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Compte rendu

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Mercredi 29 avril 2009

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 49

Présidence de M. Pierre Méhaignerie Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Luc Hees, dont la nomination est envisagée par le Président de la République pour présider la société Radio France

– Avis, par scrutin secret, sur cette nomination 16

– Informations relatives à la Commission 17

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

Mercredi 29 avril 2009

La séance est ouverte à dix heures.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission)

La Commission procède à l’audition, ouverte à presse, de M. Jean-Luc Hees, dont la nomination est envisagée par le Président de la République pour présider la société Radio France.

M. le président Pierre Méhaignerie. Mes chers collègues, je vous rappelle que le président de la société Radio France est nommé par décret pour cinq ans après avis conforme du Conseil supérieur de l'audiovisuel et des commissions parlementaires compétentes. L'intervention des commissions parlementaires résulte de l'article 13 de la Constitution, modifié par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Comme vous le savez, le Président de la République envisage de nommer M. Jean-Luc Hees président de la société Radio France. Le 8 avril, le CSA a émis un avis favorable à cette nomination et hier, 28 avril, la commission des affaires culturelles du Sénat également, par 20 voix pour, avec 19 votes blancs. Pour arriver au terme de ce processus encadrant doublement le pouvoir de nomination du chef de l'État, il appartient désormais à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale de se prononcer après avoir entendu publiquement la personnalité dont la nomination lui est proposée. C'est, monsieur Hees, la raison de votre présence parmi nous.


Je vous propose que nous organisions nos travaux en deux phases. La première, ouverte à la presse, sera consacrée à l'audition proprement dite de M. Hees ; celle-ci achevée, M. Hees nous quittera. La seconde consistera à émettre un avis sur le projet de nomination de M. Hees à la présidence de la société Radio France par scrutin secret.

Pour ce qui est de l'audition, je donnerai la parole à M. Hees pour une déclaration liminaire. Interviendront ensuite pour poser leurs questions le président de la commission, les porte-parole des groupes, puis les députés qui le demandent.

M. Jean-Luc Hees.

Vous comprendrez que, tout en ne tenant pas devant vous un discours très différent de celui que j'ai tenu hier après-midi devant vos collègues sénateurs, je souhaite réitérer quelques idées qui me semblent fondamentales pour l'avenir de Radio France, si vous m'accordez votre confiance.

Je suis le premier à expérimenter les effets de la loi sur la réforme de l'audiovisuel public en ce qui concerne la nomination des présidents des sociétés nationales de programme. Tout en gardant le silence pour réserver mes propos au Conseil supérieur de l'audiovisuel et à la représentation nationale, j'ai noté ici et là de la curiosité, sinon de la suspicion. C'est pourquoi je me suis senti autorisé, hier, devant les sénateurs, à donner quelques indications sur la conversation que j'ai eue avec le Président de la République lorsqu'il m'a proposé de me désigner à ce poste. Il m'a dit qu'il souhaitait un journaliste, un professionnel de la radio et un homme passionné par la radio et par le service public. Au cours de cet entretien, il a constaté que nous ne nous connaissions pas, ce que je confirme, car je n’ai jamais entretenu avec les politiques que des relations professionnelles, quelles que soient les sympathies qui ont pu naître ici et là. Le Président de la République ne m’a pas demandé comment j'avais voté et j'ai apprécié cette courtoisie. Il m’a fait savoir solennellement qu'il ne me demanderait jamais rien qui puisse heurter ma conscience ou mes convictions. Ce disant, je pense qu'il ne faisait pas référence à mes préférences personnelles de citoyen mais à l'exercice de mon mandat et aux convictions qu'elles supposent, dont je souhaite vous faire part brièvement.

J'aspire à devenir président de Radio France parce que j'ai, comme les Français, une haute idée du service public, garant de l'égalité de traitement pour tous, garant de la continuité de ce service, garant d'un développement au service de la société toute entière, dans son pluralisme et dans sa diversité. C'est une institution qu'il est fondamental de défendre en permanence. Les antennes du service public appartiennent à tous les Français, qu'ils soient de gauche, de droite ou d'ailleurs, athées ou religieux, jeunes ou âgés, puissants ou misérables. Elles constituent un lien démocratique dont nous avons grand besoin, particulièrement lorsque notre pays connaît, comme maintenant, des moments difficiles.

Radio France est une institution de la République et, en ce domaine, la République, c'est d'abord l’accès de tous à une information complète, sérieuse, pluraliste et de qualité. L'information irrigue la démocratie, en ce qu’elle permet au citoyen de faire des choix solidement étayés, si elle est sûre et vérifiée. C'est mon métier depuis bientôt quarante ans, et ce métier s’honorerait qu’incombe à un journaliste la mission de conduire les antennes de la radio publique.

Au risque de me répéter, mais ces choses vont mieux les disant, je pense aussi que la République, c'est l'accès du plus grand nombre à la culture, dans le respect de chacun.

Radio France est dans le champ de la concurrence, ce qui, selon moi, est une bonne chose, mais la compétition est rude. Plus que jamais, le service public doit faire entendre sa différence, qui est d’ailleurs un atout dans la compétition.

Je vous dois, dans ce court exposé, un aperçu de ma vision pour Radio France. J’aborderai quatre chapitres : les antennes ; la refonte de la convention collective de Radio France ; les travaux de réhabilitation de la Maison de la Radio ; les nouvelles technologies.

Radio France, c'est la diversité, la spécificité et la complémentarité des missions, donc des antennes. Selon le dernier sondage Médiamétrie, le groupe se porte plutôt bien, même s’il a connu de meilleurs résultats au début des années 2000. Radio France, ce sont sept antennes et aussi quatre formations musicales de très grande qualité. Le groupe est un des principaux employeurs de musiciens, mais aussi de comédiens, du pays : il compte plus de 600 journalistes ainsi que près de 400 musiciens professionnels.

Le paysage radiophonique change par le biais des technologies nouvelles et par les nouvelles habitudes de consommation qu’elles induisent auprès des auditeurs, les jeunes particulièrement. Il faut s'en réjouir et, de toute façon, la convergence des médias ne fera que se renforcer.

Devant le Conseil supérieur de l'audiovisuel, j'ai dit que l’une de mes priorités serait le contenu des antennes, car j'ai tendance à penser que des tuyaux sans contenu ne servent pas à grand-chose. Je pense que l'on peut constamment améliorer les antennes et qu’il n’y a pas de fatalité à l'érosion de l’audience, pour aucune des antennes de Radio France.

France Inter tient son rang mais elle a connu des jours meilleurs en termes d'audience, puisqu’elle atteignait 11,8 % d'audience en 2003 contre 10,2 aujourd’hui. Il faut donc redresser la pente, et le faire avec doigté car cette antenne est surveillée comme le lait sur le feu par des auditeurs réellement fusionnels. Je le redis, étant donné le bon état de santé du marché global de la radio, l’érosion de l’audience n’est pas une fatalité.

France Info est touchée de plein fouet par la concurrence des autres radios, de la télévision et de l’internet et, après vingt-deux ans de succès, le temps est venu de quelques modifications dont il faudra parler avec la direction de l’antenne et ses équipes, qu’il s’agisse des séquences, que l’on peut imaginer autres pour éviter une certaine répétitivité, ou de l'habillage. Sur le fond, on doit chercher à privilégier le direct et l’analyse. Les équipes sont très compétentes et ont montré qu’elles savent s’adapter. Tout est donc question de dialogue.

France Bleu, réseau formidablement moderne auquel je tire mon chapeau, se consacre fortement à sa mission, l’ancrage local. L’antenne a, en dix ans, conquis de fortes parts de marché. Tous ceux qui, comme moi, l’écoutent quand ils sont en province savent la mobilisation des personnels en cas de catastrophe naturelle et de crises locales. Cette antenne peut faire davantage encore pour accompagner les auditeurs en temps de crise, ses équipes en sont convaincues. Il faudrait donc peut-être libérer des initiatives au niveau local en centralisant moins les décisions ; le débat doit avoir lieu à ce sujet aussi. Il faut d’autre part remédier aux trous de la couverture. Ainsi, à ce jour, la couverture de la région Midi-Pyrénées, région la plus étendue de France, fait cruellement défaut. Les contraintes budgétaires sont celles que l’on sait, mais les progrès technologiques doivent aussi servir à progresser en ce domaine et il faut parvenir à élargir le public soit par la modulation de fréquence (FM) soit en utilisant les plates-formes numériques.

De France Culture je n’ai presque rien à dire, ce qui est un compliment, sinon qu’elle se porte bien et poursuit ses missions avec vitalité et imagination, sans rien perdre de ses ambitions intellectuelles, et qu’elle doit continuer à s'ouvrir à de nouveaux publics et à se rendre accessible, constamment.

France Musique a des atouts inestimables : ses personnels, sa culture et, surtout, les formations musicales de Radio France. À nous de faire progresser l'ensemble face à une concurrence très active et très dynamique, j’en sais quelque chose, notamment en exposant davantage nos orchestres, qui sont d’un très haut niveau, sur France Musique et sur d’autres antennes du groupe. Nous devons profiter de ce que toutes les pratiques musicales se développent en France et qu’une nouvelle génération se lève de musiciens classiques tout de talent, de générosité et de fantaisie. La demande est très forte, et les idées ne me manquent pas, que je mettrai en œuvre si vous m’accordez votre confiance.

J’ai vu naître Le Mouv’ sous la présidence de M. Boyon. C’était une très belle idée de service public, car on ne peut laisser une foule de jeunes hors de la communauté radiophonique nationale. Toutefois, en dépit de l’élargissement des bassins de diffusion, l’audience, telle que mesurée dans les sondages, ne suit pas. Cette situation est anormale. Le Mouv’ doit sortir d’un certain ghetto et s’adresser à une communauté de jeunes gens qui éprouvent maintes difficultés, qui s’interrogent sur l’époque et qui ont besoin qu’on les aide à trouver des réponses. On ne peut laisser ce chantier en l’état, ni ces moins de 24 ans à la concurrence des radios privées. Il faudra donc probablement revoir le format de l’information diffusée et développer l’éveil politique de ces jeunes sur les ondes du Mouv’.

De FIP, où j’ai commencé ma carrière radiophonique le 8 mars 1972, je pense beaucoup de bien. Cela dit, il faut être cohérent : si c'est un bijou, il faut trouver les moyens de mieux diffuser cette radio, soit en FM, soit en numérique.

J’en viens aux relations sociales au sein de l’entreprise. Le groupe Radio France emploie près de 4 500 personnes qui nourrissent des dizaines de milliers d'heures de programme. Tout est produit par la maison et la masse salariale représente près de 60 % du budget. Chacun le sait, le nouveau président sera confronté d'entrée à un chantier très important et indispensable : l'élaboration d'une nouvelle convention collective du fait que France Télévisions s'est retiré de l’association des employeurs de l'audiovisuel public. Par ailleurs, les textes régissant la vie de Radio France, vieux de 25 ans puisqu’ils datent de mars 1984, ne correspondent plus à l'évolution de nos métiers. Je n'ai pas choisi cet emploi du temps, mais je pense qu’au fond les esprits sont mûrs pour aborder la négociation. Cela dit, je comprends parfaitement les inquiétudes du personnel qui peut légitimement redouter la remise en cause de ses acquis. Je l’ai dit, je suis convaincu que cette renégociation peut être une chance pour l’entreprise et pour les salariés.

J'ai le sentiment que le niveau de dialogue social au sein de Radio France est plutôt de bonne qualité. Plusieurs parlementaires ont insisté, ces dernières années, sur la nécessaire modernisation de la convention collective. Mon premier geste, si j'étais désigné à la tête du groupe, serait évidemment de rencontrer les organisations syndicales pour fixer avec elles un calendrier de discussion.

La réhabilitation de la « Maison ronde » est, comme tout dossier de cette ampleur, un dossier à risque. Il ne s'agit de rien moins que de sécurité, de l'activité de Radio France et des deniers publics. Ces travaux sont nécessaires pour les salariés, pour l’accueil du public et pour la fonctionnalité de la radio future. L'an dernier, le rapporteur spécial du Sénat, M. Claude Belot, a critiqué la conduite des opérations, pointant notamment des surcoûts. Le budget, m’a-t-on dit, a été revu à la baisse, mais je n’ai pas eu accès au dossier. Quoi qu’il en soit, la vigilance s'impose.

J’en viens enfin aux nouvelles technologies, qui nous offrent d’incroyables possibilités nouvelles. Bien sûr, la radio change dans sa production, dans sa diffusion et dans ses modes de consommation. L’internet et le numérique permettent de réfléchir différemment ; là est évidemment l'avenir du groupe, et c’est un volet sur lequel les équipes de Radio France travaillent d'arrache-pied. L’internet a déjà introduit une relation totalement différente entre le diffuseur et l'auditeur et c'est un outil très précieux d’évaluation de la qualité des contacts. L’équipe multimédia de Radio France estime les podcasts à 80 millions par an, ce qui est considérable. La production numérique est entrée dans les mœurs des équipes de la société depuis plusieurs années ; il y a cinq ans, j'avais d'ailleurs saisi 1’occasion du déménagement de France Inter pour obtenir la numérisation complète des moyens de production de l'antenne.

Le destin de Radio France passe évidemment par la diffusion numérique terrestre. Actuellement, les programmes sont essentiellement diffusés par la voie analogique et les fréquences sont rares. La radio numérique terrestre – la RNT – représente donc une occasion idéale, tant pour la qualité du son que pour la couverture et pour la possibilité qu’elle donne d'enrichir les programmes par des données associées. De plus, à terme, la RNT signifie la baisse de nos coûts de diffusion – mais j’insiste sur le fait que ce ne sera qu’à terme car pendant la période de coexistence des deux modes de diffusion, les coûts seront plus importants. Dans tous les cas, cette technologie permettra de lancer des initiatives radiophoniques nouvelles.

Telle est ma vision, condensée à l'extrême, pour Radio France. Elle suppose une forte mobilisation des personnels pour améliorer encore la qualité des contenus et la prise en compte des nouvelles technologies.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je vous poserai une seule question, qui s’adressera moins au candidat à la présidence de Radio France – lequel doit faire preuve d’une grande prudence – qu’au citoyen journaliste qui a vécu à l’étranger. Il y a trois ans, on a posé deux questions à 27 000 personnes dans les 27 pays de l’Union européenne. À la première – « Estimez-vous être heureux ? » –, 86 % des Français ont répondu « oui ». C’était le deuxième pourcentage le plus haut. À la seconde – « Estimez-vous que vos enfants vivront mieux que vous ? » –, 76 % des Français ont répondu « non », se plaçant ainsi à l’avant-dernier rang de tous les Européens, juste avant les Bulgares. Que penser de cette articulation entre l’optimisme et le pessimisme de nos concitoyens ? Au cours d’un débat, le Premier ministre britannique nous a dit mal comprendre la France, ce pays qui, en dépit de ses multiples atouts, est plongé dans un pessimisme permanent. Dans ce contexte, comment un homme d’influence peut-il et compte-t-il équilibrer le pessimisme et la critique utile d’une part, la nécessité de l’optimisme, sans lequel on ne peut entreprendre, d’autre part ?

M. Jean-Luc Hees. C’est une question à laquelle il m’est bien difficile de répondre. Mon intention n’est pas de peindre en rose les murs de la Maison de la Radio et je pense qu’il ne faut pas confondre le message et le messager. C’est bien le journaliste qui vous répondra, un journaliste que les détours de sa carrière ont conduit à travailler en France au début des années 1980 puis aux Etats-Unis. Cette expérience m’a donné un double aperçu de la pratique journalistique et j’ai vu, en Amérique, des confrères très durs, qui ne faisaient de cadeau à personne, ni à ceux qui étaient aux affaires, ni à ceux qui étaient dans l’opposition. J’ai essayé de vous le dire : selon moi, le citoyen ne peut valablement fonder ses décisions qu’en fonction de l’information qui lui est procurée et c’est pourquoi elle doit être sûre, vérifiée et pluraliste. J’exerce le métier de journaliste depuis quarante ans et les gens qui me connaissent savent ma conviction profonde : chacun a droit au même service public. Pour ce qui est de l’optimisme, c’est plus difficile, car il ne me suffit pas d’appuyer sur un bouton en disant : « Français, soyez heureux ! » pour que leur humeur change.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je vous remercie pour cette réponse prudente.

M. Christian Kert. Je me réjouis que notre Commission procède à cette audition. Si une vertu doit être reconnue à la loi réformant l’audiovisuel public, c’est bien celle de permettre aux parlementaires de faire connaissance avec le prétendant à la présidence de Radio France et avec son projet. Le président Méhaignerie a évoqué la responsabilité éditoriale qui serait la vôtre si vous deveniez président de Radio France. Selon vous, quelle est-elle, et comment doit-elle s’exercer ? M. Jean-Paul Cluzel, actuel président de Radio France, s’est parfois exprimé à ce sujet et je ne doute pas que vous avez également une opinion sur cette question.

Par ailleurs, vous avez dit l’importance des antennes régionales. S’agissant plus particulièrement de France Inter, ne considérez-vous pas que l’antenne pourrait faire un effort afin d’améliorer la présence des décrochages régionaux et ainsi mieux faire remonter les informations régionales ?

Vous n’avez rien dit de la publicité. Pour l’instant, Radio France a échappé au couperet. Certes, ses ressources publicitaires sont marginales au regard de l’ensemble de ses ressources mais si, un jour, on décidait leur suppression complète, cela vous poserait-il un problème ?

Comment envisagez-vous les liens entre Radio France et RFI ? Entendez-vous les renforcer ?

Le 27 mars 2009, M. Jean-Paul Cluzel a présenté les résultats d’une consultation menée auprès des auditeurs et des salariés ; ils sont pleins d’enseignements. Envisagez-vous d’en tirer parti ?

Nous avons compris que trois chantiers principaux attendent le futur président de Radio France : un chantier social avec la négociation de la future convention collective ; un chantier « fonctionnel » au cours duquel se sont accumulés retards et dépassements budgétaires, ce qui ne peut qu’appeler les parlementaires à recommander la plus grande vigilance ; enfin, l’adaptation aux nouvelles technologies avec le passage au numérique. Si vous êtes nommé président de Radio France, quelles seront vos priorités immédiates ?

M. Jean-Luc Hees. S’agissant de la responsabilité éditoriale du président de Radio France, je ne veux pas interpréter la pensée du Président de la République, mais s’il a voulu un journaliste à cette fonction c’est, par définition, qu’il souhaitait un homme indépendant et un homme « du bâtiment ». On conçoit qu’il y ait plusieurs manières de gérer un grand groupe de médias. Pour ce qui est de Radio France, il s’agit d’antennes, de lignes éditoriales et de contenus, et c’est mon métier ! J’écoute beaucoup la radio ; il me semble naturel que le président de Radio France s’intéresse au contenu des antennes du groupe et qu’il ait des idées à leur sujet. En ce qui me concerne, c’est un des atouts de ma longue pratique journalistique. Je suis âgé de 57 ans, et je ne me vois pas entreprendre à ce stade une carrière de dictateur… Le rôle éditorial du président de Radio France existe, bien entendu, comment pourrait-il en être autrement ? C’est ma vision de ce métier.

Vous avez évoqué les informations locales. À ce sujet, France Inter reprend de nombreuses productions de France Bleu, ce qui participe de la mutualisation des antennes et des informations. Cette évolution du travail journalistique est remarquable et je pense que l’on peut toujours mieux faire. À l’époque où je travaillais à France Inter, nous avons procédé à de nombreuses « délocalisations » dans plusieurs villes de province et nous nous en sommes très bien trouvés.

Nous pourrions, dans un monde rêvé, nous passer de la publicité si les finances publiques supportaient d’apporter une contribution supplémentaire à Radio France – mais je ne pense pas que ce soit la période idoine. Je travaille actuellement pour une radio privée qui vit de la publicité. En une heure, on en y entend autant qu’en une journée sur France Inter. Autant dire que ceux qui considèrent la publicité comme une pollution sonore doivent savoir qu’ils sont, sur les antennes de Radio France, très préservés. Cela étant, je ne suis pas contre l’idée que, dans un monde chimiquement pur, on en finisse avec la publicité radiodiffusée.

La collaboration entre Radio France et les correspondants de RFI est évidente ; elle est audible sur les antennes et fonctionne bien mais elle peut encore être renforcée. Je pense que certaines choses sont à revoir mais il est évident que cette coopération doit continuer.

La consultation lancée par M. Jean-Paul Cluzel est une excellente initiative. Toutefois, selon moi, le service public doit privilégier l’offre à la demande : il lui revient d’être créatif et de proposer des programmes, des contenus et des informations. On peut aussi se demander ce que veut le public, mais ce n’est pas ma philosophie. Cela étant, il est très intéressant de pouvoir constater le soutien des auditeurs mais aussi leurs frustrations et leurs motifs de contentement. Il faudra analyser attentivement les conclusions de cette consultation. Pour autant, cela ne signifie pas que les auditeurs aient toujours raison.

M. Didier Mathus. Je tiens à réitérer notre opposition radicale au nouveau mode de désignation des présidents des sociétés de l’audiovisuel public. Nous avons combattu ce volet de la loi que nous considérons néfaste et dangereux et qui n’a d’ailleurs d’équivalent dans aucun autre pays démocratique. C’est un jour particulier que celui où le Président de la République met en cause l’actuel président de Radio France alors même que tous les indicateurs relatifs au groupe sont positifs. Pourquoi changer le titulaire de la fonction sinon pour mener à bien un projet alternatif ? Or nous avons eu quelque mal à cerner ce projet alternatif dans vos propos, monsieur Hees, ce qui souligne le caractère purement arbitraire de la procédure suivie. Il semble que M. Cluzel ait déplu au Président de la République et que certains aspects des émissions diffusés sur les antennes de Radio France ne lui conviennent pas. Voilà qui appelle des questions sur l’indépendance éditoriale du groupe. En effet, vous serez nommé par le Président de la République et par lui seul, vous lui devez donc tout, car la consultation menée au Parlement n’est qu’un simulacre, la majorité des trois-cinquièmes contre votre désignation étant impossible à réunir – sauf à ce que vous vous entrepreniez d’insulter méthodiquement tous les commissaires ici présents, ce dont je doute car vous êtes un homme poli. Vous serez donc nommé par le fait du prince.

Nous avons entendu la mise en cause, par le Président de la République, de la chronique de M. Stéphane Guillon. En ma qualité de parlementaire, je ne pense rien de cette chronique mais, en tant que citoyen, je tiens à savoir quelles sont vos intentions à l’égard de M. Guillon. Une réponse précise est nécessaire à ce sujet, car ce sera une indication quant à l’indépendance à venir du contenu des programmes des antennes de Radio France. Pendant longtemps, France Inter a eu pour slogan : « Écoutez la différence » ; nous n’aimerions pas qu’il se transforme en « Écoutez la déférence » ! Comment, monsieur Hees, pourrez-vous démontrer la rigueur de votre engagement et votre indépendance alors que vous serez sous la menace constante d’une révocation ? Comment pourrez-vous exercer votre métier sous cette épée de Damoclès ?

J’ai une question annexe à vous poser. Lorsque vous étiez directeur de France Inter, vous avez limogé M. Martin Winckler à la suite d’une chronique sur l’industrie pharmaceutique. Les patrons des antennes peuvent-ils donc déprogrammer des émissions en fonction de leurs contenus ? Ce précédent n’est pas très encourageant pour une radio dont on vante l’indépendance.

M. Jean-Luc Hees. Permettez-moi de vous répondre tout de suite à ce sujet, car j’ai le souvenir le plus vif de cet épisode. J’avais recruté M. Winckler comme chroniqueur pour la tranche du matin et les choses se sont passées de manière satisfaisante jusqu’à ce que la guerre soit déclarée en Irak. Ce jour-là, j’ai fait supprimer toutes les chroniques programmées entre 7 heures et 9 heures, dont celle de M. Winckler, qui a dû y voir un crime de lèse-majesté, écrivant sur le blog qu’il tenait à l’époque une phrase sur le mode : « La guerre, c’est une chose, mais je ne comprends pas que l’on supprime ma chronique ». Je l’ai toutefois laissé poursuivre son travail jusqu’à la fin de la saison car c’est ce qui était prévu dans son contrat. Sur un plan plus général, j’ai toujours assumé ce qui était dit sur l’antenne de France Inter, sans jamais chercher de bouc émissaire, car le patron d’une antenne de radio est responsable des éditorialistes et des chroniqueurs qu’il a choisis. Il m’est parfois arrivé d’assumer cette responsabilité devant les tribunaux mais jamais, au cours de mon mandat, personne n’avait été diffamé. Or, s’agissant de ce laboratoire pharmaceutique, il y a eu diffamation, et j’ai dû diffuser un droit de réponse. Il était donc temps d’interrompre le contrat de M. Winckler, ce qui a été fait lorsqu’il est arrivé à son terme. Cet épisode demeure pour moi un pénible souvenir.

Vous voudrez bien convenir que je suis le moins bien placé qui soit pour commenter la loi réformant l’audiovisuel public. Il serait particulièrement hypocrite de ma part de me prononcer en termes négatifs sur le mode de désignation des présidents de l’audiovisuel public alors que j’aspire à la présidence de Radio France.

Il m’est arrivé d’être révoqué. Les choses n’étaient pas dites ainsi, mais c’est ce dont il s’agissait. Ce sont les risques du métier, et cela ne modifie pas ce que je suis. J’ai 57 ans, je vous l’ai dit, et je ne vais pas, à cet âge, ruiner ma réputation pour devenir un journaliste aux ordres. Ce n’est pas ma nature.

On a beaucoup parlé de M. Stéphane Guillon. Je l’ai écouté ce matin encore avec mon épouse ; il se moquait de moi dans de grandes proportions et cela m’a fait rire. À vrai dire, il ne me fait pas rire tous les jours, mais je comprends que les auditeurs aient envie d’humour. Je l’avais recruté, à l’époque, pour Le Fou du roi. Est-il satisfait d’être au centre d’une polémique ? Je n’en suis pas certain, et je ne suis pas sûr qu’il soit tout à fait à son aise. Quoiqu’il en soit, si je suis nommé, je ne le mettrai pas à la porte car il a du talent – il me fait rire une fois sur deux, ce qui est déjà beaucoup… J’ai dit, devant le CSA, que je ne suis pas un zélateur absolu de l’impertinence, dont je ne pense pas qu’elle ait en soi une vertu particulière ; cela étant, elle ne me pose pas de problème idéologique et l’humour me convient aussi bien. Peut-être pourrait-on d’ailleurs imaginer programmer des chroniques humoristiques sur d’autres antennes que sur France Inter : si des gens peuvent faire rire, cela ne me dérange en rien. Cela étant, il y a des limites, non pas à l’humour, mais au contenu de ce qui est diffusé sur les antennes du service public. À cet égard, je ne supporterai jamais la diffamation, d’ailleurs punie par la loi. Il m’est déjà arrivé de devoir présenter des excuses à l’antenne, notamment lors de l’exhumation du corps d’Yves Montand, car des propos très déplacés avaient été tenus. Je n’ai pas licencié leurs auteurs mais j’ai présenté des excuses publiques à la fille d’Yves Montand.

Je comprends votre point de vue de législateur, mais pour ce qui me concerne je n’ai à aucun moment eu à me prononcer sur cette loi. Pour autant, il ne convient pas de remettre en cause mon indépendance. Si je suis un peu tendu, si j’ai le trac, c’est bien parce que je pense que ma désignation en qualité de président de Radio France n’est pas acquise. D’autre part, si elle aboutit, j’aurai besoin que vous ayez confiance en moi. En septembre prochain, je serai journaliste depuis quarante ans et je m’honore d’avoir, pendant tout ce temps, toujours tenu ma place et mon rang.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je vous remercie pour ces propos très importants.

Mme Marie-George Buffet. Je ne reviendrai pas sur la question de votre mode de nomination et de révocation éventuelle, mais votre prudence montre que cette procédure rendra votre travail plus difficile, c’est pourquoi nous nous y sommes opposés.

J’ai retenu de vos propos votre fort attachement au service public. Vous avez parlé avec beaucoup de force de la République et de la nécessité d’une information sérieuse ; je ne pourrais être plus d’accord avec vous. Comme vous, je pense que chaque citoyen doit disposer d’une information ouverte sur le monde, sur les questions sociétales et sociales, d’une information rapide mais aussi capable de recul ; je suis favorable au retour à un journalisme d’investigation peut-être moins soumis à des modes. Une information sérieuse est avant tout une information pluraliste. Quels moyens envisagez-vous pour garantir ce pluralisme ? Vous m’avez par ailleurs semblé porter un regard plus critique sur France Info que sur les autres antennes de Radio France ; quelles modifications de contenu envisagez-vous ? Enfin, quels sont vos projets en matière de négociations sociales ? Quelles sont vos prévisions sur les besoins en salariés, notamment en journalistes, dans les différentes antennes ?

M. Jean-Luc Hees. Que le travail qui m’attend soit difficile, j’en suis convaincu. Je suis désolé de vous parler avec prudence, mais je ne peux dire tout et son contraire. J’ai toujours été sensible au fait que l’information est destinée à tous. C’est ainsi qu’au soir de l’élection législative de 1997, alors que la gauche l’avait emporté, j’ai ramené l’ordre à l’antenne assez brutalement, car j’estimais que ce n’était pas le lieu de manifester un sentiment, quel qu’il soit. C’est un principe acquis et non de la prudence ; d’ailleurs, que dirait-on s’il en était autrement !

Le pluralisme existe, me semble-t-il, sur toutes les antennes de Radio France. C’est inscrit dans notre ADN et, si je suis nommé, je serai garant, parce que je suis qui je suis, que cet ADN ne sera pas génétiquement modifié.

Je ne critique pas France Info mais j’ai un tropisme vers l’information. J’ai passé de nombreuses années dans un pays, les Etats-Unis, où les radios d’information connaissent un succès considérable et France Info en est le résultat. Lorsqu’il a été question de créer une antenne de cette sorte en France, le conseil d’administration s’est partagé, certains de ses membres considérant que cela ne marcherait pas. J’ai gardé de cette époque un intérêt constant pour cette antenne qui, avec 4,5 millions d’auditeurs par jour, connaît un grand succès. Je la suis donc avec bienveillance et non en la critiquant car elle conserve un rythme étonnant. Cela étant, vingt-deux années ont passé, et la concurrence s’est aiguisée, qu’il s’agisse d’internet, de LCI ou de iTélé. Or, France Info est une antenne de service public ; elle a un coût et l’on souhaite qu’elle soit plus écoutée. J’ai des idées à ce sujet. Je sais qu’à New York, les radios de ce type ont organisé leur temps en période de vingt minutes et non plus d’un quart d’heure, ce qui permet d’aller plus loin dans l’analyse et d’être moins répétitif. Si je deviens président de Radio France, je discuterai ces questions avec les journalistes. De même, l’habillage de France Info est important en termes de marketing, ce que nous ne pouvons négliger puisque nous faisons face à une concurrence et que nous ne sommes pas condamnés à régresser. Je pense que cette opinion est partagée au sein de Radio France.

D’une manière générale, dans cette maison, si l’on a quelques bonnes idées et une culture commune, on peut obtenir beaucoup. Il me semble donc légitime que le président de Radio France s’intéresse aux antennes et qu’il discute de ce que l’on peut améliorer, sans prétendre être le seul à avoir des idées. Il ne saurait être question de rester le dos courbé pendant que la concurrence progresse, démultipliée par l’internet. Je constate par ailleurs que sa généralisation a commencé de modifier le rythme des informations aux Etats-Unis : puisque l’on peut maintenant trouver en permanence des informations, l’intérêt de demeurer devant un écran s’estompe, ce qui conduit à privilégier l’analyse. Cette évolution fait du bien à CNN. Je ne dis pas qu’il faille copier en tout ce qui se fait aux Etats-Unis mais ce sont des pistes de réflexion. Dans tous les cas, il n’est pas question de privilégier une gestion où tout serait imposé d’en haut. La radio, c’est mon métier ; je sais que tout bouge tout le temps et que le dialogue est indispensable car l’antenne idéale n’existe pas. C’est l’avantage d’être « du bâtiment », comme le disait mon père.

M. Jean-Luc Préel.  J’ai apprécié votre présentation calme et synthétique et votre attachement au service public. Radio France est une entreprise très complexe, étant donné ses différentes antennes, son personnel nombreux et sa gestion financière délicate. Un journaliste est-il le mieux placé dans le rôle du gestionnaire au moment où, à l’hôpital, on tient à ce que le patron ne soit pas un médecin ? De manière plus personnelle, l’ambition d’un journaliste est-elle de devenir un gestionnaire ? Sur un autre plan, quelle différence voyez-vous entre l’information diffusée sur les chaînes du service public et celle que diffusent les autres radios d’information ? Enfin, le service public et « la voix de la France » qu’est Radio France impliquent-ils des relations particulières avec le Président de la République ?

M. Jean-Luc Hees. Je ne mésestime nullement la complexité de la gestion de Radio France, mais l’on ne dirige pas seul une telle maison. D’autre part, devrait-on être prédéterminé pour une seule fonction tout au long de sa vie ? Y aurait-il une caste de managers et d’autres à qui la joie de cette fonction devrait ne jamais échoir ? Si l’on a une ambition pour une entreprise, il faut se mettre en position de la diriger. J’ai commencé comme journaliste reporter, seul. Un jour, je suis devenu directeur de la rédaction de France Inter, une antenne qui rassemblait un peu plus de cent journalistes exigeants. J’ai alors géré une équipe, un budget, le personnel administratif et j’ai rendu un budget impeccable, car c’est ainsi que j’ai été élevé. Ensuite, je suis devenu le directeur d’une antenne qui compte 453 salariés et j’ai dû traiter tous les problèmes de cette antenne, ce dont je pense ne m’être pas trop mal tiré. Certes, à Radio France, les chiffres sont décuplés et les problèmes sont d’un autre niveau, mais j’ai réfléchi à la manière de m’entourer de gens compétents. De plus, Radio France est une entreprise bien gérée par les gens en place ; je m’appuierai sur eux, car c’est cela la continuité du service public. Je sais, bien sûr, que tout ne sera pas simple, mais je fais confiance aux cadres dirigeants et au personnel.

Cette nouvelle fonction devrait-elle me frustrer ? J’ai eu une vie de journaliste magnifique, je la dois à Radio France. Si frustration il y a, elle sera légère !

La différence de l’information entre la radio de service public et les autres est considérable : c’est l’indépendance ! Mon actionnaire – vous – ne fera pas pression sur moi pour des raisons d’ordre financier ou commercial. C’est inestimable.

M. Michel Herbillon. Je ne puis rester sans réagir aux propos caricaturaux de M. Didier Mathus.

M. Michel Françaix. Allons ! Ils étaient très mesurés !

M. Michel Herbillon. Alors même que nous sommes réunis ici pour entendre M. Hees, il y a quelque paradoxe à parler de « simulacre de consultation » dans des termes qui relèvent de l’« antisakozysme primaire ». Je déplore qu’au moment où nous nous apprêtons à réformer le règlement de notre Assemblée, nos collègues de l’opposition s’emploient à importer dans les réunions de commission les caricatures qui font l’ordinaire des séances plénières. C’est d’ailleurs faire un procès d’intention de remettre en cause l’indépendance d’un candidat-président avant qu’il soit nommé et qu’il ait pris la moindre décision.

France Musique fait l’objet d’une concurrence assez vive, ce dont vous n’ignorez rien, monsieur Hees, puisque vous travaillez à Radio Classique depuis 2007. L’antenne a quatre formations musicales, et c’est aussi le premier diffuseur de musique vivante, qui fait émerger de très nombreux nouveaux talents ; ce sont des atouts très importants. Malgré cela, son audience s’établit à 1,5 %. Quelles explications voyez-vous à cette situation et quelles sont vos priorités pour France Musique ?

Parlant de France Culture, vous avez dit « ne pas connaître d’autre université au monde qui accueille 900 000 personnes par jour ». Mais cette antenne de grande qualité n’est-elle pas un peu trop élitiste ? Ne doit-elle pas s’ouvrir à d’autres publics que son public actuel, trop restreint ?

Enfin, faites-vous vôtre le programme Horizon 2015 de l’actuel président de Radio France, qui tend à faire du groupe un média global, s’ouvrant à tous les supports ?

M. Marcel Rogemont. Les circonstances dans lesquelles nous vous accueillons, monsieur Hees, ne sont pas de votre fait, mais on ne peut pas ne pas souligner les difficultés de cet échange. En effet, le Président de la République vous a sollicité, se désignant comme l’actionnaire de l’audiovisuel public ayant à ce titre pouvoir de nomination de ses présidents. Vous nous avez dit qu’il ne vous a donné aucune instruction. C’est donc un actionnaire sans projet qui a sollicité un candidat-président sans plus de projet. Autant dire que des questions se posent sur ce qu’apporte une telle nomination.

Vous avez parlé de l’érosion de l’audience comme d’un défi à relever. Est-ce le seul élément qui explique votre désignation ? Comment expliquez-vous cette érosion et par quels moyens envisagez-vous de l’enrayer ?

À quoi souhaitez-vous que votre nom soit associé à l’issue de votre mandat ? Quelle sera votre « valeur ajoutée » ?

Vous allez devoir négocier un nouveau contrat d’objectifs et de moyens ; existe-t-il des éléments qui vous feraient refuser le poste ? Demanderez-vous plus d’argent pour faire plus car il faut tenir compte de l’internet ou, pour faire plus, demanderez-vous moins d’argent ?

Mme Françoise de Panafieu. J’ai été choquée, comme M. Michel Herbillon, par les propos de M. Didier Mathus. Il n’est pas supportable de recevoir un candidat à la présidence de Radio France en manifestant d’emblée de la suspicion à son égard.

Vous avez dit, monsieur Hees, votre attachement à FIP et aussi la nécessité d’une évolution. Vous devrez donc penser à la fois à fidéliser le public, à le renouveler et à lancer la radio numérique.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je ne souhaite pas entrer dans la polémique. Il est normal que l’opposition critique, mais sa critique serait plus recevable si, dans le passé, les nominations avaient été plus transparentes.

M. Didier Mathus. À qui faites-vous allusion précisément ?

M. le président Pierre Méhaignerie. Entre 1981 et 1983 et ensuite, il y a eu beaucoup d’hypocrisie. La critique est donc normale, mais elle ne redore pas le passé.

M. Jean-Luc Hees. Je préférerais discuter de l’évolution des antennes avec leurs équipes respectives avant de me prononcer définitivement. Mais d’une manière générale, pour ce qui concerne France Culture, on peut, tout en conservant la même exigence intellectuelle, rendre le propos plus intelligible, donc plus accessible. S’agissant de France Musique, je pense que la musique devrait primer les propos. Il faut aussi étudier avec la direction d’antenne et avec la direction de la musique comment exposer davantage les orchestres de Radio France.

Je ne connais pas Horizon 2015, mais si l’objectif est de créer une radio globale, je ne peux qu’adhérer à ce projet.

Je suis, j’y insiste, le plus mal placé pour parler des vertus et des vices de la nomination des présidents de l’audiovisuel public. Quel est le projet alternatif à celui de l’actuel président de Radio France, m’avez-vous demandé ? Ne connaissant pas le projet actuel, je ne suis pas en mesure d’établir des comparaisons ou des distinctions.

Que puis-je apporter ? Je suis pragmatique, je lis les statistiques établies par Médiamétrie, qui permettent de comparer les groupes et les antennes, et personne ne m’entendra dire que Radio France se porte mal.

M. Marcel Rogemont. Mais quelles sont, selon vous, les raisons de l’érosion de l’audience ?

M. Jean-Luc Hees. On ne peut confondre communication et contenu. Les auditeurs de Radio France ont avec les antennes une relation fusionnelle, je vous l’ai dit. Ils sont aussi soupçonneux, si bien que l’on peut perdre des parts d’audience parce qu’ils subodorent qu’un départ pourrait signifier une reprise en mains d’une antenne. C’est un grand attachement qui se manifeste ainsi – dont RTL a aussi fait les frais, en son temps, en se séparant de M. Bouvard.

Erosion il y a, Médiamétrie le constate, même si les choses vont mieux depuis un an. Avant de demander de l’argent à la représentation nationale, j’étudierai les dossiers méthodiquement.

La technologie, madame de Panafieu, nous permettra d’enrichir considérablement nos contenus. Ainsi, Jazz à FIP peut sans doute devenir une radio en soi. Cependant, la technologie n’est pas tout : son champ est infini, mais il faut trouver un cap. À Radio France, des équipes exceptionnelles étudient la question du média global ; le nouveau président devra s’entretenir avec elles.

Mme Marisol Touraine. Je n’ai pas entendu dans les propos de M. Didier Mathus la moindre mise en cause personnelle de M. Hees, mais l’estime professionnelle que nous pouvons lui porter n’empêche pas un jugement critique sur les circonstances qui l’amènent devant nous aujourd’hui, dont il n’est pas responsable.

Il n’empêche : il a lui-même indiqué qu’à ses yeux la spécificité du service public est l’indépendance et que les auditeurs de Radio France sont très sourcilleux, exprimant en permanence doutes et inquiétudes sur le maintien de cette indépendance, notamment en matière d’information. Les tranches d’information sont ainsi examinées à la loupe, et le cas d’un humoriste a fait couler beaucoup d’encre, ce qui est peut-être symptomatique d’une préoccupation.

Au-delà de ce cas, considérez-vous que des changements doivent être apportés à la conception de l’information à France Inter ?

Sur quels critères souhaitez-vous être jugé au terme de votre mandat ? Nous voudrions que vous nous disiez à quels changements vous comptez procéder ; si vous ne le faites pas, c’est qu’il n’y aura pas de changements majeurs mais seulement quelques ajustements et l’on comprend alors que le changement décidé par le Président de la République a pour cause d’autres critères. Si des inflexions ont lieu, quelles seront-elles ? L’audience est-elle le critère de jugement d’un président du service public de l’audiovisuel ?

M. Jacques Grosperrin. Vous avez écrit différents ouvrages qui donnent le sentiment que vous êtes plutôt de gauche. Que n’aurait-on entendu si le Président de la République avait choisi une personnalité plutôt de droite !

Quel est votre sentiment sur le fait que le Président de la République vous ait sollicité ?

Alors que M. Gérard Cherpion et moi-même élaborions un rapport sur les écoles de la deuxième chance et l’accès à l’emploi, nous avons entendu le président du CSA. Il a appelé l’attention sur la nécessité de promouvoir des personnes issues de la diversité dans les médias. Qu’en pensez-vous et que ferez-vous à ce sujet ?

Mme Michèle Delaunay. Nous comprenons que vous ne puissiez nous donner des indications précises sur chaque antenne de Radio France, mais nous souhaitons quelques repères qui nous permettront de suivre votre action au long de votre mandat.

Je mettrai en avant France Culture à laquelle je suis, comme beaucoup, très attachée. Dans la société de la connaissance que nous appelons de nos vœux, cette antenne a un rôle particulier : son rôle est d’éduquer à l’esprit critique et elle doit faire que nous soyons, à la fin de chaque émission, plus savants et surtout plus désireux d’apprendre. Nous souhaitons donc des garanties sur son avenir et sur sa force. À cet égard, et c’est ce qui me différencie de M. Herbillon, je me méfie de ce que recouvre l’idée d’ « élargir les publics », car tout ne peut être seulement question d’audience.

Vous aimeriez, avez-vous dit, que les stations se délocalisent en province. Fort bien, mais qu’en est-il de l’Europe ? Les Français ne devraient-ils pas voir se renforcer leur intimité avec elle ? Envisagez-vous d’introduire dans les programmes des journalistes internationaux, dont le charmant accent exotique concrétiserait l’idée européenne ?

M. Alain Marc. Les auditeurs seraient heureux d’entendre des émissions régionales. Vous avez dit que les radios publiques devaient être garantes de la diversité, ce qui est bien. Cela étant, la Constitution reconnaît aujourd’hui les langues régionales ; qu’en sera-t-il sur les antennes ? D’autre part, la région Midi-Pyrénées est loin d’être correctement couverte, vous l’avez dit, et je puis témoigner que c’est cruellement vrai dans l’Aveyron. Or, la vie culturelle en régions est très riche et des informations à ce sujet intéresseraient puissamment nos administrés. Il serait donc bon que le service public de l’audiovisuel, qui laisse ces questions aux radios locales, s’en empare, qu’à défaut il noue des partenariats ou qu’il organise des décrochages locaux. S’agissant de France Info également, la diffusion laisse beaucoup à désirer.

M. Jean-Luc Hees. J’écoute, avec beaucoup de respect, la tranche d’information matinale de France Inter quand je ne travaille pas. Les sondages sont plutôt positifs ; je ne vais pas les féliciter en direct, mais France Inter n’a pas d’inquiétude à avoir, car c’est la qualité du travail journalistique qui m’intéresse et cette qualité est grande sur cette antenne, comme ailleurs à Radio France.

Oui, j’ai le souci de l’audience, car c’est de l’argent du contribuable qu’il s’agit et il doit servir encore davantage, et à un plus grand nombre d’auditeurs. J’aimerais que l’on me juge sur cela. Si les produits sont bons, mieux vaut qu’ils servent à 60 millions de Français qu’à 200 000, et cela vaut aussi pour France Culture. Je suis également attaché à un climat social apaisé car je connais Radio France, et je sais que lorsque le climat social n’est pas bon cela nuit aux missions de service public. Au terme de mon mandat, j’aimerais enfin que l’on juge que je n’ai pas été loin d’être un homme indépendant…

S’agissant de la diversité, j’ai pu apprécier aux Etats-Unis les beautés et les limites de la discrimination positive. Quoi qu’il en soit, ces questions relèvent de la loi et elles me semblent être une évidence. Cela étant, une fois que l’on a dit cela, il faut agir. Le fair play me pousse à dire que le président actuel de Radio France a une forte conscience de ces questions et qu’il s’est engagé dans l’action avec un certain succès. On jugera son successeur, quel qu’il soit, à la même aune.

J’ai parlé très rapidement de France Culture, ce dont je prie l’équipe de m’excuser. Cette chaîne, tissu de connaissances et de curiosité, me passionne, et son absence ferait franchement défaut. Vous avez donc ma garantie solennelle et absolue que France Culture demeurera, avec le même niveau d’exigence intellectuelle.

Pour ce qui concerne, monsieur Marc, les trous de la diffusion régionale, je devrai étudier le dossier, qui est complexe. Il faudra peut-être m’aider, car cela coûte d’améliorer un réseau… Des solutions se développent qui peuvent contribuer notablement à améliorer la diffusion, mais je dois en parler avec ceux qui ont les compétences techniques requises.

S’agissant en fin du parisianisme qui guette souvent les journalistes exerçant à Paris, j’essaye de m’en déprendre, et les équipes également ; mais, déjà, l’évolution est sensible.

Mme Valérie Rosso-Debord. L’ouverture culturelle est d’une grande importance, chacun en convient. Pourtant, l’Orchestre national de France n’a été ni vu ni entendu en Lorraine depuis dix ans. Que comptez-vous faire pour améliorer cette situation ?

M. Michel Françaix. Je souhaite revenir sur le fond pour dire combien je déplore que l’instance de régulation créée par François Mitterrand, devenue ultérieurement le Conseil supérieur de l’audiovisuel, ne joue plus son rôle. À l’époque, j’étais à l’Elysée et j’ai le souvenir que Jean Drucker n’était plus en cours, mais que Mme Cotta a résisté. Dans les circonstances actuelles, il y aurait révocation... Quand on légifère, c’est pour trente ans ; qui peut savoir si quelqu’un n’abusera pas des pouvoirs qui lui ont été ainsi conférés ?

Quelle est donc votre vision, monsieur le président Hees – puisque les choses sont faites et, après tout, pourquoi pas ? Le groupe se porte bien et le marché de la radio très bien mais le Président de la République a considéré que, malgré cela, il fallait changer de présidence et il a choisi un excellent journaliste, un professionnel qui nous a montré qu’il était passionné. Soit, mais est-ce suffisant pour être président de Radio France ? Le malaise, ici, est perceptible. Il tient à ce que vous ne pouvez vous exprimer et à ce que nous ne pouvons vous juger sur vos déclarations. « Il y aura des solutions et des choix » ; « je comprends les inquiétudes du personnel » ; « le chantier de la Maison ronde est un chantier à risque »… Ces propos banals ne peuvent à eux seuls traduire toute votre pensée ! En revanche, ils expliqueront peut-être certains votes à venir. Dites-nous donc si vous mettrez plus d’accent sur le fond, si vous envisagez plus de mise en perspective et moins de mise en scène ! Vous nous dites votre capacité à rester parfaitement indépendant et nous ne pouvons nous permettre d’en douter. Avez-vous déjà une vision claire de la réorganisation que vous mènerez ? Qu’en sera-t-il, en particulier, de Philippe Val, dont une rumeur laisse entendre qu’il sera nommé à France Inter ?

M. Patrick Bloche. Le premier dossier qui attend le prochain président de Radio France est le dossier social, qui n’est pas le plus simple. Vous succéderez à un président dont nul ne conteste l’excellent bilan, notamment en matière de dialogue social : alors qu’en 2004, sous le mandat de M. Cavada, on a dénombré 4 449 jours de grève, on n’en a recensé que 153 en 2008. Mais, début avril 2009, les conventions collectives sont tombées. Outre que les personnels souhaitent conserver leurs acquis sociaux, l’inquiétude est réelle qu’après RFI, dont 20 % de l’effectif va être supprimé sous peu, Radio France soit à son tour touchée par un plan social. L’intersyndicale est légitimement inquiète et votre tâche sera rude. Comment aborderez-vous le dialogue social ?

M. Pierre Morange. Les propos tenus par M. Hees témoignent de son éthique, de sa sincérité et de son professionnalisme. Radio France compte, nous a-t-il dit, 4 500 personnes, dont 600 journalistes. La structure salariale est-elle équivalente ailleurs ? La nécessaire mutualisation des moyens vous amènera-t-elle à quelques réflexions sur les emplois de non-journalistes et cela conduira-t-il à repenser la pyramide des âges ou les emplois de contractuels ?

M. Jean Ueberschlag. Vous n’avez pas vraiment répondu à la question posée par mon collègue Alain Marc relative aux langues et aux cultures régionales sur France Bleu. S’agissant, d’autre part, de la propension des Français au pessimisme, les medias n’ont-ils pas un effet amplificateur, eux qui ne parlent jamais des trains qui arrivent à l’heure ?

M. Jean-Luc Hees. Les orchestres sont de très belles formations, qui jouissent d’un fort prestige à l’étranger ; il pourrait en aller de même en province ; il faudra trouver comment faire. L’action de M. Casadesus à Lille est remarquable en ce domaine.

J’ai entendu dire, à propos de ma désignation éventuelle, que les choses seraient faites. Non. Je crois à ce mode de désignation, je réponds en conscience et avec sérieux aux questions que vous me posez et j’aurai besoin de votre confiance si je suis nommé.

La passion ne suffit pas pour diriger Radio France, mais il en faut – c’est une absolue nécessité. Comment peut-elle se traduire ? À la lecture des sondages. Je suis convaincu que l’on a intérêt à être toujours contemporain et cette ambition doit être quotidienne.

Je songe à une réorganisation pour un ou deux postes, mais j’ai moi-même subi un certain traitement, et je sais combien j’ai eu du mal à accepter que l’on me demande de quitter mon poste à France Inter. Quoi qu’il en soit, même si l’organigramme change un peu, il n’est pas question d’une armée mexicaine et je ne ferai pas subir aux gens un traitement brutal. Mais il est beaucoup trop tôt pour que je dise qui fera quoi.

De même, s’agissant de la future convention collective, ce serait, me semble-t-il, un mauvais signe adressé aux instances syndicales, auxquelles je me dois, si je suis nommé, de réserver la primeur de mes propos à ce sujet, de me prononcer publiquement devant la représentation nationale.

On m’a parlé d’économies. J’ai le sens des deniers publics, mais je ne compte pas faire d’économies sur le capital intellectuel. Pour moi, il faut davantage encore de matière grise pour constituer le socle d’informations qui permettra aux citoyens de faire leurs choix, et je ne trouve pas scandaleux qu’il y ait 600 journalistes à Radio France.

S’agissant de la place des langues et des cultures régionales sur France Bleu, rien, sur le principe, ne me dérange ni ne me choque. Il y a une logique absolue à ce que la diversité des langues se traduise à l’antenne, mais je dois pour m’avancer davantage connaître précisément la configuration de chaque antenne. En tout cas, la bonne volonté est là.

M. le président Pierre Méhaignerie. Merci pour votre prudence et votre sincérité.

M. Jean-Luc Hees. Permettez-moi de vous remercier à mon tour pour la qualité du débat et pour m’avoir écouté attentivement.

M. Jean-Luc Hees quitte la salle de la Commission.

*

La Commission émet un avis, en application de l’article 47-4 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifié par la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009, sur la nomination de M. Jean-Luc Hees.

M. le président Pierre Méhaignerie. Y a-t-il des explications de vote ?

M. Marcel Rogemont. Un Président de la République sans programme désigne donc pour Radio France un président qui l’est tout autant. C’est stupéfiant ! C’est pourquoi vous comprendrez que nous participerons au vote mais que nous nous abstiendrons.

Trente-trois commissaires ayant pris part au vote et vingt-sept suffrages ayant été exprimés, la Commission donne un avis favorable, par vingt-six voix pour et une contre, à cette nomination.

La séance est levée à 12 heures 30.

*

Informations relatives à la Commission

La Commission des affaires culturelles, familiales et sociales a désigné :

– MJean-Frédéric Poisson, rapporteur sur la proposition de loi pour faciliter le maintien et la création d’emplois (n° 1610) ;

– M. Daniel Paul, rapporteur sur la proposition de loi visant à prendre des mesures urgentes de justice sociale en faveur de l’emploi, des salaires et du pouvoir d’achat (n° 1621).