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Commission des affaires étrangères

Mercredi 17 septembre 2008

Séance de 15 h 00

Compte rendu n° 68

Présidence de M. Axel Poniatowski, Président

– Compte rendu du déplacement effectué en Afghanistan par MM. Jean-Michel Boucheron, Philippe Cochet et Jean-Paul Lecoq

Compte rendu du déplacement effectué en Afghanistan du 30 août au 3 septembre 2008 par MM. Jean-Michel Boucheron, Philippe Cochet et Jean-Paul Lecoq

M. Jean-Michel Boucheron a tout d’abord indiqué que, des quelque 15 missions en zones de guerre qu’il avait effectuées au cours de sa vie de parlementaire, celle-ci avait été l’une des plus intenses.

Il a indiqué qu’avec ses collègues, ils avaient pu s’entretenir avec le général Stollsteiner, se déplacer en ville et aller inspecter le dispositif français en hélicoptère Caracal. La mission s’est également rendue dans la zone de Kapisa, à l’Est de Kaboul et sur plusieurs postes avancés, dont celui de Tora, où a eu lieu l’embuscade dont ont été victimes les soldats français.

M. Boucheron a déclaré avoir retiré de cette visite un sentiment général très positif. Il a tenu à souligner la très haute qualité et le courage des personnels rencontrés, compte tenu des difficultés de déplacement. A ce sujet, il a mentionné le fait qu’en un jour et demi de séjour à Kaboul, trois attentats à la voiture piégée avaient eu lieu sur une même avenue. Nos militaires font preuve de calme et d’organisation, sans esprit de revanche ni déprime, malgré la mort de dix des leurs. Dans d’autres postes avancés, le danger est autre qu’à Kaboul, puisque les lieux sont visés par des attaques à la roquette.

A Kaboul, la mission parlementaire s’est rendue auprès des unités chargées de la formation de l’armée afghane (OMLT - Operational Mentoring Liaison Teams). Le bilan y est aussi très encourageant et l’on peut considérer que l’armée afghane peut dès à présent compter sur 30.000 hommes solidement formés, même si des interrogations subsistent quant aux défections.

M. Boucheron s’est déclaré fortement impressionné par le déplacement effectué à Kandahar d’où décollent des avions et drones toutes les deux minutes. Y est présent un dispositif extrêmement important, dont un détachement de l’armée de l’air française, de type traditionnel, avec des Mirage, ou des Rafale. Enfin, à Douchambé, plus sécurisé, est basé le soutien logistique aérien pour Kaboul.

M. Boucheron a ensuite fait part à la commission de la série de réflexions que lui a inspiré ce déplacement.

– La qualité des hommes : tant les officiers que les soldats font preuve de grand professionnalisme ; ils expriment la satisfaction d’être en mission après leur formation et ont été meurtris de certains commentaires qui ont pu être faits en France après la perte de leurs camarades.

– La guerre à gagner est celle de l’opinion publique afghane. Cette victoire passe par la sécurisation du terrain. C’est ce que faisaient les soldats français qui sont tombés : ils protégeaient une zone dans laquelle il est prévu de construire une route située sur un axe des plus stratégiques, celui allant de Peshawar à Kaboul. En opérant de la sorte, ils gênaient les talibans et c’est la raison de l’embuscade. Comme autre exemple d’opération de sécurisation, M. Boucheron a mentionné l’appui de forces d’aviation à un convoi de transport d’une turbine hydroélectrique. Il a insisté sur le fait qu’il n’y a aucune espérance de développement du pays si la sécurisation n’est pas réussie. Il a souligné que, le monde rural afghan étant moyenâgeux et bigot, il était donc important de maintenir une présence physique de nos soldats sur place pour pouvoir garder le contact avec les populations et ne pas laisser le terrain uniquement à Al Qaïda. La guerre technologique peut certes être payante militairement mais elle reste vouée à l’échec sur le plan politique si rien n’est entrepris en direction des populations pour contrebalancer l’influence d’Al Qaïda.

– Il faut aussi sensibiliser l’opinion publique française qui ne fait pas de différence entre l’Irak et l’Afghanistan, alors que les situations et enjeux sont très différents et que le véritable risque est dans ce dernier pays.

– Les insurgés se composent de trois pôles distincts : Al Qaïda, les talibans du Mollah Omar et les seigneurs de la guerre. Ce sont trois groupes différents et une bonne gestion politique, voire financière, devrait conduire à une division de cette coalition.

– Il y a deux opérations distinctes en Afghanistan : l’ISAF et « Enduring Freedom ». Celle-ci n’est conduite que par les Etats-Unis, sans que l’on sache ce qui s’y passe. La plupart des bavures qui ont lieu sur le terrain résultent des actions menées dans le cadre d’Enduring Freedom et ont un effet négatif sur l’image de l’ensemble des alliés. Il conviendrait d’évoluer et d’envisager de regrouper toutes les opérations dans le cadre de la FIAS. Le président Sarkozy pourrait engager les négociations avec les Américains sur cette question. Cela étant, la capacité de négociation sera inévitablement liée à notre capacité sur le terrain : la France a deux hélicoptères, les Etats-Unis 350.

– L’armée française a déployé l’ensemble de ses effectifs s’agissant des OPEX. S’il faut renforcer certains dispositifs, il conviendra d’effectuer des choix. M. Boucheron a estimé que l’Afghanistan constituait une priorité et qu’il nous faudrait à cet égard nous interroger sur le fait de savoir s’il est opportun de maintenir 2.000 hommes au Liban, au Darfour ou en Côte d’Ivoire.

– Il faudra du temps. Les temps politique et médiatique français ne sont pas les mêmes que le temps afghan. Pour autant, il ne faut pas être pessimiste : les représentants d’Al Qaïda sont considérés comme des étrangers, au moins autant que nous. En ce sens, provoquer une fracture entre les talibans et Al Qaïda ne devrait pas être hors de portée.

– Aucune nouvelle initiative ne peut se prendre avant 5 ou 6 mois, à savoir avant la prise de fonction du nouveau président américain. Il y aura des politiques et des approches différentes selon le candidat élu et, par conséquent, autant d’incertitudes d’ici à février 2009.

Après avoir remercié M. Jean-Michel Boucheron, le président Axel Poniatowski a déclaré retenir de ce compte rendu deux éléments essentiels : en premier lieu, l’opération « Enduring Freedom », soulève des interrogations et son incorporation à l’ISAF serait opportune. En second lieu, concernant nos priorités en matière d’OPEX, il a partagé les réserves de M. Boucheron quant à l’opportunité de maintenir, s’il nous faut redéployer nos forces, des contingents aussi importants sur certains théâtres comme le Darfour, dont la nature des problèmes relève plus de l’ONU ou de l’UE que de la France. Il a rappelé que notre mandat y était limité à la fin de l’année.

Le président Poniatowski a ensuite donné la parole aux membres de la commission qui souhaitaient intervenir.

M. Jacques Myard a souligné que la grande différence entre l’opération « Enduring Freedom » et la FIAS résidait dans le fait que la première était menée par les seuls Américains, alors que la seconde était constituée par une coalition. Cette seconde forme n’a d’ailleurs été choisie que parce que les Etats-Unis, dont une grande partie des forces était occupée en Irak, n’avaient pas les moyens d’agir seuls. Sur le fond, ils auraient préféré ne pas recourir à une coalition après l’expérience difficile qu’ils en avaient eue dans les Balkans.

M. Myard a indiqué qu’il ne partageait pas l’optimisme de M. Boucheron sur les effets positifs de la construction de routes, laquelle permettrait l’ouverture du pays et un recul de l’extrémisme religieux. En effet, les islamistes ont souvent un haut niveau d’éducation et sont occidentalisés. L’ouverture ne signifie pas le renoncement à l’islamisme.

Rappelant les propos du général Puga devant la commission sur la propagande des talibans dénonçant la « sensiblerie » de l’Occident, Mme Marie-Louise Fort a demandé à M. Boucheron s’il avait eu l’occasion d’interroger les soldats français sur leur réaction à la présentation donnée par les médias de leurs missions en Afghanistan et à l’utilisation des médias par les talibans.

M. Henri Cuq a constaté qu’il était reproché au Président Karzaï de ne pas suffisamment travailler à accentuer les clivages au sein des différents mouvements politiques qui agitent le pays. Alors que les Européens et les Américains ont échoué sur ce point, qui d’autre que le Président afghan pourrait y parvenir ?

Mme Danielle Bousquet a approuvé l’idée que la bataille se menait aussi auprès de l’opinion publique afghane, mais elle s’est étonnée que les soldats occidentaux puissent discuter avec la population : en quelle langue ces conversations se tiennent-elles ? Les soldats recourent-ils à des interprètes ? Comment l’Occident pourrait-il faire entendre à l’opinion un autre discours que celui des talibans ?

Le Président Axel Poniatowski a enfin interrogé M. Boucheron sur le sens de son vote le 22 septembre prochain.

M. Jean-Michel Boucheron a précisé que la volonté américaine de contrôler entièrement l’opération « Enduring Freedom » était avant tout liée au fait qu’elle était dirigée contre Oussama Ben Laden et Al-Qaïda et supposait notamment des interventions secrètes au Pakistan, avec l’accord du gouvernement pakistanais.

Si certains islamistes sont occidentalisés et éduqués, l’essentiel de la population afghane vit dans des conditions moyenâgeuses et n’aspire pas nécessairement au fondamentalisme religieux.

Les soldats français ont été profondément blessés par les critiques faites dans les médias à leur jeune âge et à leur prétendu manque de formation. Certains sont aidés par des interprètes, mais, même sans parler de langue commune, ils ont des échanges avec les populations qui humanisent la présence militaire aux yeux des Afghans.

La marge de manœuvre du Président Karzaï se heurte aujourd’hui au poids des « seigneurs de la guerre », dont il faut absolument le libérer. Etant lui-même pachtoune, il est particulièrement bien placé pour intervenir efficacement en faveur de la stabilisation de la région à majorité pachtoune, où les troubles s’aggravent actuellement.

L’un des indices décisifs pour juger du fait que la coalition contrôle une vallée est la fréquentation des écoles par les filles.

Pour conclure, M. Boucheron a affirmé qu’entre les trois options qui s’offriraient à lui le 22 septembre, à savoir l’abstention, le vote positif et le vote négatif, il ne choisirait pas celle qui conduirait à rendre l’Afghanistan aux talibans.

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