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Commission des affaires étrangères

Mardi 29 janvier 2008

Séance de 11 h 30

Compte rendu n° 33

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de M. Juan-Manuel Santos, ministre de la défense nationale de la République de Colombie (ouverte à la presse)

Audition de M. Juan-Manuel Santos, ministre de la défense nationale de la République de Colombie

Le Président Axel Poniatowski a accueilli M. Juan-Manuel Santos, ministre de la défense colombien. Il a notamment rappelé que celui-ci avait suivi une solide formation universitaire, notamment dans le domaine économique, aux États-Unis, à l’université d’Harvard et en Grande-Bretagne, à la London School of Economics et qu’il avait travaillé pour la Fédération nationale des producteurs de café à Londres et dirigé la délégation colombienne auprès de l’Organisation internationale du café, l’OIC. Journaliste, il a toujours été très impliqué dans la presse, sa famille possédant le plus grand quotidien de Colombie, El Tiempo.

De 1991 à 1994, ministre du commerce extérieur alors que le Président Cesar Gaviria était au pouvoir, il eut alors pour collaboratrices Mmes Ingrid Betancourt et Clara Rojas. M. Juan-Manuel Santos a été ministre des finances entre 2000 et 2002, alors que le Président Pastrana était au pouvoir.

En 2005, il quitte le parti libéral pour fonder le parti de la « U », destiné à favoriser la réélection du Président Uribe en 2006. Ce parti a obtenu le plus grand nombre d’élus au Parlement à l’occasion des élections législatives qui suivirent.

Aujourd’hui ministre de la défense, M. Santos, qui fut pré-candidat aux élections présidentielles de 1998, ne fait pas mystère de son souhait d’être à nouveau candidat à la présidence.

M. Juan-Manuel Santos, ministre de la défense nationale de la République de Colombie, a déclaré que l’Assemblée nationale française était le lieu le plus approprié pour aborder les thèmes qu’il souhaitait développer. Il a exprimé toute sa reconnaissance au président Poniatowski et aux députés pour leur invitation et pour l’insigne honneur qui lui était fait. Il a également remercié le peuple français pour l’intérêt qu’il a manifesté pour la situation de son pays et sa sympathie envers les otages. Puis il a exposé la pensée du Gouvernement colombien et du ministère de la défense à leur propos.

L’État se doit de garantir la vie et la dignité de tous ses citoyens. Le Gouvernement en général, et le ministère de la défense en particulier, ont la ferme volonté de parvenir à la libération des otages, mais c’est aussi la volonté personnelle de M. Santos, en tant qu’ami d’Ingrid Betancourt, qu’il avait assurée de son soutien lorsqu’elle lui avait annoncé son intention d’entrer en politique. Clara Rojas, de son côté, avait connu Ingrid Betancourt au ministère du commerce extérieur ; depuis lors, elles ont entretenu d’excellentes relations.

Le jour où Ingrid Betancourt a été enlevée, les Colombiens pensaient qu’elle allait revenir avec un message. Or cela fait six ans qu’ils attendent son retour et elle est toujours détenue dans des conditions inhumaines. C’est dur à supporter pour le ministre comme pour l’ami. Cette situation est inacceptable et il est urgent d’aboutir à une solution.

Le peuple français, dans un moment solennel, s’est rassemblé à l’Assemblée nationale et a reconnu les Droits de l’Homme et du Citoyen. Ces droits ont servi de base à la lutte de la Colombie pour l’indépendance. Le premier d’entre eux est le droit à la liberté, liberté qui est le point de convergence de la responsabilité et de la volonté du Gouvernement colombien.

Trente ans après la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, Benjamin Constant, à l’occasion de son fameux discours sur la liberté des Anciens et des Modernes, a défini ce qu’il entendait par « liberté » : « Le droit de ne pas être soumis, si ce n’est aux lois ; de ne pas pouvoir être arrêté, exécuté, maltraité en aucune façon par la volonté arbitraire d’un individu ou de plusieurs individus. » Voilà ce que la Colombie veut obtenir, par le biais d’un processus historique de récupération de son territoire, pour apporter les garanties d’un État de droit dans tous les recoins de la patrie.

La Colombie garantit le droit à la liberté de tous ses citoyens sur la base de la démocratie, dans le respect de la Constitution, sans recourir à un État d’exception. Baltasar Garzon, le juge espagnol, a remarqué récemment que la Colombie s’était lancée dans un grand traitement judiciaire et social de la violence. Nulle part, dans aucun autre pays du monde, on n’a su maîtriser avec autant de succès la violence grâce aux institutions démocratiques, l’État garantissant les droits de ses citoyens.

La Colombie a connu une continuité sans égal, en Amérique latine, de gouvernements constitutionnels, mais les pays, comme les personnes, ont des hauts et des bas. En 1940, alors que l’Europe entre dans ses heures les plus sombres, le grand anthropologue Paul Rivet fut poursuivi par la Gestapo après avoir créé la première cellule de la Résistance au Musée de l’Homme à Paris. Il fut invité par le Président Eduardo Santos à se réfugier en Colombie, où il restera plusieurs années et fondera l’Institut colombien d’anthropologie.

La Colombie était alors une démocratie très forte avec une séparation entière des pouvoirs, une très grande culture politique en dépit de sa pauvreté. Malgré tout elle n’a pas su répondre à l’une des grandes questions posées par Benjamin Constant : comment fonder une grande République dans un grand territoire ? Les Colombiens sont restés dans les villes, sur les côtes, dans les montagnes en tournant le dos à la partie Est du pays, en abandonnant toute une région de la taille de la France, couverte de plaines et de jungle tropicales. Comme la nature, la société n’aime pas le vide et si l’État n’établit pas son autorité, des structures criminelles peuvent prendre sa place et exercer une coercition brutale, créant un vide politique. C’est ce qui s’est passé.

Les FARC ont commencé à croître en silence, à la périphérie de l’Est du pays jusqu’à ce que, avec les ressources du trafic de la drogue, elles se mettent à frapper le centre du pays. Il a fallu beaucoup de temps au peuple colombien pour se rendre compte de l’importance de ces menaces. Entre temps, face à la barbarie des FARC, sont apparues des milices privées illégales, qui n’étaient pas moins barbares : les groupes paramilitaires. Dans la Colombie profonde, les populations rurales se sont trouvées privées de leurs droits. La Colombie était prisonnière de la peur.

Heureusement, cette situation dramatique a pu être renversée grâce à la mise en place de la politique de défense et de sécurité démocratique, voulue par le Président : la sécurité pour tous les Colombiens, le Gouvernement, l’opposition, les riches et les pauvres. Cette sécurité est garantie par les institutions démocratiques.

Il y a seulement cinq ans, 15 % des communes, soit plus de 170, n’avaient même pas un policier sur place ; il s’agissait pourtant parfois de vastes communes rurales. Une grande partie du pays était à la merci de ceux qui pouvaient imposer leur loi, compte tenu de l’absence de l’État.

Avec cette nouvelle politique de sécurité démocratique, la police est présente dans toutes les communes. Des opérations ont été menées pour en sortir la guérilla. Un plan de protection a été mis en place, avec une politique agressive contre les enlèvements. Simultanément, un processus de négociation a été engagé avec les groupes paramilitaires afin de les démilitariser et les démobiliser. Au début de l’année dernière, tous ceux qui étaient entrés dans cette négociation, soit 31 000 personnes, ont déposé les armes. Leurs chefs, accusés des délits les plus atroces, sont aujourd’hui poursuivis par la justice et détenus dans une prison de haute sécurité. Les résultats de cette politique sont maintenant visibles. Les enlèvements aux fins d’extorsion ont baissé de 87 %. Les arrêts illégaux sur les routes ont diminué de 90 %, les massacres de paysans de 83 %, les homicides de 40 %.

Il peut être difficile d’imaginer le sentiment de libération qu’éprouvent à l’heure actuelle les Colombiens, après de nombreuses années de peur. Il y a de cela quatre ans, personne n’osait sortir sur les routes du pays. Aux dernières fêtes de Noël, plus de deux millions d’automobilistes ont emprunté les routes et se sont dirigés vers les nombreux lieux touristiques de la Colombie. La population paysanne recommence à respirer. Elle se sent protégée et a participé activement aux élections d’octobre 2007 pour la première fois depuis très longtemps. Il y a eu un nombre record de candidats, 86 000, dans tous les recoins du pays, ce qui était impensable deux ans auparavant.

Un plan ambitieux de consolidation du territoire a été mis en œuvre. Le travail de la force armée et de la police est appuyé par toutes les institutions de l’État : l’éducation, la santé, les institutions judiciaires. Cela a permis d’instaurer un sentiment de grande confiance, ce qui a eu un impact sur l’économie, avec une croissance de 7 % l’année dernière. Le chômage n’est plus que d’un chiffre, ce qui est la première fois depuis très longtemps. Les exportations ont augmenté de plus de 230 %, les importations également. Les touristes nationaux et étrangers affluent. La Colombie est un pays qui va de l’avant avec beaucoup de courage et d’enthousiasme. Avec le Brésil, le Mexique, le Chili, elle occupe le premier rang du continent sud-américain. Il y a quelques années, la Colombie était au bord de la faillite. Elle est aujourd’hui considérée comme l’une des démocraties les plus fortes du continent.

Les FARC sont entrées dans un processus de décomposition qui semble irréversible. Leurs membres se démobilisent massivement : l’année dernière, il y en eut 2 500, soit 60 % de plus que l’année précédente. Il s’agit de personnes qui sont depuis longtemps dans la guérilla, dix, quinze ou vingt ans et qui y occupent des postes plus élevés qu’autrefois. Elles ne se démobilisent pas seules, mais le font par groupes entiers, avec leur commandant.

Elles se démobilisent d’abord parce qu’elles n’ont plus de contacts avec la population, qui leur tourne le dos – 80 à 90 % de la population déclarent en effet avoir une opinion défavorable des FARC – ; parce qu’elles ont été maltraitées, ce qui a provoqué des dissensions internes ; parce que la foi révolutionnaire a disparu et que les FARC sont devenues un groupe de trafiquants de drogue ou de terroristes.

Il faut ajouter à cela une certaine perte de commandement et de contrôle. L’assassinat, par les FARC, de onze députés, a provoqué une tension interne : qui l’avait commandé et pourquoi ? On ne le savait pas. Il en fut de même s’agissant du jeune Emmanuel : un responsable de la direction des FARC a offert la libération de l’enfant, mais il ne l’avait pas. Il y a donc des courts-circuits dans la chaîne de commandement et de contrôle. Les organisations marxistes-léninistes ont l’habitude de se réunir pour de grandes conférences. Or les FARC n’ont pas tenu leur 90e conférence. Elles n’ont plus cette capacité.

La seule solution qui reste aux membres des FARC est d’utiliser les enlèvements et le terrorisme pour survivre. Sans cette présence qu’ils maintiennent virtuellement, ils n’auraient plus de pertinence. Au moment du sauvetage de Clara Rojas, un membre des FARC a dit qu’ils avaient déjà gagné, dans la mesure où ils étaient réapparus sur la scène internationale. Leur seul intérêt est bien d’utiliser la fenêtre médiatique de l’accord humanitaire pour cacher une situation déplorable. Le problème ne tient pas à un manque de médiateurs ou de volonté de la part du gouvernement colombien. Plus les négociations sur l’accord se prolongent au niveau national ou international, meilleur c’est pour les FARC.

Pourquoi est-il nécessaire de démilitariser un territoire pour négocier un accord ? On pourrait se contenter d’une ambassade, d’une église ou d’un autre lieu. Non, il faut garantir l’exécution de cet accord. Cela n’a pas posé de problème lors de la récupération du corps des onze députés ou de la libération de Clara Rojas. La Croix Rouge pourrait en témoigner. Le Gouvernement a toujours facilité le processus, c’est indiscutable. Cependant il faut bien comprendre que les FARC demandent une démilitarisation du territoire afin que les militaires s’en aillent et qu’elles entrent sur le territoire démilitarisé. Or cela va à l’encontre de nos obligations vis-à-vis de ceux qui, pendant tant d’années, ont été à la merci d’organisations délinquantes dans la Colombie profonde.

Pour autant, le Gouvernement ne saurait ignorer la souffrance de la famille et des proches des otages. Il a la volonté résolue de parvenir à un accord. Il faut mettre un terme à leur situation inacceptable, le plus rapidement possible. Le Président Uribe était en France la semaine dernière. Il a rappelé les efforts du Gouvernement en ce sens. Au début, il avait dit qu’il n’accepterait pas de parler d’un accord humanitaire d’échange, si ce n’est dans le cadre d’une négociation de paix. Suite à la pression de la famille, et compte tenu de son sentiment humanitaire, il a accepté de séparer les questions et de parler uniquement de l’humanitaire. Cela lui a d’ailleurs valu des critiques, certains l’accusant de légitimer les enlèvements en acceptant l’échange de civils enlevés contre des prisonniers condamnés par la justice colombienne. Il a ensuite accepté la médiation d’anciens présidents, de sénatrices, etc.

En décembre 2005, les trois pays amis, l’Espagne, la Suisse et la France, ont proposé la constitution d’une zone de sécurité qui permette une rencontre susceptible de favoriser un accord dans la Cordillère centrale. Le Président a libéré unilatéralement 150 guérilleros : 130 l’ont été immédiatement, la Cour supérieure de justice ayant déclaré que cela était légalement impossible pour les 20 autres. Néanmoins ces derniers furent finalement libérés à la demande expresse du Président Sarkozy. C’est ainsi qu’a été libéré l’un des plus grands chefs des FARC, Rodrigo Granda.

Ces derniers jours, le Gouvernement a accepté la proposition de l’Église, relançant ainsi l’assistance des trois pays initiaux.

On ne peut donc pas parler d’absence de volonté ou de gestes de la part du Gouvernement. Il n’est pas possible non plus de réitérer les expériences de zones démilitarisées, comme celle du Caguan. Ces zones ont en effet servi au viol systématique des droits de la population, à l’entraînement et au renforcement de la guérilla. Elles ont servi au recrutement forcé d’enfants dans les écoles, dénoncé par l’UNICEF, et ont permis l’accroissement du trafic de drogue : 150 laboratoires de traitement de la drogue ont été découverts au Caguan.

Ainsi que l’a souligné le Président, le Gouvernement est aujourd’hui prêt à accepter d’établir une zone de rencontre avec des règles très claires et vérifiables. Il faudrait que la pression internationale s’exerce sur les FARC pour qu’elles respectent les règles et qu’on puisse discuter du fond. Si cela se concrétise, le Gouvernement apportera toutes les garanties de sécurité.

En tant que ministre de la défense, M. Santos s’est déclaré disposé à donner toutes les garanties qui seraient nécessaires pour faire de l’accord une réalité dans la zone proposée par l’Église et les trois pays amis. Encore une fois, ce n’est pas par manque de volonté que l’accord n’a pas été passé. Il a conclu que Gouvernement était prêt à procéder à l’échange et qu’il avait la volonté de se montrer encore plus flexible dans le cadre de ses responsabilités.

Le président Axel Poniatowski a remercié M. Juan-Manuel Santos et lui a posé une première série de questions.

Samedi dernier, le Président Uribe a ordonné à l’armée et à la police de procéder à une opération d’encerclement d’une zone où se trouverait un groupe important d’otages détenus par les FARC, dont Mme Betancourt. Cette décision a suscité une certaine émotion en France, notamment dans les familles. Que peut-on attendre de cette opération ? N’est-elle pas dangereuse ?

Quel rôle doivent jouer d’une part les trois pays amis, la France, la Suisse et l’Espagne, et d’autre part l’Église ? Peut-on en savoir plus sur le rôle de médiation joué par l’Église entre le Gouvernement colombien et les FARC ?

Quel est l’état des relations de la Colombie avec le Venezuela ? Celles-ci semblent empirer de jour en jour. M. Chavez a accusé vendredi dernier la Colombie de « conspirer avec les États-Unis pour provoquer une situation de guerre avec le Venezuela ». Ce contexte tendu préoccupe évidemment la communauté internationale.

Les FARC sont inscrites aujourd’hui, et par les Nations unies et par l’Union européenne, au rang des organisations terroristes. Il semblerait que les FARC tirent l’essentiel de leurs revenus du trafic de drogue. Peut-on en savoir plus sur l’ampleur de ce système ? Est-ce la raison pour laquelle il y a encore tant de personnes déplacées, notamment de paysans, qui se trouvent chassés de leurs exploitations agricoles vers les centres urbains ?

Cette affaire des FARC dure depuis plus de quarante ans. On a entendu que des progrès très substantiels avaient été réalisés depuis 2002 et que le nombre de leurs membres était passé de 20 000 à 8 000. Comment se fait-il qu’ils contrôlent encore une partie aussi importante du territoire colombien, soit les deux cinquièmes ? Le Gouvernement colombien a tout de même accru dans des proportions très importantes les moyens accordés à la défense, notamment dans l’armée de terre. Pourquoi le territoire est-il toujours aussi difficilement contrôlable ?

M. Juan-Manuel Santos s’est d’abord exprimé à propos de la réaction suscitée par la proposition du Président colombien concernant un lieu symbolique, dans la jungle, où l’on avait enlevé le premier otage il y a dix ans : Mitu, à la frontière du Brésil. Le Président avait pensé qu’on pourrait encercler les otages, puis faire appel à la communauté internationale pour voir comment il serait possible de les libérer, mais on lui a répondu que cela risquait de mettre en danger la vie des otages, ce qui a donné lieu à toutes sortes d’interprétations.

En France, on est allé jusqu’à dire que la bombe placée par les FARC dans l’école militaire avait été placée par le Gouvernement pour briser toute possibilité d’accord humanitaire ! Certains ont mis en doute la parole de ce policier qui avait échappé aux FARC, jusqu’au moment où Ingrid elle-même a mentionné cet épisode dans une lettre récemment publiée.

Il y a une véritable désinformation. Ainsi pendant longtemps la communauté internationale a estimé que les FARC disaient la vérité quand ils déclaraient que la mort des onze députés était le résultat d’une opération de sauvetage lancée par un groupe clandestin. Ce n’est qu’après un certain temps que la vérité a fini par prévaloir et l’on a vu qu’il s’agissait d’un assassinat dû aux FARC.

De la même manière, le ministère a indiqué qu’après tout un travail de renseignement, on s’est rendu compte que certaines personnes possédaient des preuves de vie de certains otages. Informé de cela, alors qu’il se trouvait à Paris, de retour de l’Inde, il en a informé le Président Uribe et il a été décidé qu’il fallait rendre ces preuves publiques, ce qui fut fait le jour même. Pourtant, on a raconté que le Gouvernement détenait ces preuves depuis cinq ou six jours et que le ministre de la défense les avait cachées.

On a prétendu également que le petit Emmanuel était un enfant fabriqué de toutes pièces par le Gouvernement, parce que le Président voulait détourner l’attention de ce qui se passait.

Il y a beaucoup d’intérêts en jeu et certains interprètent ce que dit le Président Uribe de façon tout à fait négative. La suggestion du Président d’encercler les otages et de lancer un appel à la communauté internationale était une solution éventuelle, car il veut à tout prix trouver une issue au problème, mais ce n’était qu’une proposition, exprimée de bonne foi. La priorité du Gouvernement reste bien sûr la médiation de l’Église.

La guérilla rejette le dialogue direct avec le Gouvernement, qui le lui a pourtant proposé sous toutes les formes possibles. L’Église, à l’instar des trois pays amis, va essayer de trouver le moyen de parler avec la guérilla pour parvenir à un accord. Voilà quel est son rôle.

Le Gouvernement, pour sa part, est prêt à conclure cet accord sous les conditions qui seront présentées, mais les FARC n’ont pas bougé d’un iota depuis 2002. Ils veulent que ces communes soient démilitarisées, c’est tout.

On s’est demandé si les FARC n’utilisaient pas ce dialogue sur l’échange des 43 otages contre les 500 guérilleros simplement à des fins médiatiques ou politiques. Pourquoi ne pas échanger les listes des deux côtés ? Les FARC pourraient envoyer la liste des 500 personnes qu’elles veulent récupérer et on leur indiquerait celles que la législation colombienne permet de libérer. De la même façon, on leur enverrait la liste des 43 otages que les autorités colombiennes souhaitent récupérer. Or les FARC n’ont jamais envoyé ou demandé de telles listes.

La semaine dernière, le dialogue s’est poursuivi. Toutefois il faut dire aussi que certains membres des FARC emprisonnés ne veulent pas retourner à la guérilla. Nombre d’entre eux l’ont dit publiquement ; ils préfèrent purger leur peine en prison.

Le président Axel Poniatowski a demandé pourquoi les FARC contrôlaient un territoire aussi important.

M. Juan-Manuel Santos a précisé que les FARC ne contrôlent aucun centimètre carré du territoire. Elles ont perdu le territoire qu’elles contrôlaient auparavant. Il y a partout, dans toutes les communes, des policiers. Néanmoins les FARC se cachent dans une jungle qui est la plus inhospitalière du monde. Lorsqu’on va les rechercher, ces personnes se déplacent. Cette jungle est telle qu’on n’y voit même pas le soleil. Depuis un hélicoptère, on ne peut rien voir de ce qui se passe dessous. Elle constitue donc une cachette idéale.

Le ministre a relevé l’admiration et le respect qu’on éprouve en Colombie pour le peuple vénézuélien, comme l’a dit le Président Uribe. Pour autant, comme ministre de la défense, il a préféré ne pas faire de commentaire sur les relations entre la Colombie et le Venezuela.

M. Jean-Paul Lecoq a indiqué qu’il avait l’habitude d’essayer de distinguer ce qui relève de la vérité, de ce qui procède de la propagande d’État. Pour se faire une opinion sur la situation il serait donc bon d’entendre les différentes parties. Les FARC se comportent comme des terroristes, et il faut les considérer comme tels ; nul n’a le droit de détenir toute personne contre sa volonté. Cependant la commission aurait intérêt, pour avancer vers la vérité colombienne, d’entendre d’autres intervenants, peut-être pas des membres des FARC, mais des représentants de l’opposition colombienne.

Le président Axel Poniatowski a fait observer que ce n’était pas le sujet du jour.

M. Jean-Paul Lecoq a souligné ce qui lui apparaissait comme une contradiction dans la position du Président colombien, qui a déclaré, à Paris, qu’il fallait réunir toutes les conditions favorables à la libération des otages, et qui, en même temps, propose d’encercler un territoire pour parvenir à cette libération.

Il a également mentionné le sort du journaliste Gustavo Moncayo, qui a été reçu à l’Assemblée nationale. Celui-ci fait l’objet, comme d’autres, de pressions, voire d’agressions de la part de groupes paramilitaires. Quelle attitude le ministère de la défense a-t-il adoptée pour garantir la liberté des militants colombiens de la paix ?

M. Juan-Manuel Santos a répondu que tout représentant de l’opposition colombienne, s’il était entendu par l’Assemblée nationale, se déclarerait certainement d’accord avec lui pour qualifier les FARC de terroristes. Il existe une véritable unanimité dans le pays, au moins sur ce point. Les représentants de l’opposition sont contre la suppression des FARC de la liste des terroristes, car celles-ci n’ont fait que commettre acte terroriste sur acte terroriste, recrutant des enfants, utilisant des armes interdites, éliminant les civils qui les gênent, posant des bombes dans des églises ou dans des clubs, procédant à des extorsions de fonds.

M. Moncayo s’est vu garantir toutes les possibilités de rester en vie et de faire face aux menaces. On n’a pas toujours pu savoir qui le menaçait et pourquoi. Pourquoi menacer quelqu’un qui réclame la libération des otages ? Quoi qu’il en soit, le Gouvernement accorde sa protection à toute personne qui fait part de menaces à son encontre, et il continuera de le faire.

M. Jacques Myard est revenu sur le profil des FARC. Vu d’Europe, il est en effet difficile de comprendre qu’un groupe, qui compte plusieurs milliers de combattants, continue à représenter une menace, simplement à partir de chantages ou d’extorsions de fonds. Ces combattants ont bien une idéologie. Le ministre pourrait-il en dire davantage sur ce point ?

M. Juan-Manuel Santos a répondu que les FARC vivaient de moins en moins des enlèvements et de l’extorsion, mais de plus en plus du trafic de drogue. À l’époque du Président Belisario Betancourt, les FARC avaient déclaré au monde entier qu’elles n’allaient ni procéder à des enlèvements ni s’adonner au trafic de drogue. On était en 1984 ou 1985. Or elles se sont lancées dans le trafic de drogue, au point d’être considérées aujourd’hui comme le premier cartel de la drogue dans le monde. Les FARC se sont emparées de tous les niveaux du trafic de drogue et sont totalement corrompues. Il reste très peu d’idéologie parmi ses membres ; peut-être trouve-t-on encore, parmi les vieux chefs, l’idée romantique d’il y a trente ans de faire de la Colombie un État marxiste-léniniste. Mais les FARC sont devenues un groupe de trafiquants de drogue, avec un pouvoir local qu’elles essaient de préserver. Personne ne pense, pas même elles, qu’elles vont prendre le pouvoir.

Cette idéologie a disparu, et c’est la raison pour laquelle les FARC sont en train de se décomposer. Néanmoins il est évident que le Gouvernement reste la main tendue. Le jour où ils voudront vraiment engager un processus de paix, il sera là.

M. François Loncle a observé que la France disposait d’une presse de qualité et de bons spécialistes de politique étrangère, mais qu’il existait un écart considérable entre ce qu’on trouvait dans les journaux et la réalité de la situation colombienne. Pourquoi ?

Il s’est dit de ceux qui pensent, depuis le 23 avril 2002, que la solution passe par une discussion et un suivi constants avec les autorités colombiennes, à commencer par le Président colombien. La France a perdu beaucoup de temps et d’énergie dans des initiatives qui ne correspondaient pas à cette nécessité absolue. Le président Uribe a été élu, réélu et il est le seul qui puisse faire avancer les choses, en tout cas beaucoup mieux que certaines médiations voisines, parfois extravagantes.

A quel moment et de quelle façon la médiation des trois pays amis et de l’Église peut-elle aboutir à créer un espace de dialogue et contribuer à une libération éventuelle ? Le Gouvernement colombien ne compte-t-il pas trop sur la décomposition de FARC ? Ce processus ne risque-t-il pas de prendre encore trop de temps ?

Enfin, on dispose maintenant de moyens techniques, de satellites puissants pour repérer des gens, sur tous les endroits de la planète, y compris dans la jungle. Sont-ils utilisés ? En manque-t-on ? Est-il décidément impossible de repérer des bandes armées dans ces régions ?

M. François Rochebloine a rejoint le propos de M. Loncle et s’est dit surpris du fait que, depuis le temps, on ne soit pas arrivé à localiser les FARC et les otages.

M. Juan-Manuel Santos a précisé que trois Nord-Américains étaient les otages des FARC et que le Gouvernement des États-Unis avait mis à la disposition du Gouvernement colombien sa technologie satellitaire et sa technologie en matière de renseignement. Malgré tout, il n’a pas été possible de les repérer. Il n’existe pas encore de satellite ou de système pouvant pénétrer le feuillage très dense de la jungle colombienne. A l’intérieur, c’est l’obscurité totale. Quand on y pénètre, on découvre des tranchées de deux ou trois mètres de profondeur où les guérilleros se cachent dès qu’ils entendent un moteur d’avion. Ils ont de nombreux moyens qui leur permettent de ne pas être détectés. Même si l’on sait où ils sont et que l’on s’y rend, ils se déplacent très rapidement. Et n’oublions pas que cette forêt est de la taille de la France.

On ne peut pas ne pas voir la réalité en face. Les FARC utilisent les otages comme des boucliers humains. Les otages sont pour eux le moyen d’obtenir une sorte de reconnaissance et de récupérer le terrain qu’ils ont perdu ces dernières années au plan politique.

À l’époque du Caguan, les FARC étaient venues en France, car elles étaient considérées comme une guérilla avec laquelle on pouvait discuter. Depuis le monde s’est rendu compte de ce qu’elles sont vraiment. Il suffit de voir dans quelles conditions, aujourd’hui, elles détiennent les otages, dont Ingrid Betancourt. Ce sont des personnes cruelles et des terroristes. Néanmoins, le Gouvernement colombien est prêt à s’asseoir autour d’une table pour discuter de cet échange. Le Président Uribe est le premier à le souhaiter. Comment pourrait-il en être autrement ?

La pression internationale pourrait sans doute les convaincre de procéder à cet échange le plus tôt possible. Le Gouvernement est prêt. Il faut espérer qu’on pourra libérer Ingrid et tous les otages, comme ce fut le cas pour Clara Rojas et son fils.

M. Santos a conclu en soulignant que l’Assemblée nationale était pour les Colombiens empreinte de souvenirs qui remontent à leur révolution et à leur lutte pour accéder à l’indépendance. Il a remercié le président Poniatowski et les députés, et les a assurés que le Gouvernement colombien continuait à chercher le moyen de parvenir à la libération des otages.

Le président Axel Poniatowski a formulé le vœu que tout soit fait pour conduire à la libération de Mme Betancourt et que la Colombie retrouve un État de droit sur l’ensemble de son territoire.

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