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Compte rendu

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Mercredi 3 décembre 2008

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 24

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

– Examen de la proposition de loi visant à définir les dérogations au repos dominical dans les grandes agglomérations, les zones touristiques et les commerces alimentaires (n° 1254) (M. Richard Mallié, rapporteur) 2

– Information relative à la commission 18

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

Mercredi 3 décembre 2008

La séance est ouverte à onze heures trente.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission)

La Commission des affaires culturelles, familiales et sociales examine, sur le rapport de M. Richard Mallié, la proposition de loi visant à définir les dérogations au repos dominical dans les grandes agglomérations, les zones touristiques et les commerces alimentaires (n° 1254).

M. le président Pierre Méhaignerie. Nous abordons aujourd’hui un débat complexe et j’espère que nous pourrons éviter la caricature. Chacun a ses convictions – j’ai les miennes – et doit être libre d’exprimer son opinion sur le travail dominical. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre le travail le dimanche. Le texte dont nous débattons aujourd’hui a pour objectif d’harmoniser les conditions d’ouverture des commerces le dimanche et de clarifier les situations dans lesquelles les salariés pourront être appelés à travailler ce jour-là.

M. Richard Mallié, rapporteur. Nous voici donc réunis pour l’examen de la proposition de loi visant à définir les dérogations au repos dominical dans les grandes agglomérations, les zones touristiques et les commerces alimentaires.

Concernant un sujet où, trop souvent, l’irrationnel l’emporte sur les faits, je souhaiterais que la présente discussion permette, sur le texte tel qu’il se présente et non tel qu’on se plaît parfois à le présenter, un échange aussi fructueux que possible.

Je voudrais tout d’abord rappeler, contrairement à ce que j’entends trop souvent, que le présent texte n’arrive pas, comme ça, au dernier moment, mais qu’il est le fruit d’une longue réflexion.

Par deux fois, en 2007, le Conseil économique et social a conduit des études approfondies sur ce sujet. Le rapport établi par M. Léon Salto ainsi que l’étude présentée par M. Jean-Paul Bailly constituent des analyses solides et doivent être salués.

Plus encore, il y a plus d’une année, à la demande de M. Jean-François Copé, président du groupe UMP, j’ai animé avec M. Serge Poignant un groupe de travail sur ce sujet ; pendant plus de cinq mois, ce groupe, composé de députés aussi bien favorables que défavorables a priori à une évolution de la législation, a procédé à l’audition de multiples acteurs concernés par ces questions : partenaires sociaux, fédérations professionnelles, commerçants, salariés, etc.

J’ai poursuivi ce travail d’écoute et de concertation pour préparer la présente discussion, en menant de très nombreuses auditions me permettant d’entendre une nouvelle fois les partenaires sociaux et les fédérations professionnelles, mais également des juristes ou des sociologues. Ces auditions étaient d’ailleurs ouvertes aux parlementaires membres de notre commission et certains élus de l’opposition y ont participé.

Au fil des mois, ces échanges m’ont conduit à affiner peu à peu les mesures proposées, jusqu’à parvenir à cette rédaction que je vous présente aujourd’hui.

La proposition de loi soumise à l’examen de l’Assemblée nationale est donc bien le fruit d’une longue réflexion. Elle n’entend en rien – elle n’a jamais entendu – remettre en cause le principe du repos dominical tel qu’il est posé aujourd’hui par l’article L. 3132-3 du code du travail. Elle ne saurait être interprétée comme ouvrant la voie à une généralisation du travail dominical.

Bien au contraire, sur quelques points bien identifiés, elle veut apporter des réponses ciblées à des questions spécifiques.

Alors, naturellement, évoquer le principe du repos dominical, c’est accepter d’aborder les multiples enjeux que recouvre cette question. Pour relever ce défi, il n’est cependant pas nécessaire, à mon sens, de tomber dans la caricature.

Je rappellerai brièvement ces enjeux, que nous avons tous présents à l’esprit.

Le débat est d’abord juridique. On sait que le principe du repos dominical, posé par la loi du 13 juillet 1906, va de pair, dès l’origine, avec des dérogations. Je rappelle quand même qu’on dénombrait plus de 25 000 dérogations dès 1913 !

Ce constat n’est donc pas nouveau, mais la complexité des règles applicables confine aujourd’hui parfois à l’absurde. De l’incohérence, on passe dans certains cas à l’injustice. Le droit en vigueur dans les zones touristiques réserve ainsi trop souvent un sort différent à des situations pourtant comparables. Dois-je redire ici l’exemple – dont le caractère quelque peu absurde fait toujours sourire – du magasin de lunettes de soleil autorisé à ouvrir le dimanche tandis que le commerce voisin vendant en plus des lunettes de vue ne pourra pas le faire ?

L’enjeu est aussi économique, certainement. Je le dis sans détours : la question des effets économiques des dérogations à la règle du repos dominical n’est pas une question facile. Mais comment ne pas reconnaître la fragilité de très nombreuses entreprises, dont le chiffre d’affaires et l’emploi dépendent étroitement de cette question de l’évolution des dérogations au repos dominical ? Comment ne pas tenir compte de la demande réelle des consommateurs, en particulier dans les grandes agglomérations, en particulier lorsqu’ils sont jeunes ? Comment ne pas prendre en considération les évolutions du commerce, à commencer par le développement considérable des achats par Internet, achats qui sont possibles sept jours sur sept et 24 heures sur 24 ?

L’enjeu est enfin bien sûr social. Le dimanche n’est pas une journée comme les autres, ne l’a jamais été et ne doit en aucun cas le devenir. Peut-on en même temps ignorer les évolutions soulignées par de très nombreux sociologues, cette « nouvelle carte du temps » pour reprendre le mot de certains d’entre eux ? Doit-on méconnaître les rythmes quotidiens de nos concitoyens dans les grandes agglomérations ? Que dire de la demande d’un nombre non négligeable de salariés qui souhaitent travailler le dimanche, dont les étudiants ?

À l’évidence, la question de la définition des dérogations au repos dominical est donc complexe. Ses facettes multiples requièrent la vigilance dans les choix retenus. Ces difficultés n’exonèrent pas pour autant le législateur de sa responsabilité, comme l’a rappelé à plusieurs reprises le Président de la République.

C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité, par quelques mesures ciblées, répondre à des questions récurrentes concernant le régime du repos dominical.

À ce propos, d’aucuns ont émis certaines réserves sur l’analyse développée dans l’exposé des motifs de la proposition de loi concernant la situation de la France aujourd’hui, au regard tant de son histoire que des choix effectués par ses voisins européens. Sur cette question, je voudrais dissiper tout malentendu, car je n’ai voulu choquer personne et, si c’est le cas, je le regrette très sincèrement. Ce que je veux dire, simplement, c’est que notre société a connu ces dernières années un certain nombre d’évolutions importantes, attestées, par exemple, par les études du Conseil économique et social. Et que face à ces évolutions, nous avons un devoir de pragmatisme pour trouver des solutions.

Du reste, je tiens d’emblée à préciser que les dispositions proposées ne portent que sur la possibilité de déroger à la règle du repos dominical. En aucun cas elles ne sont synonymes d’ouverture automatique des établissements concernés le dimanche.

Ces mesures sont de trois ordres et reprennent les préconisations des rapports de MM. Léon Salto et Jean-Paul Bailly du Conseil économique et social.

La première consiste à simplifier le régime applicable dans les zones touristiques.

Le cadre de la dérogation existante est inchangé, puisque la proposition de loi continue à viser « les communes touristiques ou thermales » et « les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente », lieux où le repos hebdomadaire peut être attribué par roulement.

En outre, comme dans le droit existant, sont visés les « établissements de vente au détail » qui mettent à disposition des biens et des services.

En revanche, alors que le cadre juridique en vigueur restreint ce champ aux biens et services « destinés à faciliter [l’] accueil [du public] ou ses activités de détente ou de loisirs d’ordre sportif, récréatif ou culturel », cette condition est supprimée par la proposition de loi, en raison des incohérences multiples auxquelles a donné lieu, en pratique, cette condition et que je viens de rappeler. Le Conseil économique et social, par deux fois en 2007, a insisté sur la nécessité d’une simplification. Je le cite : « pour des raisons d’équité et de cohérence commerciale, l’autorisation d’ouverture le dimanche pour les commerces situés en zones ou communes touristiques [doit être] collective et s’applique[r] à l’ensemble des commerces ».

M. Maxime Gremetz. Le rapporteur peut-il nous préciser si ces deux rapports ont été adoptés à une large majorité par les membres du Conseil économique et social ?

M. le rapporteur. La présente proposition de loi prend aussi acte des évolutions des modes de vie dans les plus grandes agglomérations, qu’avait aussi mises en évidence le Conseil économique et social en mettant l’accent sur les nouveaux rythmes de vie et les nouveaux comportements de consommation. Je le cite encore : il conviendrait de prendre en compte « l’intérêt manifeste pour le consommateur d’avoir plus aisément accès à un établissement commercial qui ouvrirait le dimanche, situé dans une zone géographique difficilement accessible le reste de la semaine, pour effectuer des achats ayant un caractère familial... ».

À cet effet, ce texte définit, dans un deuxième temps, un nouveau régime de dérogation à la règle du repos dominical, encadré par des garanties nouvelles au profit des salariés.

Le nouveau régime est particulièrement ciblé. Il ne concerne que les très grandes agglomérations, puisque le texte de la proposition de loi se réfère aux « unités urbaines de plus d’un million d’habitants », à savoir, en pratique, quatre unités urbaines : Paris, Marseille-Aix-en-Provence, Lyon, Lille. Je rappelle que la liste et le périmètre des unités urbaines sont établis par le préfet de région sur la base des résultats du recensement de la population.

Au sein de ces unités, ce régime ne sera applicable que dans les territoires qui auront été définis comme « zones d’attractivité commerciale exceptionnelle ». Dans ces seules zones, le repos hebdomadaire pourra être donné par roulement, pour tout ou partie du personnel, pour les établissements de vente au détail qui mettent à disposition des biens et des services.

En outre, le texte de la proposition réglemente la mise en œuvre de ce régime en l’assortissant de conditions exigeantes.

Ces conditions concernent d’abord la procédure à suivre : le conseil municipal prend l’initiative de la demande ; en pratique, en cas d’opposition du président de la communauté concernée, une zone ne pourra être qualifiée de zone d’attractivité commerciale exceptionnelle ; le préfet fixe le périmètre de la zone.

Mais ces conditions concernent également la nature des garanties accordées. En effet, les dérogations ne pourront être attribuées par le préfet qu’au vu d’un accord collectif ou d’une décision unilatérale de l’employeur prise après référendum auprès des personnels concernés par la dérogation. L’accord collectif devra décrire les contreparties accordées aux salariés concernés – repos compensateur et majorations salariales – ainsi que les engagements pris en termes d’emploi ou en faveur de certains publics en difficulté ou de personnes handicapées.

En l’absence d’accord collectif applicable, une décision unilatérale de l’employeur pourra être prise après avis des représentants du personnel (comité d’entreprise ou délégués du personnel) et après un référendum. Dans ce cas, le texte de la proposition de loi prévoit que le salarié bénéficiera au minimum d’un doublement de salaire et d’un repos compensateur.

Dans tous les cas, les salariés concernés auront le droit de refuser de travailler le dimanche sans que des sanctions puissent être prises de ce fait à leur encontre : le texte de la proposition de loi énonce expressément que « le refus de travailler le dimanche pour un salarié d’une entreprise bénéficiaire d’une (…) autorisation [de déroger à la règle du repos hebdomadaire en application des articles L. 3132-20, L. 3132-25 et L. 3132-25-1] ne constitue pas une faute ou un motif de licenciement ».

M. le président Pierre Méhaignerie. Je souhaiterais que ce débat se déroule dans la sérénité et j’invite les commissaires à écouter attentivement l’intervention du rapporteur. Comme je l’ai déjà dit, évitons de tomber dans la caricature. C’est à titre exceptionnel que je donne la parole à M. Christian Eckert pour une brève intervention.

M. Christian Eckert. Je regrette les conditions dans lesquelles débute l’examen de cette proposition de loi. Une certaine agitation peut être constatée ce matin en commission et on se demande pourquoi M. Jean-François Copé, qui est arrivé depuis dix minutes, persiste à s’entretenir en aparté avec certains députés alors qu’il pourrait s’asseoir et écouter le rapporteur.

M. le rapporteur. Concernant la liberté laissée aux salariés de travailler le dimanche, je souhaite souligner un élément important. Comme l’avait noté le Conseil économique et social : « Il est souvent argué que ces choix [de travailler le dimanche] ne sont pas véritablement libres et même qu’ils sont assez souvent contraints, par exemple du fait de ressources faibles ou d’une longue période de recherche de travail. Pour autant, ce qui est vraiment contraignant, c’est l’absence d’opportunité qui interdit tout choix... même contraint. La possibilité d’un choix demeure essentielle. Et si l’on reconnaît qu’un choix peut être contraint il faut aussi reconnaître que le choix du travail le dimanche peut être totalement libre, délibéré ou souhaité ». Telle est précisément la philosophie du présent texte.

Troisième mesure principale de la proposition de loi, l’adaptation aux modes de vie actuels du régime des dérogations accordées dans les commerces de détail alimentaire.

L’article L. 3132-13 du code du travail prévoit aujourd’hui que dans les commerces de détail alimentaire, le repos hebdomadaire peut être donné le dimanche à partir de midi. Les salariés bénéficient alors d’un repos compensateur, par roulement et par quinzaine, d’une journée entière.

Comme l’ont noté les différents travaux du Conseil économique et social sur le sujet, l’heure de midi telle qu’elle figure dans la législation en vigueur ne tient pas compte des rythmes de vie actuels. En pratique, ces commerces sont souvent ouverts jusqu’à douze heures trente, voire treize heures. À cet égard, le Conseil économique et social a lui-même évoqué la nécessité de « mettre le droit en accord avec les faits ».

Prenant en considération cette préconisation, la présente proposition de loi porte donc de midi à treize heures l’heure à partir de laquelle le repos hebdomadaire peut être donné le dimanche dans les commerces de détail alimentaire.

Voilà retracées les grandes lignes de cette proposition de loi. Je souhaite bien sûr que nous entrions maintenant dans le débat. Je présenterai à l’occasion de la discussion des articles les quelques modifications que je proposerai par voie d’amendements.

M. Jean Leonetti. J’interviens ici en tant que porte-parole du groupe UMP et je tiens d’emblée à préciser que le débat sur le travail dominical n’est pas clos. Cette question a fait l’objet de longues discussions au sein du groupe UMP dans le cadre du groupe de travail animé par le rapporteur et M. Serge Poignant. De nombreux collègues députés se sont émus du risque de banalisation du travail le dimanche. Pour répondre à cette inquiétude, il a été envisagé, dans un premier temps, de prévoir une période d’expérimentation pendant laquelle le travail dominical serait autorisé dans quelques départements, sous certaines conditions. Mais pour éviter que cette expérimentation ne conduise à une généralisation ou à une suppression du travail le dimanche, ce dispositif a été finalement écarté.

Le groupe de travail s’est interrogé sur la signification du travail le dimanche. Il faut lever certains tabous : le travail le dimanche concerne déjà de nombreux concitoyens, que ce soit au titre de l’activité économique ou de l’engagement associatif ou politique. Le dimanche n’est pas une journée comme les autres mais elle ne doit pas non plus être sacralisée, dans une République laïque où les citoyens se réfèrent à trois grandes religions monothéistes dont la journée de pratique du culte est différente.

Le travail le dimanche a de multiples conséquences en termes d’organisation sociale mais il ne faut pas oublier les enjeux économiques. Un équilibre doit être trouvé pour préserver le commerce de proximité, qui joue un rôle considérable pour l’animation des centres villes, tout en permettant la création d’emplois et le développement économique des centres commerciaux dans les grandes agglomérations. La discussion des amendements doit permettre d’aborder cette question.

Le travail le dimanche modifie les rythmes de vie des salariés mais évitons de faire comme si le travail le dimanche n’existait pas jusqu’à présent. De multiples secteurs sont déjà concernés comme par exemple le secteur hospitalier, les services de police et de gendarmerie ou les activités de loisirs. Certains voudraient faire de la question du travail dominical un enjeu de lutte sociale. Il convient d’adopter une démarche pragmatique pour trouver des solutions opérationnelles dans certaines zones géographiques particulières, sans pour cela risquer de déstructurer les conditions de vie et les équilibres familiaux de l’ensemble des salariés.

Il s’agit aujourd’hui de trouver des solutions face à des situations qui se sont développées pour faire entrer le fait dans le droit plutôt que de détruire le fait. Nous ne pouvons ignorer les multiples commerces ouverts le dimanche et le potentiel économique qu’ils représentent.

L’examen de cette proposition de loi doit permettre d’approfondir encore la réflexion et d’éviter grâce, notamment, aux amendements que nous adopterons, à la fois le statu quo insupportable et la généralisation, tout aussi insupportable.

M. Christian Eckert. Le débat ne se déroule pas dans de bonnes conditions : non seulement les délais d’examen sont déjà brefs, mais il s’agit d’une proposition de loi et, avant de se prononcer, la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, saisie pour avis et se réunissant demain matin, doit attendre que notre commission ait adopté un texte, ce qu’elle ne peut faire par définition qu’aujourd’hui !

En outre, l’opposition ne peut travailler ni normalement ni sereinement, dans la mesure où certains éléments essentiels de la proposition de loi ne sont pas encore connus, compte tenu des positions à géométrie variable du groupe majoritaire, comme le nombre de zones d’attractivité commerciale exceptionnelle ou le régime applicable aux commerces alimentaires.

La majorité considère que le but du texte est de faire rentrer le fait dans le droit mais en réalité, il vise bien au contraire à adapter le droit aux faits. Les auditions conduites par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche (SRC) ont même fait apparaître que des ministres, par leurs visites sur certains sites, ont considéré de façon complaisante des situations illégales. C’est scandaleux. Il y a une dissymétrie choquante entre le traitement des écoles d’une part, où les préfets n’hésitent pas à saisir les tribunaux administratifs lorsque l’accueil des élèves n’y est pas assuré en cas de grève, et l’ouverture des magasins le dimanche d’autre part, où les annulations en justice des dérogations accordées par les préfets demeurent sans effet.

Il est aussi regrettable que dans son commentaire écrit, le rapporteur ne fournisse pas suffisamment d’indications factuelles sur des points aussi importants que le nombre de dérogations existantes, les conditions actuelles de rémunération du travail dominical et le droit existant dans les autres pays européens.

Par ailleurs, le texte risque de se traduire par un régime du travail dominical à plusieurs vitesses, en fonction de l’ancienneté de la dérogation ou de l’existence d’accords de branche. En outre, il n’est pas bien rédigé, puisque les compétences des conseils municipaux en matière de dérogations semblent varier d’un article à l’autre : sont-elles accordées à leur demande, sur leur proposition ou sur leur avis, et cet avis est-il conforme ?

S’agissant enfin du volontariat, il serait dangereux de mentionner dans le contrat de travail l’acceptation du recours au travail le dimanche au regard des risques évidents en termes, notamment, de discrimination à l’embauche.

Le groupe SRC se battra donc contre cette proposition de loi, car elle succède à de nombreux autres textes sociaux tout aussi déplorables et sa portée, malgré les déclarations de la majorité, ne sera pas limitée dans le temps ou dans l’espace : ainsi qu’une organisation syndicale l’a fait observer, on met ici « le doigt dans l’engrenage ».

Mme Martine Billard. C’est bien d’un débat sur le travail dominical qu’il est question ici, ce que fait encore mieux apparaître la version originale du texte. La réflexion ne doit pas se placer sur le terrain économique, car c’est d’un choix de société qu’il s’agit : faut-il en effet satisfaire à tout moment ses pulsions de consommation ? Cela n’a rien à voir avec les secteurs de la santé, de la sécurité ou des transports qui sont, eux, indispensables au fonctionnement de la société. L’objectif de la proposition de loi est de légaliser des situations de fait afin d’éviter que des entreprises ne soient contraintes de verser des amendes.

Cette mauvaise manière de légiférer n’apportera en outre pas les contreparties annoncées : 7 millions de salariés qui travaillent déjà le dimanche n’en bénéficieront pas et les autres non plus, pour peu qu’un accord collectif, même moins favorable, ait été conclu sur ce thème. Largement majoritaires dans la grande distribution, les femmes, dont les rémunérations et les conditions de travail, notamment de temps de transport, sont déjà très mauvaises, seront les premières affectées. Face à cette menace, la secrétaire d’État chargée de la famille se contente de dire qu’on pourra « s’arranger » : si elle considère ainsi qu’il suffit de recourir à des gardes d’enfants, qui doivent d’ailleurs être payées double le dimanche, voilà qui en dit long sur la manière dont elle conçoit son rôle !

Enfin, même pour une députée de Paris, il ne paraît pas raisonnable qu’une commune puisse donner son avis s’agissant de dérogations susceptibles de concerner l’ensemble d’une agglomération.

M. Francis Vercamer. Le groupe Nouveau Centre est bien évidemment défavorable à la généralisation du travail le dimanche. Mais s’il est ici question d’humanisme et de choix de société, il ne faut pas non plus négliger la liberté du travail et la liberté d’entreprendre. Cela étant, les régimes applicables doivent être assortis de garanties, sociales pour les salariés et commerciales pour les magasins de proximité, car le rôle de la loi est de protéger les plus faibles.

La proposition de loi n’entend pas généraliser le travail le dimanche, ni même révolutionner le droit en vigueur. Au demeurant, de nombreux secteurs sont déjà concernés et il s’agit simplement ici de corriger certaines anomalies, dont certaines sont d’ailleurs légitimes.

On peut toutefois regretter que ce texte prenne la forme d’une proposition de loi et n’ait donc pu faire l’objet d’un véritable dialogue social préalable. En outre, la notion de volontariat devrait aller au-delà du simple fait de considérer que le refus de travailler le dimanche ne constitue pas une faute grave. Une autre question se pose : comment une juste rémunération sera-t-elle assurée si ceux qui sont actuellement obligés de travailler le dimanche sont moins payés que ceux qui seront volontaires ?

Il faut enfin prendre en compte les situations locales particulières, l’ouverture des commerces pouvant être autorisée dans certaines villes mais pas dans d’autres, pourtant très proches. Au sein du groupe Nouveau Centre, certains sont favorables au statu quo, d’autres souhaiteraient aller plus loin, d’autres encore considèrent au contraire qu’il faut restreindre le travail dominical ; le groupe adoptera sa position le 9 décembre prochain et, d’ici là, s’abstiendra donc en commission sur ce texte.

M. Bernard Perrut. La proposition de loi permet de prendre en compte des réalités de vie, de consommation et de pratiques commerciales. Elle généralise d’autant moins le travail le dimanche qu’un amendement de M. Pierre Méhaignerie viendra réaffirmer le principe du repos dominical. Elle ne doit pas constituer un premier pas vers la généralisation, au vu du contexte difficile que traverse en ce moment le commerce de proximité. Le travail dominical développe l’activité économique et l’emploi, mais il faudra prévoir des aides spécifiques, dans le cadre du Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce (FISAC), afin de compenser les incidences de l’ouverture le dimanche sur les commerces des villes moyennes proches des zones concernées.

En outre, il faut veiller à ce que le dimanche continue de constituer un point structurant pour la cellule familiale comme pour les activités de détente. Enfin, les contours du texte peuvent encore évoluer, notamment grâce à un amendement visant à exclure les grandes surfaces alimentaires du régime permettant l’ouverture des commerces le dimanche après-midi.

M. Yves Bur. Le texte a pour objectif de régler d’une manière détournée des situations illégales et marque un premier pas vers la généralisation du travail dominical. L’État ne sera pas capable d’assurer le respect des nouvelles règles, alors qu’il ne parvient déjà pas à le faire pour les règles en vigueur. Les citoyens ne sont pas seulement des consommateurs. Y aura-t-il vraiment liberté de choix pour les salariés dans le secteur de la grande distribution ? Le pouvoir d’achat va-t-il réellement augmenter ? L’Alsace-Moselle ne sera pas non plus préservée de la généralisation. Quant au principe du doublement de la rémunération le dimanche initialement prévu, il est déjà abandonné. Il n’y aura pas avancée sociale mais régression sociale.

M. le président Pierre Méhaignerie. Nous pouvons partager certaines convictions mais notre devoir est aussi de prendre en compte certaines situations tout à fait respectables.

M. Maxime Gremetz. Le rapporteur a omis de mentionner que les représentants de la CFTC, de la CGT, de FO et de l’UNSA avaient voté contre l’étude présentée au nom du Conseil économique et social (CES) par M. Jean-Paul Bailly en 2007, consacrée aux mutations de la société et aux activités dominicales, et que s’étaient abstenus les groupes de l’artisanat, des associations ainsi que la CFDT, tandis qu’avaient voté en sa faveur notamment les groupes de l’agriculture, de la coopération, des entreprises privées, des Français de l’étranger, de l’épargne et du logement, des personnalités qualifiées ou encore des professions libérales. Les témoignages recueillis dans les grandes surfaces amiénoises sont irréfutables : les salariés ne sont pas mieux rémunérés le dimanche. Le respect de la laïcité n’interdit pas de signaler que l’épiscopat s’est prononcé contre cette proposition de loi. Après que le travail de nuit des femmes a été rétabli, voici maintenant un premier pas vers la remise en cause absolue du repos dominical, ce que corrobore d’ailleurs le titre de l’étude du CES. Il n’est même pas possible d’amender un tel texte, contre lequel il faudra donc lutter dans la rue et à l’Assemblée nationale.

M. Jean Bardet. J’essaierai d’être aussi court que M. Maxime Gremetz !

Ce texte n’a rien de révolutionnaire. Il vise seulement à définir des dérogations à la règle du repos dominical. La loi de 1906 qui a institué cette règle prévoyait d’ailleurs déjà des dérogations. En outre, depuis un certain nombre d’années, des magasins ont pris l’habitude d’ouvrir le dimanche, ce qui ne pose pas de problèmes particuliers, y compris au regard de la situation des salariés concernés.

M. Maxime Gremetz. Certains ouvrent même le 11 novembre, ce qui est un scandale !

M. Jean Bardet. Par ailleurs, depuis quelques années, des décisions de justice sont intervenues pour imposer la fermeture de certains magasins, sur lesquels pèsent parfois de lourdes astreintes.

Au total, la proposition de la loi vise à régler des problèmes précis et non à généraliser le travail le dimanche. Les reproches théoriques qui sont adressés à cette proposition de loi relèvent d’ailleurs davantage du procès d’intention que de la bonne foi.

Premièrement, on dit que ce texte tend à légaliser une situation de fait, contraire à la pratique généralement admise. À cela, on répondra qu’une loi adoptée en 1906 peut quand même évoluer pour tenir compte de nouveaux besoins sociaux. En outre, ce n’est pas la première fois que le Parlement légalise ainsi une pratique : je rappelle qu’il l’a fait dans le cadre de la discussion sur la question de l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

Deuxièmement, on dit aussi que cette proposition de loi imposera aux salariés de travailler le dimanche. C’est faux. Le dispositif proposé repose entièrement sur le volontariat. Le texte disposera explicitement que la question du travail dominical ne devra pas être abordée lors de l’entretien d’embauche.

Troisième point, on dit qu’il est immoral d’encourager le travail le dimanche pour « gagner plus ». Pourtant, lorsque j’étais jeune étudiant en médecine, je n’ai pas hésité à faire deux ou trois gardes par semaine, car elles m’apportaient un plus dans ma vie professionnelle et je n’ai pas pour autant considéré que je faisais quelque chose d’immoral.

Quatrièmement, on entend certains rappeler que le jour du Seigneur est sacré. Mais on n’est plus en 1906. La France est un pays laïque, qui respecte toutes les religions et toutes les croyances, y compris ceux qui ne croient pas. De plus, le jour du Seigneur varie selon les religions du Livre : ce peut être le vendredi, le samedi ou le dimanche.

Dernier point, certains objectent que ce texte va détruire la vie de famille. C’est inexact : je ne vois pas en quoi ceux qui choisiraient de travailler un ou deux dimanches par mois remettraient en cause l’existence de la cellule familiale. De plus, il me semble qu’aller dans un centre commercial le dimanche pour choisir avec ses enfants un bureau apporte davantage à la vie de famille que de rester assis pour regarder la télévision.

En conclusion, je dirai sans hésiter que ce texte me paraît juste et équilibré.

M. Patrick Roy. La proposition de loi dont nous sommes saisis me paraît injuste et déséquilibrée. Elle pose en outre plusieurs problèmes.

D’une manière générale, j’ai du mal à croire que les Français dépenseront le dimanche ce qu’ils n’ont pas pu dépenser la semaine.

Par ailleurs, l’argument consistant à dire que ce texte n’imposera pas de contraintes nouvelles au salarié m’amène à penser que ceux qui l’invoquent soit ignorent tout du monde de la grande distribution, soit, et c’est peut-être plus souvent le cas, mentent de façon délibérée. Il ne peut y avoir de doute en la matière : ces dispositions constitueront une nouvelle contrainte pour les salariés.

J’observe du reste que, depuis le début de la législature, plus les textes concernant le droit du travail passent, plus le droit est coupé à la hache et plus leurs droits sont retirés aux salariés.

Enfin, une certaine vision de la société me conduit à penser que vivre, ce n’est pas consommer. Il existe d’autres valeurs à défendre pour le bien de la collectivité.

M. Jean-Pierre Marcon. On voit bien que ce texte suscite des discussions animées, quelles que soient nos sensibilités politiques et les catégories sociales auxquelles nous appartenons.

Ce débat a été ouvert en raison de décisions rendues par les tribunaux, ce qui prouve que la règle actuelle n’est plus adaptée à la réalité sociale. C’est la raison pour laquelle la proposition de loi suscite un beau débat de société. En effet, on ne peut faire évoluer la législation actuelle sans réfléchir plus largement à l’organisation de notre vie collective. Je salue donc la ténacité et le courage de Richard Mallié qui, avec sa proposition de loi, a permis l’ouverture de ce grand débat public.

Le dispositif proposé ne remet pas en cause le repos dominical mais réaffirme que le dimanche n’est pas un jour comme les autres. Ayant souvent travaillé le dimanche, mon expérience me conduit à trouver dans la proposition de loi des solutions équilibrées.

Trois mesures principales sont contenues dans ce texte:

– Il porte sur les dérogations en faveur des zones touristiques. Ayant souvent accompagné des touristes étrangers visitant notre pays, j’ai regretté qu’ils ne puissent pas consommer en achetant nos produits le dimanche. Ce texte va permettre de générer le chiffre d’affaires dont les commerces implantés dans ces zones ont besoin.

– Il propose de porter l’heure limite d’ouverture des commerces de détail alimentaire de douze à treize heures. Cette modification permettra ainsi la régularisation de nombreuses situations observées sur le terrain.

– Il propose enfin de mettre en place la notion de « zone d’attractivité commerciale exceptionnelle », les salariés des entreprises concernées devant bénéficier, sous certaines conditions, d’un doublement de salaire.

C’est ce troisième point qui me semble poser une difficulté. D’une manière générale, je suis favorable aux majorations salariales, mais en liant le doublement du salaire à la notion de « zone d’attractivité commerciale exceptionnelle », on semble laisser de côté tous ceux qui travaillent le dimanche hors de ces zones. Or de très nombreux salariés sont concernés par le travail dominical. Par conséquent, il est inévitable qu’ils réclameront une égalité de traitement avec les salariés qui bénéficieront d’une mesure plus avantageuse dans le cadre de la présente proposition de loi.

Cette disposition posera à mon avis des problèmes d’application pour les employeurs de certains secteurs. C’est pourquoi je proposerai un amendement tendant à prévoir que les salaires sont directement discutés au niveau de l’entreprise.

Mme Catherine Génisson. Je suis aussi une travailleuse du dimanche. Ce type de travail n’a rien d’exceptionnel : 25 % des salariés travaillent aujourd’hui le dimanche. Mais dans le même temps, ceux qui travaillent ce jour-là le font par obligation, parce qu’ils doivent assurer un service public ou maintenir une activité de production.

C’est pourquoi je me réjouis que la règle du repos dominical soit inscrite dans le code du travail, dans notre République laïque. À cet égard, je m’étonne que le dernier paragraphe de l’exposé des motifs nous appelle à agir pour prendre en compte les changements intervenus dans les modes de vie d’une partie des Français et pour respecter la différence de chacun et la liberté de tous.

Quand on lance un tel appel, on se doit de réfléchir sérieusement aux conséquences de mesures qui auront un impact important sur la vie des Français. Je ne suis pas sûre en outre que ce texte encouragera les acteurs agissant au sein d’une entreprise à se réunir et à se concerter pour réfléchir à une meilleure organisation collective du travail et de la production. Respecter la différence de chacun implique le respect des droits et des prérogatives des uns et des autres.

Personne ne souhaite spontanément travailler le dimanche. La seule motivation qui pousse un salarié à faire ce choix est l’obtention d’une rémunération plus importante. La vérité, qu’il faut rappeler, est que les salariés sont attachés au repos dominical, qui constitue un temps fort de la vie familiale.

M. Jean Mallot. Il est normal que nous prenions le temps de débattre. C’est le propre du travail en commission. Tous les arguments doivent être avancés, toutes les options doivent être étudiées, afin que soit préparé correctement l’examen du texte en séance publique. Je me réjouis, à cet égard, que notre réunion soit animée et bénéficie de la participation de très nombreux commissaires.

J’observe que le rapporteur a appelé de ses vœux la tenue d’un débat qui ne soit pas marqué par la caricature. Le paradoxe est que cette recommandation semble concerner davantage le groupe UMP que l’opposition. En outre, la belle « unanimité » dont on nous dit qu’elle rassemble l’UMP autour de cette question du travail dominical m’incite à vouloir lui donner satisfaction en l’invitant à examiner la proposition de loi en séance publique un dimanche.

Par ailleurs, j’ai relevé quelques arguments étonnants dans l’exposé des motifs de ce texte. Ainsi, selon l’auteur de la proposition de loi, les dérogations au repos dominical permettront d’apporter une solution aux embouteillages qui empoisonnent la vie de nos concitoyens. Autre argument surprenant : il faut encourager le travail dominical car, désormais, un Français sur trois fait ses achats sur internet. Je ne saisis pas très bien le fondement de cette argumentation.

Pour revenir au dispositif, le point central de la discussion porte sur la liberté de choix du salarié. Si elle existait vraiment, la discussion serait moins orageuse. Mais, en vérité, cette notion de liberté est irréaliste. On ne choisit pas de travailler le dimanche parce qu’on est libre : on est contraint de le faire parce qu’il faut bien gagner assez d’argent pour pouvoir vivre correctement. De même, on n’est pas libre de travailler jusqu’à 70 ans : on y est contraint pour ne pas être obligé de survivre avec une petite retraite.

C’est pourquoi je pense qu’en raison du lien de subordination qui entrave la liberté du salarié, la marge de manœuvre de ce dernier est plus que réduite en ce qui concerne le travail dominical.

J’en viens aux conséquences concrètes du travail dominical. Elles sont au nombre de deux : d’une part, l’ouverture des commerces ce jour-là ne créera aucun emploi supplémentaire, mais au contraire en détruira dans le secteur du petit commerce ; d’autre part, l’ouverture d’un commerce occasionnant toujours des frais, ce texte accroîtra ceux-ci et aura pour effet de pousser à la hausse le prix de vente des produits.

En ce qui concerne les conséquences autres qu’économiques, le dispositif proposé induira un développement du trafic routier et aura un effet « tâche d’huile » sur l’ensemble de la vie collective quelque peu contradictoire avec le Grenelle de l’environnement.

Nous tenons à ce qu’il y ait un jour de repos dans la semaine, indépendamment de la dimension religieuse de ce principe. Nous estimons en effet que se distraire, ce n’est pas se promener dans des centres commerciaux pour contempler, sur des étals, les marchandises qu’on ne pourra pas acheter.

Par ailleurs, ce texte va poser un problème d’égalité entre les salariés. Ainsi, la fameuse règle relative au doublement de la rémunération ne s’appliquera pas à tous les salariés : la coexistence de plusieurs catégories de salariés ne manquera pas de susciter des difficultés sur le plan constitutionnel.

La disposition prévoyant qu’à défaut d’un accord, la décision de l’employeur d’ouvrir le dimanche doit être approuvée par référendum soulève aussi des difficultés. Quelles seront en effet la valeur et la portée juridique de cette consultation ?

Enfin, la loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social prévoit que le vote de toute loi modifiant le code du travail doit être précédé d’une concertation avec les partenaires sociaux. Or je crois pouvoir dire que cette proposition de loi ne respecte pas cette règle, qui est pourtant essentielle.

M. Jacques Domergue. Quand j’allais en classe, il n’y avait pas école le jeudi. Ce jour sans école a ensuite été fixé au mercredi puis, très récemment, les cours du samedi ont été supprimés. La semaine de quatre jours vient d’être instaurée à l’école primaire, ce qui montre que rien n’est figé.

Cette proposition de loi ne vise pas, contrairement à ce qu’affirment ses détracteurs, à instaurer le travail le dimanche, mais à réglementer ce dernier. C’est pourquoi je la soutiens, même si le traitement privilégié accordé à certaines zones pourrait donner le sentiment aux autres que les premières bénéficient d’une forme de passe-droit.

En outre, la règle de la rémunération double va poser un problème d’égalité entre les salariés, qui n’en bénéficieront pas tous nécessairement.

Enfin, il est important de prévoir des dispositions spécifiques pour les grandes surfaces alimentaires. Il est en effet indispensable de « revitaliser » nos centres-ville, en particulier en stimulant les activités de bouche.

Mme Catherine Lemorton. Je souhaiterais répondre à ceux qui avancent des arguments qui tendent à confondre des situations qui ne sont en rien comparables. Ce texte ne vise pas à rétablir l’égalité des droits entre des situations semblables, mais à régulariser des situations qui sont totalement illégales. Comment peut-on prendre l’exemple de l’étudiant en médecine qui décide de travailler et s’en trouve heureux pour soutenir le développement du travail dominical ?

M. Jean Bardet. J’ai simplement évoqué le cas des étudiants qui font le choix de faire deux à trois gardes par semaine.

Mme Catherine Lemorton. Au moment où nous allons examiner une proposition de loi visant à lutter contre l’échec des étudiants en première année de médecine, je ne comprends pas qu’on puisse vouloir encourager ces mêmes étudiants à travailler dix heures le dimanche et à s’épuiser ainsi au lieu de préparer leurs cours !

M. le président Pierre Méhaignerie. Il ne faut pas tout mélanger et exclure qu’un étudiant qui a 18 heures de cours par semaine puisse décider de travailler un jour par semaine.

Mme Catherine Lemorton. J’en viens à l’argument selon lequel, en l’absence de travail dominical, les moments passés devant la télévision ou un écran d’ordinateur ne favoriseraient pas le dialogue au sein des familles.

Pour ma part, je ne considère pas que c’est en me promenant entre les rayons des produits frais et des lessives que je peux dialoguer avec mes enfants.

Par ailleurs, je propose aux députés de la majorité des travaux pratiques avant le vote ce texte. Il suffit, par exemple, de se rendre dans un magasin qui pratique des ouvertures exceptionnelles avant Noël et de demander aux caissières si elles étaient volontaires pour travailler le dimanche. Je peux vous affirmer, en outre, que le délai de prévenance de huit jours pour la fermeture du magasin le 24 décembre à 21 heures 30 n’est jamais respecté. Ainsi, les caissières des grandes surfaces ne sont prévenues que le 23 décembre au soir ou le 24 au matin…

M. Michel Ménard. La liberté tant promue par la majorité se résume à la liberté de travailler jusqu’à l’âge de 70 ans tous les dimanches en faisant des heures supplémentaires. En réalité, parler de liberté dans ce domaine relève davantage du mensonge.

On nous dit que le dispositif proposé constituerait un levier pour stimuler l’économie. Mais les ménages qui connaissent des difficultés économiques ne vont pas pouvoir consommer plus du fait de l’ouverture des commerces le dimanche. La vraie question est celle du pouvoir d’achat des plus modestes et le dispositif proposé n’y apporte pas de réponse.

Par ailleurs, cette proposition de loi aurait mérité des travaux préparatoires plus approfondis, notamment pour corriger certaines imprécisions. C’est d’ailleurs pour de tels motifs que récemment la Commission a décidé de suspendre l’examen d’une proposition de loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais ou accidents nucléaires et de ne pas présenter de conclusions. Plutôt que de passer en force, la majorité gagnerait à prendre en compte certaines observations de l’opposition. On aurait ainsi pu éviter d’adopter des dispositifs législatifs dont l’application pose plus de problèmes qu’elle n’en résout, comme c’est le cas par exemple du droit d'accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire ou des dispositions relatives à la journée de solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées. C’est pourquoi les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche (SRC) souhaitent que la Commission suspende l’examen de la proposition de loi.

M. Richard Mallié, rapporteur. La proposition de loi apporte une réponse à un vrai problème : comment régler les ambiguïtés et combler les lacunes de la législation en vigueur sur le repos dominical, sachant que ces ambiguïtés et ces lacunes fragilisent des entreprises et que 15 000 à 20 000 emplois pourraient être en jeu ?

Pour régler ces problèmes, on aurait pu procéder à l’établissement de dérogations par branches au principe du repos dominical, comme cela a été fait en janvier dernier pour les établissements de commerce de détail d’ameublement. Cette solution a toutefois été écartée, car elle aurait conduit à accorder des dérogations à l’ensemble des entreprises au sein des branches considérées, alors qu’au sein de chaque branche, les entreprises ne souhaitent pas toutes nécessairement bénéficier de ces dérogations.

C’est pourquoi la solution retenue consiste simplement à ajouter une dérogation supplémentaire aux 180 déjà existantes, moyennant des contraintes importantes. En effet, il est proposé que seul le conseil municipal puisse prendre l’initiative de la demande, que le président de l’intercommunalité concernée puisse s’y opposer, que la délimitation du périmètre de la zone concernée revienne au préfet ou encore que les partenaires sociaux soient toujours invités à négocier les contreparties accordées dans le cadre d’un accord collectif, en l’absence duquel pourra intervenir une décision unilatérale de l’employeur prise après référendum.

En tout état de cause, le dispositif proposé établit un cadre national dans le code du travail, mais c’est au niveau local que la décision devra être prise : la loi laisse donc toute sa place à la démocratie sociale. Il n’est d’ailleurs pas rare aujourd’hui que, sur le terrain, les partenaires sociaux adhèrent à un accord collectif permettant le travail dominical alors que la centrale syndicale dont ils relèvent en dénonce le principe au plan national.

S’agissant de la grande distribution, il faut noter que les demandes des entreprises du secteur ont évolué : elles ne souhaitent plus ouvrir tous les dimanches, mais simplement pouvoir ouvrir dix ou douze dimanches dans l’année. Il ne s’agit donc pas des questions spécifiques traitées par la présente proposition de loi.

Enfin, il faut redire qu’avant le dépôt de cette proposition de loi, pendant près d’un an ont été menées des auditions. Ces dernières semaines, préalablement à la présente discussion, de nouvelles auditions ont été ouvertes à l’ensemble des membres de la Commission, auditions auxquelles M. Christian Eckert a d’ailleurs pris part une fois.

La Commission passe ensuite à l’examen des articles de la proposition de loi.

Article additionnel avant l’article 1er : Principe du repos hebdomadaire dominical

La Commission examine un amendement de M. Jean-Frédéric Poisson visant à réaffirmer le principe du repos dominical.

M. Jean-Frédéric Poisson. Pour renforcer le principe du repos dominical, qui est déjà énoncé de façon très claire dans le code du travail, il aurait fallu soit lui donner une valeur constitutionnelle, ce qui paraît difficile, soit le considérer comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République, ce qui correspond à une procédure spécifique et longue, soit encore reprendre mot pour mot la rédaction de l’article L. 3132-3 du code du travail, ce qui aurait été évidemment redondant : d’où la présente rédaction qui précise que c’est dans l’intérêt des salariés que le repos hebdomadaire est donné le dimanche.

D’ailleurs, la jurisprudence des chambres criminelle et sociale de la Cour de cassation considère d’ores et déjà que c’est dans l’intérêt du salarié que le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche. En outre, la notion d’intérêt du salarié peut recouvrir plus largement des considérations liées à sa vie personnelle, allant au-delà de son activité professionnelle.

M. Christian Eckert. C’est ubuesque. Loin de renforcer le principe du repos dominical figurant à l’article L. 3132-3 du code du travail, cet amendement en affaiblit la portée : il risquerait de permettre à un juge de valider une décision d’un employeur tendant à obliger un salarié à travailler le dimanche dès lors qu’il n’est pas établi que l’intérêt du salarié est compromis.

Mme Martine Billard. On pourrait qualifier cet amendement de bavard car sa portée est surtout médiatique. Le problème est que ce dispositif n’interdit pas les dérogations au principe du repos dominical, dès lors que l’intérêt du salarié n’est pas remis en cause.

M. Philippe Boënnec. Ramener la justification du repos dominical au seul intérêt du salarié semble un peu réducteur. Il faudrait plutôt défendre plus généralement ce principe dans le cadre d’une « laïcité positive ».

M. Jean Mallot. Les salariés ne sont pas les seuls à avoir intérêt au repos dominical : on pourrait aussi mentionner l’intérêt qu’y ont, par exemple, les travailleurs indépendants.

M. le président Pierre Méhaignerie. Même si cet amendement peut paraître bavard, il est parfois bon de rappeler certains principes. J’ajoute que les travailleurs indépendants peuvent travailler le dimanche.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte cet amendement.

Article 1er : Définition des dérogations à la règle du repos dominical dans les zones touristiques et les zones d’attractivité commerciale exceptionnelle

La Commission examine deux amendements de suppression de l’article de M. Christian Eckert et de Mme Martine Billard.

M. Jean Mallot. Cet article comporte les dispositifs les plus importants de la proposition de loi, susceptibles d’avoir un effet néfaste sur les conditions de vie en société comme pour l’économie française. En effet, la mise en œuvre de cet article induira inévitablement une hausse des prix, alors que l’ouverture des magasins le dimanche ne suffira pas à augmenter le pouvoir d’achat en conséquence.

Quant à l’idée suivant laquelle un tel dispositif créerait des emplois, elle est très contestée car l’ouverture des commerces le dimanche bénéficierait plus aux grandes surfaces qu’au petit commerce, dans la mesure où les grandes surfaces emploient moins de main d’œuvre et ont plus souvent recours à des statuts précaires et à des emplois à temps partiel. En outre, la rédaction proposée pour cet article rend difficile sa mise en œuvre : sur quels critères définir une zone touristique ?

Conformément à l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette ces deux amendements.

Puis elle examine deux amendements pouvant être soumis à une discussion commune, tendant à limiter les dérogations au principe du repos dominical dans les zones touristiques aux seules périodes d’activité touristique, présentés l’un par M. Christian Eckert, l’autre par Mme Martine Billard.

M. Christian Eckert. Dans sa rédaction actuelle, l’article du code du travail relatif aux dérogations au repos dominical dans les zones touristiques limite ces dérogations aux seules périodes d’activité touristique. Une telle précision est conforme au caractère souvent saisonnier des activités touristiques, qui se concentrent plutôt en hiver dans les stations de sport d’hiver, et plutôt en été sur le littoral.

Mme Martine Billard. Il n’y a pas de raison de supprimer cette mention relative aux périodes d’activité touristique pour les dérogations prévalant dans les zones touristiques.

M. Jean Mallot. Des amendements comme ceux-ci, qui ont fait l’objet de réflexions approfondies et visent à apporter des précisions au texte proposé et non à en modifier radicalement l’équilibre, méritent un commentaire détaillé du rapporteur.

M. le rapporteur. L’examen de la proposition de loi en séance publique sera l’occasion de longs échanges argumentés.

Mme Catherine Génisson. Cela va à l’encontre de l’esprit de la dernière révision constitutionnelle, qui vise au contraire à faire plus de place aux débats de fond en commission puisque l’Assemblée nationale délibérera sur le texte issu des travaux de la commission.

Le président Pierre Méhaignerie. Sur le fond, il peut paraître difficile de délimiter avec précision les périodes d’activité touristique.

M. Christian Eckert. Le soin de déterminer ces périodes serait confié aux préfets, chargés d’appliquer le dispositif sur le terrain, et le décret en Conseil d’Etat prévu par l’article 1er pourrait utilement préciser certains critères.

Sur l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement de M. Christian Eckert, puis celui de Mme Martine Billard.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette ensuite un amendement de Mme Martine Billard tendant à supprimer la possibilité d’accorder des dérogations au principe du repos dominical dans les entreprises qui mettent à la disposition du public des services, et non des biens, dans les zones touristiques.

Puis la Commission examine un amendement de M. Christian Eckert tendant à limiter les possibilités de dérogation au principe du repos dominical aux commerces qui fournissent des biens et des services destinés à faciliter l’accueil du public ou ses activités de détente et de loisirs d’ordre sportif, récréatif ou culturel.

M. Christian Eckert. Cet amendement vise à rétablir dans le code du travail une précision importante, qui y figure aujourd’hui mais est supprimée par la proposition de loi.

M. Jean Mallot. Supprimer cette limitation irait dans le sens d’une extension déraisonnée des possibilités de dérogation au principe du repos dominical.

M. le rapporteur. Cette adaptation du droit existant est utile, et un récent rapport du Conseil économique et social l’a recommandée.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette cet amendement.

Puis elle rejette, suivant l’avis défavorable du rapporteur, un amendement similaire de M. Christian Eckert.

La séance est levée à treize heures trente.

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Information relative à la Commission

La Commission des affaires culturelles, familiales et sociales a désigné Mme Chantal Brunel rapporteure sur la proposition de résolution sur le comité d’entreprise européen (n° 1245).