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Commission des affaires étrangères

Mardi 3 juillet 2007

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 2

Présidence de M. Axel Poniatowski, Président

– Audition de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Audition de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères, a accueilli M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes en le remerciant d’être venu si rapidement devant la commission pour cette première audition qui sera consacrée principalement à l’actualité au Soudan, et plus particulièrement au Darfour et aux événements au Proche-Orient.

A titre liminaire, M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, a salué le dynamisme, la disponibilité et le profond désir de servir la France dont font preuve les personnels qui ont fait le choix des métiers de la diplomatie. Observant que certaines énergies restent malheureusement inemployées, il a manifesté le souhait qu’une modernisation des structures du ministère soit engagée afin que le réseau diplomatique français, le plus étendu au monde, permette à la France de continuer à jouer un rôle important sur la scène internationale.

M. Bernard Kouchner a rappelé qu’avec la fin de la Guerre froide, le temps des grands face à face était terminé et qu’il fallait désormais faire face dans le traitement des conflits et la gestion des tensions internationales à des situations de plus en plus complexes. Dans ce contexte, grâce à une dimension européenne renouvelée, la France est appelée à occuper une place dont l’importance ne s’est jamais démentie.

Evoquant la situation au Darfour, le Ministre a rappelé que cette province du Soudan constitue un territoire gigantesque, peuplé de 6 millions d’habitants, et dont l’accès est extrêmement difficile en raison, notamment, de son éloignement de la mer. La crise qui bouleverse cette région ne doit pas faire oublier la longue guerre civile qui a déchiré le Soudan pendant plus de 30 ans, entre le Sud du pays, majoritairement chrétien et animiste, et le Nord musulman. Au cours de ce conflit, certains mercenaires du Darfour ont lutté contre les Sudistes, avec l’appui des autorités de Khartoum. A l’issue de ces années meurtrières, un accord de paix Nord/Sud, fortement soutenu par les Américains, a été signé en janvier 2005 qui prévoit notamment en 2011 un référendum d’autodétermination en faveur d’une région Sud dotée des principales richesses naturelles du pays. Le règlement de ce conflit a fait craindre aux populations du Darfour d’être écartées du partage des richesses – notamment pétrolières – et marginalisées. Depuis plus de trois ans, cette province est le théâtre de massacres et d’exactions de groupes rebelles de plus en plus incontrôlables (initialement trois, ces groupes sont aujourd’hui divisés en une vingtaine de factions). Des milices redoutables, soutenues par le Gouvernement central, les Janjawids, font régner la terreur au Darfour. Ces milices sont principalement composées de nomades qui cherchent pour leurs troupeaux à utiliser les terres des paysans sédentaires dans un contexte de raréfaction des ressources et d’aggravation des conditions climatiques défavorables. Au total, plus de 200.000 personnes sont mortes depuis le début du conflit et quelque deux millions d’autres ont été déplacées ou se sont réfugiées au Tchad voisin. A ce jour, les secours apportés à ces populations constituent l’opération humanitaire la plus importante de tous les temps.

M. Bernard Kouchner a, ensuite, apporté des précisions sur l’initiative prise par la France en faveur d’un règlement politique de la crise au Darfour, sous l’égide de l’Union africaine et des Nations unies. En dépit de la forte mobilisation des organisations non gouvernementales et du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) dans la région, il a considéré que la gestion de cette crise souffrait d’une multiplication des initiatives qu’il était nécessaire de mieux coordonner. La principale priorité aujourd’hui est d’assurer la sécurité des quelque 230.000 personnes qui se sont réfugiées le long de la frontière entre le Soudan et le Tchad ainsi que des populations locales et des personnes déplacées – près de 200.000 personnes – dont la protection relève, en principe, des autorités tchadiennes. Face à l’urgence de la situation, la France a récemment lancé plusieurs initiatives.

En premier lieu, avant le début, imminent, de la saison des pluies qui rendra très difficile l’accès à Abéché et Goz Beïda, situés à l’est du Tchad, notre pays a organisé un pont aérien pour acheminer des secours et des marchandises aux populations en péril dans cette région.

En second lieu, la France propose la mise en place d’une opération internationale de police et de reconstruction – à laquelle une participation française est envisageable – pour protéger les personnes déplacées et réfugiées dans cette région. Il s’agit, avec le soutien européen, de constituer une force qui, aux côtés de 800 gendarmes tchadiens, serait chargée d’assurer la sécurité des villages afin de favoriser le retour des personnes déplacées et les efforts de reconstruction. Cette initiative, dont la durée devrait être relativement courte, ne s’inscrit pas dans le cadre d’une opération de maintien de la paix de l’ONU néanmoins elle a reçu le soutien du Secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-Moon.

Enfin, la France a été à l’initiative, le 25 juin dernier, d’une réunion ministérielle du groupe de contact international élargi sur le Darfour. Les objectifs de cette réunion, à laquelle ont notamment participé le Secrétaire général des Nations unies et des représentants des Etats-Unis, de la Chine et de la Russie, étaient les suivants :

− Tout d’abord, réaffirmer un soutien politique sans faille à la conduite du processus politique sous l’égide de l’Union africaine et des Nations unies. Un soutien unanime a été apporté à la médiation conjointe menée par les deux représentants spéciaux -M. Salim Ahmed Salim pour l’Union africaine et M. Jan Eliasson pour les Nations unies– qui a pour but de coordonner les différentes initiatives de médiation avec les autorités soudanaises et les groupes rebelles ;

− Ensuite, faire pression sur les groupes rebelles qui n’ont pas signé l’accord de paix, signé à Abuja, le 5 mai 2006, entre le gouvernement soudanais et la faction rebelle MLS (Mouvement de libération du Soudan) de Minni Minawi afin de les rallier au processus négocié. Des initiatives dans ce sens sont prises par l’Erythrée notamment, qui visent à convaincre les mouvements rebelles de s’asseoir à la table des négociations. Le Ministre a estimé que certains responsables de ces mouvements faisaient preuve de bonne volonté, ce qui n’est malheureusement pas le cas de tous comme l’atteste l’attitude d’Abdul Wahid Al Nour ;

− Faire également preuve de fermeté à l’égard du gouvernement soudanais pour que les engagements pris, notamment l’accord récent sur l’opération hybride de l’Union africaine et des Nations unies, soient tenus. Conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, le déploiement de cette force, dont le mandat sera placé sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies, doit, en effet, recueillir l’assentiment du gouvernement soudanais. Trois phases ont été prévues pour parvenir à ce déploiement dont la deuxième repose sur la force de l’Union africaine, actuellement en place et composée de 7.000 soldats sous-équipés, mal encadrés et qui n’ont pas reçu leur solde depuis cinq mois. Un renfort de 3.000 hommes doit être déployé avant la mise en place, au cours de la troisième et dernière phase, de la force hybride, composée de 20.000 hommes, sous commandement des Nations unies. Le Ministre a précisé que la demande du président soudanais, M. Omar Béchir, que cette force ne soit composée que de soldats africains était impossible à mettre en œuvre. Au cours de la réunion ministérielle, le représentant du gouvernement chinois a indiqué que 240 experts chinois pourraient participer à cette opération à laquelle seront probablement associés des experts français ;

− Examiner les contributions que chaque pays est prêt à apporter à la constitution et au financement de cette force hybride. L’Union européenne, qui a déjà contribué au fonctionnement de la force de l’Union africaine à hauteur de 265 millions d’euros, s’interroge notamment sur l’utilisation de ces fonds avant d’envisager cette contribution. Plus globalement, les pays qui ont participé à cette réunion souhaitent l’élaboration d’une stratégie politique claire avant d’évoquer la question de leur participation financière à cette opération ;

− Enfin, prendre en compte la dimension régionale de la crise en encourageant notamment les réunions dites « de Tripoli » qui ont conduit à la conclusion d’accords entre le Tchad et le Soudan visant à mettre un terme aux tensions entre les deux pays et sécuriser une frontière longue de près de 2000 km.

M. Bernard Kouchner a précisé que les participants à cette réunion ont pris date pour une prochaine rencontre en septembre prochain. Si l’Union africaine n’a pas participé à cette réunion, ses conclusions ont néanmoins été approuvées par ses responsables impliqués dans la résolution du conflit au Darfour. Il a ajouté que cette initiative ne doit pas être confondue avec une conférence de paix, ce qui explique l’absence de participation des belligérants aux échanges qui ont eu lieu.

Le Ministre a ensuite souhaité évoquer le dernier épisode du drame palestinien. Le Gouvernement d’unité nationale, dont la création devait beaucoup au travail acharné de la diplomatie saoudienne, a fini dans le sang. Pendant que les modérés le mettaient en place, les miliciens préparaient le coup de force qui a chassé l’Autorité palestinienne de Gaza. La France a, depuis lors, tenté de soulager la crise humanitaire dans la bande de Gaza, tout en renforçant son soutien financier et politique à M. Mahmoud Abbas, seul représentant légitime de l’Autorité palestinienne, et en envoyant des émissaires auprès de lui. Alors que nombre de ses partisans étaient assassinés à Gaza, M. Abbas a pu se replier à Ramallah où il a constitué un gouvernement d’urgence, dirigé par M. Salam Fayyad. Ce gouvernement n’est en principe en place que pour soixante jours, ce qui a conduit l’Union européenne à s’interroger sur la possibilité de l’avoir pour interlocuteur. Mais il semble que ses pouvoirs pourraient être prolongés.

L’Union européenne lui a donc accordé une aide financière directe et a obtenu d’Israël l’ouverture, finalement intermittente, de points de passage vers Gaza. Le principal problème concerne le point de passage contrôlé par l’Egypte, sous lequel passent de très nombreux tunnels utilisés pour toutes sortes de trafics. Israël réfléchit à la possibilité de confier la surveillance de la frontière entre l’Egypte et la bande de Gaza, que l’Etat hébreu désigne par le nom de route de Philadelphi, à une force internationale.

Le Ministre a déclaré que nous connaissions actuellement une occasion historique pour relancer le processus de paix, mais il est à craindre que personne ne la saisisse. Les terroristes sont quasiment enfermés dans la bande de Gaza, tandis que les partisans de la paix sont réfugiés en Cisjordanie. Les Israéliens sont conscients de la nécessité de reprendre les pourparlers. Mais les gestes consentis par le Premier ministre Ehoud Olmert qui, à l’occasion de la rencontre de Charm El-Cheikh, a accepté le principe de la libération de 250 prisonniers sur les 11 000 prisonniers palestiniens détenus en Israël, et qui a autorisé le 1er juillet le reversement du produit des taxes prélevées par son administration au nom de l’Autorité palestinienne, doivent être poursuivis pour répondre à la hauteur des enjeux.

Le danger ne se limite pas au risque de contagion des troubles de Gaza vers la Cisjordanie. Il existe aussi un puissant risque d’affaiblissement de l’Autorité palestinienne, y compris en Cisjordanie, dont une partie des élus est membre du Hamas. Au cours de sa toute récente visite à Paris, M. Abbas était accompagné de partisans de la paix qui ont participé à l’Initiative de Genève. Toutes les questions avaient alors été posées et étudiées en profondeur ; des solutions ont été proposées, mais n’ont pas suscité de réactions et les Etats-Unis souhaitent que du temps soit accordé à M. Olmert pour qu’il élabore ses propres solutions. Le temps est pourtant précieux à un moment où réapparaissent, au Proche-Orient, des orientations, que l’on croyait abandonnées à jamais, en faveur du rattachement de la bande de Gaza à l’Egypte – qui y est pourtant défavorable – et de la Cisjordanie à la Jordanie. Les idées d’ouverture de Mme Tzipi Livni, la ministre des affaires étrangères d’Israël qui s’est prononcée pour « deux peuples, deux Etats », n’ont guère de chance de trouver rapidement une traduction dans les faits même si l’on peut espérer une reprise du dialogue sous l’impulsion de certaines personnalités telles que Ehoud Barak, le nouveau ministre de la défense.

En ce qui concerne le Liban, le Ministre a affirmé que les responsables de la série de crimes dirigés contre les partisans du Premier ministre Fouad Siniora et du mouvement du 14 mars étaient connus. Les initiatives franco-américaines ont permis le départ rapide des troupes syriennes du Liban, et la poursuite effective des auteurs du meurtre de l’ancien premier ministre Rafic Hariri. Le tribunal spécial pour le Liban a été établi par une résolution du Conseil de sécurité et un deuxième rapport de la commission d’enquête internationale indépendante est attendu pour décembre prochain. Cette situation gène naturellement beaucoup de monde et la perspective de la tenue des élections présidentielles d’ici le 25 novembre prochain accroît les tensions. En application des accords de Taëf, le président de la République doit être chrétien maronite, comme l’est le président Lahoud, qu’aucun responsable étranger ne salue plus ; le premier ministre doit être sunnite, à l’exemple de M. Fouad Siniora, qui s’est avéré un homme solide et volontaire, tandis que le président du Parlement doit appartenir au groupe chiite. Ce poste est aujourd’hui occupé par Nabih Berry, qui est le seul président à avoir décidé que son assemblée ne siègerait plus !

Face à ces tensions, la France a souhaité inviter des représentants de tous les courants politiques libanais à venir discuter ensemble de l’avenir de leur pays. La Ligue arabe et les autorités suisses ont vainement tenté d’organiser une rencontre du même type. Il est urgent de relancer le dialogue car le fonctionnement des institutions libanaises est très précaire : après le départ du gouvernement de cinq ministres chiites, tout nouvel attentat suffirait à bloquer totalement les institutions et à provoquer sans délai un nouveau scrutin. Il faut aussi absolument éviter que le président de la République ne trouve un prétexte pour nommer un autre premier ministre.

Le président Axel Poniatowski a d’abord interrogé le ministre sur l’opportunité d’un dialogue avec le Hamas dans le cadre d’une relance des pourparlers israélo–palestiniens.

Après avoir salué l’implication du Gouvernement français, M. Serge Janquin a souligné la nécessité, d’une part, de conforter l’Union africaine comme acteur clé du règlement du conflit soudanais, et a interrogé le ministre sur ce qu’il conviendrait de faire pour contribuer à la préservation de l’intégrité territoriale du Soudan.

M. Jacques Myard a regretté l’affaiblissement de l’outil diplomatique français. Il s’est ensuite interrogé sur la présence de la Chine en Afrique et sur la pertinence d’une collaboration de la France avec cette dernière au Darfour. Il a enfin rappelé la responsabilité d’Israël dans la crise palestinienne actuelle.

Partageant le point de vue exprimé par M. Myard sur la situation palestinienne, M. François Rochebloine a demandé quel rôle le Général Michel Aoun pouvait jouer dans la relance du dialogue interlibanais.

Mme Elisabeth Guigou a sollicité des précisions sur la conférence qui doit réunir à Paris les représentants des différentes forces libanaises et de la société civile. Quelles réactions cette initiative a-t-elle suscitées dans la région ? Quelle place sera faite au Hezbollah ? Une date a-t-elle été retenue ?

Le Ministre a apporté les précisions suivantes :

– En raison de l’assassinat du député Walid Eido, la date de la rencontre interlibanaise a été repoussée et se tiendra à Paris du 14 au 16 juillet. Le principe de cette réunion ayant été réaffirmé. Il n’appartient pas au ministre de choisir les quatorze communautés invitées à désigner deux de leurs représentants. Le Hezbollah sera représenté mais pas par M. Nasrallah ; il n’y aura d’ailleurs aucun responsable de premier plan des partis politiques en raison de l’état de tension actuel. Le Ministre a estimé que la France est la seule à pouvoir organiser un tel événement, les initiatives menées tant par la Ligue arabe que par la Suisse ayant échoué. Cependant, du fait de la situation actuelle, le moindre événement pourrait entraîner l’échec de cette rencontre qui signifierait avant tout un échec pour le Liban. Il a précisé que l’objectif principal de cette réunion est de permettre le début d’un dialogue afin d’éviter, du fait de la prédominance de deux groupes antagonistes, l’émergence d’un consensus provoquant dans l’autre camp la tentation d’instaurer un deuxième gouvernement ce qui créerait une situation inextricable. S’agissant de l’attitude des pays de la région, il a considéré que l’Iran ne souhaitait pas le chaos au Liban quand la Syrie le provoquait. Il a ainsi rappelé que la Syrie a empêché la venue des représentants chiites à la conférence organisée par la Ligue arabe à Beyrouth. Si l’Arabie saoudite est en faveur de cette initiative de réunion interlibanaise, le Ministre a rappelé que seule la France se chargeait de l’organisation de cette conférence.

– La participation du Hamas à une éventuelle discussion sur l’avenir du Proche-Orient est aujourd’hui prématurée. Le Ministre a invité toutefois à prendre conscience de la nécessité d’évoluer vers une reprise du dialogue. Pour cela il faudra, à terme, obtenir du Hamas la renonciation à la violence, la reconnaissance d’Israël et la garantie du respect des décisions de l’ONU, comme cela avait été autrefois demandé avec succès à l’OLP. Du côté israélien, il existe des forces politiques en Israël à même d’agir en faveur de la paix, l’entrée d’Ehoud Barak au gouvernement est à cet égard un élément positif.

– L’absence de l’Union africaine (UA) lors de la réunion organisée à Paris sur la situation au Darfour n’est pas imputable à la France mais précisément au refus explicite du président de la commission de l’Union africaine, M. Konaré, de discuter de l’Afrique hors d’Afrique. Ce dernier a pourtant approuvé cette initiative qui a également été soutenue par M. Djinnit, le numéro deux de la commission de l’Union africaine. Le gouvernement soudanais approuve également l’organisation d’une telle réunion en dépit des déclarations critiques du président Béchir à l’encontre de la politique arabe de la France.

– Le Ministre a estimé difficile de reprocher aux Chinois de rechercher du pétrole alors que nous-mêmes l’avons fait. Actuellement, les Français quittent le continent africain quand les Chinois l’investissent. Si la France reste le premier investisseur en Afrique, notre présence y décroît alors que la croissance économique du continent est actuellement forte (environ 5 %). Prolongée, cette tendance pourrait laisser à la Chine une présence en Afrique toujours plus importante. Les entreprises chinoises sont d’ores et déjà systématiquement mieux disantes sur les divers appels d’offres avec des prix en général inférieurs d’un quart voire d’un tiers à ceux de leurs concurrentes, avec une qualité du service rendu quasiment irréprochable.

– Le Ministre a dit ne pas savoir si le Général représente effectivement 60 % du groupe maronite ou plutôt une part minoritaire, comme cela est parfois avancé. M. Aoun ne sera pas présent lors de la conférence sur le Liban, puisque celle-ci exclut dans un premier temps les chefs de file des divers partis politiques, mais son parti sera représenté. La tâche de la France est de se servir de ses liens privilégiés et de travailler avec ceux qui peuvent localement agir. Le Ministre a ainsi rappelé qu’il avait rencontré M. Samir Geagea.

– Le Ministre a affirmé que le ministère des affaires étrangères a été le seul, avec le ministère des finances, à avoir respecté les nouvelles règles de gestion des ressources humaines. Il en est effectivement résulté une baisse de 12 voire 13 % des effectifs en dix ans, mais la clé de l’influence n’est pas le nombre des hommes, mais les idées.

M. Paul Giacobbi a jugé très flous les contours de l’Union méditerranéenne. Il s’est ainsi étonné des frontières géographiques retenues qui excluent Malte mais intègrent le Portugal, pourtant dépourvu de côte méditerranéenne. Il a également souligné les incertitudes sur le modèle institutionnel envisagé (l’Union européenne, le G8, le Conseil de l’Europe ou l’OTAN) ainsi que sur l’articulation de cette nouvelle structure avec l’Union européenne en s’appuyant notamment sur le cas de la Turquie.

En réponse à la question de M. Paul Giacobbi, le Ministre a précisé que rien n’était encore arrêté au sujet de l’Union méditerranéenne. Il a fait remarquer que la Slovénie, qui dispose d’une façade adriatique, était également concernée par ce projet dont il lui a paru déraisonnable d’exclure le Portugal, même si ce pays ne dispose pas d’un accès à la Méditerranée. L’idée d’une union méditerranéenne n’est pas nouvelle et s’inscrit dans le prolongement du processus de Barcelone, lancé en 1995. Ce processus fut certes très lent, mais il existe aujourd’hui une armature administrative et économique et des crédits sont inscrits au budget de l’Union européenne. C’est pourquoi il est important de ne pas se détacher du processus de Barcelone.

Puis il a estimé qu’il n’existait pas de modèle préétabli pour l’Union méditerranéenne, de même que l’Europe n’est pas le modèle obligé pour d’autres alliances. S’il est vrai que l’Union européenne impressionne et suscite l’admiration au point de provoquer un désir d’imitation, notre modèle est en réalité assez inimitable. Aussi l’union méditerranéenne ne sera-t-elle pas calquée sur l’Union européenne, d’autant que tous les pays de la rive nord sont déjà membres de l’Union. Le Ministre a ensuite souligné les objectifs de la politique européenne de voisinage et insisté sur la nécessité d’améliorer les relations bilatérales entre les pays de la rive sud de la Méditerranée.

Il a considéré que l’Union méditerranéenne ne devait pas être présentée à la Turquie comme constituant pour elle un substitut, une solution alternative à son adhésion à l’Union européenne.

Le Ministre a ensuite précisé que l’initiative d’union méditerranéenne avait fait l’objet de contacts bilatéraux entre le président de la République et son homologue italien M. Romano Prodi ; une réunion de travail s’est aussi tenue avec le Premier ministre espagnol M. Zapatero. L’enceinte EuroMed (5 + 5) apportera également sa contribution à la réflexion. Il a par ailleurs annoncé que le président de la République consulterait sur ce sujet la rive sud lors de son déplacement au Maghreb les 10 et 11 juillet.

En résumé, une union méditerranéenne pourrait ainsi s’inspirer de l’Union européenne sans pour autant l’imiter ; c’est une construction qu’il faudra inventer à partir de projets concrets tels que la protection de l’environnement, l’énergie ou l’organisation bancaire.

M. Jean–Michel Boucheron a souhaité connaître la position du Gouvernement français sur le projet d’implantation par les Etats–Unis d’un bouclier anti–missile en Pologne et en République tchèque. Contestant les arguments techniques avancés pour justifier une protection contre des attaques de missiles, il a fait valoir que le projet américain constitue à la fois une source de tension à l’Est de l’Europe et un défi pour la construction de la défense européenne.

Sur le projet d’implantation du système anti-missiles, théoriquement en Pologne et en République tchèque, le Ministre a fait état de la volonté de dialogue des autorités françaises, regrettant que le président Poutine soit allé jusqu’à répondre en menaçant de cibler l’Europe avec des missiles russes. Le Ministre a indiqué que les experts français lui avaient confirmé qu’une implantation dans ces pays permettait bien une interception d’éventuels missiles envoyés d’Iran vers les Etats-Unis.

M. Jean-Michel Boucheron a indiqué que l’Iran ne possédait pas de tels missiles et n’en disposerait pas avant longtemps s’il décidait de s’en doter.

Le Ministre a rappelé que le président russe avait pour sa part proposé une alternative visant à exploiter conjointement avec les Etats-Unis un radar en Azerbaïjan. La réaction russe reste confuse et est source de tension en Europe. Il ne faudrait pas que cela conduise à la résurgence d’un climat de guerre froide. Le Ministre a plaidé en faveur d’une discussion de ce dossier dans un cadre qui permette d’évoquer ces enjeux européens.

Sur cette question, Mme Elisabeth Guigou a estimé que la France devait faire également preuve d’exigence à l’égard des Etats–Unis concernant leur projet de bouclier anti-missiles. Elle a demandé au ministre s’il pouvait apporter des précisions sur le coût, les lieux de mise en place ou le financement d’un tel projet.

En réponse à Mme Elisabeth Guigou, le Ministre a indiqué que les Américains et eux seuls supporteront la charge financière du bouclier anti-missile. En ce qui concerne le choix des territoires d’implantation, il a évoqué la décision souveraine de la Pologne et de la République tchèque, dans le cadre de leurs relations bilatérales respectives avec les Etats-Unis. Cela ne nous empêchait pas de discuter entre Européens des implications de cette décision pour les relations avec la Russie, comme cela avait été fait lors du dernier Conseil européen.

Le président Axel Poniatowski a abordé la question du Kosovo en demandant au ministre si le délai supplémentaire de 120 jours destiné à relancer des négociations directes entre Serbes et Kosovars albanais pouvait être fructueux et quelle serait l’attitude de la France en cas de veto de la Russie pour empêcher le vote d’une résolution du Conseil de sécurité en faveur de l’indépendance kosovare ?

Le Ministre – après avoir précisé qu’il se rendrait en Serbie les 12 et 13 juillet – a estimé que les Américains ne pouvaient se permettre un échec. Les Russes – uniques soutiens des Serbes – ont protesté contre une résolution qui, reprenant les termes du plan proposé par M. Martti Ahtiaari, envisagerait comme seule perspective l’indépendance du Kosovo. Cette automaticité n’est pas acceptable pour Moscou qui craint des réactions en chaîne. Lors du Sommet du G8, le président de la République a ainsi proposé un délai de réflexion supplémentaire que les Etats-Unis ont accepté de fixer à 120 jours. Rien ne serait en effet pire qu’un veto russe sur une résolution menant clairement à l’indépendance, car ce veto n’empêcherait probablement pas certains pays de reconnaître l’indépendance, ce qui serait dommageable au Conseil de sécurité. C’est pourquoi le Ministre a indiqué que la communauté internationale travaillait à l’élaboration d’une résolution qui, tout en s’inspirant des travaux de M. Martti Ahtisaari, ne prévoirait pas automatiquement l’indépendance du Kosovo. Les prochaines élections qui doivent avoir lieu à la fin de l’année en Serbie permettront de dire si la situation des démocrates s’y trouve renforcée. Ce sera là un élément de contexte important. Le Ministre a également souligné la responsabilité de l’Union européenne qui, par sa force d’attraction, doit redonner de l’espoir à la nouvelle génération. L’absence de résolution mettrait de nouveau les Européens face à un délicat problème de frontières ; or tout doit être fait pour éviter de nouvelles tensions et préserver l’unité de l’Europe.

Le président Axel Poniatowski a souhaité connaître l’appréciation que faisait le ministre sur la situation en Côte d’Ivoire après la tentative d’assassinat du Premier ministre, Guillaume Soro.

S’agissant de la Côte d’Ivoire, le Ministre a livré son analyse personnelle, faisant remarquer que ce sont les Ivoiriens eux-mêmes qui ont formé un gouvernement qui fonctionne et c’est le chef des rebelles qui a rejoint un président officiellement et légitimement élu. De fait, il était difficile d’imposer au président Gbagbo, contre qui le coup d’Etat était dirigé, des rebelles aux ministères de la défense et de la police. Le Ministre a indiqué s’être entretenu longuement avec M. Soro qui s’est voulu rassurant sur la situation en lui précisant notamment que l’industrie française sur place n’était pas endommagée ; l’entente au pouvoir lui a paru solide. Des élections sûres et contrôlées devraient pouvoir se tenir au début de l’année prochaine que le président Gbagbo serait en mesure de gagner. Aussi le Ministre a dit accueillir avec prudence la thèse attribuant à des proches du président Gbagbo les tirs sur l’avion de M. Soro.

Madame Joëlle Ceccaldi–Raynaud a demandé, d’une part, des informations sur le sort d’Ingrid Betancourt et, d’autre part, sur le risque terroriste en France à la suite des attentats déjoués en Grande–Bretagne.

Le Ministre a déclaré que les événements récents en Grande Bretagne nous rappelaient la permanence de la menace terroriste jihadiste en Europe -France comprise-. Il a estimé que, si elle se confirmait, la participation de professionnels éduqués et intégrés, comme des médecins et de chirurgiens, à la mise en place d’opérations terroristes était extrêmement préoccupante. Il a ajouté que dans un tel contexte, il n’était pas surprenant que les acteurs humanitaires qui incarnent la défense des valeurs de liberté et de démocratie soient désormais pris pour cible d’attaques dans les régions où ils interviennent.

En ce qui concerne la détention d’Ingrid Bétancourt, le Ministre a jugé les informations disponibles très difficiles à interpréter, comme l’a illustré la mort de onze membres du Parlement du Valle del Cauca détenus par les FARC depuis 2002. Il a précisé que le président de la République suivait ce dossier avec la plus grande attention mais que la région restait très difficile d’accès : seuls des représentants de la Suisse, de l’Espagne et de la France parviennent à s’y rendre, ce qui n’est pas le cas du Comité international de la Croix rouge (CICR). Il a rappelé que près de 11.000 personnes étaient retenues en otages sans qu’aucune liste de prisonniers n’ait pu être établie. Dans cette zone, la force de l’idéologie ne doit pas être négligée pour tenter de parvenir à un véritable dialogue et à la libération d’Ingrid Bétancourt.

Mme Elisabeth Guigou a demandé quelle position la France adopterait sur la suite des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, après la déclaration du président de la République qui logiquement aurait pu faire craindre une rupture des discussions.

Le Ministre a rappelé – comme chacun le sait – qu’il ne partageait pas la position du Président de la République qui estimait que la Turquie n’avait pas sa place dans l’Union européenne. La position de la France était bien entendu celle exprimée par le Président de la République, mais il a indiqué qu’il n’avait pas renoncé à faire valoir son point de vue auprès de ce dernier. Il s’est réjoui que de nouveaux chapitres de négociation aient été ouverts sous la présidence allemande de l’UE. Après avoir évoqué le déplacement à Ankara du conseiller diplomatique du président de la République pour expliquer la position française, il a indiqué, à titre personnel, voir dans l’ampleur des manifestations pro-laïques en Turquie un signe encourageant qui devrait conduire à reconsidérer notre position.

Mme Martine Aurillac a souhaité que le ministre fasse le point de la situation en Haïti.

Le Ministre a déclaré entrevoir un début d’espoir, assez récent, en Haïti. L’élection du nouveau président a permis de lever en partie les plus graves dangers que courrait la population, même si les liens entre les autorités gouvernementales et les réseaux criminels n’ont certainement pas complètement disparu. Il s’est félicité de la détermination française et américaine et a considéré qu’il fallait poursuivre cette mission internationale de maintien de la paix le temps qu’il faudra. Les vrais problèmes ne sont pas pour autant réglés au point que certains regrettent même l’ancien président Aristide. Un changement de génération est indispensable, car sans cela il n’y aura pas de changement de culture et donc pas d’arrêt à la violence.

Le président Axel Poniatowski a remercié le ministre pour la qualité de son intervention et les nombreuses informations apportées aux membres de la commission.

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