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Commission des affaires étrangères

Mercredi 15 octobre 2008

Séance de 16 h 15

Compte rendu n° 6

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition du général Emmanuel Beth, directeur de la coopération militaire et de défense au ministère des affaires étrangères

– Information relative à la commission

Audition du général Emmanuel Beth, directeur de la coopération militaire et de défense au ministère des affaires étrangères

La séance est ouverte à seize heures quinze

M. le Président Axel Poniatowski. Nous avons le plaisir de recevoir le général Beth, directeur de la coopération militaire et de défense au ministère des affaires étrangères et européennes.

La coopération militaire, qui est un élément de notre action diplomatique, constitue l’un des vecteurs de notre présence dans le monde. Votre audition, mon général, nous permettra de mieux connaître vos missions, de nature multiple, que vous menez sur le continent africain, mais aussi dans le reste du monde. Vous nous direz d’ailleurs s’il est envisagé de développer de nouvelles coopérations, que ce soit en Amérique latine, en Asie ou avec d’autres pays émergents.

La coopération militaire et de défense étant assurée par des militaires, nous aimerions par ailleurs connaître la justification de son rattachement au ministère des affaires étrangères.

M. le général Emmanuel Beth, directeur de la coopération militaire au ministère des affaires étrangères et européennes. Il me semble en effet nécessaire de mieux faire connaître cet outil de notre politique étrangère qu’est la coopération militaire.

Bien que cette audition n’ait pas lieu dans le cadre des débats budgétaires, mais dans celui plus général de l’information du Parlement – c’est à ce titre que j’ai également été entendu au Sénat –, je ne pourrai cependant pas m’empêcher d’évoquer la question budgétaire au regard des perspectives devant lesquelles nous placent le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, ainsi que la révision générale des politiques publiques.

Au-delà du programme 105, à propos duquel M. Gérard Araud, directeur général des affaires politiques et de sécurité, a eu l’occasion de répondre aux interrogations de Mme Geneviève Collot, je m’attacherai à retracer l’évolution de la direction de la coopération militaire et de défense – DCMD – depuis sa création en 1998 et le dépôt du rapport d’information de M. Bernard Cazeneuve en 2001. Elle ne correspond pas en effet à l’image que l’on s’en fait parfois.

La DCMD constitue aujourd’hui un remarquable outil au service de notre rayonnement, de notre influence et de la stabilité dans le monde. Bien qu’elle s’inscrive toujours dans un contexte bilatéral, sa dimension multilatérale s’est affirmée. Elle est devenue un outil politique particulièrement performant, si l’on en juge par l’efficacité de cette coopération au regard des coûts limités qu’elle représente.

La direction de la coopération militaire et de défense, résulte de la fusion entre la mission militaire de coopération – MMC –, qui dépendait du ministère du même nom et s’occupait des pays dits « du champ », et la sous-direction de l’aide militaire – SAM –, rattachée au ministère des affaires étrangères chargée du reste du monde. Rattachée au ministère des affaires étrangères et européennes, elle constitue l’une des trois directions de la direction générale des affaires politiques et de sécurité et mène une action plus globale et mieux coordonnée.

L’organigramme de la DCMD est très classique : avec mon adjoint, M. Thierry Vankerk-Hoven, un diplomate, j’ai la responsabilité de deux sous-directions : d’une part, une sous-direction de la coopération militaire, dirigée par le colonel Patrick Bengler, chargée de l’Afrique subsaharienne ; d’autre part, une sous-direction de la coopération de défense, qui est dirigée par un diplomate, M. Bernard Laporte, et qui traite du reste du monde, ce qui va de l’Amérique latine à l’Afghanistan en passant par le Moyen-Orient et l’Europe orientale. Nous sommes aujourd’hui présents dans 141 pays, mais ce chiffre devrait beaucoup évoluer à compter de 2009.

À ces deux sous-directions opérationnelles s’ajoute un département des moyens – humains, financiers et autres – qui met en œuvre la coopération et qui est l’équivalent d’une direction générale administrative et financière.

Outre les questions de coopération militaire et de défense, nous avons également reçu pour mission, en 1998, d’assurer le suivi des accords de coopération et de tous les séminaires internationaux. Un séminaire traitant de l’Amérique latine nous a d’ailleurs réunis, monsieur le président, la semaine dernière.

La DCMD a par ailleurs repris une mission, parfois très sensible, autrefois confiée à la direction des affaires stratégiques : la question des survols et des escales des aéronefs d’État et des navires étrangers. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce sujet, d’apparence technique, est très politique.

Depuis trois ans, enfin, une cellule d’études et d’actions multilatérales nous assiste dans notre réorientation vers les actions multilatérales.

Comme l’observait le rapport Cazeneuve, il peut y avoir, parfois, dans l’esprit des non initiés, une confusion entre la coopération opérationnelle, qui relève du ministère de la défense, et la coopération structurelle, dont la DCMD a la charge. En effet, nous ne sommes pas responsables des exercices bilatéraux, des opérations d’entraînement, de la formation des unités constituées, du pilotage du programme EURO ReCAMP – Renforcement des capacités africaines au maintien de la paix – non plus que des cessions et exportations d’armements, qui relèvent, elles, de la délégation générale pour l’armement – DGA.

Chargée de la seule coopération structurelle, à vocation essentiellement préventive et post-conflit, la DCMD n’est pas directement impliquée dans les crises, même s’il peut y avoir une superposition des missions, comme ce fut le cas au Liban, en Afghanistan ou encore au Tchad. Son cœur de métier consiste à former des cadres et des élites, non des unités opérationnelles. En ce sens, nous ne sommes pas engagés directement en opérations et nos projets s’inscrivent avant tout dans la durée.

Nous participons, en revanche, à l’organisation des outils de défense, que ce soit en Afrique ou dans le reste du monde, par l’intermédiaire de missions d’audit et de conseil, et nous sommes engagés dans une coopération de plus en plus poussée avec les organisations régionales, notamment au titre de l’architecture de paix et de sécurité en Afrique, sachant que nous venons également en appui du projet EURO ReCAMP pour tout ce qui a trait à la formation.

En matière d’exportations, nous intervenons en aval des contrats, en particulier pour leur donner un certain caractère étatique. En Malaisie, un coopérant participe ainsi au niveau stratégique à la définition des concepts et de la doctrine intéressant les sous-marins Scorpène. Nous ne traitons pas les aspects techniques, travail qui relève plutôt de DCI
– Défense Conseil International –, de COFRAS ou encore de Navfco et Airco. De même, nous intervenons en Bulgarie dans le cadre d’un contrat d’aéromobilité, et au Maroc dans le cadre d’un contrat aéronaval, et ailleurs encore.

Les activités de la DCMD peuvent être différenciés selon les zones où la coopération s’applique.

En Afrique subsaharienne, il s’agit essentiellement de contribuer à la montée en puissance des outils nationaux et régionaux de paix et de sécurité et de gestion des crises. À ce titre, nous participons au renforcement de la stabilité et au développement.

Sur ce point, je fais d’ailleurs partie de ceux qui ne croient plus utile d’établir un strict cloisonnement entre le développement et la sécurité : quand on fait du développement, on fait de la sécurité, et réciproquement. Certaines de nos actions contribuent directement au développement, d’autres indirectement.

Nous contribuons par ailleurs à la constitution des outils de souveraineté, de l’État de droit et de la gouvernance. Nous participons également aux processus de sortie de crise en contribuant à la reconstruction des outils étatiques. C’est essentiellement vrai en Afrique, mais c’est aussi le cas ailleurs dans le monde, dans des États fragiles, en état de crise ou sortant de crise, y compris en Asie ou au Proche-Orient.

Hors de l’Afrique subsaharienne, notre action relève plutôt de la politique d’influence. Nous nous employons en effet à tisser des réseaux grâce à la formation des cadres militaires et diplomatiques et à l’organisation de séminaires internationaux. Le séminaire « Amérique latine », que j’évoquais tout à l’heure, comptait ainsi dix policiers ou hauts responsables de services de sécurité parmi trente participants. Outre la politique d’influence, un dernier champ d’action porte sur le soutien à l’exportation d’armement.

S’agissant des modes d’action, le cœur de notre métier consiste d’abord et surtout à former, et cela à tous les niveaux. Chaque année, nous finançons 1 500 stages en France, et autant dans les écoles nationales à vocation régionale (ENVR). Nous assurons également, en milieu militaire, des actions d’enseignement du français, qui font l’objet d’une demande exponentielle. C’est l’un des atouts de la francophonie.

Le chef d’État-major des armées sud-africaines m’a ainsi demandé récemment de former tous ses officiers – air, terre, mer – au maniement de la langue française, tout simplement pour une question de puissance, afin de pouvoir participer aux opérations de maintien de la paix et de la sécurité et d’être présents dans les instances internationales.

Cette action d’enseignement est également valable en Asie, dans des pays tels que le Kazakhstan ou le Kirghizistan, mais aussi au Moyen-Orient et partout dans le monde.

Bien entendu, il ne s’agit pas d’enseigner un français littéraire, mais pratique et opérationnel.

Nous réalisons également de nombreuses missions de conseil et d’audit, et nous apportons, enfin, de l’aide directe et du soutien technique. Il s’agit d’un véritable investissement, même si nous ne livrons plus d’armements : nous fournissons des systèmes d’information, de déminage et de maintien de l’ordre, mais aussi quelques éléments d’infrastructure – encore trop à mon goût – et des matériels techniques non militarisés.

L’administration centrale de la DCMD compte aujourd’hui 59 agents – 52 militaires et 7 diplomates. S’y ajoutent 337 coopérants permanents en 2008, qui seront 329 en 2009. Ces coopérants sont présents dans 45 pays, où nous formons 2 800 stagiaires en 2008 – soit, selon les années, environ 1 500 en France et 1 500 dans les ENVR. Enfin, outre l’aide directe et l’expertise, nous avons mené l’an passé 203 missions de courte durée, qui vont de quelques jours à plusieurs mois, dans tous les domaines – ressources humaines, administration, finances, maintenance, sécurité aérienne, action de l’État en mer, sécurité intérieure, santé militaire, etc.

Au total, ce sont 27 000 personnes par an qui sont concernées par nos actions de formation.

Le budget de la DCMD s’élève à 97 millions d’euros en 2008, contre 106 en 2007, sachant que le budget de 2009 sera inférieur à 88 millions d’euros.

La répartition de ce budget reste marquée par un tropisme africain. En 1997, notre action avait été largement réorientée vers l’Europe continentale et orientale afin de favoriser l’accession d’un certain nombre de pays à l’Union européenne. Plusieurs de ces États en font désormais partie, et un Conseil de défense qui s’est tenu en 2003 a réorienté notre action vers l’Afrique subsaharienne, où nous menons aujourd’hui près de 80 % de notre action.

Si l’on raisonne maintenant par sous-actions, 54 % du budget correspond aux coopérants déployés, c'est-à-dire à la masse salariale des coopérants. Viennent ensuite le personnel de l’administration centrale, pour 3 %, le soutien direct, c’est-à-dire les investissements, pour 6 %, et, enfin, la formation et l’expertise auprès des armées, cœur de notre métier au quotidien, pour respectivement 22 % et 14 %.

J’en viens aux écoles nationales à vocation régionale. Le concept a été forgé il y a une dizaine d’années, au moment où la politique africaine a été réorientée, de même que la coopération militaire. Ces écoles, surtout basées en Afrique, sont placées sous la souveraineté d’un pays – par exemple le Niger, le Mali, mais aussi la Roumanie, et peut-être bientôt la Bosnie. Cependant, leur champ d’action s’étend, en Afrique, à une zone très large. Si, dans les Balkans, les écoles sont à destination de la zone balkanique, elles sont, en Afrique, destinées à tout le continent, l’Afrique francophone restant encore majoritaire dans le dispositif.

Dans le domaine de la paix et de la sécurité, nous avons mis en valeur trois pôles d’excellence en matière de formation. Du fait de l’engagement croissant des pays africains dans les opérations de paix et de sécurité, la demande de formation augmente en effet considérablement. Ces pays comptent ainsi de plus en plus de troupes parmi les 25 000 casques bleus déployés au Darfour et les 14 000 autres engagés au sein de la MONUC au Congo, de même que dans des coalitions ad hoc organisées dans le cadre de l’Union africaine ou des organisations régionales.

Le premier pôle est l’école de maintien de la paix de Bamako, qui forme les états-majors des bataillons africains participant aux opérations de maintien de la paix. Construite avec l’aide de onze pays partenaires, et bientôt douze, cette école toute neuve, qui est un parfait exemple du multilatéralisme vers lequel nous tendons de plus en plus, est dotée des technologies les plus récentes. Aux pays fondateurs – le Mali et la France –, se sont en effet agrégés d’autres pays : l’Allemagne, les Pays-Bas, le Canada et le Japon – dont la participation de trois millions d’euros dépassera celle des autres participants –, sans oublier les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Danemark, la Suisse, la Belgique et l’Argentine.

Cet outil, qui forme les officiers des bataillons de tous les pays – francophones, anglophones et même lusophones – jouit d’une crédibilité grandissante sur le continent africain, au point que des équipes de formation ont été détachées en Ethiopie. Ce très beau projet, qui bénéficie d’une reconnaissance internationale, concrétise bien notre volonté de sortir du bilatéralisme – du face-à-face.

J’appartiens, il est vrai, à ceux qui voient encore dans le bilatéralisme la base de tout. Il me semble aussi que notre participation massive au Fonds européen de développement a conduit à perdre beaucoup de visibilité dans le domaine de la coopération civile. Il faut développer les actions multilatérales sur une base bilatérale ; sinon cela revient à construire sur du sable. Cela dit, le multilatéralisme nous confère une légitimité et une crédibilité plus fortes dans nos zones d’action. Le pôle de Bamako en est une démonstration extraordinaire.

Le deuxième pôle est le Centre de perfectionnement aux actions post-conflictuelles de déminage et de dépollution – CPADD. Situé au Bénin, ce centre de déminage humanitaire, est à la fois civil et militaire puisque des ONG viennent désormais suivre des formations. Il faut rappeler en effet que les ONG réalisent 60 % du déminage dans le monde.

Outre la France et le Bénin, le Canada et la Belgique soutiennent ce centre, et le Japon nous a fait savoir, la semaine dernière, qu’il était prêt à lui accorder une importante contribution financière.

J’ajoute que cette structure coopère avec le centre international de déminage humanitaire de Genève – CIDHG –, avec le service d’action anti-mines des Nations unies – l’UNMAS –, ainsi qu’avec de nombreux autres organismes internationaux.

Afin de répondre à une demande croissante, nous avons également lancé le projet d’un troisième pôle, l’école internationale de formation des forces de sécurité au Cameroun. Personne ne sait aujourd’hui en effet former les policiers et les gendarmes en Afrique, alors que 6 000 d’entre eux sont déployés au Darfour. Cette école pourrait voir le jour dans deux ou trois ans pour un investissement de 11 millions d’euros. Nous sommes donc dans une phase d’appel à contributions Le produit semble bien se vendre et l’école devrait donc pouvoir former environ 1 000 stagiaires par an, pour le plus grand bénéfice des Nations unies, de l’Union africaine et des coalitions ad hoc.

Outre ces pôles d’excellence dans le domaine du soutien de la paix, un pôle « formations spécifiques » a été mis en œuvre. Il rassemble un ensemble d’écoles centrées, dans un certain nombre de pays, sur des missions plus techniques, comme la santé militaire avec une formation aussi bien paramédicale que générale. Dans ce domaine, nous allons bientôt ouvrir une école de spécialisation au Gabon dans le magnifique hôpital de Mélen proche de Libreville.

D’autres écoles dites techniques installées au Burkina Faso et au Mali intéressent beaucoup l’Union européenne. Financées par cette dernière, les premières opérations africaines menées au Darfour, notamment l’AMIS, ont en effet permis de constater de graves défaillances dans le domaine de l’administration et de la logistique. Nos écoles qui forment des logisticiens (Burkina) et des spécialistes de l’administration (Mali) ont suscité l’intérêt. L’Union européenne s’intéresse également à tout ce qui a trait au domaine médical, du fait de la dimension civilo-militaire croissante des opérations et de l’implication des médecins militaires dans les actions de maintien de paix et les missions de « service civique » mais plus largement à ce qui relève de la sécurité.

Outre des pôles de police judiciaire dans le domaine de sécurité, nous avons enfin créé tout un ensemble d’établissements à vocation militaire, dont la mission est de former des officiers de différents niveaux. Un collège interarmées de défense sera ainsi inauguré cette année au Cameroun. Plus de vingt-cinq pays africains participeront à la première session, et la France enverra des stagiaires afin de garantir la crédibilité du dispositif.

Le principal intérêt de ces écoles nationales à vocation régionale est en effet de répondre à des standards internationaux, même s’ils sont adaptés au contexte, par exemple dans le domaine de la maintenance.

De nombreux autres projets sont à l’étude, notamment dans le domaine des services de santé – à l’exemple de l’école d'application de santé militaire de Libreville –, mais aussi de l’action de l’État en mer. Une très forte demande existe en la matière compte tenu des problèmes de piraterie qui se posent dans le Golfe de Guinée, dans la Corne de l’Afrique.

Il faudrait également citer un projet dans le domaine de la protection civile à Madagascar, un projet d’IHEDN africain à Addis-Abeba, ainsi qu’un projet d’école saharienne de sécurité, qui est directement soutenu par l’Élysée afin de traiter des problèmes du Sahel.

Toutefois ces projets ne pourront pas être réalisés sous une forme bilatérale, car nos finances ne nous le permettent pas. S’ils voient le jour, ce sera sous une forme multilatérale.

Quelques mots enfin sur le projet d’école du génie à Brazzaville, qui n'est pas une école de génie strictement militaire. Former des conducteurs de travaux, contribue en effet à la paix et à la sécurité, mais aussi au développement – en les faisant participer, par exemple, à l’ouverture de pistes – et à la réinsertion, ainsi qu’à d’autres actions de post-conflit comme le DDR – Désarmement, Démobilisation, Réintégration.

Le réseau des ENVR est naturellement en constante évolution. L’objectif est en tout cas de répondre aux sollicitations, notamment de l’Union africaine, et de participer à la mise en place d’une architecture de paix et de sécurité africaine. À cet égard, nous travaillons de plus en plus avec l’Union européenne, notamment dans le cadre du partenariat de Lisbonne.

La France est d’ailleurs en pointe à Bruxelles dès qu’il s’agit de promouvoir une plus grande implication de l’Union européenne dans tout le dossier relatif à la paix et la sécurité. L’Union fait preuve depuis longtemps, notamment dans le cadre des accords de Cotonou et de Lomé, d’un grand engagement en faveur du développement, auquel elle a consacré des milliards d’euros par l’intermédiaire du fonds européen de développement –FED. Le traitement des sujets militaires était jusqu’ici plus difficile à prendre en compte. Or, je le répète, le développement et la sécurité sont des aspects de plus en plus liés.

S’il existe désormais une démarche dans ce sens au sein de l’Union européenne, nous manquons encore d’instruments et de procédures pour accompagner le développement des outils de paix et de sécurité en Afrique. C’est l’un des thèmes d’action de la présidence française. Nous pourrons notamment poursuivre nos efforts dans le cadre de la « facilité de paix pour l’Afrique » mais nous pourrons tout aussi bien trouver d’autres outils qui permettent, selon des procédures à créer entre la Commission et le Conseil, de répondre à ces enjeux.

Bien sûr, il reste encore beaucoup de travail à faire, mais on sent une véritable évolution chez d’autres pays que la France, la Grande Bretagne, le Portugal et les autres États traditionnellement impliqués en Afrique. Les pays nordiques, par exemple, commencent à montrer un vif intérêt pour ce type de questions.

Au-delà de l’Afrique, nos coopérations en zone de coopération de défense tournent autour de quelques axes prioritaires. La DCMD s’était initialement engagée dans l’initiative d’Union pour la Méditerranée, mais les projets concrets que nous avons proposés notamment en matière de sémaphores n’ont pas été retenus comme prioritaires. Ils demeurent cependant d’actualité.

Nos efforts portent également sur l’accompagnement des pays émergents d’Asie, autre domaine dans lequel nous ne progressons que pas à pas. Nous poursuivons également certaines formes de coopération avec les pays d’Europe centrale et balkanique.

Au total, les perspectives de la DCMD sont, d’abord, la recherche de synergies avec d’autres contributeurs, dans un cadre « bilatéral multinational », dont l’école de Bamako offre un exemple. En allant chercher des partenaires dans tous les pays du monde, nous avons ainsi eu la surprise de voir le Japon répondre présent, mais également aujourd'hui le Brésil et l’Argentine.

S’agissant de notre action proprement multilatérale, elle est orientée vers les organisations internationales – l’Union européenne, les Nations unies, l’Union africaine, ou encore le soutien à l’Architecture de paix et de sécurité en Afrique. Je le répète devant les parlementaires que vous êtes : même si les perspectives sont plutôt bonnes en la matière, une implication plus forte de l’UE serait souhaitable.

Une autre évolution concerne les dossiers transverses, de plus en plus importants, car tout devient transverse : la sécurité maritime, la sécurité intérieure et la protection civile dans le contexte d’une sécurité globale. Les enjeux de sécurité civile revêtent une importance considérable en Afrique, où il n’existe quasiment pas d’outils adaptés. Certaines situations présentent des risques majeurs. À ce titre, les enjeux de l’environnement et du développement durable sont également à traiter. Ce serait d’ailleurs une erreur de croire qu’il s’agit là de problèmes qui ne relèvent pas du domaine de la coopération. Ces derniers sont en effet très souvent traités, dans les pays concernés, par des forces militaires ou paramilitaires, y compris en Asie centrale. C'est ce qui explique l’implication de la DCMD en la matière.

Une autre mutation, enfin, concerne le renforcement de l’approche interministérielle dans le cadre du concept nouveau de réforme des systèmes de sécurité. Ce concept de l’OCDE vient en effet d’être repris dans un document du ministère des affaires étrangères.

La question de l’interministériel me conduit à évoquer les évolutions prochaines de la direction de la coopération militaire et de défense dans le cadre de la RGPP. Un décret en préparation prévoit de la renommer « direction de la coopération, de la défense et de la sécurité » – DCDS. Il s’agit de globaliser notre action, ce qui nous semble tout à fait pertinent.

L’absence de séparation entre les différents sujets exige en effet une plus grande mise en cohérence d’une action globale dans certains domaines. Dans le cadre de la réorganisation du ministère, la direction générale de la coopération internationale et du développement – DGCID – devrait intégrer avec le seul rôle de pilotage stratégique la direction de la mondialisation, tandis que tout ce qui concerne la sécurité au sens strict du terme – police, sécurité civile, etc. – rejoindrait cette DCDS pour constituer un grand pôle de défense et de sécurité.

Sur ces questions, nous sommes en discussion avec le ministère de l’intérieur, qui devrait devenir notre second partenaire, à côté du ministère de la défense. Demain, trois partenaires – intérieur, défense et affaires étrangères – piloteront l’action interministérielle dans ces domaines, ce qui nécessite l’élaboration de nouvelles procédures et de mesures de coordination.

Les relations sont bonnes avec le ministère de la défense pour tout ce qui touche à la coordination – évoquée dans le rapport de M. Cazeneuve – entre la coopération opérationnelle et la coopération structurelle, et il n’y a pas de raison qu’il n’en soit pas de même avec le ministère de l’intérieur. Nous avons déjà des discussions avec tous les directeurs, aussi bien de la DCRI – direction centrale du renseignement intérieur – que de la DGPN – direction générale de la police nationale –, et d’autres encore.

Cette direction nouvelle devrait donc voir le jour au plus grand bénéfice de l’efficacité sur le terrain et des actions conduites au service des États partenaires.

Pour en venir rapidement aux questions budgétaires, la DCMD a été amputée de 40 % de ses crédits d’intervention depuis deux ans.

En 2001, M. Cazeneuve se plaignait déjà dans son rapport des amputations de l’époque. Si les crédits ont connu une certaine stabilisation en 2003, 2004 et 2005, ils sont depuis deux ans ajustés de manière significative.

En tant que citoyens, nous sommes bien conscients de la nécessité de résorber le déficit budgétaire de l’État, mais la réduction de nos crédits de 10, voire 15 millions d’euros aura un impact politique très lourd en termes de coopération. C'est ainsi qu’il nous faudra diviser par deux, dès 2009, le flux des stagiaires en France, et abandonner l’enseignement du français dans des zones géographiques entières, comme l’Amérique latine que nous allons quitter à l’exception de l’Argentine, où demeurera un coopérant au sein du centre argentin interarmées d’entraînement aux missions de paix, à dimension régionale.

Parce qu’il faut bien faire des choix, nous allons également nous désengager d’un certain nombre de pays d’Asie, du Proche-Orient et d’Europe. En Afrique, notre effort de coopération pourra être réduit de moitié dans certains pays.

Il en résultera des difficultés pour réaliser les objectifs fixés dans le cadre de la Force africaine en attente et de l’Architecture de paix et de sécurité africaine, alors que nous savions déjà que l’échéance de 2010 ne serait pas tenue. Comme l’a montré le développement de la politique européenne de sécurité et de défense – PESD –, il faut toujours plus de temps que prévu pour forger de tels outils.

Les contraintes budgétaires existent, et nous devons tous les assumer ; mais il faut également savoir que nous allons faire face à des difficultés politiques. Mon devoir était de les porter à la connaissance de la représentation nationale.

M. le Président Axel Poniatowski. Je vous remercie pour cette présentation très claire et très instructive.

La future direction de la coopération, de la défense et de la sécurité restera sous l’autorité du ministère des affaires étrangères ?

M. le général Emmanuel Beth. La future DCDS demeurera rattachée à la direction générale des affaires politiques. Elle bénéficiera en revanche d’un périmètre d’action élargi, puisqu’elle récupérera une partie des attributions de la DGCID pour la mise en œuvre des actions de coopération en matière de sécurité intérieure.

Ce que nous faisons aujourd’hui avec la gendarmerie, nous le ferons sans doute demain avec la police. La décision n’est pas encore été prise, mais la proposition figure dans les deux Livres blancs, et elle a été retenue par le Président de la République.

M. le Président Axel Poniatowski. J’en viens à la répartition des 98 ou 100 millions d’euros dont vous disposez aujourd’hui : quelle est la part revenant à l’Afrique dans votre budget par rapport aux autres zones géographiques ?

Vous avez par ailleurs évoqué les réductions de crédits dont la DCMD fait l’objet, ainsi que les choix parfois douloureux qui en résultent – réduction des coopérations, fermeture de quelques écoles... D’où vient la décision de réduire aussi fortement le budget de la coopération militaire ? S’agit-il d’un arbitrage interne du ministère des affaires étrangères ou bien la décision a-t-elle été prise à un niveau plus élevé, voire à la suite d’une recommandation ferme de Bercy en ce sens ?

M. le général Emmanuel Beth. Les crédits du titre II ne seront donc pas affectés en 2009 ; ils pourront même connaître une légère inflation, du fait en particulier de l’amélioration des rémunérations – toutes données qui d’ailleurs nous échappent puisqu’elles sont dues aux engagements du Ministère de la Défense.

Le titre III, d’un montant de 6,4 millions d’euros, est stabilisé, sachant que les dépenses de fonctionnement qu’il couvre correspondent, à hauteur de 95 %, aux frais d’installation, de retour, de transport et de soutien des coopérants.

Notre marge de manœuvre pour réduire notre budget de 10 millions d’euros ne pouvait jouer que sur le titre VI, c’est-à-dire la capacité d’intervention directe. Entre 2008 et 2009, cette part de notre budget passera de 35,5 millions d’euros à 25,5 millions d’euros. Et si on ajoute la baisse par rapport à 2007, on atteint en deux ans une réduction de 40 % de nos crédits d’intervention, soit une amputation drastique des possibilités de lancer de nouveaux projets à fort impact politique.

Il est d’ailleurs à remarquer que si la LOLF prévoit la fongibilité asymétrique, il se révèle impossible pour nous de l’appliquer… En tout cas, l’économie de 10 millions d’euros consentie par le budget de la DCMD, cruciale pour nos capacités mais relativement faible par rapport au budget du Ministère, peut avoir des conséquences politiques considérables.

S’agissant de la répartition géographique de notre effort, le Conseil de défense de 2003 nous avait demandé de faire de l’Afrique une priorité.

Nous ignorons bien sûr quelles orientations seront retenues par le prochain Conseil de défense, qui pourrait avoir lieu au printemps 2009, comme nous l’avons demandé. Toutefois, il semble que la priorité devrait rester à l’Afrique. C’est ce que suggèrent tant le discours du Président au Cap que sa récente intervention devant l’Assemblée générale des Nations Unies.

Nos instructions en tout cas donnent toujours la priorité à l’Afrique, bien que la répartition des crédits ne soit pas précisément chiffrée. Aujourd'hui, ce continent représente 79 % de nos opérations, mais il s’agit là d’un chiffre global, car la part de l’Afrique ne dépasse pas 60 % dans certains domaines, comme la formation des élites. Au collège interarmées de défense – CID – on compte ainsi beaucoup plus d’élèves originaires de la zone de défense – c’est-à-dire du reste du monde – que d’élèves africains.

Pour ce qui est de la responsabilité des évolutions budgétaires, la direction des affaires financières du ministère – DAF – a validé nos propositions qui s’inscrivaient dans un budget quasiment constant, en légère hausse de 1 à 2 millions d’euros. Nous avions en effet travaillé dans le cadre du processus de justification des crédits au premier euro, en mars et avril 2008.

Au cours des premières réunions budgétaires, la direction du budget a alors fait savoir qu’elle souhaitait au contraire une baisse des crédits de 40 % de la DCMD. Après débat, elle a accepté de s’en tenir à moins 25 %. Compte tenu cependant de la baisse de 15 % décidée l’année dernière, le résultat revient à une diminution de 40 % sur deux ans.

M. François Rochebloine. Je suis membre depuis sa création de la commission nationale pour l’élimination des mines antipersonnel – CNEMA. À la fin du mois, je dois d’ailleurs me rendre à ce titre en Casamance, où votre direction est présente sur le terrain.

Permettez-moi donc de revenir sur la notion de « déminage humanitaire », que vous avez évoquée et que je ne comprends pas. Que le déminage soit « humanitaire » ou non, ce qui importe est de déminer.

Il est assurément utile de travailler avec des ONG, mais avez-vous également noué des partenariats avec des acteurs privés, qui disposent de moyens plus importants que les ONG, quelles que soient leur dévouement et leur constance ?

En matière de formation, la DCMD est présente au Sénégal, mais est-elle en relation avec le centre national de formation au déminage humanitaire créé récemment au sein de l'école supérieure et d'application du génie ESAG d'Angers ? Sauf erreur de ma part, c’est dans cette ville que l’on stocke les mines détruites dans notre pays, en application de la convention d’Ottawa.

S’agissant toujours du déminage, vos services participent-ils à des opérations sur le terrain, où se limitent-ils à des actions de formation ?

Ma dernière question porte sur les bombes à sous-munitions. Ces explosifs n’entrent pas dans le champ de la convention d’Ottawa, bien qu’ils produisent les mêmes dégâts que les mines antipersonnel. Une convention sur les bombes à sous-munitions doit être signée à Oslo en décembre. Faut-il traiter ces armes de la même façon que les mines antipersonnel ?

Pour m’être battu sur ce sujet avec Handicap International et l’ICBL – la campagne internationale pour interdire les mines antipersonnel – je sais bien que ce ne sont pas, juridiquement, des mines antipersonnel, mais les dégâts sont les mêmes, comme on a pu le constater au Liban en 2006.

M. le général Emmanuel Beth. Vous connaissez l’engagement de la DCMD dans ce domaine, ainsi que notre travail au sein de la CNEMA. Nous sommes d’ailleurs le premier contributeur financier à des actions de soutien au déminage.

Nous travaillons également avec le centre international de déminage de Genève, avec le centre national de formation au déminage humanitaire d’Angers, avec l’UNMAS, mais aussi avec l’Organisation internationale de la francophonie – OIF – qui nous soutient en produisant notamment des traductions, mais aussi en nous aidant dans la valorisation des savoir-faire français.

Comme vous le savez, il y a en effet deux façons de procéder à un déminage : la technique anglo-saxonne consiste à détruire les explosifs, ce qui peut provoquer des dommages collatéraux, tandis que le savoir-faire français tend plutôt à neutraliser les mines.

Nous sommes en liaison avec tous les organismes, notamment l’homologue sénégalais de la CNEMA avec lequel nous travaillons pour la Casamance – encore que nous ayons à déplorer qu’aucune action n’ait été engagée – avec le soutien du Programme des Nations unies pour le développement PNUD.

Pour ce qui est de la notion de « déminage humanitaire », je rappelle qu’il s’agit d’une expression admise par les organisations internationales et par les spécialistes.

Si tout le monde n’utilise pas le même vocabulaire, on ne peut pas se faire comprendre. C’est pour cela que je fais usage du terme de « déminage humanitaire », utilisé par tous.

Nous travaillons avec des ONG au centre de perfectionnement aux actions post-conflictuelles de déminage et de dépollution du Bénin CPADD , où nous formons surtout des formateurs, qui se rendent ensuite sur le terrain. Cela étant, je n’ai rien contre des partenariats avec des acteurs privés. J’ai reçu récemment des responsables de CIVIPOL, la société de conseil et de service du ministère de l'Intérieur français, qui étaient intéressés par l’accompagnement d’une mission AREVA.

Nous sommes ouverts à tout, et c’est précisément pour cette raison que je me suis rendu au MEDEF pour leur proposer des actions d’ensemble, car je suis convaincu qu’à partir du moment où la différence entre sécurité et développement a perdu sa pertinence, tout le monde doit s’impliquer. Si les entreprises ont un rôle à jouer dans le développement, c’est également le cas en matière de sécurité, sans qu’elles s’engagent pour autant dans des actions purement militaires : elles peuvent avoir un rôle d’accompagnement. Il y a de vrais partenariats, mais nous n’en sommes qu’au début. C'est en tout cas à étudier en matière de déminage.

À cet égard, nous sommes intervenus partout : au Liban, où nous avons formé un nombre impressionnant de démineurs après 2006, au Tadjikistan, en Ouzbékistan, et plus généralement en Asie centrale, mais aussi en Bosnie. Si les moyens financiers sont d’ailleurs réunis – nous apporterons de l’expertise humaine dans le cas contraire –, nous comptons fonder d’ici à deux ans dans ce dernier pays un centre de déminage qui serait ouvert à tous les Balkans.

Il s’agit d’un domaine d’intervention mondial, et nous intervenons partout, mais, je le répète, pas sur le terrain. La coopération opérationnelle ne relève pas en effet de notre mission. Faire du déminage, c’est le travail des armées. J’en suis certes issu, mais ce n’est pas aujourd’hui mon domaine d’action. Notre mission première est en tout cas la formation de formateurs ou la formation au déminage.

Pour ce qui est des bombes à sous-munitions, je crains de ne pas avoir les qualités pour répondre sur ce sujet extrêmement sensible. C'est un dossier qui n'est pas simple et qu’il vaudrait mieux traiter dans les enceintes spécialisées.

M. Jacques Myard. Je salue le travail que la DCMD effectue sur le terrain, et je suis stupéfait de voir à quel point on néglige cet outil. Il faudra, monsieur le président, que nous interpellions le ministre à ce sujet.

Vous avez parfaitement raison, mon général, d’affirmer que sécurité et développement sont entièrement liés. Or voilà que nous faisons l’impasse sur un élément stratégique d’influence irremplaçable. Il faut remonter en puissance en la matière.

Je remarque au demeurant que les ONG au Japon ont bien compris à quoi tout cela peut servir. Je regrette d’ailleurs que vous ayez mis un peu trop l’accent sur le multilatéralisme, car nous sommes tous concurrents en la matière. La vente de canons ne se cache-t-elle pas derrière la grandeur d’âme des Suédois et de leur politique de développement humanitaire ? Un premier ministre y a d’ailleurs laissé la vie.

Monsieur le Président, si nous ne nous saisissons pas de cette question, nous le payerons très cher.

M. le Président Axel Poniatowski. Cette audition ne peut donc que vous satisfaire.

M. Jacques Myard. Il faut aller plus loin !

M. le général Emmanuel Beth. Ayant eu l’honneur d’être le premier commandant de l’opération Licorne menée en Côte-d’Ivoire, je mesure combien il est plus facile de diriger une action nationale qu’une action multinationale. Toutefois, même si une action multilatérale est souvent plus délicate, ce que nous faisons à Bamako montre bien que l’on peut obtenir des résultats extraordinaires. Je précise d’ailleurs que ce ne sont pas des ONG, mais le gouvernement japonais qui apporte son concours financier.

À titre personnel, il me semble que le multilatéralisme apporte une légitimité plus grande à l’action conduite, et que c’est une nécessité ; c’est une nécessité, parce qu’il est préférable d’agir à plusieurs quand on souffre de lacunes ; c’est aussi un facteur de légitimité, parce qu’il est plus facile de faire avancer des dossiers en se regroupant plutôt qu’en agissant dans un cadre bilatéral.

M. le Président Axel Poniatowski. Il faut donc l’un et l’autre.

M. le général Emmanuel Beth. Absolument.

M. Jean-Michel Boucheron. Avec la répartition géographique de vos dépenses, j’ai l’impression d’avoir sous les yeux le budget de la DGSE, il y a vingt ans. Etre présent en Afrique, c’est bien, mais il faut penser à l’avenir.

Cela étant, je sais bien que l’aiguillage des financements se décide ailleurs et j’espère donc que tout cela répond à une stratégie bien précise. J’imagine cependant que votre demande de réunion d’un Conseil de défense n’est pas sans rapport avec cette remarque.

Concernant la limite de votre périmètre, la DCMD est-elle, sur le plan géographique, impliquée dans des actions de formation militaire en Afghanistan ou en Irak ? Sur le plan juridique, quelle est la frontière entre la coopération de défense et la préparation des opérations d’export ?

M. le général Emmanuel Beth. La DCMD n'est aucunement concernée par le théâtre irakien, par contre nous sommes présents en Afghanistan en accompagnement de la formation de l’armée afghane.

Plus généralement, le débat concernant les priorités stratégiques de la coopération est avant tout politique, et c'est pour cela qu’il relève du Conseil de défense et de discussions politiques. Pour notre part, nous appliquons les orientations politiques qui nous ont été clairement données, même si, je l’avoue, nous avons entre nous des discussions sur ce sujet.

Compte tenu des enjeux, notamment de sécurité et de stabilité, propres au continent africain, il me semble nécessaire, à titre personnel, de ne pas l’abandonner tant qu’il ne disposera pas des outils de paix et de sécurité, même si cette coopération est une œuvre de longue haleine.

Si l’on ne fait rien en Afrique, nous le paierons lourdement et pendant longtemps. Il faudra investir dans des missions opérationnelles multilatérales, avec des contributions au financement des opérations de maintien de la paix qui explosent déjà au Quai d’Orsay.

Des dispositifs préventifs sont essentiels dans des espaces fragilisés. Or, l’Afrique est un continent vraiment plus fragile que jamais. Il me semble donc que la priorité accordée à l’Afrique n’est pas si incohérente. Mais ce n’est qu’un avis personnel ; aujourd’hui, dans la conduite quotidienne de nos actions, je ne fais que mettre en œuvre les orientations politiques qui me sont fixées et qui aujourd'hui sont claires.

Le champ de notre action s’est cependant bien ouvert : alors que l’ancienne mission militaire de coopération, qui représentait quasiment l’ensemble de notre intervention, était intégralement tournée vers l’Afrique, la part de cette dernière représente aujourd'hui 78 % des crédits.

Il faut également savoir que nous ne bénéficions pas partout du même retour sur investissement : notre action dans les pays africains s’inscrit dans une perspective longue de prévention, alors que le retour en termes d’influence est beaucoup plus rapide dans la « zone de défense ».

Pour ce qui est de la répartition de notre action, mon opinion, qui n’engage que moi, est que l’Afrique étant aux portes de l’Europe, nous n’échapperons pas aux défis sécuritaires monumentaux qui s’y jouent si nous ne les traitons pas par anticipation et sur place.

Cela étant, je n’oublie pas le reste du monde, qu’il s’agisse des pays émergents, de la zone de la Méditerranée ou l’Amérique latine que nous allons quitter bien qu’elle soit essentielle – mais c’est là un vrai débat de nature politique.

Toujours s’agissant de la répartition, les choses sont très claires, même si tout n'est pas parfait. Nous bénéficions d’ailleurs depuis 2003 d’instances de pilotage et de coordination. Il en va ainsi du comité d’orientation stratégique qui doit se réunir tous les ans, au niveau ministériel. La dernière réunion date de novembre 2006, et c’est à notre demande qu’il n’y en a pas eue en 2007, dans l’attente du Livre blanc. La prochaine devrait maintenant avoir lieu d’ici la fin de l’année. De même, un comité de pilotage réunissant l’état-major des armées et la DCMD se tient tous les trimestres afin de veiller en permanence à la cohérence des actions de coopération opérationnelle et structurelle.

Quant aux exportations d’armement, nous ne sommes absolument pas chargés de tout ce qui se déroule en amont des contrats. La mission que nous avons reçue est de mener une stratégie d’influence en formant des stagiaires de haut niveau.

Nous investissons sur des personnes. Si le résultat en termes de politiques générale, économique, financière, militaire ou d’armement est difficile à apprécier faute d’indicateurs précis, nous semons, sans pour autant être directement impliqués dans la récolte des contrats. Encore une fois, nous n’intervenons en la matière que dans le cadre d’une crédibilité étatique.

Sur le plan juridique en tout cas, la situation est claire. Les instances de coordination en place nous permettent de résoudre les éventuels problèmes d’imbrication.

M. Gérard Voisin. Vous avez utilisé à plusieurs reprises le terme de « produits », et vous avez évoqué la question de l’influence.

Je sais bien que la DCMD n’est pas une entreprise, et que votre mission est tout autre. Toutefois, considérant les coupes claires subies par votre budget, que peut-on espérer des retours sur investissement auxquels vous avez fait allusion ?

Ceux-ci seront peut-être difficiles en Afrique, mais plus rapides en revanche dans d’autres pays, tel le Japon, plus solides d’un point de vue économique. Sans parler d’argent, vos produits apportent-ils de la valeur ajoutée, et ainsi une forme de recettes ?

M. le général Emmanuel Beth. Je reste convaincu qu’investir dans des cadres et des élites apporte une vraie valeur ajoutée. Les chefs d’entreprises savent d’ailleurs parfaitement que pareille politique, en investissant sur des jeunes cadres français ou étrangers, permet d’inscrire une action dans la durée.

Toute la difficulté est de mesurer le « retour sur investissement » de notre action. Nous nous y attelons en développant, ne serait-ce que dans le cadre de la LOLF, des indicateurs de performance, mais aussi d’autres indicateurs d’évaluation.

Vous rappelez que ce n’est pas simple en Afrique. Il reste que nous disposons d’un bon indicateur : le taux de participation aux opérations de maintien de la paix là où nous menons des actions de formation.

Le Sénégal, hier premier partenaire de la coopération française – il est aujourd’hui le deuxième – fournit ainsi les plus gros contingents dans les opérations africaines de maintien de la paix. Le résultat est là : c’est bien là un retour sur investissement immédiat. Les effectifs sénégalais sont peut-être trop employés sur des théâtres extérieurs, mais leur participation est déjà une mesure d’évaluation.

Au Qatar, le vice-ministre des affaires étrangères a suivi toute sa scolarité en France jusqu’au Collège interarmées de défense et à l’Institut des hautes études de défense nationale. Il y a bien là un retour immédiat sur investissement pour notre pays. Pour l’avoir rencontré récemment, je peux vous dire qu’il s’agit d’une autorité incontournable.

Le résultat est bien sûr le même quand on enseigne le français et que l’on favorise ainsi notre rayonnement dans les états-majors multinationaux.

Nous travaillons sur les outils d’évaluation, notamment dans le cadre du processus de justification au premier euro de la dépense. Nous en avons déjà présenté un certain nombre. C’est une nécessité, même si ce type d’indicateurs présente une grande part de subjectivité.

Une autre préoccupation est le suivi du réseau, qui est un de nos points faibles en comparaison des pays anglo-saxons. Nous formons effectivement des personnels, mais leur suivi est encore perfectible.

En liaison avec la Défense, nous nous sommes donc engagés dans une démarche d’organisation de notre réseau. Il faudra toutefois des moyens. J’observe que les Américains y consacrent un effort considérable.

M. le Président Axel Poniatowski. Il me reste à vous remercier, mon général, pour cette audition à la fois intéressante et utile.

Information relative à la commission

La commission a désigné Mme Marie-Louise Fort, co-rapporteure du groupe de suivi des négociations d'adhésion avec la Turquie, commun à la délégation pour l'Union européenne, en remplacement de M. Henri Plagnol.

La séance est levée à 17 heures 15.

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