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Commission des affaires étrangères

Mardi 29 avril 2008

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 47

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de M. Jampal Chosang, représentant de Sa Sainteté le Dalaï Lama à Paris

– Information relative à la commission

Audition de M. Jampal Chosang, représentant de Sa Sainteté le Dalaï Lama à Paris

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères, a accueilli M. Jampal Chosang, représentant du Dalaï Lama à Paris. Après avoir occupé plusieurs fonctions au sein de l’administration centrale tibétaine à Dharamsala, il dirige depuis 2006 le bureau du Tibet à Paris, qui existe depuis 1992.

Au cours des dernières semaines, les médias ont beaucoup moins parlé de la situation au Tibet qu’ils ne l’avaient fait au mois de mars. Cela traduit-il une certaine lassitude de leur part ? La situation s’est-elle effectivement calmée ou bien les informations ont-elles encore plus de mal à franchir les frontières chinoises ? Depuis environ un mois, les nouvelles manquent, que ce soit par les médias ou par la voie officielle. Compte tenu de ses relations directes régulières avec les autorités tibétaines installées à Dharamsala, M. Jampal Chosang est le mieux à même d’éclairer la commission des affaires étrangères.

Après avoir remercié la commission pour son invitation, M. Jampal Chosang a expliqué que la question tibétaine était d’actualité partout dans le monde, que les médias lui portaient la plus grande attention mais qu’il était difficile de connaître la situation exacte au Tibet, du fait de l’absence de contacts directs avec la population et du contrôle total exercé par le gouvernement chinois, les journalistes ayant été expulsés le 14 mars et les touristes étant également interdits de séjour. Le bureau de sécurité publique et la police armée du peuple, constitués de fonctionnaires de l’armée populaire chinoise, contrôlent l’accès des médias internationaux au Tibet. Bien que la Chine n’ait pas déclaré la loi martiale à Lhassa, la situation ressemble fort à celle de 1989, lorsque le président Hu Jintao était secrétaire du Parti communiste au Tibet. Dharamsala a des sources diplomatiques à Pékin ; néanmoins, même pour des diplomates, il est très difficile de se rendre à Lhassa ou bien au Qinghai, au Sichuan, au Gansu ou au Yunnan, provinces extérieures à la région autonome du Tibet mais à forte minorité tibétaine. Toute cette zone est placée sous le joug de la police armée du peuple et du bureau de sécurité publique, qui privent le peuple tibétain de tous ses droits, y compris les plus élémentaires, comme le droit de prendre la parole ou celui de pratiquer sa religion.

Le 14 mars dernier, quinze moines tibétains se sont rassemblés pacifiquement. Ils demandaient aux autorités chinoises la libération de moines emprisonnés le 17 octobre 2007 pour avoir célébré la remise à Sa Sainteté le Dalaï Lama de la médaille d’or du Congrès américain. Depuis le 17 octobre, le nombre de moines arrêtés à cette occasion reste inconnu, de même que leur lieu de détention. Les manifestants du 14 mars n’ont pas évoqué l’indépendance, ils n’ont pas défié les autorités chinoises ; ils ont simplement réclamé la libération des moines. Or les manifestations ont été violemment réprimées par les autorités chinoises, qui n’ont reconnu que vingt ou trente morts tibétains, quand les sources diplomatiques et journalistiques de Dharamsala en ont comptabilisé au moins 150. Le 26 mars, vingt-six journalistes étrangers ont été accompagnés à Lhassa et les autorités chinoises ont choisi les personnes qui ont pu les rencontrer. Cependant, le 27 mars, trente moines ont pu déclarer à ces journalistes que, depuis l’occupation chinoise, les Tibétains sont privés de leur liberté religieuse et ne peuvent exprimer leur point de vue ; ils ont saisi l’occasion des Jeux olympiques de l’été 2008 pour faire connaître leurs revendications.

Les principales sources d’information de Dharamsala se situent à Hongkong, Tokyo et Taiwan. Il s’agit de journalistes, d’experts ou d’hommes politiques. D’après une information reçue hier, cinq moines d’un village reculé se sont soulevés pour demander au gouvernement chinois l’autorisation de se rendre au monastère de Kumbum, centre d’étude réputé, proche de la région d’origine du Dalaï Lama actuel. Pour seule réponse, ils ont été harcelés puis arrêtés et personne ne sait où ils sont détenus. Dans une autre région, une centaine de Tibétains ont manifesté pour soutenir ces cinq moines et demander leur remise en liberté ou au moins des éléments d’information sur leur lieu de détention, qui reste secret. Ces exemples apportent un éclairage sur la situation actuelle.

M. Axel Poniatowski, président de la commission, a rappelé qu’un dialogue avait été engagé, en 2002, entre des envoyés spéciaux du Dalaï Lama et le gouvernement chinois, mais qu’aucune avancée n’avait été obtenue. Quelle forme avait pris ce dialogue ? Le gouvernement chinois vient d’informer la population chinoise et la communauté internationale qu’il était prêt à rouvrir le dialogue. Cette position satisfait-elle l’entourage du Dalaï Lama ? Quelle forme pourrait prendre ce nouveau dialogue ?

M. Jampal Chosang a précisé que les discussions avec le gouvernement chinois avaient débuté avant 2002 mais qu’elles avaient été interrompues compte tenu de la suspicion manifestée par les autorités chinoises. À partir de septembre 2002, trois séries de réunions se sont tenues entre les émissaires de Sa Sainteté le Dalaï Lama et les représentants communistes chinois, avec quatre personnes dans chaque délégation. Il faut savoir que pendant les trois premières rencontres, les Chinois ont voulu faire la leçon aux Tibétains : après les avoir sermonnés, ils quittaient la salle. Les dirigeants chinois ont proposé de nouvelles rencontres. Le Dalaï Lama ayant répondu que ce serait une perte de temps si elles se passaient de la même manière, la nature des échanges a évolué et les Chinois ont fait preuve d’écoute lors des quatrième et cinquième rencontres, même s’il n’a pas vraiment été question des problèmes essentiels du Tibet. La sixième rencontre, le 29 juin 2007, à Shanghai, fut la pire de toutes : les Chinois ont dénié à leurs interlocuteurs la qualité de représentants du Dalaï Lama. Ensuite, la Chine s’étant engagée à ce que les questions fondamentales soient abordées, l’administration tibétaine a accepté une septième rencontre, qui s’est tenue à Nanjing ; toutefois, il n’y a finalement eu aucun débat de fond.

Durant ces réunions, le gouvernement chinois a invariablement imposé trois conditions à l’ouverture d’un dialogue sur la question du Tibet. Premièrement, le Dalaï Lama doit reconnaître que le Tibet fait partie intégrante de la Chine depuis le XIIIe siècle. Deuxièmement, il doit renoncer à toute activité indépendantiste. Troisièmement, il doit également reconnaître l’appartenance de Taiwan à la Chine.

Sur la première condition, le Dalaï Lama a répondu qu’il existe trois interprétations – celle de la Chine, celle du Tibet, celle des historiens – et qu’il est souhaitable de regarder vers l’avenir plutôt que de raviver les vieilles querelles. Le Dalaï Lama a rappelé qu’il ne revendique pas l’indépendance du Tibet mais une véritable autonomie au sein de la République populaire de Chine.

Sur la seconde condition, le parlement tibétain a adopté une loi allant dans le sens de la déclaration prononcée en 1987 par le Dalaï Lama devant le Parlement européen, qualifiée de « proposition de Strasbourg » : le Tibet peut être maintenu dans le cadre institutionnel chinois à condition qu’il obtienne une autonomie réelle, comparable à celle prévalant à Hongkong. Le Dalaï Lama ne revendique pas l’indépendance du Tibet mais note qu’il vit actuellement dans un pays démocratique, où il bénéficie d’une parfaite liberté de mouvement, et non dans un pays totalitaire.

Sur la troisième condition, le Dalaï Lama a estimé que Taiwan est dotée d’un régime démocratique et qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur l’avenir de l’île.

M. Jampal Chosang a confirmé que la Chine, vendredi dernier, par le canal de son agence de presse officielle Chine nouvelle, a annoncé qu’elle souhaitait rencontrer un représentant privé du Dalaï Lama. Mais les Chinois ont toujours dit que leur politique n’a jamais changé, que leurs propositions sont cohérentes et qu’aucun revirement n’est envisageable. Le Dalaï Lama, de retour des États-Unis, a formulé l’analyse suivante à New Delhi : si l’offre de pourparlers est sérieuse, c’est un bon signe à l’approche des Jeux olympiques ; en revanche, si la nature du dialogue est identique à celle des rencontres précédentes, ce sera une perte de temps et il n’y a pas lieu d’organiser une nouvelle réunion.

Au demeurant, l’annonce chinoise a été communiquée par le canal des médias ; aucune lettre d’invitation n’a été envoyée à Dharamsala. Ne s’agit-il pas seulement d’un geste pour essayer de sauver les Jeux olympiques ? La question reste ouverte.

M. Lionnel Luca s’est indigné de la répression judiciaire qui vient de s’abattre sur une vingtaine de Tibétains accusés d’être les responsables des émeutes. Les condamnations sont très lourdes : des emprisonnements allant de trois ans à la perpétuité. Il s’est demandé si les annonces de la semaine dernière n’étaient pas uniquement destinées à rassurer les pays occidentaux, qui se montrent pressants à l’égard du gouvernement chinois.

Il a estimé qu’une campagne insidieuse était menée dans les médias français par l’ambassade de Chine et quelques responsables politiques, consistant à faire passer le Dalaï Lama pour une sorte de taliban qui mélangerait le politique et le religieux, et incarnerait un régime féodal et passéiste. Existe-t-il des éléments tangibles de démocratie à Dharamsala ?

M. François Rochebloine a craint que les manifestations, parfois violentes, qui ont perturbé le passage de la flamme olympique dans de nombreux pays, ne ternissent l’image de la cause tibétaine.

Le Conseil de l’Europe, lors de sa dernière session, a évoqué le problème du Tibet. Il a indiqué qu’à l’initiative du président de la délégation française, M. Jean-Claude Mignon, le Dalaï Lama avait été invité à la session de fin juin à Strasbourg où il était très attendu.

Enfin, le jeune enfant appelé à succéder au Dalaï Lama a-t-il été retrouvé ?

M. Jampal Chosang a apporté les éléments de réponse suivants :

- La représentation du Dalaï Lama à Taiwan certifie que des condamnations viennent d’être prononcées. Elles frappent dix-sept ou vingt Tibétains et vont jusqu’à la réclusion à perpétuité. D’après les sources dont dispose cette représentation, un public de 200 à 500 personnes était présent à l’audience. Lorsque des informations fiables et précises seront disponibles, la représentation du Dalaï Lama à Paris les fera parvenir par email à l’Assemblée nationale.

- Comment concilier religion et démocratie ? Cette question est fondamentale. La diaspora tibétaine vit sous des systèmes démocratiques et le gouvernement tibétain en exil est démocratique. En effet, contrairement à ce que croient certains, le Dalaï Lama ne décide pas de tout ce qui concerne la vie des 6 millions de Tibétains. Le point de vue des Tibétains, qu’ils vivent au Tibet ou en exil, est pris en compte. Lorsque la Chine s’est ouverte économiquement, des passages ont eu lieu à travers la frontière avec l’Inde ; les Tibétains de l’intérieur connaissent donc le gouvernement démocratique de Dharamsala et le soutiennent pleinement. Sur les 6 millions de Tibétains, seuls 150 000 vivent en exil, dont la majorité en Inde ; c’est pourquoi le gouvernement du Tibet en exil siège en Inde. Le système de démocratie représentative en vigueur à Dharamsala s’apparente à celui de la Grande-Bretagne, avec une branche exécutive, une branche législative et une branche judiciaire. Le parlement est élu pour cinq ans. Avec à sa tête un président et un vice-président, sur le modèle britannique du speaker, il incarne les souhaits de la population tibétaine. Il a la capacité de réduire les pouvoirs du Dalaï Lama et de lancer une procédure d’empêchement contre tout membre du gouvernement. Le conseil des ministres est composé de trois à sept membres, appelés kalon. Ils sont nommés par le premier ministre, lui-même élu par le peuple tibétain au suffrage universel. Une fois élu, la première tâche d’un nouveau parlement est d’approuver ou de désapprouver la composition du cabinet constitué par le premier ministre. Le pouvoir politique est donc détenu par un premier ministre élu démocratiquement et nullement par le Dalaï Lama, porte-parole libre du peuple tibétain, chef spirituel des quatre grandes traditions du bouddhisme tibétain. Une Charte définit les règles de fonctionnement du conseil des ministres et du parlement. Elle stipule également les responsabilités des bureaux représentant le Tibet à l’étranger.

- L’administration en exil et le Dalaï Lama ont toujours soutenu la décision du Comité international Olympique (CIO) d’organiser les Jeux olympiques à Pékin, prise en 2001 à Moscou. Le jour même de cette décision, le Dalaï Lama avait jugé ce choix formidable pour la progression des droits de l’homme : des journalistes pourront circuler librement en Chine et les Chinois apprendront auprès de pays démocratiques à organiser l’événement. Depuis 2001, des améliorations ont été enregistrées mais beaucoup reste à faire. Il n’a jamais été demandé aux Tibétains d’exercer des actes de violence pour perturber le passage de la flamme olympique. Un Tibétain, que personne ne connaît à Paris, a certes tenté d’arracher la flamme à une athlète chinoise handicapée. Il ne s’agissait pas d’un représentant officiel du Dalaï Lama mais d’une personne isolée. Les quelque 400 Tibétains vivant à Paris sont libres de crier des slogans ; le représentant du Dalaï Lama peut leur demander de ne pas le faire mais ne peut pas les y contraindre car ils vivent dans un pays démocratique. Des incidents ont certes été organisés par des Tibétains et surtout par des Français soutenant la cause tibétaine, mais ceux-ci ne représentent pas le bureau du Tibet. En tout cas, il est important qu’aucun acte véritablement violent n’ait eu lieu, que ce soit à Paris, à Londres ou à San Francisco, contrairement à ce que prétendent les autorités chinoises.

- Comment sera choisi le successeur du Dalaï Lama ? Puisqu’il vit au XXIe siècle, le quatorzième Dalaï Lama a une approche très démocratique : s’il est bon pour le peuple tibétain que l’institution du Dalaï Lama perdure et si le peuple tibétain le désire, alors elle perdurera ; en revanche, si le peuple tibétain estime que cette institution n’est d’aucune utilité, elle cessera d’exister et il n’y aura pas de quinzième Dalaï Lama. À supposer que le peuple tibétain juge l’institution utile, le Dalaï Lama a identifié trois options pour la désignation de sa réincarnation. La première option se réfère à la méthode traditionnelle prescrite par les écritures bouddhistes : un comité constitué de sept ou huit membres repérerait les candidats et trancherait notamment en fonction du lieu de naissance de l’enfant et de sa capacité à reconnaître des objets que son prédécesseur utilisait ainsi que des personnes qui le servaient. La deuxième option, plus rationnelle, s’approcherait de la méthode suivie pour nommer le pape : le candidat serait choisi parmi les lamas tibétains proposés par les différents instituts monastiques. La troisième option consisterait à ce que le Dalaï Lama désigne lui-même son successeur, avant sa mort, parmi les lamas, afin que le travail inachevé soit poursuivi : si la question du Tibet n’était pas résolue de son vivant, l’œuvre restant à accomplir reviendrait à sa réincarnation suivante.

M. Axel Poniatowski, président de la commission, a remercié M. Jampal Chosang pour ses explications extrêmement instructives.

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Information relative à la commission

Au cours de sa séance du 29 avril, la commission a nommé M. Axel Poniatowski rapporteur pour avis sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République (n° 820).

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