune du lieu de domicile des parents. Cette inscription, qui était automatique pour les enfants légitimes mais devait expressément être demandée par la mère pour les enfants naturels, est désormais automatique dans tous les cas, grâce au décret n° 2005-41 du 19 janvier 2005. En outre, l'insee corrige également les statistiques mensuelles de naissances qu'il publie chaque année en considérant que le lieu de l'évènement est celui du domicile de la mère.

Ces deux correctifs à la déclaration de naissance dans la commune où a effectivement eu lieu la naissance ne sont qu'imparfaits. En effet, pour près de 36 300 communes, l'état civil n'enregistre plus de naissances. La face positive de l'état civil a disparu : seule demeure sa face négative, l'enregistrement des décès.

2. La délivrance des extraits d'acte de naissance éloignée des
citoyens

L'obtention d'un extrait ou d'une copie intégrale d'un acte de naissance a lieu auprès de la commune du lieu de naissance, dans la mesure où la délivrance à ne peut avoir lieu qu'au regard du registre d'état civil dans lequel l'acte lui-même est consigné.

Les règles de délivrance des extraits et copies d'actes d'état civil sont fixées avec précision par un décret du 3 août 1962 (9). L'article 9 de ce décret précise que « Toute personne majeure ou émancipée peut obtenir, sur indication des nom et prénom usuel de ses parents, des copies intégrales de son acte de naissance ou de mariage. Les ascendants ou descendants de la personne que l'acte concerne, son conjoint et son représentant légal peuvent aussi obtenir les mêmes copies en fournissant l'indication des nom et prénom usuel des parents de cette personne. » L'article 11 du décret pose les mêmes règles pour l'obtention des extraits d'actes de naissance.

Afin de simplifier les démarches des administrés, l'article 11-1 du décret du 3 août 1962, tel qu'il a été modifié par un décret n° 2004-1159 du 29 octobre 2004, permet aux administrations, services, établissements publics, organismes ou caisses contrôlées par l'État qui sont en charge de l'instruction d'un dossier administratif de demander directement à l'officier de l'état civil les copies intégrales et extraits d'actes d'état civil. Cette disposition réduit ainsi le nombre de situations dans lesquelles l'administré doit se procurer lui-même ces documents.

Néanmoins, lorsque l'administré doit se procurer ces documents, il doit s'adresser au service de l'état civil de la commune où il est né, qui est rarement celui de la commune où il habite. Le service public de l'état civil est ainsi éloigné des citoyens.

II. -  MAINTENIR UN SERVICE PUBLIC DE L'ÉTAT CIVIL PROCHE DES CITOYENS

Les différents problèmes que pose la disjonction entre lieu de résidence et lieu de naissance sont réels. Afin d'y remédier, une proposition de loi est nécessaire, afin de modifier les règles de l'enregistrement à l'état civil des déclarations de naissance.

A. DES INITIATIVES PARLEMENTAIRES CONVERGENTES

L'initiative des députés membres du groupe Communiste et républicain n'est pas isolée. D'autres propositions de loi émanant de différents parlementaires avaient également souhaité rendre possible la déclaration de naissance dans la commune de résidence des parents.

Ainsi, une proposition de loi avait été déposée sur ce sujet par les sénateurs membres du groupe socialiste lors de la session ordinaire 2002-2003  (10). À l'Assemblée nationale, plusieurs propositions de loi ont été déposées au cours de l'actuelle législature :

- en novembre 2002, une proposition de loi de M. Georges Ginesta et 79 de ses collègues membres du groupe Union pour un mouvement populaire (11) ;

- en janvier 2003, une proposition de loi de M. Rudy Salles (12) ;

- en mars 2005, une proposition de loi de Mme Irène Tharin et de MM. Marcel Bonnot et Damien Meslot, membres du groupe Union pour un mouvement populaire  (13).

La proposition de loi sénatoriale proposait de compléter l'article 55 du code civil en insérant deux alinéas, visant à permettre une transmission de l'acte de naissance par l'officier de l'état civil du lieu de naissance à l'officier de l'état civil du lieu de résidence des parents. Par le biais de cette transmission systématique dès lors que le lieu de résidence des parents est distinct du lieu de naissance de l'enfant, aurait été instituée une procédure de double déclaration des naissances.

Cette proposition de loi permettait de répondre à deux des problèmes soulevés par la concentration actuelle des déclarations de naissance : d'une part l'absence d'enregistrement de naissances par la très grande majorité de communes ; d'autre part le fait que les administrés soient contraints de s'adresser au service de l'état civil de leur commune de naissance pour obtenir un extrait d'acte de naissance. En revanche, le problème qui demeurait en suspens était celui de la possibilité, pour les parents, de déclarer la naissance directement à l'officier de l'état civil de leur lieu de résidence. En outre, la création d'une double inscription représenterait un coût supplémentaire significatif pour les services communaux de l'état civil.

La proposition de loi de nos collègues Irène Tharin, Marcel Bonnot et Damien Meslot proposait pour sa part de modifier le premier alinéa de l'article 55 du code civil, afin que les déclarations de naissance soient faites systématiquement auprès de l'officier de l'état civil de la commune de résidence des parents. Ainsi l'enregistrement des naissances aurait lieu de manière fidèle à la résidence des parents et l'ensemble des communes françaises verraient leur service de l'état civil revivifié. La proximité de ce service serait garantie sur le long terme car les administrés s'adresseraient à la commune du lieu de résidence de leurs parents au moment de leur naissance afin d'obtenir un extrait d'acte de naissance.

Néanmoins, il semble à votre rapporteur qu'il convient de laisser aux parents la liberté de choisir le lieu de l'enregistrement. C'est d'ailleurs une telle possibilité de choisir qui était privilégiée dans la proposition de loi de notre collègue Georges Ginesta, la modification du premier alinéa de l'article 55 du code civil prévoyant l'enregistrement soit auprès de l'officier de l'état civil du lieu de naissance soit auprès de l'officier de l'état civil « de la résidence principale des parents dans la limite du même département ».

La présente proposition de loi se propose de laisser aux parents le choix du lieu d'enregistrement.

B. DONNER AUX PARENTS LA LIBERTÉ DE CHOISIR LE LIEU DE LA DÉCLARATION DE NAISSANCE

L'article premier de la présente proposition de loi vise à réécrire le premier alinéa de l'article 55 du code civil afin de permettre aux parents de déclarer la naissance de leur enfant, selon leur choix, soit à leur lieu de résidence soit au lieu de la naissance. Cette alternative permettra de rapprocher le service public de l'état civil des citoyens.

En outre, la rédaction qui est proposée prévoit que, lorsque les lieux de résidence de chacun des parents sont distincts, l'officier de l'état civil auprès duquel peut être déclarée la naissance peut être, outre celui du lieu de naissance de l'enfant, soit celui du lieu de résidence du père soit celui du lieu de résidence de la mère, par accord entre les parents. À défaut d'accord entre les parents, l'officier de l'état civil auprès duquel la naissance peut être déclarée est celui du lieu de résidence de la mère.

Certains arguments ont déjà pu être opposés à la proposition de loi. Ces arguments juridiques peuvent être réfutés sur le plan juridique.

Selon le principe de la compétence territoriale de l'officier de l'état civil, ce dernier ne pourrait exercer son ministère que dans la limite du territoire de sa circonscription et à raison des événements dont la réalisation est intervenue sur ce territoire. Il est vrai que les différents actes actuellement enregistrés par l'officier de l'état civil confirment ce principe.

Mais l'existence d'un principe n'interdit pas l'existence d'exceptions à ce principe. Ainsi, en matière de déclaration de naissance, « Lorsque l'enfant est né en France au cours d'un voyage terrestre ou aérien, la déclaration de naissance est en principe reçue par l'officier de l'état civil de la commune du lieu où l'accouchée a interrompu son voyage. » (14) L'enregistrement de la naissance ne respecte donc pas dans ce cas le principe de la compétence territoriale, puisque l'événement n'a pas lieu dans la commune où il est enregistré. C'est pourquoi il semble à votre rapporteur qu'une modification des articles du code civil relatifs à l'enregistrement des actes de naissance peut déroger au principe de la compétence territoriale, qui n'est ni intangible ni supérieur à la loi.

Un autre argument évoqué pour refuser la possibilité de déclarer une naissance au lieu de résidence est le risque que le critère du lieu de résidence des parents entraîne des enregistrements multiples du même événement. Il est vrai que les parents peuvent résider dans des communes distinctes, soit qu'ils n'aient jamais vécu dans le même domicile, soit qu'ils soient mariés mais aient conservé des domiciles distincts (15), soit qu'ils soient divorcés ou séparés de corps. C'est pourquoi la proposition de loi envisage les cas dans lesquels il n'y a pas de résidence commune des parents, et instaure une procédure d'enregistrement préférentiel dans le lieu de résidence de la mère. L'enregistrement de la naissance dans le lieu de résidence du père ne sera possible que si la mère donne son accord à cet enregistrement. Cette préférence donnée à la déclaration au lieu de résidence de la mère est conforme à la manière dont l'insee recense les naissances, en considérant que le lieu de naissance est le lieu de résidence de la mère.

Enfin, l'inscription sur les tables annuelles et sur les tables décennales de la commune, permise par l'article 7 bis du décret du 3 mars 1951, est également évoquée comme un moyen de satisfaire la volonté de rattacher la naissance d'un enfant à la commune de résidence des parents. Depuis le décret n° 2005-41 du 19 janvier 2005, qui a modifié cet article, toute naissance qui a lieu dans une commune autre que celle du domicile du ou des parents est inscrite dans la table annuelle de la commune de résidence. Mais cette inscription n'équivaut pas à un enregistrement : elle ne permettra pas à l'enfant d'obtenir ensuite un extrait ou une copie intégrale de son acte de naissance auprès du service de l'état civil de la commune de résidence de ses parents au moment de sa naissance.

Il convient donc d'ouvrir la possibilité d'effectuer la déclaration de naissance auprès de l'officier de l'état civil de la commune de résidence.

C. LA QUESTION DU LIEU DE NAISSANCE

À l'heure actuelle, le lieu de naissance qui figure sur l'acte de naissance est obligatoirement le lieu où la naissance a réellement eu lieu. Comme l'indique l'Instruction générale relative à l'état civil, « Le lieu de la naissance énoncé dans l'acte doit s'entendre du lieu d'expulsion de l'enfant. » (16)

L'article 58 du code civil envisage cependant le cas exceptionnel des enfants trouvés, pour lesquels le lieu qui est mentionné dans l'acte de naissance n'est pas le lieu de naissance. Cet article précise en effet que l'officier d'état civil « désigne comme lieu de naissance la commune où l'enfant a été découvert ».

Dans tous les autres cas, aucune dérogation à l'énonciation du lieu réel de naissance n'est permise, comme le confirment plusieurs arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation : « Attendu qu'il résulte de ce texte [l'article 57 du code civil] que, sauf les cas limitativement prévus par l'article 58 du même code, l'acte de naissance doit énoncer le lieu réel de la naissance de l'enfant, que cette disposition impérative doit être respectée dans tous les actes inscrits sur les registres français de l'état civil et par les jugements qui tiennent lieu d'un état civil » (17).

Il a d'abord paru souhaitable à votre rapporteur d'instaurer une nouvelle règle en matière de mention du lieu de naissance dans l'acte de naissance, qui permette de prendre pleinement en compte la démarche des parents lors de la déclaration de naissance de l'enfant. C'est pourquoi l'article 2 de la proposition de loi prévoit que le lieu qui sera mentionné comme lieu de naissance sur l'acte de naissance sera celui de la déclaration de naissance. Cet article permettrait ainsi d'assurer la traduction immédiate, dans tous les documents d'identité, du choix effectué par les parents.

Néanmoins, et afin de tenir compte des observations qui ont pu être faites lors de la réunion de la Commission, votre rapporteur considère finalement que cet article n'est pas satisfaisant car il opère une substitution complète du lieu de déclaration au lieu de naissance. Ce que souhaite votre rapporteur est l'existence d'une cohérence entre le registre de l'état civil dans lequel un individu sera enregistré et les informations figurant sur les documents d'identité.

Pour cette raison, il est suffisant de modifier l'article 57 du code civil afin que figure dans l'acte de naissance non seulement le lieu de naissance mais également le lieu de la déclaration de naissance. Par la suite, il suffira que les différents textes réglementaires relatifs aux documents d'identité prévoient que ces documents mentionneront non plus le lieu de la naissance mais le lieu de la déclaration de naissance.

*

* *

La Commission a examiné la proposition de loi au cours de sa séance du mercredi 8 mars 2006. Après l'exposé du rapporteur, plusieurs commissaires sont intervenus dans la discussion générale.

Après avoir reconnu que le sujet abordé par la proposition de loi ne recouvre pas un clivage politique traditionnel, plusieurs propositions similaires ayant été présentées par des parlementaires émanant de divers groupes, le président Philippe Houillon a considéré que, de son point de vue, les dispositions envisagées partaient d'un bon sentiment mais risquaient de conduire à une aberration juridique. Il apparaît en effet difficile d'institutionnaliser un mensonge sur le lieu de naissance, le lieu de déclaration de naissance ne pouvant pas lui être assimilé quand il en diffère.

M. Jacques Floch, tout en ne contestant pas les arguments juridiques soulevés par le président Philippe Houillon, a estimé que la question posée était malgré tout très importante. Rappelant qu'il avait été le maire d'une ville de banlieue très peuplée, il a souligné que, faute de maternité, les administrés se trouvaient dans l'obligation d'effectuer des déplacements pénalisants pour accomplir de simples formalités liées à l'obtention d'un extrait d'acte de naissance. Il a insisté sur la nécessité de trouver une solution raisonnable à cette difficulté pratique rencontrée quotidiennement par de nombreux Français. Pour cette raison, il s'est prononcé en faveur d'un débat le plus complet possible sur la proposition de loi soumise à la Commission.

M. Francis Delattre a souscrit aux arguments avancés par le rapporteur et expliqué qu'il voterait la proposition de loi, dès lors que le choix pourrait être laissé entre la déclaration au lieu de naissance et celle au lieu de résidence. Il a ensuite déploré que des communes doivent le plus souvent se contenter d'enregistrer les décès et non les naissances, soulignant la grande frustration qui en résulte tant pour les administrés que pour les services de l'état civil.

M. Mansour Kamardine a indiqué qu'il était tenté de voter en faveur de la proposition de loi, en raison de la similarité des problèmes qu'elle vise à résoudre avec ceux que rencontre actuellement Mayotte. Jusqu'à présent, les dix-sept communes de ce territoire d'outre-mer possédaient chacune une maternité, mais le regroupement des installations sanitaires en trois unités a été décidé, pour des raisons de sécurité compréhensibles. Beaucoup de mères mahoraises, qu'il a déjà été difficile de convaincre d'accoucher à l'hôpital au lieu de le faire à leur domicile, sont attachées à ce que la déclaration de naissance s'effectue sur leur lieu de résidence. Pour cette raison, sous réserve qu'il soit prévu que cette proposition de loi s'appliquerait aussi à Mayotte, le texte soumis à la Commission mérite de retenir l'attention.

M. Jean Leonetti a souligné une réalité sociale désormais bien établie : 80 % des Français meurent aujourd'hui à l'hôpital et 95 % naissent à la maternité. Tout en comprenant la motivation qui a conduit au dépôt de cette proposition de loi, il a fait valoir qu'on ne peut, par la loi, modifier l'endroit où chacun naît effectivement, ce qui constituerait un travestissement de la vérité. Il a estimé plus importante pour la vitalité d'une commune la présence d'enfants que leur naissance dans cette commune. Soulignant que la question était davantage de nature administrative que juridique, il s'est déclaré ouvert à une réflexion sur un aménagement des formalités administratives liées à l'état civil, ce problème pouvant se régler en dehors du cadre de la loi. C'est d'ailleurs à cette conclusion qu'était parvenu le bureau du groupe ump, lorsqu'il a longuement débattu sur la question.

M. Michel Piron s'est déclaré sensible, lui aussi, au désir de racines, tout en ajoutant que cela ne l'empêchait pas de rester rationnel. Le localisme présente en effet des limites et il est difficile de nier juridiquement la réalité géographique du lieu de naissance de chacun. En revanche, il n'est pas interdit d'envisager de nouvelles modalités de gestion des registres de l'état civil, sans que cela passe par la loi.

Tout en déclarant comprendre le but poursuivi par la proposition de loi, M. Jean-Luc Warsmann s'est interrogé sur les difficultés qu'elle est censée résoudre, compte tenu du fait que les services des communes peuvent d'ores et déjà parfaitement être informés des naissances au sein des familles qui y vivent et les porter à la connaissance des habitants par l'intermédiaire de bulletins d'information communaux. Il a ensuite souligné le problème que pose l'article 2 de la proposition de loi, estimant qu'une loi ne peut disposer que le lieu de résidence sera assimilé au lieu de naissance, en totale contradiction avec les faits. Il a ajouté qu'il n'était pas évident que, même sur un plan pratique, la proposition de loi constitue un progrès dans la mesure où les services de l'état civil sont sans doute plus performants dans les grandes communes enregistrant de nombreuses naissances.

Partageant le raisonnement de M. Jean-Luc Warsmann, M. Christian Decocq a estimé que la proposition de loi mélange trois concepts importants : la déclaration de naissance, la naissance et le lieu de résidence. Si déclaration et naissance semblent distinguées par le texte, on constate que le problème de la résidence s'y greffe de manière assez confuse, ouvrant la voie à d'autres considérations, ayant trait notamment à la nationalité. Adopter ce texte reviendrait à ouvrir une boîte de Pandore administrative, juridique voire médiatique.

M. Xavier de Roux s'est montré perplexe sur les arguments opposés aux dispositions prévues à l'article premier de la proposition de loi, même si leur rédaction gagnerait à être améliorée. Il a jugé légitime de vouloir permettre aux parents d'effectuer la déclaration de naissance de leurs enfants sur leur lieu de résidence. Il a observé, en revanche, que l'article 2 suscite de grandes réserves, car le lieu de naissance ne peut être modifié par la loi.

M. Francis Delattre a rejoint le point de vue de M. Xavier de Roux sur l'article premier. Il a suggéré que l'article 2 fasse l'objet d'amendements.

Après que le président Philippe Houillon eut souligné la difficulté pratique de concevoir des services de l'état-civil recensant des déclarations effectuées soit au lieu de naissance, soit au lieu de résidence des parents ou, à défaut de résidence commune des parents, au lieu de résidence de la mère ou, après accord de celle-ci, du père, M. Francis Delattre a estimé que les services d'état civil des communes de résidence sont à même de gérer les déclarations de naissances.

M. René Dosière a fait valoir que l'ensemble des prises de position au cours de la discussion montrait que la proposition de loi s'attaquait à un vrai problème. Convenant du caractère insatisfaisant de la rédaction du texte, il a néanmoins plaidé en faveur d'un examen des articles qui permette de les améliorer, d'autant plus que le sujet dépasse les clivages entre la majorité et l'opposition.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a considéré qu'il était inopportun de parler d'aberration juridique alors que 77 députés ump ont déposé une proposition de loi identique, à l'instar, au demeurant, de M. Robert Badinter au Sénat. Il a fait valoir que le droit évolue avec la société. Or, le fait est qu'aujourd'hui, tant les communes rurales que beaucoup de communes urbaines n'enregistrent aucune naissance. L'exposé des motifs de la proposition de loi ump ne soulignait-il pas qu'être originaire d'une commune constitue un facteur d'intégration, de joie et même de fierté ?

L'objectif de la proposition de loi est de mettre le droit à l'heure d'aujourd'hui. L'enregistrement de la déclaration de naissance dans la commune de résidence ne constitue pas plus une falsification de la réalité que la transcription des actes de décès sur les registres de l'état civil de la commune de résidence, qui est prévue par l'article 80 du code civil. Les possibilités d'aménagement de la règle existent déjà pour les naissances au cours d'un voyage.

Le rapporteur s'est également déclaré prêt à amender ou supprimer l'article 2. Quant à la rédaction de l'article premier, elle reprend les dispositions qui s'appliquent aux patronymes, dont l'attribution dépend de la déclaration conjointe des parents.

M. Jacques Brunhes a conclu en insistant sur l'intérêt que représente ce texte pour la revitalisation des communes. Au nom d'une certaine forme de patriotisme local, dont il s'est déclaré partisan, il a souhaité que la Commission procède à l'examen des articles de la proposition de loi.

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À l'issue de ce débat, la Commission a décidé de ne pas présenter de conclusions sur la proposition de loi tendant à accorder la primauté à la commune de résidence des parents pour l'enregistrement de l'acte de naissance (n° 2894).

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N° 2933 - Rapport de M. Jacques Brunhes tendant à accorder la primauté à la commune de résidence des parents pour l'enregistrement de l'acte de naissance

1 () Cf. Rapport public annuel pour 2005 de la Cour des comptes (p. 375-376).

2 () Décret n° 60-1265 du 25 novembre 1960 relatif au mode de calcul du délai prévu à l'article 55 du code civil.

3 () En outre, l'article 1er de l'ordonnance n° 98-580 du 8 juillet 1998 relative au délai de déclaration des naissances en Guyane porte ce délai à trente jours « dans les communes du département de Guyane autres que celles de Cayenne, Kourou, Macouria, Roura, Matoury, Remiré-Montjoly, Montsinéry-Tonnégrande ».

4 () Ce délai de quinze jours peut être prolongé par décret dans certains circonscriptions consulaires.

5 () Le service central d'état civil a été institué par le décret n° 65-422 du 1er juin 1965 portant création d'un service central d'état civil au ministère des affaires étrangères.

6 () Décret n° 51-284 du 3 mars 1951 relatif aux tables annuelles et décennales de l'état civil.

7 () Décret n° 92-785 du 6 août 1992 relatif à la protection maternelle et infantile.

8 () Proposition de loi visant à compléter l'article 55 du code civil sur les déclarations de naissance (n° 353), enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 novembre 2002.

9 () Décret n° 62-921 du 3 août 1962 modifiant certaines règles relatives aux actes de l'état civil.

10 () Proposition de loi portant modification de l'article 55 du code civil et relative aux déclarations de naissance (n° 181), enregistrée à la Présidence du Sénat le 18 février 2003 (session 2002-2003). Cette proposition de loi est devenue caduque à la fin de la session 2004-2005, en vertu de la disposition du deuxième alinéa de l'article 28 du Règlement du Sénat selon laquelle les propositions de loi « sur lesquelles le Sénat n'a pas statué deviennent caduques de plein droit à la clôture de la deuxième session ordinaire qui suit celle au cours de laquelle elles ont été déposées ».

11 () Proposition de loi visant à compléter l'article 55 du code civil sur les déclarations de naissance (n° 353), enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 novembre 2002.

12 () Proposition de loi relative à la déclaration de naissance d'un enfant auprès de l'officier d'état civil du lieu de résidence des parents (n° 546), enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 janvier 2003.

13 () Proposition de loi relative à la déclaration de naissance d'un enfant auprès de l'officier d'état civil du lieu de résidence des parents (n° 2146), enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 mars 2005.

14 () Instruction générale relative à l'état civil du 11 mai 1999 modifiée le 29 mars 2002, rubrique n° 270.

15 () Ce que permet l'article 108 du code civil, depuis la loi n° 75-617 du 11 juillet 1975.

16 () Instruction générale relative à l'état civil du 11 mai 1999 modifiée le 29 mars 2002, rubrique n° 269.

17 () C. cass., 1e civ., 12 novembre 1986 ; C. cass., 1e civ., 19 novembre 1991.


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