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Commission des affaires étrangères

Mercredi 5 décembre 2007

Séance de 9 h 30

Compte rendu n° 22

Présidence de M. Axel Poniatowski, Président

– Examen du rapport d’information sur la situation au Kosovo – MM. Jean-Pierre Dufau et Jean-Michel Ferrand –rapporteurs

– Examen du rapport de la mission d’information sur la construction d’une Union méditerranéenne – M. Renaud Muselier, président, M. Jean-Claude Guibal, rapporteur

– Information relative à la commission

Examen du rapport d’information sur la situation au Kosovo

La commission a examiné le rapport de la mission d’information sur la situation au Kosovo, présenté par MM. Jean-Pierre Dufau et Jean-Michel Ferrand, co-rapporteurs.

M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur, a d’abord rappelé qu’aucun rapport sur ce sujet n’avait été fait par un député depuis mai 2000. Le bureau de la Commission l’a chargé, ainsi que M. Jean-Michel Ferrand, en juillet dernier, de préparer un rapport sur la situation au Kosovo, qui s’intitulera « Quel avenir pour le Kosovo ? ». Après que l’intervention de l’OTAN a mis un terme au conflit sanglant du printemps 1999, le Kosovo, placé sous la tutelle des Nations unies, est un peu retombé dans l’oubli, duquel il n’est sorti que provisoirement en mars 2004 lorsque la mort de deux enfants albanais a entraîné une nouvelle flambée de violence.

La situation au Kosovo mérite incontestablement l’attention de la Commission, au moment où s’achève la nouvelle période de négociation entre Belgrade et Pristina, sous l’égide de la Troïka, pour tenter de trouver un accord sur la question lancinante du statut de ce qui est encore en droit une province de la Serbie.

Avant d’aborder cette question très délicate, le rapport fait un bref rappel de l’histoire du Kosovo, car cette histoire, même lointaine, joue un rôle très important dans la situation actuelle : elle est d’abord à l’origine de sa complexité ; elle est aussi utilisée par chacune des parties à l’appui de ses exigences. La province est en effet considérée par les Serbes et par les Albanais comme le berceau de leur peuple. Son histoire est marquée par des phases de violence successives, au cours desquelles chacun a été tour à tour victime et bourreau.

Le rapport explique ensuite comment la dernière décennie a approfondi la rupture entre des communautés qui ont vécu davantage côte à côte que véritablement ensemble. Il est inutile de rappeler ici les conditions de l’intervention de l’OTAN, le 24 mars 1999, pour faire cesser les déplacements massifs de populations provoqués par le conflit entre les forces yougoslaves et l’Armée de libération du Kosovo (l’UCK), et celles de la mise en place, par la résolution 1244 de Conseil de sécurité, de la MINUK, la mission d’administration intérimaire des Nations unies, et de la KFOR, la première pour administrer la province de manière provisoire, la seconde pour rétablir l’ordre et permettre le retour des personnes déplacées. M. Jean-Pierre Dufau a précisé qu’un rappel de ces événements figurait dans le rapport.

La résolution 1244 prévoyait un transfert progressif des compétences de la MINUK vers des autorités provisoires démocratiquement élues, puis le règlement final du statut du Kosovo. Le moment de cette phase ultime est arrivé, alors que des élections législatives et municipales ont eu lieu le 17 novembre dernier au Kosovo.

M. Jean-Michel Ferrand, rapporteur, a ensuite présenté les opinions des uns et des autres sur ce sujet, telles que les deux députés les ont recueillies au cours de leur déplacement à Belgrade et au Kosovo du 3 au 5 octobre dernier. Ils y ont rencontré des représentants des autorités de Belgrade et des autorités provisoires de Pristina, des porte-parole de la communauté serbe du Kosovo, l’ambassadeur de Russie et des occidentaux travaillant sur place pour les Nations unies ou l’Union européenne.

Les positions des Serbes d’une part, des Albanais du Kosovo d’autre part leur sont apparues inconciliables, ce qui ne laissait guère de chances de succès aux négociations en cours.

Les Serbes de Belgrade comme du Kosovo, y compris les modérés, refusent l’indépendance du Kosovo, même encadrée par la Communauté internationale comme le proposait le plan Ahtisaari. Ils mettent en avant le droit international et les principes définis par la Commission Badinter au début des années 1990 selon lesquels seule une République fédérée pouvait demander son indépendance, alors qu’il était exclu d’accorder celle-ci à des entités inférieures aux Républiques fédérées. Or la Yougoslavie a toujours refusé d’accorder au Kosovo le statut de République fédérée.

Les Serbes considèrent que les 2 millions d’Albanais du Kosovo constituent une minorité au sein de la République de Serbie (qui compte 10 millions d’habitants au total) : s’ils obtiennent l’indépendance parce qu’ils sont largement majoritaires dans la province (à hauteur de 90 % de la population), alors, il faudra aussi l’accorder, par exemple, aux Serbes de la République Srpska, qui ne forment qu’une entité au sein de la Bosnie-Herzégovine. Par ailleurs, les Albanais disposent déjà d’un Etat national.

Beaucoup de modérés jugent que la proclamation de l’indépendance du Kosovo en 1999 aurait été perçue comme la sanction de la politique ultra-nationaliste et violente de Slobodan Milosevic, et aurait pu être acceptée dans ce contexte, alors qu’elle apparaîtrait comme particulièrement injuste maintenant que la Serbie est redevenue une démocratie. Aussi, les Serbes pourraient renoncer à leur candidature à l’OTAN, si l’Alliance soutenait l’indépendance kosovare. Ils ne comprendraient pas non plus que les membres de l’Union européenne reconnaissent celle-ci et, le cas échéant, perdraient toute confiance en elle.

Enfin, les Serbes du Kosovo demandent le droit de continuer à vivre sur la terre de leurs ancêtres, ce qui ne leur semble pas envisageable si le Kosovo devient indépendant.

Belgrade est donc prête à accorder au Kosovo « la plus large autonomie possible » au sein de la Serbie, mais exige de conserver sa souveraineté sur la province.

Les Albanais du Kosovo affirment quant à eux qu’ils ont déjà fait toutes les concessions en acceptant le plan Ahtisaari, dont certaines stipulations sont très favorables aux Serbes (décentralisation asymétrique, financement direct des municipalités serbes par Belgrade, mécanisme de double majorité pour certaines décisions), et qui limite incontestablement la réalité de l’indépendance du Kosovo. Dans ces conditions, pour eux, aucune solution qui ne passerait pas par la proclamation de son indépendance n’est acceptable. Les responsables politiques considèrent que le peuple a déjà été très patient et qu’il n’est plus disposé à attendre davantage. Ils se disent décidés à proclamer l’indépendance du Kosovo dès la fin de la phase actuelle de négociation, prévue le 10 décembre.

Si les Serbes d’une part, les Albanais du Kosovo de l’autre sont aussi fermes sur leurs positions respectives, c’est que les uns et les autres disposent de soutiens de poids, membres de la Troïka et dotés d’un droit de veto au Conseil de sécurité : la Russie, qui souligne l’effet domino que risque d’enclencher une indépendance, même encadrée, du Kosovo, affirme qu’elle opposera son veto à toute résolution dont le contenu n’aura pas été accepté par les deux parties, c’est-à-dire, en fait, qui n’aura pas l’accord de Belgrade, tandis que les Etats-Unis ont annoncé qu’ils reconnaîtront l’indépendance du Kosovo, même si elle est déclarée unilatéralement, ce qui ne pousse pas les Albanais du Kosovo à accepter de nouvelles concessions.

Cette nouvelle phase de négociation témoigne surtout du souci de la Communauté internationale de donner toutes ses chances à la discussion entre les parties. Elle vise par là, notamment, à lever les réticences d’une partie des membres de l’Union européenne vis-à-vis de l’indépendance du Kosovo. En effet, si tous les membres de l’Union étaient disposés à se rallier à une résolution des Nations unies en faveur de l’indépendance supervisée proposée par le plan Ahtisaari, et présentée comme une réponse spécifique à un problème particulier, plusieurs d’entre eux ne sont pas prêts à reconnaître l’indépendance du Kosovo si elle devait être proclamée hors de tout cadre onusien.

Pour des raisons différentes, l’Espagne, la Slovaquie, la Roumanie, Chypre et la Grèce ont annoncé qu’ils ne voteraient en faveur d’une mission européenne au Kosovo dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) que si celle-ci était organisée sur le fondement d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. Comme une telle mission ne peut être décidée qu’à l’unanimité des Etats membres de l’Union – même si des membres peuvent s’abstenir –, cette exigence pourrait empêcher sa mise en place, alors qu’elle devrait jouer un rôle essentiel pour la poursuite de la construction d’un Etat de droit au Kosovo.

M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur, a alors présenté les propositions que formulées dans le rapport afin de tenter de préserver l’essentiel.

Les négociations encore en cours ont pour objectif de rapprocher les positions serbes et kosovares afin d’arriver à une solution acceptable pour les deux parties, qui pourrait donner lieu à une résolution des Nations unies consensuelle. Ce scénario est évidemment celui que tous les Etats impliqués dans le règlement du dossier souhaitent voir se réaliser.

Mais le réalisme exige que l’on réfléchisse sur la base d’autres scénarios : si aucun accord n’est trouvé avant le 10 décembre 2007, qu’adviendra-t-il ? Faut-il prolonger les négociations aussi longtemps qu’un accord n’a pas été trouvé, comme le demande la diplomatie russe, alors même que les chances d’arriver un jour à une solution de compromis sont très faibles et que tout risque de reprise des violences ne peut être écarté si aucune perspective n’est offerte aux Albanais du Kosovo ? Faut-il se préparer à reconnaître une indépendance du Kosovo proclamée de manière unilatérale, et accepter par avance une éventuelle sécession du nord du nouvel Etat ? On voit bien que ni l’une ni l’autre de ces options n’est satisfaisante.

Les deux députés estiment que la question de l’indépendance ou non du Kosovo est essentielle d’un point de vue symbolique, mais finalement relativement secondaire du point de vue de l’avenir réel de ses habitants, à quelque communauté ethnique qu’ils appartiennent. Pour eux, un avenir serein ne peut être assuré que dans un cadre véritablement démocratique, où chacun verra ses droits individuels et collectifs respectés, et où un développement économique pourra s’amorcer. Le Kosovo ne parviendra pas à un tel résultat s’il ne doit compter que sur ses seules forces : il a incontestablement besoin du soutien de la Communauté internationale, et plus particulièrement de l’Europe. Cette réalité doit conduire les responsables politiques locaux à la modération.

Il est donc essentiel que la Communauté internationale reste ferme pour obtenir un certain nombre de garanties, qui peuvent être résumées sous quatre objectifs :

– Poursuivre l’établissement d’un Etat de droit avec l’aide de la Communauté internationale :

Il est impératif que soit maintenue une présence internationale (OTAN et mission PESD de l’Union européenne en matière de justice, de police et de douanes) pour assurer la protection des biens et des personnes et poursuivre l’établissement d’un Etat de droit, quel que soit le statut finalement obtenu par le Kosovo.

– Assurer un cadre respectueux des droits des minorités :

Il semble essentiel aux deux députés que la France obtienne de l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne qu’ils conditionnent la reconnaissance d’une éventuelle indépendance du Kosovo déclarée unilatéralement à l’adoption d’une constitution et des lois conformes au plan Ahtisaari en ce qui concerne le respect des droits des minorités. Ils préconisent aussi que la France demande à la Communauté internationale d’exercer une pression sur les futures autorités kosovares pour qu’elles signent rapidement la Convention du patrimoine mondial et proposent l’inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité des églises et monastères orthodoxes qui n’y figurent pas encore.

– Favoriser la conclusion d’un traité de paix et d’amitié entre la Serbie et le Kosovo, comme premier pas vers leur adhésion à l’Union européenne :

Dans le cas d’une déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo, les deux députés estiment que le minimum serait que la France demande aux pays occidentaux de n’apporter leur soutien à son adhésion à l’ONU qu’une fois conclu un traité de paix et d’amitié entre le Kosovo et la Serbie, sachant que la Russie mettra son veto à cette adhésion, au moins dans un premier temps. Par ailleurs, ils pensent que, à l’occasion de sa présidence de l’Union, la France devrait plaider auprès de l’Union européenne pour que la reconnaissance de leur statut de candidats soit conditionnée à la conclusion d’un tel traité.

– Contribuer au démarrage économique du Kosovo :

Dès que la question du statut de la province sera résolue, il leur semble indispensable d’organiser une nouvelle conférence des donateurs afin de réunir des moyens suffisants pour donner une impulsion décisive au décollage économique du Kosovo, qui est actuellement au point mort. Mais il leur apparaît tout aussi essentiel de conditionner le versement de cette aide au respect de critères politiques (règles démocratiques, respect des droits de l’Homme, absence de préférence ethnique) et de bonne gestion (transparence, maîtrise des finances publiques, application des priorités macro-économiques et budgétaires définies par le FMI, notamment).

Il ne faut ni abandonner les Kosovars à la loi du plus fort – ce qui arrivera en cas de désengagement international –, ni accepter sans condition une déclaration unilatérale d’indépendance. Tous les membres de l’Union européenne devraient pouvoir se mettre d’accord sur ce point et établir sans tarder un code de conduite pour réagir ensemble à une éventuelle déclaration d’indépendance du Kosovo. Celui-ci a plus que jamais besoin de l’aide de l’Union à laquelle il souhaite adhérer à terme ; celle-ci a tout à gagner à une normalisation politique et économique de la situation de cette province, de laquelle dépend pour beaucoup la stabilité de tous les Balkans.

Il est certain, enfin, que, une fois réglé le problème du Kosovo, l’entrée de la Serbie dans l’Union européenne sera beaucoup plus facile, sous réserve de la poursuite de sa coopération avec le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.

Le président Axel Poniatowski a remercié les rapporteurs pour la qualité de leur travail, indiquant souscrire aux préconisations intéressantes et de bon sens qu’ils formulent. Il leur a ensuite demandé si la déclaration unilatérale d’indépendance que s’apprêteraient à faire les Kosovars leur semblait inéluctable.

M. Jean-Pierre Dufau a indiqué qu’il s’était efforcé, avec le co-rapporteur, d’écouter toutes les parties pour présenter un rapport objectif, nourri de préconisations sages et équilibrées. L’échec des négociations qui se profile ne conduira toutefois pas forcément immédiatement à une déclaration unilatérale d’indépendance. Le statut du Kosovo est un enjeu diplomatique entre les Etats-Unis et la Russie. Après les bombardements de l’OTAN de 1999, l’avenir du Kosovo est désormais entre les mains de l’Union européenne qui a là une occasion d’affirmer son unité et sa diplomatie.

M. Jean-Michel Ferrand a déclaré que l’indépendance lui paraissait désormais inéluctable, regrettant que les cartes aient depuis le départ été truquées, l’option de l’indépendance ayant toujours été privilégiée. Or ni les Serbes, ni les Russes ne l’accepteront. L’Europe doit jouer un rôle de premier plan dans le règlement de cette question, mais il y a fort à parier que la Russie sortira gagnante dans tous les cas de figure et exploitera la situation à son avantage, qu’il y ait indépendance ou pas.

M. Jean Glavany a souligné le caractère équilibré des recommandations formulées. Il a toutefois rappelé le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il s’agit, en d’autres termes, du droit à l’autodétermination alors que tout indique que 90 % de la population sont favorables à l’indépendance. S’agissant d’une diplomatie européenne, la France pourrait-elle être le seul Etat membre de l’Union à ne pas reconnaître l’indépendance du Kosovo ? Cela n’est pas réaliste.

M. Jean-Michel Ferrand a précisé qu’il n’avait à aucun moment déclaré que le France ne reconnaîtrait pas l’indépendance du Kosovo ; en revanche, aujourd’hui, tous les Etats membres ne sont pas prêts à la reconnaître.

M. Jean-Pierre Dufau, réagissant à son tour aux propos tenus par M. Jean Glavany sur le droit à l’autodétermination, a rappelé que les évolutions démographiques des différentes communautés présentes au Kosovo conduiront à terme à l’absence de population serbe au sud d’un Kosovo peuplé d’Albanais. S’exprimant ensuite sur la nécessité d’une diplomatie européenne, il a estimé qu’il ne fallait pas reproduire les erreurs du passé, au lendemain de la chute du Mur de Berlin, lorsque les reconnaissances se sont faites en ordre dispersé selon les Etats des Balkans concernés, en fonction de critères d’amitié ou d’inimitié. L’Union européenne doit parvenir à s’exprimer d’une seule voix même si, pour des raisons différentes, certains pays européens sont aujourd’hui réticents à une indépendance du Kosovo ; il a cité l’Espagne (en raison du problème basque) mais aussi la Slovaquie, Chypre, la Grèce et la Roumanie liés par une solidarité orthodoxe. Une déclaration unilatérale d’indépendance pourrait susciter trois réactions : une reconnaissance immédiate, une reconnaissance différée ou une absence de reconnaissance. En tout état de cause, M. Jean-Pierre Dufau a souhaité que les Etats européens les plus réticents à l’indépendance s’en tiennent à une abstention constructive au moment du vote sur l’organisation de la mission PESD prévue au Kosovo.

M. Jean-Michel Ferrand a estimé que la question de l’autodétermination constituait le nœud du problème. Il a rappelé qu’au cours de l’histoire les Serbes avaient été chassés du Kosovo. La population serbe de Pristina est passée de 40 000 à seulement 70 personnes. L’indépendance pourrait en réalité être perçue comme la reconnaissance d’un état de fait lié à la loi du plus fort. Il faut donc être extrêmement prudent quant aux possibles conséquences en cascade et au précédent que cela créerait. En effet, au nom de quoi pourra-t-on alors s’opposer au désir à l’autodétermination dans d’autres régions du monde ? Il faut être prudent et ne pas oublier que les Serbes considèrent que le Kosovo fait partie intégrante de la Serbie.

M. François Loncle a félicité les rapporteurs pour la sagesse de leurs préconisations, sur un sujet très compliqué. Puis il évoqué l’audition de M. Ahtisaari devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, à laquelle il a participé il y a plusieurs mois. Il a estimé que ce rapport établi dans le cadre de l’ONU, mais en réalité sous forte influence américaine, ne donnait pas les clés d’un règlement de la question. Il n’est pas souhaitable qu’une province de la Serbie déclare unilatéralement une indépendance qui ne se justifie ni d’un point de vue historique ni d’un point de vue géographique. C’est un sujet grave et il faut absolument éviter un phénomène de contagion qui serait désastreux.

M. Hervé de Charette a fait remarquer qu’accepter l’indépendance du Kosovo dans les conditions actuelles représenterait un changement radical de la politique européenne et occidentale dans les Balkans. Il a rappelé les interventions menées dans le passé en Bosnie-Herzégovine pour imposer la vie en commun des différentes communautés. Or c’est aujourd’hui le contraire qui se profile. Reconnaître l’indépendance reviendrait à légaliser le nettoyage ethnique et aurait des conséquences désastreuses, à commencer par l’éclatement de la Bosnie-Herzégovine, un pays où l’Etat fonctionne mal et au sein duquel les communautés ne se parlent pas. Il a regretté que l’Union européenne, davantage par faiblesse que par doctrine, s’engage sur un terrain dangereux. Il a également estimé que les Européens ne devaient pas donner aux Balkans l’espoir d’adhérer à l’Union européenne en l’état actuel des choses. La multiplication des Etats dans les Balkans, en augmentant sensiblement le nombre des Etats membres de l’Union, détruirait définitivement la construction européenne. C’est pourquoi la seule voie possible consiste à n’envisager une adhésion des Balkans que de façon groupée, confédérée. Enfin, M. Hervé de Charette a souhaité que la France retrouve sa tradition diplomatique de proximité avec la Serbie, qui constitue le pôle d’attraction le plus fort de la région. Le temps est en effet venu de savoir tourner la page des années Milosevic.

M. Jean Glavany a précisé qu’il partageait les inquiétudes manifestées par les rapporteurs de la Mission. Il serait toutefois difficile, pour la communauté internationale, de s’opposer à la mise en œuvre du droit à l’autodétermination au motif que celui-ci serait revendiqué par la population d’une province et pas d’une République fédérée. Par ailleurs, le risque est fort qu’une déclaration d’indépendance unilatérale plonge l’Union européenne dans des difficultés similaires à celles que lui posèrent jadis les indépendances slovène et croate. De ce fait, malgré la légitimité des inquiétudes qu’une telle décision provoquerait, l’Union européenne doit se préparer à agir de manière coordonnée en cas de proclamation unilatérale d’indépendance du Kosovo.

M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur, a affirmé qu’il partageait la plupart des analyses et des sentiments dont les divers intervenants avaient fait part. Il a souhaité apporter quelques explications complémentaires.

Le recours au référendum d’autodétermination fait courir le risque de provoquer des débats sans fin. Les serbes pourraient ainsi affirmer que leur nombre a baissé suite à des actions délibérées de la majorité kosovare, ce à quoi pourrait être répondu que les autorités serbes ont récemment organisé un référendum constitutionnel réaffirmant l’appartenance du Kosovo à la Serbie duquel la majorité kosovare était explicitement exclue. Il convient, en cette matière, de sortir du manichéisme et d’éviter les solutions qui pourraient dresser les populations l’une contre l’autre.

En deuxième lieu, le risque de voir la situation kosovare servir de modèle dans d’autres régions ne doit pas faire oublier ses particularités ; elle a donné lieu à la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies du 10 juin 1999. Par ailleurs, la province a été touchée par les exactions du régime de Milosevic. Enfin, elle a été le théâtre d’une intervention des forces de l’OTAN. Par conséquent, il est difficile de soutenir que l’indépendance du Kosovo va entraîner mécaniquement celle d’autres régions aux forts particularismes. L’indépendance du Kosovo n’est pas une bonne solution mais il n’en existe aucune autre à l’heure actuelle. Ainsi, la position française peut être considérée comme une modification de notre posture traditionnelle dans la région mais ce changement doit également être expliqué par les spécificités de la situation.

S’agissant de l’emploi du terme « nettoyage ethnique », il peut éventuellement être appliqué à la situation actuelle, mais il doit aussi l’être au comportement passé de l’autre partie.

Concernant l’adhésion des Etats des Balkans à l’Union européenne, l’idée de favoriser un rapprochement de ces Etats en posant comme condition leur regroupement au sein d’une entité au moins confédérale est judicieuse. Aujourd’hui les Européens sont confrontés à une situation bien plus complexe que celle qui prévalait lorsqu’existait la Fédération de Yougoslavie.

L’amitié entre la France et la Serbie doit être renforcée et réaffirmée. Elle est même l’un des facteurs de résolution des difficultés actuelles. Elle permettrait notamment à la France d’expliquer que son éventuelle reconnaissance, sous conditions, du Kosovo, ne doit pas être vue comme une attaque contre la Serbie mais comme la prise en compte d’un processus inéluctable. L’indépendance du Kosovo pourrait même être un atout pour la Serbie en vue d’une éventuelle adhésion à l’Union européenne. Une telle séparation renforcerait le potentiel de développement d’un pays qui est probablement le plus sérieux candidat de la région à l’entrée dans l’Union.

M. Jean-Michel Ferrand, rapporteur, s’est félicité de l’intérêt manifesté par les commissaires pour cette région. Les événements qui vont l’agiter dans les prochaines semaines sont très importants ; il convient de ne pas les passer sous silence. Au-delà de « l’effet domino » d’une indépendance kosovare, le risque principal est qu’une décision contraire au droit international soit adoptée le 10 décembre. Les Etats-Unis ont joué un rôle majeur dans la réalisation d’un tel scénario, la déclaration d’indépendance n’étant envisagée par les autorités kosovares que parce que celles-ci disposent du soutien américain.

L’affirmation d’un droit à l’autodétermination pose problème. Elle pourrait en effet entraîner une revendication identique de la part des habitants serbes de la province, ainsi que de la population de la Republika Srpska de Bosnie.

Enfin, le risque est grand de faire entrer dans l’Union européenne une multitude de « poussières d’Etats » balkaniques, ce qui nuirait à la construction européenne. Il faut donc reconstruire des relations amicales entre la France et la Serbie, l’axe franco-serbe étant essentiel pour l’avenir de l’ex-Yougoslavie.

La commission a autorisé la publication du rapport d’information.

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Le président Axel Poniatowski a indiqué que la version consolidée du traité de Lisbonne a été distribuée aux membres de la commission. La publication de ce document a été saluée par de nombreux parlementaires de l’Union européenne. Le processus de ratification de ce traité, qui implique une révision de la Constitution française puis l’examen du projet de loi de ratification, sera mené dans les prochaines semaines. M. Hervé de Charrette sera rapporteur de la commission pour ces deux textes.

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Examen du rapport de la mission d’information sur la construction d’une Union méditerranéenne

La commission a examiné le rapport de la mission d’information sur la construction d’une Union méditerranéenne, présenté par M. Renaud Muselier, président, et M. Jean-Claude Guibal, rapporteur.

M. Jean-Claude Guibal, rapporteur, a rappelé que l’idée d’Union méditerranéenne avait été lancée le 7 février dernier à Toulon par M. Nicolas Sarkozy, alors candidat à l’élection présidentielle. Celle-ci aurait vocation à travailler étroitement avec l’Union européenne, et ses trois piliers pourraient être la sécurité collective, l’écologie et le co-développement. Le soir de son élection, il a affirmé que le temps était venu « de bâtir ensemble une Union méditerranéenne qui sera un trait d’union entre l’Europe et l’Afrique ».

Après plusieurs mois de réflexion et de consultation de nos partenaires européens et méditerranéens, le Président de la République a précisé son projet à l’occasion du discours qu’il a tenu à Tanger le 23 octobre dernier. Il a défendu l’idée selon laquelle l’avenir de l’Europe est au Sud et proposé de bâtir l’Union méditerranéenne comme l’Union européenne « sur une volonté plus forte que le souvenir de la souffrance, sur la conviction que l’avenir compte davantage que le passé ». Il a recentré les priorités de cette nouvelle Union sur le développement durable, l’énergie, les transports et l’eau, tout en insistant pour que la culture, l’éducation, la santé et le capital humain ne soient pas oubliés.

Les peuples de la Méditerranée forment, selon les termes employés par le Président, une « communauté de destin ». Du fait de sa taille – la Méditerranée couvre une surface 35 fois plus petite que l’Océan atlantique –, le bassin méditerranéen présente une unité fondamentale, trop longtemps cachée par les fractures économiques et démographiques qui le traversent et par les désaccords politiques qui alimentent les tensions. La thèse selon laquelle l’unité de la Méditerranée pourrait précisément être construite autour de cette notion de conflictualité, bien qu’intéressante, reste toutefois marginale.

L’unité géographique de la Méditerranée se traduit par un climat commun, lui-même à l’origine des trois cultures fondamentales de la Méditerranée que sont la vigne, le blé et l’olivier. Ces ressources naturelles ont permis l’éclosion de grandes civilisations – l’une d’entre elle est d’ailleurs parvenue à réaliser l’unité politique de la région à l’apogée de l’Empire romain – et notamment des trois grandes religions monothéistes que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam.

Cette unité géographique réapparaît aujourd’hui au premier plan à travers la prise de conscience de la fragilité de l’écosystème méditerranéen et de l’urgence qu’il y a à prendre des initiatives communes pour le préserver. Mais elle a longtemps été éclipsée par le contraste des niveaux de développement entre le nord du bassin méditerranéen d’une part, l’Est et le Sud d’autre part. Le PIB par habitant de cette dernière zone est aujourd’hui douze fois inférieur à celui de l’Union européenne, et l’écart moyen a tendance à croître.

Le sud de la Méditerranée est pourtant doté d’immenses richesses, aux premiers rangs desquelles des sources d’énergie, et surtout une population jeune, qui doit conduire à la création d’une centaine de millions d’emplois au cours des vingt prochaines années. Seule la prise de conscience de la « communauté de destin » soulignée par le Président de la République permettra de relever ce défi.

Forte de ce constat, l’idée d’Union méditerranéenne repose d’abord sur le respect des aspirations des pays de la rive sud. Dans le prolongement du processus de Barcelone, qui a développé un partenariat entre l’Union européenne et les pays méditerranéens, l’Union méditerranéenne ambitionne de proposer à ceux que l’avenir du bassin méditerranéen préoccupe une coopération égalitaire fondée sur des projets d’intérêt commun.

L’opportunité du projet présidentiel a été unanimement saluée parce qu’il restaure la dimension politique du dialogue entre les deux rives. Largement commenté, il a suscité de multiples réactions dans les Etats qui aspirent à participer à l’Union méditerranéenne.

La commission des affaires étrangères a souhaité apporter sa contribution à ces débats en créant, dès les premiers jours de cette législature, une mission d’information pluraliste de dix membres chargée de réfléchir aux modalités possibles de construction de cette Union méditerranéenne. La Mission a rencontré des personnalités françaises mais aussi étrangères, du Nord comme du Sud, et s’est rendue à Bruxelles pour recueillir la position des instances communautaires.

Ses travaux, qui se sont déroulés dans une ambiance aussi studieuse que constructive, ont visé à apporter des réponses concrètes aux cinq questions qui se posent : Quels pays participeront-ils à l’Union méditerranéenne ? Quelle peut-être son architecture institutionnelle ? Comment s’articulera-t-elle avec l’Union européenne ? Quels projets communs prioritaires peuvent-ils être mis en œuvre par l’Union méditerranéenne? Comment ceux-ci seront-ils financés ?

Les propositions formulées par la Mission visent à nourrir le nécessaire dialogue politique qui doit accompagner la création de l’Union méditerranéenne. Une telle ambition est au cœur d’un dialogue multiculturel fait à la fois d’empathie et de confrontations.

M. Renaud Muselier, président, a, tout d’abord, souhaité remercier les membres de la Mission d’information qui ont travaillé dans un esprit constructif et convivial, pendant trois mois, afin de proposer des pistes concrètes pour la mise en place effective d’une Union méditerranéenne. La richesse des échanges au sein de la Mission a permis d’apporter cinq réponses précises aux questions posées par le projet lancé par le Président de la République.

Il a souligné que l’objectif recherché avait été d’établir un lien entre l’Union européenne fortement intégrée et l’Union africaine en train de se bâtir et de proposer une démarche ouverte. Dans cette perspective, les membres de la Mission d’information se sont interrogés sur le périmètre géographique et politique de l’Union méditerranéenne, recensant trois options : en premier lieu, un périmètre large, calqué sur le périmètre du processus de Barcelone, soit près d’une quarantaine d’Etats membres ; en second lieu, un périmètre restrictif, à partir du « dialogue 5+5 » ; enfin, une troisième approche fondée sur la notion d’Etats riverains de la Méditerranée. La Mission d’information s’est prononcée en faveur d’une Union méditerranéenne reposant en priorité sur les Etats riverains, sur la base d’une adhésion volontaire. L’Union européenne et la Ligue arabe en seraient membres de droit. Pour autant, l’Union méditerranéenne doit être un processus ouvert en permanence à l’ensemble des États, notamment les autres membres de l’Union européenne, qui le souhaitent : le périmètre de l’Union méditerranéenne serait donc modulable en fonction des projets. Dans cette configuration, le sommet de lancement prévu en juin 2008 pourrait dès lors s’organiser autour de deux réunions distinctes : l’une en format restreint aux seuls pays riverains de la Méditerranée (ainsi que le Portugal, la Mauritanie, la Jordanie, l’Union européenne et la Ligue arabe) qui auraient le statut de membre permanent de l’Union méditerranéenne ; l’autre élargie à l’ensemble des pays qui le souhaiteraient, selon les projets communs mis en œuvre, avec le statut de membre non permanent de l’Union méditerranéenne. Réunis autour d’un même projet, les Etats membres permanents et non permanents auraient les mêmes droits et seraient dans une situation égalitaire.

En ce qui concerne l’architecture de l’Union méditerranéenne, la Mission d’information a estimé qu’une organisation légère devait être privilégiée, reposant sur les principes suivants : la non-duplication d’institutions existantes, le maintien d’un lien avec l’Union européenne, l’égalité entre les Etats participants, une géométrie variable et l’ouverture sur la société civile. Dans le respect de ces principes, la Mission a proposé que l’Union méditerranéenne comporte une enceinte politique, le « G-Med », et une instance opérationnelle, « l’Agence de la Méditerranée ». Le G-Med réunirait les chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres de l’Union méditerranéenne, ainsi que l’Union européenne et la Ligue arabe, membres de droit. La définition et la mise en œuvre des projets communs seraient confiées à une « Agence de la Méditerranée » ouverte sur la société civile et organisée autour de deux niveaux : l’un ministériel, l’autre opérationnel. Afin de compléter le dispositif, l’Assemblée parlementaire de la Méditerranée (APM) pourrait constituer le volet parlementaire de l’Union méditerranéenne.

S’agissant du lien essentiel entre l’Union méditerranéenne et l’Union européenne, M. Renaud Muselier a précisé que la Mission d’information préconisait l’établissement d’une « Charte de partenariat ». Afin de souligner la complémentarité des deux démarches et de lever toute ambiguïté sur les finalités de l’Union méditerranéenne, la Mission a mis l’accent sur un certain nombre de principes devant figurer dans cette Charte :

– la participation, de droit, de l’Union européenne aux instances de l’Union méditerranéenne, en tant que membre permanent ;

– le respect, par l’Union méditerranéenne, de l’acquis du processus euro-méditerranéen de Barcelone ;

– l’instauration d’un lien institutionnel entre l’Assemblée parlementaire de la Méditerranée (APM) et l’Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne (APEM) ;

– l’affirmation que l’Union méditerranéenne n’est pas une alternative à l’adhésion à l’Union européenne ;

– les modalités de participation de l’Union européenne au financement de projets initiés et mis en œuvre dans le cadre de l’Union méditerranéenne.

Puis, il a fait observer que la construction de l’Union méditerranéenne ne prendra véritablement forme qu’en se fondant sur des projets concrets, répondant aux besoins et aux attentes des populations des deux rives de la Méditerranée. Dans cette perspective, quatre principes doivent guider l’action de l’Union méditerranéenne :

– des projets concrets d’intérêt commun ;

– un mécanisme de codécision qui attribue une place égale à chaque participant ;

– l’implication de chacun dans les projets sur la base du volontariat ;

– l’ouverture du processus à la société civile.

Il a fait part de la conviction de la Mission que le succès de l’Union méditerranéenne reposait sur une hiérarchisation de ses priorités d’intervention afin de privilégier efficacité et résultats. Ainsi, si l’Union européenne tire son origine du charbon et de l’acier, l’Union méditerranéenne pourra naître de l’eau, de la protection de l’environnement et du dialogue des cultures. Afin de lui conférer une réelle visibilité, l’Union méditerranéenne labellisera les projets qu’elle soutient par le « label Med ». Cette approche n’exclut naturellement pas d’autres initiatives, toutes très importantes, dans des domaines aussi variés de l’agriculture, des infrastructures de transport, de la protection civile, etc. La Mission a néanmoins jugé utile de privilégier une approche pragmatique pour le démarrage de l’Union européenne, reposant sur l’affichage de trois axes prioritaires d’intervention.

Enfin, M. Renaud Muselier a évoqué la question du financement des actions de l’Union méditerranéenne. La Mission d’information a constaté que les bailleurs de fonds engagés en faveur du développement de la Méditerranée étaient nombreux et que la difficulté provenait moins d’un niveau insuffisant de ressources financières que d’un manque de coordination entre eux. D’autre part, l’investissement privé est freiné par deux facteurs principaux : faute de ressources à long terme disponibles, les PME de la région ont des difficultés à trouver des financements adaptés à leurs besoins, tandis que les entreprises étrangères désireuses d’investir dans les pays du sud de la Méditerranée ne trouvent pas toujours des instruments d’assurance qui leur permettraient de limiter les risques qu’elles prennent. C’est pourquoi la Mission d’information s’est prononcée en faveur de l’institution du groupe des investisseurs financiers de la Méditerranée, le « GIFMED » réunissant les bailleurs de fonds institutionnels susceptibles de financer les projets de l’Union méditerranéenne afin de coordonner leurs interventions. Elle a également préconisé la création d’une institution financière chargée de transformer les ressources à court terme (notamment l’épargne des migrants) en emplois à long terme pour aider les PME méditerranéennes à accéder aux financements (crédit et fonds propres) et pour assurer les risques afférents aux investissements privés étrangers.

En définitive, M. Renaud Muselier a mis l’accent sur la volonté des membres de la Mission d’information de proposer un cadre clair et opérationnel pour la formation d’une Union méditerranéenne, qui respecte les instruments existants et les efforts qui ont déjà été engagés en faveur du développement de l’espace méditerranéen.

Le président Axel Poniatowski a félicité les membres de la Mission d’information pour la qualité de leur travail et les propositions concrètes qui résultaient de leur rapport. Il est, en effet, proposé une architecture solide, fondée sur un organe directeur et un outil opérationnel, qui se veut néanmoins légère afin de privilégier l’efficacité des interventions. En ce qui concerne les projets, le Président a estimé que les questions énergétiques méritaient, selon lui, de figurer au rang des priorités de l’Union méditerranéenne, en raison des défis majeurs qu’elles représentaient pour les pays du pourtour méditerranéen. Il a ensuite souligné l’importance de la question des financements qui constituait, sans aucun doute, la clé du succès de la future Union.

Après avoir également remercié les membres de la Mission d’information, Mme Elisabeth Guigou a estimé que son rapport était un document de référence qui ferait date. Il témoigne d’une volonté partagée de surmonter les difficultés de mise en œuvre de l’Union méditerranéenne. Il s’agit, en effet, d’une belle idée qu’il importe de ne surtout pas gâcher. Cette idée est, en réalité, ancienne ; elle a pris forme, en 1995, lorsque l’Union européenne a proposé à dix pays du sud de la Méditerranée un partenariat euro-méditerranéen, le « processus de Barcelone ». Un premier bilan de cette initiative a été dressé en 2005, à l’occasion du dixième anniversaire de ce processus. Ce bilan a fait apparaître un certain nombre de défauts parmi lesquels l’absence de visibilité auprès des populations des initiatives prises dans le cadre de Barcelone. Les efforts financiers engagés ont, en effet, principalement porté sur la compensation du désarmement tarifaire, destiné à préparer la mise en place d’une zone de libre-échange. Dans ce contexte, les financements accordés aux organisations non gouvernementales n’ont été que marginaux, ce qui a nuit à la lisibilité des efforts engagés auprès des populations. En outre, ces efforts financiers ont été bien plus faibles que ceux engagés en faveur des pays d’Europe centrale et orientale dans la perspective de l’élargissement de l’Union européenne. L’attitude des Etats membres a, par ailleurs, été jugée trop paternaliste et le processus de Barcelone insuffisamment fondé sur une véritable co-décision entre l’Union européenne et les pays du Sud de la Méditerranée. Enfin, le conflit israélo-palestinien a lourdement pesé sur la qualité du dialogue politique, même s’il faut reconnaître que le processus de Barcelone est aujourd’hui le seul lieu où les représentants des pays arabes et d’Israël se retrouvent autour d’une même table.

Mme Elisabeth Guigou a rappelé que ce bilan mitigé a fait émerger, pour la première fois en 2005, l’idée d’une « Communauté euro-méditerranéenne », dans le prolongement de Barcelone. Cette idée a été soutenue par un appel public, signé par de nombreux responsables politiques du nord et du sud de la Méditerranée, qui figure en annexe du rapport de la Mission d’information. L’objectif était d’affirmer la nécessité d’une nouvelle ambition pour le partenariat euro-méditerranéen. Parmi les aspects les plus importants à renforcer figuraient notamment l’instauration d’une véritable codécision entre Union européenne et pays du Sud, la mobilisation de financements davantage orientés sur les investissements privés ainsi que l’affirmation d’un avenir commun, fondée sur un engagement politique fort. Lors de son audition par la commission des Affaires étrangères, M. Mourad Medelci, ministre des affaires étrangères de la République algérienne démocratique et populaire, a d’ailleurs insisté sur l’importance des investissements destinés à renforcer les capacités nationales de production et à créer des emplois.

Mme Elisabeth Guigou a estimé que le Président de la République avait eu le mérite de donner une impulsion politique forte en lançant le projet d’« Union méditerranéenne ». Le rapport de la Mission d’information vise à faire réussir cette belle idée qui suscite la méfiance, voire l’opposition, d’autres Etats membres de l’Union Européenne, comme l’Espagne ou l’Allemagne, et l’attentisme dans les pays du Sud. L’objectif est d’apporter une valeur ajoutée au processus de Barcelone et de ne pas fermer la porte aux pays du nord de l’Europe qui souhaitent participer à ce projet. S’il faut conserver l’esprit de « coopérations renforcées », destinées à permettre, au sein de l’Union européenne, que tous les Etats membres n’avancent pas au même rythme, il importe, en effet, de ne pas exclure ceux qui veulent et peuvent s’associer à une avant-garde. Cette approche a le mérite d’éviter le recours au statut d’observateur en proposant l’organisation de deux réunions le même jour pour privilégier le dialogue politique, puis des échanges sur les projets concrets à soutenir. Elle a ajouté qu’une véritable valeur ajoutée pourrait être apportée au processus de Barcelone grâce à la mise en place de projets concrets impliquant les entreprises. A l’heure actuelle, les investissements privés venant d’Europe vers le sud de la Méditerranée sont très faibles puisqu’ils ne représentent sur 1 % du total des investissements privés européens alors que les Etats-Unis consacrent 18 % de leurs investissements totaux aux Etats du sud américain. C’est donc dans les partenariats entre entreprises, grands groupes, mais surtout PME, que réside le potentiel de développement le plus important. Cette valeur ajoutée doit également résulter de la prise en compte, au niveau régional, de problématiques transversales comme le développement économique et social, la protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique, la maîtrise concertée des migrations de populations, etc.

Enfin, Mme Elisabeth Guigou a évoqué la question des financements, mettant l’accent sur la nécessité d’un instrument permettant de transformer l’épargne privée en investissement à moyen terme, d’opérer une synergie entre les différents financements et d’augmenter l’effet de levier des financements publics. Elle a également souligné l’importance d’un partenariat entre pays égaux qui devait remplacer une logique paternaliste d’aide au développement. L’existence de conflits anciens, comme celui du Sahara occidental, rend difficile ce dialogue mais c’est un pari qu’il faut tenter. Cette approche devrait calmer les réticences de certains pays comme l’Espagne ou l’Allemagne au projet d’Union méditerranéenne et pourrait aider à surmonter progressivement les obstacles à une coopération des pays du Sud entre eux. Surtout, elle permettrait aux États européens de relever en commun les défis de la mondialisation, sur le modèle des grands ensembles régionaux qui s’organisent aujourd’hui en Amérique et en Asie.

Après avoir rappelé sa participation à la création du partenariat euro-méditerranéen, M. Hervé de Charette est revenu sur l’échec du processus de Barcelone, identifiant les causes suivantes : le manque d’intérêt des pays d’Europe du Nord, la priorité accordée par l’Union européenne à l’élargissement à l’Est, l’espoir déçu du processus de paix israélo-palestinien, la volonté d’emprise américaine sur la région.

L’élargissement de l’Union européenne à l’Est a ainsi détourné de la Méditerranée des financements importants, les aides destinées à la région méditerranéenne étant dix fois inférieures à celles consacrées à l’Europe centrale et orientale. Si la demande américaine de participation au processus de Barcelone a été refusée, l’influence des Etats-Unis demeure un frein au développement du partenariat au sein de la Méditerranée

M. Hervé de Charette a ensuite fait part de son scepticisme à l’égard de l’initiative française tout en partageant la priorité diplomatique affichée en faveur de la Méditerranée, qui concentre de nombreux risques et offre en même temps de multiples opportunités. L’Union méditerranéenne soulève quatre questions :

– Comment défendre l’idée d’une politique étrangère commune et dans le même temps lancer une initiative exclusivement française ? Il importe de ne pas marginaliser l’Union européenne.

– Comment sera-t-elle financée ? Face aux besoins financiers des pays du Sud, seule l’Union européenne dispose de ressources suffisantes.

– La paralysie de la situation israélo-palestinienne ne constitue t-elle pas un obstacle à la construction de l’Union méditerranéenne ?

– La réticence des pays du Sud pourra t-elle être surmontée ? Si ces pays sont respectueux à l’égard de la France, leur respect est prioritairement destiné à l’Union européenne, en raison de la manne financière, et aux États-Unis, en raison de leur puissance politique.

M. Michel Vauzelle s’est félicité que le projet du Président de la République apporte une réponse aux critiques sur le tropisme oriental de l’Europe. Alors que certains pays européens sont très éloignés de la Méditerranée, l’Allemagne a néanmoins manifesté son intérêt pour l’initiative française. En revanche, d’autres pays, sous l’influence américaine, demeurent hostiles à toute organisation autonome dans le bassin méditerranéen.

Il est essentiel que l’Union méditerranéenne soit reliée à l’Union européenne. La communauté de destins à laquelle œuvre l’Union européenne ne peut se réaliser en excluant la Méditerranée. La parole doit être donnée aux pays méditerranéens qui sont aujourd’hui encore inaudibles face aux partenaires européens. L’Europe a intérêt à entendre la voix de la Méditerranée.

La demande des pays du Sud ne concerne pas exclusivement le financement mais elle peut porter sur la coopération technique, en Algérie par exemple.

Deux points méritent d’être soulignés : d’une part, le rôle de l’Assemblée parlementaire de la Méditerranée doit être conforté et renforcé. D’autre part, l’importance de la coopération entre les régions ne doit pas être sous-estimée. Au sein de la Conférence des régions périphériques maritimes d’Europe, la commission interméditerranéenne offre aux régions un espace de dialogue serein. C’est dans ce cadre que M. Michel Vauzelle a été chargé d’un rapport qu’il a remis au Président sur un nouveau partenariat méditerranéen.

M. Paul Giacobbi a estimé que le pragmatisme et le volontarisme du rapport en faisait un document de référence, le premier consacré à ce sujet. En explicitant le projet d’Union méditerranéenne, le rapport contribuera à lever les nombreuses réticences qui se sont exprimées. On recense notamment les réserves des instances communautaires, de l’Allemagne, de la Turquie mais également des pays du Sud. Ces derniers craignent en effet d’être privés des financements euro-méditerranéens.

Deux thèmes ne sont pas développés dans le rapport. Le premier porte sur les acteurs de la Méditerranée qui sans en être riverains y exercent un rôle fondamental : les États-unis, puissance diplomatique et militaire incontournable, la Grande-Bretagne, riveraine grâce à Gibraltar, et la Chine, très engagée dans de nombreux pays méditerranéens. L’Union méditerranéenne doit permettre aux Méditerranéens de se réapproprier la Méditerranée sans rompre le dialogue avec les autres acteurs.

Le second thème, la sécurité collective, n’est pas absent des préoccupations du rapport. Les membres de la mission ont ainsi pu constater les limites de la coopération dans ce domaine lors de l’audition du représentant permanent français auprès de l’OTAN. Alors que la sécurité collective est un instrument majeur pour l’avenir, l’Union méditerranéenne a vocation non seulement à faire travailler ensemble des pays en conflit et à les faire adhérer à une organisation politique commune, mais également à favoriser les échanges entre les pays du Sud.

Après avoir approuvé le rapport, M. Paul Giacobbi a remarqué que l’adoption à l’unanimité du rapport au sein de la Mission témoignait de l’intérêt de ce sujet et de l’implication de chacun.

M. Jean-Claude Guibal, rapporteur, a cité Saint-Exupéry à l’appui de la démarche de construction de l’Union méditerranéenne qui doit résulter d’une volonté et d’une initiative dynamique. Il ne s’agit pas de créer des institutions qui sont déjà trop nombreuses mais de mettre en place un catalyseur capable de mobiliser des éléments aujourd’hui épars, tels que les États, la société civile ou les échanges universitaires.

L’architecture de l’Union méditerranéenne s’inspire de ce que sont aujourd’hui les perspectives de l’Union européenne, la géométrie variable et les coopérations renforcées.

La priorité accordée aux projets ayant un potentiel de développement certain permet, dans la mise en œuvre de l’Union méditerranéenne, de contourner de nombreux obstacles.

Le fonctionnement de l’Union méditerranéenne proposé permet de respecter les différences qui sont l’essence de la Méditerranée. La Méditerranée se caractérise plus par sa diversité, dont elle tire sa richesse, que par son unité.

Si l’énergie n’est évoquée dans le rapport que sous l’angle environnemental, ce choix s’explique par la nature très conflictuelle de la question des ressources énergétiques. Plutôt que de s’exposer à des tensions irréductibles, il est préférable d’aborder ce sujet de façon indirecte et consensuelle.

L’essoufflement du processus de Barcelone est lié à la conception trop unilatérale que l’Union européenne a de ses relations avec les pays du Sud. La volonté d’imposer des contraintes et règles à ces pays freine leur enthousiasme en faveur d’un partenariat avec l’Europe.

La présence en Méditerranée de puissances non riveraines ne doit pas empêcher les pays méditerranéens de choisir leur destin. La France peut jouer le rôle d’intermédiaire entre l’Union européenne et la rive sud de la Méditerranée.

M. Renaud Muselier, président, a remercié le Président Axel Poniatowski d’avoir accepté de lui confier la responsabilité de cette mission d’information. Le rapport qu’elle a rendu constitue le premier document écrit qui aborde très concrètement la question du fonctionnement de l’Union méditerranéenne. Il s’efforce de dépasser les discours sur l’opportunité du rapprochement des deux rives et peut être regardé comme un ensemble de propositions concrètes, dont certaines pourront inspirer les solutions effectivement retenues. Tous les membres de la mission, y compris ceux ne se définissant pas comme méditerranéens, ont manifesté leur profond intérêt pour les débats et leur attachement à privilégier une approche pragmatique. Dans ce cadre, la Mission a préféré examiner les modalités d’intégration des initiatives, très nombreuses, menées de part et d’autre des deux rives de la Méditerranée et qui n’ont pas toujours de liens avec les institutions existantes. C’est pourquoi elle a estimé nécessaire de faire participer le plus grand nombre possible d’acteurs aux projets de l’Union méditerranéenne, y compris les régions ou les institutions parlementaires comme l’Assemblée Parlementaire de la Méditerranée.

La Mission a posé des questions simples et y a répondu.

Le périmètre exact de l’Union méditerranéenne peut, bien sûr, faire l’objet de discussions mais il est impossible de ne pas utiliser comme référence le pourtour du bassin méditerranéen, même si tous les peuples de la région n’auront pas forcément la même volonté de participer à l’Union méditerranéenne.

L’organisation de l’Union méditerranéenne doit répondre à une exigence, celle de ne pas alourdir un environnement déjà riche en institutions. La proposition énoncée par la Mission est souple, elle permet d’éviter les difficultés, notamment grâce à la charte de partenariat avec l’Union européenne, tout en maintenant l’objectif d’associer les deux rives de la Méditerranée.

S’agissant des projets à mener en priorité, la mission a, là encore, favorisé des solutions consensuelles et simples à mettre en œuvre afin de contourner les obstacles. Le choix d’un partenariat dans le domaine de la gestion de l’eau s’est imposé comme une évidence au vu de l’importance stratégique de cette ressource dans la zone méditerranéenne. Pour les mêmes raisons, les questions énergétiques ont été abordées à travers leur impact sur l’environnement afin d’éviter que l’Union méditerranéenne ne souffre dès l’origine de blocages sur des points qui font aujourd’hui débat, tant en matière d’approvisionnement en hydrocarbures que de développement du nucléaire civil. Enfin, le dialogue des cultures est un domaine pour lequel l’Union méditerranéenne aurait à l’évidence une contribution décisive à apporter. Les populations méditerranéennes partagent en effet une histoire et des souffrances dont le souvenir commun peut permettre un rapprochement afin précisément de ne pas reproduire les schémas d’affrontement du passé.

La mission d’information s’est donnée des objectifs précis et pragmatiques parce que tous ses membres sont convaincus que l’Union méditerranéenne peut voir le jour. Le scepticisme est un bon aiguillon pour une telle volonté parce qu’il permet d’identifier les obstacles principaux et donc de concentrer l’action. Toutefois, il ne doit pas conduire à renoncer à l’optimisme nécessaire à l’accomplissement d’un tel projet politique.

Le président Axel Poniatowski a rappelé qu’une discussion sera organisée, mercredi 12 décembre à partir de 10 h 30, au cours de laquelle M. Henri Guaino sera invité à réagir sur les conclusions du rapport de la mission d’information.

La commission a autorisé la publication du rapport d’information à l’unanimité.

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Information relative à la commission

La commission a désigné M. Michel Vauzelle pour siéger, au titre du groupe SRC, au sein du groupe de suivi sur la Présidence française de l’Union européenne, créé lors de sa séance du 6 novembre 2007.

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