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ART. 37
N° 156
ASSEMBLÉE NATIONALE
4 mars 2011

IMMIGRATION, INTÉGRATION ET NATIONALITÉ (deuxième lecture) - (n° 3180)

Commission
 
Gouvernement
 

AMENDEMENT N° 156

présenté par

M. Mamère, M. Muzeau, M. Braouezec, M. Vaxès, Mme Amiable, M. Asensi, Mme Billard,
M. Bocquet, M. Brard, Mme Buffet, M. Candelier, M. Chassaigne, M. Yves Cochet,
M. Desallangre, M. Dolez, M. Gosnat, Mme Fraysse, M. Gerin, M. Gremetz, M. Lecoq,
M. Daniel Paul, Mme Poursinoff, M. de Rugy et M. Sandrier

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ARTICLE 37

Supprimer l’alinéa 2.

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cette mesure est autonome, elle n’est dictée par aucun impératif de transposition d’une quelconque directive européenne.

Elle est même contraire à l’esprit de la directive qui exige que le contrôle juridictionnel de la légalité de la rétention intervienne « dans les meilleurs délais ». Le projet de loi ne prévoit aucun recours suspensif permettant l’exercice effectif de ce droit.

Conformément à l’article 66 de la constitution, nul ne peut être arbitrairement détenu.

Pour rappel, le juge constitutionnel avait considéré que le maintien en détention pendant sept jours sans que le juge judiciaire ait à intervenir, de plein droit ou à la demande de l’intéressé, n’est pas conforme à la constitution. Le Conseil constitutionnel, rappelait également que l’invention du juge devait avoir lieu « dans le plus court délai possible » (Décision «  loi bonnet » n°79-109 DC du 9 janvier 1980).

Dans sa décision du 25 février 1992 (DC 92-307), le Conseil Constitutionnel avait considéré à propos du maintien en zone de transit qu’en conférant à l’autorité administrative «  le pouvoir de maintenir durablement un étranger en zone de transit, sans réserver la possibilité pour l'autorité judiciaire d'intervenir dans les meilleurs délais, était contraire à la Constitution.

Aujourd’hui, le placement en zone d’attente peut être décidé par l’autorité administrative pour une durée de quatre jours alors même que le degré de contrainte est moindre que celui du placement dans un centre de rétention administrative. A la lumière de la jurisprudence constitutionnelle, le délai de cinq jours prévu par le projet de loi apparaît excessif.

Pour sa part la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH) dans son article 5 « Droit à la liberté et à la sûreté » précise dans le paragraphe 3 « Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit à être jugé dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. »

La disposition critiquée viole donc également la Convention.

Dans son avis sur le projet de loi1, la CNCDH consacre un long développement sur la « marginalisation du contrôle du juge judiciaire auquel il conduirait ». La Commission relève notamment que « l’argument selon lequel le contrôle du juge judiciaire est un obstacle à l’efficacité de la politique migratoire ne saurait constituer une justification acceptable au regard de la gravité d’une mesure privative de liberté. (…) Le prétendu enchevêtrement des procédures ayant trait au placement en rétention de l’étranger, découlant de l’intervention constitutionnellement garantie des deux ordres de juridiction, l’un pour le contrôle de la légalité des décisions administratives, l’autre gardien de la liberté individuelle, est en réalité une garantie du respect des droits des étranges faisant l’objet d’une mesure d’éloignement ».

Cet allongement du délai avant la saisine du JLD porte profondément atteinte à la liberté individuelle. En effet, si un étranger est placé sur le fondement d’une mesure d’éloignement exécutable d’office (réadmission Dublin, APRF/OQTF/IRTF exécutoires) mais que son interpellation est irrégulière (comme c'est le cas fréquemment), aucun juge, ni pénal ni civil, ni administratif (faute d'être compétent) ne pourra contrôler la régularité de la procédure et les atteintes aux droits fondamentaux des personnes concernées, si la mesure est exécutée dans le délai des 5 jours.

L’intervention du juge après le cinquième jour pose aussi un problème d’asymétrie ou disproportion par rapport à d’autres régimes privatifs de liberté. En matière de garde à vue la personne soupçonnée d’être en lien avec une entreprise terroriste peut être maintenue pendant 96 heures, c’est à dire quatre jours. L’étranger, qui n’est pas accusé de terrorisme, peut quant à lui être privé de liberté pendant cinq jours auxquels il faudra ajouter la durée de la garde à vue précédent le placement en rétention !

Selon le MIIIDS, cité par l’étude d’impact, « les décisions de rejet des demandes de prolongation de la rétention avec remise en liberté, par le juge des libertés et de la détention, sont à l’origine de 26,39% des échecs des éloignements en 2008, auxquels il convient d’ajouter les cas de non représentation de l’étranger assigné à résidence par le juge des libertés et de la détention, soit 6,12% des échecs des éloignements ».

Si le projet de loi est adopté dans l’état, nombre de ces personnes risquent d’être éloignées sans que le juge des libertés et de la détention ait pu exercer son contrôle en tant que gardien de la liberté individuelle.

1 CNCDH, Avis sur le projet de loi relatif à l’immigration, l’intégration et la nationalité, adopté par l’assemblée plénière du 5 juillet 2010