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Commission des affaires étrangères

Mercredi 16 avril 2008

Séance de 11 h 00

Compte rendu n° 46

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de M. Régis Koetschet, ambassadeur de France en Afghanistan

Audition de M. Régis Koetschet, ambassadeur de France en Afghanistan

Le Président Axel Poniatowski a remercié M. Régis Koetschet, ambassadeur de France en Afghanistan, d’avoir accepté de venir exposer devant la commission des affaires étrangères son analyse de la situation actuelle en Afghanistan.

Il a rappelé que le Parlement avait débattu, il y a deux semaines, de l’augmentation du contingent militaire français dans ce pays. Mais les questions militaires ne sont qu’un aspect de la situation en Afghanistan, où tout ou presque est à reconstruire. Il a ainsi souhaité savoir ce qu’il en était du rôle que continuent de jouer les Talibans d’une part, et les chefs tribaux d’autre part, en dépit de la mise en place d’institutions démocratiques. Il a également évoqué la place faite aux femmes ainsi que les moyens de mettre un terme à la culture du pavot dans un pays où l’extrême pauvreté continue d’être la règle.

M. Régis Koetschet, ambassadeur de France en Afghanistan, a remercié la commission des affaires étrangères de son invitation et a souligné le rôle de la représentation nationale dans la définition et la conduite de la politique étrangère de la France. Une relation de proximité avec les élus est d’autant plus importante que l’on se trouve en poste dans un pays où la France occupe une place privilégiée. Il a souhaité pouvoir apporter les éclairages attendus sur un sujet qui suscite beaucoup d’intérêt et de questionnement.

Il a tout d’abord estimé nécessaire de resituer l’Afghanistan dans ce qui le caractérise, c’est-à-dire son caractère central à la fois d’un point de vue géographique et politique. Il s’agit d’un pays au cœur d’une région où les mutations sont les plus fortes et les plus complexes ; c’est à la fois sa chance et son malheur. Au Nord, il a mentionné la frontière avec l’ex empire soviétique ; on est là au bord d’un autre monde où la Chine est également très proche, soucieuse de son influence et de son indépendance énergétique. A l’Ouest, la présence de l’Iran pèse lourdement sur l’équilibre stratégique de la zone et, au-delà, l’Afghanistan se trouve dans le prolongement de l’arc constitué par la situation de crise du proche et du moyen-orient. Au Sud, il y a l’Inde, le Pakistan et les Etats du golfe persique. Dubaï est incontestablement devenu le port de l’Afghanistan, pas simplement pour les matières premières, mais également pour ce qui relève de l’effort de guerre qui passe par les ports de la région du golfe. L’Afghanistan se situe ainsi au centre d’une région en pleine mutation, où s’opèrent des recompositions géographiques autour des gazoducs et où la croissance est souvent à deux chiffres (en Inde, en Chine et au Pakistan). Cet environnement contraste fortement avec la pauvreté de l’économie afghane.

L’Ambassadeur a indiqué que l’Afghanistan se trouvait au cœur d’enjeux stratégiques qui le dépassaient, à commencer par la question nucléaire et l’état des relations entre l’Iran et les Etats-Unis mais aussi entre l’Inde et le Pakistan. Il a alors fait état d’une polémique récente autour de l’enfouissement supposé par les Talibans de déchets nucléaires pakistanais. Une autre question stratégique est celle de l’énergie et des besoins énormes de la Chine dans ce domaine. La « route de la soif » énergétique s’est ainsi substituée à la route de la soie. Puis il a insisté sur la complexité ethnique qui nourrit la centralité afghane. Il faut en effet concilier le sentiment national afghan avec l’existence de différentes communautés (Pachtounes, Ouzbekes, Turkmènes, Tadjiks) et la réalité d’appartenances ethniques, tribales et claniques.

Il a ensuite mentionné la géographie particulièrement tourmentée du pays, et évoqué l’existence du « doigt de Wâkhân » créé en son temps pour éviter que les empires anglais et russe ne se touchent. Cette géographie difficile n’est pas sans conséquences sur la vie quotidienne des peuples puisque l’hiver, la fermeture de certains cols empêchant l’accès aux vallées peut conduire à l’enclavement des populations, ce qui pose d’importants problèmes pour l’acheminement de l’aide humanitaire.

L’Ambassadeur a enfin souligné les dualités qui caractérisent l’Afghanistan, à commencer par la coexistence d’un Etat faible avec des sociétés fortes. Mais il a également fait état des disparités entre le centre – Kaboul – et les provinces du pays. Par ailleurs, les violences observées contrastent avec la réalité d’un pays raffiné, aux traditions anciennes et de grande culture. Toutes ces dualités sont finalement fondatrices de ce pays, et de sa position centrale. Il a alors cité ces lignes de Nicolas Bouvier : « Quand le voyageur arrive par le Sud à Kaboul ( …), il se flatte d’être arrivé au bout du monde. Il en est en fait au centre ». Au-delà de la centralité géographique, la partie qui se joue pour reconstruire l’Afghanistan constitue le point central pour assurer la sécurité et la paix dans la région mais aussi dans le reste du monde.

Depuis la fin des années 1970, l’Afghanistan a vécu dans une évolution faite de destruction, d’occupation, d’intervention militaire et de guerre civile. C’est aujourd’hui un théâtre majeur pour l’engagement de la Communauté internationale. Retraçant brièvement l’histoire des trente dernières années, l’Ambassadeur a évoqué le coup d’Etat communiste de 1978, l’invasion soviétique de Noël 1979, le retrait de ces troupes dix ans plus tard, la guerre civile avec le régime des Moudjahidines, le pouvoir des Talibans pendant six ans et, depuis 2001, la présence de la Communauté internationale. On ne peut faire abstraction des conséquences de cette séquence historique sur la population, et de ce que cela signifie en terme de déstructuration et de violence. Ces épisodes successifs ont effet provoqué la destruction des mécanismes sociaux, comme en témoigne par exemple la gestion de l’eau qui relevait jusqu’alors d’un système social très sophistiqué. Il faut désormais reconstruire, mais cela prend du temps. L’identité nationale s’est également trouvée affectée. Evoquant l’exposition organisée à Paris au Musée Guimet sur les trésors retrouvés, il a fait état des propos tenus par le Président Hamid Karzaï au Parlement afghan lors de la réouverture de la session, estimant que cette exposition était une contribution à la reconstruction de l’identité afghane. L’Afghanistan n’a pas commencé avec l’Islam. Recevant le 22 décembre dernier le Président Nicolas Sarkozy, le Président Karzaï déclarait ainsi qu’il fallait reconstruire en même temps le présent et le passé. C’est là une singularité afghane.

Sur ce théâtre largement dévasté, la communauté internationale s’est engagée dans un effort considérable tant sur le plan militaire, que sur celui de la reconstruction du pays.

Un certain découragement peut toujours apparaître, du fait de la difficulté à transcrire diplomatiquement et militairement les résultats des efforts très importants fournis par les divers partenaires intervenant dans le cadre de la reconstruction de l’Afghanistan. La grande complexité de l’Afghanistan est désormais reconnue, ce qui constitue une avancée, puisque cette complexité fut souvent considérée comme un argument prétexte pour ne pas agir. Aujourd’hui, elle permet de comprendre à quel point les actions à mener sont délicates.

En troisième lieu, l’Ambassadeur a rappelé que la période qui s’ouvre serait absolument cruciale. Du point de vue militaire, d’abord. La fin de l’hiver marque le retour de la « fighting season », baptisée « offensive de printemps » par les talibans. S’il convient de ne pas céder à cette pression psychologique, qui vise à durcir encore les positions de chacun des acteurs du conflit, il n’en reste pas moins nécessaire de se tenir prêt à répondre aux menaces, qualifiées d’asymétriques, qui continuent de peser sur le pays. La notion même de menace asymétrique ne doit pas conduire à sous-estimer l’adversaire. Les récentes opérations terroristes ont montré que ceux-ci pouvaient désormais coordonner les attaques de deux, voire trois commandos suicide. Des actions de ce type, qui permettent de contourner la plupart des dispositifs de protection contre les attentats à la bombe, ont des conséquences terribles, non pas en termes militaires, mais, bien plutôt, parce qu’elles entretiennent un climat d’insécurité constante dans certaines régions. L’insurrection a reçu des coups très durs l’an dernier, mais il ne faut pas baisser la garde. Elle dispose encore d’un vivier de recrutement très important, au sein des camps de réfugiés afghans situés au Pakistan. De plus, il existe une insécurité liée à la criminalité organisée, qui vient compliquer encore la lutte contre le terrorisme.

Parallèlement aux opérations militaires de sécurisation du pays, une séquence politique doit être engagée, qui doit conduire au rapprochement des diverses parties aujourd’hui impliquées en Afghanistan. Sans aller jusqu’à évoquer une réconciliation avec les talibans, il faut chercher à prendre en compte une partie importante de la population afghane, qui se reconnaît dans les « chefs tribaux » ou se sent proche des « talibans modérés ». Une telle évolution doit aller de pair avec un renforcement de la gouvernance.

Les mois à venir doivent donner lieu à une accélération des efforts menés en vue de reconstruire l’Afghanistan. Si les évolutions déjà constatées sont appréciables, de nombreux manques restent à combler, qui seront notamment abordés dans le cadre de la future conférence de Paris.

Enfin, M. Régis Koetschet a insisté sur l’importance de la relation bilatérale existant entre les deux pays. La France est représentée en Afghanistan depuis 1922, et le roi Amanollah avait rencontré dès 1928 à Paris des membres du Parlement français. L’actuelle ambassade de France a été inaugurée le 8 mai 1968 par Georges Pompidou. De plus, la France a été seule à entretenir des relations avec le peuple afghan durant l’intervention soviétique, et a notamment envoyé des médecins dans les vallées les plus difficiles d’accès. Ancienne, la relation n’en est pas moins durable, et de grande qualité ; preuve en est, par exemple, le comportement remarquable des troupes françaises, bien accueillies par la population. Cette relation doit être mise au service de la paix, de toutes les manières possibles. Ainsi, l’utilisation de nos forces armées doit s’accompagner d’une afghanisation rapide des forces de sécurité sur le terrain. De la même manière, en matière institutionnelle, les administrateurs du Parlement afghan ont été formés par la France. Mais il serait souhaitable de faire encore davantage. L’implication de la société civile doit être accrue, comme l’a souhaité le ministre. Une telle évolution fait d’ailleurs partie des objectifs de la conférence de Paris. In fine, il conviendrait que tous les acteurs, militaires, issus de la société civile, et garantissant la représentation de la France en Afghanistan, agissent de concert pour la reconstruction du pays.

Le Président, Axel Poniatowski, a demandé quelle était la situation sécuritaire et militaire sur le terrain, à la veille du renforcement annoncé du dispositif français.

M. Régis Koetschet, ambassadeur de France en Afghanistan, a rappelé que la Force internationale d’assistance à la sécurité, placée sous le commandement de l’OTAN, couvre désormais tout le pays. Le territoire afghan a été divisé en cinq régions, au sein desquelles sont répartis les dispositifs nationaux. Ramenée à la taille de l’Afghanistan, la présence militaire étrangère n’est pas si considérable.

Face à elle, l’insurrection n’est pas homogène, d’un point de vue géographique. Elle est constituée de « bandes armées », qui attaquent principalement des cibles civiles, n’étant pas suffisamment équipées pour viser des infrastructures militaires appartenant à la FIAS. Leur objectif est de déstabiliser l’Etat afghan, tout en convaincant la population de la justesse de leur cause.

La force internationale s’efforce de garantir la sécurité sur le territoire afghan, celle-ci étant une condition essentielle du développement. Dès lors, elle concentre ses activités sur la couverture aérienne, l’organisation de patrouilles et la formation des forces afghanes. A l’heure actuelle, l’espace de sécurité reste très fragile. Il faut donc répondre à des attaques encore nombreuses.

De manière générale, il est difficile de décrire la situation en Afghanistan. Celle-ci n’est pas linéaire, des conflits ouverts pouvant coexister avec des espaces de grand calme. Ainsi, si le Nord est stabilisé, il n’est pas totalement sûr, comme l’a prouvé l’attaque récemment subie par une équipe de démineurs afghans. Le centre du pays est soumis aux mêmes conditions. La zone orientale connaît une situation très contrastée : si Djalalabad est aujourd’hui largement pacifiée, d’autres régions restent très difficiles. Enfin, le Sud est marqué par une violence récurrente.

Après avoir remercié l’Ambassadeur et l’avoir félicité pour son travail dans une situation très difficile, Mme Nicole Ameline a abordé la question du temps de la reconstruction : celle-ci a commencé fin 2001, c’est-à-dire depuis peu, mais cela doit sembler bien long à la population. Quel est l’état d’esprit dominant face à la présence internationale et aux actions conduites par les talibans ? Depuis le début du processus de démocratisation, la place faite aux femmes s’est paradoxalement réduite ; il n’y en a par exemple plus qu’une au gouvernement. Malgré l’inscription du principe d’égalité dans la Constitution, les femmes sont de plus en plus inquiètes. Quel devrait être l’ordre de priorité parmi les différents objectifs à poursuivre en Afghanistan : la sécurité, sur laquelle l’OTAN joue sa crédibilité, le développement des institutions, la lutte contre la production de stupéfiants ? Ne faudrait-il pas aussi insister sur la gouvernance de l’aide internationale et l’amélioration de la coordination entre volet militaire et volet politique ?

M. Régis Koetschet a expliqué que la question du temps était déterminante, mais qu’elle était perçue de manière très particulière par les Afghans. Il est certain que la population est impatiente d’effacer les traces des souffrances qu’elle a subies dans le passé. La difficulté vient du fait que le temps de la communauté internationale, ponctué d’échéances politiques et de rotations militaires, est court alors que la reconstruction nécessite un temps incompressible : on ne peut pas former des professeurs, a fortiori des magistrats, en quelques semaines, ce que les Afghans doivent comprendre.

En ce qui concerne la place des femmes dans la vie publique, un chemin considérable a été accompli : elles sont par exemple nombreuses au Parlement et leur présence est source d’espoir et témoigne de leur volonté d’améliorer les choses. Mais il est vrai que des dispensaires et des écoles sont régulièrement détruits et que la recherche d’appui par le président Karzaï met au second plan la condition des femmes.

Il n’est pas possible de définir un ordre de priorité entre sécurité et développement tant les deux sont étroitement liés. L’un des messages de la conférence de Paris portera sur la nécessité à mettre l’accent sur les mesures de proximité à prendre dans ces deux domaines, afin que les populations en sentent plus rapidement et directement les effets positifs.

M. François Loncle a interrogé l’Ambassadeur sur le « retour » des talibans : est-ce une réalité ? Sont-ce les mêmes hommes que ceux qui étaient au pouvoir jusqu’en 2001 ? Combien de soldats de l’OTAN la FIAS compte-elle ? Quels sont les effectifs de l’armée nationale afghane ? Comment la présence de la force internationale est-elle perçue par la population ? Son maintien sur le long terme ne risque-t-il pas de la faire passer pour une force d’occupation, dans un pays qui a été occupé à plusieurs reprises par le passé ?

M. Jacques Myard a salué la description faite par l’Ambassadeur du « bourbier structurel afghan » et lui a demandé ce qu’il pensait de l’estimation de certains experts selon lesquels 10 % du territoire serait contrôlé par les talibans, 20 % par les autorités légales et le reste du pays par les « seigneurs de guerre ». Il a observé qu’il était paradoxal d’affirmer la volonté de passer la main aux autorités afghanes et de renforcer simultanément les troupes internationales. Alors que la position stratégique de l’Afghanistan a été soulignée à juste titre, quelle est l’influence que l’Iran exerce sur ce pays ? Y envoie-t-il des armes ? Soutient-il les insurgés ?

M. Jean-Louis Bianco a souhaité avoir des précisions sur les relations entre le président Karzaï et les « seigneurs de guerre » et sur l’influence du Pakistan sur l’Afghanistan. Ben Laden bénéficie-t-il de soutiens provenant de l’autre côté de la frontière ? A-t-on une idée de l’endroit où il se trouve ?

M. Régis Koetschet a affirmé que, à l’occasion d’une visite à Tora Bora, il avait eu l’occasion de mesurer le chemin parcouru depuis que l’on suspectait Ben Laden de s’y cacher. Mais il faut reconnaître que les montagnes y sont difficiles d’accès. L’image et la place d’Al-Qaida dans le pays ont considérablement changé.

Le terme de taliban est utilisé de manière générale, alors que trois types peuvent être distingués en leur sein : ceux qui demeurent liés au terrorisme international, ceux qui occupaient des fonctions dans le dispositif institutionnel détruit en 2001 et les autres, qui peuvent être réintégrés dans le processus politique dès lors qu’ils acceptent de respecter la Constitution et le principe de l’égalité homme-femme.

La FIAS compte actuellement 43 000 militaires, dont 15 000 Américains et 7 800 Britanniques. Une dizaine d’autres pays a envoyé des effectifs supérieurs à 1 000 soldats. L’armée nationale afghane monte progressivement en puissance ; elle fonctionne correctement.

A la question de M. Jacques Myard sur son caractère multiethnique, M. Régis Koetschet a précisé que, en effet, l’armée comprenait des soldats de toutes les origines distribués sur tout le territoire, contrairement à la police. A terme, elle devrait atteindre 70 à 80 000 hommes. Les formateurs occidentaux se félicitent des qualités de ces hommes, qui montrent leurs compétences, leur capacité pour le combat et leur volonté. Cette armée pourra remplir son rôle de sécurisation des frontières. La situation n’est pas aussi positive pour ce qui est de la police, dont la formation par la communauté internationale est moins efficace et qui éprouve des difficultés à se positionner vis-à-vis de la population. De nombreux policiers sont victimes d’attentats et ils sont souvent considérés comme responsables de trafics, accusation qui n’est pas toujours dépourvue de fondement.

En ce qui concerne la perception des forces étrangères, l’Ambassadeur a signalé l’existence de sondages, réalisés auprès de la population, qui montraient que ces forces n’étaient pas assimilées à des forces d’occupation. Certes, le soutien apporté à cette présence tend à s’éroder, du fait principalement des victimes civiles des opérations militaires. Elle est donc exposée. Mais, les partisans du maintien de forces étrangères en Afghanistan restent nombreux, conscients que cette présence est nécessaire pour éviter tout risque de déstabilisation supplémentaire du pays. A cet égard, il a insisté sur le comportement des militaires, en particulier des militaires français, qui avaient pleinement intégré cette dimension en veillant à leurs gestes et leurs attitudes.

Il a, par ailleurs, considéré qu’on ne pouvait parler de « bourbier » pour décrire la situation actuelle en Afghanistan. Les chiffres évoqués par des responsables américains d’une situation sous contrôle à hauteur de 20 % ne signifient pas grand chose, ni ne correspondent à la réalité. L’Afghanistan a toujours été un pays difficile à gouverner, pour des raisons structurelles qui pèsent sur la gouvernance du Président Hamid Karzaï. Mais, les choses évoluent avec le temps. L’existence de zones sous contrôle des seigneurs de guerre doit faire l’objet d’un examen prudent. Les systèmes sociaux en place ont, en effet, été déstabilisés par près de 30 ans de crises et de conflits qui ont durablement affecté les structures traditionnelles. Dans ces conditions, il faut accepter l’idée que les choses prendront du temps à se stabiliser.

S’agissant de l’Iran, l’Ambassadeur a indiqué qu’il jouait un rôle dans la reconstruction du pays. Les communautés Hazaras qui reviennent en Afghanistan ont bénéficié en Iran d’un bon niveau de formation et c’est sur le marché iranien que les organisations non gouvernementales s’approvisionnent en matériel scolaire. L’Iran a souffert du régime des Talibans et fait preuve d’une volonté de construire une relation avec l’Afghanistan, préservée des difficultés extérieures. Certains extrêmes tentent probablement d’établir une relation différente.

Puis, il a évoqué le rôle joué par le Président Hamid Karzaï qui a manifesté son intention de briguer un second mandat présidentiel. Il s’agit d’un enjeu majeur : comment Hamid Karzai peut-il aborder ce second mandat et dans quelle mesure peut-il l’assumer pleinement ? En l’absence de Premier ministre, le Président se trouve dans une situation délicate, contraint de procéder à d’incessants arbitrages, de composer avec les forces traditionnelles sans, par ailleurs, disposer d’une réelle administration sur laquelle reposer pour gérer le pays. Dans ce contexte, il faut l’encourager à faire preuve de fermeté et poursuivre le soutien qui lui est apporté.

Au-delà de la relation avec l’Iran, Mme Martine Aurillac s’est interrogé sur le rôle des autres voisins, plus ou moins proches de l’Afghanistan, en particulier celui de la Chine. Consciente que le développement économique du pays était tributaire de sa sécurisation, elle a cependant souligné le poids de l’économie informelle et souhaité obtenir des précisions sur les progrès enregistrés en matière de développement des cultures de substitution au pavot.

Se référant au débat qui avait eu lieu à l’Assemblée nationale sur la présence militaire française en Afghanistan, M. Jean-Marc Roubaud s’est interrogé sur l’ampleur du renforcement de la présence internationale dans le pays. A cet égard, la France envisage-t-elle de défendre une initiative collective dans le cadre de sa future présidence de l’Union européenne ?

Rappelant que l’Afghanistan était responsable de près de 90 % de la production mondiale d’opium, M. Paul Giacobbi s’est également interrogé sur les résultats obtenus dans les efforts d’éradication de ces cultures dans le pays. Au-delà du rôle de la Chine, il lui a, par ailleurs, paru indispensable d’évoquer la situation dans la zone tribale au Pakistan, compte tenu de son rôle majeur dans les efforts de déstabilisation du pays. Afin, il a appelé à une plus grande sensibilisation sur l’histoire et le patrimoine culturel de l’Afghanistan, à laquelle la France doit contribuer en raison d’une collaboration ancienne, en particulier dans le domaine archéologique comme l’atteste la richesse des pièces exposées au musée Guimet.

Evoquant la participation de pays voisins comme l’Ouzbékistan au développement économique du pays, Mme Françoise Hostalier s’est interrogé sur les relations entre l’Afghanistan et les républiques voisines d’Asie centrale. Puis, elle a souhaité obtenir des précisions sur les conditions dans lesquelles les réfugiés afghans, rassemblés dans des camps situés notamment au Pakistan, retournaient aujourd’hui dans leur pays. Satisfaite que la question des prochaines élections ait été abordée, elle a ensuite exprimé son inquiétude sur les conditions dans lesquelles ces élections sont appelées à se dérouler. A cet égard, la participation d’observateurs internationaux de l’OSCE ou des Nations unies est-elle envisagée ? Enfin, elle a souhaité savoir quelles propositions la France comptait soumettre à ses partenaires, lors de la prochaine conférence internationale sur l’Afghanistan qui se tiendra le 12 juin prochain. Elle s’est également interrogée sur les moyens d’infléchir la position américaine lors de cette conférence.

M. Régis Koetschet a indiqué que l’ambassade de France avait contribué par la publication de deux ouvrages à diffuser la culture afghane et la place que la France occupe dans ce rayonnement.

L’Afghanistan entretient des relations contradictoires avec ses voisins que sont le Pakistan, l’Iran et les républiques d’Asie centrale. Sans être fragilisé par les influences multiples exercées par ces derniers, il doit néanmoins tirer profit de sa situation de zone de transit. Alors que l’Afghanistan est un pays agricole, producteur de fruits et légumes, il ne parvient ainsi pas à les exporter faute des capacités techniques et logistiques de conservation et de transformation nécessaires et doit s’en remettre à ses voisins. Les difficultés intérieures auxquelles ces derniers sont également confrontés compliquent la mise en œuvre d’une coopération régionale en Asie centrale.

La drogue en Afghanistan constitue une menace pour la santé de ses habitants
– 1 million d’Afghans sont actuellement dépendants de la drogue – et pour le développement du pays. La concentration de la culture dans certaines régions seulement, les autres provinces étant désormais « poppy free », est un signe encourageant. Les cultures de substitution ne sont qu’un outil au service d’une solution qui requiert une politique volontariste et complète. La lutte contre le terrorisme d’une part, et la lutte contre le trafic de drogue d’autre part, sont difficiles à mener de front.

Les prochaines élections font figure de test déterminant pour les institutions afghanes mais aussi pour la communauté internationale. La légitimité du pouvoir politique comme de l’intervention étrangère est mise à l’épreuve par le processus électoral. Le Parlement doit jouer un rôle pédagogique et de proximité auprès des responsables politiques afghans. Le dialogue parlementaire doit être encouragé.

La Chine développe avec précaution un partenariat avec l’Afghanistan ; sa diplomatie prudente établit progressivement un lien structurel entre elle et la région.

Le renforcement de la présence militaire étrangère permet d’améliorer le contrôle de différentes zones indispensables à la sécurisation du pays. Celle-ci participe à la solution du problème afghan qui est soumise à quatre conditions : la coordination des interventions, l’approche régionale, « l’afghanisation » et une démarche de solidarité.

Le Président Axel Poniatowski a remercié l’Ambassadeur pour ses propos passionnants et indiqué que la Commission suivrait avec attention l’évolution de la situation en Afghanistan.

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