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Commission des affaires étrangères

Mercredi 10 décembre 2008

Séance de 10 h 00

Compte rendu n° 23

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Examen du rapport d’information de Mme Annick Girardin et de M. Louis Guédon sur la délimitation des frontières maritimes entre la France et le Canada

Examen du rapport d’information de Mme Annick Girardin et de M. Louis Guédon sur la délimitation des frontières maritimes entre la France et le Canada.
La séance est ouverte à dix heures

M. le président Axel Poniatowski. Je vous rappelle que cette mission confiée à Mme Annick Girardin et de M. Louis Guédon tire son origine de l’examen par notre commission, en septembre 2007, sur le rapport de M. Gérard Voisin, du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre la France et le Canada sur l’exploitation des champs d’hydrocarbures transfrontaliers.

A cette occasion, la question de la délimitation des frontières maritimes entre la France et le Canada s’était posée et plus précisément notre commission s’était interrogée sur la possibilité pour la France de déposer une demande portant sur l’extension du plateau continental à Saint-Pierre et Miquelon (SPM). J’avais écrit au ministre des affaires étrangères qui m’avait répondu qu’il n’y avait pas lieu de s’interroger. Avant de leur céder la parole, je recommande aux rapporteurs la plus grande pédagogie sur un sujet complexe.

M. Louis Guédon. La défense des intérêts maritimes me passionne, notamment ceux de Saint-Pierre-et-Miquelon car ce sont des marins partis de la ville dont je suis maire, les Sables d’Olonne, alors premier port morutier français qui ont découvert Terre-Neuve.

Les relations amicales nouées avec le Canada à cette époque se sont malheureusement ternies au XXème siècle en raison de querelles maritimes. Ces difficultés renvoient aux lacunes de notre pays tourné vers l’intérieur plus que vers la défense de son littoral. La protection accordée au territoire maritime que représente SPM est révélatrice d’une politique maritime qui fait aujourd’hui défaut, pas seulement pour l’archipel.

La zone maritime autour de Saint-Pierre-et-Miquelon, au sud de Terre neuve et à l’est de la Nouvelle-Ecosse, fait l’objet de discussions anciennes entre la France et le Canada, cristallisées à partir de 1966. La tension s’est accrue avec l’institution par les deux pays d’une mer territoriale, en 1970 pour le Canada et en 1971 par la France. Un premier accord de pêche a néanmoins pu être signé le 27 mars 1972 dont l’article 8 délimite des zones maritimes. Après l’établissement en 1976 de la zone de pêche canadienne et en 1977 de la zone économique française, les négociations reprennent en 1979 pour se conclure sur un constat d’échec en 1985. L’arbitrage apparaît comme la seule solution face à cette impasse diplomatique. Les deux gouvernements signent donc, le 30 mars 1989, un accord instituant un tribunal d’arbitrage chargé d’établir la délimitation des espaces maritimes entre les deux pays dont le contenu peut être discuté au regard des intérêts français.

La décision du tribunal de New York du 10 juin 1992, extrêmement défavorable aux prétentions françaises, reconnaît à Saint-Pierre-et-Miquelon le droit de disposer d’une zone économique de 12 400 km² alors que la France réclamait 48 000 km2.

La sentence arbitrale et le moratoire sur la morue décidé par le Canada le 2 juillet 1992 ont lourdement pénalisé l’économie de la pêche à Saint-Pierre-et-Miquelon, en réduisant considérablement les volumes et les zones de pêche attribués à l’archipel, subissant là les inconvénients des quotas que connaissent d’autres régions françaises. Face au déclin de la pêche, la découverte d’hydrocarbures semble offrir des perspectives intéressantes pour l’archipel.

En vertu de l’arbitrage précité, Saint-Pierre-et-Miquelon se voit donc gratifier d’une zone économique exclusive en forme de cigare (200 milles de long sur 10 milles de large) qui ne permet pas de préserver les intérêts maritimes du territoire.

Il n’est cependant pas question de remettre en cause la sentence pourtant mauvaise de 1992. Dans la situation que connaît actuellement SPM, le rôle de l’Ile de Sable mérite néanmoins d’être souligné. En tant qu’île – cette qualité ne peut lui être déniée en dépit d’un habitat aléatoire – elle peut engendrer une zone d’extension de 200 milles, ce qui en l’espèce, a pour conséquence d’enclaver l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon dans les eaux canadiennes. La différence de traitement qui est appliquée aux deux îles et le caractère inéquitable de l’effet attribué à SPM sont manifestes : une île habitée par 6 125 personnes donne droit à une zone économique exclusive (ZEE) de 12 400 km2 tandis qu’une île presque inhabitée génère une ZEE de 87 000 km2.

A cet égard, je souhaiterais vous faire part de la remarque du professeur Jean-Pierre Beurier de l’université de Nantes, qui a formé tant d’éminents spécialistes de droit maritime : « sur le plan formel, la procédure d’estoppel pourrait être mise en œuvre sur ce point. Le recours à l’estoppel répond à l’attitude d’un Etat partie à un litige qui présente le contraire de ce qu’il a admis précédemment ou va plaider ensuite […]. La loi de 1996 sur les océans, qui retient l’Ile de Sable comme point de la ligne de base alors que le Canada avait refusé lors de l’arbitrage de 1992 de la prendre en compte pour la délimitation unique entre les deux Etats, pourrait être contestée sur ce fondement. »

La concurrence entre Etats ne porte plus aujourd’hui sur la pêche mais sur le sous-sol riche en ressources pétrolières ou gazières. Alors que le forage effectué dans la zone française semble prometteur, il convient de protéger nos droits sur le sous-sol.

Aussi, sans qu’il s’agisse de contester l’arbitrage de 1992 relatif à la délimitation des espaces maritimes, la démarche pourrait consister à revendiquer une extension du plateau continental et à adresser avant mai 2009 une lettre d’intention à la Commission des limites du plateau continental. Il conviendrait parallèlement d’ouvrir des négociations avec les Canadiens afin de parvenir à un accord juste et respectueux des intérêts de chacun. C’est le sens des propositions de la mission.

Après que j’ai planté le décor, ma collègue, Annick Girardin, va revenir en détail sur ce dossier.

Mme Annick Girardin. La survie de la population de Saint-Pierre-et-Miquelon dépend de la défense par l'Etat des intérêts de la France dans la région, notamment et à très brève échéance sur le dossier du plateau continental. C'est ce qu'ont déclaré d'une même voix l'ensemble des élus et responsables locaux auditionnés par la Mission, ce dossier fondamental constituerait selon eux la « dernière chance » pour l’avenir de l'archipel.

Si le différend sur la zone économique exclusive a dominé la relation franco-canadienne faisant de cet espace maritime un espace de confrontation, le plateau continental étendu devrait être considéré comme un espace de coopération future.

En effet, la zone économique exclusive française, réduite à la portion congrue et enclavée dans la ZEE canadienne, ne suffit pas aujourd’hui à assurer la pérennité économique de Saint-Pierre-et-Miquelon. L’hypothèse de la revendication d’un plateau continental étendu mérite d’être attentivement étudiée, notamment au vu des perspectives qu’il offre en matière d’hydrocarbures et de pêche.

Selon l’analyse de la Mission, qui diverge de la position du ministère des affaires étrangères, une telle revendication peut en effet être envisagée, la sentence de 1992 ayant explicitement réservé cette possibilité.

Cette revendication traduirait la volonté de l’Etat français de ne pas renoncer à ses droits d’Etat côtier dans la région et de soutenir l’archipel dont le potentiel, lié à sa proximité avec une région qui connaît un essor économique sans précédent, est malheureusement négligé.

Alors que la population diminue pour s’établir aujourd’hui à 6 125 habitants, les élus de Saint-Pierre-et-Miquelon cherchent unanimement les solutions susceptibles de garantir un avenir économique pour l’archipel.

Les ressources de l’océan atlantique ont offert à SPM un glorieux passé en matière de pêche. Les différends avec le Canada et la raréfaction des espèces ont précipité dans les années 90 le déclin de cette activité. L’archipel doit donc aujourd’hui se tourner vers de nouvelles formes de pêche mais aussi vers de nouvelles zones à exploiter.

Pour satisfaire à la nécessité de diversification des activités, SPM s’intéresse également à l’exploitation des hydrocarbures qui recèle un potentiel quasi inexploité jusqu’à présent excédant les limites de la seule ZEE française comme le montre la carte des gisements. Enfin, si l’insularité confère aux ressources maritimes un rôle prépondérant dans l’économie de l’archipel, ce dernier doit également profiter de sa proximité avec les Provinces atlantiques canadiennes pour partager leur essor, et donc dépasser la confrontation entre la France et le Canada sur la délimitation de leurs zones maritimes respectives.

Je ne reviendrai pas en détail sur la genèse de l’arbitrage présenté par M. Louis Guédon. Si ce n’est pour préciser que l

a décision du tribunal de New York du 10 juin 1992 reconnaît à Saint-Pierre-et-Miquelon une ZEE qui comprend un étroit couloir au sud, long de 200 milles et large de 10 milles. Cette décision délimitant la ZEE française a été vécue à Saint-Pierre-et-Miquelon comme une cuisante défaite et un abandon de l'archipel par l'Etat français.

Je souhaite attirer votre attention sur plusieurs points importants de la décision du tribunal arbitral: aux termes de celle-ci, la zone française se trouve fermée au Sud ; la décision est muette sur l’enclavement de Saint-Pierre-et-Miquelon dans les eaux canadiennes ; enfin, c’est important, le tribunal a explicitement refusé de se prononcer sur l’extension du plateau continental : tous les juristes auditionnés par la missions s’entendent sur ce point.

La détermination postérieure de la ZEE canadienne a ravivé les rancoeurs fondées sur l’injustice de l’arbitrage en confirmant l’enclavement de l’archipel dans les eaux canadiennes. La loi canadienne sur les océans de 1996 établit la ZEE canadienne, en prenant notamment comme point de base pour calculer sa largeur l’Île de Sable, située à 88 milles des côtes continentales canadiennes. La carte qui vous a été distribuée illustre parfaitement le résultat inéquitable qui résulte de cette différence de traitement : une île habitée par 6 125 personnes, SPM, donne droit à une ZEE de 12 400 km² tandis qu’une île presque inhabitée, l’Île de Sable, génère une ZEE de 87 000 km².

Il semble cependant que la ZEE canadienne et le rôle de l’Ile de Sable puissent difficilement être contestés aujourd’hui.

Saint-Pierre-et-Miquelon entend aujourd’hui dépasser le contentieux relatif à la ZEE. Les conséquences désastreuses de cette décision sur l’économie de l’archipel ont conduit le Gouvernement à développer une stratégie fondée sur son intégration régionale. La Mission considère cependant que la coopération avec le Canada n’a pas à ce jour produit les résultats escomptés et n'a pas permis d’enrayer le déclin de l'archipel. C’est pourquoi elle propose une solution susceptible d’assurer la survie économique de SPM tout en associant le Canada : la revendication d’un plateau continental étendu. Si la remise en cause de la frontière maritime de 1992 semble désormais exclue, l’extension du plateau continental n’a en effet pas été tranchée par la décision arbitrale.

Aux termes de l’article 76 de la Convention de Montego Bay, les États côtiers peuvent étendre leur juridiction au-delà des limites de la zone économique exclusive en fixant la limite de leur plateau continental.

Le plateau continental comprend les fonds marins et leur sous-sol: soit depuis le prolongement naturel du territoire terrestre de l’État jusqu’au rebord externe de la marge continentale, soit jusqu’à 200 milles marins des lignes de base lorsque le rebord se trouve à une distance inférieure.

Lorsque la marge continentale s’étend au-delà de 200 milles, les États peuvent prétendre exercer leur juridiction : soit jusqu’à 350 milles marins des lignes de base, soit jusqu’à 100 milles de l’isobathe 2500 mètres, en fonction de certains critères géologiques. C’est ce que l’on appelle le plateau continental étendu.

Afin de revendiquer cette extension, l’État côtier doit d’abord déposer, avant le mois de mai 2009 pour la France, un dossier devant la Commission des limites du plateau continental (CLPC), organisme dépendant des Nations unies.

Lors de la dernière réunion des Etats parties à la convention sur le droit de la mer, il a été décidé d’alléger la procédure : le délai de dépôt du dossier peut désormais être respecté en soumettant au secrétaire général un dossier partiel – contenant les données actuellement disponibles - à titre conservatoire.

La revendication serait aujourd’hui l’occasion pour le Gouvernement français de réaffirmer la volonté de l'Etat de préserver ses droits dans la région et de soutenir le développement économique de l'archipel de SPM. La Mission souhaite à cet égard rappeler l’attachement de la population comme des élus de l’archipel à cette question ainsi qu’en témoignent les délibérations du conseil territorial et une pétition signée par la quasi totalité des habitants.

Mais cette revendication constitue également un enjeu majeur pour l’avenir de l’archipel puisqu’un plateau continental étendu renouvellerait les perspectives en matière de ressources maritimes pour SPM. Enfin, l’absence de revendication avant la date butoir interdirait toute demande française à l’avenir.

Pourtant, les autorités gouvernementales ne semblent pas à ce jour disposées à déposer un dossier devant la CLPC.

Défendant une position ferme et constante, le ministère des affaires étrangères partage avec les autorités canadiennes la conviction que l’arbitrage de 1992 a définitivement clos tout débat relatif aux frontières maritimes, interdisant toute revendication d’un plateau continental étendu.

La Mission ne partage pas cette analyse. Sans remettre en cause l’arbitrage de 1992, celle-ci considère que la sentence de 1992 qui porte sur la définition de la ZEE n’exclut en rien la possibilité de revendication d’une extension du plateau continental. Hormis le ministère des affaires étrangères, les personnes auditionnées par la Mission concluent unanimement qu’une telle revendication n’est pas dénuée de fondement juridique. Plusieurs arguments peuvent être avancés à l’appui d’une demande française en ce sens :

– la réalité géologique : l’existence d’un continuum géologique dans la région satisfait au critère du prolongement naturel du territoire terrestre ;

– la sentence du tribunal arbitral en 1992 a réservé cette possibilité dans sa section 8 consacrée au plateau continental prolongé ;

– chaque Etat côtier détient des droits sur le plateau continental qui existent sans nécessité d’une proclamation. Les droits reconnus à l’Etat par la convention sont des droits inhérents découlant de la souveraineté de l’Etat côtier et non d’une délimitation.

Cependant, la difficulté tient à ce que, en raison de l’emplacement de l’Ile de Sable, les eaux internationales se situent à 300 milles des côtes de SPM. 100 milles de zone maritime sous juridiction canadienne séparent donc la zone économique française de la haute mer proprement dite et de la zone sur laquelle pourrait porter une revendication française de plateau continental étendu. A la limite sud tracée par le Tribunal arbitral en 1992, les droits français (plateau continental étendu) et canadiens (ZEE) se chevaucheraient.

Afin de revendiquer le plateau continental s’étendant au-delà de la zone canadienne, deux options sont donc envisageables :

– la théorie du saute-mouton en vertu de laquelle les droits français s’interrompent sous la ZEE canadienne pour renaître sur la portion du prolongement naturel du territoire au-delà. Je ne préciserai pas les nombreuses raisons pour lesquelles cette théorie est difficilement défendable ;

– la superposition de deux zones maritimes relevant de souverainetés distinctes : il s’agit de soutenir que les droits français sur un plateau continental sous la ZEE canadienne ne sont pas absents.

La pratique étatique au travers d’accords de délimitation montre que peuvent se superposer des fonds marins relevant d’un Etat et une colonne d’eau surjacente placée, quant à elle, sous la juridiction d’un autre Etat.

Si la France revendique un plateau continental étendu, la zone située entre la limite de la ZEE française et la limite de la ZEE canadienne pourrait donner lieu à une coopération : la France y détient des droits sur le sol et le sous-sol correspondant à son plateau continental tandis que le Canada y détient des droits sur la colonne d’eau procédant de sa ZEE. Depuis la limite de la ZEE canadienne jusqu’à 350 milles des lignes de base françaises s’étendrait le plateau continental étendu français.

La question de la concurrence entre ZEE et plateau continental sur le sol et le sous-sol, en l’absence de jurisprudence, ne peut cependant être résolue que par un accord avec les Canadiens à l’instar de certains accords de délimitation existants.

La première étape vers une extension du plateau continental qui donnerait éventuellement lieu à une gestion concertée avec la partie canadienne consiste à déposer un dossier de demande devant la commission compétente, la CLPC. Cette démarche suppose préalablement une révision de la position gouvernementale qui pourrait faire l’objet d’une concertation interministérielle.

La Mission suggère donc que la France dépose un dossier préliminaire annonçant par ailleurs son intention d’entamer des négociations avec le Canada. Cette démarche permettrait, d’une part de préserver les droits maritimes français et, d’autre part, de convaincre les Canadiens des bonnes intentions françaises. L’allègement de la procédure décidé récemment permet de répondre au souci exprimé par de nombreux interlocuteurs de prendre date sans provoquer un raidissement canadien. Il s’agit de déposer des informations préliminaires sans préjuger des suites qui seront données au dossier. Loin de s'inscrire dans une démarche de confrontation avec le Canada, cette lettre d'intention constitue le préalable nécessaire à l'ouverture des négociations avec nos partenaires canadiens qui, seules, peuvent permettre d'aboutir à une solution équitable et bénéfique pour tous.

Avant de passer aux recommandations de la Mission, permettez-moi quelques remarques.

Michel Paoletti, président du Groupe Outre-Mer au Conseil Economique Social et Environnemental, disait hier lors du forum intitulé « Une ambition pour les Outre-Mers, un enjeu pour l'Europe » que le 21ème siècle serait maritime. « C'est le nouvel Eldorado, et seulement 10 % de ses richesses sont connues à l'heure actuelle. Les pays se battent en ce moment pour gagner des kilomètres carrés de mer, et c'est ainsi que l'Australie vient de dépasser la France. » Les molécules, les protéines dont nous aurons besoin, c'est la mer qui nous les fournira. Aucun pays ne négligerait aujourd'hui de faire valoir ses droits maritimes sur une zone qu'elle peut revendiquer, aussi petite fusse-t-elle.

Le Gouvernement souhaite à raison que les Outre-Mers valorisent leurs richesses. Or, la richesse de SPM c'est sa zone maritime. Elle doit être défendue. Aussi, comment pourrait-on comprendre que la France renonce à un nouvel espace dans cette partie du monde, même si cet espace devait être cogéré ?

C'est pourquoi la Mission vous propose de :

1. Solliciter un réexamen interministériel de la question de l’extension du plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon, tirant les conséquences de l’adaptation de la procédure décidée lors de la dernière réunion des Etats parties à la Convention sur le droit de la mer ;

2. Demander au Gouvernement de transmettre, avant mai 2009, au secrétaire général de la commission des limites du plateau continental une lettre d’intention comportant les éléments préliminaires nécessaires au dépôt ultérieur d’un dossier d’extension du plateau continental ;

3. Accompagner cette lettre d’une démarche auprès des autorités canadiennes afin de solliciter l’ouverture de négociations sur, d’une part, la gestion d’une éventuelle zone maritime commune, et d’autre part, l’intégration économique de l’archipel dans la région ;

4. Proposer aux responsables canadiens la réalisation d’études scientifiques conjointes afin de collecter des données sur les ressources maritimes ;

Pour terminer, il me semble important que ces propositions rencontrent le plus grand écho parmi nos collègues et le Gouvernement, et c'est à ce titre que j'invite notre Président à se saisir de ce dossier et de soutenir nos propositions auprès du ministre des affaires étrangères et du Premier ministre. Je vous remercie.

Le Président Axel Poniatowski. Le sujet est particulièrement complexe et quelques précisions sur les concepts utilisés et les enjeux de la dispute ne seraient pas inutiles à une bonne compréhension de la question. La zone économique exclusive s’étend-elle à la fois aux fonds marins et au sous-sol ?

M. Louis Guédon, rapporteur. La définition juridique de la zone économique exclusive est très précise : « L’existence d’une zone économique exclusive confère à l’État côtier dans ladite zone

– des droits souverains aux fins d’exploration et d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, des eaux surjacentes aux fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol, ainsi qu’en ce qui concerne d’autres activités tendant à l’exploration et à l’exploitation de la zone à des fins économiques, telles que la production d’énergie à partir de l’eau, des courants et des vents ;

– juridiction, conformément aux dispositions pertinentes de la Convention, en ce qui concerne : la mise en place et l’utilisation d’îles artificielles, d’installations et d’ouvrages, la recherche scientifique marine, la protection et la préservation du milieu marin, les autres droits et obligations prévus par la Convention. »

Le problème vient justement du caractère très étendu de la définition, qui profite largement au Canada en l’espèce.

Le Président Axel Poniatowski. En l’état actuel, au-delà de la zone française en forme de cigare, tout le reste est canadien ?

M. Paul Giacobbi. Sur décision unilatérale de leur part !

Le Président Axel Poniatowski. Quel est à cet égard l’impact de l’existence de l’Île de Sable ?

M. Louis Guédon, rapporteur. L’intérêt, pour la France, de posséder des territoires sur l’ensemble du globe réside en particulier dans l’étendue de la zone maritime qui en dépend. L’Île de Sable joue ici le même rôle pour le Canada, puisque le fait qu’elle soit habitée une partie de l’année permet de ne pas la considérer comme un îlot mais comme une île à part entière susceptible d’engendrer une zone économique.

Mme Annick Girardin, rapporteure. Si cette île n’existait pas, la ZEE française serait évidemment plus importante.

Le Président Axel Poniatowski. Quelles sont les revendications précises à formuler, pour la partie française ?

M. Louis Guédon, rapporteur. L’équité commande donc de mieux équilibrer intérêts français et canadiens. La seule voie de droit permettant de rouvrir le dossier consiste à saisir, avant d’être forclos en mai 2009, la Commission des limites du plateau continental. Cela suppose que la France se décide à agir dans un domaine où elle reste trop passive.

Mme Annick Girardin, rapporteure. Il ne s’agit pas de revenir sur la sentence arbitrale de 1992 mais de proposer une cogestion avec les Canadiens de ce qui serait la zone conjointe entre leur ZEE et notre plateau continental étendu.

Le Président Axel Poniatowski. Quel est le support juridique de l’extension préconisée du plateau continental ? Le Canada n’est-il pas fondé à soumettre une requête identique ?

Mme Annick Girardin, rapporteure. Le droit existant offre aux États la possibilité de demander une extension de leur plateau continental. Le Canada comme la France peuvent donc saisir la commission des limites du plateau continental. S’ils le font séparément, le dossier sera bloqué. Au contraire, en préconisant une simple lettre d’intention française, la mission souhaite que s’engagent des négociations bilatérales en vue de la constitution d’un dossier commun.

M. Paul Giacobbi. Gardons-nous, dans cette affaire, de confondre le droit, la sentence arbitrale et la décision canadienne unilatérale de 1996. L’extension du plateau continental est prévue, en droit, par la Convention de Montego Bay ; il existe une commission ad hoc.

L’attitude de la France dans cette controverse a ajouté, à l’amateurisme juridique, la candeur politique. C’est bien l’amateurisme qui a prévalu dans l’accord sur le lieu de l’arbitrage, dans l’acceptation de la présence majoritaire de juges américains au sein du tribunal arbitral, et dans le choix du moment : la jurisprudence était alors très floue, faisant grand cas de la notion d’équidistance – défavorable à la France – et laissant très peu de place à la notion d’équité – plus favorable à nos intérêts. Il eût mieux valu attendre. De surcroît, la défense française s’est révélée très faible devant le tribunal arbitral. Enfin, aucune exploitation des aspects de la sentence qui confortaient notre position n’a été effectuée. Or cette sentence écarte expressément toute considération sur la zone qui s’étend au-delà des 200 milles : le tribunal décline sa compétence et laisse ainsi ouvertes toutes les options ultérieures, occasion que la France n’a toujours pas saisie.

La candeur politique est tout aussi manifeste : on prétend ne pas vouloir élever de conflit juridique avec le Canada au nom de la préservation des bonnes relations franco-canadiennes. Mais plusieurs exemples existent de différends tout à fait similaires entre des États qui, à la même époque, entretenaient par ailleurs d’excellentes relations : le Qatar et Bahreïn ont connu un conflit juridique à propos d’un îlot, la Libye et Malte ont porté un différend relatif à des frontières maritimes devant la Cour internationale de justice, et les États-Unis sont, semble-t-il, allés jusqu’à supprimer matériellement un îlot pour faire disparaître une querelle du même ordre avec le Mexique. La France peut donc fort bien utiliser des voies de droit à l’encontre du Canada sans nuire aux relations bilatérales.

Or précisément, le Canada a adopté, en 1996, une attitude juridiquement inacceptable au regard de la sentence arbitrale de 1992. En effet, en 1992, les mémoires écrits de la partie canadienne ne mentionnaient pas l’Île de Sable. Soudain, en 1996, le Canada invoque l’existence de l’Île de Sable. Les marques de souveraineté existantes peuvent certes étayer sa qualification d’île, puisque cette terre n’est ni entièrement recouverte par les eaux ni totalement inhabitée. Mais mettre en avant cette île pour la fixation de la zone des 200 milles entraîne des conséquences exorbitantes au regard de ce qui n’est, en réalité, qu’un « fait maritime insignifiant ». Il est foncièrement inéquitable que cela octroie à la zone économique canadienne 87 000 kilomètres carrés face à une zone française de 12 000 kilomètres carrés. Ce changement d’argumentaire de la part du Canada, consistant à n’invoquer l’Île de Sable qu’en 1996 en déformant la portée de la sentence de 1992, justifierait pleinement une action reconventionnelle de la France en vertu du principe d’estoppel. Même si une telle action ne doit pas forcément être intentée, l’argument mérite à tout le moins d’être utilisé. La loi canadienne de 1996, par définition unilatérale, a instauré une forme de fait accompli que la France, hélas, n’a jamais contesté.

Que faire ? Plusieurs options se présentent. Tout d’abord, relancer la procédure sur le fondement de l’estoppel. Selon les juristes compétents, cela est possible ; il s’agit même d’un cas d’école. Ensuite, rappeler haut et fort quels sont nos droits. Enfin, utiliser toutes les voies de droit possibles, en particulier la revendication de l’extension du plateau continental ; la configuration à beau ne pas être optimale, la question vaut d’être soulevée. En définitive, il faut négocier avec le Canada, notamment sur la question du forage pétrolier, pour obtenir une répartition plus équitable des ressources.

M. Gérard Voisin. Je salue le rapport de nos collègues Annick Girardin et Louis Guédon, qui fait suite à celui que j’avais présenté sur l’accord relatif aux champs d’hydrocarbures transfrontaliers. Il faut déplorer que, jusqu’à présent, et sans vouloir accabler les prédécesseurs de Mme Girardin, l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon ait été mal défendu à l’échelle nationale et internationale. Tous les aspects juridiques de la question évoquée ce matin ont été étudiés ; il reste que la défense politique de ces îles, petites et lointaines, n’a jamais eu, sauf rare exception, l’écho qu’elle aurait mérité au Parlement. La réponse formulée par M. Bernard Kouchner au courrier du Président Axel Poniatowski, qui s’apparente à une fin de non-recevoir, participe de la même indifférence et n’est pas acceptable. Car nul ne peut nier l’intérêt économique et historique de la présence française à Saint-Pierre et Miquelon. Au-delà de la publication de ce rapport d’information, que des parlementaires métropolitains se rendent sur place serait donc un témoignage très utile et empêcherait que cette question tombe dans l’oubli.

Le Président Axel Poniatowski. Je mets aux voix la publication du rapport d’information.

(La commission autorise à l’unanimité la publication du rapport d’information).

Je suis prêt à intervenir personnellement sur ce sujet, sous une forme qui reste à définir précisément à la lumière des développements détaillés du rapport.

La séance est levée à onze heures quinze.



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