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Commission des affaires étrangères

Mardi 28 octobre 2008

Séance de 17 h 15

Compte rendu n° 7

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de Mme Rama Yade, Secrétaire d’Etat chargée des affaires étrangères et des droits de l’homme (ouverte à la presse)

Audition de Mme Rama Yade, Secrétaire d’Etat chargée des affaires étrangères et des droits de l’homme

La séance est ouverte à dix-sept heures quinze

M. le président Axel Poniatowski. Nous sommes heureux, madame la secrétaire d’État de vous accueillir cet après-midi : la dernière fois que nous vous avions entendue, c’était le 13 novembre 2007.

Vous avez fait depuis de nombreux déplacements, notamment dans des pays où les droits de l’homme sont menacés, voire totalement niés, et où la situation humanitaire est très préoccupante, pour ne pas dire catastrophique.

Vous venez de publier un ouvrage intitulé Les Droits de l’homme expliqués aux enfants de 7 à 77 ans. Vous êtes conviée, cet après-midi, à les expliquer aux députés.

Nous souhaitons vous entendre sur plusieurs dossiers précis liés à l’actualité.

La situation politique en Birmanie ne semble pas avoir beaucoup évolué. Les pressions des pays européens et des pays asiatiques sur le régime birman paraissent insuffisantes. Par ailleurs, le cyclone Nargis a provoqué des dégâts importants dans le pays.

La situation au Darfour est dramatique, marquée par de très grandes violences interethniques et à l’égard des femmes victimes de très nombreux viols. L’intervention des organisations humanitaires et des ONG en général est de plus en plus difficile et périlleuse. Le président soudanais, ainsi que deux autres hauts responsables du pays ont fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. Quelle est la position de la France à ce sujet ? Je rappelle que le Qatar a proposé sa médiation pour relancer le processus politique au Darfour.

Les Jeux Olympiques sont maintenant terminés mais la situation au Tibet semble avoir peu évolué. Où en sont, à votre connaissance, les rencontres entre les Chinois et les Tibétains ? Le Président de la République avait annoncé, lorsqu’il était allé à Pékin cet été, qu’il recevrait éventuellement le Dalaï Lama en France avant la fin de l’année. Est-ce toujours d’actualité ?

Vous venez également de vous déplacer en Afghanistan et au Kenya. Pourriez-vous faire un point sur la situation de ces pays ?

Madame la secrétaire d’Etat, vous avez la parole.

Mme Rama Yade, secrétaire d’Etat chargée des affaires étrangères et des droits de l’homme. Je suis très heureuse de cette seconde audition devant vous sur des sujets qui me tiennent à cœur aussi bien en matière d’affaires étrangères que de droits de l’homme.

Cela fait bientôt un an et demi que le Président de la République et le Premier ministre ont créé ce secrétariat d’État et m’en ont confié la charge. Cette fonction n’existait pas auparavant, en tout cas dans son rattachement au Quai d’Orsay. Il a été assigné à ce secrétariat d’Etat une mission exigeante, dans la droite ligne de ce que le candidat Nicolas Sarkozy déclarait en février 2007 : « Notre identité démocratique nous destine à promouvoir la liberté et le respect des droits de l’individu dans le monde » ; « valeurs et intérêts, en réalité, se rejoignent. Il faut refuser l’opposition stérile entre réalisme et idéalisme ».

Je me suis attachée à mettre en pratique cet engagement du Président de la République. En cette période de crise financière, qui est d’abord une crise des valeurs et des principes, la défense des droits de l’homme est plus que jamais une priorité. Vendredi dernier, lors du sommet de l’ASEM à Pékin, qui réunissait quarante-trois États européens et asiatiques, le chef de l’Etat déclarait : « Nous pensons que nulle région du monde n’a de leçon à donner à l’autre, mais nous pensons que la dignité humaine n’est pas fonction de l’histoire et de la culture de chacun, elle est un droit pour chaque être humain sur la terre ».

Quand j’ai pris mes fonctions, je me suis fixé – puisque gouverner, c’est choisir – quatre priorités : la défense des droits des femmes, la liberté d’expression, les droits des enfants et, enfin, la lutte contre l’impunité. Cela ne signifie pas que les droits de l’homme se réduisent à ces problématiques déjà très larges. Mais, pour être efficace, il faut donner des lignes directrices visibles à son action.

Je vais décrire ce qui a été fait sur ces différentes priorités avant de répondre, monsieur le président, aux questions que vous m’avez posées.

Les femmes sont une préoccupation constante de mon action. Je considère que les droits de l’homme sont d’abord les droits de la femme dans la mesure où elles sont les premières victimes des sociétés traditionnelles ou en crise et, en même temps, les premières actrices de la reconstruction. Sœur Emmanuelle disait qu’éduquer un homme, c’est éduquer un individu et qu’éduquer une femme, c’est éduquer tout un peuple. C’est pourquoi j’ai mis l’accent sur les droits des femmes et que je continue à le faire pour que l’égalité entre hommes et femmes soit une réalité tangible.

Il ne s’agit pas seulement de plaider pour les femmes les plus emblématiques, comme Ayaan Hirsi Ali et Taslima Nasreen, sur lesquelles je veille depuis plusieurs mois et pour lesquelles je travaille à la création d’un fonds européen de soutien puisqu’elles sont menacées par une fatwa. J’ai également tenu à être le porte-voix des femmes sans voix qui sont, un peu partout dans le monde, en butte à des violations graves de leurs droits. Je me mobilise, par exemple, en faveur des femmes du Congo, pays qui revient à la une de l’actualité alors que cela fait dix ans qu’il est en guerre et qu’il n’en est toujours pas sorti. À l’Est du Congo, dans le Kivu, des viols massifs sont commis par des bandes armées depuis déjà de nombreux mois dans l’indifférence générale : il y en aurait eu entre 50 000 et 100 000 depuis 2003. Pour venir en aide à ces femmes, le ministère finance à mon initiative, par exemple, des ONG qui interviennent en leur faveur.

En Afghanistan, des progrès ont été réalisés sur ce terrain depuis 2001. On compte 27 % de femmes parlementaires, soit plus qu’en France. La moitié des 6 millions d’enfants qui vont à l’école sont des filles alors qu’il n’y en avait aucune avant 2001. Le gouverneur de Bamiyan est une femme. Bamiyan est la région où les bouddhas ont été symboliquement détruits sur la demande expresse du mollah Omar, le 11 mars 2001, six mois avant les deux tours de New York. J’ai essayé d’aider les femmes qui se battent dans la société civile en faveur de projets éducatifs ou de santé, comme ces journalistes du magazine afghan Roz qui travaillent à informer les femmes sur la maternité ou l’éducation, et de fait concourent à leur émancipation.

Pour que cet appel à l’égalité des femmes ne se limite pas à de belles paroles, je travaille au niveau européen à l’adoption de « lignes directrices » sur les violences faites aux femmes. Cette procédure existe depuis 1995 pour les enfants soldats, la peine de mort, ou encore les militants des droits de l’homme. Elle consiste à donner instruction aux ambassades européennes à l’étranger de se mobiliser sur ces questions et de financer, grâce aux fonds prévus à cet effet, des projets concrets. Les négociations sont en bonne voie pour que de nouvelles  « lignes directrices » soient adoptées sur les violences faites aux femmes, d’ici à la fin de la présidence française de l’Union européenne.

Ma seconde priorité est la défense de la liberté d’expression. Considérée par les révolutionnaires de 1789 comme le bien le plus précieux, elle est aujourd’hui encore le droit le plus menacé. Personne n’a oublié les paroles du Président de la République au moment de l’affaire des caricatures de Mahomet dans la presse danoise : « Je préfère un excès de caricature à un excès de censure ». La liberté de pensée et d’expression est au cœur de la dignité humaine.

Parmi les quelque 2 900 interventions individuelles que j’ai dû faire durant les dix-huit derniers mois, la plupart concernaient la liberté d’expression. Certaines sont emblématiques. J’ai parlé de l’intangible liberté du journaliste à Bayeux, en octobre 2007, à l’occasion de l’anniversaire de l’assassinat de la journaliste russe Anna Politkovskaïa. J’ai plaidé pour la liberté d’expression à Jérusalem lors de l’événement Cartooning for Peace organisé par Plantu. L’importance de la liberté d’expression est également défendue à travers des pressions diplomatiques exercées pour la libération de certains symboles, comme Hu Jia, condamné à trois ans et demi de prison pour incitation à la subversion, que le Parlement européen vient d’honorer du prix Sakharov. Le secrétariat d’Etat est intervenu à plusieurs reprises, depuis janvier, pour demander sa libération.

Il y a tellement d’atteintes à la liberté d’expression que je ne peux pas toutes les citer. Je suis intervenue avec le Président de la République en faveur de Maître Abbou en Tunisie et de deux avocats soudanais, qui ont été libérés, sans parler de toutes les personnes anonymes pour lesquelles nous faisons des interventions sans qu’il en soit fait état, l’efficacité exigeant parfois la confidentialité.

Ma troisième priorité est la défense des droits des enfants, indispensable pour la défense de leurs droits d’hommes et de femmes, une fois adultes. J’ai mis au cœur de mon action la question des enfants soldats. Une grande conférence, organisée à Paris en 2006 sous le titre « Libérons les enfants de la guerre », s’était conclue par une série de mesures concrètes pour aider à la libération de ces enfants et à leur réinsertion dans la société. Nous souhaitons que ces mesures soient appliquées par un maximum d’Etat, notamment par les treize États répertoriés par l’Union européenne comme des lieux sensibles de recrutement d’enfants soldats, dont la Colombie, le Sri Lanka, le Tchad, l’Afghanistan, la RDC, la Birmanie. Dans le monde, 250 000 enfants sont enrôlés, de gré ou de force, dont des jeunes filles qui sont utilisées comme esclaves sexuelles. Au terme d’une année de campagne, nous avons obtenu, en organisant avec l’UNICEF différentes rencontres à New York, le ralliement de dix-sept pays supplémentaires aux Engagements de Paris. Ce n’est pas rien, car ces États s’engagent ensuite à lutter contre le phénomène des enfants soldats. De fait, tous les jours, des casernes s’ouvrent et libèrent des enfants soldats. Il est très important de maintenir ce sujet en haut de l’agenda international car il reste beaucoup à faire.

Ma quatrième priorité est la lutte contre l’impunité. Pour montrer que les droits de l’homme ne sont pas que des mots, il faut promouvoir la justice internationale afin que ceux qui commettent des crimes de masse sachent qu’ils ne peuvent plus impunément tuer à l’abri des frontières sans devoir un jour rendre compte de leurs crimes. Transformer les paroles en actes et les principes en actions est, peut-être, l’exercice le plus exigeant et le plus difficile mais il faut le faire.

Au Guatemala, j’ai ainsi fait nommer un expert français auprès de la Commission internationale contre l’impunité créée afin d’enquêter et de démanteler les organisations criminelles responsables de crime généralisé. Au Cambodge, j’ai réaffirmé le soutien de la France au tribunal appelé à juger les Khmers rouges, en apportant une contribution complémentaire d’un million d’euros. Nous sommes parmi les premiers contributeurs à ce tribunal.

À La Haye, où se trouve le siège de la Cour pénale internationale, j’ai réaffirmé solennellement l’engagement politique et diplomatique de la France à lutter contre l’impunité. Cette lutte suppose aussi d’aller, par exemple, à Khartoum pour plaider pour l’arrestation de Kushayb et Haroun, deux membres du gouvernement soudanais qui font l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale. C’est notre devoir.

Au-delà de ces quatre priorités, je me suis mobilisée sur plusieurs autres thèmes qui sont aussi au cœur de ma mission. J’en citerai deux : l’abolition universelle de la peine de mort et l’adoption internationale.

La France est plus que jamais engagée dans le combat pour l’abolition de la peine de mort. Aujourd’hui le mouvement en faveur de l’abolition est vigoureux. Je m’en félicite. Partout dans le monde, la peine de mort recule. Chaque année, les États abolitionnistes sont plus nombreux : trois de plus par an depuis dix ans, quatre depuis octobre dernier. Nous avons franchi une étape historique en 2007 avec l’adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies d’une résolution relative à un moratoire universel sur la peine de mort.

Le chemin reste long vers l’abolition, « pure, simple et définitive » réclamée par Victor Hugo. Mais la France est déterminée à rendre ce processus irréversible. Outre une mobilisation au sein des instances internationales, la France et l’Union européenne s’engagent aussi concrètement sur le terrain en faveur de ceux qui luttent avec courage en ce sens. Il n’y a pas complice plus efficace de la peine de mort que le silence. Il est important de porter à la connaissance des autorités des pays qui exécutent des cas individuels pour sauver ceux-ci de la mort programmée. Je l’ai fait plusieurs fois dans le cas de l’Iran, notamment pour des mineurs. On nous accuse souvent d’être forts avec les faibles et faibles avec les forts. Concernant la peine de mort, nous maintenons pourtant la même exigence à l’égard des États-Unis, où je suis personnellement intervenue sur le cas de Kenneth Foster et, tout récemment, sur celui de Troy Davis. Le premier a été sauvé de la chaise électrique in extremis. Je faisais partie du concert de voix qui s’étaient élevées pour empêcher son exécution. Quant à Troy Davis, dont on craignait la semaine dernière l’exécution, il a bénéficié d’une suspension de la procédure. J’espère qu’elle sera définitive.

L’adoption internationale est un sujet qui s’est imposé à moi au détour de mon action pour les enfants. Je n’ai jamais été dans une ambassade française sans que des Français, parents potentiels, viennent me parler du cas de l’enfant ou des enfants qu’ils attendaient. Ces personnes étaient désemparées face à des ambassadeurs qui font de leur mieux et des procédures complexes. J’ai estimé qu’il fallait sortir ce sujet des combles où il était pour le mettre sur la place publique afin de créer une mobilisation. Le Président de la République a demandé à Jean-Marie Colombani un rapport sur la réforme de l’adoption, en particulier de l’adoption internationale qui concerne 80 % des adoptions en France. Au-delà de l’adoption, c’est toute une diplomatie d’action et de coopération pour la protection de l’enfance privée de famille qu’il faut développer. Au fond, si nous sommes moins « compétitifs » – excusez-moi du terme – que d’autres pays européens en matière d’adoption internationale, c’est sans doute parce que nous n’agissons pas suffisamment ou peut-être pas de la bonne manière en matière de protection de l’enfance. La réforme est sur les rails.

L’ensemble de ces priorités trouve, bien évidemment, une résonance européenne toute particulière alors que la France préside l’Union européenne. J’ai voulu mettre les droits de l’homme au cœur des priorités de la présidence française.

Ainsi, comme je l’ai déjà dit, mon engagement en faveur des femmes se traduira par l’élaboration de « lignes directrices » qui permettront aux vingt-sept États de se coordonner et de renforcer leur action internationale pour lutter contre les violences faites aux femmes.

Autre chantier que j’ai souhaité mettre en avant pendant cette présidence française : la lutte contre l’homophobie. Je mène depuis plusieurs mois une campagne pour obtenir une déclaration à l’ONU appelant à la dépénalisation universelle de l’homosexualité. Il y a encore 90 pays qui la pénalisent, dont six qui appliquent la peine de mort. Mon objectif n’est pas de trancher des débats de société internes que nous-mêmes n’avons d’ailleurs pas tranchés concernant le mariage homosexuel ou l’homoparentalité. Je suis consciente du temps culturel nécessaire pour faire évoluer des droits. Mon action porte plutôt sur ce qui relève des droits fondamentaux. Six pays appliquent encore la peine de mort à l’encontre de personnes qui ont juste dit qu’ils avaient telle ou telle identité sexuelle. L’idée est de faire renoncer certains de ces États à cette législation. En 2006, la Norvège avait réussi à rallier 54 États à cet appel à la dépénalisation. Nous espérons dépasser ce nombre d’ici à décembre prochain.

Telles sont les actions que je mène.

Avant de conclure, je ferai un point de situation sur les dossiers que vous avez soulevés, monsieur le président.

Si on entend moins parler du Darfour, la situation y reste préoccupante. En dépit de l’accélération du déploiement de la MINUAD, les violences visant notamment les femmes et le recrutement d’enfants soldats se poursuivent. Il faut espérer une amélioration avec le déploiement complet des casques bleus sur la zone. Des signes forts ont été envoyés aux responsables des exactions. C’est la raison pour laquelle la France soutient l’action de la CPI au Darfour : notre pays a été à l’origine de la saisine de la cour et continue de demander au Soudan de livrer les deux individus visés par les mandats d’arrêt de Moreno-Ocampo, à savoir Kushayb et Haroun. Des doutes ont été exprimés par certaines ONG sur la position française concernant le mandat d’arrêt lancé contre le président soudanais el-Béchir. Je veux rassurer sur ce point. Si l’application de l’article 16 du statut de Rome est possible, il n’est pas question que le Soudan s’exonère de ses obligations, qui sont nombreuses. Tant qu’il n’y aura pas eu de signaux à ce sujet, la ligne française ne sera pas remise en cause.

Je reste particulièrement attentive également à la situation en Birmanie dont on a beaucoup parlé il y a un an. Je me suis préoccupée de ce sujet bien avant qu’on en parle, c’est-à-dire bien avant les manifestations, et j’ai essayé de sensibiliser l’opinion publique à ce problème. Il n’y a pas de mérite, en effet, à parler de sujets dont tout le monde parle. La Birmanie n’intéressait pas grand monde à l’époque. On m’opposait le fait que les Français ne savaient même pas où était ce pays. On peut se satisfaire que le sujet soit maintenant sur la place publique. Je ne fais pas une réunion avec un Etat-membre de l’ASEAN sans évoquer cette question. Je l’ai même fait avec des Birmans eux-mêmes.

Le cyclone Nargis a provoqué un tout petit réveil des autorités birmanes qui ont notamment accueilli le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki Moon, pour permettre l’accès des ONG aux zones les plus touchées. Par ailleurs, au mois de septembre, la junte a annoncé la libération de 9 002 prisonniers, pour la plupart de droit commun. Parmi eux, se trouvait cependant un homme emblématique, U Win Tin, le plus ancien prisonnier politique birman.

J’ai obtenu il y a quelques semaines un visa pour me rendre en Birmanie. Je ne m’y suis finalement pas rendue parce que les conditions posées par la junte rendaient ce déplacement impossible. Je ne pouvais voir ni Aung San Suu Kyi ni les autorités de la junte qui détiennent des pouvoirs de décision.

Mais nous ne restons pas sans rien faire. L’Union européenne s’apprête à déposer à New York une résolution sur la situation des droits de l’homme dans ce pays. Sur le plan humanitaire, la France s’est fortement mobilisée en aidant, entre autres, les ONG à obtenir des visas.

La période des Jeux Olympiques a catalysé l’attention de la communauté internationale sur la cause tibétaine et, plus largement, sur la situation des droits de l’homme en Chine et, notamment, la liberté d’expression. Nous faisons tout pour favoriser le dialogue avec les Chinois. Nous sommes notamment à l’initiative du dialogue entre l’UE et la Chine, dont la prochaine session aura lieu très bientôt. Nos attentes sont bien connues des Chinois. Nous avons avec eux un dialogue franc. À chacun de ses déplacements, le Président de la République évoque la question des droits de l’homme, qu’il s’agisse de la liberté d’expression ou de la peine de mort. Nous continuerons à le faire.

Je me suis entretenue avec l’ambassadeur de Chine pour lui expliquer le sens de notre démarche. Nous respectons le peuple chinois héritier d’une vieille civilisation. Nous cherchons à faire en sorte que la Chine puisse assumer les devoirs inhérents au statut de puissance économique qu’elle est – pour peut-être un jour devenir une puissance politique. La France par exemple n’a pas seulement des droits, comme lui en confère le fait d’être membre permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies. Elle a aussi des devoirs, par exemple, en projetant son armée à l’extérieur, en envoyant des hommes sur les terrains de crise dans des opérations de maintien de la paix, et en payant le prix du sang comme en Afghanistan récemment. C’est ce que nous essayons de faire comprendre à la Chine.

Les Chinois font valoir que les avancées en matière des droits de l’homme ne se font pas du jour au lendemain, qu’elles nécessitent un long apprentissage. Ce raisonnement est tout à fait audible et compréhensible. J’espère que la prochaine réunion UE/Chine qui aura lieu en novembre à Lyon permettra aussi de parler des droits de l’homme.

D’ici là aura eu lieu la session réunissant la partie chinoise et la partie tibétaine sur l’état d’avancement du dialogue concernant le Tibet. Le Dalaï Lama n’est pas très optimiste mais nous n’avons pas d’autre choix que de plaider pour ce dialogue. La répression n’est pas une solution.

En conclusion, en défendant les droits de l’homme, je défends le rang de la France dans le monde. C’est un vieux mot mais il est important que notre pays garde son rang. C’est le prix de l’indépendance nationale et c’est ce qui fait qu’elle joue sa petite musique dans le concert des nations.

La France est assimilée au pays des droits de l’homme. J’ai dû faire quelque 70 déplacements et rencontré à peu près 110 ONG sur le terrain et 80 chefs d’Etat, de gouvernement ou de ministres. Ils ont tous en tête l’image d’une France qui ajoute à la puissance une grandeur liée à l’expression de valeurs, de principes et d’une certaine idée de l’homme. Nous avons été les premiers à déclarer l’universalité des droits de l’homme. Cette antériorité crée des obligations. Le général de Gaulle disait qu’il y a un pacte vingt fois séculaire qui lie la grandeur de la France à la liberté du monde. Que cela nous plaise ou non, c’est toujours le cas et c’est ce qui me motive dans ma mission. Il faut avoir vu le nombre d’associations, d’ONG et de peuples qui attendent quelque chose de la France pour avoir conscience de l’importance pour la France de garder son rang dans le monde.

C’est la raison pour laquelle la réélection de la France, après une campagne de plusieurs mois, au conseil des droits de l’homme à Genève, seule instance onusienne où l’on débat des droits de l’homme, est importante. Qu’aurait-on dit si le pays des droits de l’homme n’avait pas été reconduit au conseil des droits de l’homme ? L’élection de Nicole Ameline au CEDAW, l’instance onusienne qui s’occupe des discriminations contre les femmes, marque également la reconnaissance par la communauté internationale de l’action de la France en la matière.

La diplomatie et l’affirmation des principes ne sont que les jalons d’une action qui se veut efficace. C’est souvent un travail de fourmi qui demande beaucoup de discrétion. Je rends hommage à tous les diplomates qui œuvrent dans ce domaine. C’est donc un soulagement quand, après la visite du président syrien en France, nous apprenons que trois dissidents syriens pour lesquels j’avais plaidé sont libérés. Ce n’est pas rien non plus quand nous agissons pour que des avocats soudanais qui défendent les droits de l’homme soient libérés. Qu’elles aboutissent ou non, ces actions ne passent pas inaperçues dans le reste du monde.

Parallèlement, nous avons un devoir d’explication, constant, permanent, vis-à-vis de notre opinion publique. C’est pourquoi je me suis attelée à cette tâche, lourde mais gratifiante, qui consiste à me rendre dans les régions de France pendant cette année de soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, pour expliquer aux Français les objectifs et le contenu de mon action. Cette tournée régionale des droits de l’homme permet aux Français, à travers des débats citoyens, de mieux connaître les tenants et aboutissants de notre politique étrangère.

M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie, madame la secrétaire d’Etat, pour cette présentation de votre action en faveur des droits de l’homme.

Pourriez-vous être plus explicite concernant les relations sino-tibétaines ? À ma connaissance, les rencontres n’ont pas repris entre les Chinois et les Tibétains. Le Dalaï Lama a laissé entendre hier qu’il allait peut-être envisager d’autres voies ou mettre en place une autre stratégie dans ses rapports avec les Chinois. Avez-vous des informations sur ce que cela peut vouloir dire ? Par ailleurs, est-il prévu une rencontre du Dalaï Lama avec le Président de la République ?

Mme Rama Yade, secrétaire d’État. Dans quelques jours doit s’ouvrir la troisième session de dialogue entre les Chinois et les représentants du Dalaï Lama. J’ai bien entendu les propos de ce dernier sur le contenu de ces échanges. Il avait déjà eu l’occasion de m’en faire part lorsque je l’avais rencontré au mois d’août. Nous avons plaidé auprès des autorités chinoises pour que le dialogue soit plus substantiel parce qu’il n’y a pas d’autre solution.

Nous ne demandons pas l’indépendance du Tibet. C’est le général de Gaulle qui a reconnu la Chine dans ses frontières actuelles. Cette position n’a pas varié. Mais les Tibétains doivent avoir le droit d’exercer pleinement leur identité spirituelle et religieuse et il est important qu’il n’y ait pas de violences, ni d’un côté, ni de l’autre.

Est-il prévu que le Président de la République reçoive le Dalaï Lama ? Personnellement, je le souhaite ardemment. Je pense que le Président de la République y est tout à fait disposé mais il lui appartient d’en faire l’annonce au moment souhaité. .

M. Jacques Myard. Je veux, tout d’abord, vous féliciter, madame la secrétaire d’Etat, pour votre engagement. Votre discours ne laisse personne insensible.

Cela dit, s’il est très bien de parcourir le monde pour défendre la conception que nous avons des droits de l’homme – c’est lié, comme vous l’avez dit, à notre histoire et à notre culture –, il n’y a pas que la conception occidentale des droits de l’homme – je laisse de côté les actes de torture et les massacres répréhensibles universellement. Nous devons également balayer devant nos portes. J’ai, personnellement, déposé une proposition de loi pour interdire le port de la burka en France. J’estime que c’est une atteinte grave à la dignité de la femme. J’aimerais bien avoir votre soutien car j’estime que le port de cet habit ne relève pas d’une pratique religieuse mais d’une atteinte directe à la dignité de la personne, les pauvres femmes qui le portent étant « véhiculées » – il n’y a pas d’autre terme – totalement incognito sur le territoire de la République. C’est pour moi insupportable.

Deuxièmement, j’aimerais connaître votre point de vue quant à la logique des droits de l’homme sur la scène internationale. En effet, si l’on vous suit jusqu’au bout, cela conduit à la guerre, parce qu’on fait la guerre au nom des droits de l’homme. Pour moi, il y a un malaise inhérent au fait de voir les relations internationales uniquement sous le prisme des droits de l’homme. J’aimerais savoir comment vous conciliez la nécessité de défendre nos valeurs – qui est une constante des politiques de la France et d’un certain nombre d’autres États – et la nécessité de ne pas aboutir à des impasses, voire des confrontations ?

M. Jean-Louis Christ. Compte tenu du lien historique que la France entretient avec l’Afrique, nous ne pouvons rester indifférents aux drames qui se jouent actuellement sur ce continent. Vous avez évoqué la région des Grands Lacs et le nord de la RDC. La démission du nouveau commandant de la MONUC illustre les difficultés pour les Casques bleus de faire face à des situations de plus en plus dangereuses. Voilà des années que cette région de l’Afrique ne connaît plus les valeurs élémentaires des droits de l’homme. Vous avez évoqué l’enrôlement des enfants soldats. Le viol est devenu une arme de guerre. La violence faite aux femmes constitue une tragédie sans fin et l’Etat de droit relève aujourd’hui de l’utopie. Cette situation désastreuse appelle un certain nombre de questions. Quel rôle la France peut-elle jouer concrètement dans la promotion des droits fondamentaux en Afrique ? Pensez-vous réellement que la justice pénale internationale puisse freiner les dérives de certains dirigeants qui sont à l’origine de ces drames ? Quelle action peut-on envisager pour soutenir toutes démarches visant à favoriser le processus de démocratisation dans certains pays du continent ?

Mme Rama Yade, secrétaire d’État. Je suis convaincue de la nécessité de balayer devant notre porte. C’est la condition même de la force de notre message à l’international. Si nous sommes complaisants chez nous sur la question des droits de l’homme, cela nous est reproché à l’étranger. Je plaide pour une exemplarité française parce que le génie des démocraties est de reconnaître leur perfectibilité. Personne ne nous demande d’être parfaits mais, au moins, de faire un effort pour atteindre une certaine exemplarité. Et nous faisons des efforts.

Les attitudes vis-à-vis de la burka sont paradoxales. Jacques Myard demande son interdiction au motif que c’est une atteinte à la dignité de la femme tandis que certaines instances recommandent de laisser les filles se voiler au nom de la liberté de conscience. Ces questions ne sont pas simples et mériteraient un long développement. Elles s’apparentent à des questions de conscience personnelle. Vous rencontrez des jeunes filles en DESS de droit public ou de communication, parfaitement intégrées, nées en France et n’ayant pas grandi dans un pays musulman, qui revendiquent la liberté de mettre le voile ou la burka. En revanche, vous pouvez en rencontrer d’autres qui vous expliquent qu’elles ont été obligées de le mettre à cause de pressions familiales ou culturelles. Il faut tenir compte de la diversité des situations.

Jacques Myard a parlé d’une conception occidentale des droits de l’homme qu’il ne faut pas généraliser. L’émancipation des femmes n’est pas une quête exclusivement occiddentale. Dès la fin du XIXe siècle, l’écrivain égyptien Kacem Amin appelait les femmes à enlever leur voile au nom de l’égalité des genres. Aujourd’hui encore, il existe des hommes et des femmes qui, dans le monde arabe, poursuivent ce combat. Nous devons nous appuyer sur eux pour faire avancer la cause des femmes.

Peut-on envisager la politique étrangère au seul prisme des valeurs. Bien sûr que non. Je ne suis pas naïve. Nous sommes une puissance politique, économique et culturelle, et nous devons défendre nos intérêts. À quoi servirait d’aller prêcher des valeurs si l’on n’est plus écouté parce qu’on a perdu sa puissance. Hubert Védrine dit même qu’il est dangereux de fonder une politique étrangère uniquement sur des valeurs.

La question fondamentale à se poser est celle de la conciliation entre valeurs et intérêts « les choses étant ce qu’elles sont » comme dirait le général de Gaulle. Comment faire ? La politique étrangère a toujours fonctionné sur ces deux jambes, même avant l’existence d’un secrétariat d’Etat aux droits de l’homme. Les droits de l’Homme ne sont pas une marche triomphale ni une cause perdue d’avance. Ils sont un combat. Un combat à mener non pas en vertu d’un droit-de-l’hommisme déclaratoire mais d’un droit-de-l’hommisme incisif, exigeant sur les principes mais qui fasse converger les actes avec les valeurs.

Quant à la « Realpolitik », ce mot inventé par Bismarck au moment de la formation du premier empire allemand, signifie traditionnellement qu’un pays ne devait pas, pour défendre ses intérêts et son expansion géographique, s’embarrasser de morale ni de religion. Et en effet il faut bien acheter du gaz à la Russie et du pétrole à l’Arabie Saoudite. Les droits de l’homme ne relèvent pas des bons sentiments. Et je n’ai pas à m’enchaîner sur la place Tian’anmen ni à brandir une pancarte pour protester contre la crise au Tibet, n’étant pas une ONG, mais il est important de promouvoir les droits de l’Homme notamment par le droit. Je me suis attachée à montrer dans mon propos liminaire de quelle manière, par les « lignes directrices » de l’Union européenne ou les résolutions adoptées à l’ONU.

M. Christ a demandé quel rôle la France peut jouer en Afrique. Les relations entre la France et l’Afrique sont souvent passionnelles, que ce soit dans un sens positif ou négatif, à cause de l’histoire commune, de la francophonie, des échanges humains, économiques et culturels. Non seulement ces liens créent une relation particulière, mais, en même temps, cela donne le sentiment que la France a un devoir vis-à-vis de l’Afrique. Sans doute. Mais il faut dépassionner le débat. Nous n’avons pas à nous substituer aux Africains. Je suis persuadée par exemple que la rupture se fera avec les Africains ou ne se fera pas.

Concrètement, cela passe d’abord par l’implication toujours plus active des organisations régionales, comme l’Union africaine, dans le règlement des crises. C’est le cas par exemple au Soudan/Darfour C’est ensuite un engagement diplomatique des pays africains eux-mêmes ; je pense à cet égard au rôle de médiateur de l’Afrique du Sud au Zimbabwe . Il faut que les pays émergents en Afrique jouent tout leur rôle ; j’ai évoqué l’Afrique du Sud, mais je pense aussi au Nigéria et à beaucoup d’autres. Le FMI vient de classer par exemple quatre nouveaux pays africains parmi les pays émergents, dont la Tanzanie, le Ghana et le Kenya, dont je reviens. La France encourage ce mouvement et se tient prête à répondre aux demandes qui pourraient lui être adressés par les organisation régionales ou les pays africains eux mêmes. L’accusation ou le reproche de néocolonialisme est formulé un peu trop facilement à l’encontre de la France et n’est pas pertinent.

Prenons quelques exemples concrets, et d’abord le procès d’Hissène Habre. Cet ancien chef d’Etat du Tchad suspecté d’avoir commis des crimes de guerre et contre l’humanité, a trouvé refuge au Sénégal où, selon certaines ONG, il bénéficierait de certains appuis et soutiens.. Le président Wade s’est courageusement prononcé en faveur d’un procès au Sénégal. Et la France à la demande du Sénégal, a accepté de fournir un appui matériel et juridique à l’organisation du procès. Voilà un exemple de coopération.

En Somalie, se poursuit l’un des plus longs conflits d’Afrique. Il dure depuis depuis si longtemps, 1991, que plus personne n’en parle. C’est une véritable tragédie oubliée. Mogadiscio s’est vidée des deux tiers de sa population. Le Kenya supporte sur son flanc nord-250 000 réfugiés qui sont là un grand nombre d’entre eux depuis le début de la guerre, ce qui signifie qu’il y a des gens qui sont nés dans ces camps de réfugiés. Lors de mon déplacement, j’ai longuement rencontré le représentant spécial des Nations Unies pour la Somalie, M. Ahmedou Ould-Abdallah, et nous avons appelé à la création d’une commission chargée de juger les violations des droits de l’homme dans ce pays. Cette idée fait son chemin et notamment dans l’esprit de ceux qui violent ces droits.

En Afrique, la France n’agit pas seule, mais en concertation et coopération avec les institutions régionales Sa relation avec le continent africain doit être moins passionnelle et plus partenariale.

M. Jean-Paul Lecoq. Nous aurions beaucoup de sujets à aborder. Je me limiterai à quelques-uns.

En Afrique, le conflit le plus long est celui du Sahara occidental, non celui de la Somalie, puisqu’il dure depuis plus de trente ans. Les enfants nés dans les camps de réfugiés, âgés aujourd’hui de trente ans, viennent expliquer aux dirigeants des camps qu’il faut très vite reprendre les armes parce qu’ils n’arrivent pas à se faire entendre en dépit de toutes les résolutions des Nations Unies en leur faveur. Vous ne parliez pas beaucoup de cette question.

Cela fait peut-être partie – je vais être provocateur – des œillères que vous portez puisque, si vous ne voyez pas, à l’ouest, le Sahara occidental, vous ne voyez pas non plus, à l’est, la Palestine, alors que ces deux conflits portent atteinte aux droits des femmes et des enfants. Peut-être faites-vous des choses en faveur de ces deux pays mais on n’en entend pas parler.

Ma seconde question porte sur l’Amérique latine. Vous avez abordé la question de l’extermination des peuples. Des manifestations importantes sont organisées actuellement en Colombie par des Indiens qui luttent contre l’extermination dont ils sont victimes de la part de la mafia et autres. Vous êtes-vous déjà saisie de la question des droits des peuples autochtones à disposer de leurs terres ? Il a été beaucoup question de la Colombie au moment de la détention de Mme Betancourt. Il ne faudrait pas abandonner ce pays qui mérite de progresser et qui peut peser sur l’équilibre sud-américain.

Il semblerait qu’il y ait également des atteintes importantes aux droits de l’homme au Nicaragua. Avez-vous des éléments d’information sur la situation dans ce pays ?

Mme Nicole Ameline. Je suis sensible, madame la secrétaire d’Etat, à votre démarche et je vous en félicite. Je considère que vous portez admirablement le message de la France à la fois en dehors de nos frontières et à l’intérieur de celles-ci puisque j’ai eu le plaisir de vous accueillir à Caen au cœur du Mémorial qui est aussi un symbole du dialogue entre les cultures.

Je ferai une observation et poserai une question.

Votre démarche trouve une nouvelle opportunité aujourd’hui : au moment où le monde cherche une éthique de la mondialisation, la dimension humaine du développement apparaît comme un paramètre essentiel. Il est clair, par exemple, qu’il ne pourra pas y avoir de développement durable sans égalité entre les hommes et les femmes. Il est par conséquent intéressant de faire se croiser ces trajectoires, c’est-à-dire lier les objectifs fondamentaux que vous visez à une vision d’un monde plus juste s’appuyant sur ce que M. Boutros-Ghali appelait « l’irréductible humain », c’est-à-dire un socle de valeurs universelles.

Ma question ne portera pas sur les femmes, bien que je vous félicite, madame la secrétaire d’Etat, pour la résolution adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies contre les violences faites aux femmes dans les conflits. La France s’honore dans ce combat, et elle est entendue. C’est une des plus belles missions que de lutter contre les horreurs évoquées par le président Poniatowski.

Ma question concerne l’adoption. J’aimerais que vous reveniez sur ce sujet pour évoquer le réseau de volontaires qui œuvre en la matière et préciser l’action que les élus peuvent mener en renfort.

M. François Loncle. Personne ne peut douter, madame la secrétaire d’Etat, de votre engagement personnel. Vous avez d’autant plus de mérite que vous l’exercez sous la tutelle du Quai d’Orsay. Cela étant, nous ne sommes pas d’accord sur tout.

Le président du Tchad a profité du dernier conflit dans son pays pour liquider un certain nombre d’opposants. Certains sont revenus. D’autres sont peut-être morts. La France avait demandé une commission d’enquête sur les exactions commises à l’encontre de l’opposition du Tchad. J’aimerais savoir où elle en est.

Quand je dis que nous ne sommes pas d’accord sur tout, cela ne s’adresse pas à vous-même, madame la secrétaire d’Etat, car votre discours était tout à fait intéressant. Mais, je considère que la France demeure trop complaisante à l’égard de la Chine. Cela a été dit pour le Tibet. On pourrait en dire autant pour Taïwan que la Chine empêche d’adhérer à l’organisation mondiale de la santé dépendant des Nations Unies. La France s’incline. Cette position peut-elle évoluer ?

Ma troisième question concerne la Colombie mais pas dans les mêmes termes que M. Lecoq, bien que je partage ses préoccupations. Ce qui me choque – et je l’avais déjà dit à M. Kouchner – c’est que l’Élysée vient de détourner la notion ô combien précieuse de droit d’asile puisqu’il envisage d’accueillir en France un ou des membres des FARC. Le droit d’asile est réservé à ceux qui souffrent et qui sont persécutés, il ne s’adresse pas à des terroristes et à des barbares. On fait une faute en prétendant respecter un accord très contestable formulé il y a de longs mois, même si l’on comprend que celui-ci réjouisse le gouvernement colombien.

Mme Rama Yade, secrétaire d’État. Vous me reprochez, monsieur Lecoq, de ne pas avoir évoqué la situation au Sahara occidental. Mais il faut bien voir que c’est la planète entière dont j’ai la charge. J’ai dit que je m’étais fixé des priorités car, si je me disperse, il ne se passera rien. Ce n’est pas parce que je traite d’un dossier brûlant comme la Somalie que j’ignore les autres pays. Je tiens à avoir la maîtrise complète de certains dossiers, que je veux mener jusqu’au bout, à la fois pour des raisons de visibilité et d’efficacité.

Concernant le Sahara occidental, de nombreuses résolutions ont été prises. Nous ne sommes pas directement partie prenante des négociations en cours entre le Maroc et le Front Polisario, mais nous aidons à des contacts entre les deux parties, ainsi qu’avec les Etats voisins que sont l’Algérie et la Mauritanie. Ces négociations se passent d’ailleurs sous les auspices des Nations Unies, notamment du représentant spécial du secrétaire général. Il ne serait pas forcément efficace que la France s’immisce, sans précautions, dans un processus dont la maîtrise a été confiée aux Nations-Unies. Elle vient en soutien, et elle aide, lorsqu’on le lui demande.

S’agissant de la Palestine, vous provoquez sans doute. Vous savez très bien que la France appelle Israël à participer à la création d’un Etat palestinien, seule solution pour la paix dans la région.

Les droits des peuples autochtones en Amérique du Sud sont un sujet important, qui est encore traité de façon régionale et ne bénéficie pas hélas d’une très grande médiatisation. Il y a de nombreuses résolutions des Nations Unies sur cette question dont la très importante déclaration sur les droits des peuples autochtones adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2007 avec le soutien actif de la France Il existe même un forum des experts des peuples autochtones. La France a toujours soutenu ces initiatives et tout ce qui relève de la préservation des identités. Comme j’en ai fait la remarque lorsque j’ai ouvert le colloque « Union européenne/Amérique latine » il y a quelques jours, la France devrait resserrer ses relations avec l’Amérique latine. Cela correspond d’ailleurs au souhait de nombreux pays du continent, comme le Mexique et le Brésil. Je suis d’accord avec vous, monsieur Lecoq, pour reconnaître que ces questions pourraient davantage être portées à la connaissance de l’opinion.

Je vous remercie, madame Ameline, de votre soutien et de vos remarques. L’implication des élus en matière d’adoption internationale est très importante. Comme je vous l’ai dit, j’ai approché ce sujet à l’occasion de mes déplacements et de mes rencontres avec les parlementaires. Tout a commencé avec l’Arche de Zoé puisque certains d’entre vous m’avaient alertée sur les agissements curieux de certaines personnes dans leur région. Les élus sont également très sollicités sur les questions d’adoption. Le nombre de leurs interventions pour venir en aide à des familles en attente d’adoption. J’ai d’ailleurs été auditionnée plusieurs fois par des députés sur cette question.

L’implication des élus est essentielle, non seulement pour le diagnostic, mais également pour la réforme que l’on va mener. Vous connaissez la réalité du terrain. On peut aller plus loin. Comme vous le savez, j’ai lancé le projet des volontaires de l’adoption internationale avec des personnes issues de l’Association française des volontaires du progrès, association qui a été créée du temps du général de Gaulle et qui collabore avec le Quai d’Orsay depuis de nombreuses années. La mission de ces jeunes gens est de venir en aide aux familles désemparées par l’attente et la longueur des procédures. Je suis intervenue dans de nombreux pays cette année, notamment au Népal, en Haïti, au Cambodge, pour débloquer, avec succès, des dossiers.

La réforme de l’adoption internationale a pour objectif de coordonner toutes les démarches et d’éviter ces interventions au coup par coup.

Les volontaires nous permettront d’agir sur le terrain. L’un d’entre eux a déjà commencé sa mission au Cambodge, en août dernier. D’autres seront installés dans une vingtaine de pays d’ici à la fin de 2009. Six pays ont été identifiés – l’Inde, le Népal, le Vietnam, l’Éthiopie, le Guatemala et Haïti – qui ont tous des chantiers à développer. Le financement des volontaires sera assuré pour deux ans à 45 % par l’Etat et, pour le reste, par des collectivités territoriales et des entreprises que je m’emploie à mobiliser.

J’en viens aux questions de M. François Loncle. Dès la disparition des opposants tchadiens, le 3 février dernier, nous avons aussitôt pris contact avec les autorités tchadiennes pour qu’une enquête soit menée et que les circonstances de leur disparition soient élucidées. Comme vous le savez, deux opposants sont réapparus sans que le sort du troisième Ibni Oumar Saleh, soit éclairci. Lorsque le Président de la République s’est rendu au Tchad en février, il a vivement souhaité la création d’une commission d’enquête pour faire la lumière sur ces faits. Nous y avons d’ailleurs été associés en tant qu’observateurs. Le Président de la République a reçu un des fils de M. Saleh, j’ai personnellement reçu l’autre qui vit en France, Mohammed Saleh. La commission a rendu son rapport le 5 août, et trouvé un faisceau de présomptions graves qui permettent de conclure, « au-delà de tout doute raisonnable, à l’implication de l’armée nationale tchadienne dans une action concertée et organisée, réalisée sur ordre de la hiérarchie militaire ou des instances supérieures tchadiennes ».

Le rapport recommande, en conclusion, de poursuivre les investigations policières et judiciaires, concernant notamment l’enlèvement de M. Saleh. Des actions ont été lancées en ce sens : création d’un comité de suivi du rapport et d’un sous-comité sur la sécurité, la justice et le soutien psychologique. Le gouvernement tchadien s’est engagé de son côté à ce que des poursuites judiciaires soient lancées rapidement. Nous allons mener en outre une action conjointe avec l’Organisation internationale de la Francophonie. Tels sont les éléments d’information que je peux vous donner sur cette affaire.

M. Loncle reproche à la France de ne pas être suffisamment exigeante vis-à-vis de la Chine. Je précise, d’abord, que je me suis toujours impliquée fortement sur la question des droits de l’homme en Chine, au nom du Gouvernement français. J’ai toujours dit ce que j’avais à dire sur la Chine, portée par cette conviction qu’il ne doit pas exister deux poids, deux mesures. L’interdiction faite par la Chine à Taïwan d’adhérer à l’OMS mériterait que nous nous penchions sur le sujet. Cela peut être fait à l’occasion de notre rencontre le mois prochain.

Quant au guérillero colombien, nous en sommes à l’analyse de sa situation judiciaire. Le Président de la République s’était fortement impliqué sur le dossier d’Ingrid Betancourt et avait même réussi à faire bouger les choses. Aujourd’hui, vingt-deux otages sont libres, dont Ingrid Betancourt. Pour montrer sa mobilisation, le Président avait pris certains engagements mais, avant d’être mis en pratique, ceux-ci doivent être analysés en détail. Il faut vérifier que la personne en question n’est sous le coup d’aucune procédure judiciaire où que ce soit dans le monde.

M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie, madame la secrétaire d’Etat. Comme vous pouvez le constater, la commission est très intéressée par la problématique des droits de l’homme. Je vous invite donc à revenir devant nous avant l’année prochaine.

La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq

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