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Compte rendu

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Mardi 2 décembre 2008

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 23

Co-présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président et de M. Jean-Luc Warsmann, Président de la commission des lois

– Communication, ouverte à la presse, commune avec la commission des lois, de M. Jean Leonetti, député, sur les travaux de la mission d’évaluation de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie 2

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

Mardi 2 décembre 2008

Communication, ouverte à la presse, commune avec la commission des lois, de M. Jean Leonetti, député, sur les travaux de la mission d’évaluation de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.

La séance est ouverte à seize heures quarante.

(Co-présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission,
et de M. Jean-Luc Warsmann, président de la Commission des lois)

M. le président Pierre Méhaignerie. Je suis heureux d’accueillir, avec le président Jean-Luc Warsmann, notre collègue Jean Leonetti qui a lui-même souhaité venir s'exprimer devant nos deux commissions réunies. Je le remercie chaleureusement du travail considérable qu’il a accompli sur un sujet difficile et important, ressenti comme tel par tous nos concitoyens.

M.  Jean-Luc Warsmann, président de la Commission des lois. Je remercie à mon tour Jean Leonetti d’avoir tenu, aussitôt son rapport remis au Premier ministre, à faire une communication devant nos deux commissions réunies.

C’est à la suite de la douloureuse histoire de Chantal Sébire, patiente atteinte d’une très grave maladie qui avait ému l’opinion publique en demandant qu'on l'aide à mourir, que le Premier ministre et le Président de l'Assemblée nationale ont demandé à notre collègue Jean Leonetti de procéder à une évaluation de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. Cette loi, qui proscrit l’acharnement thérapeutique, impose une collégialité dans la décision médicale d'arrêt des traitements et privilégie l’accès aux soins palliatifs. Mais ceux-ci sont encore trop peu développés dans notre pays et la loi du 22 avril 2005, pourtant adoptée à l’unanimité, a suscité des interrogations, notamment de la part de ceux qui souhaiteraient aller plus loin en faisant reconnaître une exception d’euthanasie ou un droit au suicide assisté. Les travaux de la mission d’information, qui a procédé à plus de soixante auditions et privilégié les témoignages de terrain, ont mis en lumière toute la complexité des enjeux et l’impossibilité d’une réponse univoque.

Avant de vous laisser la parole, monsieur Leonetti, pour nous présenter les conclusions de ces travaux, je tenais à vous féliciter pour le climat dans lequel ces derniers se sont déroulés. Ils font honneur à notre Parlement.

M. Jean Leonetti. Si certains considèrent que la loi du 22 avril 2005, adoptée à l’unanimité, ne va pas assez loin et d'autres pensent qu'elle a trouvé un juste équilibre, chacun s’accorde sur le fait qu’elle constitue une avancée. Dans ce contexte d'unanimité, péchant sans doute par excès de confiance, nous avons pensé que son application irait de soi. Hélas, cette loi reste mal connue et très peu appliquée, sans doute parce qu’elle heurte une culture médicale ancienne dans laquelle la collégialité de la décision et le "prendre soin" du malade sont difficiles à admettre dans des structures et des formations où prévaut l’autorité de celui qui sait contre celui qui souffre.

J'ai souhaité qu'à titre personnel, sans engager leur groupe, des députés issus de toutes les formations politiques contribuent à notre réflexion. En effet, la certitude individuelle, si destructrice en médecine, l'est également en politique, en particulier pour les sujets de société. Je remercie donc Olivier Jardé, Gaëtan Gorce et Michel Vaxès d'avoir accepté cette mission. La diversité de nos points de vue a nourri et enrichi le débat.

Constituée après la douloureuse affaire Sébire, cette mission d'information nous a donné l'occasion d'écouter davantage les familles de malades ou de personnes décédées, pour tenter de saisir la complexité, souvent ambiguë, de la fin de vie où s'entremêlent désirs contradictoires de vie et de mort, chez le malade lui-même mais aussi dans son entourage. Qui n'a pas éprouvé auprès d'une personne qu'il aimait en train de mourir le sentiment confus de souhaiter à la fois qu'il reste et qu'il parte ? Nous avons également écouté de grandes voix en la personne d'Axel Kahn, Robert Badinter, Régis Aubry dont la hauteur de vues et la grande lucidité nous ont été précieuses.

Avant que nous ne concluions nos travaux, j'ai souhaité que nous nous rendions à l'étranger. J'ai notamment voulu aller au Royaume-Uni, pays libéral et protestant, pour examiner ce qu'il en était du clivage supposé entre l'approche des peuples du Nord et celle des peuples du Sud, imprégnés que seraient ces derniers d'une culture latine, judéo-chrétienne et catholique. Le Royaume-Uni est par ailleurs le premier à avoir fortement développé les soins palliatifs dont il donne cette très belle définition : "ce qu'il reste à faire quand il n'y a plus rien à faire." En France, notre médecine, très technique et performante, ne sait pas accompagner l'humain en fin de vie. Le paradoxe est que les médecins y sont de plus en plus inquiets de faire l'objet de poursuites judiciaires, et que les malades ont de plus en plus peur d'une médecine qui prolongerait leur vie dans des situations qu'ils jugent indignes de l'humain, où ils ne seraient plus – pardonnez-moi l'expression – que des "légumes" artificiellement maintenus en vie. Nous nous sommes également rendus en Hollande, en Suisse et en Belgique.

Au Royaume-Uni, où on dénombre cinquante à cent fois plus de bénévoles qu'en France pour accompagner la fin de vie et où existe une culture palliative très ancienne qui, de fait, imprègne toute la politique de santé, la question de l'euthanasie ne se pose pas. Le "prendre soin" l'emporte sur l'acte médical technique, si bien que le débat autour de ces questions s'en trouve apaisé.

La Hollande, pour sa part, est un pays de grande permissivité, qu'il s'agisse de drogues douces, de prostitution ou d'euthanasie. Si j’associe les trois sujets, c’est pour montrer que, dans ce pays, c'est la liberté individuelle qui prévaut, la société ne faisant qu'accompagner les choix de l'individu. Lorsque nous nous y étions rendus en 2005, les personnes que nous avions rencontrées nous avaient assuré qu'on "savait faire" dans leur pays et que l'euthanasie y étant encadrée, les soins palliatifs n'étaient pas nécessaires. Trois ans plus tard, nous avons constaté que ces soins s'y étaient beaucoup développés et plusieurs médecins nous ont dit que leur objectif était désormais de rendre l'euthanasie exceptionnelle. En Hollande, deux systèmes coexistent donc avec d'un côté des soins palliatifs qui peuvent être prodigués, et d'un autre côté un droit à la mort qui peut être accordé dans certaines circonstances.

La législation belge est encore différente, en partie calquée sur la législation hollandaise, la mort ne pouvant être donnée qu'à l'issue d'un suivi médical. Il faut savoir que 85 % des euthanasies pratiquées en Belgique le sont en Flandre, contre seulement 15 % en Wallonie, ce qui traduit de fortes différences dans l'appréhension de cette législation par les deux communautés. Des hôpitaux entiers s'opposent radicalement à l'euthanasie, quand d'autres la pratiquent sans problème.

Dans ce contexte, les malades qui souhaitent mourir quittent leur hôpital si l'euthanasie n'y est pas pratiquée, pour un établissement où elle l'est, mais le problème demeure entier car la loi belge précise que seul le médecin qui a suivi le malade doit pouvoir lui donner la mort. Certains médecins belges qui, invoquant la clause de conscience, refusent de pratiquer l'euthanasie se sont plaints auprès de nous d'être progressivement remplacés par des confrères qui l'acceptent. Les critères retenus sont flous, puisqu'il est demandé de tenir compte de "la détresse personnelle" du malade. Quelle ne serait pas notre réaction d'horreur si nous apprenions qu'en France des malades psychiatriques, alors même qu'ils ne demandaient pas à mourir et n'étaient pas suicidaires, ont été euthanasiés au bloc opératoire, après qu'a été signée une convention de prélèvement d'organes, comme cela se pratique en Belgique ! C'est dire combien l'encadrement de l'euthanasie active est difficile, même lorsqu'elle s'effectue dans un cadre médical.

La Suisse, quant à elle, qui passe pour l'un des pays les plus permissifs en matière d'assistance au suicide, a paradoxalement une législation proche de la nôtre. En effet, contrairement à ce l'on pense souvent, le suicide n'étant pas incriminé en France, l'assistance au suicide ne l'est pas non plus. Seule la provocation au suicide est réprimée – l'ouvrage Suicide, mode d'emploi a ainsi été considéré comme une incitation au suicide – et une loi pénale, visant à protéger les personnes vulnérables des sectes, interdit de manipuler l'esprit de ces personnes, parmi lesquelles bien sûr les malades graves, l’objectif étant de les amener à vouloir se donner la mort. Seuls ces deux éléments restreignent le champ de l'assistance au suicide dans notre pays, dont tous les pénalistes que nous avons auditionnés ont rappelé qu'elle n'y était pas illégale.

La législation suisse ne condamne pas l'aide au suicide à condition qu'elle ne réponde pas « à des motifs égoïstes », c'est-à-dire que la personne qui en aide une autre à mourir ne retire pas un bénéfice personnel de cette mort. Dans ce contexte, plusieurs associations ont vu le jour dans ce pays, dont les principales sont Exit et Dignitas. Je passe rapidement sur Dignitas, dont les dérives sont connues : elle propose ainsi aux personnes désirant se suicider de mettre leur tête dans le sac plastique rempli d'hélium qu'elle leur fournit. Cette association a ainsi organisé un véritable tourisme de la mort en Suisse, en provenance d'Allemagne essentiellement. Quelques hollandais, dont le pays admet l'euthanasie, mais non le suicide assisté, y ont eu recours et très peu de Français. L'association Exit intervient, elle, dans certains hôpitaux où elle apporte une assistance aux personnes qui souhaitent se suicider, selon des critères définis dans ses seuls statuts, aucune loi n'encadrant en Suisse le suicide assisté. Le problème est qu'environ plus d’un tiers des personnes recourant à cette pratique ne sont pas atteintes d'une maladie grave ou incurable. Comme nous l'a dit l'association elle-même, il s'agit parfois de personnes âgées simplement atteintes de diabète ou d'arthrose mais lasses de vivre. Cela montre combien il est difficile d'encadrer le droit au suicide. Il faut relever que dans les services de soins palliatifs de Lausanne, pourtant ouverts à l'association Exit, il n'y a eu aucune demande de suicide depuis un an et demi.

Il faut bien distinguer la question de la fin de vie et celle du suicide assisté, qui relèvent de deux problématiques différentes. Pour la fin de vie, la loi du 22 avril 2005 permet de répondre à quasiment toutes les situations puisqu'elle autorise à calmer la douleur, cela dût-il "raccourcir la vie". Le suicide assisté, lui, concerne des personnes encore loin de la mort mais qui refusent de vivre le temps qui leur reste après avoir appris que leur cancer s'est métastasé ou qu'elles ont la maladie d'Alzheimer, ou encore parce que, devenues tétraplégiques, elles ne supportent pas l'idée d'être en fauteuil roulant pour le reste de leur vie, et demandent à la société d'assumer leur suicide. On n'est plus dans ce cas dans une démarche médicale et il n'est pas besoin de médecin pour donner un produit létal.

Personnellement, je m'interroge sur une société qui ouvrirait un droit au suicide assisté, encadré par la loi, et dans laquelle à la fois on réanimerait des personnes ayant effectué une tentative de suicide, sachant que les trois quarts d'entre elles ne récidiveront jamais, et on aiderait d'autres à se suicider sur le fondement de critères extrêmement difficiles à définir. La liberté, c'est de pouvoir changer d'avis et plus on est loin de la mort, plus il est possible qu'on change d'avis. Or, la mort réduit à néant la liberté de continuer à vivre.

Notre mission a également travaillé sur l'idée d'exception d'euthanasie. J'avoue que cette idée, formulée par le Comité consultatif national d'éthique en 2002, m'avait initialement séduit. En vérité, le Comité ne souhaitait pas dépénaliser l'euthanasie mais rendre plus humain le sort judiciaire réservé à des personnes qui, dans certaines situations de détresse, avaient donné la mort à une personne très lourdement handicapée ou très gravement malade le demandant. Dans un tel contexte, la loi est d'ailleurs appliquée avec humanité et compassion, et nul n'est condamné à trente ans de réclusion criminelle pour un tel acte. Cependant, des personnes qui ont le sentiment de n'avoir fait que leur devoir, en tout cas de n'avoir pas eu d'autre choix, peuvent estimer subir un certain acharnement judiciaire avec les procédures longues et complexes engagées à leur encontre.

Nous aurions pu décider de s'en remettre à un comité d'experts pour constater le caractère exceptionnel de certaines situations. Mais comment des experts pourraient-ils a priori décider que certains malades ont droit à l'euthanasie, d'autres non ? Quels que soient leur nombre, leur qualité et la diversité de leurs opinions philosophiques ou religieuses, il existerait toujours un risque d'arbitraire. Le pouvoir qui leur serait conféré d'autoriser des médecins à enfreindre la loi les placerait donc au-dessus des juges et serait tout à fait démesuré dans une démocratie. Après l'audition de Robert Badinter qui nous a dit combien il se méfiait des lois d'exception, en particulier lorsqu'il s'agit de valeurs fondamentales, nous avons finalement renoncé à cette piste de réflexion, d'autant qu'elle est rejetée aussi bien par les adversaires de l'euthanasie que par ses partisans – Jean-Luc Romero nous a ainsi affirmé qu'il ne saurait y avoir d'exception d'euthanasie car celle-ci n'aurait rien d'exceptionnel et que dix mille de nos concitoyens par an demanderaient à y avoir recours.

Notre mission a formulé vingt propositions. Je précise que si je porte seul l'entière responsabilité du contenu du rapport, ces vingt propositions émanent de notre réflexion collective et ont le soutien de nos collègues Oliver Jardé, Gaëtan Gorce, Michel Vaxès.

Je n'en citerai que quelques-unes. Tout d'abord, la mise en place d'un Observatoire des pratiques médicales de la fin de vie. Gaëtan Gorce avait eu raison de la demander en 2005 et j'ai eu tort de m'y opposer alors. Satisfaction lui est donnée aujourd'hui, avec un peu de retard. Plusieurs cas nous ont été rapportés où le traitement de malades avait été interrompu, comme l'autorise désormais la loi, mais où les malades avaient été laissés à l'abandon. À l'arrêt d'un traitement de survie, le minimum que l'on doit à la personne humaine qui va mourir et à ses proches qui vont être endeuillés, c'est l'assurance que cette mort ne s'accompagnera pas d'atroces souffrances physiques. Il convient donc, en même temps qu'on arrête le traitement, d'administrer une sédation d’accompagnement. Certains médecins ont argué que s'il était possible d'augmenter la dose sédative chez un malade qui souffre, il n'était pas possible d'administrer des sédatifs à un malade inconscient. Cela est faux. Que sait-on de la souffrance d'un nouveau-né en train de mourir, d'un cérébro-lésé ou d'un malade en coma dépassé depuis des années dont on débranche le respirateur, qui ont peut-être encore des réactions très primitives ? Dans la mesure où on ne sait pas évaluer la douleur dans tous ces cas et qu'il n'est pas tolérable que puisse subsister un doute à ce sujet, c'est un devoir que d'administrer la sédation nécessaire.

Nous proposons par ailleurs qu'une circulaire de politique pénale soit adressée à tous les parquets, rappelant les dispositions de la loi du 22 avril 2005, afin d'éviter que des magistrats ne fassent irruption dans des services de réanimation, menaçant de mettre en examen le premier qui débrancherait les dispositifs d'assistance, ainsi que cela est déjà arrivé. Si les médecins connaissent mal la loi d'avril 2005, c'est aussi le cas des magistrats. Un effort de pédagogie est donc nécessaire pour qu'ils puissent choisir avec discernement les outils à leur disposition. S'ils n'ignorent pas aujourd'hui les dimensions de générosité et de compassion, peut-être pourrait-on tendre à une harmonisation, non des décisions, mais au moins des procédures.

Nous avons également souhaité qu'on réfléchisse à l'institution d'un congé rémunéré d'accompagnement de fin de vie. Est-il cohérent qu'un homme qui devient père bénéficie de deux semaines de congé de paternité et qu'une mère qui perd un enfant n'ait pas droit au moindre jour de congé ? La ministre de la santé avait accepté d'évaluer le coût financier de la mesure que nous envisagions d'expérimenter d'abord dans un département ou une région avant de la généraliser. Le Premier ministre est allé au-delà, indiquant cet après-midi dans le cadre des questions au Gouvernement, qu'il souhaitait que ce congé soit immédiatement ouvert sur l'ensemble du territoire.

Dans le cadre de la mise en œuvre du Plan soins palliatifs 2008-2012, nous proposons de désigner dans chaque région un médecin référent qui pourra apporter sa compétence dans les situations particulièrement complexes ou en cas de conflit entre familles et équipes soignantes. Cette expertise médicale spécialisée et cette médiation en cas de conflit seraient du plus haut intérêt, quitte à ce que le spécialiste des soins palliatifs prenne le malade dans son service, afin d'éviter les situations d'affrontement, toujours dommageables pour le malade, pour la famille et pour le corps médical.

Voilà très brièvement résumés les travaux d'une mission qui a duré sept mois et à l'issue de laquelle je continue de douter. De toutes ces réflexions, j'ai seulement acquis la certitude que ceux qui ne doutaient pas étaient dangereux.

M. le président Pierre Méhaignerie. Merci de ce message fort, empreint à la fois d'humanité et d'humilité.

M. Olivier Jardé. Je souscris totalement aux propositions de la mission d'information. Seuls 20 % du corps médical, y compris les cancérologues, connaissent la loi du 22 avril 2005, ce qui est fort dommage. Il est donc normal de mieux la faire connaître.

Je suis tout à fait d'accord avec Jean Leonetti sur le devoir de prescrire des sédatifs d’accompagnement lors de l'arrêt des traitements. J'ai été frappé durant nos travaux par le cas des grands prématurés qui, nés parfois à moins de six mois de grossesse, subissent une lourde réanimation mais qui, dans 10 % à 15 % des cas, conserveront de lourdes séquelles, notamment neuro-sensorielles. Or ces enfants – 1 500 à 2 000 sont concernés chaque année dans notre pays – ne sont pas en fin de vie. Peut-on arrêter une vie qui a à peine commencé ? Mais une vie sans projet possible mérite-t-elle d'être poursuivie ? La sédation d’accompagnement est une solution qui permet d'échapper à l'exception d'euthanasie.

Enfin, je suis favorable à un congé d'accompagnement de fin de vie. Pour moi, celui-ci se conçoit en cas de retour à domicile et sa rémunération doit relever de la solidarité nationale, non des entreprises.

J'ai participé avec grand plaisir aux travaux de cette mission d'information qui nous a amenés à de profondes remises en cause. En réfléchissant sur notre propre mort, nous donnons sens à notre propre vie.

M. Gaëtan Gorce. Je me félicite que la mission ait conduit ses travaux dans le même esprit que ceux qui ont débouché sur la loi du 22 avril 2005, adoptée à l'unanimité. Notre souci permanent a été d'écouter, d'échanger, au-delà des polémiques et des affrontements stériles, afin de trouver à chaque fois la solution la plus satisfaisante, la plus juste et la plus acceptable.

Jean Leonetti a eu raison de rappeler que le rapport qu'il a remis est le sien. Nous n'avons pas été consultés sur son contenu. Le consensus auquel nous sommes parvenus ne porte donc pas sur l'exposé des motifs, mais sur les propositions qui, toutes, me paraissent représenter un progrès tant dans la compréhension de la loi que dans son application. Une fois mieux connue et mieux comprise des médecins comme des magistrats, la loi pourra en effet être appliquée le plus humainement possible. Certaines affaires qui ont défrayé la chronique ne doivent pas se reproduire.

Je souscris bien entendu à la mise en place d'un Observatoire des pratiques médicales de la fin de vie, que nous avions déjà réclamée en 2005. Nous aurions peut-être souhaité un projet plus ambitieux avec une Haute autorité. En effet, la mission de cet organisme ne doit pas se limiter à recueillir des données. Il devra mettre à disposition des citoyens, des parlementaires et de tous ceux qui s'intéressent à ces questions, des éléments de réflexion vivants et évolutifs. En effet, toute certitude en la matière est aussi dangereuse qu'inappropriée. Les progrès médicaux et l'évolution même du sentiment de nos concitoyens font que ces questions sont à chaque fois, selon le contexte et le moment, examinées avec un regard différent. Plus j'avance dans la réflexion, plus j'ai du mal à voir clair entre soins palliatifs, dispositions de la loi d'avril 2005 qui permettent d'interrompre les traitements à la demande du malade, fût-ce au prix de la mort, exception d'euthanasie et mise en œuvre d'un véritable droit à mourir. On le voit dans l'application de la loi en Hollande, les frontières sont floues et se brouillent parce qu'il s'agit toujours de tenter d'apporter une solution à une situation particulière.

Si je continue à plaider pour l'exception d'euthanasie – formulation que je n'aime guère et à laquelle je préfère celle de formule d'exception –, c'est que je suis très réticent à la reconnaissance d'un droit à mourir, notamment à sa mise en œuvre précipitée, dans un contexte insuffisamment préparé, tant dans l'opinion que dans le corps médical. Un tel droit me paraît aujourd'hui comporter plus de risques qu'offrir de solutions, même si une réflexion philosophique et politique s'impose sur le sujet.

Si la loi actuelle apporte des réponses à un grand nombre de situations, en permettant d'arrêter les traitements, elle laisse de côté des situations humainement insupportables, l'actualité l'a montré, quelles que soient les raisons qui y ont conduit – refus du malade de suivre un certain traitement à un moment donné ou bien d'anticiper l'évolution de sa maladie… Comment accepter de n'avoir que le suicide à proposer à ces malades dont le devenir ou la mort ne dépend pas d'un traitement ou de son interruption ? En effet, celui-ci représente une violence au moins aussi forte qu'une sédation active, pour l'administration de laquelle la société aurait organisé "avec minutie", comme le dit la loi hollandaise, les conditions de son intervention. Je plaide pour que dans les cas où notre loi est impuissante à apporter une solution, il soit possible, à partir d'un comité d'éthique, d'une structure à définir, nationale ou locale, et dans le respect du secret médical, de donner non pas une autorisation, mais un avis qui permette aux médecins et à la famille de prendre leurs responsabilités, et d'apporter au malade le soulagement qu'il attend, étant entendu que la justice devrait conserver un droit de regard sur les actes. C'est "la sédation active compassionnelle" évoquée par l'ancien président du Comité consultatif national d'éthique, Didier Sicard, lequel a réitéré cette proposition devant notre mission d'information.

En cette affaire, nous ne devons pas nous prononcer à partir de grands principes a priori mais avec la volonté de trouver, dans chaque situation particulière – et toutes le sont –, la solution humainement et, en conséquence, socialement la plus acceptable. Jean Leonetti a dit qu'il convenait de se méfier de ceux qui ne doutaient pas. Le sage invite en effet à suivre celui qui cherche la vérité, et à s'éloigner de celui qui prétend l'avoir trouvée.

M. Michel Vaxès. Je partage évidemment les orientations dont nous sommes convenus ensemble, et je pense moi aussi que sur un sujet aussi difficile, la sagesse est de se garder de certitudes. Certains en ont, qu’ils soient convaincus qu’il faut aller plus loin ou persuadés du contraire. Pour notre part, si nous avons avancé, c’est parce que nous avons continué de douter – et nous doutons encore. Cela signifie, et le rapport que l’Observatoire remettra chaque année au Parlement en sera l’occasion, qu’il faudra poursuivre la réflexion et, le cas échéant, apporter les correctifs qui se révéleraient nécessaires.

Nous avons constaté une dramatique méconnaissance de la loi de 2005, y compris dans le milieu médical. Si elle est mieux connue et mieux appliquée, il est probable que la distance entre les deux certitudes que j’évoquais se réduira.

Les points de vue se rapprocheront d’autant plus que les préconisations auxquelles nous avons abouti seront mises en œuvre, ce qui pose la question des moyens : si nous voulons que les soins palliatifs se développent, que les médecins soient mieux formés, il faut s’en donner les moyens. Il nous revient, à nous parlementaires, d’y veiller.

Selon un journaliste de France Info ce matin, le rapport recommanderait de continuer à laisser mourir. Pendant sept mois au contraire, nous avons expliqué qu’il fallait accompagner le malade, en prendre soin. Ce « prendre soin » n’est pas encore entré dans les mœurs. Faisons en sorte que la situation évolue.

M. Bernard Debré. Je félicite tous ceux qui ont participé à ce travail, et je pense également qu’il est extrêmement dangereux d’avoir des certitudes dans le domaine qui nous intéresse.

Qu’il me soit permis d’abord de faire une remarque de vocabulaire. L’expression « acharnement thérapeutique » me choque beaucoup car la thérapeutique, c’est le traitement en vue de la guérison ; mieux vaudrait donc parler « d’acharnement médical ».

M. Jean Leonetti. Je suis bien d’accord et c’est d’ailleurs pourquoi nous avons utilisé dans la loi l’expression « obstination déraisonnable ».

M. Bernard Debré. En ce qui concerne les médecins, on ne peut pas parler d’ignorance générale, mais il faut reconnaître une absence de formation. L’urgence absolue, c’est la création d’unités de soins palliatifs ; il n’en existe pas assez, et il faudrait enfin y consacrer les moyens nécessaires.

Le « droit de mourir dans la dignité » revendiquée par M. Romero est également une expression qui me trouble, la dignité étant parfois très difficile à définir. Quelle est celle d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer ?

La dignité est donnée par le regard de l’autre. Il faut faire très attention car il pourrait naître un jour une sorte de connivence entre les tenants les plus absolus de ce droit et des financiers contestant la dignité de certains malades.

Enfin, il faut prendre garde de ne pas tomber dans la facilité de l’événementiel, comme les journalistes. Vous avez su éviter cet écueil, et je vous en félicite.

M. Bernard Perrut. Je salue la qualité du rapport qui vient de nous être présenté. Nous avions déjà eu, pour certains d’entre nous, l’occasion de nous exprimer sur ce sujet lors des débats sur la loi de 1999 puis sur celle de 2005. Je voudrais aujourd’hui évoquer seulement le problème des moyens.

Le rapport rappelle que 70 % des Français voudraient mourir chez eux alors que 75 % d’entre eux meurent à l’hôpital. Ne pensez-vous pas qu’un effort très important est nécessaire pour développer l’hospitalisation à domicile – ce qui suppose de bien préciser le rôle des professionnels de santé libéraux et de définir clairement les conditions de paiement des actes ?

Comment développer les réseaux de soins palliatifs pour assurer cette mission à domicile ? Avec seulement 110 réseaux, nous sommes très en retard par rapport aux autres pays européens.

Pourquoi ce retard, aussi, dans la « culture de la fin de vie », notamment dans les EHPAD ? Nous voudrions que les soins palliatifs se développent dans nos hôpitaux, mais les moyens manquent. Après le plan triennal de soins palliatifs 1999-2001, le programme national de développement des soins palliatifs 2002-2005 et le plan cancer, de nouveaux engagements ont été pris par le Président de la République et le Gouvernement en 2008. Cependant, les unités de soins palliatifs ne sont pas toujours une priorité dans les hôpitaux, et parfois les lits identifiés sont utilisés à d’autres fins. Quelles évolutions peut-on attendre ? Que faut-il par ailleurs penser du financement des soins palliatifs par la T2A ?

Enfin, comment mieux reconnaître la place des bénévoles dans nos établissements de soins et nos EHPAD et celle des familles ?

J’avais déjà émis le souhait que l’on crée un congé d’accompagnement, notamment par une proposition de loi. On m’avait répondu qu’il n’était pas possible de le financer. Je suis heureux d’avoir aujourd’hui des assurances sur ce sujet.

M. Manuel Valls. Je salue moi aussi le travail qui a été fait par la mission, créée, je le rappelle, à la suite de l’émotion suscitée dans l’opinion par le cas de Chantal Sébire. L’interrogation centrale était celle-ci : pourquoi la loi reste-t-elle méconnue ? Est-elle mal appliquée ? Convient-il de la modifier ?

En écoutant Jean Leonetti et ses collègues de la mission, j’ai cherché à savoir si leurs propositions permettaient de répondre à toutes les situations, y compris celles que d’autres pays ont essayé de traiter. Je constate que ce n’est pas le cas.

La loi de 2005 avait été votée à l’unanimité. Le rapport Leonetti fait des propositions sur lesquelles nous pouvons tous nous retrouver, telles que la création d’un observatoire et celle du congé d’accompagnement. Mais au-delà de ce consensus, il y a un vide.

Si la loi est méconnue, ce n’est pas seulement un problème d’information ; c’est aussi et surtout une forme de résistance du corps médical comme du corps judiciaire, et sans doute, comme on vient de le dire, une absence de « culture de fin de vie ». Mais si cette résistance se manifeste, c’est sans doute parce que la loi ne répond pas à tous les problèmes qui se posent au corps médical. C’est pourquoi je pense qu’il aurait fallu aller plus loin : les avancées qui nous sont proposées me paraissent trop limitées au regard de certaines souffrances. Les médecins seront toujours aussi seuls lorsqu’ils seront confrontés à des demandes réitérées de mourir de la part de personnes atteintes d’affections incurables et particulièrement douloureuses.

Le Parlement doit donc continuer à réfléchir sur ce sujet. Il ne faudrait pas en effet, à l’issue des travaux de très grande qualité qui viennent d’être menés, laisser penser qu’il n’y a pas d’autres voies possibles. Ce qui a été fait en Belgique et aux Pays-Bas a permis des avancées, même s’il y a eu des dérives.

Mme Michèle Delaunay. Ayant exercé trente-huit ans en cancérologie, j’ai été confrontée à ces questions, et je me sens assez proche de ce qui a été exprimé par les auteurs du rapport.

Si les familles m’ont fréquemment demandé d’abréger les souffrances des malades, pas une fois l’un de ceux-ci ne m’a demandé de lui donner la mort. Je m’interroge donc profondément quand j’entends M. Romero évoquer, presque comme un idéal à atteindre, le chiffre de 10 000 demandes.

Sans doute la loi est-elle généralement insuffisamment connue, mais, dans le milieu de la cancérologie, non seulement elle est connue, mais elle a également été devancée. Nous avons fait du Leonetti avant Leonetti !

Quant au congé d’accompagnement, dont je souhaite qu’il permette aussi d’accompagner les personnes âgées, nombre de médecins, lorsqu’il n’y avait pas d’autre possibilité, l’ont accordé en prescrivant des arrêts de travail.

La sédation, s’il faut la pratiquer, n’est pas une garantie de confort. Des malades ont ainsi pu m’affirmer être restés conscients sans pouvoir se plaindre. La sédation peut n’être qu’une paralysie dans l’expression de la souffrance.

Enfin, les malades psychiatriques ou les personnes qui sont à un stade avancé de la maladie d’Alzheimer posent un très gros problème, comme pour tous les soins requérant un consentement éclairé. Le trouble psychiatrique ou le trouble de conscience font-ils sortir la personne de la loi commune ? C’est une vraie interrogation.

M. Alain Vidalies. Je mesure le travail accompli depuis les travaux de la première mission auxquels j’ai participé. Cependant, si personne ici n’a la prétention de vouloir imposer sa certitude aux autres, on ne pourra m’empêcher pour ma part d’avoir mes propres certitudes. Or, cette liberté que je revendique, le dispositif proposé peut s’y opposer en voulant trouver dans la loi des valeurs communes. Je comprends que l’on cherche à parvenir à un consensus, en procédant par étapes, mais une telle démarche ne doit pas nous faire oublier la question de la liberté individuelle.

À cet égard, on ne peut, s’agissant de permissivité, comparer, comme vous l’avez fait, les expériences effectuées en matière de prostitution ou de drogue et celles menées dans le domaine de l’euthanasie. La loi, s’agissant des premières, est nécessaire pour protéger les victimes et pour s’attaquer aux réseaux mafieux, non pour défendre une liberté individuelle, celle, en l’occurrence, du droit à mourir.

Sans aller jusqu’à ce droit à mourir, car l’idée n'est pas encore suffisamment avancée dans les esprits – encore que je sois convaincu qu’on y viendra un jour – une étape intermédiaire aurait néanmoins pu être franchie, celle de l’exception d’euthanasie. Nous ne pourrons en effet échapper encore longtemps à cette question – mais je vois à votre regard, monsieur Leonetti, que vous partagez ce point de vue.

Mme Catherine Génisson. Je remarque, après avoir félicité les auteurs pour la qualité de leur rapport, que nous travaillons toujours sur ce sujet à partir de cas particuliers. La loi de 2005 est intervenue après l’affaire du fils de Marie Humbert, et sa révision possible a été étudiée à la suite du cas de Chantal Sébire. Nous avons une difficulté sociétale à réfléchir de façon spontanée à notre relation à la mort. Ce n'est pas un hasard si 75 % de nos concitoyens meurent à l’hôpital : c’est là le résultat d’une volonté d’évacuation du sujet de la mort.

Même si Michèle Delaunay affirme que dans les milieux très spécialisés l’appropriation de la loi est bonne, il n'en reste pas moins qu’elle est très mauvaise au sein des professions de santé, du monde judiciaire et, plus globalement, de la société. Le problème de l’appropriation et de l’application de la loi se pose donc bien, ce qui rend nécessaire aussi bien des moyens financiers qu’une formation des personnes concernées, mais également une réflexion au niveau politique et citoyen.

J’ai été quelque peu choquée des propos tenus par le président Warsmann en matière d’exception d’euthanasie ou de suicide assisté. L’exception d’euthanasie, ou la formule d’exception avancée par M. Gorce, doit trouver une réponse. À cet égard, je ne crois pas que la sédation en soit une.

S’agissant enfin de l’Observatoire, il ne faudrait pas que ce dernier soit uniquement composé d’experts, de citoyens et de professionnels. Le législateur ne doit pas, une fois de plus, être dépossédé de sa fonction de représentant du peuple.

M. Jean Leonetti. Je remercie chacun d’entre vous de ses propos et, d’abord, Bernard Debré, de sa remarque concernant la dignité.

Deux sortes de dignité existent en effet : celle qui tient à l’humanité – tout homme est digne parce qu’il est homme – et celle, détournée, qui est l’image de soi : c'est alors le regard que l’on pose sur la personne qui est indigne, et non la personne visée.

S’agissant du congé d’accompagnement de fin de vie, la mesure ne coûte pas cher. D’une part, les parents bénéficient souvent, dans des conditions illégales, d’arrêts de travail. D’autre part, l’absence d’un tel congé peut être un frein au retour souhaité à domicile, sachant que la mort accompagnée à domicile coûte moins chère à la société que la mort accompagnée à l’hôpital. À un avantage humain s’ajoute un coût moindre.

Les EHPAD, pour leur part, posent un vrai problème faute d’une réelle prise en compte des soins palliatifs dans les établissements. L’une des propositions répond à cette préoccupation.

Quant à la T2A, ce mode de financement peut être à la fois un avantage et un inconvénient : il peut être une aubaine en servant à financer autre chose dans l’hôpital qu’un simple lit, mais il peut conduire à ne concevoir la médecine que comme une succession d’actes, faisant oublier la part d’humanité souffrante dans la personne du malade. Sans rejeter la T2A, qui est un outil comme un autre, il ne faut pas en faire un principe sacro-saint, mais lui ajouter des éléments qualitatifs prenant en compte la proximité de la mort.

L’émotion est toujours bonne à condition qu’elle ne soit pas ponctuelle et qu’elle n’aboutisse pas à des lois faites pour un individu de manière catégorielle. À cet égard – pour répondre à Manuel Valls –, des émotions, nous en avons ressenti à l’écoute de nombre de Chantal Sébire et de Marie Humbert qui, sorties de l’anonymat, nous ont raconté leurs difficultés, les désirs de mort se succédant à des volontés de vie. Ces deux cas emblématiques ne sont en effet en rien exceptionnels. Aussi faut-il éviter toute émotion-réaction en légiférant pour répondre à tel ou tel cas.

La loi doit-elle répondre à tout ? Est-ce que toute la vie est dans le droit et la loi ? N’y a-t-il pas un espace pour la liberté, la responsabilité ? J’aurais peur pour ma part, au nom des libertés individuelles, d’une loi qui réglemente toute ma vie et toute ma mort. J’ai envie de laisser une certaine initiative à l’humain, à l’esprit de responsabilité, au dialogue.

Pour autant, voulons-nous vivre dans une société d’individualistes dans laquelle il reviendrait à cette dernière d’assumer le choix de chacun ? Contrairement à d’autres démocraties, nous sommes une République porteuse de valeurs fondées sur la solidarité. Je conçois que l’on puisse demander une loi qui dépénalise l’euthanasie, mais pas au nom de la laïcité, de la République ! À ma connaissance, ni la Belgique, ni la Hollande, ni la Suisse ne sont des Républiques ayant prôné la laïcité.

Dans notre démarche, nous devons retenir l’idée simple que la mort, c’est les autres. L’expérience de sa mort, on ne l’aura jamais, contrairement à celle des autres, même si elle revêt un caractère obligatoirement solidaire : la façon dont on part altère ou améliore la qualité de la vie qui se poursuit après soi et de ce que nous avons transmis aux autres génétiquement, philosophiquement ou socialement. Veut-on vraiment une avancée inéluctable vers l’individualisme ?

M. Manuel Valls. Mes études littéraires et philosophiques ont été bercées par le livre magnifique qu’est La mort de Jankélévitch, que je ne peux qu’inciter chacun à lire et à relire.

Pour revenir à la mission, elle a eu raison de ne pas proposer d’orientations et encore moins une loi dans les semaines qui ont suivi le cas de Chantal Sébire. Pour autant, parce que la loi doit définir un cadre, je ne voudrais pas que naisse une quelconque inégalité devant elle.

M. Jean Leonetti. Je ne considère pas pour autant comme inéluctable les évolutions envisagées – à cet égard, le sourire approbateur qu’Alain Vidalies a cru voir tout à l’heure dans mon regard, n’était qu’amical...

Je suis en tout cas pleinement d’accord avec Michèle Delaunay. Un professeur de médecine me disait d’ailleurs qu’entre l’entourage, la famille, les médecins, les aides-soignants et le malade, le dernier qui se lasse c'est le malade. Veillons à ne pas projeter des volontés de mort sur des malades qui nous pèsent parce que nous souffrons de les voir souffrir.

Nous sommes, comme l’a très bien souligné Catherine Génisson, dans une société qui nie la mort, qui élimine la fragilité en prônant la rentabilité. La liberté, c’est pouvoir effectuer un choix individuel sans vouloir l’imposer à la société. En même temps, l’objectif réel d’une démocratie, et peut-être d’une République laïque, doit être de ne jamais porter atteinte aux plus fragiles et aux plus vulnérables – terme qui est entré récemment dans le code pénal. Elle doit pouvoir les protéger y compris lorsque, de manière désespérée, par souffrance, par abandon, par erreur médicale du fait de l’emploi de mots qui transpercent les individus avec une rare violence, ils souhaitent se voir accorder la liberté qu’ils demandent : Il ne faudrait pas qu’elle leur accorde cette liberté au seul prétexte qu’ils seraient de trop.

Je continuerai à cheminer avec beaucoup de doute sur la base de valeurs que nous avons en commun, mais je ne suis pas certain, encore une fois, d’une évolution inéluctable vers un droit à la mort opposable. Une fois l’exception d’euthanasie acceptée, ne voudra-t-on pas aller plus loin en visant à leur tour les malades incurables puis les personnes gravement malades ?

Si c'est vraiment une liberté individuelle qui est ici en cause, se posera un jour la question de savoir si c’est un droit opposable. Dans l’affirmative, ce serait alors un « droit créance », ouvert à tous, comme en Suisse.

J’invite à cet égard tous ceux qui ont encore une idée digne du suicide de s’y rendre. Ils s’apercevront que l’on est bien en France, avec nos vieilles valeurs républicaines, laïques et solidaires, parce qu’une société qui favorise l’égoïsme n'est pas forcément une société dans laquelle l’individu s’épanouit.

M. le président Pierre Méhaignerie. Merci à tous ceux, en particulier M. Jean Leonetti, lequel mérite tout notre soutien, qui sont intervenus dans ce débat qu’avec mon collègue Jean-Luc Warsmann nous avons trouvé très beau et très digne.

La séance est levée à dix-sept heures cinquante-cinq.