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Commission des affaires étrangères

Mercredi 10 septembre 2008

Séance de 10 h 00

Compte rendu n° 65

Coprésidence de MM. Axel Poniatowski, Président de la commission des affaires étrangères et Guy Teissier, Président de la commission de la défense nationale et des forces armées

– Audition, commune avec la commission de la défense nationale et des forces armées, du général Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées, sur les évènements et la situation en Afghanistan

Audition, commune avec la commission de la défense nationale et des forces armées, du général Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées, sur les évènements et la situation en Afghanistan

La commission a procédé, conjointement avec la commission des affaires étrangères, à l’audition du général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées, sur les événements et la situation en Afghanistan.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Nous sommes très heureux de recevoir aujourd’hui le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées, dans le cadre d’un cycle d’auditions communes avec la commission des affaires étrangères, organisé dans la perspective du vote sur l’autorisation de prolongation de l’intervention de nos forces armées en Afghanistan. Il s’agira de la première application de l’article 35 révisé de la Constitution.

Compte tenu de l’enjeu, il est nécessaire que nous disposions d’une information aussi complète que possible sur notre présence en Afghanistan. À cet égard, je vous remercie, mon général, pour les moyens que les armées ont mis à la disposition de la délégation de députés des deux commissions, représentant l’ensemble des groupes, qui s’est rendue pendant trois jours en Afghanistan afin d’y rencontrer des troupes. Vos hommes nous ont réservé un accueil remarquable en dépit de conditions précaires et difficiles, et alors qu’ils devaient continuer à assurer leur travail quotidien – ce qu’ils ont fait, comme nous avons pu constater. Cela mérite d’être salué, de même que leur sens de la mission et du devoir.

La présente audition portera essentiellement sur les aspects militaires de notre participation aux opérations.

Ma première série de questions devrait pouvoir recevoir des réponses s’appuyant sur le retour d’expérience de l’embuscade qui a coûté la vie à dix de nos soldats au mois d’août dernier. Le nombre d’hommes déployés en Afghanistan correspond-il aux besoins ? La formation préalable à l’envoi sur ce théâtre d’opérations difficile doit-elle être améliorée ? Je précise que cette question, qui a été fréquemment posée ici, a vivement contrarié les soldats que nous avons rencontrés sur le terrain ; ils ont été meurtris qu’on fasse le procès de leur jeunesse, alors qu’ils pensaient – à juste titre, me semble-t-il – que celle-ci était plutôt un atout pour un soldat. À quels besoins urgents de matériel faut-il faire face ? Je pense bien entendu à la protection des hommes et aux dotations en munitions, mais aussi, plus largement, aux carences en matière de drones, d’aéromobilité et d’appui feu. Concernant le renseignement militaire, où en sont les réflexions sur l’envoi en renfort de certains éléments des forces spéciales ? Je précise, mon général, que nous poserons également ces questions au général Puga, nouveau directeur des renseignements militaires, que nous recevrons dans le cadre de cette série d’auditions.

De manière plus générale, nous souhaiterions connaître votre analyse de l’évolution de la situation militaire en Afghanistan à moyen et long terme, compte tenu de la stratégie actuelle de l’OTAN et de l’évolution de celle des talibans. En particulier, eu égard à la progression de son niveau de formation et d’équipement, quelle sont possibilités réelles de développement des opérations menées par l’armée nationale afghane ?

J’informe immédiatement mes collègues de la commission de la défense qu’ils devront rester après la fin de l’audition du général Georgelin, puisqu’il nous faudra examiner le lancement d’un rapport d’information sur, précisément, la situation en Afghanistan.

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Il me paraît important que la mission conduite par l’OTAN en Afghanistan réussisse, parce qu’il s’agit de lutter à la fois contre l’obscurantisme et contre le terrorisme international.

Guy Teissier vient, à raison, de soulever le problème du bon équipement de nos troupes ; je pense, mon général, que vous aurez l’occasion de nous en parler. Quant aux hommes, à ma connaissance, les effectifs opérationnels déployés actuellement en Afghanistan s’élèvent, en tout, à quelque 100 000 hommes : 50 000 au titre des forces de l’OTAN, auxquels s’ajoutent un certain nombre de troupes afghanes et les 18 000 hommes de l’opération Enduring Freedom. Or, selon certains experts, il faudrait déployer 200 000 à 250 000 soldats pour stabiliser la situation en Afghanistan. Quel crédit peut-on accorder à ces affirmations ? Selon vous, mon général, combien d’hommes seraient nécessaires pour stabiliser durablement la situation dans le pays ? Et s’il faut davantage de troupes, peut-on envisager qu’elles soient, pour l’essentiel, afghanes, ou une augmentation importante du nombre de soldats de l’OTAN vous paraît-elle nécessaire ?

Je souhaiterais par ailleurs vous entendre sur deux autres sujets que je juge importants.

La production et le trafic de la drogue à la fois procurent des ressources aux talibans et constituent une source de corruption majeure au sein des autorités afghanes, ce qui a contribué à leur faire perdre une grande partie de leur crédibilité dans le pays. Le commandant-adjoint de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), le lieutenant-général britannique Jonathon Riley, m’avait dit, lors de ma visite en Afghanistan, début juillet, qu’il considérait que si l’éradication des champs de pavot était l’affaire de l’armée afghane, la destruction des laboratoires de transformation du pavot en opium et en héroïne devrait être celle de l’OTAN. Quelle est la position de la France sur ce sujet ? Considérez-vous qu’il faille revoir le mandat de la FIAS et l’étendre à la destruction de ces laboratoires, qui ont été pour la plupart identifiés ?

Ma dernière question concerne l’étendue géographique de la mission de l’OTAN. Les talibans et leurs alliés utilisent aujourd’hui la région frontalière entre l’Afghanistan et le Pakistan comme principale base de soutien et de repli. Comment résoudre ce problème ? L’armée pakistanaise saura-t-elle le faire seule ? Le nouveau président pakistanais, M. Zardari, vous paraît-il apte à mener en ce domaine une politique plus efficace que son prédécesseur ? Comme le rappelait le président Teissier, des frappes ont été menées depuis des drones par les forces américaines ; doit-on aller plus loin et envisager une intervention de l’OTAN sur le sol pakistanais, avec le risque de régionalisation du conflit que cela comporterait ?

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d'état-major des armées. Je résumerai toutes vos questions par une seule : nous, pays membres de la coalition, voulons-nous, ou non, nous donner les moyens de régler au fond la crise afghane ? Je crois qu’il n’y a pas d’autre solution – mais j’y reviendrai.

Avant de répondre à vos questions, je voudrais revenir rapidement sur l’embuscade du 18 août, afin que nous soyons au clair sur un certain nombre d’éléments bien établis et que le chef d’état-major des armées que je suis fasse deux ou trois commentaires fondamentaux. Pardon si, pour certains – notamment ceux qui vous ont accompagné sur le terrain, monsieur le président – cela a un air de redite, mais je veux que les choses soient claires.

L’embuscade du 18 août s’est déroulée dans le commandement régional Capitale – RC-C –, dans un district excentré situé à une soixantaine de kilomètres à l’est de Kaboul, le district de Surobi. Il s’agit d’une zone relativement isolée, située entre une heure trente et trois heures de route de Kaboul, ou vingt à trente minutes d’hélicoptère. Depuis 2006, le contrôle de cette zone est dévolu à la nation chargée du commandement de la région Capitale ; chacun l’assure à tour de rôle, ce qui est un aspect intéressant de la stratégie générale. La France y était déjà présente en 2006 ; le 6 août dernier, elle a repris la tête du commandement, succédant aux Italiens, qui eux-mêmes avaient succédé aux Turcs.

Depuis 2006, pour contrôler cette zone, le RC-C a retenu comme mode opératoire le déploiement d’une base opérationnelle avancée – ce qu’on appelle, dans le langage de l’OTAN, une FOB, Forward Operations Base ; il s’agit en l’occurrence de la FOB Tora, désormais connue de tous les Français ou presque. Une compagnie, soit 150 hommes, y est déployée. Soit dit en passant, la garnison soviétique qui tenait cet emplacement avait été, à l’époque, complètement détruite par les Afghans.

Tora est un poste isolé situé sur un point haut, qui permet de contrôler le débouché de cinq vallées vers la ville de Surobi. Il s’agit d’une zone clé dans la mesure où Surobi est un point de passage obligé de l’axe en provenance de Jalalabad, à l’est, pour rejoindre soit Kaboul, soit Bagram et, plus au nord, les républiques d’Asie centrale, à travers la fameuse vallée de Kapisa. Ce cadre général est important, il faut l’avoir présent à l’esprit.

Suivant les directives de la FIAS, le commandant du RC-C a confié au bataillon français la mission de reconnaître l’ensemble de la zone qui lui avait été attribuée – ce qui est normal. Les opérations ont débuté le 8 août. L’action de combat qui a retenu l’attention s’est déroulée le 18 août au cours d’une de ces reconnaissances, effectuée dans la vallée de d’Uzbeen, qui est une vallée de 25 kilomètres de long et qui, contrairement aux autres vallées, est particulièrement peuplée puisqu’elle compte une trentaine de milliers d’habitants. La mission visait à reconnaître les points importants du terrain et à prendre contact avec la population : dans une guerre contre-insurrectionnelle, la pénétration du tissu humain est en effet une clé du succès. Le dispositif était constitué de deux sections françaises, de deux sections de l’armée nationale afghane et d’un détachement des forces spéciales américaines – douze hommes dont un JTAC (Joint Terminal Attack Controller), c’est-à-dire une équipe permettant de guider, dans des conditions optimales, un appui aérien. C’est au moment où elle procédait à la reconnaissance d’un col contrôlant les débouchés est de la vallée que la section du 8e RPIMa est tombée dans une embuscade. L’embuscade est la hantise du soldat ; tout détachement d’infanterie envoyé sur le terrain la craint comme la peste : par définition, une embuscade, quand elle est bien montée, surprend.

À 13 heures 30, après avoir atteint le village de Sper Kunday, la section du 8e RPIMa entame la reconnaissance du col situé à 1 500 mètres de celui-ci. La route n’étant plus carrossable à partir de ce point, la reconnaissance s’effectue à pied. L’embuscade est déclenchée à 15 heures 45, alors que les hommes de tête de Carmin 2 abordent le dernier lacet conduisant au col ; c’est ce que j’appellerai à partir de maintenant l’heure « H ».

À « H » plus huit minutes, la deuxième section française Rouge 4, qui progressait derrière Carmin 2, se porte à hauteur du village pour appuyer celle-ci. Elle est immédiatement prise sous un feu nourri à partir des hauteurs nord du village.

À « H » plus vingt-cinq minutes, un sous-groupement renforcé par des éléments d’appui quitte la FOB Tora pour rejoindre la zone des combats. Il lui faut près d’une heure pour l’atteindre en sûreté. Dès son arrivée, une heure et vingt minutes après les premiers accrochages, elle est prise à partie aux abords du village. Elle réussit cependant à appliquer les premiers tirs d’appui au profit de Carmin 2 et de Rouge 4 : mortier, Milan et canon de 20 mm.

Au même moment, à « H » plus vingt-cinq minutes, le chef de section de Carmin 2 fait une demande d’appui aérien. À « H » plus trente-cinq minutes, soit dix minutes après – comme c’est la règle à la FIAS –, les avions A10 de l’armée américaine détachés à la FIAS sont sur zone. Compte tenu de l’imbrication des insurgés et des forces françaises, ils ne peuvent pas ouvrir le feu ; les insurgés ont parfaitement compris qu’en procédant ainsi, ils rendaient difficile le jeu des appuis.

À « H » plus deux heures et cinq minutes, Carmin 2 peut enfin entamer un repli, appuyée par des hélicoptères et des avions A10 américains, qui peuvent maintenant appliquer leur tir. Il est 17 heures 50 et l’appui durera près d’une heure. Lorsque la nuit tombe, à 19 heures 30, soit « H » plus trois heures et quarante-cinq minutes, Carmin 2 poursuit toujours son repli. Les insurgés tentent de la devancer sur le village de Sper Kunday pour fermer la nasse et l’encercler.

À 20 heures, soit « H » plus quatre heures et quinze minutes, les renforts provenant de Kaboul arrivent sur zone. Ils réussissent à reprendre l’initiative des combats. Ils bénéficient à « H » plus cinq heures et quinze minutes de l’appui d’un drone Predator américain de la coalition, qui permet de préciser le renseignement et de guider les tirs d’appui. Les premiers blessés sont évacués par hélicoptère.

À 22 heures, soit « H » plus six heures et quarante-cinq minutes, la reprise des abords est du village est lancée. Un C 130 « Gunship » américain de la coalition commence à appliquer des tirs dans la profondeur au-delà du col. En deux heures, toute la zone du village est sous contrôle. Il est minuit, soit « H » plus huit heures et quinze minutes. Les premiers corps de nos soldats sont relevés à 1 heure 40, soit dix heures après le début de l’embuscade.

Au lever du jour, l’ensemble du col est sous contrôle ; alors que des tirs de harcèlement sont toujours appliqués par les insurgés, l’appui aérien des forces américaines de la coalition est continu. La zone est entièrement contrôlée à 12 heures, soit vingt heures après le début des combats.

À l’issue du recueil de l’ensemble des éléments, la mission drone du RC-Est, en appui de la coalition, se poursuit ; elle va durer jusqu’au 20 août dans la matinée, soit près de quarante-huit heures après le début de l’embuscade, afin de localiser les éléments rebelles réfugiés dans la province voisine de Laghman. Ces éléments sont attaqués grâce à l’action combinée des forces spéciales américaines et des appuis aériens, avions et hélicoptères, guidés par les forces au sol, ce qui permet de détruire deux énormes caches destinées à la logistique des insurgés.

Voilà, présentée de manière très sommaire, la chronologie des faits telle que je l’ai établie. J’ai passé sur beaucoup de détails ; nous y reviendrons si vous le souhaitez.

Cet accrochage nous ramène à la réalité des actions de guerre : quand des troupes ouvrent le feu, elles conduisent des actions de guerre. La nation dans son ensemble vient de prendre conscience qu’envoyer des militaires en opération comporte toujours des risques ; si ce n’était pas le cas, le recours à la force serait inutile, d’autres instruments permettraient d’atteindre les objectifs fixés. Il faut avoir les idées justes et reconnaître que l’action de guerre, dans son essence, reste une réalité. Elle demeure l’affrontement de volontés où chacun, par l’usage de la force, tente de dicter sa loi à l’adversaire. Elle n’a pas changé de nature, elle s’est simplement transformée.

Comme j’ai eu l’occasion de le dire lors de mes précédentes auditions devant la commission de la défense de l’Assemblée, nous sommes aujourd’hui confrontés à des opérations plus dures, à des adversaires plus déterminés, qui se sont adaptés à nos méthodes de combat et qui entendent bien nous porter les coups les plus sévères. La réalité des conflits asymétriques, c’est que l’on bascule désormais instantanément de la basse intensité à la haute intensité et à l’extrême violence. Nous sommes engagés dans des opérations longues et complexes, où la persévérance est le premier facteur de réussite. Or – et les talibans l’ont bien compris – cette persévérance est impossible sans le soutien de la nation dans son ensemble et, en particulier, celui de la représentation nationale. De ce fait, nous sommes engagés dans une véritable bataille de la communication, dont il nous faut tirer tous les enseignements.

Je crois que tous les commentaires entendus au lendemain de l’accrochage prennent racine dans le refus d’accepter la vraie nature des opérations de guerre ; cela est particulièrement le cas de nos mentalités occidentales, encore marquées par les abominations de deux siècles de guerre totale.

La vocation du soldat n’est pas de mourir. En revanche, sa grandeur est d’accepter de tuer et de se faire tuer, de donner librement sa vie pour que d’autres puissent vivre. La mort d’un soldat au combat, aussi regrettable soit-elle, reste inhérente à l’action de guerre, qui ne pourra jamais être réduite à un modèle mathématique.

En conclusion de cette brève introduction, je veux saluer le courage et la bravoure dont ont fait preuve nos soldats. Partis pour une simple reconnaissance, ils ont trouvé la mort, avec noblesse et héroïsme. Je rappelle le bilan des coups portés à l’adversaire, que nous connaissons grâce aux témoignages de nos soldats, aux renseignements fournis par les capteurs américains et aux écoutes des réseaux de communication adverses : entre trente et quarante rebelles ont été mis hors de combat dans la journée du 18 août et autant le lendemain, lors des interventions du RC-Est. Je veux aussi rendre hommage à la dignité des familles de nos morts, ainsi qu’au courage de leurs frères d’armes qui, restés sur place, ont été profondément blessés – vous le rappeliez, monsieur le président – par les commentaires sur leur jeunesse, leur préparation insuffisante ou leur équipement défectueux. Enfin, je note que, depuis l’embuscade d’Uzbeen, le 18 août dernier, vingt-deux autres soldats de la coalition ont trouvé la mort, rejoignant ainsi la liste des 879 qui ont donné leur vie depuis le début des opérations en 2001.

Les questions que vous m’avez posées touchent à la nature même des opérations conduites en Afghanistan et aux conditions dans lesquelles elles sont menées.

Pour aborder la question des effectifs, il convient d’avoir à l’esprit l’enchaînement des événements qui ont conduit à la situation présente, le point de départ étant les attentats du 11 septembre 2001. Une coalition, menée par l’armée américaine et à laquelle nous avons participé, s’est alors mise en place et a lancé les premières opérations destinées à détruire les camps d’entraînement des terroristes et à renverser le régime taliban. Ensuite, la conférence de Bonn a représenté une étape essentielle, en fixant le cadre des actions menées – non seulement sur le plan militaire, mais aussi sur tous les autres aspects – en en attribuant des responsabilités à chaque pays de la coalition. L’Afghanistan a été doté d’un gouvernement provisoire de façon à ce que l’État retrouve un fonctionnement normal. Par la suite, une assemblée nationale a pu être élue, un gouvernement et un président ont été désignés et une constitution a été adoptée. Ni la police, ni l’armée locale n’étant en mesure d’assurer la sécurité du pays, il a également été décidé, lors de cette conférence, de confier, à titre provisoire, ce rôle à une force internationale d’assistance et de sécurité jusqu’à ce que les forces afghanes puissent prendre le relais. Dès le départ « l’afghanisation » était le but poursuivi par la communauté internationale.

Depuis lors, des conférences ont eu lieu chaque année. À Londres, en 2006, un document capital, l’Afghan compact, a été élaboré. Il fixe des objectifs quantifiés dans des domaines tels que la gouvernance, le développement économique, les droits de l’homme ou la sécurité. Il confirme la volonté de transférer aux Afghans eux-mêmes la charge d’assurer la sécurité du pays. Ce document a été repris lors du sommet de Bucarest dans un autre document, qui détaille la stratégie adoptée par l’OTAN. Contrairement à ce que j’entends souvent dire, en effet, il y a une stratégie en Afghanistan, et celle-ci découle des trois documents que je viens de citer, complétés par la résolution des Nations unies. La stratégie politico-militaire reprise à Bucarest repose sur sept objectifs: assurer un environnement sécurisé ; assister le gouvernement dans le développement de l’ANA, l’armée nationale afghane ; permettre, grâce aux équipes provinciales de reconstruction, l’expression de l’autorité du gouvernement et de l’État de droit ; soutenir la stabilité régionale – le Pakistan, mais aussi l’Iran sont nommément cités ; améliorer la communication stratégique et prendre l’ascendant sur celle des talibans, en particulier en ce qui concerne les dommages collatéraux, réels ou supposés ; soutenir le gouvernement dans le domaine de la lutte contre la drogue ; et, enfin, améliorer la coordination internationale en favorisant l’expansion de la mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA).

La dernière conférence de suivi de l’action de la communauté internationale s’est tenue à Paris. Elle n’était pas seulement une conférence de donateurs, mais a conduit à réaffirmer les objectifs affichés, notamment par le Président de la République, à Bucarest : s’engager durablement au côté des Afghans, renforcer la mission des Nations Unies et mettre le gouvernement afghan devant ses responsabilités. C’est dans ce cadre général que doit se comprendre l’action des forces de l’OTAN.

L’action militaire est confiée à l’Alliance atlantique. Dans ce domaine, on ne peut que constater la suprématie des Américains, lesquels représentent 38,8 % des forces déployées. Dans ces conditions, il faudrait être hypocrite pour s’étonner de les voir maîtriser le tempo des opérations. Par ailleurs, une autre caractéristique importante des forces déployées en Afghanistan est qu’elles sont « caveatisées ». Cela signifie que le général américain McKiernan, qui commande les 50 000 hommes de la FIAS – mais aussi les forces américaines et de celles de l’opération Enduring freedom –, ne dispose pas librement des troupes mises à sa disposition, car les nations imposent des restrictions sur l’usage de leurs forces. Par exemple, l’Allemagne, qui a des troupes dans le nord de l’Afghanistan, interdit qu’elles soient employées ailleurs, et limite à certains cas déterminés l’usage de ses avions Tornado. Il en est de même pour l’Italie, stationnée dans l’ouest du pays, etc. Au total, il existe une liste impressionnante de 83 caveat. Ainsi, avant de s’interroger sur le volume des effectifs, il faut s’interroger sur le fonctionnement d’une coalition, car toutes ces contraintes compliquent la tâche des commandants sur le théâtre des opérations.

De même, avant de poser la question des effectifs, il convient de savoir quelle est l’action menée sur le terrain. J’entends parfois poser la question : « quand y aura-t-il victoire – ou défaite ? » Mais nous ne sommes pas dans un schéma de type clausewitzien : il ne s’agit ni de détruire un ennemi identifié, ni de conquérir des territoires. Il s’agit d’une entreprise combinée, civilo-militaire, qui comprend des actions de développement dans toutes les branches d’activité. Des progrès ont ainsi été accomplis dans les domaines de l’éducation, des communications, de l’eau, etc. Dans ce domaine du développement, l’Allemagne, par exemple, met plus d’argent qu’un pays comme le nôtre. De même, les PRT, c’est-à-dire les équipes provinciales de reconstruction – dont nous ne faisons pas partie – sont des éléments clés de la tactique sur le terrain. Les troupes militaires sont là pour assurer une présence, rassurer la population et faire en sorte que celle-ci abandonne les talibans et bascule du côté du gouvernement afghan.

Bien entendu, compte tenu de l’étendue du pays, si nous reprenions, par exemple, les ratios employés en Algérie, il faudrait un ou deux millions de soldats. Ce n’est évidemment pas ce que je réclame. Tout dépend de notre détermination et de l’objectif que nous souhaitons atteindre. Avons-nous vocation à mener une opération d’une telle ampleur ? Ce n’est pas à moi de répondre à cette question.

Nous menons des opérations de contre-insurrection : il s’agit de déstabiliser un adversaire qui se structure progressivement et devient de plus en plus efficace. Dans un tel contexte, le renseignement constitue une des clés du succès. Celui-ci n’est pas seulement affaire de satellites et de capteurs – même s’ils ont leur rôle à jouer – mais consiste en un ensemble de perceptions permettant d’évaluer l’état de la menace représentée par les talibans. Tous les livres consacrés à la guerre insurrectionnelle insistent en particulier sur la nécessité d’établir un organigramme de la rébellion, car en neutralisant leurs chefs, on rend plus difficile l’action des rebelles. On a beaucoup entendu parler, ces derniers temps, de « soldats de la paix », de « french touch », mais la réalité opérationnelle à laquelle nous sommes confrontés est aujourd’hui beaucoup plus difficile.

Les Américains ont fait d’un écrivain français totalement inconnu en France, David Galula, l’inspirateur de toute leur action. Il est intéressant de relire, en ayant à l’esprit la situation en Afghanistan, les réflexions de cet auteur sur les conditions de succès d’une insurrection. Ces conditions sont l’existence d’une cause à défendre – c’est le cas pour les talibans ; d’une faiblesse dans la contre-insurrection – contraintes propres à la constitution d’une coalition internationale, moyens chichement distribués, caveat de toutes sortes; d’une géographie favorable – l’Afghanistan est un pays très montagneux et connaissant des conditions climatiques extrêmes, avec des températures de 40 degrés en été et de moins 15 en hiver ; d’un soutien extérieur, qu’il soit moral, politique, technique, financier ou militaire – c’est le cas pour les talibans, qui reçoivent des financements en provenance du Pakistan ou d’autres pays du golfe arabo-persique. Par ailleurs, selon Galula, une stratégie victorieuse contre l’insurrection passe par huit étapes : détruire ou expulser la majorité des insurgés ; déployer des unités statiques au contact de la population ; renforcer le contrôle de celle-ci ; détruire les structures politiques de l’insurrection ; organiser des élections locales ; tester la fiabilité des leaders élus ; organiser un parti de gouvernement ; enfin, nettoyer les dernières poches de résistance. Je ne rappelle pas tout cela pour indiquer ce qu’il faut faire ; je résume simplement ce que sont, d’après les gens qui ont réfléchi à ces questions, les conditions optimales pour parvenir à des résultats significatifs dans une guerre de type contre-insurectionnelle, dont l’issue dépend en grande partie de la détermination dont on fait preuve.

Évidemment, il faudrait davantage d’effectifs. Mais les pays européens y sont-ils prêts ? Est-ce souhaitable sur le plan politique ? Ce n’est pas à moi de répondre. Mais je note que d’après le général Schloesser, qui commande la RC-Est, depuis l’arrivée, dans la région de Kapisa, d’un bataillon français de 700 hommes – ce qui représente un effectif taillé au plus juste –, six chefs talibans régionaux ont été tués, et les villageois sont plus nombreux à offrir spontanément des renseignements à l’armée nationale afghane et aux embedded training teams. Cela traduit une plus grande confiance de la population et une plus grande emprise du gouvernement afghan sur la région. De même, dans les vallées qui, comme celles d’Uzbeen ou de Tizin, sont gouvernées par Surobi, même si un seul bataillon représente un effectif faible, la combinaison de différentes actions permet de parvenir à des résultats. Si elle veut être plus efficace, la communauté internationale doit donc rendre plus souples les capacités du commandement de la FIAS sur l’ensemble des forces qui sont mises à sa disposition, poursuivre opiniâtrement les objectifs, tant civils que militaires, qu’elle s’est fixés, développer le renseignement et persévérer dans le processus d’afghanisation. La formation de l’armée et de la police du pays doit se poursuivre, en dépit des critiques et malgré les incidents qui ne manqueront pas de survenir. Nous avons déjà transféré, depuis le 28 août, un certain nombre de districts de Kaboul aux Afghans, et la ville ne s’est pas effondrée pour autant. Notre calendrier devrait d’ailleurs nous conduire à transférer, d’ici à l’été, l’ensemble de la région Centre aux autorités afghanes, à l’exception du district de Surobi, qui pourrait être rattaché à la région Est.

M. François Lamy. Une observation, tout d’abord. Ce que nous apprend le drame du 18 août, c’est que la mission de nos forces a évolué avec le temps, mais sans qu’elle fasse l’objet d’un débat dans notre pays. D’une guerre contre le terrorisme, visant à démanteler Al-Qaïda et à chasser les talibans qui soutenaient cette organisation, nous sommes passés à une guerre de contre-insurrection. Le vocabulaire que vous employez traduit d’ailleurs cette évolution : vous parlez d’insurgés, et non plus de terroristes. Une clarification est donc nécessaire, même si elle ne relève pas, mon général, de votre compétence.

On peut comprendre les objectifs déterminés par les différents textes que vous avez cités. Il reste néanmoins qu’à côté des actions de sécurisation menées par la FIAS, une autre opération est menée sous commandement américain – à laquelle participent, si j’ai bien compris, nos avions de combat : c’est l’opération Enduring freedom, qui comprend de véritables actions de guerre. N’y a-t-il pas une contradiction entre l’une et l’autre ? La seconde ne risque-t-elle pas d’annihiler les efforts réalisés par la première ?

Ma deuxième question porte sur la protection des troupes. Les Canadiens, qui ont subi de lourdes pertes, et opèrent désormais dans la région de Kandahar, se sont aperçus qu’ils ne disposaient pas du matériel adéquat et ont procédé à des achats sur étagères – notamment des blindés légers sud-africains à l’épreuve des mines, des hélicoptères, des chars Léopard. Comme tout le monde semble s’accorder à juger insuffisant l’équipement de nos troupes, ne devrions-nous pas changer de politique et ne pas attendre que du matériel de fabrication française soit disponible ?

Ma troisième question concerne la rotation des 350 hommes du 3e RPIMa, dont la mission, semble-t-il, passe de quatre à six mois. Cette règle s’applique-t-elle à toutes les troupes engagées en Afghanistan ?

M. Jack Lang. Je voudrais d’abord remercier les présidents des deux commissions d’avoir bien voulu organiser cette série d’auditions, qui nous permettra de mieux préparer le débat du 22 septembre.

Ensuite, je souhaite formuler une remarque d’ordre juridique et politique. L’Assemblée nationale va être appelée à débattre et à se prononcer sur l’intervention des forces armées en Afghanistan, ce qui constitue un progrès. Or, dans la Constitution révisée, nous avons affirmé que les auditions organisées au sein des commissions auraient désormais un caractère public. Nos commissions, qui vont jouer un rôle plus important, participeront ainsi à l’information du pays. Mais je regrette qu’une distinction soit effectuée entre les personnalités civiles et militaires, ces dernières ne pouvant être entendues en présence de la presse. Le caractère public des auditions est une façon de démocratiser nos institutions. Pourquoi ne pourrions-nous faire chez nous ce qui est possible dans d’autres pays, notamment aux États-Unis ? Je pense notamment à l’hearing, qui a duré plusieurs heures, du général Petraeus devant le Sénat américain. Nous devons nous interroger sur ce sujet et trouver une réponse adaptée. Des exemples glorieux, dans le passé, ont montré que, même dans les circonstances les plus graves, le rôle des parlements et l’existence de la démocratie n’étaient pas incompatibles avec la bonne conduite d’opérations militaires.

J’en viens au sujet qui nous occupe, et plus particulièrement à la question des rapports de nos forces avec la population, sur laquelle, comme tout citoyen, je m’interroge. N’avez-vous pas le sentiment qu’à mesure que l’opération dure – et je n’ose pas dire s’éternise –, les armées présentes sont de plus en plus perçues comme des armées d’occupation ? Dès lors, l’objectif de s’appuyer sur la population locale pour combattre ceux que vous appelez les insurgés, ou les terroristes, n’est-il pas de plus en plus éloigné ?

Par ailleurs, quelles sont vos informations au sujet des bavures américaines, qui semblent se produire de plus en plus fréquemment ?

M. Philippe Folliot. Les tragiques événements des 18 et 19 août ont provoqué beaucoup d’émotion dans le pays – en particulier dans la ville de Castres. L’opinion a été surprise, parce que beaucoup ont découvert à ce moment que la nature de notre engagement en Afghanistan avait changé. Cette guerre contre-insurrectionnelle n’a pas commencé le 18 août ; elle dure depuis des années, mais, auparavant, nous n’étions pas en première ligne. Aujourd’hui, nous y sommes, à l’instar d’autres membres de l’Alliance – Anglais, Américains, Canadiens ou Hollandais. Notre statut au Conseil de sécurité de l’ONU implique en effet un certain nombre de droits, mais aussi de devoirs, que notre présence en première ligne est sans doute une façon d’assumer.

Il est clair que nous devons nous interroger sur la nature de notre engagement, mais aussi sur les équipements attribués à nos soldats sur le terrain, qui ne sont d’ailleurs pas les mêmes selon qu’il s’agit des forces spéciales ou d’unités plus conventionnelles. Jugez-vous les équipements adaptés aux opérations ? Des efforts importants ont été accomplis en ce domaine, mais sont-ils suffisants ?

Compte tenu de notre engagement en Afghanistan et de la nature du conflit, on peut craindre que l’opération du 18 août ne soit pas la dernière dans laquelle nous laisserions des hommes sur le terrain. Ma question concerne la façon dont notre pays « encaisse » ces pertes. Je pense, non au discours fait avec à-propos par le Président de la République aux Invalides, mais à la visite des familles, qui aura lieu dans quelques jours. En tant que chef d’état-major des armées, que pensez-vous de cette visite ? Considérez-vous qu’un précédent est créé, et qu’il faudra agir de même chaque fois que des hommes tomberont sur le théâtre des opérations ? Dans le cadre de la guerre des opinions à laquelle nous assistons, notre position ne risque-t-elle pas de s’en trouver fragilisée ? Nos ennemis ont en effet appris à maîtriser l’arme de l’émotion, comme le prouve la publication récente de certaines photos dans un hebdomadaire.

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées. Vos questions sont nombreuses… La première d’entre elles porte sur l’équipement des soldats français en Afghanistan. D’une manière générale, on fait la guerre avec les moyens dont on dispose au moment où elle nous surprend. L’état de préparation d’un pays qui doit faire face à des opérations militaires résulte de décisions prises antérieurement. Notre pays est engagé en Afghanistan et nous redécouvrons la réalité des opérations de guerre. Les Américains l’avaient redécouverte avant nous, puisqu’ils déplorent 580 morts, sans compter les 100 morts canadiens. Jusqu’à présent, nous nous trouvions dans la région Centre, où les menaces étaient essentiellement liées à des attentats par IED ou à des attaques suicides.

Il est évident que l’armée française se déploie en Afghanistan avec les moyens que les budgets et les lois de programmation successives lui ont accordés. Je ne souhaite pas polémiquer sur ce sujet, mais certains programmes ne bénéficient pas des mêmes soutiens que d’autres, plus emblématiques, et que ce sont eux qui sont les premiers amputés. C’est ainsi que le VBCI – véhicule blindé de combat d’infanterie – a environ cinq ans de retard. Ces retards sont liés à l’ensemble du processus de décision – je n’accuse naturellement personne. Quoi qu’il en soit, la qualité d’une unité tient autant à son commandement, à son entraînement et à son leadership qu’à ses équipements. Chacun sait qu’au combat, la force morale et la détermination des personnes sont un élément important du succès.

Après ces quelques considérations d’ordre général, j’en reviens à votre question sur l’équipement de notre armée. Je dispose d’un dossier qui met en évidence les effets des IED – Improvised explosive devices – sur les véhicules de la coalition. Tous ces véhicules, y compris les Humvees américains et les véhicules canadiens, ont, à un moment ou à un autre, été complètement détruits par un IED, même si les effets de ceux-ci sont liés à des facteurs conjoncturels : position et volume de la charge, position du véhicule par rapport à l’IED. Jusqu’à présent, dans les attentats à l’IED, nos VAB – véhicules de l’avant blindés – ont plutôt bien résisté. Et je refuse le procès qui nous est fait d’envoyer nos soldats au combat la poitrine nue. C’est faux ! Nous avons valorisé les VAB en les rendant les plus performants sur le plan du blindage et du brouillage électronique face aux IED.

S’agissant du bataillon que nous avons envoyé dans la région de Kapisa, le 8e RPIMa, nous avons accompli un effort considérable en matière de formation et d’équipement. Cela dit, nous connaissons les faiblesses du VAB : il serait préférable que les servants de mitrailleuse ne soient pas obligés de s’exposer. C’est ainsi qu’un soldat a été tué il y a un an dans la région du Wardak, dans le cadre des OMLT (Operational mentoring liaison teams).

Cela est passé totalement inaperçu, mais nous avons déployé récemment une équipe d’OMLT de Kaboul à Kandahar, ce qui correspond à près d’une dizaine d’heures de route. Lors de ce mouvement, cette équipe a été accrochée six fois par les rebelles, accrochages qui prennent l’appellation de TIC (Troops in contact), selon le nouveau jargon de l’OTAN. Notre OMLT a en particulier subi un attentat suicide : un insurgé s’est servi d’une moto bourrée d’explosif pour attaquer leurs VAB, mais personne n’est mort et il n’y a eu aucun blessé grave.

Depuis le 18 août dernier, le bataillon du 8e RPIMa est en contact quotidien avec les talibans dans les vallées autour des FOB de Nijrab et de Tagab, et il est amené à ouvrir le feu. Nous ne comptons aucun blessé, ce qui tend à prouver que notre équipement n’est pas aussi déficient que certains le prétendent, avec une certaine complaisance. De la même manière, j’ai été très choqué de découvrir, à l’occasion des débats qui ont suivi la parution du Livre blanc, le procès en misérabilisme fait à l’armée française, procès qui éclatait après avoir entendu chanter les éloges de nos armées en opération.

Je ne dis pas que tout est bien. Comme nos partenaires, nous devons améliorer la protection de nos véhicules, accélérer un certain nombre de programmes, et, lorsque c’est nécessaire, procéder à des achats de matériel sur étagère. Mais cessons de dire que nous sommes moins bien équipés que les autres, car ce n’est pas juste. L’expérience nous montre que nos alliés, dans les conditions particulières d’un combat, peuvent eux aussi se trouver exposés, quelle soit la qualité de leur équipement. La meilleure protection du soldat, je le répète, c’est d’abord son entraînement, la qualité de ses chefs et, dans ce type de conflit, le renseignement, c’est-à-dire notre aptitude à être renseignés, sur le terrain, sur les intentions et les capacités de l’adversaire.

Je vais répondre à votre question sur l’OEF, la FIAS, et les victimes civiles. Il y a effectivement deux opérations en Afghanistan : l’OEF, à dominante américaine, lancée après les attentas du 11 septembre, dans la mouvance de la lutte antiterroriste, et la FIAS, qui s’est progressivement étendue à l’ensemble de l’Afghanistan, conformément aux phases 1, 2 et 3 du plan de l’OTAN.

Je suis convaincu que l’unité de commandement est préférable à des commandements séparés. Cela me paraît plus clair. Une telle unité permettrait d’éviter un certain nombre de difficultés et de malentendus qui ont des conséquences sur les populations : en effet, chaque fois qu’une action génère des victimes civiles, cela fait le jeu des insurgés. Je vous précise que je n’oppose pas le mot « insurgé » à celui de « terroriste », ce dernier se recrutant parmi les insurgés. Je suis donc favorable à une unité de commandement.

Les États-Unis, qui représentent 50 % des dépenses mondiales consacrées à l’armement et 40 % des effectifs déployés en Afghanistan, comptent à ce jour 580 morts : il faut comprendre que face à des nations qui « caveatisent » à outrance leurs unités, qui restent dans leur FOB comme dans un bunker, au lieu d’aller sur le terrain pour remplir leurs missions – comme le font les nôtres – , les États-Unis sont enclins, compte tenu de leur immense supériorité matérielle, à prendre des dispositions pour assurer la sécurité de leurs troupes.

Vous m’interrogez sur les victimes civiles. Je suppose qu’il s’agit de l’information selon laquelle 90 personnes auraient été tuées à cause d’une erreur de la coalition. Bien entendu, cela a été démenti par le général qui commande la FIAS. Je dirais, pour ma part, que la vérité n’est pas in between mais plutôt du côté de celui qui a déclenché l’opération. Je m’explique. La coalition a obtenu un renseignement selon lequel des chefs talibans, des seigneurs de la guerre et des trafiquants de drogue devaient se réunir. Ayant eu connaissance de ce renseignement, la coalition a décidé de traiter l’objectif et de le détruire. Voilà la thèse officielle. Hélas, trois enfants qui se trouvaient là ont été tués.

L’ONU, sans prendre le temps de consulter le commandant de la FIAS, a immédiatement publié un communiqué, par le biais de ses services sur place, reprenant les déclarations des autorités afghanes, sur la mort de 90 personnes. Il eût été préférable qu’un minimum de coopération existe entre les différents acteurs internationaux qui se soucient de l’avenir de l’Afghanistan.

Dans cette affaire, on retrouve le problème habituel d’une approche américaine fondée sur la notion d’écrasement de l’adversaire. Cela se passe différemment dans le cadre de l’OTAN, où les règles d’engagement sont définies selon des protocoles extrêmement précis.

Dans cette affaire, on retrouve aussi les préoccupations du président Karzaï qui, à la veille d’une campagne électorale, prend ses distances avec la coalition puisqu’il a souhaité que soient revues les conditions de son déploiement. Naturellement, s’il signifiait à la coalition qu’il n’a plus besoin d’elle, elle se retirerait. Cela réglerait le problème, mais les talibans reviendraient au pouvoir.

J’en viens à la question de la durée du séjour de nos soldats sur le terrain. J’ai personnellement souhaité que celle-ci passe de quatre à six mois. Pourquoi ? Permettez-moi d’employer un anglicisme, mais il faut que les soldats et leurs chefs, sur le terrain, soient in the mood, qu’ils soient pénétrés de l’esprit de leur mission. Or, quatre mois ne suffisent pas : on arrive, on met un mois pour s’installer, on remplit sa mission pendant deux mois et l’on repart. Les Américains, quant à eux, restent plus d’un an sur le terrain. Le général américain qui commande la RC-Est est là depuis quinze mois. On ne peut pas conduire des actions de ce genre si les personnes ne passent pas un certain temps sur le terrain. J’ai entendu les réactions provoquées par ma prise de position : j’en ai d’ailleurs discuté avec les soldats du 8e RPIMa et ceux du 3e RPIMa, qui va remplacer le régiment de marche du Tchad. Comme je l’ai déjà indiqué, je suis très préoccupé par la banalisation du métier militaire. J’estime qu’un soldat doit être capable de partir six mois en opération, et qu’il doit être soutenu par sa « base arrière ». Je sais bien que la décision d’allonger la durée du séjour de nos soldats sur le terrain a suscité de nombreuses réticences de la part des familles. Il sera d’ailleurs intéressant d’observer l’impact de cette affaire du col d’Uzbeen sur nos recrutements et sur les contrats des personnes actuellement sur le terrain ; je suis pour ma part convaincu qu’il sera faible.

Comme vous l’avez sans doute vous-mêmes constaté, j’ai été frappé par la détermination de nos soldats sur le terrain. Cette affaire a provoqué une prise de conscience et stimulé leur détermination car elle rappelle à chacun ce que signifie« être soldat ». Il est vrai que, depuis, dans de nombreuses familles, on incite les jeunes à ne plus s’engager. Les Américains ont connu cela. Pour en avoir discuté avec mon homologue britannique, je sais que toutes les armées qui s’engagent dans des opérations plus dures connaissent un temps d’ajustement ; nous n’y échapperons pas. Je pense malgré tout qu’il convient d’augmenter la durée des séjours si l’on veut que nos unités soient plus performantes, leurs chefs davantage in the mood, dans l’esprit de la mission, et leur instinct mieux aiguisé. Dans ce type d’opération, il faut sentir les choses. Pour cela, il faut être immergé, et cela n’est possible qu’en passant un certain temps sur place.

J’en viens à la question de la visite des familles sur le théâtre des opérations. La décision a été prise, je ne ferai donc aucun commentaire. Je vous rappelle simplement que nous avions fait la même chose – dans un contexte très différent – pour les victimes de Bouaké, dont les familles avaient été invitées à se rendre sur le terrain. Il est évident que l’exercice deviendrait difficile si le rythme de nos pertes s’accélérait.

M. Jacques Remiller. Certains rescapés, encore hospitalisés ou rentrés dans leur famille, semblent infirmer la thèse officielle. Pouvez-vous, mon général, nous faire part de votre point de vue sur cette question ?

Par ailleurs, lors de son audition, le ministre de la défense a évoqué la faiblesse des moyens aériens et la question des drones. Ce sujet relève peut-être du secret défense, mais je me permets de vous poser la question que j’ai posée au ministre et à laquelle il n’a pas répondu : à l’époque de la guerre entre les Soviétiques et les Moudjahidins, ces derniers possédaient des missiles Stinger, qui leur permettaient d’abattre les moyens aériens de leurs adversaires. À votre connaissance, les talibans disposent-ils aujourd’hui de telles armes, qui, selon certaines sources, leur auraient été transmises – ce qui pourrait expliquer la faiblesse des moyens aériens mis en œuvre pour protéger nos soldats ?

Mme Patricia Adam. Personne ici ne met en doute le professionnalisme des hommes – et des quelques femmes – qui sont présents sur le terrain. Notre confiance en eux est totale. Il était important de le préciser, particulièrement étant donné le climat qui règne actuellement.

Je souhaite obtenir plus de précisions à propos des moyens, question à laquelle vous n’avez pas véritablement répondu. Quels sont les moyens qui vous manquent aujourd’hui en matière de renseignement – et, comme vous, je pense que le renseignement est essentiel –, d’équipement des hommes, de puissance de feu, d’hélicoptères ? Sachant que vous connaissez les réponses, j’aimerais que vous nous répondiez très précisément, d’autant que, avec l’examen du budget, nous allons aborder dans quelque temps les questions financières.

Par ailleurs, nous avons appris, par la presse et au cours de différentes rencontres avec des militaires, que certains d’entre eux, en particulier au sein de l’armée de terre, engagent leurs fonds propres pour s’équiper. Est-ce exact ? Si c’est le cas, comment remédier à une telle situation ?

M. Jean-Claude Viollet. Évoquant la coalition et ses difficultés, vous avez, mon général, cité Clausewitz, pour préciser nous ne nous retrouvons pas dans un environnement de ce type. Mais que pensez-vous de la coalition ennemie ? La présentation qu’en font nos alliés américains est celle de la lutte du bien contre le mal. À mon avis, cela ne correspond pas à la réalité des choses. Nous sommes face une coalition : aux nostalgiques du régime abattu en 2001 et aux djihadistes d’Al-Qaïda – qui, pour un certain nombre d’entre eux, ne sont pas afghans – viennent s’ajouter quelques seigneurs de la guerre au fonctionnement féodal bien connu. Parmi ceux-ci figure Hekmatiar, dont les liens avec les services pakistanais ne sont peut-être pas aussi distendus que cela. Si je cite ce personnage, c’est qu’il a été dit ici ou là qu’il pourrait ne pas être totalement étranger à une intervention située dans sa zone d’influence, compte tenu de ses visées sur Kaboul. N’oublions pas que les élections présidentielles auront lieu l’année prochaine et les élections législatives l’année suivante ! Ni le président Karzaï ni nos alliés américains ne consentiront à évoquer l’existence d’une telle coalition. Pour autant, qu’en pensez-vous ? Je n’attends pas de vous une réponse politique, mais une appréciation de militaire avisé, qui permette aux parlementaires que nous sommes de prendre leurs responsabilités. Et je fais référence ici à ce qui a été fait avec le Hamas à Gaza. Dans la population musulmane, les djihadistes sont ultra-minoritaires, ce qui n’est pas le cas des islamistes. Faute de pouvoir obtenir une victoire totale, un jour, la négociation devra s’imposer. Pour sortir de la crise, il faut savoir ce que nous cherchons.

Ma deuxième question porte sur les moyens déployés par rapport aux besoins. Le nombre de nos hélicoptères, par exemple, est déficitaire. Je pense en particulier aux Tigre, en très petit nombre au sein de nos forces. Ne pourraient-ils être déployés dans leur première version ? Quel est votre avis sur ce point, notre président ayant parlé de renforcer nos moyens avec quelques Caracal ?

Quant aux drones, nous savons que certains sont disponibles. Pourquoi ne sont-ils pas déployés ? Et si nous avons besoin de drones, pourquoi n’avons-nous pas recours, comme d’autres forces présentes sur le terrain, à la location ?

Je ne reviendrai pas sur les blindés.

Pour conclure, le Livre blanc fait expressément référence aux crash programs, qui correspondent à l’urgence d’une intervention à l’extérieur. Hier, lors des universités d’été de la défense, j’ai indiqué qu’il nous faudrait prendre la responsabilité politique de dire au Gouvernement que s’il en était besoin, les acquisitions et locations de matériel devaient être faites sur la ligne budgétaire consacrée aux OPEX. De deux choses l’une : ou bien l’on considère qu’il y a des besoins en Afghanistan, et on les satisfait par ce biais, ce qui permet à nos forces de remplir leur mission ; ou bien on ne les satisfait pas, et il ne faut pas envoyer de forces ! Mais ce n’est pas de votre responsabilité, mon général : c’est notre responsabilité de parlementaires, et c’est la raison pour laquelle je tenais à évoquer ici ces deux points.

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état major des armées. Monsieur le député, je partage totalement vos propos !

Je voudrais dire à M. Remiller qu’il n’y a pas de thèse officielle, mais seulement une vérité, celle des faits. J’ai demandé au colonel Paulet, ancien commandant du 2e régiment étranger de parachutistes de reconstituer cet accrochage dans son ensemble. Pour cela, il a interrogé tous les blessés, notamment le chef de section – je les ai moi-même rencontrés. Après avoir confronté toutes les informations, nous avons reconstitué les événements, notamment les conditions de la mort de nos neuf camarades – le dixième étant décédé dans un accident de VAB. À Kaboul, les journalistes se sont précipités sur les blessés et chacun d’entre eux a raconté ce qu’il avait perçu sur le terrain, sans avoir une vision d’ensemble. Vous avez d’ailleurs remarqué que des informations contradictoires nous étaient parvenues. Je comprends que l’on puisse douter des déclarations du commandement, mais j’ai trouvé regrettable que nous soyons suspectés d’emblée, ce qui n’était pas loin d’une accusation. Je sais bien que c’est la règle de la démocratie et de la liberté de la presse, et je prends cela comme une donnée de terrain. Mais il n’y a pas de thèse officielle, qui aurait été inventée comme au temps du Second Empire et qui contredirait ce qu’ont déclaré les blessés.

S’agissant des missiles Stinger, si les talibans en possèdent ils ne les utilisent pas. La coalition possède la suprématie aérienne, mais cela ne signifie pas que les hélicoptères soient la panacée : les talibans en ont abattu plusieurs. Au cours des dix derniers jours, nos hélicoptères ont subi six agressions : tirs d’armes légères ou de RPG-7. Des hélicoptères américains ont été détruits au début de l’OEF en 2002-2003, occasionnant plusieurs dizaines de victimes, notamment au cours de missions de reconnaissance. Il est évident que si nous avions mis en place des hélicoptères le 18 août et que ceux-ci avaient été abattus, les mêmes qui nous critiquent pour avoir conduit une reconnaissance à pied auraient trouvé cela incompréhensible. À ma connaissance, les talibans n’ont pas d’armement du type que vous évoquez, et heureusement, car leurs capacités tactiques sont tout à fait remarquables.

L’un des blessés nous a confié qu’il attendait une intervention des A-10 dès leur arrivée. Mais si nous l’avions fait, les tirs auraient été fratricides. À cet égard, je rappelle que l’examen des corps de nos soldats a permis d’écarter l’hypothèse de tir fratricide !

J’en viens aux questions sur les équipements ; si vous le permettez, je vais les regrouper, tout en essayant de répondre aussi précisément que possible.

Je souscris tout à fait à la dernière partie de votre intervention, monsieur le député Viollet. On peut rêver que tout bataillon français soit déployé avec ses hélicoptères, ses drones et sa batterie propres. Hélas, l’armée française n’est pas taillée de telle sorte qu’un équipement aussi riche soit envisageable. En revanche, nous faisons partie d’une coalition, ce qui fait que sur le terrain, il y a mutualisation des moyens ; dans l’affaire d’Uzbeen, nous avons ainsi pu bénéficier d’avions, d’hélicoptères et de drones de la coalition. Ainsi, dire que nous sommes dépourvus de drones est vrai à l’échelle du contingent français, mais pas à l’échelle de la coalition. Le colonel Aragones, qui commande remarquablement son bataillon dans la vallée de Kapisa, réalise toutes ses opérations avec des drones. Toutefois, ce n’est pas une excuse au manque de moyens.

S’agissant précisément des drones, je réclame depuis longtemps que tous les détachements français partant sur le terrain en disposent. J’en avais demandé pour le Liban ; des considérations diplomatiques ont fait que nous avons dû les retirer. Dans les réflexions en cours, cette question est au premier plan. Nous disposons de systèmes de drones tactiques intérimaires (SDTI), de systèmes intérimaires de drones MALE (SIDM) – encore qu’ils soient en phase d’acquisition; je fais tout mon possible pour que les délais administratifs de mise en service soient réduits au minimum –, et de drones de reconnaissance au contact (DRAC), dont nous avions quelques unités au Kosovo. Des propositions seront donc faites en ce sens. Cependant, ne croyons pas que cela résoudra tous les problèmes : les opérations de guerre ne sont ni un modèle mathématique, ni un jeu vidéo. Elle ne se réduit pas à reconnaître le terrain, déployer des drones, repérer les talibans et leur envoyer des avions les tuer ! Nous ne devons pas sous estimer l’adversaire ! Il trouvera des parades !

À toutes les conférences de génération de forces, l’OTAN manque d’hélicoptères, parce que les nations ne veulent pas en donner. Nous devons nous demander quel effort nous pouvons faire en ce domaine – sachant que, là encore, ce n’est pas la parade absolue. Quant aux Tigre, dans l’état actuel de mes informations, leur déploiement opérationnel imposerait des délais plus difficilement compressibles que ceux des SIDM.

S’agissant du renseignement, celui-ci passe d’abord par des capteurs humains : tous les hommes sur le terrain sont des agents de renseignement, et c’est au chef d’agréger leurs informations. Toutefois, nous devons chercher à augmenter encore nos capacités, grâce notamment à de nouveaux équipements – ce que je proposerai. Nous devons en outre utiliser des drones, les satellites n’ayant pas toujours la souplesse nécessaire pour obtenir les renseignements adéquats.

S’agissant de l’équipement des soldats sur leurs fonds propres, il s’agit d’une faute de commandement : un chef militaire n’a pas le droit de laisser un soldat qui est sous ses ordres acheter un équipement au prétexte qu’il le trouve meilleur que celui que lui procure la République. Le commandement doit imposer aux soldats le port de l’uniforme, au sens large, ce qui inclut l’équipement : il s’agit, à mon sens, d’une des bases de la discipline. Aussi ai-je demandé au chef d’état-major de l’armée de terre de faire cesser ces achats à titre privé. S’il existe un équipement jugé intéressant, le commandement doit en tenir compte.

C’est en particulier le cas des moyens de renseignement technique ou des gilets pare-balles. Le chef d’état-major de l’armée de terre a pris le problème à bras-le-corps : toutes les troupes seront équipées du gilet S4. Soit dit en passant, ce modèle présente d’autres inconvénients par rapport au précédent.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Mon général, vous êtes passé rapidement sur les hélicoptères – au 9e ou au 1er RCP, on aurait parlé d’un passage ventral –, en vous contentant de signaler qu’il était pour l’instant compliqué de mettre en œuvre les Tigre. Quelques Gazelle ne pourraient-ils pas être envoyés en attendant ? En effet, l’appui-sol et la vision de la troisième dimension nous paraissent très importants.

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d'état-major des armées. Je suis parfaitement d’accord. L’utilisation de Gazelle-canon comme substituts des Tigre fait partie des mesures à étudier et à soumettre au Président de la République, avant présentation au Parlement.

M. Michel Vauzelle. Des soldats ont pu être choqués par les réactions de certains Français qui, bien qu’ils soutiennent, comme l’ensemble de la nation, notre armée, et admirent son courage et son professionnalisme, ont évoqué, avec quelque tendresse familiale, leur jeune âge et leur manque d’équipement. Mon général, pouvez-vous leur assurer qu’il ne s’agit nullement d’une critique qui leur est adressée mais, bien au contraire, de la marque affectueuse, quoique maladroite, du soutien de la population ?

S’agissant de la latitude dont bénéficient les commandements nationaux au sein de la coalition, vous avez indiqué ce qu’avaient décidé les Allemands et les Canadiens en ce qui concerne les conditions d’intervention de leurs troupes, mais vous n’avez pas évoqué ce qu’il en était du côté des Français. Pouvez-vous préciser si l’engagement des troupes françaises est soumis à des limitations particulières ?

Lors de la précédente audition, nous avons beaucoup parlé d’hélicoptères. Le ministre de la défense a eu un mot tout à fait inouï : il a dit qu’il courait après les hélicoptères… Cette phrase était particulièrement mal venue. D’abord, elle pouvait prêter à rire, alors que la chose n’est pas drôle sur le fond. Ensuite, nous disposons en Afrique d’appareils qui pourraient peut-être être utilisés pour protéger nos soldats. Cette décision, mon général, est de votre ressort et de celui du chef des armées.

Au cours de cette même audition, le ministre des affaires étrangères a évoqué des échanges d’expérience avec les Russes sur ce qu’ils ont appris avant leur retrait d’Afghanistan. Mon général, nos chefs militaires sont-ils en contact avec leurs homologues russes dans le cadre d’une coopération militaire ?

Enfin, comparativement à d’autres armées de la coalition, nos troupes évoluent dans une région extrêmement dangereuse, proche de la frontière du Pakistan, lequel, on le sait, constitue un précieux refuge pour les chefs talibans et pour ceux de Al-Qaïda. Pensez-vous qu’il soit possible de pacifier durablement les vallées de l’est de l’Afghanistan tout en étant tenus, comme viennent de le rappeler le nouveau président et le nouveau gouvernement pakistanais, de respecter l’intégrité territoriale et la souveraineté du Pakistan ?

M. Gérard Bapt. Pour prolonger la question sur les bombardements et les dommages dits « collatéraux », qui concernent de très nombreux civils et qui, politiquement, retournent les populations contre les forces de la coalition, qui en viennent à être considérées comme des forces d’occupation, je voudrais signaler un événement qui vient de se produire. Une action héliportée, avec peut-être l’appui de troupes au sol, a été menée sur le territoire pakistanais, provoquant la protestation des autorités pakistanaises. Selon la dépêche de l’AFP, un gouverneur local aurait même demandé que le peuple pakistanais riposte contre les forces de la coalition. À Kaboul, l’OTAN n’aurait pas été informée de cette action. S’agissait-il donc d’une opération Enduring Freedom – la dualité des structures rendant l’analyse stratégique particulièrement complexe ?

Ma seconde question porte sur le moral des troupes. Une polémique a surgi après la publication d’un reportage et de plusieurs photos ; par ailleurs, une vidéo circulerait sur Internet. Mon général, estimez-vous que la bataille de la communication que vous évoquiez tout à l’heure nécessite de limiter la liberté d’information ? Un de nos collègues a demandé qu’une enquête soit diligentée contre la journaliste de Paris Match à l’origine de la publication de ces informations. Nous souhaiterions connaître l’opinion du chef opérationnel sur ces questions qui engagent le fonctionnement de notre société.

M. Serge Grouard. Mon général, je souhaiterais obtenir quelques compléments d’information sur la mission du 18 août.

Tout d’abord, de quels renseignements préalables, notamment humains, disposaient nos troupes pour effectuer cette reconnaissance ? Dans votre exposé liminaire, vous avez dit que la vallée comptait 25 à 30 000 habitants : je suppose qu’un tel déploiement de forces ne passe pas inaperçu. L’adversaire, quant à lui, était de toute évidence bien renseigné. Qu’en savions-nous ?

Par ailleurs, quel fut le soutien immédiat apporté aux deux sections prises à partie ? En particulier, quel rôle ont joué les autres unités qui participaient à cette mission de reconnaissance ?

Enfin, je suppose qu’à l’occasion de ce genre de missions, d’autres unités sont mises en alerte, afin de venir en renfort si besoin est. Était-ce le cas le 18 août ? Si oui, ces unités sont-elles intervenues ? Quand et dans quelles conditions ?

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d'état-major des armées. S’agissant de l’emploi des unités nationales au sein d’une coalition, en l’occurrence l’OTAN, les États participants conservent évidemment la maîtrise de l’emploi de leurs forces. Ma responsabilité, devant le Président de la République, est de vérifier que les forces françaises sont employées conformément à ce qui fut décidé lors de la conférence de génération de forces au SHAPE. Leur action doit être conforme à l’esprit et aux règles de cette mission, qui s’inspire d’une résolution des Nations Unies. Il est évident que les nations doivent contrôler l’emploi de leurs forces.

Les difficultés commencent lorsque les restrictions qu’elles imposent rendent quasiment impossible l’accomplissement de la mission. Ce fut le cas au mois d’août 2006, lorsque, suite aux premiers combats lourds menés contre la coalition dans les régions du sud et de l’est, le commandant de la FIAS de l’époque n’a pas pu prélever sur les autres régions les unités nécessaires pour renforcer celles du sud. Il faut assouplir ce fonctionnement si l’on veut que l’action de la coalition sur le terrain soit plus efficace.

Quant à nous, nous n’avons pas présenté de caveat formel à l’OTAN. Toutefois, si un déplacement de forces françaises était réalisé dans une autre région que celle où nous sommes déployés, j’exercerais bien évidemment un contrôle opérationnel et ferais un compte rendu au Président de la République.

S’agissant des hélicoptères, il s’agit d’une denrée extrêmement rare, sensible et qui coûte cher. Quand on déploie un hélicoptère sur le terrain, il faut prévoir non seulement les équipages qui en assurent le fonctionnement, mais aussi un ensemble de soutiens nécessaires à son fonctionnement. Tous les jours, je fais établir une situation détaillée, afin de savoir où se trouvent nos appareils. Vous avez raison, monsieur le député Vauzelle : certains sont déployés en Afrique – ou ailleurs – et la logique voudrait qu’on les concentre sur les théâtres d’opération, en fonction des besoins. Toutefois, aux conférences de génération de forces de l’OTAN, on voit bien que c’est pour les hélicoptères que les nations montrent le plus de réticences. Certes, nous pourrions fournir davantage d’appareils, mais il faut garder mesure : nous autres Français n’avons probablement pas besoin de déployer cinquante hélicoptères en Afghanistan.

M. François Lamy. De deux à cinquante, il y a de la marge !

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d'état-major des armées. Nous pouvons faire mieux. Cependant, je le répète, nous bénéficions de la mutualisation des moyens au sein de la coalition. Dans l’affaire du col d’Uzbeen, nous avons ainsi obtenu le soutien, suivant les normes de l’OTAN et de la FIAS, d’hélicoptères américains de la FIAS.

S’agissant de la coopération avec les Russes, elle consiste à tirer tous les enseignements de l’intervention russe en Afghanistan. C’est la tâche de la direction du renseignement militaire, non celle des forces déployées sur le terrain. Ce travail de renseignement se passe bien. Il existe encore en Afghanistan de nombreuses caches d’armes datant de l’époque soviétique ; la coalition en détruit presque tous les jours, remplies de mines, de munitions, de roquettes soviétiques. Et tous les jours, les insurgés tirent des roquettes contre les FOB. Il faut dire que, dans leur tactique, ces attaques tendent à s’ajouter aux IED, aux attentats suicides et aux embuscades. C’est pourquoi je m’emploie à mieux protéger les FOB.

Comme l’ont montré l’Afghan Compact de Londres et le conseil stratégique de l’OTAN au sommet de Bucarest, les contacts avec le Pakistan et l’Iran sont au cœur de la stratégie de la coalition. Une action déterminée du Pakistan sur les camps d’entraînement terroristes et les déploiements abondants de talibans sur son territoire serait l’un des meilleurs remèdes aux difficultés de l’Afghanistan. Mon homologue américain, le général McMullen, a d’ailleurs reçu la semaine dernière le chef d’état-major pakistanais sur le porte-avions américain Abraham-Lincoln, qui croisait au large des côtes pakistanaises, afin de lui demander d’accentuer son action. L’idée d’une concertation rapide et efficace, à un niveau restant à définir, afin de persuader le Pakistan de faire sa part du travail, fait son chemin. Elle me paraît essentielle.

En ce qui concerne la presse, ce n’est certainement pas moi, serviteur de la nation, qui appellerai à la bâillonner : ce serait une maladresse absolue. Cependant, il est choquant de constater qu’une journaliste peut avoir accès à des terroristes ayant tué des soldats de son pays. Cela provoque un certain malaise. La liberté de la presse est un trésor à préserver, mais comme le disait Clemenceau, la liberté est le droit de se discipliner soi-même pour ne pas être discipliné par les autres. La presse doit donc faire preuve d’une certaine mesure.

J’étais présent lorsque, à la FOB de Tora, les parachutistes ont appris par la télévision la publication des photos de Paris Match. J’ai été impressionné par le silence réprobateur avec lequel ils ont accueilli cette nouvelle.

La question du renseignement est particulièrement complexe. Bien sûr, à un certain moment, l’événement annoncé à de nombreuses reprises finit par se produire. Ainsi, lorsque j’étais à la FOB de Tora, une threat warning a été transmise : on annonçait qu’une attaque aurait lieu dans la nuit. Que faire dans un tel cas ? Partir, se réfugier dans des abris ? J’ai choisi d’aller me coucher. C’est le flair, la faculté de faire le tri dans les renseignements qui fait la différence, et c’est difficile. Bien sûr, on peut faire des erreurs, mal sentir les choses. Et au bout du compte, on vous dit toujours : « on vous l’avait bien dit ».

Le caractère instantané du traitement de l’information a complètement modifié le travail de l’état-major. Vous avez dû le voir sur place, on est informé en permanence de tous les événements concernant la coalition, ce qui permet, à chaque fois, le choix des moyens les plus adaptés. Ainsi, des A-10 tournent en permanence dans le ciel afghan. On a une meilleure idée du contexte de l’accrochage d’Uzbeen lorsque l’on sait que ce jour-là, cinquante opérations du même genre étaient en cours.

Vous m’avez interrogé sur les sections engagées en Uzbeen. La première section française a pris le col ; la seconde a été immédiatement fixée par des tirs nourris, ce qui montre que l’affaire était bien montée. Je vous ai expliqué comment les renforts de la FOB de Tora sont arrivés sur le terrain dans un délai d’une heure et ont permis, en engageant le combat, de faire relâcher la pression sur la section rouge. Les premiers appuis étaient rendus difficiles par le feu des talibans et l’imbrication des forces. À vingt heures, 300 soldats français étaient présents.

Dans le cadre de la formation de l’ANA, toute force de la coalition qui part en opération doit être accompagnée de troupes afghanes. Cela complète l’action des OMLT. Les deux sections françaises étaient donc accompagnées de deux autres sections composées d’une quinzaine d’hommes. L’une était une unité de la garde présidentielle chargée de surveiller un barrage situé en contrebas, et n’était pas habituée au combat. L’autre aurait dû se trouver en tête, la règle étant de placer les Afghans devant puisqu’il s’agit de défendre leur pays. Mais leur véhicule est tombé en panne et ils ont été retardés. Cette section a été prise sous le feu, comme la section rouge, et s’est comportée très honorablement.

M. Jean-Pierre Kucheida. Je vous ai écouté, mon général, avec beaucoup d’intérêt. Je suis moi-même allé en Afghanistan il y a un peu plus de deux ans, en tant que représentant de l’UEO. J’ai donc pu apprécier la qualité de nos soldats, dont on ne peut mettre en doute la bravoure.

À propos d’Uzbeen, je souhaite savoir pourquoi on n’a pas utilisé, à titre préventif, des drones pour connaître la situation sur le col avant d’y envoyer des soldats.

Je partage votre avis en ce qui concerne la rotation des troupes. En étant présentes sur le terrain six mois au lieu de quatre, elles seront sans doute plus efficaces. Néanmoins, lorsque les troupes fraîches arrivent, celles qui partent emportent avec elles leur expérience du terrain. Ce problème reste entier.

Je n’approuve pas la façon dont nous opérons en Afghanistan. J’ai d’ailleurs cru déceler certaines réticences dans votre propos : vous avez employé plusieurs fois le terme de « guerre », pourtant évité il y a une semaine par M. Morin ; et vous avez souligné que l’action de l’adversaire était de plus en plus efficace et sa détermination toujours plus grande. J’étais moi-même pessimiste en quittant l’Afghanistan il y a deux ans, d’autant que j’avais eu la chance de découvrir le pays en 1964, bien avant l’invasion soviétique. C’est pourquoi je souhaite vous interroger sur la question des effectifs. En prenant en compte l’armée afghane, ce sont, dites-vous, 100 000 soldats qui sont actuellement engagés dans un pays de 40 millions d’habitants et de 700 000 kilomètres carrés, dont la topographie est particulièrement tourmentée. Or les armées impliquées, de quelque origine soient-elles – car il ne fait pas de doute que la population ne fait aucune différence entre les Américains, les Canadiens, les Français, les Allemands ou les Italiens – sont clairement perçues comme des armées d’occupation, et je crains fort que les gens qui s’engagent dans l’armée afghane ne passent pour des collaborateurs. Tout cela n’est pas une bonne chose lorsque l’on connaît un peu la culture du pays.

Cent mille hommes, ce n’est pas grand-chose, surtout lorsque l’on sait que les Soviétiques, en leur temps, en ont engagé au moins 150 000 sans parvenir à leurs fins. Je vous pose donc la question : combien faudrait-il de soldats pour régler le problème afghan, et la meilleure solution ne serait-elle pas de quitter le pays ? Quand je lui ai posé la question, Mme Michèle Alliot-Marie m’a répondu qu’il faudrait réunir les conditions politiques pour pouvoir partir.

M. Pierre Lellouche. Je souhaite joindre ma voix à celle, éminente, de Jack Lang – une voix qui a compté pendant la réforme constitutionnelle. En effet, la démocratie comme le consensus national, essentiel dans ce type de conflit, gagneraient à ce qu’une audition comme celle-ci soit connue des Français. Les propos du général sont passionnants, et il n’y a aucune raison de penser qu’ils doivent rester confidentiels. Plus nous serons transparents, plus nous aurons de chances de réunir un consensus, qui est une des conditions de la persévérance.

Dès lors que le président Sarkozy a décidé de nous faire passer, dans l’affaire afghane, du rôle de voyeur à celui de combattant, nous nous sommes retrouvés dans une logique de guerre. C’est d’ailleurs ce qui m’avait amené, à l’époque, à souhaiter, d’une part, que l’on revoie la stratégie avec nos alliés et, d’autre part que l’on donne au Parlement les moyens de contrôler cette opération, parce que l’on allait avoir des morts. En liaison avec François Lamy – il m’a semblé que l’opposition devait être associée –, j’ai donc demandé que la commission de la défense se consacre au conflit afghan, se fasse le relais de l’armée lorsque des besoins se font sentir et participe à l’élaboration du consensus. Je me réjouis qu’un rapport d’information soit envisagé. Mais je rappelle qu’en Afghanistan interviennent deux types de pays : ceux qui se battent et ceux qui ne se battent pas. Et les premiers, parmi lesquels nous n’étions pas jusqu’à une date récente, ont connu pas loin de 900 morts. Au moment où le président Sarkozy a pris sa décision, les Canadiens étaient sur le point de partir, car ils comptaient 90 morts et étaient à bout. Enfin, il faut rappeler que les Soviétiques ont engagé 150 000 hommes et en ont perdu 13 500. Il s’agit donc d’une affaire lourde. Et c’est une guerre, en effet.

De nombreuses questions se posent, et les rapporteurs devront accomplir un travail approfondi. Je me contenterai ce matin d’aborder deux points. Vous avez donné votre sentiment sur la question de l’articulation entre l’Alliance et l’OEF. Mais jugez-vous que sur le plan microlocal, lors de l’accrochage du 18 août, la coordination entre les officiers présents sur le terrain, notre commandement et l’OTAN se soit bien passée ? Serait-il possible que des opérations de forces spéciales survenues la veille aient conduit, sans que vous soyez au courant, à compliquer la situation ?

Deuxième question, dont la réponse est importante pour l’avenir. Le général Petraeus change de commandement et devient ainsi le responsable des opérations, aussi bien en Irak qu’en Afghanistan. Or il a déclaré en public que la stratégie employée ne marchait pas et qu’il avait bien l’intention de la remettre à plat. C’est une bonne nouvelle, parce que cela fait longtemps qu’elle ne fonctionne pas : le général Jones disait la même chose en quittant son poste de SACEUR. Les Français seront-ils associés à cette réflexion ? Allez-vous déléguer des officiers auprès du général Petraeus, afin qu’ils contribuent à redéfinir une stratégie, du moins sur le plan militaire ? Par ailleurs, mille autres questions se posent – sur la partie civile des opérations, sur la drogue, sur le rôle du Pakistan, etc. Mais dans l’immédiat, j’aimerais avoir votre avis sur ces deux aspects.

M. Christophe Guilloteau. Je ne souhaite pas revenir trop longuement sur la question du matériel. Mais j’ai vu, sur place, que des gilets pare-balles étaient placés sur les vitres de certains de nos camions. Cela fait mal, surtout quand on sait que chez les Allemands, le même camion est, lui, blindé.

Vous avez évoqué les téléphones portables. Je l’atteste : au fin fond de l’Afghanistan, on peut téléphoner vers le monde entier. En effet, par intérêt stratégique, les talibans ne touchent pas aux pylônes. En revanche, nos militaires souhaiteraient disposer de plus de brouilleurs. Allons-nous les leur donner ?

La France est impliquée dans un certain nombre d’opérations extérieures. Est-il nécessaire que les mêmes effectifs et le même matériel soient stationnés en Afrique et au Liban ? Ne faudrait-il pas réduire la voilure de certaines OPEX afin de redéployer ailleurs certains moyens ?

Enfin, nous étions sur place, il y a quelques jours, avec Guy Teissier, et on nous a détaillé à plusieurs reprises la chronologie des événements lors de l’embuscade. Or j’ai un point de divergence avec vous sur la question du JTAC : vous dites qu’il était présent, mais, sur place, on nous a expliqué qu’il n’y avait pas de guideur, mais un jeune en formation qui ne disposait pas du matériel nécessaire. Si nous avions eu un JTAC à nous, les choses ne se seraient-elles pas passées différemment ?

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées. Sur ce dernier point, je réponds tout de suite : il y avait le JTAC des forces spéciales américaines.

M. Christophe Guilloteau. Il n’était pas formé !

M. le colonel Patrice Paulet. L’équipe des forces spéciales américaines qui a accompagné les deux sections comprenait un JTAC. Il était en formation, vous avez raison sur ce point, mais avait toutes les aptitudes pour jouer ce rôle. Dans l’heure qui a suivi le TIC – selon la formulation désormais adoptée pour désigner la déclaration de l’action de combat, qui justifie les appuis –, un autre JTAC des forces spéciales américaines a été mis en place sur une des lignes de crête surplombant la zone. Il a permis de guider les tirs et l’action du Predator, qui s’est poursuivie jusqu’au lendemain après-midi.

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées. Le point essentiel, c’est que, dans les dix minutes, ce JTAC en formation a pris les contacts nécessaires pour que les A-10 soient dépêchés sur le site. On ne peut donc pas dire qu’il n’avait pas la capacité de faire venir des appuis aériens.

Je le dis de la façon la plus catégorique, la plus ferme et la plus nette : dans cette affaire – et je réponds ainsi à M. Lellouche –, la coopération entre le commandement français et le commandant de la FIAS a été parfaitement efficace. Nous avons vu arriver – comme c’est la règle – les A-10, les gunships, les hélicoptères d’appui – même si ces derniers, sous le feu, n’ont pu se poser tout de suite. Une opération des forces spéciales américaines a été immédiatement enclenchée. Elle a permis, le lendemain matin, de détruire deux caches et de tuer une quarantaine d’ennemis. Il n’y a donc rien à redire sur la coordination. Mais il ne faut pas oublier qu’il s’agissait de l’un des cinquante combats qui ont eu lieu ce jour-là.

J’en viens à la remise à plat de la stratégie de la coalition. Le général Petraeus a acquis, par son action en Irak, l’aura des grands chefs. Je précise au passage que nous sommes camarades de promotion à l’école de guerre américaine, qu’il est francophile et est un grand admirateur de Bigeard et de Galula. Lorsqu’il s’agit d’évaluer les effectifs nécessaires, il avance, lui, le chiffre de 400 000. Mais on peut évidemment citer tous les chiffres que l’on veut, et c’est pourquoi, pour ma part, je n’en proposerai aucun. C’est une question d’échelle et de volonté politique. Si, dans la vallée d’Uzbeen, nous avions un bataillon tous les vingt kilomètres, les choses se passeraient bien sûr différemment. Mais c’est moins le nombre qui compte que la volonté qu’il y a derrière.

Vous me demandez quelle peut être mon influence dans la définition de cette stratégie. C’est justement tout le sens d’un éventuel retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN : nous permettre d’avoir, en temps réel et en permanence, voix au chapitre. Bien que fournissant des troupes, nous n’étions auparavant pas présents à un niveau suffisant au SACEUR pour peser sur les décisions, mais les choses vont changer. C’est d’autant plus vrai que nous participons aux combats. Dans ce cas, le nombre d’accrochages est bien entendu proportionnel aux risques encourus. Si le nombre de TIC concernant les forces françaises augmente, comme pour les forces canadiennes, c’est parce qu’elles bougent !

J’en viens à la question des drones. Compte tenu des circonstances, la mission du 18 août a été lancée comme il le fallait. Ce bataillon avait déjà passé deux mois et demi dans la plaine de Chamali. Depuis le 8 août, trois actions impliquant la compagnie avaient déjà eu lieu dans cette région. La reconnaissance du col avait commencé l’avant-veille, interrompue par la nuit. Il était logique qu’elle soit poursuivie. Aucun élément n’incitait ces sections à lancer des reconnaissances préalables.

M. Jean-Pierre Kucheida. C’est bien dommage !

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées. Cela peut-être considéré à posteriori comme une mauvaise analyse de la situation, mais c’est la guerre !

M. Paul Giacobbi. En ce qui concerne les federally administrated tribal areas (FATA), c’est-à-dire les zones tribales du Pakistan, cela fait 150 ans qu’elles sont en cours de pacification – depuis 1850 à peu près.

M. Jacques Myard. Comme la Corse !

M. Paul Giacobbi. Sans rappeler les morts du passé, on constate que la pacification des zones tribales ne marche pas très bien. Ni les Britanniques, ni les Pakistanais n’y sont parvenus.

Quant à dire que le général Musharraf n’a rien fait… Les Pakistanais revendiquent 900 morts dans les FATA pendant la période où il était au pouvoir, et je les crois. Pacifier la région n’a rien de facile, et on ne peut pas demander au Pakistan de faire en quelques mois ce que les Britanniques n'ont pu faire en 150 ans. Au mieux, il y parviendra dans les 150 prochaines années !

Nous parlons beaucoup des effectifs de la coalition, mais qu’en est-il de ceux de la coalition d’en face, celle de nos adversaires, et de leur niveau d’équipement ? J’ai lu le chiffre de 20 000 insurgés : cela ne me semble pas considérable. Je me pose donc la question suivante : dans un pays comme l’Afghanistan, où beaucoup de gens sont armés – pour ne pas dire tout le monde – où toute la population est musulmane, où une grande partie de celle-ci est proche des idées wahhabites depuis 150 ans, comment fait-on pour distinguer un insurgé de quelqu’un qui ne l’est pas ? Cela ne semble pas très facile !

Enfin, nous sommes engagés dans une opération en Afghanistan pour réduire le risque terroriste à notre égard, mais également dans la région. J’observe qu’au cours de l’année qui vient de s’écouler, en Inde, le terrorisme islamiste a fait 1 000 morts, et cela risque de se poursuivre. Au Pakistan, au cours de la même période, on a déploré 1 200 morts. L’action de la coalition en Afghanistan a-t-elle réduit le risque terroriste dans la zone ? Je n’en suis pas intimement convaincu.

M. Loïc Bouvard. Devons-nous gagner cette guerre ? Bien sûr, comme l’a dit le président de la commission des affaires étrangères. Mais pouvons-nous réellement la gagner, et comment ?

Comment expliquez-vous qu’en dépit des efforts que nous déployons sur le terrain et du temps que la coalition a déjà passé là-bas, les talibans ne cessent de progresser ?

Comment expliquer que la culture du pavot soit en pleine expansion, en dépit des efforts qui ont été consentis pour l’éradiquer ?

On a souvent dit que le président Karzaï était le président de Kaboul. Le gouvernement afghan n’est-il pas ressenti par la population comme un gouvernement importé de l’étranger, malgré les élections qui ont eu lieu ? L’armée de la coalition n’est-elle pas considérée comme une armée d’occupation ? Mon général, moi qui vous parle, j’ai participé à la deuxième guerre. En 1944, j’étais dans le maquis et j’étais considéré comme un terroriste. Je sais que les soldats qui combattent contre l’armée d’un autre pays sont aidés par la population. La population afghane n’aide-t-elle pas les talibans ?

L’armée afghane est-elle sûre ? Vous dites en effet que tout le monde trahit tout le monde. Où en sommes-nous s’agissant de sa formation ? Combien y a-t-il de soldats afghans dans l’armée régulière ?

Les Américains vont augmenter leur contingent en transférant un certain nombre de soldats d’Irak vers l’Afghanistan – c’est d’ailleurs ce que disent les deux candidats à l’élection présidentielle. Pensez-vous que nous devrions faire de même ? Combien faudrait-il envoyer de soldats pour gagner cette guerre ?

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état major des armées. La question des effectifs de nos adversaires est une question que je pose moi-même régulièrement. Comme vous, je suis insatisfait des réponses qui me sont fournies. La réponse la plus intelligente, qui m’a été faite par un lieutenant colonel sur le terrain, est celle-ci : civilians by day, terrorists by night. Comme vous l’avez dit, il est extrêmement difficile de savoir qui est qui. En revanche, dans un schéma de guerre contre-insurrectionnelle, il est important de connaître l’organigramme de l’encadrement de l’adversaire, afin de le désarticuler et de le rendre ainsi moins efficace. C’est ce à quoi s’attache la coalition.

Des combattants sont parfois issus des villages, où, la veille, les contacts avec les habitants étaient excellents. On voit bien que ce type d’opérations est un puits sans fond. Je ne cesse de demander à la direction du renseignement militaire de m’affiner sa description des talibans. C’est un travail considérable. Vous aurez d’ailleurs l’occasion d’interroger son directeur sur ce point la semaine prochaine. Nous travaillons tous avec acharnement pour savoir qui commande les talibans, qui impulse leurs actions, qui les finance, quel est le rôle joué par certains pays qui financent la rébellion. Bref, le contexte est difficile et compliqué. Pour autant, est-ce une raison pour ne rien faire ? C’est toute la problématique de l’engagement de nos pays. En tout cas, s’agissant des coups que notre action porte au terrorisme, les chiffres sont incontestables.

M. Pierre Lellouche. Sans compter que l’Inde est visée, à travers l’Afghanistan, par les services pakistanais !

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état major des armées. En effet !

En ce qui concerne les effectifs, je ne me hasarderai pas à donner un chiffre. Cela dit, quand la FIAS a été créée lors de la conférence de Bonn, il ne s’agissait pas de quadriller le terrain, mais de déployer une force internationale d’assistance et de sécurité pour permettre, après avoir renversé le régime des talibans et détruit les camps d’entraînement de terroristes, la reconstruction du pays et la mise en place d’une armée afghane.

M. Jacques Myard. Nous en sommes loin !

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état major des armées. C’est ce qui explique l’encadrement et l’accompagnement systématique de l’armée afghane que nous pratiquons dans toutes nos opérations, la présence de deux sections de cette armée au col d’Uzbeen, les OMLT, etc.

Comme le disait pertinemment M. Myard, nous en sommes loin. Certes, mais nous faisons pour le mieux avec les moyens dont nous disposons.

Il y a tout de même des signes encourageants. L’un de vous a évoqué la progression des talibans. Certes, mais ils ont aussi pris des coups, qu’il nous est tout aussi difficile d’évaluer que leurs forces. En tout cas, nous savons qu’un important chef taliban a été tué lors de l’embuscade du col d’Uzbeen et qu’un deuxième, blessé, a été capturé le lendemain. Aujourd’hui, nous constatons, dans certaines zones, un regain d’intérêt de la part de la population, mais, dans d’autres, son comportement reste hostile.

Il y a quelques temps, j’ai rencontré près de la FOB de Nijrab, une unité de l’armée afghane, commandée par un lieutenant afghan, lequel était accompagné d’un capitaine de Marines et de l’un de ses lieutenants, tous deux très sympathiques et appartenant aux embedded training teams. Trois jours après, un IED les a frappés dans un ouadi, au pied de la FOB de Nijrab : les véhicules de l’armée afghane et les deux véhicules du 8e RPIMa sont passés, mais l’humvee des Américains a été pulvérisé, tuant du même coup le capitaine et son lieutenant. Les talibans connaissaient donc parfaitement l’ordre de passage des véhicules.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Je vous remercie, mon général, pour toutes les précisions que vous nous avez apportées.

M. le général d’armée Jean-Louis Georgelin, chef d’état major des armées. Je vous remercie, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, d’avoir bien voulu m’interroger.

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