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Commission des affaires étrangères

Mercredi 9 juillet 2008

Séance de 11 h 00

Compte rendu n° 59

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Protocole facultatif se rapportant à la convention contre la torture (n° 960) – M. Jean Glavany, rapporteur.

Protocole facultatif se rapportant à la convention contre la torture

La commission des affaires étrangères a examiné, sur le rapport de M. Jean Glavany, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation du protocole facultatif se rapportant à la convention contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants (n° 960).

M. Jean Glavany, rapporteur, a rappelé qu’il était, par définition très difficile d’évaluer précisément le nombre de personnes qui sont victimes d’actes de torture ou de traitements inhumains ou dégradants. Mais l’existence, de par le monde, de plusieurs centaines d’associations non gouvernementales luttant contre la torture, les exécutions sommaires, les disparitions forcées et tout autre traitement cruel, inhumain ou dégradant suffit à témoigner de l’ampleur de ce phénomène.

Amnesty International, dont des représentants ont été rencontrés pour la préparation du rapport, indique avoir recueilli des informations sur des cas de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants dans quatre-vingt un pays en 2007. L’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) a dressé une carte des pays qui pratiquent la torture. Parmi eux, figurent de nombreux pays au régime autoritaire, mais aussi de grandes démocraties comme le Brésil, l’Inde et les Etats-Unis. Il semble en fait que, depuis le lancement de la « guerre contre le terrorisme », l’usage de la torture, malgré son interdiction absolue, ne fasse plus l’objet d’un rejet aussi unanime que par le passé. Cette guerre a objectivement provoqué des entorses à l’interdiction absolue de recours à la torture.

Tout instrument visant à renforcer les moyens de lutter contre de telles pratiques est utile. Le Protocole facultatif se rapportant à la convention de lutte contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, signé le 18 décembre 2002 à New York, est particulièrement précieux dans la mesure où il organise l’articulation entre un sous-comité de la prévention à vocation universelle, qu’il crée, et des mécanismes nationaux de prévention, dont chaque Etat partie doit se doter.

Aussi, avant même que ne soit examiné le présent projet de loi, la France a récemment enrichi son corpus législatif d’une loi instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté, autorité qui a notamment vocation à constituer le mécanisme français de prévention de la torture.

La torture et les autres peines ou traitements inhumains ou dégradants sont interdits à la fois en temps de guerre par le droit humanitaire, c’est-à-dire par les conventions de Genève de 1949, et en temps de paix par le droit international classique.

Après que la « torture » a été déclarée illégale par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, puis interdite par Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950, la Convention des Nations unies de 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (dite Convention contre la torture) est le premier instrument international contraignant qui porte exclusivement sur la lutte contre cette forme de violation des droits de l’homme. 144 Etats y sont actuellement parties.

Pour veiller au respect des principes qu’elle pose, la convention contre la torture de 1984 crée un Comité contre la torture, composé de dix experts indépendants élus par les Etats parties à la Convention. Le Protocole additionnel que nous examinons aujourd’hui vise à compléter ce dispositif en instituant un sous-comité de la prévention, appelé à collaborer avec le Comité contre la torture.

Un organe chargé de la prévention de la torture existe également en Europe depuis 1989. Il a été créé par la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants adoptée en 1987 par le Conseil de l’Europe. Le Comité européen pour la prévention de la torture, est chargé d’effectuer des visites dans tous les lieux de détention sur le territoire des États parties et de faire des recommandations.

Par rapport à ce dispositif européen, le présent protocole à la convention de lutte contre la torture présente l’avantage d’être universel et d’articuler un organe international voisin du comité européen et des dispositifs nationaux propres à chaque Etat partie.

Adopté à New York le 18 décembre 2002, le Protocole est entré en vigueur en juin 2006. Trente-cinq Etats y sont actuellement parties : trente-trois autres, dont la France, ont signé le Protocole sans l’avoir encore ratifié. On est encore loin des plus de cent quarante Etats qui sont parties à la convention contre la torture de 1984, mais ce protocole n’est que facultatif. Le fait que près de la moitié des Etats parties à la Convention l’ait signé, et ce moins de six ans après son adoption, constitue néanmoins un signe très encourageant de l’intérêt de la Communauté internationale pour la lutte contre la torture, dans un contexte pourtant difficile.

L’objectif du Protocole est l’établissement d’un « système de visites régulières » « sur les lieux où se trouvent des personnes privées de liberté, afin de prévenir la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». Pour ce faire, les Etats parties au Protocole autorisent le sous-comité international et les mécanismes nationaux à effectuer ces visites. Le champ d’application de celles-ci est très vaste : est en effet susceptible d’être visité dans le cadre du Protocole « tout lieu placé sous [la] juridiction [de l’Etat] ou sous son contrôle où se trouvent ou pourraient se trouver des personnes privées de liberté sur ordre d’une autorité publique ou à son instigation, avec ou sans son consentement exprès ou tacite ».

Le sous-comité compte actuellement dix membres ; ce nombre sera porté à vingt-cinq lorsque le nombre d’Etat parties au Protocole aura atteint cinquante. Ses membres doivent être choisis parmi « des personnalités de haute moralité ayant une expérience professionnelle reconnue » dans les domaines dont traite le Protocole. Ils siègent à titre individuel et agissent en toute indépendance et impartialité.

Le sous-comité est chargé de trois missions. D’abord, effectuer des visites des lieux où se trouvent des personnes privées de liberté et, à l’issue, formuler à l’attention des Etats des recommandations concernant la protection de ces personnes contre tout mauvais traitement. Ensuite, coopérer avec les organes nationaux de prévention, en leur apportant notamment formation, assistance technique et avis. Enfin, coopérer avec tous les organismes internationaux compétents en vue de prévenir la torture.

Les conditions dans lesquelles les visites s’effectuent sont détaillées dans le Protocole.

Mais la véritable valeur ajoutée du Protocole par rapport à la convention européenne est l’obligation qu’il crée pour les Etats parties de mettre en place un mécanisme national de prévention. Il accorde en effet aux Etats nouvellement parties un délai d’une année pour « administre[r], désigne[r] ou met[tre] en place (…) un ou plusieurs mécanismes nationaux de prévention indépendants en vue de prévenir la torture à l’échelon national ».

Le Protocole met aussi à la charge de chaque Etat une série d’obligations, destinées à faire en sorte que les mécanismes nationaux de prévention puissent remplir, au niveau national – voire infranational –, le même type de missions que le sous-comité de la prévention au niveau international.

Ils doivent ainsi garantir l’indépendance de ces structures et celle de leur personnel et veiller à ce que les experts qui en font partie soient compétents et disposent des moyens de fonctionnement nécessaires. Le Protocole impose que les mécanismes nationaux soient investis au moins des missions suivantes. En premier lieu, l’examen régulier de la situation des personnes privées de liberté dont le Protocole vise la protection. En deuxième lieu, la formulation de recommandations destinées aux autorités compétentes afin d’améliorer le traitement et la situation de ces personnes, et de prévenir les mauvais traitements. En troisième lieu, la présentation de propositions ou d’observations sur la législation en vigueur ou les projets de loi en la matière.

C’est notamment pour mettre en œuvre de manière anticipée ces stipulations que la France a institué, par une loi du 30 octobre 2007, un Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Considérablement améliorée au cours de son examen parlementaire, cette loi respecte pour l’essentiel les exigences du Protocole.

Elle comporte néanmoins trois dispositions qui ne sont pas en parfaite conformité avec les stipulations du Protocole. Elle n’accord pas les immunités et privilèges nécessaires à l’exercice des fonctions des collaborateurs du Contrôleur général, pourtant exigées par le Protocole, et elle prévoit des cas dans lesquels les autorités peuvent demander le report de la visite d’un lieu de privation de liberté par le Contrôleur, alors que le Protocole n’ouvre cette possibilité que pour s’opposer à une visite du sous-comité de la prévention, mais pas à celle d’un mécanisme national de prévention.

Enfin, la loi limite le champ de compétence du Contrôleur au territoire de la République, tandis que le Protocole stipule que le mécanisme national doit pouvoir visiter les lieux privatifs de liberté placés « sous la juridiction ou le contrôle des autorités publiques », sans limite géographique. Le Contrôleur ne pourra donc s’intéresser ni aux pratiques des militaires français en opération extérieure, ni à celles des policiers effectuant des missions hors du territoire national, alors que les activités de ce type ont vocation à se développer dans le cadre de l’agence européenne FRONTEX, dont l’objectif est de renforcer le contrôle des frontières extérieures maritimes, terrestres et aériennes de l’Union en mutualisant les moyens humains et techniques des polices européennes.

Le budget annuel de 2,5 millions d’euros qui a été accordé pour 2008 au Contrôleur général peut être jugé trop faible. Toutefois, le Contrôleur a finalement été mis en place et, le 11 juin dernier, a été nommé à ce poste M. Jean-Marie Delarue, dont les compétences sont unanimement reconnues.

A peine créé, ce nouvel organe apparaît pourtant condamné à une existence brève puisqu’il semblerait que, une fois ce mandat achevé, soit dans six ans, ses compétences soient susceptibles d’être confiées au Défenseur des droits des citoyens, institution dont la création est prévue dans le projet de révision constitutionnelle en cours d’examen, et que le Sénat a rebaptisée « Défenseur des droits ».

Il est regrettable que le sort d’un organe aussi important que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté apparaisse si incertain seulement quelques mois après sa création, et avant même qu’il ait pu faire la preuve de son utilité.

La France doit donc non seulement ratifier le Protocole facultatif, mais aussi faire en sorte que son mécanisme national de prévention soit irréprochable. Le Parlement devra faire preuve de la plus grande vigilance sur ce point.

Enfin, au vu de l’importance de ce texte, il conviendrait que son adoption soit débattue en séance publique.

Répondant favorablement à la suggestion du rapporteur d’un débat public pour l’approbation de cette convention, le Président Axel Poniatowski lui a demandé si, bien qu’il n’y ait pas d’identification officielle des pays pratiquant la torture, on supposait qu’il y en ait parmi les signataires de la convention.

Le rapporteur a répondu qu’effectivement il en était ainsi, citant le cas du Brésil notamment. Il a insisté sur le fait que, en l’absence de statistiques officielles, ces informations émanaient surtout d’indications et d’éclairages apportés par les ONG, l’ACAT, Amnesty International notamment, ainsi que de rapports élaborés par les parlementaires siégeant au Conseil de l’Europe.

M. Jean-Paul Lecoq, indiquant qu’il venait le matin même d’être témoin à la Gare du Nord d’un contrôle, a souligné que le fait que cette opération de près d’une heure avait eu lieu en public, ce qui l’avait rendue dégradante et humiliante. Il s’est demandé si les orientations prises ces derniers temps par notre pays, avec les centres de rétention, notamment, ne risquaient pas de le lui faire oublier les préconisations de ce rapport.

A ce sujet, il a déclaré avoir aussi exercé son droit de visite, en tant que parlementaire, de centres de rétention ; il lui a semblé percevoir que le gouvernement était agacé par ce pouvoir de contrôle et être prêt à le réduire. Il a donc insisté sur le fait que ce droit était important, que notre pays devait rester vigilant et que ce contrôle devait rester sans limite.

Le rapporteur a cité l’article 1 de la convention de 1984, soulignant qu’il n’y avait pas de définition simple et claire de la torture ou des traitements inhumains ou dégradants ; il a estimé qu’il pouvait y avoir débat sur cette question en partie subjective, qui dépend aussi des conceptions philosophiques et religieuses de chacun. Rappelant les affaires d’abus de biens sociaux, il s’est interrogé sur le fait de savoir si la prison préventive ordonné par un juge d’instruction pour contraindre un inculpé à avouer un délit pouvait ou non être considéré comme une forme de torture mentale. Il a précisé à Mme Marie-Louise Fort que la question de la peine de mort relève d’autres dispositions mais qu’en l’occurrence si les Etats-Unis sont cités, c’est en raison des traitements pratiqués à Guantanamo.

Mme Marie-Louise Fort a indiqué avoir également visité des centres de rétention et a tenu à relativiser la dureté des conditions et des contrôles effectués.

M. François Rochebloine est intervenu pour souligner que, si les contrôles étaient nécessaires, ils n’en devaient pas moins rester respectueux des personnes et s’est montré d’accord avec M. Lecocq. Il a indiqué qu’il devait en être de même vis-à-vis des détenus dans les prisons.

Le rapporteur est revenu sur l’ambiguïté et la subjectivité de la définition, conditionnée par les convictions de chacun. Il a souligné que les ONG ressentaient actuellement une recrudescence de la torture y compris dans les pays démocratiques et civilisés, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, alors même que la convention de 1984 établit qu’aucune cause ne saurait justifier le recours à la torture. Il a également considéré qu’il semblait que les gouvernements avaient actuellement sans doute trop tendance, au moment de procéder à des extraditions vers des pays supposés pratiquer la torture, à se contenter des assurances diplomatiques que de tels traitements ne seraient pas appliqués. Il y a vu une faiblesse des Etats qui pouvait participer de la recrudescence de la torture constatée par le ONG.

Il a indiqué aussi que si l’Europe paraissait heureusement à l’abri du phénomène et de sa recrudescence, comme en témoigne la carte distribuée au début de la réunion, il n’en reste pas moins que le Conseil de l’Europe a eu l’occasion de révéler l’existence de prisons secrètes de la CIA, sur le territoire de plusieurs pays européens, où il est avéré y avoir eu des cas de tortures et autres traitements interdits par le droit international, sans qu’on ait pu rien faire, compte tenu du caractère secret de ces détentions. Il reste donc malheureusement des zones d’ombre, sur lesquelles seuls les travaux d’ONG ou de parlementaires, tels ceux du Conseil de l’Europe, peuvent apporter une information.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a adopté le projet de loi (n° 960).

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