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Commission des affaires étrangères

Mercredi 12 septembre 2007

Séance de 10 h 45

Compte rendu n° 12

Présidence de Mme Martine Aurillac, vice-présidente

– Accord-cadre France-Belgique sur la coopération sanitaire transfrontalière (n° 117) – M. Michel Delebarre, rapporteur

– Audition de M. Manuel Desantes, vice-président de l’Office européen des brevets et de M. Eskil Waage, juriste à l’Office européen des brevets

– Information relative à la commission

Accord-cadre France-Belgique sur la coopération sanitaire transfrontalière

La commission a examiné, sur le rapport de M. Michel Delebarre, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique sur la coopération sanitaire transfrontalière (n° 117).

M. Michel Delebarre, rapporteur, a souligné que l’accord-cadre entre la France et la Belgique sur la coopération sanitaire transfrontalière, signé à Mouscron le 30 septembre 2005, confirme la vigueur des accords bilatéraux relatifs aux zones frontalières, après celui avec l’Allemagne et avant l’Espagne.

L’accord vise à conforter les initiatives actuelles et à encourager une coopération fondée sur l’exigence de continuité des soins. C’est pourquoi il dote la coopération sanitaire transfrontalière d’une base légale et offre aux coopérations locales présentes ou futures un cadre homogène.

La coopération sanitaire transfrontalière est déjà une réalité ainsi qu’en témoignent de nombreuses expériences locales.

Actuellement la prise en charge des frais médicaux exposés dans un autre État membre de l’Union européenne peut s’effectuer selon trois modalités :

– dans le cadre des règlements communautaires relatifs à la coordination des régimes de sécurité sociale, sur la base des tarifs du lieu des soins, et lorsque l'assuré peut présenter au prestataire de soins un document communautaire attestant l'ouverture de ses droits (carte européenne d’assurance maladie ou formulaire E 112 selon les cas) ;

– en application de la jurisprudence de la Cour européenne de justice, sur la base des tarifs de l'État d'affiliation, sans autorisation préalable de la caisse d’affiliation, pour les seuls soins ambulatoires ;

– dans le cadre de conventions locales de coopération sanitaire, dans les conditions prévues par chaque convention.

De nombreux exemples viennent illustrer l’importance de la coopération dans la zone transfrontalière franco-belge :

– le projet Transcards (Thiérache santé) qui associe organismes de sécurité sociale et établissements hospitaliers belges et français afin d’accélérer les procédures administratives par la dématérialisation des formulaires ;

– la coopération hospitalière entre le centre hospitalier de Dunkerque, d’une part, la clinique Saint-Augustin de Furnes (Veurne) et l’institut Reine Elisabeth de Oosduinkerke, d’autre part, autour de la médecine nucléaire avec le projet d’implantation d’un équipement transfrontalier, dénommé « Tep-scan », technique d’imagerie avancée, mais aussi des urgences ;

– de nombreuses conventions de coopération hospitalière : entre les centres hospitaliers de Mouscron et de Tourcoing, entre ceux de Sambre Avesnois (Maubeuge) et de Mons ou encore entre ceux de Charleville Mézières et de Dinant.

Fort de ces expériences positives, le développement souhaitable de la coopération sanitaire justifie l’existence d’un accord bilatéral. Il s’agit d’encadrer les conventions locales et de lever tout obstacle juridique à leur mise en œuvre, d’une part, et de supprimer les freins concrets que sont encore les délais de remboursement parfois très longs, les difficultés administratives ainsi que la méconnaissance réciproque des ressources et de l’organisation du pays voisin, d’autre part.

L’accord détermine le cadre juridique dans lequel s’inscrit la coopération sanitaire transfrontalière. Ses modalités d’application sont précisées par un « arrangement administratif ».

Quatre objectifs sont assignés à l’accord dans son article premier : améliorer l’accès aux soins pour les populations de la zone transfrontalière, assurer la continuité de soins, optimiser l’organisation de l’offre de soins, encourager la mutualisation des connaissances et pratiques.

Aux termes de l’article 2, la zone frontalière visée couvre quatre régions françaises (Champagne-Ardenne, Lorraine, Nord-Pas-de-Calais, Picardie) et treize arrondissements belges. L’accord s’applique à tout bénéficiaire de l’assurance maladie française ou belge résidant ou séjournant temporairement dans la zone frontalière.

L’article 3 place les conventions de coopération sanitaire au cœur du mécanisme de coopération transfrontalière.

Supprimant l’approbation préalable des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, l’accord confie la signature des conventions locales aux directions régionales ou départementales des affaires sanitaires et sociales, agences régionales d'hospitalisation et unions régionales des caisses d'assurance maladie pour la France et à l'Institut national d'assurance maladie-invalidité, les organismes assureurs et les dispensateurs de soins pour la Belgique.

Les conventions organisent la coopération entre établissements publics de santé, établissements privés participant au service public hospitalier, groupements de coopération sanitaire et professionnels de santé libéraux, établis dans la zone frontalière ou y intervenant au titre d’un réseau. Elles définissent les conditions et les modalités obligatoires d'intervention des structures de soins, des organismes de sécurité sociale et des professionnels de santé, ainsi que de prise en charge des patients.

Les conventions existantes doivent se conformer à l’accord. Les modifications nécessaires doivent être opérées dans un délai d’un an.

L’article 5 dispose que les conventions de coopération prévoient la délivrance automatique, par l’institution de sécurité sociale compétente, de l’autorisation préalable requise pour recevoir des soins dans la zone frontalière. Dans ce cas, lesdites conventions peuvent également envisager une tarification spécifique des actes et soins.

Cette stipulation simplifie le dispositif actuel puisque les conventions dispensant d’autorisation préalable ne doivent plus désormais être préalablement approuvées par les ministres compétents. La négociation tarifaire éventuelle demeure cependant soumise à leur approbation.

En vertu de l’article 7, une commission mixte veille à l’application de l’accord. Elle exerce notamment un contrôle de conformité des conventions de coopération aux dispositions de l’accord-cadre.

L’article 9 détermine les modalités d’entrée en vigueur de l’accord. La ratification de l’accord n’a pas à ce jour été inscrite à l’ordre du jour du Parlement belge. Compte tenu de la crise politique actuelle, il est peu probable que la ratification intervienne avant la fin de l’année.

En conclusion, le rapporteur a recommandé à la Commission d’adopter le présent projet de loi afin d’autoriser l’approbation d’un accord qui s’inscrit résolument dans la perspective du développement des zones frontalières et contribue, certes modestement, à la construction de l’Europe de la santé.

M. Jean-Paul Lecoq a observé que la moitié nord de la France, dont la circonscription de M. Delebarre et la sienne font partie, compte moins de médecins que la moyenne nationale alors même que la morbidité y était supérieure à la moyenne. Les stipulations de la convention ne doivent pas fournir un prétexte aux pouvoirs publics pour ne pas travailler à une meilleure répartition des médecins dans les différentes régions françaises. Il ne faudrait pas pousser les malades à se déplacer faute de parvenir à rapprocher d’eux le corps médical !

M. Michel Delebarre, rapporteur, a précisé que l’objectif était de soigner les gens à l’endroit où ils avaient un problème de santé. Dans cette logique, le centre hospitalier de Dunkerque, dont il est président, a conclu une convention avec des hôpitaux belges afin de former au flamand les personnels de l’hôpital qui sont souvent conduits à prendre en charge des patients néerlandophones. De même, il peut être très utile de rapprocher les bassins de populations de part et d’autre de la frontière, soit 800 000 personnes au total, pour atteindre un seuil permettant d’obtenir des équipements lourds et coûteux que la population d’une seule région ne suffirait pas à justifier.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a adopté le projet de loi (n° 117).

Audition de M. Manuel Desantes, vice-président de l’Office européen des brevets et de M. Eskil Waage, juriste à l’Office européen des brevets

Après avoir souligné que son collaborateur et lui-même avaient pour la France et la langue française un grand attachement, M. Manuel Desantes, vice-président de l’Office européen des brevets (OEB), a indiqué que l’OEB est une institution publique européenne dont le siège est à Munich, et qui a été chargée par 32 Etats européens d’examiner les demandes de brevets d’inventions et, le cas échéant, de délivrer des brevets européens.

En tant que l’un des vice-présidents de l’Office européen des brevets, chargé des questions juridiques et des affaires internationales, il a, parmi ses tâches principales, celle de contribuer au développement et à l’amélioration du brevet européen, que ce soit en préparant des modifications de la Convention de Munich ou en soutenant les efforts visant à réduire le coût du brevet européen, notamment en réduisant les coûts des traductions du brevet après délivrance, ce qui sera l’objet principal de son intervention.

M. Manuel Desantes a remercié la commission de lui donner l’occasion d’expliquer certains mécanismes du système européen des brevets, afin de mieux apprécier les enjeux pour la France d’une ratification de l’Accord de Londres.

C’est en effet à l’Office européen des brevets, qu’arrivent les dizaines de milliers de demandes de brevets européens déposées chaque année (en 2006, ce furent 208 500 demandes). Et ce sont ses examinateurs, au nombre de 3 500 – tous ingénieurs ou scientifiques spécialisés – qui examinent chacune de ces demandes, et décident si un brevet peut – ou non – être délivré.

Parmi les 3 500 examinateurs, près de 800 sont français, mais surtout tous les examinateurs sont francophones, car les trois langues officielles de l’Office européen des brevets sont l’allemand, l’anglais et le français, conformément à ce qui est inscrit dans la Convention de Munich de 1973. En pratique, cela signifie que les demandes de brevets européens doivent être déposées dans l’une de ces trois langues et que les examinateurs ne correspondent avec les déposants que dans ces trois langues. Au moment de la délivrance, les revendications de tous les brevets européens doivent obligatoirement être disponibles dans ces trois langues.

M. Desantes s’est ensuite arrêté à ce qui pourrait apparaître comme un détail de la procédure à l’Office européen des brevets: dix-huit mois après la date du dépôt de la demande de brevet, la demande doit être publiée. C’est la concrétisation la plus visible de ce contrat que l’inventeur passe avec la société : en échange de la divulgation de son invention au public, l’inventeur se voit accorder une protection par brevet, c’est-à-dire un droit exclusif d’une durée qui peut aller jusqu’à 20 ans.

Or la publication des demandes de brevets européens, dix-huit mois après le dépôt, se fait dans la langue dans laquelle la demande a été déposée : ainsi, une demande de brevet rédigée en anglais sera publiée en anglais et une demande rédigée en français sera publiée en français.

Cette étape intermédiaire entre le dépôt de la demande et la délivrance du brevet est décisive puisque c’est à ce stade qu’intervient la veille technologique, moment-clé pour toute entreprise innovante. Pour connaître ce que font les concurrents, vers quels domaines ils s’orientent, où vont leurs investissements et leurs efforts de recherche-développement, une entreprise doit impérativement prendre connaissance des demandes de brevets publiées à dix-huit mois dans l’une des trois langues officielles de l’Office européen des brevets. Aujourd’hui, les entreprises françaises innovantes – que ce soit les grands groupes, les PME, les laboratoires publics – surveillent ces publications, dans leurs domaines respectifs, dans l’une de ces trois langues.

C’est seulement plusieurs années plus tard – 4 ou 5 ans après la date de dépôt – que le brevet européen sera délivré par l’Office européen des brevets. C’est à ce moment-là que des traductions complètes du brevet doivent être fournies dans toutes les langues nationales des pays où le titulaire de brevet souhaite que son brevet prenne effet. Certes, le titulaire du brevet peut parfois se permettre de limiter les dépenses de traduction en optant pour une protection dans 6 ou 8 pays seulement. Mais s’il souhaite une protection plus large, c’est jusqu’à 23 traductions de l’intégralité du fascicule du brevet – c’est-à-dire à la fois les revendications et la description du brevet européen – qu’il lui faut fournir.

Or, il apparaît que ces traductions ne sont quasiment jamais consultées. Autant la publication des demandes de brevets à dix-huit mois est cruciale pour la veille technologique et la diffusion des connaissances techniques, autant les traductions des brevets européens plusieurs années après semblent moins justifiées.

M. Desantes a alors abordé les stipulations de l’Accord de Londres. Le brevet européen coûte cher. Son coût élevé est un frein à l’incitation à protéger les inventions. Or, si elles ne protègent par leurs inventions, les entreprises françaises et européennes se trouvent démunies face à la concurrence internationale. L’Accord de Londres vise à diminuer le coût du brevet européen en réduisant les frais de traduction : seules les revendications du brevet seraient traduites tandis qu’il n’y aurait plus d’obligation de traduction de la description du brevet, qui constitue en général plus des 2/3 du fascicule.

Il est difficile de chiffrer précisément les économies que pourraient réaliser les titulaires de brevets européens si l’Accord de Londres entrait en vigueur. Tout dépendra dans chaque cas du nombre de pages du brevet (beaucoup de brevets font autour 20 pages, mais d’autres 50 ou 100), mais aussi du nombre d’Etats dans lesquels le titulaire souhaite que son brevet prenne effet, donc du nombre de langues dans lesquelles le brevet devra être traduit, du coût de traduction d’une page du brevet d’une langue vers une autre et du nombre d’Etats qui vont ratifier l’Accord de Londres.

Ce qui apparaît manifestement dans toutes les études réalisées ces dernières années, c’est qu’en limitant l’obligation de traduction aux seules revendications – c’est-à-dire en ne traduisant que la partie essentielle du brevet, les 4 ou 5 pages qui définissent véritablement la protection conférée par le brevet – des sommes substantielles peuvent être économisées. L’Office européen des brevets délivre actuellement entre 50 000 et 60 000 brevets européens chaque année, qui doivent tous être intégralement traduits après délivrance.

C’est cet argent – l’argent que les entreprises innovantes (celles précisément qui contribuent le plus à la compétitivité de l’industrie française et européenne) doivent aujourd’hui consacrer aux traductions – qui pourrait être réorienté vers les budgets de recherche-développement et vers l’innovation.

Le vice-président a souhaité conclure son exposé par une remarque sur les enjeux linguistiques de l’Accord de Londres que le Professeur Alain Pompidou, président de l’Office européen des brevets jusqu’au 30 juin dernier, s’est personnellement engagé à promouvoir en France. Le message de ce dernier était clair : loin d’affaiblir la position de la langue française, l’Accord de Londres pérennise au contraire l’usage du français dans le domaine des brevets et donc de la diffusion des connaissances techniques.

La Convention de Munich de 1973 a doté l’OEB de trois langues officielles. Une telle solution linguistique était possible dans la « petite » Europe des années 1970. Elle ne le serait plus aujourd’hui, et certains pays voudraient bien remettre en question cette originalité du droit européen des brevets. Or, dans l’Accord de Londres négocié en 2000, le système des trois langues institué par la Convention de Munich de 1973 se voit pérennisé. L’Accord renouvelle l’engagement des principaux partenaires européens de traiter sur un pied d’égalité, les trois langues officielles en matière de brevets que sont l’allemand, l’anglais et le français.

Enfin, M. Desantes s’est dit intimement persuadé qu’un régime linguistique simplifié, limité à trois langues, permettait d’éviter deux écueils : l’un, extrême, qui consisterait à traiter sur un pied d’égalité toutes les langues européennes ; l’autre, qui viserait à l’utilisation d’une langue unique dans le domaine de l’innovation et des brevets et qui, c’est évident, ne serait ni l’allemand, ni le français.

Mme Martine Aurillac, vice-présidente, a demandé au vice-président des éclaircissements sur les différences entre le brevet européen et le « brevet communautaire » tel qu’il pourrait voir le jour au sein de l’Union européenne. Puis elle s’est interrogée sur les conséquences, notamment linguistiques, d’une absence de ratification par la France du protocole de Londres. Si la ratification par notre pays était acquise, à quelle date ce protocole entrerait-il en vigueur ?

M. Manuel Desantes a expliqué que la création du brevet européen était à la fois un succès de la construction européenne, l’Office européen des brevets étant une institution performante mais résultait paradoxalement d’un échec de la construction communautaire puisque le brevet européen est voué à pallier l’inexistence du brevet communautaire. La première différence entre les deux systèmes réside dans la procédure nécessaire à la validation du brevet. Dans le cas du brevet européen, il est nécessaire d’effectuer une démarche auprès de chaque Etat dans lequel l’inventeur souhaite voir son brevet défendu. Seul le dépôt auprès des institutions de l’Union européenne serait nécessaire dans le cas du brevet communautaire pour une protection garantie sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne.

En deuxième lieu, seule la Cour de Justice des Communautés européennes serait compétente pour les contentieux liés au brevet communautaire, alors que les juridictions nationales le sont pour le brevet européen.

Enfin, s’il était mis en œuvre, le brevet communautaire pourrait être intégré au système européen de brevet, puisqu’il n’est pas voué à remplacer le brevet européen.

Concernant les conséquences d’un refus éventuel de la France de ratifier le protocole de Londres, ce qui empêcherait son entrée en vigueur, M. Manuel Desantes a déclaré que les Etats l’ayant déjà ratifié pourraient s’accorder entre eux sur un nouveau système parallèle qui ne concernerait pas la France et qui serait fondé sur deux langues : l’anglais et l’allemand.

Une fois ratifié par la France, l’entrée en vigueur du protocole pourrait intervenir dès la fin de l’année 2007, puisque les huit ratifications exigées par le protocole ont déjà été obtenues.

M. Jacques Myard a rappelé que l’Italie et l’Espagne n’avaient pas ratifié ce protocole, ce qui montre à quel point cet accord suscite de réels problèmes. Les règles actuelles concernant le brevet européen en font un instrument plus souple que le brevet communautaire, dont la création ne paraît pas opportune au vu des graves manques de compétences techniques de la Cour de Justice des Communautés européennes dans cette matière. L’argument selon lequel le brevet européen est trop coûteux du fait de la nécessité de le traduire en trente langues n’est pas recevable. En déposant un brevet dans cinq ou six grands Etats, une entreprise est en pratique prémunie contre toute tentative sérieuse de contester sa position sur le marché.

En revanche, le système prévu par le protocole de Londres est mauvais. Ce dernier supprime l’obligation de traduire les descriptions des brevets, et ne retient que l’obligation de traduire les revendications. Or, sans connaître les descriptions, il est impossible de savoir précisément ce que le brevet couvre, et un agent économique peut donc être condamné pour contrefaçon alors même qu’il ne pensait pas porter atteinte à un brevet. Cette situation constituerait une grave atteinte au principe constitutionnel d’égal accès au droit pour les citoyens.

De plus, le protocole de Londres porte atteinte aux intérêts de la France. Cet accord renforce l’asymétrie entre notre pays et les Etats-Unis. En effet, s’il ne change rien à l’obligation pour les entreprises françaises de faire traduire leurs brevets en anglais pour les valider aux Etats-Unis, il exonère en revanche les entreprises américaines de l’obligation de traduire la description de leurs brevets en français. Or, il est notoire que ces dernières ont une utilisation stratégique des brevets, pratiquant ce qu’il est convenu d’appeler le « buisson de brevets » (dépôt simultané d’un brevet essentiel et de nombreux autres brevets périphériques et d’une validité incertaine dans le seul but de ralentir les recherches de firmes concurrentes). En baissant encore les coûts de dépôt pour les entreprises américaines, le protocole de Londres risque d’amplifier cette pratique.

Enfin, l’idée selon laquelle le protocole de Londres permettrait d’augmenter le nombre de brevets déposés en Europe est très contestable. D’abord, les coûts de traduction ne représentent qu’une faible part du coût total d’une demande de brevet, résultant en grande partie des charges imposées par l’Office européen des brevets. De plus, la baisse du coût des brevets n’a pas forcément pour effet d’accroître le nombre de brevets déposés, comme l’exemple français des dernières années peut en attester. En réalité, pour accroître le nombre de brevets déposés en France, il conviendrait avant tout de mieux former les entrepreneurs en matière de droit de la propriété industrielle et de restaurer leur confiance dans le système judiciaire pour défendre leurs brevets.

M. Jacques Myard a conclu son propos en indiquant qu’il voterait contre le projet de loi autorisant la ratification du protocole de Londres.

M. Jean-Michel Boucheron a exprimé ses doutes sur l’intérêt du protocole de Londres en contestant le principal argument avancé, celui de la réduction du coût du brevet européen. La mise en œuvre du protocole n’opèrerait qu’un transfert des coûts de traduction de la personne qui dépose le brevet vers celle qui doit l’étudier. Il a jugé avec gravité que le protocole organise l’opacité du marché des brevets.

M. Henri Plagnol a demandé des précisions sur trois points : Combien de brevets sont actuellement délivrés en langue française ? La traduction des revendications
constitue-t-elle une garantie suffisante pour permettre aux entreprises de s’informer correctement dans l’exercice de la veille technologique ? Le contentieux relatif aux brevets donnera-t-il lieu à une traduction obligatoire dans la langue nationale ?

M. Jean-Paul Lecoq s’est interrogé sur les conséquences à long terme du choix de restreindre à trois le nombre des langues officielles de l’OEB. Le Parlement européen ne pourrait-il pas dès lors être tenté de suivre la même voie ? L’avenir culturel d’une Europe dans laquelle les États seraient privés de la reconnaissance de leur langue est incertain. On ne peut exclure que la recherche de nouvelles économies justifie un jour, à l’OEB, la suppression d’une des trois langues.

M. Manuel Desantes a assuré que le protocole permettait de pérenniser l’utilisation des trois langues et d’endiguer la domination de l’anglais.

M. Eskil Waage a indiqué que 5 ou 6% des demandes étaient déposées en français contre 70% en anglais et 25% en allemand. Le dépôt initial détermine le choix de la langue. Le protocole, qui ne modifie pas cette étape de la procédure, n’influencera donc pas le choix de l’entreprise.

M. Manuel Desantes a rappelé que la politique de promotion de l’OEB au détriment des offices nationaux qui prévalait dans les années 80 a été infléchie. Aujourd’hui, l’OEB encourage les entreprises nationales à déposer en premier lieu dans leur pays avant de se tourner vers l’OEB. L’Office de Munich effectue les recherches consécutives au dépôt des brevets au niveau national et les entreprises tirent profit de cette facilité.

M. Eskil Waage a précisé que la demande de brevet comporte trois éléments : les revendications, la description et le cas échéant des dessins. Les revendications déterminent l’étendue de la protection juridique conférée par le brevet ; la description permet d’interpréter les revendications mais leur caractère essentiellement technique rend leur appréhension difficile au public et aux juristes. Seules les revendications sont opposables, la description et les dessins n’ayant aucune valeur juridique.

Après avoir rappelé les principales étapes de la procédure de délivrance des brevets, M. Manuel Desantes a souligné à nouveau le caractère déterminant du moment de la publication de la demande – dix-huit mois après le dépôt – pour les entreprises qui souhaitent suivre les développements technologiques et les projets de la concurrence.

La ratification potentielle du protocole par une vingtaine d’Etats accentue le poids de l’argument relatif à la réduction des coûts de traduction. Une traduction de brevet est estimée en moyenne à 1 400 euros. Le nombre de pays dans lequel la validation est demandée varie en fonction du domaine sur lequel porte le brevet, la moyenne s’établissant entre 5 et 7 pays. La traduction, lors de la validation, des seules revendications représenterait une économie correspondant à une division par 5 du nombre de pages à traduire.

Or, il est démontré que les dépenses entraînées par les brevets pèsent lourdement sur le budget des PME ; la diminution des coûts des brevets a une influence directe sur leur budget de recherche et développement tandis que celle-ci est, proportionnellement, presque indolore pour une grande entreprise.

M. Jacques Myard a insisté sur le fait qu’il était impossible de comprendre un brevet sans sa description ; les revendications ne sauraient suffire. L’Office ne valide nullement la traduction réalisée, qui se révèle souvent incompréhensible. On ne peut accepter qu’un quart des brevets ne soit disponible qu’en allemand, alors que si peu de personnes maîtrisent cette langue. On ne peut attendre qu’une affaire soit portée devant le tribunal pour disposer d’une traduction complète du brevet ; celui-ci doit être compris par tous dès son dépôt, ensuite il est trop tard. Le protocole de Londres est contraire à la convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle et enfreint tous les principes relatifs à l’accès au droit. Il est indispensable que le Conseil constitutionnel soit consulté sur ces points.

M. Manuel Desantes a indiqué que, chaque année, sur les 45 000 à 50 000 brevets validés en France, et donc traduits en français, moins de 300 étaient soumis à la Justice. Il a déclaré que son expérience à l’Office européen des brevets lui permettait d’assurer que les ingénieurs chargés de l’innovation dans les entreprises n’avaient aucun mal à comprendre très tôt les évolutions technologiques importantes en cours dans leur secteur d’activité. La consultation des revendications, que celle-ci soient rédigées en anglais ou en allemand, leur suffit, dans la quasi-totalité des cas, à comprendre les enjeux des innovations de leurs concurrents. Ils ne recourent que très rarement à la description du brevet.

Il y a encore quelques années, de nombreux pays s’efforçaient d’éviter que de trop nombreux brevets soient déposés sur leur territoire ; aujourd’hui, l’avenir d’un pays dépend largement du nombre des brevets qui y sont déposés, que ces brevets soit d’origine nationale ou étrangère. La multiplication des brevets déposés en France est ainsi un élément de sa puissance économique. La décision que vont prendre les parlementaires français est d’autant plus importante qu’elle aura une influence certaine sur plusieurs pays voisins : l’Espagne, l’Italie, la Belgique attendent que la France ratifie le protocole de Londres avant de franchir aussi le pas. L’Irlande, qu’a mentionnée M. Myard, est sur le point de ratifier le Protocole.

Il faut rappeler que l’Office européen des brevets est extrêmement attentif à la qualité des brevets qu’il délivre ; ceux-ci sont incontestablement de bien meilleure qualité que la moyenne de ceux délivrés dans d’autres régions du monde. Les droits exclusifs induits par le brevet doivent être justifiés par la réalité de l’innovation.

Enfin, il est inexact de dire que les frais de traduction sont négligeables par rapport aux frais de l’OEB, lesquels sont limités à 13 % du coût total moyen d’un brevet.

M. Jacques Myard ayant affirmé que la traduction ne représentait que 10 % du coût d’un brevet, quand les frais d’annuité en constituaient 75 %, M. Manuel Desantes a précisé que les frais d’annuité étaient perçus non par l’Office européen mais par les offices nationaux. Les frais de traduction sont en moyenne plus élevés que les montants dus à l’OEB. Il a conclu en soulignant combien l’adoption du protocole de Londres par la France serait une grande avancée pour l’Europe.

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Information relative à la commission

Au cours de sa séance du mercredi 12 septembre 2007, la commission a nommé M. Henri Plagnol, rapporteur sur le projet de loi autorisant la ratification de l’accord sur l’application de l’article 65 de la convention sur la délivrance de brevets européens – n° 151.

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