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N° 1202

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 octobre 2008.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES,

SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2009 (n° 1127)

TOME I

DÉFENSE

ENVIRONNEMENT ET PROSPECTIVE DE LA POLITIQUE DE DÉFENSE

PAR M. Yves FROMION,

Député.

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Voir le numéro : 1198 (annexe n° 10)

S O M M A I R E

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Pages

INTRODUCTION 5

I. —  LES ÉVOLUTIONS D’ENSEMBLE DES CRÉDITS DU PROGRAMME 144 7

II. —  LE TRAVAIL DE PROSPECTIVE À LONG TERME 11

A. UNE VOLONTÉ DE CONCENTRATION DES MOYENS D’ANALYSE STRATÉGIQUE 11

B. VERS UNE RÉVISION EN PROFONDEUR DU PLAN PROSPECTIF À TRENTE ANS 12

III. —  L’ACCENT ENFIN MIS SUR LE RENSEIGNEMENT 15

A. UNE STAGNATION TRANCHANT AVEC LE RENFORCEMENT ENGAGÉ PAR NOS PRINCIPAUX PARTENAIRES 15

B. UN RÔLE DE PREMIER PLAN RECONNU PAR LE LIVRE BLANC 18

C. UNE PREMIÈRE TRADUCTION BUDGÉTAIRE EN 2009 19

IV. —  ENTRETENIR ET DÉVELOPPER LES COMPÉTENCES TECHNOLOGIQUES : LA VÉRITABLE DISSUASION À LONG TERME 23

A.  LES EXPORTATIONS, GARANTIE DE LA PÉRENNITÉ DES INDUSTRIES DE DÉFENSE ET DE L’ADAPTATION DES MATÉRIELS DE NOS FORCES 23

B. DÉFINIR UNE AMBITION À LA HAUTEUR DES ENJEUX EN MATIÈRE DE RECHERCHE DE DÉFENSE 25

1. Un ralentissement progressif de la croissance des crédits destinés aux études amont 25

2. Renforcer l’efficacité de l’outil de recherche 29

a) La menace du creusement d’écarts technologiques 29

b) Promouvoir les coopérations européennes 30

c) Tirer profit de la dualité 32

d) Mettre l’accent sur les technologies et secteurs de souveraineté 33

TRAVAUX DE LA COMMISSION 37

I. —  AUDITION DE M. MICHEL MIRAILLET, DIRECTEUR CHARGÉ DES AFFAIRES STRATÉGIQUES 37

II. —  AUDITION DE M. FRANCIS DELON, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA DÉFENSE NATIONALE 53

III. —  EXAMEN DES CRÉDITS 65

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 67

INTRODUCTION

L’hétérogénéité des activités retracées par le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » a déjà été suffisamment relevée pour ne pas y revenir en détail. Elle a longtemps laissé penser qu’il serait difficile de trouver une cohérence d’ensemble, notamment en raison du poids budgétaire et symbolique très différent de chacun des acteurs administratifs concernés.

Pourtant, le résultat semble bien là. La gestion administrative et financière paraît fonctionner à la satisfaction générale des différents intervenants, en préservant leur nécessaire degré d’autonomie et leurs spécificités, sans renoncer cependant à un pilotage d’ensemble par le directeur chargé des affaires stratégiques, responsable du programme. Les actions qui composent le programme 144 ont en partage une caractéristique déterminante : elles contribuent toutes, plus ou moins directement, à la préparation de l’avenir. Dans un monde imprévisible, cette fonction prend un caractère éminemment stratégique, ce que le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a pleinement mis en valeur, en créant notamment une nouvelle fonction consacrée à la connaissance et à l’anticipation.

L’examen des crédits proposés pour le programme 144 en 2009 montre combien un choix politique clairement affirmé permet d’infléchir des tendances passées insatisfaisantes. Cette observation s’applique naturellement au renseignement, trop longtemps négligé et pour lequel un effort significatif de remise à niveau est engagé. On peut regretter que cela soit moins le cas pour la recherche de défense ; aussi un rappel des enjeux principaux en la matière n’est-il pas inutile, afin de contribuer à une prise de conscience de la nécessité vitale que constitue l’entretien d’une capacité technologique et industrielle à même de faire face aux retournements stratégiques potentiels et, finalement, de jouer un véritable rôle dissuasif.

Le rapporteur avait demandé que les réponses à son questionnaire budgétaire lui soient adressées au plus tard le 10 octobre 2008, date limite résultant de l’article 49 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

À cette date, 26 réponses étaient parvenues, soit un taux de 100 %.

I. —  LES ÉVOLUTIONS D’ENSEMBLE DES CRÉDITS DU PROGRAMME 144

• Alors que la loi de finances pour 2008 s’était traduite par une légère diminution des dotations affectées au programme 144, le projet de loi de finances pour 2009 est caractérisé par une augmentation globale non négligeable. Les autorisations d’engagements progressent ainsi de 10 % et les crédits de paiement de 4,9 %.

Le tableau suivant détaille l’évolution des crédits pour chacune des actions et sous-action du programme.

Évolution des crédits du programme 144

(en millions d’euros)

Action

AE

CP

Évolution en  %

LFI 2008

PLF 2009

LFI 2008

PLF 2009

AE

CP

01

Analyse stratégique

5,10

5,70

3,70

4,10

11,70

10,68

02

Prospective des systèmes de forces

38,53

38,88

38,53

38,88

0,92

0,92

03

Recherche et exploitation du renseignement

519,35

640,25

533,85

577,15

23,28

8,11

 

Sous-action 31 DGSE

425,47

543,81

440,07

480,71

27,81

9,23

 

Sous-action 32 DPSD

93,88

96,44

93,78

96,44

2,73

2,84

04

Maintien des capacités technologiques

1 016,38

1 048,76

971,18

999,46

3,19

2,91

 

Sous-action 41 Études amont espace

59,05

59,05

57,69

57,69

0,00

0,00

 

Sous-action 42 Études amont nucléaire

93,21

104,25

60,36

77,00

11,85

27,57

 

Sous-action 43 Études amont autres

537,49

546,07

526,50

525,38

1,60

- 0,21

 

Sous-action 44 Soutien et autres études

326,63

339,40

326,63

339,40

3,91

3,91

05

Soutien aux exportations

17,00

20,34

17,00

20,34

19,64

19,64

06

Diplomatie de défense

90,19

102,31

90,19

95,99

13,44

6,43

Total programme 144

1 686,56

1 856,25

1 654,46

1 735,93

10,06

4,92

Source : documents budgétaires.

La tendance d’ensemble s’explique par deux facteurs principaux :

— tout d’abord et principalement, une augmentation significative des dotations en faveur du renseignement, en raison de la croissance programmée des effectifs de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), ainsi que de ses crédits d’investissement ;

— ensuite, une progression d’ensemble d’un peu moins de 3 % des crédits de paiement affectés à l’action 4 « Maintien des capacités technologiques et industrielles », composée pour l’essentiel par les études amont de la DGA. Il convient de remarquer qu’au sein de ces dernières, les évolutions sont très différenciées selon les domaines d’études.

Si l’on raisonne par type de dépense, on peut observer une forte augmentation des crédits de paiement relatifs aux dépenses d’investissement (+ 21,3 %), cette évolution étant entièrement imputable à l’effort prévu en matière de renseignement. S’agissant des dépenses de fonctionnement (titre 3), leur progression s’établit à 2,3 %. La croissance des dépenses de personnel en 2009 s’établit à 22,5 millions d’euros (+ 4,5 %), mais elle est seulement de 2,5 % pour les rémunérations. L’essentiel des mouvements concernant le titre 2 découle du poids croissant des pensions (+ 11 %).

• Une refonte des indicateurs de performance du programme 144 est associée au projet de loi de finances pour 2009. Leur nombre passe de sept à onze, tandis que l’un des indicateurs de performance existant déjà en 2008 est complété et qu’un autre est profondément transformé.

Deux des créations visent à mieux évaluer l’efficacité des activités menées dans le cadre de l’action 4 « Maintien des capacités technologiques et industrielles », qui représente il est vrai 57,6 % des crédits de paiement proposés en 2009. Un indicateur 3.3 doit désormais mesurer la performance du dispositif de formation des grandes écoles de la DGA, au travers de leur taux de placement à six mois des élèves, du coût unitaire de formation de ces derniers et du nombre de publications par chercheur. Par ailleurs, il convient de saluer la mise en place d’un indicateur 3.4 mesurant la part des études amont contractualisées vers les PME/PMI. Le rapporteur avait précédemment attiré l’attention à de multiples reprises sur la nécessité d’un effort spécifique en direction de ce type d’entreprises, afin de favoriser l’innovation technologique et l’entretien d’un précieux réservoir de compétences et savoir-faire. On notera que la part des études ainsi confiées à des PME/PMI a atteint 4,8 % en 2007 et que l’objectif fixé pour 2008 et 2009 est de 6,6 %, la cible à l’horizon 2011 étant pour sa part de 6,8 %.

Toujours s’agissant de l’action 4, l’indicateur 3.1 a été profondément refondu. Désormais intitulé « Taux de progression des technologies spécifiques nécessaires à la défense », il remplace l’indicateur « Taux de progression des capacités technologiques » qui s’appuyait sur l’ancien modèle d’armée 2015. Le nouvel indicateur mesure le taux de progression de la réponse des études amont aux besoins capacitaires, industriels et de base technologique retenus à l’horizon 2020, c’est-à-dire à l’issue des deux prochaines lois de programmation militaire (LPM). L’indicateur 3.2 « Performance de traitement des dossiers d’investissements étrangers en France » a été maintenu, alors qu’il s’établit à 100 % depuis 2006 et qu’aucune dégradation de ce taux n’est anticipée jusqu’en 2011. Il peut dès lors sembler que sa conservation n’est pas véritablement indispensable.

Les deux dernières créations d’indicateurs concernent l’action 6 « Diplomatie de défense », qui jusqu’à présent en était dépourvue. Lui sont désormais associés les indicateurs 5.1 « Taux de réalisation du plan de rationalisation de la représentation diplomatique de défense » et 5.2 « Taux de réalisation des plans de coopération ».

• Les effectifs financés par programme passent de 8 800 équivalents temps plein travaillé (ETPT) en 2008 à 8 633 en 2009. Cette diminution nette de 167 ETPT pour l’ensemble du programme 144 s’explique par les mouvements suivants :

— une augmentation de 70 ETPT au profit de la DGSE. On notera que l’augmentation nette des effectifs de ce service s’établit à 51 créations de postes en raison de 19 suppressions liées au non renouvellement d’un départ à la retraite sur deux ;

— une baisse de 69 ETPT au titre de l’effet report de suppressions de postes décidées en 2008 (non remplacement d’un départ sur deux à la retraite), conjuguée avec la poursuite de la baisse programmée des effectifs de la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) et d’une légère réduction des postes d’attachés de défense ;

— des transferts se traduisant par un solde net négatif de 168 ETPT, dont 263 sorties du programme vers les écoles de la DGA (régularisation d’emplois mis à disposition), deux sorties au profit de la politique de la ville et de 97 transferts nets positifs en provenance d’autres programmes, notamment du programme 178 « Préparation et emploi des forces ». Ce mouvement de régularisation n’est pas terminé et se poursuivra jusqu’en 2010.

De manière générale, comme le relève l’annexe « Défense » du projet de loi de finances pour 2009, le programme 144 « est surtout un programme de production intellectuelle et mobilise pour l’essentiel des ressources humaines de catégories A et supérieures ». De fait, les postes de catégorie A et d’officiers représentent près de 46 % du schéma d’emploi du programme. Cette vocation de production intellectuelle s’exprime au premier chef au travers des deux premières actions.

II. —  LE TRAVAIL DE PROSPECTIVE À LONG TERME

Les actions 1 « Analyse stratégique » et 2 « Prospective des systèmes de forces » représentent des sommes modestes au regard du total des crédits du programme 144 (2,5 % des crédits de paiement demandés pour 2009). Elles jouent pourtant un rôle capital, d’une part, en éclairant le ministre sur l’évolution du contexte stratégique en général, d’autre part, dans la préparation des grands choix nationaux concernant les équipements futurs et la politique de recherche qui en découle, afin de faire face aux besoins de défense à moyen et long terme. L’anticipation est donc au cœur de leurs activités.

A. UNE VOLONTÉ DE CONCENTRATION DES MOYENS D’ANALYSE STRATÉGIQUE

• Les crédits de paiement de l’action 1 « Analyse stratégique » progressent de 10,7 % en 2009, cette croissance s’expliquant pour partie par un transfert à hauteur de 195 000 euros des subventions aux publications de recherche stratégique depuis le programme 212 « Soutien de la politique de défense », en vue de regrouper au sein du programme 144 tous les budgets concernant les études prospectives et stratégiques (EPS). Les autorisations d’engagement augmentent pour leur part un peu plus rapidement (+ 11,7 %) en raison d’une politique tendant à augmenter la part des études pluriannuelles.

• Le rapporteur avait précédemment attiré l’attention sur la dispersion excessive et les lacunes patentes en matière d’attribution des études. Aussi salue-t-il les premiers effets de la réforme des procédures de sélection et d’attribution des EPS (qui remplacent les anciennes études politico-militaires, économiques et sociales, ou EPMES), réalisée en 2006. La mise en place d’un comité de coordination des études prospectives (CCEP) a tout d’abord permis une rationalisation et une hiérarchisation des besoins exprimés par les différents services intéressés, ce qui se traduit par une réduction du nombre d’études, ramené de 202 en 2006 à 67 en 2008. Ensuite, le suivi des thématiques, désormais réalisé par la délégation aux affaires stratégiques (DAS), permet d’éviter les répétitions de contrats qui ont pu avoir lieu dans le passé. Enfin, la définition annuelle des axes d’effort par le CCEP donne une plus grande cohérence d’ensemble aux travaux menés et offre une meilleure réponse aux besoins les plus urgents. S’agissant des procédures d’attribution, l’appel d’offre est désormais systématique ; en pratique, les études sont confiées à une trentaine de prestataires différents.

L’un des buts assignés à l’action 1 est d’assurer la publication de certains des travaux réalisés « dans le but de diffuser la politique publique de défense en France et à l’étranger ». En ce qui concerne ce dernier point, la DAS a noué un partenariat avec Security Defense Agenda, institut de recherche anglo-saxon bien implanté à Bruxelles, ainsi qu’avec un éditeur universitaire britannique, afin de diffuser au sein des bibliothèques universitaires anglophones, et particulièrement américaines, un certain nombre d’études traduites. Cette dernière possibilité n’a pas encore été mise en œuvre, l’accord n’ayant été signé qu’en mars 2008. L’attribution de certaines études à des instituts de recherche étrangers, seuls ou en partenariat avec un institut français, est parfaitement envisageable même s’il ne faut pas se masquer les difficultés pratiques et administratives d’un tel exercice.

L’un des éléments importants de la réforme réside dans la possibilité de passer des marchés pluriannuels, afin de donner une plus grande visibilité aux instituts de recherche et de structurer davantage l’offre (entretien des compétences et suivi dans la durée de sujets intéressants). Un marché portant sur l’étude des flux de matières premières dans le monde est ainsi en cours de passation. Il s’agit en fait de la mise en cohérence d’une somme de travaux de différentes natures sur le sujet. Ce type de marché reste encore difficile à appréhender par les comptables publics, notamment en raison du relativement faible degré de définition de la nature des travaux prévus la troisième année, celle-ci ayant vocation à être précisée en cours d’exécution en fonction des résultats obtenus au cours des deux premières années.

B. VERS UNE RÉVISION EN PROFONDEUR DU PLAN PROSPECTIF À TRENTE ANS

• Les crédits de l’action 2 « Prospective des systèmes de force » sont pratiquement stables en 2009. Ils sont destinés pour la moitié du total au financement des études opérationnelles et technico-opérationnelles (EOTO), qui ont pour but d’éclairer les réflexions en matière d’équipements (définition des besoins futurs à satisfaire ; recherche des meilleurs compromis entre caractéristiques et coûts des matériels ; modalités d’emploi des systèmes d’armes).

• La rédaction du plan prospectif à 30 ans (PP30) est l’une des tâches qui incombent à l’action 2. Le comité d’architecture des systèmes de forces (CASF) a décidé, exceptionnellement, de ne pas réaliser une édition 2008 du PP30 car celle-ci n’aurait pu intégrer à la fois les conséquences des orientations retenues dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et dans la loi de programmation militaire (LPM) 2009-2014. Les travaux se poursuivent toutefois, afin d’aboutir à l’été 2009 à une version complète et entièrement remise à jour. Leurs thèmes prioritaires pour 2009 seront le développement durable, l’énergie, le soutien, la formation et l’entraînement, ainsi que l’Europe de la défense. De nouvelles problématiques seront introduites, parmi lesquelles on peut citer les matières premières, la gestion de la complexité, la lutte informatique et la sauvegarde spatiale.

L’année 2009 sera également marquée par une volonté de mieux utiliser le PP30 comme outil de dialogue avec l’industrie (et notamment les PME), les laboratoires et les partenaires européens. Pour cela, une réflexion sur la modernisation de la forme du PP30 sera amorcée ; elle pourrait se traduire par la réalisation d’une première maquette opérationnelle de la version électronique destinée aux partenaires de l’élaboration du document, le présentant sous forme de pages web assez courtes et reliées entre elles par une logique d’arborescence et des renvois hypertextes. Au-delà d’une simple amélioration de forme, cette évolution vise une réforme importante du processus de production et d’exploitation du PP30, en passant d’une logique en cercle fermé à une logique collaborative, impliquant un grand nombre d’acteurs tout en gardant néanmoins une maîtrise par le collège formé par les architectes des systèmes de forces et les officiers de cohérence opérationnelle.

III. —  L’ACCENT ENFIN MIS SUR LE RENSEIGNEMENT

Dans ses précédents avis, le rapporteur avait insisté autant qu’il le pouvait sur les risques induits par la stagnation, voire l’érosion dans certains domaines, des moyens des services de renseignement. C’est notre capacité à analyser et à anticiper l’évolution et la nature des menaces qui était en cause, et donc au bout du compte notre sécurité au sens large. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale constitue à cet égard une rupture salutaire, car il a choisi de mettre le renseignement au cœur des préoccupations, en le faisant figurer au tout premier rang de la nouvelle fonction stratégique « connaissance et anticipation ». Des réformes de grande ampleur doivent en découler et ont commencé à être mises en œuvre. Celles-ci ne prendront toutefois pleinement leur sens que si l’effort d’investissement soutenu qu’elles impliquent est effectivement poursuivi dans la durée.

A. UNE STAGNATION TRANCHANT AVEC LE RENFORCEMENT ENGAGÉ PAR NOS PRINCIPAUX PARTENAIRES

• Un regard objectif sur les grandes tendances récentes s’agissant des moyens accordés aux services de renseignement fait apparaître un décalage certain avec les ambitions affichées. Il se manifeste sur trois plans.

Tout d’abord, le bilan de la loi de programmation 2003-2008 est contrasté en ce qui concerne l’évolution des capacités techniques des services. Elle a certes permis un renforcement très intéressant du renseignement d’origine image au travers du programme Hélios II, en voie d’achèvement. Les moyens de la DGSE en matière d’interception et de potentiel de calcul ont quant à eux été remis à niveau. Mais la rapidité des évolutions technologiques, particulièrement en matière de télécommunications, ne permet pas de se contenter des situations acquises. Dans le domaine du renseignement d’origine électromagnétique (ROEM), la mise en service du Dupuy-de-Lôme est intervenue en juillet 2006. Cependant, la capacité ROEM aéroportée a souffert considérablement de l’arrêt du DC8 Sarigue (système automatisé de recueil de guerre électronique), en août 2004. La mise en service de deux C 160G Gabriel rénovés, prévue en 2009, permettra de remettre en partie à niveau le potentiel de ROEM des armées. Dans ce domaine, l’échange de renseignements s’opère au sein d’un groupe de nations très restreint, et il faut maintenir son rang sous peine de ne plus en faire partie à terme.

Il convient ensuite d’observer que les crédits de fonctionnement ont été fortement contraints, ce qui a pesé sur l’activité des services. Ainsi, les crédits du titre 3 de la DGSE sont restés au même niveau en valeur pendant cinq ans, et ce alors que les prix de l’énergie ont fortement augmenté, de même que la consommation en raison de la mise en œuvre de nouveaux équipements.

Enfin, les services n’ont pas bénéficié d’un effort de recrutement à la hauteur des besoins réels, loin s’en faut. Dans le cas de la DGSE, la LPM prévoyait qu’une centaine d’emplois civils seraient créés, à un rythme de 25 par an entre 2005 et 2008, notamment pour le recrutement de linguistes et d’ingénieurs. La loi de finances pour 2008 prévoyait pour sa part la création de seulement 7,5 ETPT. Cette évolution ne se reflète toutefois pas dans celle du plafond des effectifs autorisés. En raison d’ajustements techniques, celui-ci a même diminué de 333 ETPT entre 2006 et 2008. Or, ce sont les compétences humaines qui font la différence, et seule une progression sensible des effectifs, combinée à un recrutement visant prioritairement les spécialités critiques, peut permettre de faire face aux besoins exponentiels de traitement et d’exploitation des flux d’informations.

• À la différence de leurs principaux homologues, les services de renseignement français n’ont pas bénéficié d’un véritable « effet 11 septembre ». La comparaison tend donc à devenir d’autant plus cruelle que dans ce domaine le partage des informations, devenu absolument vital, ne s’effectue qu’entre pairs.

Les trois services de renseignement relevant du ministère de la défense représentent environ 7 300 personnes, dont 4 500 pour la DGSE et 1 400 à la fois pour la DPSD et pour la direction du renseignement militaire (DRM). Le montant d’ensemble des crédits qui leur sont affectés est de 683,2 millions d’euros. Même en prenant en compte les services relevant d’autres ministères, et singulièrement la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), la taille de l’outil de renseignement français est inférieure à celle de ses deux partenaires essentiels que sont l’Allemagne et le Royaume-Uni. L’exercice de comparaison n’est cependant pas aisé, car l’efficacité d’ensemble d’un système de renseignement dépend de nombreux facteurs, dont l’organisation interne et les modes d’actions, lesquels sont par nature plus difficiles à analyser en raison d’impératifs évidents de discrétion. Si les moyens budgétaires et humains ne sont donc pas en eux-mêmes un indicateur objectif de performance, il n’en reste pas moins qu’ils constituent un élément devant être pris en considération.

Les services de renseignement allemands disposent d’un budget relativement stable ces dernières années, mais qui s’établit au total à 610 millions d’euros pour la partie connue (1). Ces montants sont comparables à ceux de la France à services équivalents. En revanche, les services allemands comptent environ 16 800 personnes, réparties comme suit :

— 6 000 personnes au BND (Bundesnachrichtendienst, ou Office fédéral de renseignement, équivalent de la DGSE et de la branche « exploitation » de la DRM), qui est le seul service autorisé à recueillir des renseignements hors des frontières fédérales et est directement subordonné à la Chancellerie fédérale ;

— 2 500 personnes au BfV (Bundesamt für Verfassungsschutz, ou Office fédéral de protection de la constitution), équivalent de la DCRI, en charge de la sécurité de l’État, du contre-espionnage et de la lutte contre la subversion, rattaché au ministère de l’intérieur ;

— 1 300 personnes à l’Office pour le service de protection militaire (Amt für den Militärischen Abschirmdienst, MAD), équivalent de la DPSD, il assure des missions de lutte contre l’extrémisme et de contre-espionnage, qui s’étendent à la fois sur le territoire national et à l’étranger. Intégré dans la structure de la Bundeswehr, il a perdu 10 % de ses effectifs depuis le début de la réforme de celle-ci ;

— 7 000 personnes au commandement du renseignement stratégique (KSA), qui rassemble l’ensemble des moyens relatifs au ROEM et au renseignement d’origine image.

La différence de moyens est encore plus grande avec le Royaume-Uni, non seulement en raison d’une forte tradition britannique en matière de renseignement, mais aussi d’efforts considérables consentis récemment. Répartis entre trois ministères et structurés en quatre organismes principaux, les services de renseignement et de sécurité britanniques emploient plus de 14 000 personnes. Leur coordination est assurée par le Joint Intelligence Committee (JIC), directement contrôlé par le Cabinet Office du Premier ministre, et chargé d’établir les plans de renseignement, la coordination des activités des divers services et l’étude des problèmes d’intérêt national.

Le personnel se répartit de la façon suivante :

— 2 700 militaires et 1 800 civils au Defence Intelligence Staff (DIS), qui est le seul organisme dépendant du Ministry of Defence (MoD). En charge du renseignement militaire, il remplit les missions assurées en France par la DRM et la DPSD ;

— 1 900 personnes au Secret Intelligence Service (SIS, ex-MI-6), équivalent de la DGSE. Un quart de ses effectifs est déployé sur le terrain ;

— environ 3 000 personnes au Security Service (SS, ex-MI-5), comparable à la DCRI. Placé sous la tutelle du Home Office, il a pour mission d’assurer la sécurité intérieure ; conformément à la politique de recrutement engagée en 2005, les effectifs du service ont connu une hausse de 50 % au cours des trois dernières années. On relèvera que les autorités britanniques mettent en œuvre une politique de recrutement visant les minorités ethniques ;

— 4 080 civils et 1 080 militaires au sein du Government Communications Headquarters (GCHQ), à qui sont confiés l’écoute et le renseignement électromagnétique ;

— 110 personnes au JTAC (Joint Terrorism Analyse Centre), dont la mission est de centraliser, analyser et évaluer le renseignement relatif au terrorisme international, aussi bien sur le territoire britannique qu’à l’étranger.

Il n’est pas inintéressant de noter qu’au Royaume-Uni, le SIS et le GCHQ sont dans l’orbite du Foreign Office, alors qu’en France les mêmes fonctions relèvent de la responsabilité du ministère de la Défense.

Les budgets cumulés des services britanniques ont atteint 3,31 milliards d’euros pour l’exercice fiscal 2007-2008, contre un budget global de 2,5 milliards d’euros pour l’exercice 2006-2007, soit une hausse de plus de 32 %. De manière plus générale l’ensemble des fonds alloués à la lutte contre le terrorisme est estimé à 4,39 milliards d’euros d’ici 2010-2011, soit un triplement de la dotation consacrée à cette fonction avant les attentats du 11 septembre 2001.

B. UN RÔLE DE PREMIER PLAN RECONNU PAR LE LIVRE BLANC

• Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a mis l’accent sur l’importance de la connaissance et de l’anticipation, à qui le rôle de « première ligne de défense d’un pays » est reconnu. Le renseignement constitue la principale composante de la nouvelle fonction stratégique. Il est indiqué que « le renforcement systématique de nos moyens de renseignement fera l’objet d’une planification d’ensemble, qui sera mise en œuvre selon quatre axes ». Le premier porte sur les efforts à réaliser en matière de ressources humaines, tant du point de vue du recrutement que de la politique de formation et de valorisation des carrières. Il est ensuite prévu de développer les capacités techniques, notamment spatiales en raison de l’apport de ces dernières en termes d’autonomie stratégique. À cet effet, « un effort à la fois qualitatif et quantitatif sera lancé dès 2008 et mené de façon continue sur les quinze ans à venir ». La mise en place d’un cadre juridique adapté est également prévue.

Enfin, une réforme en profondeur de l’organisation du renseignement est annoncée, afin de renforcer la coordination entre les services.

• En la matière, des progrès substantiels ont été réalisés récemment. S’agissant du ministère de la défense, des mesures de coordination complémentaires ont été mises en place, à partir de 2006, avec les comités de coordination par théâtres d’opération, placés sous le pilotage du cabinet du ministre. En ce qui concerne les politiques d’investissement, on rappellera que la DRM et la DGSE ont entamé en 2004 une démarche de mutualisation de leurs moyens de recueil du ROEM, qui est destinée à être amplifiée.

Pour autant, il manquait sans doute une impulsion politique à la hauteur des enjeux. Le Livre blanc a donc proposé la création d’un nouvel échelon de coordination interministérielle avec, d’une part, la mise en place d’un Conseil national du renseignement (CNR) et, d’autre part, la création d’un poste de coordonnateur national du renseignement. Le premier sera présidé par le Président de la République et réunira en formation plénière le Premier ministre, les ministres intéressés, le coordonnateur national du renseignement, les directeurs des services de renseignement et le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Ce dernier sera chargé du secrétariat du CNR. Le Conseil définira les grandes orientations assignées aux services (stratégies et priorités). L’ensemble des mesures législatives relatives à la mise en place formelle de cette structure devrait être examiné à l’occasion du projet de loi de programmation militaire 2009-2014.

Le coordonnateur national du renseignement est quant à lui institué depuis le 21 juillet dernier. Placé sous l’autorité du secrétaire général de la présidence de la République, il dispose d’une structure d’appui légère. Il préparera, avec le soutien du SGDSN, les décisions du CNR et en suivra l’exécution. Dans ce cadre, il veillera à la planification des objectifs et des moyens du renseignement, notamment par le biais du plan d’investissement annuel, et à leur réalisation. Il présidera les comités interministériels d’orientation des investissements techniques et sera le point d’entrée des services de renseignement auprès du Président de la République. Il présidera les réunions périodiques des directeurs des services, afin de hiérarchiser les priorités de recherche et d’instruire les demandes des services de renseignement.

Par-delà les changements de structures administratives, cette réforme devra résoudre les principales difficultés rencontrées par les services de renseignement français : une coordination perfectible, une insuffisante définition de priorités stratégiques et leur adéquation avec les moyens disponibles.

C. UNE PREMIÈRE TRADUCTION BUDGÉTAIRE EN 2009

• S’agissant de la mission « Défense », les crédits consacrés aux services de renseignement concernent principalement deux programmes. L’action 3 « Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France » retrace les moyens de la DGSE et de la DPSD. Ceux de la DRM figurent au sein de la sous-action 11 « Renseignement d’intérêt militaire » du programme 178 « Préparation et emploi des forces ».

Le tableau suivant récapitule l’évolution de ces crédits en 2008 et 2009. On notera qu’il ne donne qu’une vision somme toute partielle, puisque les crédits des services sous tutelle de ministères civils ne sont pas pris en compte et qu’au sein de la mission « Défense », des crédits d’équipement retracés au programme 146 « Équipement des forces » concernent la fonction renseignement (programme Hélios II, notamment).

Alors qu’en 2008, la progression des dotations était des plus modestes (+ 0,3 % en autorisations d’engagement et + 2,4 % % en crédits de paiement), le projet de loi de finances pour 2009 se traduit par une véritable inflexion et constitue ainsi la première traduction concrète des orientations fixées par le Livre blanc. Les autorisations d’engagement progressent ainsi de 22,5 %, tandis que les crédits de paiement augmentent de 7,2 %.

Évolution des crédits consacrés au renseignement

(en millions d’euros)

Programme, sous-action et titre

AE

CP

LFI 2008

PLF 009

Évolution en %

LFI 2008

PLF 2009

Évolution en %

Programme 144

Sous-action 31 Renseignement extérieur

425,47

543,81

27,81

440,07

480,71

9,23

titre 2 dépenses de personnel

280,06

288,41

2,98

280,06

288,41

2,98

titre 3 dépenses de fonctionnement

33,41

37,61

12,56

33,41

37,61

12,56

titre 5 dépenses d’investissement

112,00

217,80

94,46

126,60

154,70

22,20

Sous-action 32
Renseignement de sécurité de défense

93,88

96,44

2,73

93,78

96,44

2,84

titre 2 dépenses de personnel

81,82

84,48

3,25

81,82

84,48

3,25

titre 3 dépenses de fonctionnement

7,55

7,56

0,03

7,55

7,56

0,03

titre 5 dépenses d’investissement

4,50

4,40

- 2,22

4,40

4,40

0,00

Total programme 144

519,35

640,25

23,28

533,85

577,15

8,11

Programme 178

Sous-action 11
Renseignement d’intérêt militaire

131,54

157,04

19,39

149,34

155,57

4,17

titre 2 dépenses de personnel

114,08

115,35

1,11

114,08

115,35

1,11

titre 3 dépenses de fonctionnement

7,00

12,31

75,69

6,75

12,31

82,19

titre 5 dépenses d’investissement

10,45

29,38

181,14

28,50

27,91

- 2,08

Total programme 178

131,54

157,04

19,39

149,34

155,57

4,17

Total général

650,89

797,29

22,49

683,19

732,72

7,25

Source : documents budgétaires.

• En matière de dépenses de personnel, les évolutions sont contrastées selon les services. La progression de ces crédits est contenue pour la DRM (+ 1,1 %), un peu moins dans le cas de la DPSD (+ 3,25 %). Les effectifs autorisés prévus de cette dernière sont de 1 296 pour 2009 (dont 1 008 militaires et 288 civils). À l’horizon 2014, les effectifs de la DPSD devraient avoir été ramenés à 1 130.

De fait, l’essentiel de la progression des crédits du titre 2 trouve sa source dans la décision d’augmenter le plafond d’emplois de la DGSE, avec la création nette de 51 ETPT. L’effort devra se poursuivre ultérieurement, le nombre d’ETPT supplémentaires au bénéfice de la DGSE s’élevant à 690 sur la durée de la prochaine LPM. Les nouveaux postes ainsi créés ont vocation à financer le recrutement des personnels très qualifiés, indispensables au fonctionnement des équipements de recueil et d’exploitation du renseignement technique, ainsi qu’à l’analyse des données recueillies.

On notera en revanche que la DRM a été affectée en 2008 par le processus de réduction du format des armées, avec une diminution de 88 postes.

S’agissant du fonctionnement, on peut constater un certain desserrement de la contrainte observée ces dernières années. C’est particulièrement le cas pour la DGSE, dont le titre 3 augmente de 12,6 % en crédits de paiement. Ceux-ci doivent notamment permettre de faire face aux dépenses engendrées par la mise en service des nouveaux équipements en matière de calcul et d’interceptions. S’agissant de la DRM, la forte augmentation des crédits de fonctionnement (+ 82 %, soit une progression en valeur absolue de 5,6 millions d’euros) s’explique principalement par le coût de la mise en œuvre du renforcement des capacités d’interception et d’exploitation, ainsi que par les surcoûts liés aux réformes découlant de la revue générale des politiques publiques (RGPP) en matière de mutualisation et d’implantation des équipements.

En effet, la mutualisation des équipements entre la DRM et la DGSE est appelée à s’approfondir. On notera tout d’abord que les crédits de paiement du titre 5 affectés à la DGSE passent de 126,6 millions d’euros en 2008 à 154,7 millions d’euros en 2009 (soit + 22,2 %), tandis que la très forte augmentation des autorisations d’engagement (+ 94,5 %) augure bien de la capacité ultérieure du service à faire face à l’augmentation considérable des besoins en matière de renseignement technique. Il faut relever à cet égard que les flux interceptés ont connu une augmentation exponentielle, d’un rapport de un à mille en dix ans. La décision d’exploiter davantage en commun les différents capteurs des deux services destinés au recueil du renseignement d’origine électromagnétique va permettre d’améliorer la productivité d’ensemble du dispositif.

Il conviendra de veiller à ce que ces progrès souhaitables en matière de mutualisation du renseignement technique permettent à chaque service de bénéficier effectivement des équipements nécessaires, et de l’expertise humaine qui y est associée, à hauteur de leurs besoins opérationnels.

IV. —  ENTRETENIR ET DÉVELOPPER LES COMPÉTENCES TECHNOLOGIQUES : LA VÉRITABLE DISSUASION À LONG TERME

Pour des raisons historiques largement liées à la constitution d’une force autonome de dissuasion, la France a développé un outil industriel et scientifique de défense unique en Europe. La réduction progressive du format des armées rend difficile le maintien de cette base industrielle et technologique de défense (BITD) très complète. Pourtant, il s’agit d’un enjeu essentiel pour l’avenir. Sans cet outil, nos forces ne pourront pas disposer des matériels et des technologies nécessaires, aussi bien pour faire face à la réémergence éventuelle de puissances majeures qu’aux conflits asymétriques dans lesquels elles sont déjà effectivement engagées. À long terme, c’est la capacité scientifique et technique d’une nation qui lui permet de dissuader ses adversaires et de faire face de manière adaptée et réactive à l’évolution des menaces. Les moyens financiers disponibles ne permettant pas de mettre en place de véritables programmes dans tous les domaines d’intérêt, le maintien et le développement des compétences supposent un double effort au travers d’une progression des exportations, d’une part, et d’une politique de recherche véritablement ambitieuse, d’autre part.

A.  LES EXPORTATIONS, GARANTIE DE LA PÉRENNITÉ DES INDUSTRIES DE DÉFENSE ET DE L’ADAPTATION DES MATÉRIELS DE NOS FORCES

En 2004, les exportations d’armement ont atteint un point bas, avec 3,4 milliards d’euros. Ce mauvais résultat d’ensemble et la perte de quelques contrats emblématiques ont conduit à une prise de conscience par l’ensemble des acteurs concernés, étatiques et industriels, de la nécessité de réformes en profondeur et d’un sursaut. Les mesures de redressement, destinées aussi bien à améliorer le dispositif de promotion des exportations que celui de leur contrôle, commencent à porter leurs premiers fruits. Cela permet à la France de profiter du contexte mondial dynamique des ventes d’armement, avec des prises de commandes s’élevant à 5,7 milliards d’euros en 2007 et qui devraient atteindre les 6 milliards d’euros en 2008. L’objectif fixé à terme reste un niveau d’exportations équivalent à celui des ventes domestiques, afin de limiter le coût des matériels livrés à nos forces et de garantir l’activité des industriels concernés à un niveau suffisant pour permettre le maintien de la BITD.

• S’agissant de mesures prises pour dynamiser les mécanismes étatiques, on notera que le plan national stratégique de soutien aux exportations de défense, élaboré par la DGA avec le soutien de l’ensemble des services concernés, a été validé par le Premier ministre en mars 2008. La rationalisation et le renforcement des structures administratives se poursuivent. Au sein de l’état-major des armées, une cellule de soutien aux exportations a été mise en place, afin de coordonner les activités des forces en la matière.

En outre, installée par le Premier ministre le 1er octobre 2007, la Commission interministérielle pour les exportations de défense et de sécurité (CIEDES), dont le secrétariat général est assuré par la DGA, a vu son périmètre élargi en juin 2008 au soutien des grands contrats civils à l’exportation. En conséquence, elle a été transformée en Commission interministérielle d’appui aux contrats internationaux (CIACI). Sous ses différentes dénominations, cette instance s’est réunie cinq fois depuis sa création. Ces séances, à la préparation et au suivi desquelles sont associés les industriels, ont permis d’examiner un certain nombre de prospects jugés importants en termes d’enjeux financiers, stratégiques, politiques ou industriels, portant sur 18 États différents. Par ailleurs, une réunion mensuelle regroupant l’ensemble des services du ministère de la défense a été mise en place afin d’assurer l’exécution des décisions de la CIACI.

Dans le cadre de la réforme du ministère de la défense, préparée à l’occasion de la RGPP, une attention particulière a été apportée à la fonction internationale. Il a été décidé de fusionner le réseau des attachés de défense de l’EMA et celui des attachés d’armement de la DGA, afin de disposer d’une représentation unique. La refonte de l’instruction générale des missions militaires, qui définit les rôles de ces attachés en ambassade et traite de leur sélection, leur recrutement, leur formation, leur notation et de la définition de leurs objectifs, a été réalisée. Pour chaque ambassade, les postes permanents à l’étranger sont maintenant répartis en trois catégories : ceux qui seront pourvus par l’EMA, ceux qui relèveront de la DGA et ceux dont le recrutement est indifférencié et sera adapté aux priorités nationales pour le pays concerné. La période de transition s’étend jusqu’à la relève de l’été 2010. À cette date, l’économie réalisée doit être d’environ 25 % sur l’ensemble des postes à l’étranger relevant du ministère de la défense. Dès l’été 2008, 26 postes ont été fermés. L’effort global au titre du programme 144 sur les trois années considérées représente une diminution de 58 postes sur un total initial de 298, soit une baisse de 19,5 %. En contrepartie, un renforcement de la formation des attachés de défense aux questions industrielles et d’exportations d’armement a été mis en œuvre lors de leur séminaire de formation.

• Un effort important a été réalisé en vue de réduire les délais de traitement des demandes d’autorisations d’exportations d’armements. Grâce au système SIEX, 90 % des dossiers sont instruits selon une procédure dématérialisée. En parallèle, le dépôt en ligne des dossiers au travers de l’applicatif ENODIOS contribue à l’amélioration du dispositif, plus de 40 % des demandes des industriels utilisant cette nouvelle possibilité. Le délai moyen de traitement, entre la réception de la demande et la notification de la décision, a ainsi pu être ramené de 70 jours en 2007 à 45 jours au début de l’été 2008. Ce résultat a encore été amélioré depuis et tend progressivement vers 35 jours. Le taux d’ajournement des dossiers a pour sa part été ramené de 25 % à 9 %. En outre, le délai pour les demandes les plus simples est désormais de l’ordre de 20 jours. Un effort d’information doit être poursuivi en direction des PME-PMI, moins familiarisées avec ces procédures et qui représentent 60 % des cas traités de façon non dématérialisée. L’amélioration progressive du système SIEX devrait se poursuivre jusqu’en 2010 et permettra de résoudre une partie de ces difficultés. Par ailleurs les procédures d’agréments préalables globaux et d’autorisations globales d’exportations de matériels de guerre ont été développées, ce qui permet d’obtenir une seule autorisation pour une série d’opérations.

Afin d’améliorer la réactivité du dispositif, le ministre de la défense a décidé de confier à la direction du développement international de la DGA la responsabilité de l’instruction et du suivi des dossiers, jusqu’à présent assurée par la DAS, cette dernière continuant à exercer pleinement le contrôle d’opportunité (une quinzaine de personnes resteraient affectées à cette tâche au sein de ce service). L’efficacité du nouveau partage des rôles dépendra naturellement beaucoup de la qualité des échanges entre les directions concernées, notamment en matière d’expertise technique.

B. DÉFINIR UNE AMBITION À LA HAUTEUR DES ENJEUX EN MATIÈRE DE RECHERCHE DE DÉFENSE

1. Un ralentissement progressif de la croissance des crédits destinés aux études amont

• À compter de 2007, une réforme en profondeur des agrégats statistiques décrivant l’évolution des crédits de recherche et technologie (R&T) et de recherche et développement (R&D) a été mise en place (2). Elle vise à tenir compte de l’entrée en vigueur de la loi organique relative aux finances publiques (LOLF) et à rendre plus facilement comparables les données françaises avec celles de nos partenaires, en utilisant désormais la même définition de la R&T que l’agence européenne de défense (AED).

L’inconvénient de ce changement réside dans la très grande difficulté qui existe désormais pour suivre l’évolution de l’exécution des crédits de recherche au cours de la LPM, puisque ceux-ci étaient exprimés au travers des anciens agrégats. Les deux tableaux suivants retracent donc les tendances observées en matière de crédits votés et consommés, mais avec une absence certaine de continuité statistique.

Évolution de l’ensemble des crédits de paiement de R&T de 2003 À 2006

(en millions d’euros courants)

 

2003

2004

2005

2006

LFI

Consommés

LFI(a)

Consommés

LFI(a)

Consommés

LFI

Consommés

Études amont

431,9

401,3 

447,0

454,1

549,7

537,8

601,2

603,3(b)

LPM

431,9

 

516,3

 

556,2

 

611,3

 

EOTO - EPMES

24,5

24,1

24,3

22,9

23,2

20,1

21,9

19,8

LPM

20,1

 

23,1

 

23,5

 

24,0

 

Subventions

116,0

116,7

133,9

136,1

134,1

134,1

135,7

139,2

LPM

69,5

 

66,4

 

67,9

 

64,1

 

CEA

412,6

410,2

468,8

440,3

500,3

494,0

504,1

500,5

LPM

454,2

 

503,6

 

549,5

 

534,6

 

BCRD

190,6

190,6 

200,0

200,0

200,0

200,0

200,0

198,1

Recherche duale

LPM

190,6

 

200,0

 

200,0

 

200,0

 

Total R&T

1 175,6

1 142,8

1 274,1

1 253,4

1 407,3

1 385,9

1 462,9

1 460,9

LPM

1 166,1

 

1 309,4

 

1 397,1

 

1 434,0

 

(a) Incluant les LFR de l’année précédente, soit 90 millions d’euros pour les études amont et 23 millions d’euros pour le CEA dans la LFR 2003 et 95 millions d’euros pour les études amont dans la LFR 2004.

(b) Dont 15 millions d’euros au titre des pôles de compétitivité.

Source : ministère de la défense.

Évolution de l’ensemble des crédits de paiement de R&D
entre 2007 et 2009 (nouveaux agr
Égats)

(en millions d’euros courants)

 

Exécution 2007

LFI 2008

PLF 2009

Études amont

656,8

644,6

660,1

Effort de recherche technologique (ERT)

743,2

731,9

747,4

Maîtrise des capacités technologiques (MCT)

762,9

755

770,5

R&T

813,4

805,4

821,0

Études de défense

1 462,8

1 476,7

1 571,3

dont :

- recherche CEA

435,1

448,6

527,5

 

- EPMES

3,2

3,7

3,9

 

- EOTO

15,0

19,0

19,0

 

- recherche duale

196,2

200,0

200,0

Total développement mission Défense

1 989,2

2 136,3

2 114,1

Total R&D

3 452,0

3 613,0

3 685,5

Source : ministère de la défense.

Les études amont constituent de fait le seul indicateur pratiquement inchangé. La différence entre ancienne et nouvelle définition concerne l’intégration des bourses de thèses, ce qui est négligeable au regard des masses totales concernées. La LPM 2003-2008 prévoyait pour ces études un total de crédits de paiement de 3 559,7 millions d’euros courants, soit une annuité moyenne de 593 millions d’euros. Si l’on considère la période allant jusqu’en 2007, les crédits prévus représentent 2 814 millions d’euros, et la consommation effectivement réalisée sur cette période atteint 2 653 millions d’euros. L’écart par rapport à la cible prévue s’établit donc à 5,6 %.

Le montant des crédits affecté aux études amont se situait en début de programmation à un niveau assez bas, inférieur à 450 millions d’euros jusqu’en 2004. En 2005, la croissance des crédits consommés a été particulièrement significative (+ 18,4 %), de même qu’en 2006 (+ 12,2 %), ce qui a permis d’atteindre un niveau de plus de 600 millions d’euros à compter de ce dernier exercice. Un phénomène de ralentissement s’est ensuite manifesté, avec une croissance de 8,9 % en 2007, ramenée à 1,2 % en 2008 (par rapport à la loi de finances pour 2007).

Pour 2008, les études amont mobilisent 644,6 millions d’euros de crédits de paiement en loi de finances initiale. Ce dernier montant reste inférieur à l’objectif affiché d’atteindre 700 millions d’euros pour la dernière année de la LPM. On soulignera également que la fin de l’exécution de l’exercice 2008 conditionne celle de la future LPM : outre la nécessité d’une levée des mises en réserve de crédits, il convient de veiller à ce que les reports de charge ne soient pas excessifs, faute de quoi la marge de manœuvre au cours de l’exercice 2009 sera limitée.

Le moindre dynamisme enregistré en fin de programmation ne doit cependant pas faire perdre de vue qu’entre 2003 et 2008 les études amont ont crû de près de 61 %.

• Le bilan de l’exécution de la LPM 2003-2008 en matière de recherche ne peut se limiter au seul examen des dotations budgétaires. Il convient aussi d’apprécier le résultat obtenu au regard de l’objectif principal, constitué par l’acquisition d’une partie significative des capacités technologiques qui apparaissaient nécessaires à la préparation des équipements futurs. De ce point de vue, la politique de R&T doit amener des technologies ciblées et prioritaires à un degré acceptable de maturité et de maîtrise des risques. Elle vise aussi à ne pas négliger le champ des technologies émergentes. La création de la mission pour la recherche et l’innovation scientifique (MRIS) en 2005 témoigne d’une volonté de mieux prendre en considération cette dimension.

Selon les informations transmises au rapporteur, le bilan de la LPM à trois mois de la fin de la période couverte permet d’établir globalement qu’ont été atteints les objectifs d’acquisition des capacités technologiques, d’une part, et d’équilibre entre les études très amont, la consolidation du socle technologique et la politique de démonstrateurs, d’autre part. Sur l’ensemble des quarante capacités technologiques associées au PP30, le taux d’acquisition s’établissait à 52 % à la fin de l’année 2007, soit un niveau en ligne avec les prévisions. Compte tenu des ressources budgétaires disponibles en 2008, ce taux devrait atteindre 58 % cette même année. Sur les quarante capacités précitées, sept disposent d’une avance significative sur le taux d’acquisition prévu. Parmi celles-ci figurent la lutte contre le risque nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique (NRBC), l’observation optique spatiale, la robotique, la propulsion et l’architecture des missiles aérobies dans le domaine hypersonique, ainsi que la détection et l’interception antiaérienne anti-furtive.

En revanche, l’exécution de la LPM débouche sur des lacunes, avec quatre capacités technologiques présentant un retard significatif par rapport aux prévisions. Il s’agit des capteurs d’écoute électromagnétique, des outils de sécurité de l’information, de l’avionique modulaire et de la mise en réseau des systèmes d’armes terrestres.

L’équilibre entre les différents stades de la recherche est jugé pertinent et restera stable. Il s’établit de la manière suivante : 15 % des crédits consacrés à la R&T de base, afin de tirer profit des avancées scientifiques et de préserver le long terme ; 50 % au titre des études destinées à la maîtrise du risque technologique ; 35 % affectés aux démonstrateurs technologiques, qui ont pour objectif de dynamiser les études sur les technologies transverses et favorisent leur intégration autour de projets ambitieux.

• Le projet de loi de finances pour 2009 ne prévoit pas de véritable rupture s’agissant des crédits d’études amont. Les crédits de paiement s’élèvent à 660,1 millions d’euros, soit une progression modeste de 2,4 %. Les autorisations d’engagement augmentent en apparence légèrement plus rapidement (+ 2,8 %), mais compte tenu du fort niveau de reports constaté entre 2007 et 2008, les capacités d’engagement de 2009 pourraient être en fait inférieures à celles constatées en 2008. De fait, la rareté des ressources en matière de R&T va conduire la DGA à davantage séquencer ses projets.

L’examen plus détaillé de cette masse de crédits révèle des évolutions contrastées selon les domaines d’études. Ainsi, les crédits de paiement relatifs aux études amont espace sont stables (sous-action 41), tandis que ceux en faveur des « autres études amont » (sous-action 43) diminuent légèrement (- 0,2 %). L’ensemble de la croissance de l’agrégat études amont, soit 17 millions d’euros de crédits de paiement supplémentaires, résulte de la dotation affectée aux études amont nucléaire (sous-action 42), avec une hausse de 11,8 % en autorisations d’engagement et de 27,6 % en crédits de paiement. Ces dernières comprennent les recherches nécessaires à la dissuasion, à l’exception de celles portant sur les armes et les matières nucléaires (dont le programme simulation), ainsi que de celles sur la propulsion nucléaire. L’évolution des crédits découle d’actions menées dans le domaine de l’amélioration des performances des missiles balistiques.

Première année de la prochaine loi de programmation militaire, l’exercice 2009 traduit une ambition bien modeste en matière de recherche. Or, le ralentissement des cadences de fabrication et la réduction des cibles de certains grands programmes risquent de poser des problèmes de maintien des compétences pour de nombreux industriels, tandis que les ambitions affichées par le Livre blanc en matière de politique spatiale devraient conduire à une intensification de l’effort de recherche dans des domaines aujourd’hui encore trop négligés mais qui risquent de devenir vitaux à terme, comme la protection de nos moyens spatiaux.

Si le Livre blanc souligne le rôle stratégique de la recherche, on peut déplorer qu’il n’en ait pas tiré les conséquences en fixant un objectif mobilisateur. Alors que ce document a décrit en détail les cibles à atteindre s’agissant des matériels devant être mis à la disposition des forces, il n’a malheureusement pas déterminé un objectif de dépenses souhaitable pour la recherche. Une telle démarche aurait présenté le mérite de donner une visibilité politique beaucoup plus forte à l’impératif de renforcement de la recherche de défense à l’horizon des deux prochaines lois de programmation. Le rapporteur réaffirme qu’un objectif d’un milliard d’euros pour les études amont ne serait pas exagéré, compte tenu de l’ampleur prise par la course à la supériorité technologique, véritable composante de la dissuasion stratégique, de l’effort de recherche considérable engagé par certains de nos partenaires et de l’émergence de nouveaux acteurs particulièrement dynamiques et ambitieux.

2. Renforcer l’efficacité de l’outil de recherche

a) La menace du creusement d’écarts technologiques

• Au regard des crédits assez modestes qui lui sont consacrés, la recherche de défense française peut s’enorgueillir d’un bilan des plus honorables. Les matériels produits par les industriels se situent à un niveau d’excellence technologique qui n’est atteint que par un nombre très réduit de pays et nos instituts de recherche bénéficient d’une véritable crédibilité internationale. Certes, la sélectivité accrue des projets de recherche, due à la rareté des ressources budgétaires, conduit à une plus grande efficacité relative. Il n’en reste pas moins que l’accumulation d’écarts considérables en matière de financement est susceptible de conduire à terme à des écarts qualitatifs, auxquels il sera difficile de remédier une fois qu’ils se seront installés.

• L’exemple le plus souvent cité concerne l’écart technologique avec les États-Unis. On rappellera que ceux-ci dépensent sept fois plus que la France en matière de R&T, et que la différence atteint un rapport de près de quatorze fois s’agissant de la R&D.

Depuis 2000, la DGA se livre au travers d’une étude intitulée « État comparé des technologies » à un exercice annuel d’évaluation du niveau atteint par la France par rapport à l’environnement international pour les principales technologies requises par la maîtrise des futurs systèmes d’armes. En 2007, les comparaisons ont été établies en ayant pour la première fois recours à une échelle objective d’évaluation, celle des TRL (Technology Readiness Level), qui décrit en neuf niveaux la progression d’une technologie depuis ses premiers balbutiements en laboratoire jusqu’à son utilisation réussie sur le terrain opérationnel. Sur la base de près de 480 technologies clés faisant l’objet d’un effort de recherche et évaluées suivant l’échelle des TRL, il est possible de noter que si 23 % d’entre elles sont à un même stade de maturité dans les deux pays, des écarts importants se manifestent cependant. Ainsi, 28 % des technologies qui sont disponibles en environnement opérationnel aux États-Unis n’ont pas encore quitté les laboratoires en France. Cet écart peut être qualifié de gap technologique, et il peut se traduire par un écart capacitaire à mesure que les systèmes américains en service disposent de techniques encore immatures en France. Par ailleurs, pour 39 % des domaines évalués, un gap technologique pourrait se produire en raison d’un niveau très proche de l’environnement opérationnel atteint aux États-Unis, alors qu’il s’agit encore seulement de recherche amont en France. La politique de démonstrateurs lancée depuis quelques années prévoit précisément d’amener en environnement représentatif nombre de technologies clés.

La DGA a d’ores et déjà identifié avec précision les 25 technologies principales qui font peser un risque de retard significatif. Les secteurs dans lesquels les États-Unis ont acquis une véritable avance sont les suivants : composants ; systèmes électromagnétiques intégrés multifonctions ; armes à énergie dirigée (laser ou micro-onde de forte puissance) ; défense anti-missiles balistiques (alerte et neutralisation) ; furtivité ; opérations en réseaux. Encore s’agit-il d’évaluations à partir des données disponibles en sources ouvertes, ce qui ne préjuge pas d’éventuelles ruptures technologiques et opérationnelles potentielles issues des programmes de recherche clandestins.

• En outre, les États-Unis ne sont pas les seuls à conduire un effort de recherche considérable. Des puissances émergentes ont également bien compris l’enjeu de puissance que constitue la course technologique. Ainsi, la Chine s’est hissée au deuxième rang mondial en matière de dépenses de R&D de défense en 2008. De manière générale, les autorités chinoises ont clairement donné la priorité à une recherche « utile », c’est-à-dire débouchant sur des applications technologiques, industrielles ou militaires. Seulement 5 % des crédits de recherche seraient consacrés à la recherche fondamentale. Le rapport annuel au Congrès sur la puissance militaire chinoise, rédigé par le département de la défense, indique que les technologies militaires privilégiées dans l’effort de recherche chinois concernent le secteur spatial et celui des missiles. Compte tenu de l’ampleur de l’effort consenti, la Chine atteindra probablement à moyen terme les standards occidentaux dans de nombreux domaines.

b) Promouvoir les coopérations européennes

• L’une des solutions pour pallier la rareté des ressources financières et renforcer l’efficacité du dispositif de recherche consiste à développer les actions menées en coopération avec des partenaires européens.

Sur le plan multilatéral, l’AED est désormais un véritable forum de prospective et d’organisation de projets de recherche de défense. L’élaboration d’une stratégie européenne de R&T est en cours et elle devrait être soumise aux ministres le 10 novembre prochain. L’agence a d’ores et déjà identifié 22 priorités technologiques pour l’Europe, ce qui doit permettre ensuite d’en déduire une série de projets communs. Le 8 juillet dernier, les directeurs de capacités ont retenu une première tranche de douze domaines d’intérêt prioritaires, pour lesquels l’AED est chargée de formuler des propositions d’ici à la fin de l’année. C’est dans cette perspective que s’inscrivent l’initiative française de lancer une phase de préparation de programme concernant le déminage maritime, ainsi que l’initiative franco-britannique visant à améliorer la disponibilité des hélicoptères en opération. On notera par ailleurs s’agissant des programmes déjà engagés au sein de l’Agence qu’outre celui portant sur la protection des forces en milieu urbain (qui associe 20 États et pour lequel la France contribue à hauteur de 20 millions d’euros), un programme d’investissement conjoint a été retenu sur les concepts innovants et les technologies émergentes. Il a suscité l’intérêt de onze États membres, pour un montant de 16 millions d’euros et doit être suivi par un deuxième programme sur le même thème. Le démonstrateur de fonction d’évitement des drones dans la circulation générale aérienne (MIDCAS) est pour sa part en cours de lancement, les premiers engagements étant prévus en 2009 ; ce projet associe la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Suède, l’Espagne et l’Italie. L’AED propose également de mettre en place un dispositif de veille technologique commun.

• Cependant, la mise en place de coopérations à l’échelle européenne se heurte à la très grande concentration des budgets et des compétences de R&T de défense dans un nombre très réduit d’États. Les six signataires de la Letter of Intent représentent de fait plus de 95 % de l’ensemble de l’effort européen en la matière. Une large partie des coopérations restera donc avant tout réalisée dans un cadre bilatéral ou associant un nombre réduit de partenaires.

Dans le domaine de la prospective technologique, le principal partenaire de la France est le Royaume-Uni, avec lequel des coopérations de R&T sont menées pour un montant annuel de 50 millions d’euros pour chaque État. Une démarche commune a par exemple été engagée sur la réduction de la dépendance envers les énergies fossiles, pour un investissement conjoint de 9 millions d’euros sur une période de trois à quatre ans.

S’agissant des programmes de recherche proprement dits, en 2008 la France consacrera près de 20 % de sa R&T à des coopérations internationales, en premier lieu avec le Royaume-Uni et l’Allemagne. Le premier est, là encore, notre principal partenaire, en raison d’un taux d’effort et de besoins comparables. Le dialogue capacitaire est de ce fait beaucoup plus nourri qu’avec nos autres partenaires. En mars 2007, il a été décidé de doubler le volume de la R&T réalisée en coopération avec les Britanniques à l’horizon 2010. Au total, les programmes en cours de recherche réalisés en coopération bilatérale ou multilatérale en Europe représentent un montant cumulé de 1,3 milliard d’euros, dont 560 millions d’euros financés par la France.

c) Tirer profit de la dualité

• D’un point de vue budgétaire, la dualité s’exprime avec le plus d’éclat au travers du programme 191 « Recherche duale » de la mission recherche et enseignement supérieur. Le montant des crédits prévus pour 2009 est inchangé par rapport à 2008, soit 200 millions d’euros de crédits de paiement. Ils sont de nouveau répartis à hauteur de 165 millions d’euros pour le CNES et de 35 millions d’euros pour le Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Une partie de la contribution dont bénéficie ce dernier assure le financement du programme interministériel de recherche NRBC.

La mise en place de l’équipe défense au sein du CNES à partir de 2003 est un plein succès et correspond pleinement à l’idée d’une meilleure prise en compte de la dualité. Elle comprend deux représentants du CNES, deux de la DGA et deux de l’EMA, chacun gardant une activité dans son organisme d’origine. Associée à un comité de pilotage, cette équipe gère les crédits du programme 191 affectés au CNES et donne à la défense une connaissance très précise de l’ensemble des programmes du CNES, à tous leurs stades de développement, ce qui lui permet de faire intégrer en amont des spécifications l’intéressant au sein de certains programmes civils (cas de l’agilité de la plate-forme dans le programme Pléiades). Cette démarche autorise en outre une meilleure synchronisation des prises de décision. De cette manière, les besoins exprimés en matière de ROEM ont pu être rapidement pris en compte au travers du démonstrateur technologique ELISA, dont la mise en orbite est prévue pour 2010. De même, des études importantes au profit du programme MUSIS ont été diligentées en 2008. Outre ses avantages techniques, la formule a permis d’en finir avec les anciennes querelles sur l’utilisation des crédits du BCRD.

L’ensemble est susceptible d’être amélioré avec la mise en place d’échanges plus approfondis entre les différents organismes intervenant dans la recherche de défense ou duale. Ainsi, le ministère de la défense pourrait associer des représentants du CNES aux réunions avec ses homologues européens s’agissant de questions spatiales militaires, afin de les faire profiter de leur expertise et d’assurer une plus grande connaissance réciproque des programmes.

S’agissant de l’utilisation des crédits du programme 191, il serait possible de les employer davantage comme une véritable réserve réactive de crédits destinés à la recherche duale. On peut en effet s’interroger sur l’intérêt d’une reconduction à l’identique de l’affectation des dotations sur une trop longue période. En revanche, un examen régulier des tâches accomplies et des priorités permettrait de dégager des marges de manœuvre, même s’il peut parfois s’agir seulement de quelques millions d’euros, pour financer des projets à caractère innovants intéressant la défense pendant quelques années. On peut ainsi imaginer que des établissements publics de recherche sous tutelle du ministère de la défense, tel que l’office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA), puissent en bénéficier pour financer tout ou partie d’un projet précis.

• Une autre voie de progrès en matière de R&T duale consisterait à rendre éligibles aux crédits du programme cadre de recherche et développement de l’Union européenne (PCRD) certains sujets concernant la défense et la sécurité. La Commission européenne, consciente de l’importance de l’économie de défense en raison des retombées qu’elle induit dans la sphère industrielle, pourrait n’y être plus hostile.

L’évolution des esprits dans ce domaine a commencé avec la mise en place de programmes de recherche à vocation duale. Au départ simple action préparatoire, le programme européen de recherche de sécurité (PERS) a été doté de 45 millions d’euros entre 2004 et 2006. Il a pris encore davantage d’ampleur dans le 7e programme-cadre, avec 200 millions d’euros prévus en moyenne chaque année. Le premier appel à projet organisé en 2007 a permis de sélectionner 44 projets, pour un total de 156 millions d’euros. Les domaines retenus concernent notamment la surveillance maritime, la radio logicielle, la protection des grands événements contre le terrorisme et la sécurisation des réseaux de distribution d’eau potable. En outre, dans sa communication associée à ce qu’il est convenu d’appeler le « paquet défense », intitulée « stratégie pour une industrie européenne de défense plus forte et plus compétitive », la Commission européenne a indiqué que « La politique européenne de sécurité et de défense (PESD) ne peut se passer d’une base industrielle et technologique de défense forte en Europe. » Il est également noté dans le même document que « La défense est un secteur de très haute technologie et les travaux de recherche et développement d’avant-garde qui y sont menés ont des retombées dans bien d’autres domaines. »

Le projet d’étendre aux recherches de défense proprement dites le bénéfice de financements communautaires est abordé dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, avec pour objectif d’obtenir avant la fin de l’année une déclaration du Conseil. Dans cette perspective, l’AED aurait pour missions, d’une part, de choisir les projets proposés à un financement par le PCRD et, d’autre part, de continuer à jouer un rôle de pépinière de programmes d’armements (harmonisation en amont des besoins, lancement d’études avant la mise en place des projets, prospection de coopérations auprès des États susceptibles d’être intéressés, etc.). En tout état de cause, il conviendra de se garder de toute dérive vers un système similaire aux programmes obligatoires de l’agence spatiale européenne (ESA) et de refuser les revendications de « juste retour ».

d) Mettre l’accent sur les technologies et secteurs de souveraineté

• Le domaine des composants électroniques est sans doute le plus critique pour l’autonomie européenne, en raison d’une dépendance presque complète à l’égard des fournisseurs extra-européens et de leur soumission à la réglementation américaine ITAR. Les composants considérés comme matériels militaires selon cette dernière ne peuvent être réexportés sans licence, même lorsqu’ils sont profondément intégrés dans des systèmes complets non américains. La réglementation s’appliquant aux composants non militaires est plus souple et permet en général la réexportation sans licence des systèmes fabriqués en Europe, lorsque leur contenu américain ne dépasse pas 25 % du prix du produit. Afin de limiter cette dépendance, les grands maîtres d’œuvre français et européens essaient de s’abstenir de l’emploi de composants militaires classés ITAR pour la fabrication de produits civils. Limiter les effets d’une telle dépendance doit être l’un des axes de réflexion prioritaire, et l’AED a certainement vocation à y jouer un rôle moteur.

• Le secteur spatial au sens large est un des domaines de souveraineté critique qui impose de ne pas relâcher l’effort de recherche. La stagnation des crédits d’études amont prévue en 2009 en la matière ne constitue pas un bon signal et il faudra veiller à ce que les années ultérieures permettent de revenir à un niveau plus compatible avec les niveaux de performances envisagés pour les futurs systèmes spatiaux.

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a en effet défini un programme ambitieux, non seulement pour le renouvellement des capacités existantes dans le domaine de l’imagerie optique, mais aussi en faveur du développement de nouveaux outils spatiaux en matière de ROEM (programme CERES à l’horizon du milieu de la prochaine décennie) et d’alerte avancée (mise en place d’une première capacité de détection des lancements de missiles balistiques d’ici 2020). Ces futurs systèmes bénéficieront des recherches importantes déjà réalisées dans le cadre de la politique de démonstrateurs technologiques spatiaux, qu’il s’agisse d’ESSAIM et d’ELISA en matière de ROEM, ou de Spirale pour l’alerte avancée.

Dans le domaine de la surveillance de l’espace, l’Europe ne dispose pas d’un système cohérent et opérationnel, alors même que ce domaine est désormais critique pour la protection des systèmes placés en orbite, mais aussi pour l’accès à l’espace. Certains États disposent de capacités partielles, comme le radar GRAVES en France, mais d’un point de vue pratique, l’Europe reste presque entièrement dépendante des informations qui lui sont transmises par les États-Unis. La surveillance de l’espace est par nature duale et concerne l’ensemble des Européens. L’ESA avait débuté ses réflexions sur le projet Space Situational Awareness (SSA) sur la base d’un programme ambitieux, représentant 300 millions d’euros. Face aux réticences de nombreux États, dont le Royaume-Uni et l’Italie, elle est ensuite revenue à des ambitions plus modestes, aux alentours de 100 millions d’euros. De plus, l’Allemagne a récemment émis de nombreuses objections, dont la nécessité d’associer l’Union européenne à la définition des spécifications du futur système, ainsi que celle de la mise en place d’une politique plus robuste de sécurisation des données recueillies. L’ESA pourrait ensuite seulement être chargée de mener à bien le projet. Si ces questions méritent à l’évidence d’être traitées avec le plus grand sérieux, il est également nécessaire de ne pas prendre de retard s’agissant d’un sujet aussi urgent que le suivi des débris en orbite ; un certain nombre de travaux de recherche pourraient être ainsi menés rapidement au sein de l’ESA, pour un montant de 20 millions d’euros. Pourraient s’y ajouter des tranches additionnelles concernant la météorologie spatiale et le suivi par radar, portant le total à 40 millions d’euros. Une décision de principe sur l’ensemble de ce dossier doit être prise lors de la réunion ministérielle de l’ESA de novembre prochain. Ce projet est capital pour l’avenir de l’indépendance spatiale européenne et il est absolument nécessaire qu’il fasse l’objet de toute l’attention requise.

La sécurisation des satellites en orbite doit conduire à aller au-delà du seul suivi des débris pour déboucher sur des processus de « nettoyage d’orbite ». En effet, les procédures d’évitement actuellement mises en œuvre ne peuvent être considérées comme satisfaisantes. Il importe donc d’examiner attentivement l’ensemble des moyens susceptibles d’aider à surmonter le problème des débris spatiaux.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. —  AUDITION DE M. MICHEL MIRAILLET, DIRECTEUR CHARGÉ DES AFFAIRES STRATÉGIQUES

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu M. Michel Miraillet, directeur chargé des affaires stratégiques, sur le projet de loi de finances pour 2009 (n° 1127), au cours de sa réunion du mercredi 8 octobre 2008.

M. le président Guy Teissier. Mes chers collègues, nous accueillons aujourd’hui M. Michel Miraillet, directeur chargé des affaires stratégiques, à qui je souhaite en votre nom la bienvenue, ainsi que le général Patrick Bazin qui l’accompagne. Je vous remercie, monsieur Miraillet, d’avoir été des nôtres lors des universités d’été de la défense ; vos interventions y ont été, sachez-le, particulièrement appréciées.

Vous venez aujourd’hui nous exposer les grandes lignes du programme 144 « Environnement et prospective de la défense », dont vous avez la charge. Les crédits consacrés à la recherche ne seront sans doute pas à la hauteur de ce que nous espérions. En dépit des contraintes qui pèsent sur notre budget, je le regrette, tant des efforts m’apparaissent indispensables en ce domaine.

M. Michel Miraillet, directeur chargé des affaires stratégiques. Monsieur le président, messieurs les députés, je vous prie par avance de m’excuser pour le caractère très technocratique de cette présentation du programme 144. La matière est en effet aride, même si elle dissimule de vrais choix stratégiques concernant notre effort de défense.

Des interrogations et des incertitudes avaient pesé sur l’avenir du programme dès sa création. La réunion d’actions en apparence hétérogènes, conduites par des autorités de la défense dénuées entre elles de tout lien hiérarchique – DGA, services de renseignement, d’études ou de prospective –, pouvait-elle former le cadre d’une véritable politique publique dont les performances de gestion seraient mesurées par le Parlement, le Gouvernement et les organes d’audit et de contrôle ? Le Livre blanc, au travers de la nouvelle fonction stratégique « connaissance et anticipation » et des responsabilités confiées à la délégation des affaires stratégiques (DAS) en matière de prospective, confirme et renforce aujourd’hui la pertinence de ce choix, et donc de ce programme. Au terme de trois années de fonctionnement, il est possible d’affirmer que le défi a été relevé : dans sa gouvernance comme dans sa gestion au quotidien, le programme 144, dont je vais vous présenter le projet de budget pour 2009, fonctionne de manière satisfaisante. Sa stratégie est désormais clairement définie dans le projet annuel de performance. Par ailleurs, le management de la politique qu’il recouvre est harmonieusement partagé par tous ses participants. J’insiste sur ce point : la gestion de ce programme, dont on pouvait craindre par avance qu’il serait le théâtre de rivalités entre les différents acteurs, se passe de la meilleure façon.

Comme de coutume, avant d’exposer les grandes lignes du PLF 2009, j’évoquerai les perspectives de la fin de la gestion 2008. Je vous présenterai ensuite les principaux impacts de la publication du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale sur le programme 144.

S’agissant du titre 2, la fin de l’exercice 2008 se soldera par un déficit de l’ordre de 1,85 % de la dotation initiale, réserve levée – soit 9,21 millions d’euros. Ce déficit est inégal selon les différentes catégories de dépenses. Sur les crédits de rémunérations pures, il est inférieur à 0,4 %, un résultat en cohérence avec le respect du plafond des effectifs autorisés du programme par l’effectif moyen réalisé sur l’année. Il sera plus fort – près de 6 % – sur le compte d’affectation spécial « Pensions ». Cette situation est imputable au gonflement des dépenses entraîné par la titularisation de 140 contractuels à la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et à la sous-budgétisation du BOP DGA lors des travaux de construction budgétaire pour 2008.

S’agissant des autres titres, le programme devrait engager cette année environ 1 165 millions d’euros et payer 1 136 millions d’euros, hors consommation de la réserve qui représente à ce jour un peu plus de 60 millions d’euros. Je précise d’ores et déjà que la décision de ne pas lever la réserve de précaution aurait de très fortes implications sur la fin de la gestion du programme. Mais, dans l’hypothèse où elle serait levée, le montant des engagements ne serait pas augmenté de manière significative, dans la mesure où le programme doit respecter un plafond sur les opérations de la loi de programmation militaire – fixé à 916 millions d’euros pour une capacité d’engagement de 975 millions d’euros incluant la réserve. Dans ces conditions, le montant des engagements 2008 devrait être en retrait d’environ 4,3 % par rapport à l’année 2007. En revanche, si la réserve de précaution et le plafonnement en autorisations d’engagement sur les lignes LPM sont levés, le programme sera en mesure d’engager 1 220 millions d’euros – pour une loi de finances initiale pour 2008 de 1 188 millions d’euros –, soit un montant très proche de l’année 2007.

Concernant les crédits de paiement, une levée de la réserve pourrait permettre un niveau de paiement jusqu’à 1 185 millions d’euros, soit une hausse de 4,3 % par rapport à 2007, tout en évitant un excès de factures impayées à la fin 2008. Leur niveau est actuellement estimé à environ 50 millions d’euros si la réserve n’est pas levée.

Le solde de gestion devrait être proche de zéro, tant en autorisations d’engagement qu’en crédits de paiement, si la levée de la réserve de précaution intervient avant la fin de gestion.

La non-levée de la réserve, je le répète, aurait des incidences sur toutes les actions du programme : impossibilité d’atteindre les objectifs d’engagement prévus dans le domaine des études de défense, difficultés de fonctionnement et report de certains investissements des services de renseignement, impossibilité de verser la totalité des subventions votées au budget 2008 pour les opérateurs de l’État, qu’il s’agisse de l’office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA) ou des écoles d’ingénieurs de la DGA. La levée de cette réserve est donc à nos yeux fondamentale. Si elle a lieu, la gestion de l’année 2008 se terminera dans les meilleures conditions.

Sur le projet de budget pour 2009, après une analyse globale des crédits prévisionnels du programme et de leur évolution par rapport à 2008, je détaillerai ces éléments pour chacune de ses six actions.

Tous crédits confondus et à périmètre identique à 2008, le programme 144 enregistre pour 2009 une hausse globale de 9,6 % en autorisations d’engagement et de 4,8 % en crédits de paiement, due pour l’essentiel à une hausse de près de 5 % des crédits de paiement sur les crédits hors titre 2 – c’est-à-dire concernant le fonctionnement, l’investissement et les subventions – et à une augmentation de 4,5 % des crédits de paiement sur les crédits du titre 2, relatifs aux rémunérations et charges sociales.

Dans l’ensemble de la mission « Défense », le programme 144 représente 4,5 % des crédits de paiement, une part restée constante par rapport à l’année 2008.

L’augmentation significative des crédits de rémunération présente un paradoxe apparent avec l’évolution prévisionnelle du plafond des effectifs autorisés qui perd 167 équivalents temps plein travaillés. Cette diminution du format du programme est en fait un solde négatif entre les créations d’emplois budgétées en faveur de la DGSE dans le cadre de la fonction « connaissance et anticipation » et les sorties plus nombreuses du programme, lesquelles correspondent aux personnels mis à la disposition des opérateurs de l’État et des écoles de la DGA sans impact budgétaire.

Hors titre 2, les crédits du programme connaissent, à périmètre identique, une augmentation de 11,7 % en autorisations d’engagement et de près de 5 % en crédits de paiement.

Le périmètre du programme 144 va connaître quelques évolutions par rapport à la gestion précédente. Celles-ci sont d’abord dues au transfert, à hauteur de 195 000 euros, des subventions aux publications de recherche stratégique depuis le programme 212 de la mission « Défense », en vue de regrouper au sein du programme 144 tous les budgets concernant les études prospectives et stratégiques. Elles sont également liées à la reprise de la partie bilatérale du programme du partenariat mondial du G8, dit « PMG8 », à hauteur de 1,7 million d’euros. Il s’agit d’un programme de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, et qui concerne en particulier l’assistance à la destruction de certains potentiels russes dans les domaines nucléaires, chimiques ou biologiques. La conduite de cette action, menée initialement par le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, a été transférée à la défense et au ministère des affaires étrangères et européennes, sous la coordination du Secrétariat général de la défense nationale (SGDN). Concrètement, la conduite budgétaire en sera assurée par le programme 144. Enfin, une dernière évolution est due au transfert du titre 2 vers le titre 3 de la masse salariale de quatorze personnes affectées à l’école Polytechnique, ce qui représente 500 000 euros de crédits de paiement. Le transfert à l’établissement des personnels militaires mis à sa disposition par le ministère est ainsi achevé.

L’ensemble de ces évolutions augmente le budget du programme de quelques millions d’euros sans modifier en profondeur la répartition et le volume des crédits par action.

Pour 2009, le programme portera ses efforts financiers sur les domaines jugés prioritaires, en cohérence avec les orientations du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et avec celles de la future loi de programmation militaire. Ainsi, le budget des études, celui des services de renseignement et celui des actions de soutien à l’exportation sont en augmentation par rapport au budget précédent.

Le budget du titre 3 est en hausse globale d’environ 24 millions d’euros pour 2009, soit 2,4 %. Cette augmentation bénéficie principalement aux études amont nucléaires – pour environ 17 millions d’euros –, aux écoles de la DGA – pour 8 millions d’euros – et au budget de fonctionnement de la DGSE, lié à la nouvelle fonction stratégique « connaissance et anticipation » – pour 4 millions d’euros.

Le budget du titre 5 est également en augmentation de 28 millions d’euros – soit 21 % – compte tenu de la montée en puissance de la fonction « connaissance et anticipation ».

Les subventions du titre 6 sont en augmentation de 7,3 millions d’euros, mais cette hausse est liée principalement – à hauteur de 5 millions d’euros – à une mesure technique de transfert d’une ligne du titre 3 vers le titre 6, correspondant à un regroupement des subventions destinées à la République de Djibouti, le montant global de cette subvention, soit 22,05 millions d’euros, restant inchangé.

Il est à noter qu’avec 1 061 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 949 millions d’euros en crédits de paiement, la part de l’agrégat LPM dans l’ensemble du programme 144 représente toujours l’essentiel des crédits du programme, c’est-à-dire 78 %, dont 661 millions d’euros pour les études amont – soit 55 % du programme ou 70 % de l’agrégat LPM. Au sein de cet agrégat, les crédits de paiement augmentent d’un peu plus de 4 % au bénéfice notamment de l’infrastructure et des investissements techniques de la DGSE ainsi que des études amont nucléaires, en augmentation respectivement de 8 millions d’euros et de 17 millions d’euros.

Dans ces conditions, avec une hausse globale des crédits de 57 millions d’euros à périmètre constant, les ressources du programme inscrites dans le PLF 2009 permettront d’atteindre les objectifs en application des orientations du Livre blanc.

Je vais maintenant vous présenter brièvement l’évolution de chacune des actions du programme.

L’action 01 « Analyse stratégique » voit son budget augmenter de 5,4 % à périmètre équivalent à 2008, ou de 10,8 % à périmètre courant, compte tenu de la prise en compte des subventions aux publications.

Le budget consacré aux études prospectives et stratégiques sera de 3,9 millions d’euros en crédits de paiement, soit une augmentation de 200 000 euros par rapport à 2008. Cette hausse correspond à un premier palier destiné à porter le montant de ces études à 5,5 millions d’euros par an d’ici à 2011, en application des orientations demandées par le ministre de la défense et de celles de la future loi de programmation militaire. Par ailleurs, la Délégation aux affaires stratégiques poursuivra la notification de marchés d’études triennaux sur des thématiques globales. Il subsistera donc en 2009 un écart entre le volume des autorisations d’engagement et celui des crédits de paiement. Entre quatre-vingts et quatre-vingt-dix études nouvelles seront engagées en 2009.

Les subventions aux publications stratégiques, inscrites pour la première fois dans le périmètre du programme 144, sont destinées à renforcer la visibilité de la pensée stratégique française. La Délégation aux affaires stratégiques assurera avec cette nouvelle dotation budgétaire de 195 000 euros, la diffusion des études prospectives et stratégiques – conventions de publication avec des éditeurs européens pour des publications anglophones ou francophones – ou le soutien des positions françaises – organisation d’événements informels, d’échanges de vues, de séminaires, animations de réseaux.

Les études opérationnelles et technico-opérationnelles qu’il est prévu d’engager en 2009 au titre de l’action 02 « Prospective des systèmes de forces » correspondent aux orientations qui ressortent du plan prospectif à trente ans. Le budget pour 2009 se situe dans la continuité de celui voté en loi de finances pour 2008.

L’expérience passée a fait apparaître un montant moyen de l’ordre de 200 000 à 300 000 euros par étude. Les estimations pour 2009 restent dans les mêmes ordres de grandeur. Parmi les objectifs visés figure la recherche d’une réduction des « micro-études » et un recentrage sur les études de plus grande ampleur.

L’action 03 « Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France » voit ses moyens s’accroître, hors titre 2, pour la deuxième année consécutive, que ce soit en autorisations d’engagement – avec une augmentation de 109,9 millions d’euros, soit près de 70 % – ou en crédits de paiement – en progression de 32 millions d’euros, soit 18,6 %. Ces moyens supplémentaires concernent la DGSE (sous-action 31) afin de mener les projets actuels de renforcement dans le domaine du renseignement – dépenses d’infrastructure et de matériels techniques, notamment – pour la fonction connaissance et anticipation. Le budget de fonctionnement est également en progression pour faire face à la hausse considérable des dépenses d’énergie dues à la mise en service de nouveaux matériels.

Les moyens alloués à la DPSD, retracés dans la sous-action 32, restent, quant à eux, stables.

Dans le cadre du PLF 2009, l’action 03 du programme est impactée par un renforcement substantiel de son titre 2, soit une hausse de 9,91 millions d’euros. La DGSE bénéficie essentiellement de cet effort budgétaire concrétisé par la création brute de soixante-dix postes réservés à des cadres et à des experts dans les domaines de haute technologie. Cette mesure phare découle directement de la volonté politique de renforcer les moyens des services de renseignement.

L’action 04 « Maîtrise des capacités technologiques et industrielles » – qui représente, rappelons-le, 78 % du programme hors titre 2 –, dispose de 994,7 millions d’euros d’autorisations d’engagement, en hausse de près de 3 % par rapport à 2008 ; parallèlement, ses crédits de paiement – 945,9 millions d’euros – s’accroissent de 2,6 %, contre 2 % l’année précédente. Cette augmentation pour la deuxième année consécutive traduit, d’une part, les efforts réalisés dans le domaine des études amont et, d’autre part, la volonté d’honorer les contrats ministériels d’objectifs et de moyens des grandes écoles d’ingénieurs de la DGA. Ces contrats ont fait l’objet d’un renouvellement récent pour la période 2007-2011.

Le montant des crédits alloués aux études amont – soit 709,4 millions d’euros en autorisations d’engagement et 660,1 millions d’euros en crédits de paiement – est en progression respectivement de 2,8 % et de 2,4 % par rapport à 2008, dans la continuité de l’objectif d’engagement de 700 millions d’euros assigné par le ministre. Cet objectif inclut notamment 13 millions d’euros destinés aux pôles de compétitivité. Ces crédits sont transférés vers le programme 192 « Recherche industrielle ».

Il convient de noter que pour 2009, les études amont du domaine nucléaire, qui représentent 77 millions d’euros, bénéficient de l’intégralité de la hausse du budget – environ 17 millions d’euros supplémentaires – afin d’assurer en particulier le maintien de compétences chez les industriels concernés par la dissuasion nucléaire. Les crédits consacrés aux autres études sont quasiment équivalents à ceux de 2007.

S’agissant enfin des subventions versées aux opérateurs de l’État relevant du programme, c’est-à-dire les écoles de la DGA et l’ONERA, les crédits inscrits au PLF sont en augmentation de 3,2 % par rapport à 2008. Cette croissance devrait permettre en 2009 de respecter les contrats d’objectifs et de moyens passés avec les écoles de la DGA – 140,3 millions d’euros incluant, je le rappelle, une mesure de transfert de la masse salariale de quatorze personnels de l’école Polytechnique pour 500 000 euros.

Le montant de la subvention destinée à l’ONERA, soit 120 millions d’euros, sera stable par rapport à 2008.

Avec un montant total de 7,7 millions d’euros pour 2009, l’action 05 « Soutien aux exportations » va bénéficier d’une hausse de 8,8 % de son budget. Bien que modeste par son montant – environ 600 000 euros –, celle-ci traduit concrètement la volonté de développer les actions de soutien aux exportations menées par la DGA.

L’essentiel de cette hausse, soit 500 000 euros, sera directement destiné à des actions visant à la promotion des exportations, qu’il s’agisse du déplacement des représentants de la direction du développement international – DDI – de DGA ou des dépenses pour les salons d’armement.

En matière d’effectif, il convient de noter le transfert vers la DDI de la fonction administrative du contrôle des transferts sensibles, jusqu’alors assurée par la DAS, avec pour corollaire le maintien au sein de cette dernière des attributions politico-administratives.

Comme je l’ai déjà annoncé, l’action 06 « Diplomatie de défense » connaît une légère augmentation par rapport à 2008 – 1,7 million d’euros, pour un montant total de près de 29 millions d’euros – suite à la reprise du volet bilatéral du programme PMG8 par le ministère de la défense et par le ministère des affaires étrangères et européennes. La gestion budgétaire est transférée de manière progressive, à partir de 2008 et jusqu’en 2010, du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’aménagement du territoire au ministère de la défense.

En matière d’effectif, le PLF 2009 consacre le démarrage d’un allégement des personnels opérant dans la diplomatie militaire bilatérale. Ce mouvement trouve son pendant dans la réduction du réseau des attachés d’armement, mais ne devrait pas nuire à la performance du dispositif, compte tenu des mesures d’accompagnement telles que la mutualisation des fonctions « armement » et « diplomatie de défense » sur certains postes, l’enrichissement de la préparation à l’emploi des cadres destinés à une affectation en poste permanent à l’étranger, etc.

À la demande du ministre, l’état-major des armées et la DGA conduisent, en liaison avec le ministère des affaires étrangères et européennes, une action visant à réduire le nombre des missions des postes permanents à l’étranger tout en poursuivant une politique de rationalisation des emprises. Cette rationalisation du réseau sera suivie au moyen d’un indicateur figurant dans le volet « performance » du projet annuel de performance.

S’agissant des évolutions, comme je l’avais annoncé lors de ma précédente audition, j’ai réuni en fin d’année 2007 le comité de pilotage et d’orientation politique du programme 144 dans le but de réfléchir au renforcement de son pilotage stratégique. Le nouveau dispositif de performance, qui vous est proposé à partir de l’exercice 2009, renforce de mon point de vue la cohérence entre les missions et les actions du programme et met en valeur ses objectifs les plus stratégiques.

Quels sont ces objectifs ? Le premier, « Renforcer une démarche prospective européenne en matière de sécurité et de défense en promouvant une démarche prospective commune », jusqu’alors limité aux seules études opérationnelles et technico-opérationnelles – EOTO –, est transformé en objectif transverse du programme couvrant l’ensemble des études conduites par le ministère : études amont et de recherche, EOTO, études prospectives et stratégiques – anciennement appelées EPMES.

Les objectifs n° 3 – « Développer les capacités technologiques et industrielles nécessaires aux systèmes d’équipement futur » – et n° 4 – « Veiller au maintien des capacités industrielles nécessaires à la défense » –, qui sont complémentaires, sont regroupés en un seul objectif, n° 3, intitulé « Développer les capacités scientifiques, technologiques et industrielles nécessaires à la défense ». Dans l’objectif n° 4 est transféré l’indicateur « Délai de traitement des dossiers d’exportation de matériels de guerre », actuellement défini pour étayer l’action 6 – « Diplomatie de défense » –, dont il ne constitue qu’un aspect. Les deux indicateurs relatifs à la promotion et au contrôle des exportations d’armement se trouvent désormais réunis au sein du même objectif n° 4 « Optimiser l’activité étatique de promotion et de contrôle de l’exportation dans le domaine de la défense ».

Jusqu’au PAP 2008, l’objectif correspondant à l’action « diplomatie de défense » ne couvrait qu’un de ses volets, le contrôle des transferts de biens et technologies sensibles. La finalité de l’action n° 6 étant de contribuer à la conduite de la diplomatie de défense, qui concourt au volet « Prévention » de la politique de défense de la France, un objectif n° 5 lié à son renforcement – libellé « Conforter et piloter la diplomatie de défense » – est introduit dans le projet annuel de performance.

Vous observerez que ces cinq objectifs stratégiques couvrent désormais la totalité du champ du programme 144, excepté la sous-action « sécurité extérieure », en raison d’impératifs de confidentialité. Ils s’appliquent aux éléments essentiels de sa conduite et concernent les actions les plus consommatrices de crédits comme celles qui présentent les enjeux de politique publique les plus importants.

Pour conclure, j’indiquerai quel est l’impact du Livre blanc sur le programme 144. Ce document met en exergue les grandes incertitudes et le haut degré d’imprévisibilité qui pèsent aujourd’hui et qui continueront à peser sur l’évolution de notre environnement international dans les quinze ans à venir. Un tel contexte peut conduire à des surprises, voire à des ruptures stratégiques. Il est donc apparu indispensable de mettre au premier plan une nouvelle fonction stratégique, qui n’existait pas en tant que telle dans le Livre blanc de 1994, et qui contribue à toutes les autres. La fonction « connaissance et anticipation » doit ainsi permettre aux décideurs – tant au niveau stratégique, c’est-à-dire au niveau du décideur politique et des états-majors, qu’au niveau des commandements militaires de théâtres d’opérations – de disposer, le plus en amont possible, d’éléments pour la prévision et l’action. Elle constitue par conséquent notre première ligne de défense.

Cette fonction, je le rappelle, couvre cinq domaines dans lesquels un effort majeur devra être conduit : le renseignement, la connaissance des zones d’opérations, l’action diplomatique, la démarche prospective et la maîtrise de l’information. Le programme 144 est directement concerné par quatre de ces cinq domaines, la maîtrise de l’information relevant d’autres programmes.

Le premier de ces domaines est donc le renseignement, pour lequel le Livre blanc présente, pour la première fois en France, un plan complet de réforme. Deux des quatre axes prioritaires sont directement supportés par l’action 03 « Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France », dont les moyens humains et financiers sont accrus au sein du programme 144. En ce qui concerne les ressources humaines, l’effort devra porter sur le recrutement et le déroulement des carrières. Quant aux moyens techniques, ils feront l’objet d’un effort spécifique. Il me semble par conséquent souhaitable qu’une concertation étroite soit établie entre le nouveau Conseil national du renseignement et le programme 144, support budgétaire et financier de deux services de renseignement.

La connaissance des zones d’opérations potentielles est le deuxième domaine de la fonction. Elle s’appuie, entre autres, sur la connaissance des aires culturelles, afin de mieux connaître les zones d’opérations potentielles. L’action 01 « Analyse stratégique » y contribue directement.

L’action diplomatique, troisième domaine de la fonction, s’appuie sur un réseau d’ambassades, de représentations multilatérales et de postes consulaires.

L’action 05 « Soutien aux exportations » du programme 144 et surtout l’action 06 « Diplomatie de défense » soutiennent cette priorité.

La démarche prospective, quatrième domaine de la fonction, permet, notamment par la détection de signaux précurseurs, d’anticiper les risques et les menaces, mais aussi les opportunités internationales pour les intérêts français et européens. L’action 01, mais aussi l’action 02 « Prospective des systèmes de forces » soutiennent directement cette démarche.

La connaissance et l’anticipation constituent un multiplicateur de forces, tant pour la sécurité de la population sur le territoire national que pour notre diplomatie et nos interventions extérieures. À cet égard, les orientations fixées par le Livre blanc confirment le rôle et la place du programme 144 dans la mission « Défense ». Comme le souligne la présentation stratégique du projet annuel de performance, les actions menées en son sein « orientent la politique du ministère » et « se situent en amont » de celles menées dans les programmes 178 et 146.

M. le président Guy Teissier. Vous nous aviez dit, à l’occasion de la présentation du budget pour 2008, que les services de renseignement éprouvaient des difficultés à recruter des agents. La DGSE, en particulier, doit en recruter près de 50 en 2009. Comment la situation a-t-elle évolué dans ce domaine ?

M. Michel Miraillet. Les difficultés de recrutement sont consubstantielles à l’activité et aux priorités des services. Il est bien évident que l’université française ne saurait former en un an 150 spécialistes de l’arabe, de l’ourdou ou du tadjik. De même, le marché de l’informatique est très sollicité, et les spécialistes de très haut niveau sont rares. Les services sont confrontés à la loi de l’offre et de la demande.

Des efforts sont cependant consentis. Vous avez fait allusion aux 140 contractuels titularisés au titre de la loi Durafour. L’objectif est de créer 690 équivalents temps pleins d’ici à 2013, sachant que 70 postes seront créés dès l’année 2009. Les services auront la possibilité de faire jouer la masse salariale pour moduler les rémunérations : ainsi, rien ne les empêche de consacrer trois ETP à un seul recrutement, afin de pouvoir offrir, par exemple à un informaticien de très grande valeur, une rémunération correspondant au marché. En tout état de cause, nous avons tenu à faire de ces recrutements une priorité du programme.

Globalement, les services de renseignement sont alignés sur leurs contrats d’objectifs. La DGSE et la DPSD connaissent un déficit de 24 postes sur 5 740, soit 0,4 %. C’est donc négligeable. Mais il est certain qu’en 2009, compte tenu de la spécificité des profils recherchés – ingénieurs, linguistes, informaticiens –, les gestionnaires de la DGSE seront toujours confrontés à la nécessité de recruter les bonnes personnes au bon prix. Celle-ci a toutefois engagé un effort pluriannuel en ce sens. Quant à la DPSD, elle devrait être en mesure d’opérer son recrutement avec un « repyramidage » limité à sept ou huit postes.

M. Yves Fromion. Nous avons évoqué les difficultés qu’éprouvent les services de renseignement à recruter du personnel capable de réaliser les traductions appropriées. Si j’entends bien vos propos, il est toujours possible de former les interprètes situés à l’arrière des zones de tension. Mais l’un des problèmes est le besoin d’interprètes opérationnels. En effet, seuls des personnels militaires peuvent assumer ces fonctions. Comment, dans ces conditions, trouver des personnes ayant une connaissance approfondie de la ou des langues utilisées ?

Ma deuxième question concerne la mission d’intelligence économique, dont le secrétaire général de la défense nationale nous a indiqué hier qu’elle était confiée à l’échelon local aux préfets de département. Connaissant la façon dont fonctionne une préfecture, on peut douter de l’efficacité d’une telle organisation. N’est-ce pas à la DPSD, si elle en avait les moyens, qu’il reviendrait de mener une telle action au niveau du département, à proximité des entreprises concernées, plutôt que de se contenter, comme elle le fait aujourd’hui, de la surveillance des personnels « à risque » – un travail dont je ne conteste toutefois pas l’utilité – ? Il relève sans doute de vos prérogatives de réfléchir à une meilleure façon d’organiser l’intelligence économique, qui, il faut le reconnaître, constitue aujourd’hui un point faible de notre dispositif.

S’agissant du contrôle des exportations d’armement, pourriez-vous dire un mot des modifications de structure décidées par le ministre ?

À la différence de ce qui se fait dans certains pays, aucun programme de recherche ou de développement n’est consacré à la protection de nos intérêts spatiaux – satellites, en particulier. Ne risquons-nous pas de découvrir, un jour, que nous sommes insuffisamment préparés en ce domaine ?

Enfin, ma dernière question concerne la diffusion des études que vous avez reprises en main avec beaucoup de rigueur. Cette diffusion a-t-elle acquis la dimension européenne vers laquelle elle devrait tendre ? Les études ne sont-elles pas excessivement « franco-françaises » ?

M. Michel Miraillet. Le recrutement des agents de la DGSE relève de la responsabilité du directeur général et de son directeur du personnel. Je ne doute pas que Pierre Brochand ou son successeur sauront apporter une réponse à votre question. En tant que responsable du programme, je ne suis pas sûr qu’il soit nécessaire que les linguistes, même opérationnels, soient des militaires. Cela reviendrait à se priver de recruter certains spécialistes. Mon sentiment est que nos critères de recrutement sont parfois un peu trop pointilleux, notamment du point de vue de la sécurité. Nécessité fait loi. Lorsque j’étais en poste en Israël, lors de la seconde Intifada, mes entretiens avec des responsables militaires ou de la sécurité m’ont appris qu’eux-mêmes avaient été obligés, pour les écoutes, de diminuer leur niveau d’exigence. Si on refuse que les personnels chargés de l’interception soient d’une origine ethnique proche de la langue, on réduit le choix disponible. Quoi qu’il en soit, la décision appartient au service concerné. Je n’ai pour ma part aucune solution à proposer, l’un des problèmes étant le peu de goût pour les langues manifesté par nos concitoyens. C’est déjà vrai du russe ou de l’allemand, alors que dire de l’ourdou ? Je suppose que moins d’une dizaine de spécialistes de cette langue sortent chaque année de l’Institut des langues orientales. Un autre problème est de pouvoir proposer une carrière aux personnes recrutées. Ces questions, qui ne sont pas neuves, sont au cœur des problèmes de formation rencontrés par le service.

M. le général de division Patrick Bazin. On ne ferme pas obligatoirement la porte au recrutement de linguistes civils sur certains théâtres – pour les employer dans les forces spéciales, par exemple. Ce qui me semble le plus difficile, c’est de prévoir le théâtre sur lequel on devra agir. En Afghanistan, on parvient à répondre aux besoins dans la durée. Mais comment savoir où il faudra intervenir demain et à quel type de linguiste il faudra avoir recours ? C’est beaucoup plus difficile, d’autant qu’il est parfois nécessaire de maîtriser des dialectes très focalisés. Cela oblige à recruter, sous diverses formes contractuelles, des personnes au niveau local, ce qui est difficile à anticiper.

M. Michel Miraillet. J’en viens à l’intelligence économique, qui n’est pas un domaine d’activité de la DAS – même si, naturellement, nous nous intéressons au suivi de l’industrie de défense. Le choix du corps préfectoral ne concerne que le rattachement. Il ne signifie pas que le préfet sera directement en charge de cette mission, mais qu’un spécialiste sera nommé auprès de lui. C’est le sens des mesures préconisées par Alain Juillet.

En ce qui concerne les exportations d’armement, le ministre a souhaité modifier l’architecture mise en place à partir de 1998 à l’initiative d’Alain Richard, qui avait souhaité une séparation stricte entre le contrôle et la promotion des exportations, auparavant exercés par la même entité, la direction des relations internationales de la DGA. Dans un premier temps, la DAS a donc été chargée du contrôle, lequel comprend deux aspects, la gestion administrative des demandes d’agrément et le contrôle politique.

En ce qui concerne les demandes d’agrément, il faut savoir que la CIEEMG – Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre – en étudie environ un millier chaque mois. Certaines proviennent de gros industriels, d’autres de toutes petites PME, qui en maîtrisent beaucoup moins les formes.

L’autre aspect est le contrôle d’opportunité, qui consiste à interdire la vente de tel équipement à certains pays.

Nous avons mis en place un système d’information interministériel de contrôle des exportations (SIEX), complété par un portail de dépôt en ligne (ENODIOS), désormais consolidés après de nombreuses difficultés. La dématérialisation des demandes d’agrément permet ainsi de réduire le délai de traitement : celui-ci, qui était de soixante-dix jours, atteint aujourd’hui un peu plus d’un mois. La réduction des délais est également permise par l’utilisation résolue du portail électronique par les très grands exportateurs. Ainsi, Thales envoie tous ses documents par voie informatique. Tout est traité automatiquement, si bien que pour les matériels non sensibles, le dossier est traité en moins de vingt jours.

La gestion de ce système va être transférée à la DDI, le service de la DGA qui s’occupe de la promotion de l’exportation. Cela représente un challenge pour cette dernière. La première étape de la mise en place de SIEX étant accomplie, il s’agit, pour ses services informatiques, de procéder à la modernisation et au « durcissement » du système. La DAS conserve cependant le contrôle de l’opportunité, ce qui implique de recueillir les avis des différentes directions techniques de la DGA. Depuis trois mois, nous travaillons sur cette question avec la DDI, et nous avons abouti à une architecture satisfaisante. La réforme n’est en tout cas pas de nature à inquiéter ceux qui s’interrogent sur l’atténuation éventuelle de ce que l’on pourrait comparer à la séparation entre comptables et ordonnateurs. L’ensemble des demandes continuera à être examiné par la DAS.

Cette réforme va dans le sens d’une dynamisation. Elle laisse à la DDI la possibilité de lancer des procédures rapides, et se fonde sur un dialogue permanent entre cette dernière et la DAS. Sous réserve que le service informatique de la DDI parvienne à améliorer le système SIEX, nous devrions au final être plus réactifs à l’égard des demandes de certains États ou de certains industriels.

En ce qui concerne les crédits de recherche relatifs à la protection des intérêts spatiaux, la commission du Livre blanc a rappelé certaines priorités, telles que la mise en place d’un radar en bande X ou la poursuite des travaux sur le démonstrateur « Spirale » en matière d’alerte avancée. Il ne m’appartient pas d’apprécier ce que vous trouverez dans le projet de loi de programmation, mais je ne pense pas que l’on puisse parler d’abandon en ce domaine. Certes, on peut toujours faire plus, et les industriels sont là en permanence pour le rappeler. Mais les travaux sur la dissuasion peuvent concerner cet aspect, notamment s’agissant des lanceurs.

La diffusion des études a naturellement un caractère européen. Ainsi, nous avons recours cette année à un opérateur britannique en poste à Bruxelles, Security Defense Agency, et nous avons noué des liens avec une maison de publications universitaires britannique de renom pour diffuser les études et bénéficier d’un accès direct aux grandes bibliothèques américaines et britanniques. Cela étant, toutes les études ne doivent pas être européennes. Vous avez cependant raison de souligner un côté « franco-français » dans ce domaine, certains instituts ayant tendance à vouloir accaparer la manne. Reste qu’il est parfaitement envisageable, à terme, de demander à l’International Institute for Strategic Studies ou au Stockholm International Peace Research Institute le soin de réaliser certaines études pour le compte du ministère de la défense.

M. Christian Ménard. J’aimerais savoir si des crédits spécifiques ont été affectés à la lutte contre la piraterie maritime. Les crédits concernant la DGSE, qui y participe, ont augmenté fortement, et c’est une bonne chose. Mais qu’en est-il des avions ou des hélicoptères de surveillance, du matériel de commando ? Un programme spécifique est-il prévu pour lutter contre la piraterie, notamment à Djibouti, en Somalie ou au Nigeria ?

M. le président Guy Teissier. M. Ménard rédige actuellement un rapport sur la piraterie maritime, d’où sa question.

M. Michel Miraillet. Je serai ravi de vous recevoir, monsieur le député, si vous souhaitez connaître la façon dont la DAS voit ces opérations de piraterie maritime, mais en termes de gestion budgétaire, tout cela relève du programme 178 et concerne l’état-major des armées. Des moyens ont certes été mobilisés pour assurer une présence supplémentaire, ou risquent de l’être dans le cadre de l’opération PESD en cours de préparation– qui devrait se traduire par la mise à disposition d’officiers français aux futurs OHQ et FHQ –, mais le programme 144 ne comprend à cet égard pas le moindre crédit particulier. En effet, si la piraterie existe depuis des siècles, le problème n’a pris une dimension nouvelle que depuis quelques mois. Cela étant, les services travaillent depuis longtemps sur ce sujet. La direction du renseignement militaire a ainsi une vision assez précise du nord de la côte somalienne.

M. Michel Voisin. Dans le cadre de la mise en musique du Livre blanc, le Président de la République a nommé un coordonnateur du renseignement pour faciliter la coopération entre les différents services. Comment votre département s’articule-t-il au sein de cette nouvelle organisation ?

Par ailleurs, quelle est l’activité de votre département en matière de cybercriminalité ?

M. Michel Miraillet. Ma direction est au service du ministère de la défense et de la Présidence de la République. Il va sans dire que nous fournirons toutes les études dont Bernard Bajolet pourrait avoir besoin. Nous lui transmettons déjà nos notes d’analyse de situations régionales – sur le Pakistan, par exemple. Bernard Bajolet est une vieille connaissance. C’est un diplomate d’un courage et d’une intelligence exceptionnels – il l’a montré en Irak, puis en Algérie. Nonobstant les difficultés liées à la création d’une nouvelle structure…

M. Michel Voisin. Ou les chevauchements.

M. Michel Miraillet. Peut-être, mais ce n’est pas à moi d’en juger.

Le programme 144 reste un programme de la mission défense, mais il est logique que je donne au coordonnateur du renseignement des indications sur la gestion de ce programme, notamment s’agissant de l’encadrement des services – DPSD, mais surtout DGSE –, de la montée en puissance de certains investissements, des coûts ou des besoins en personnels.

La DAS – comme d’ailleurs, la direction des affaires stratégiques du Quai d’Orsay et sa sous-direction de la sécurité – apportera donc un soutien sans réserve au coordonnateur.

J’en viens à la cyberdéfense, un domaine fondamental sur lequel nous ne sommes pas forcément bien armés d’un point de vue technique, mais qui fait l’objet d’une série d’études amont lancées en liaison étroite avec la DGA. Le souci de coordination en matière de cyberdéfense apparaît régulièrement dans le cadre des quarante-deux dialogues stratégiques que conduit la DAS avec d’autres pays – récemment, c’était le cas du Brésil. Francis Delon a dû vous le répéter ad nauseam : en la matière, il est d’une importance capitale de pouvoir s’appuyer sur des pays alliés. Cela concerne non seulement les États-Unis, mais aussi des pays hébergeant des nœuds de communications fondamentaux, comme Singapour. Ce sujet constitue donc un axe important du dialogue que nous avons avec ce pays. Cela étant, je ne suis pas un opérateur de la cyberdéfense. Je veille à ce que les services compétents – DGSE, direction centrale de la sécurité des systèmes d’information – soient dûment informés des requêtes présentées en la matière.

M. Christophe Guilloteau. Vous avez évoqué tout à l’heure les attachés de défense, notant que l’on avait, dans certains pays, tendance à réduire la voilure en ce domaine. Je sais que des modifications ont eu lieu dans certains pays d’Amérique du Sud, notamment au Brésil. Ne craigniez-vous pas qu’une telle évolution conduise à pénaliser nos exportations ?

M. Michel Miraillet. Au vu de mon expérience dans différentes ambassades, je ne pense pas que l’on puisse limiter le résultat des exportations d’armement au seul rôle d’un attaché de défense ou d’armement. C’est le produit du travail de toute une structure. Certes, les ambassades y contribuent, mais dans certains pays, de fait l’attaché de défense n’a pas accès au chef d’état-major ou au responsable des acquisitions. Un attaché de défense a une grande utilité en termes de suivi de la relation sur place. C’est un relais technique de soutien. Mais à Paris, la DDI ou des institutions plus élevées de la République exercent une action parfois déterminante sur ces dossiers.

Dans certains endroits, il faut bien convenir qu’il y a trop de personnels. Des attachés de défense sont nommés dans des pays qui ne présentent pas d’intérêt particulier. Dans d’autres cas – notamment s’agissant des pays européens –, il revient moins cher d’envoyer quelqu’un ponctuellement que de payer à l’année un attaché de défense. Les coûts de structure sont considérables, et c’est pourquoi nous essayons de les réduire.

Cette réduction donnera lieu à un exercice de mixité dont il sera intéressant d’évaluer les résultats. En effet, les fonctions d’attaché de défense seront exercées par des ingénieurs de l’armement comme par des officiers des armes. Certains ont un vrai goût pour l’international et se montrent compétents dans cette activité.

Quoi qu’il en soit, une telle réduction ne se fait pas de façon isolée, mais dans le contexte d’une ambassade, avec un chef de poste à qui il est rappelé au minimum trois à quatre fois par an qu’une de ses fonctions principales est le soutien aux exportations d’armement.

M. Christophe Guilloteau. Beau langage diplomatique !

M. Michel Miraillet. On ne se refait pas…

M. le président Guy Teissier. Je vous remercie, monsieur Miraillet, de vous être prêté à cet exercice.

——fpfp——

II. —  AUDITION DE M. FRANCIS DELON, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA DÉFENSE NATIONALE

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu M. Francis Delon, secrétaire général de la défense nationale, sur le projet de loi de finances pour 2009 (n° 1127), au cours de sa réunion du mardi 7 octobre 2008.

M. le président Guy Teissier. Nous accueillons, dans le cadre de nos auditions budgétaires, M. Francis Delon, secrétaire général de la défense nationale. Vous nous détaillerez, si vous le voulez bien, les crédits dont vous disposerez en 2009, mais il serait également souhaitable que vous nous présentiez la réorganisation du Secrétariat général de la défense nationale (SGDN), préconisée par le Livre blanc à l’élaboration duquel vous avez activement participé.

Nous savons l’importance du renseignement pour notre défense. La création d’un coordonnateur national dans ce domaine et de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information devrait améliorer notre système global, de même que la fusion de certains services. Je voudrais que vous nous indiquiez où en est la mise en œuvre de la réforme, qui dépend bien évidemment de l’institution du futur conseil de défense et de sécurité nationale, dont nous devrions débattre lors de la prochaine loi de programmation.

M. Francis Delon, secrétaire général de la défense nationale. Pour répondre à votre demande, monsieur le président, je me concentrerai sur les éléments qui résultent du Livre blanc en matière d’organisation institutionnelle.

Je commencerai par rappeler le cadre institutionnel renouvelé dans lequel le SGDN, instance de coordination interministérielle en matière de défense et de sécurité nationale, va désormais exercer les missions qui lui sont confiées par les plus hautes autorités de l’État.

Face aux évolutions intervenues depuis la publication du Livre blanc sur la défense en 1994, le nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a dressé une analyse stratégique pour les quinze ans à venir et en a tiré les conséquences pour l’élaboration d’une nouvelle politique de défense et de sécurité. Innovation majeure par rapport aux précédents Livres blancs sur la défense, la nouvelle doctrine française prend en compte de façon globale nos intérêts de sécurité, sans les limiter aux questions militaires. Le Livre blanc définit une stratégie de sécurité nationale qui apporte des réponses à « l’ensemble des risques et des menaces susceptibles de porter atteinte à la vie de la nation ». La sécurité nationale devient un objectif majeur des politiques publiques – politique de défense, mais aussi politique de sécurité intérieure, politique étrangère, politique économique ou politique sanitaire. Toutes ces politiques contribuent directement à la sécurité nationale.

Nous sommes désormais entrés dans la phase de mise en œuvre de la stratégie de sécurité nationale et de création de nouvelles structures de coordination.

La prise en compte du caractère fédérateur de la stratégie de sécurité nationale va, nous l’espérons, se traduire par une importante réorganisation des pouvoirs publics et par une mise en place de structures de pilotage modernisées et plus efficaces.

Parallèlement, le renforcement du rôle du Parlement est un point central de cette réforme. L’adhésion de la nation à la stratégie de sécurité nationale constitue une des priorités de la nouvelle doctrine française. Elle trouvera sa traduction la plus immédiate dans l’association des élus du peuple aux décisions de l’exécutif en matière de politique de défense et de sécurité, notamment pour ce qui concerne l’intervention des forces françaises dans les opérations extérieures et l’évolution des accords de défense. Le débat du 22 septembre dernier sur l’Afghanistan a montré à la fois sa nécessité et la volonté du Président de la République et du Premier ministre de donner à ce principe une application immédiate.

Un conseil de défense et de sécurité nationale, le CDSN, sera institué afin de tirer les conséquences d’une stratégie qui fait de la sécurité nationale un objectif majeur de l’action publique. Ce conseil, qui sera présidé par le chef de l’État, se substituera au conseil de défense et au conseil de défense restreint et, pour partie, au conseil de sécurité intérieure créé en 2002. Ses compétences porteront sur l’ensemble des questions de défense et de sécurité nationale. Il traitera donc de sujets tels que la programmation militaire, la politique de dissuasion, la programmation de sécurité intérieure, la sécurité économique et énergétique, la lutte contre le terrorisme ou la planification des réponses aux crises majeures.

Cette nouvelle structure de coordination sera appuyée par un conseil consultatif. Composé d’experts indépendants nommés par le chef de l’État, ce conseil aura pour mission de fournir au Président de la République des éléments diversifiés d’appréciation et d’éclairage.

Le conseil de défense et de sécurité nationale pourra se réunir en formations spécialisées, comme le conseil national du renseignement, ou en formation restreinte pour des questions touchant par exemple à la conduite des opérations extérieures.

Le conseil national du renseignement (CNR), présidé lui aussi par le Président de la République, se substituera à l’actuel comité interministériel du renseignement (CIR), présidé par le Premier ministre, et aura des fonctions plus larges que ce comité. Il fixera les grandes orientations et répartira les objectifs assignés aux services de renseignement. Il réunira les membres du CDSN ainsi que le coordonnateur national du renseignement nommé à la présidence de la République, les directeurs des services de renseignement et le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. Le coordonnateur national du renseignement, point d’entrée des services de renseignement auprès du Président de la République, est chargé de veiller à la planification des objectifs et des moyens du renseignement. Il prépare les décisions du CNR et en suit l’exécution. Il joue également, dans certains cas, un rôle d’arbitrage entre les propositions qui peuvent être faites par les services. Cette volonté de piloter et de coordonner les activités de renseignement au plus haut niveau de l’État illustre très concrètement l’importance accordée à la nouvelle fonction stratégique « connaissance et anticipation », mise en évidence par le Livre blanc.

Le secrétariat de tous ces conseils – CDSN en formation plénière, conseils restreints et conseils spécialisés, y compris le CNR – sera assuré par le SGDN, qui deviendra le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, ou SGDSN.

Document de doctrine gouvernementale, le Livre blanc doit maintenant être concrétisé dans l’ensemble des politiques publiques qui contribuent à la sécurité nationale, en premier lieu dans les politiques de défense et de sécurité intérieure.

Certaines mesures ont déjà été mises en œuvre, comme la nomination d’un coordonnateur national du renseignement à la présidence de la République ou la création de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), qui a regroupé la direction de la surveillance du territoire (DST) et les renseignements généraux.

Les orientations définies par le Livre blanc se traduiront dès la fin de l’année par des adaptations législatives et réglementaires. Les premières traductions législatives interviendront dans la loi de programmation militaire pour la période 2009-2014 et dans la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI, qui sera également présentée au Parlement. Ce dernier – et votre commission en particulier – sera prochainement saisi de ces deux textes.

La cohérence entre le Livre blanc et la loi de programmation militaire est naturellement un souci majeur du Président de la République et du Premier ministre. La loi de programmation militaire devrait en particulier créer le CDSN ainsi que le CNR. Elle devrait également modifier certaines des dispositions relatives aux pouvoirs publics issues de l’ordonnance du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense, afin que les nouvelles priorités en matière de sécurité nationale et les différentes politiques publiques qui y concourent soient intégrées dans les textes. Elle devrait introduire dans le code de la défense une définition de la sécurité nationale et préciser les attributions des ministres en la matière. C’est un premier pas, qui devra être suivi de l’adoption d’autres textes, y compris de niveau législatif.

J’en viens maintenant à l’impact des réformes sur le SGDN.

La stratégie de sécurité nationale doit aussi être un facteur de convergence et de cohérence des politiques, deux impératifs qui vont motiver et orienter l’évolution des moyens dont disposent les plus hautes autorités de l’État. Le SGDN est clairement reconnu et affirmé comme l’un de ces moyens. Sa position centrale, au profit d’un Conseil de défense et de sécurité nationale aux compétences accrues par rapport à celles de ses prédécesseurs, entraîne de facto un élargissement des champs qui y sont traités.

Deux décrets devraient être pris rapidement à cet effet après la promulgation de la loi de programmation militaire. L’un devrait fixer les compétences, la composition et le fonctionnement du CDSN ainsi que ceux de ses formations spécialisées. L’autre devrait porter sur les attributions du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. Simultanément, le SGDN devrait devenir, je le rappelle, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, ou SGDSN. Toujours placé auprès du Premier ministre et travaillant en étroite liaison avec la présidence de la République, le SGDSN aura pour première responsabilité d’assurer, comme je l’ai indiqué, le secrétariat des conseils, et au premier chef celui du CDSN dans toutes ses formations. Il animera le dialogue interministériel et devra présenter au chef de l’État et au Premier ministre des dossiers argumentés, comprenant des options différenciées découlant des points de vue qui auront pu s’exprimer au cours de la procédure de préparation.

Le SGDSN appuiera l’action du coordonnateur national du renseignement et animera des groupes de travail interservices et interministériels, permanents ou ad hoc, sur des sujets définis en fonction des priorités arrêtées par le CNR.

Il coordonnera aussi l’élaboration des plans gouvernementaux, qui seront prescrits par le CDSN et approuvés par le Premier ministre. Il s’assurera de la mise en œuvre par les ministères des mesures concourant à la stratégie de sécurité nationale, par exemple la préparation aux crises majeures.

L’architecture interne du futur SGDSN sera construite autour de deux grandes directions : l’actuelle direction de la protection et de la sécurité de l’État, qui continuera de traiter les questions de planification et celles de protection des informations classifiées, et une nouvelle direction des affaires internationales, scientifiques et technologiques, regroupant deux anciennes directions.

Le secrétariat permanent du CIR sera supprimé puisque ce comité va disparaître, et remplacé par une cellule d’appui dédiée au CNR, placée sous mon contrôle direct.

La cellule du haut responsable chargé de l’intelligence économique poursuivra ses activités actuelles. La direction jusqu’à présent chargée de l’administration générale sera transformée en un service d’administration générale. Enfin, le SGDSN assurera la tutelle de la future Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, sur laquelle je reviendrai dans quelques instants.

Tel est le cadre de la réorganisation interne du SGDN, inscrite dans le mouvement de réforme de l’État décidé par le Président de la République et le Premier ministre. Elle s’appuie déjà sur des décisions prises voici une quinzaine de jours en Conseil des ministres. Cette réorganisation devrait être parachevée au tout début de l’année prochaine.

Le Livre blanc a mis en lumière l’importance d’une menace nouvelle : la cyber-menace. Cette nouvelle priorité concerne directement le SGDN et des réformes sont actuellement en cours de préparation dans le but de mieux faire face à cette menace.

Je rappelle que l’essor de l’Internet a bouleversé les modes de communication et d’accès à la connaissance. De 16 millions en 1996, le nombre d’utilisateurs de l’Internet est passé à 1,1 milliard en 2006. Comme le rappelle le récent rapport du sénateur Roger Romani, l’Internet est porteur aussi d’un certain nombre de risques qu’il est de la responsabilité de l’État de prendre en compte. Les réseaux, notamment le réseau Internet, s’insèrent chaque jour de plus en plus dans nos sociétés et nous rendent de plus en plus dépendants. La résilience des réseaux va devenir une condition essentielle du maintien de nos modes de vie. En parallèle se développent à grande vitesse de nouvelles formes de criminalité que les États ne peuvent laisser prospérer sans manquer à leurs devoirs essentiels.

Une attaque de grande ampleur des systèmes informatiques pourrait provoquer des paralysies et une déstabilisation similaires aux effets d’une agression classique. Les attaques informatiques massives menées contre l’Estonie en avril 2007 ont illustré, à une échelle réduite mais significative – celle d’un État –, ce qu’il est possible de faire dans ce domaine pour désorganiser un pays. Une faille sensible sur le réseau des noms de domaine de l’Internet a été rendue publique en juillet dernier après que les parades eurent été préparées en secret par les grands groupes de l’Internet. Ce travail de préparation a permis d’éviter la catastrophe que nous aurions risquée si cette faille avait pu être exploitée.

En matière de défense et de sécurité, la maîtrise et la protection de l’information sont désormais de véritables facteurs de puissance. La guerre informatique est devenue une réalité. Des attaques peuvent provenir d’individus qui se réunissent en communautés ou de groupes organisés ; le fait que certains États se dotent ouvertement d’une stratégie de lutte informatique nous impose d’être très vigilants. Les champs de ces agressions immatérielles sont vastes, allant de la délinquance au terrorisme informatique, en passant par l’espionnage économique et les opérations militaires menées dans le cyberespace.

Face à des menaces nombreuses et insidieuses, l’État joue un rôle essentiel. Il lui appartient de garantir la continuité du fonctionnement des institutions et des infrastructures vitales pour les activités socio-économiques du pays ainsi que pour la protection des entreprises et des citoyens. Il doit pour cela concevoir et mettre en place des outils de protection toujours plus efficaces et adaptés aux vulnérabilités nouvelles.

Le Livre blanc a souligné la nécessité de doter notre pays d’une capacité de défense informatique active, capable de détecter et de contrer les attaques les plus subtiles comme les plus massives. Face à ce risque, il a identifié une série de mesures, dont la création d’une capacité de détection précoce des attaques informatiques, le recours accru à des produits et à des réseaux de sécurité de haut niveau et la mise en place d’un réservoir de compétences au profit des administrations et des opérateurs d’infrastructures vitales – c’est-à-dire toutes les grandes structures qui jouent un rôle fondamental pour le fonctionnement de l’État et de la nation. Ces missions seront confiées à la nouvelle Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, qui englobera l’actuelle direction centrale de la sécurité des systèmes d’information. Cette agence, dont l’autonomie se manifestera dans son statut de service à compétence nationale, sera placée sous la tutelle du SGDSN. Elle aura pour missions principales de prévenir la menace et de détecter et réagir au plus tôt en cas d’attaque informatique. À cette fin, elle mettra en œuvre un centre de détection chargé de la surveillance permanente des réseaux sensibles et de la mise en œuvre de mécanismes de défense adaptés, Elle développera des produits de très haute sécurité ainsi que des produits et services de confiance pour les administrations et les entreprises. Elle s’attachera également à améliorer la prise en compte de la sécurité par les opérateurs de communication électronique, en particulier ceux de l’Internet, qui sera considéré comme une infrastructure vitale. La résilience des réseaux va devenir une condition essentielle des fonctions vitales de nos sociétés, et même de notre vie quotidienne.

L’Agence jouera également un rôle de conseil et de soutien aux administrations et au secteur privé, en particulier aux opérateurs d’importance vitale.

Enfin, elle informera régulièrement le public sur les menaces. Conformément aux recommandations énoncées par le député Pierre Lasbordes en 2006 dans son rapport sur la sécurité des systèmes d’informations, un portail Internet a déjà été mis à la disposition des particuliers et des entreprises pour les sensibiliser aux enjeux et les initier aux pratiques de la sécurité informatique. Il sera développé pour devenir le portail Internet de référence en matière de sécurité des systèmes d’information.

Dans le domaine de la cyber-sécurité, il est illusoire d’imaginer pouvoir travailler uniquement au niveau national, car on se situe là dans un espace qui dépasse les frontières. C’est la raison pour laquelle notre stratégie repose sur deux principes : le développement de coopérations étroites avec nos principaux partenaires, notamment dans le domaine de la défense contre les attaques informatiques, et la mise en place d’une politique de sécurité des réseaux de communication à l’échelle européenne.

Les parlementaires qui se sont intéressés à cette question, notamment les députés Pierre Lasbordes, Bernard Carayon et le sénateur Roger Romani, n’ont pas manqué de souligner la nécessité d’un effort significatif dans ce domaine afin de revenir au niveau de nos principaux partenaires. Je me contenterai d’indiquer que, si la direction centrale de la sécurité des systèmes d’information, qui dépend du SGDN, compte actuellement 122 collaborateurs, ses homologues britannique ou allemand emploient chacun 500 personnes.

Tels sont le cadre et les orientations fixés au futur SGDSN pour les missions qu’il aura à remplir dans les mois et les années à venir.

M. le président Guy Teissier. Nous avons bien noté que la nouvelle appellation de SGDSN est en parfaite cohérence avec les intentions du Livre blanc, qui reposent sur le rapprochement entre défense et sécurité. Ne serait-il pas logique de faire évoluer le périmètre de la loi de programmation militaire que nous attendons – d’ici à la fin de l’année, selon le ministre –, voire sa dénomination, pour en faire par exemple la « loi de programmation militaire de sécurité » ?

M. Francis Delon. En approuvant les orientations du Livre blanc, notamment en matière de sécurité nationale, le Président de la République a fait le choix de la cohérence de l’ensemble des politiques publiques de défense et de sécurité, sans pour autant aller jusqu’à bouleverser les compétences ministérielles. Ainsi, sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre, le ministre de la défense reste responsable de la politique de la défense, comme le ministre de l’intérieur reste responsable de la sécurité intérieure et le ministre des affaires étrangères reste responsable de la politique étrangère. Il n’est donc pas anormal que les moyens des politiques relevant de ces différents ministres se traduisent par des textes propres à ceux-ci. Nous aurons donc, comme par le passé, une loi de programmation militaire et une LOPPSI.

Ce qui a déjà changé, en revanche, c’est le mode d’élaboration de ces textes, désormais beaucoup plus interministériel. Pour avoir été vous-même, Monsieur le Président, un acteur très important de la préparation du Livre blanc, vous avez vu que celle-ci s’est déroulée dans un cadre interministériel et que le Parlement y a été associé, ainsi que de nombreuses personnalités qualifiées. Selon le même processus, la loi de programmation militaire, qui sera présentée par le ministre de la défense, fait l’objet, depuis déjà plusieurs semaines, d’intenses discussions interministérielles, non seulement avec le ministère du budget, mais aussi avec plusieurs autres ministères, comme ceux de l’intérieur et des affaires étrangères.

En outre, le CDSN a vocation à examiner tant la loi de programmation militaire que la LOPPSI, ce qui contribuera à la cohérence de ces textes. En tout état de cause, je vous confirme que les logiques qui prévalent sont encore des logiques de périmètre ministériel.

M. Michel Voisin. Vous avez évoqué le coordonnateur du renseignement et la place de plus en plus importante que va prendre votre secrétariat dans cette coordination. Pouvez-vous nous donner une idée de l’impact de la révision générale des politiques publiques sur l’évolution des effectifs des différents services de renseignement et de votre secrétariat ?

M. Philippe Folliot. La création du SGDSN est parfaitement cohérente avec le Livre blanc et avec la notion de continuum entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure. L’interface entre défense et sécurité a longtemps été incarnée par la gendarmerie nationale, du fait de son caractère militaire et de la mission que lui assignent les textes, notamment en matière de défense opérationnelle du territoire. Le caractère désormais ministériel, et non plus interministériel, de la mission Sécurité en termes budgétaires et la perspective du rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur pourraient-ils remettre en cause le rôle de la gendarmerie nationale ?

M. Francis Delon. S’agissant des effectifs des services de renseignements, le Livre blanc appelle au développement de nos capacités en matière de connaissance et d’anticipation. Il est donc très probable que la loi de programmation militaire propose au Parlement un accroissement des moyens des services relevant du ministère de la défense, notamment ceux de la DGSE.

Pour le ministère de l’intérieur, la situation est un peu plus complexe, du fait de la création de la DCRI, qui regroupe les renseignements généraux et la DST. Les effectifs de la nouvelle structure sont inférieurs à ceux de ces deux services cumulés.

Quant au SGDSN, les décisions déjà prises, approuvées par le Premier ministre et par le Président de la République, et celles qui suivront, visent à réduire sa taille, notamment à concentrer les structures. Comme je l’ai déjà indiqué, le SGDSN comptera deux directions, contre cinq précédemment au SGDN. À défaut donc de chiffres précis – car la réforme n’est pas achevée –, je puis au moins vous indiquer que les effectifs seront très sensiblement réduits, du fait notamment que la direction centrale de la sécurité des systèmes d’information quittera le SGDN pour se constituer en agence, et que la réforme de structure se traduira directement par des économies. À titre d’exemple, la montée en puissance de la nouvelle Agence de la sécurité des systèmes d’information se fera, au moins la première année, sur les ressources propres du SGDN, par redéploiement d’effectifs actuellement employés à d’autres tâches.

Il n’y aura pas de modification fondamentale de la situation de la gendarmerie. Celle-ci, qui joue un rôle fondamental sur le territoire national, conservera son caractère militaire après son rattachement au ministère de l’intérieur et continuera à faire le lien entre les activités de sécurité, qui seront désormais beaucoup plus marquées par ce rattachement, et les activités de défense. Étant composée de militaires, elle pourra être utilisée dans des opérations militaires, que ce soit à l’étranger ou pour la protection du territoire en cas de crise majeure.

M. Yves Fromion. Tout d’abord, quel sera le rôle du SGDSN dans le contrôle des exportations, compte tenu de la réforme des rôles respectifs de la DGA et de la DAS ?

En deuxième lieu, la France s’intéresse essentiellement aux aspects logiciels de la cyberdéfense, mais, à la différence d’autres pays, elle ne se préoccupe guère de la protection de son dispositif satellitaire, qui est pourtant important pour le maintien de nos infrastructures essentielles. Ne serait-il pas utile d’aborder cette question, qui n’est pas évoquée dans le Livre blanc ?

En troisième lieu, les liaisons transversales très fortes entretenues par nos services de renseignement avec des services étrangers – notamment européens, mais aussi américains – se retrouveront-t-elles aux différents échelons de vos responsabilités et de celles de M. Bernard Bajolet, coordonnateur du renseignement ?

Enfin, comment seront gérés les crédits qui relèvent aujourd’hui du CIR ?

M. Philippe Vitel. Quelle est la place de la cellule d’intelligence économique, en termes hiérarchiques et opérationnels ? Ses effectifs sont-ils toujours limités à 80 agents ?

M. Jean Michel. Alors qu’il m’avait paru que le Livre blanc et la future loi de programmation militaire devaient s’accompagner d’un effort particulier en matière de renseignement, la pensée de M. le secrétaire général semble pouvoir se résumer ainsi : faire mieux avec moins. Malgré les restructurations, fusions et regroupements opérés – qui, d’ailleurs, sont peut-être plus efficaces –, nous n’avons pas la même culture que les pays anglo-saxons, où les meilleurs étudiants sont orientés vers le renseignement. Une politique dynamique de recrutement à haut niveau supposerait notamment un financement approprié.

Dans un rapport que nous avons consacré au contrôle des investissements étrangers en France, M. Bernard Deflesselles et moi-même avons observé qu’il n’existait pas de structure de veille, notamment au niveau des départements. La semaine dernière encore, visitant avec Jacques Fournet une entreprise très spécialisée travaillant pour les plus grands constructeurs aériens, nous constations qu’elle ne prenait aucune mesure particulière de protection – même si certains grands groupes en prennent. Quels efforts entendons-nous faire, et sommes-nous prêts à suivre l’exemple des Britanniques ou des Allemands, que vous citiez ?

Enfin, face au projet Echelon, qui réunit les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande pour la collecte et l’échange d’informations stratégiques, notamment pour les entreprises, on voit bien les difficultés qu’éprouve l’Europe dans le domaine du partage de l’information.

M. Francis Delon. Pour ce qui est du contrôle des exportations, le SGDSN reste chargé de la coordination interministérielle et assure, par délégation du Premier ministre, la présidence de la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre – la CIEEMG. En revanche, grâce notamment aux efforts auxquels vous avez vous-même participé, M. Fromion, les procédures ont été améliorées, les délais raccourcis, et une réorganisation a été engagée au sein du ministère de la défense. En particulier, celui-ci recourt désormais davantage à des autorisations globales, qui permettent de concentrer les efforts sur les vraies difficultés et de traiter plus vite les demandes qui ne posent pas de problème. Il ne s’agit pas pour autant pour la France d’être moins vigilante en matière de contrôle politique des exportations d’armes. Nos exigences en ce domaine restent à un niveau très élevé.

La protection des satellites ne fait pas, jusqu’à présent, l’objet de mesures particulières. D’importants efforts ont cependant été réalisés pour renforcer la protection des réseaux terrestres. Ainsi, l’État dispose déjà du réseau sécurisé ISIS, qui permet à tous les ministères d’échanger des communications électroniques dans le cadre d’un grand intranet sécurisé au niveau confidentiel défense – ce qui est bien différent de l’Internet, où, pour recourir à une métaphore, les messages sont aussi peu protégés que sur une carte postale sans enveloppe. Ce système, actuellement développé à Paris, a vocation à s’étendre à l’ensemble du territoire national.

Pour ce qui est des aspects européens et internationaux de la coordination du renseignement, les contacts internationaux que le coordonnateur du renseignement entretient à son niveau stratégique ne font pas double emploi avec ceux que les services ont, au quotidien, dans l’action opérationnelle. Il va de soi, par ailleurs, que le coordonnateur et le SGDN doivent également coordonner leurs actions en ce domaine.

Quant aux crédits du CIR, c’est une question à laquelle nous travaillons.

L’intelligence économique continue de relever du haut responsable chargé de l’intelligence économique, rattaché au secrétaire général. Cette activité n’occupe pas 80 personnes, mais plutôt une dizaine. Au demeurant, cette cellule a pour vocation d’animer les politiques publiques – c'est-à-dire non de faire, mais de faire faire – et il revient aux ministères et aux entreprises de prendre le relais dans leurs différents domaines. Le dispositif ne change donc pas.

Vous observez à juste titre, monsieur Michel, que l’intelligence économique ne se situe pas seulement au niveau parisien, mais aussi au niveau territorial. Même si la situation peut varier d’un département à l’autre, les préfets ont tous été sensibilisés à cette question et d’importants efforts ont été accomplis, notamment dans les pôles de compétitivité, pour les raisons mêmes que vous indiquiez. Le savoir-faire des entreprises doit être valorisé, et non pas perdu à cause de fuites.

Quant à faire mieux avec moins, ce doit être un objectif constant ! Cependant le renseignement disposera de moyens humains et d’investissements supplémentaires, et nous ferons plus également dans le domaine de la sécurité des systèmes d’information. L’Agence nationale qui sera créée ne doit pas se limiter au regroupement des capacités existantes. D’autres moyens doivent lui être données pour qu’elle atteigne le niveau de nos partenaires européens, notamment de l’Allemagne et du Royaume-Uni. Nous essayons de faire mieux avec moins, mais, quand il faut faire plus, nous le faisons.

M. Michel Voisin, remplaçant M. le président Guy Teissier. Les assemblées parlementaires de l’OTAN et de l’OSCE ont longuement évoqué la cybercriminalité et adopté des résolutions afin d’inviter les États membres de ces organisations à coopérer. Pouvez-vous nous donner, pour conclure, quelques éléments à ce propos ?

M. Francis Delon. Face à la cybercriminalité – comme d’ailleurs à toutes les menaces qui pèsent sur les systèmes d’information –, la coopération est indispensable. Avant même la création de l’Agence, le SGDN a déjà noué ou est en train de nouer des accords de coopération avec des pays comme Singapour ou la Corée. Nous disposons d’un dispositif de veille sur Internet, avec des personnes qui travaillent 24 heures sur 24. Il ne s’agit pas d’examiner le contenu des communications, mais de s’assurer qu’aucune anomalie, comme un virus ou une attaque informatique, ne se produit. Nous avons ainsi contribué, en 2007, à repérer la défiguration de plus de 4 000 sites et à y porter remède en fonction de la nature de la défiguration et des sites visés. De fait, si un site est mal protégé, il est facile d’en prendre le contrôle et de modifier l’image qu’il donne.

Plus largement, dans la course de vitesse engagée entre la propagation de nouveaux virus et la protection contre ceux-ci, une connaissance précise de ce qui se passe dans le monde est indispensable, car, lorsqu’un État est attaqué, il est très probable qu’un autre le sera dans les heures qui suivent. Cette coopération, qui se déroule jour et nuit – en jouant parfois tout simplement sur le décalage horaire –, permet d’aller de l’avant.

L’important effort d’investissement réalisé par l’OTAN en soutenant la création d’un centre d’excellence en Estonie dédié à la cybersécurité en témoigne. De tels exemples de coopération se multiplieront probablement dans les années à venir.

M. Michel Voisin, président. Monsieur le secrétaire général, je vous remercie. Nous aurons sans doute l’occasion de nous revoir lors de l’examen par notre commission du projet de loi de programmation militaire.

——fpfp——

III. —  EXAMEN DES CRÉDITS

La commission a examiné pour avis, sur le rapport de M. Yves Fromion, les crédits de la Mission « Défense » : « Environnement et prospective de la politique de défense » pour 2009, au cours de sa réunion du mardi 28 octobre 2008.

Un débat a suivi l’exposé du rapporteur pour avis.

M. Damien Meslot. Quel est le rang européen de la France en matière de renseignement, sachant que si la création de 51 emplois est prévue en 2009 au profit de la DGSE, les effectifs des services britanniques semblent sensiblement plus nombreux ?

M. Yves Fromion, rapporteur pour avis. Il n’est pas aisé d’opérer des comparaisons, car l’efficacité ne se résume pas aux effectifs. L’organisation des services et les manières d’opérer sont différentes, ce qui n’est pas sans incidences sur les résultats. Cela étant, les Britanniques disposent d’une avance certaine en termes de moyens, notamment dans le domaine des écoutes. La coopération étroite avec les États-Unis leur donne de surcroît accès à des capacités considérables. Globalement, la France reste compétitive dans le domaine du renseignement et il convient de saluer la grande compétence des personnels de nos services.

M. le Président Guy Teissier. La qualité compense l’infériorité numérique.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission de la défense a donné un avis favorable au programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ».

*

La commission de la défense a donné un avis favorable à l’adoption des crédits de la Mission « Défense ».

——fpfp——

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

– MM. François Collet-Billon, délégué général pour l’armement, et Patrick Auroy, adjoint au délégué, directeur des systèmes de forces et des stratégies industrielle, technologique et de coopération, le mardi 23 septembre ;

– M. Michel Miraillet, directeur de la délégation aux affaires stratégiques, et M. le général de division Patrick Bazin, directeur adjoint, le mardi 7 octobre ;

– M. Daniel Verwaerde, directeur des applications militaires du CEA, le mercredi 8 octobre ;

– M. Yannick d’Escatha, président du CNES, le mercredi 15 octobre ;

– M. Denis Maugars, président-directeur général de l’ONERA, le jeudi 16 octobre ;

– M. Erard Corbin de Mangoux, directeur général de la sécurité extérieure, le mardi 29 octobre ;

– M. le général de corps d’armée Benoît Puga, directeur du renseignement militaire, le mercredi 30 octobre.

© Assemblée nationale

1 () Le budget du Kommando Stratgische Aufklärung (KSA) n’est pas disponible.

2 () On se réfèrera au précédent avis du rapporteur pour une description détaillée de l’évolution des agrégats recherche (n° 280, tome II).