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Commission des affaires étrangères

Mercredi 21 janvier 2009

Séance de 16 h 15

Compte rendu n° 29

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes (ouverte à la presse).

Audition de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

La séance est ouverte à seize heures quinze

M. le président Axel Poniatowski. Merci, Monsieur le ministre, d’avoir répondu à notre invitation. Parmi les nombreux sujets d’actualité sur lesquels nous souhaiterions vous entendre, je voudrais pour ma part vous interroger sur la situation au Moyen-Orient et sur l’arrivée au pouvoir du président Obama.

Au Moyen-Orient, au cours du week-end, Israël d’une part et le Hamas d’autre part ont annoncé unilatéralement un cessez-le-feu ; mais Israël subordonnant son retrait de Gaza à l’obtention de garanties contre le réarmement du Hamas, pensez-vous que cette suspension des hostilités a vraiment des chances de se transformer en trêve durable ?

Par ailleurs, de votre point de vue, quel serait le meilleur moyen d’assurer la surveillance de la frontière entre l’Egypte et la bande de Gaza ? Un soutien international aux autorités égyptiennes vous paraît-il envisageable ?

Enfin, selon vous, quel rôle le président Obama peut-il jouer dans la résolution du conflit israélo-palestinien ?

S’agissant toujours de la nouvelle présidence américaine, le document transatlantique que vous avez transmis à l’équipe de transition de Barack Obama au nom de la présidence française de l’Union européenne, exprimant les propositions et les attentes de celle-ci, a-t-il d’ores et déjà suscité des réactions ? J’ajoute une dernière question : pourquoi le Gouvernement français n’a-t-il pas été représenté autrement que par l’ambassadeur de France à la prestation de serment de M. Obama ? Je doute que ce soit pour laisser toute la place à Mme Ségolène Royal…

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Conformément à la tradition, aucun gouvernement étranger n’a été invité à la cérémonie.

Chacun ici connaît la chronologie de notre implication face aux événements du Moyen-Orient. 27 décembre : déclenchement des opérations israéliennes à Gaza. 30 décembre, soit à la fin de la présidence française de l’Union européenne : réunion au Quai d’Orsay des vingt-sept ministres des affaires étrangères de l’Union, aboutissant à un document qui exige le cessez-le-feu immédiat, avec cessation des tirs de roquettes sur Israël et fin des mouvements de l’armée israélienne, et qui parle de trêve humanitaire et de garanties. 4 janvier : visite de la troïka en Egypte, en Israël et à Ramallah, en Cisjordanie. 5 janvier : à Ramallah, séance de travail entre le Président de la République française et la troïka de l’Union européenne au sujet de la suite du voyage, qui comportait pour la troïka Jérusalem, Tel-Aviv et Amman, et pour le Président de la République, après la visite en Israël, des visites en Syrie et au Liban, puis une visite de retour, qui a été très fructueuse, en Egypte. Pour ma part, j’ai quitté la troïka pour aller au Conseil de sécurité, dont nous assurions la présidence pour un mois ; nous avons mis quarante-huit heures – un peu moins – pour parvenir à la résolution 1860, qui est la première vraie résolution sur le Moyen-Orient depuis 2004 et qui a été votée à l’unanimité moins une abstention. Certains ont critiqué le fait qu’elle ne prévoie pas de sanctions, mais ce n’est jamais le cas dans une première résolution politique ! J’aurais voulu moi aussi, bien sûr, qu’elle soit appliquée tout de suite ; mais réclamer un caractère « contraignant » ne veut rien dire : tout ce qui vient du Conseil de sécurité est contraignant, même les déclarations présidentielles. Ce qui ne l’est pas, ce sont les résolutions de l’Assemblée générale. M. Ban Ki-moon a d’ailleurs voulu que le conseil se réunisse quelques jours après, juste avant son départ pour le Moyen-Orient, afin d’appuyer sa démarche.

A l’occasion du deuxième voyage en Egypte puis en Israël du Président de la République, qui avait au préalable consulté Mme Merkel et M. Gordon Brown, nous avons proposé des garanties concernant l’accès maritime à Gaza, afin de prévenir l’arrivée d’armes en contrebande. Nos trois pays se sont portés volontaires pour assurer la sécurisation de la zone ; nous pouvons pour cela déplacer les bâtiments dont nous disposons à proximité.

L’autre proposition de soutien international concerne le « couloir de Philadelphie », cette zone frontière d’une quinzaine de kilomètres entre l’Egypte et Gaza. Mais au Président de la République comme déjà à la troïka, l’Egypte a répondu qu’elle refusait la présence de troupes étrangères sur son sol, et il en va de même pour Israël. Dès lors que les territoires égyptien et israélien ne sont pas accessibles à des forces d’observation – auxquelles la Turquie et le Brésil seraient également prêts à participer –, que pouvons-nous faire ? Nous avons proposé de renforcer la mission EUBAM Rafah, mise en place en 2005 et suspendue en 2007 du fait des combats entre Palestiniens, qui était descendue jusqu’à 17 personnes. Pour le moment, aucune réponse ne nous a été apportée. Mais les Egyptiens vont rencontrer samedi au Caire d’une part les représentants d’Israël, d’autre part ceux du Hamas ; je pense que le sujet sera abordé, mais je ne sais pas si nous aurons une réponse.

Quant à M. Obama, nous souhaitons qu’il intervienne dans ce dossier, mais comment va-t-il le faire, personne n’en sait encore rien. En tout cas, le document transatlantique montrait clairement que l’Europe veut jouer un rôle politique, car nous souhaitons contribuer à accélérer la marche vers la création d’un Etat palestinien.

Il est conforme à la tradition que nous n’ayons pas eu de réponse à ce document transatlantique tant que Mme Condoleezza Rice était en fonction ; j’espère que Mme Hillary Clinton y répondra très vite et que la nouvelle administration américaine examinera avec nous les moyens d’assurer un cessez-le-feu durable.

La solution passe aussi par une réconciliation palestinienne – qui n’est pas du tout impossible, contrairement à ce qu’on peut penser. Nous avons très fortement soutenu la demande du président de l’Autorité palestinienne, M. Abou Mazen, d’un gouvernement d’entente nationale ; si le Hamas y répond favorablement, nous n’aurons plus la même position à son égard. Si nous pouvons être utiles, nous appuierons bien volontiers la constitution de ce gouvernement. Le Premier ministre, M. Salam Fayyad, avec qui nous travaillons très efficacement, considère pour sa part que la présence de personnalités du Hamas et de l’OLP s’acceptant mutuellement serait une première étape.

M. François Loncle. J’ai tout d’abord une demande à formuler. A la suite de la réforme constitutionnelle, nous allons délibérer mercredi prochain en séance publique des opérations extérieures de la France, qui donneront lieu à cinq votes – un par opération concernée. Mais un tel débat n’est précédé d’aucun rapport parlementaire, puisqu’il ne s’agit pas de la discussion d’un texte, et rien ne nous permet d’être pleinement informés. C’est la raison pour laquelle le président Ayrault a écrit avant-hier au Premier ministre pour lui demander de nous communiquer tous les éléments nécessaires – date et circonstances du déclenchement de chaque opération, mandats fixés, évolutions de ces opérations, effectifs engagés, pertes subies, état actuel des dispositifs militaires… – afin que nous votions en connaissance de cause.

M’abstenant de contribuer au bavardage sur l’arrivée du nouveau président des Etats-Unis – tout en m’étonnant, monsieur le ministre, de vous voir affirmer qu’il n’y a eu aucun contact avec lui, alors qu’un document lui a été adressé il y a plusieurs semaines –, je souhaite vous interroger sur la Mauritanie.

Un processus démocratique avait abouti à l’élection d’un président, et la Mauritanie était citée en exemple de démocratie africaine. Et puis un coup d’Etat a eu lieu. Il a été condamné par la France, par l’Union européenne, par l’Union africaine, par les Nations Unies. Aujourd’hui, que je sache, l’UE, l’Union africaine et l’ONU maintiennent totalement leur condamnation, même si l’ancien président est maintenant en liberté surveillée. Or il semblerait que le Quai d’Orsay, ou même, à l’Elysée, des responsables comme M. Bruno Joubert soient court-circuités par des conseillers occultes – on en connaît au moins un, et dont on ignore les ressources – qui cherchent à faire reconnaître par la France le régime né du coup d’Etat. Pouvez-vous nous dire ce qu’il en est ?

M. le président Axel Poniatowski. Je m’associe à votre demande de communication d’informations, tout en rappelant qu’on peut en trouver beaucoup sur le site du ministère des affaires étrangères et sur celui du ministère de la défense.

M. le ministre. Cette demande me surprend un peu, tous les documents me paraissant disponibles ; mais nous vous constituerons des dossiers au plus vite !

En Mauritanie, nous continuons à demander le retour à l’ordre constitutionnel. Mais ce n’est pas si simple : j’ai déjà eu, à Addis-Abeba, une séance de travail avec l’Union africaine, la Ligue Arabe, l'OIF et l’Organisation de la conférence islamique, dont une délégation officielle a ensuite été envoyée à Nouakchott. Nous sommes en contact avec le président de l’Union africaine, M. Kikwete, mais aussi avec M. Jean Ping, président de la Commission de l’UA. Il s’est rendu à Nouakchott, nous y sommes allés aussi. Nous constatons que ce coup d’Etat s’est fait sans la moindre goutte de sang – ce qui est mieux. Nous devons être réalistes : c’est une région extraordinairement fragile, qui a notamment fait l’objet d’attaques de l’organisation Al-Qaïda au Maghreb ; nous sommes attentifs à sa sécurité, et nous ne sommes pas les seuls. Nous n’avons pas changé d’attitude, mais il est assez difficile d’adopter une position absolue. Les coups d’Etat sont condamnables et nous les condamnons ; néanmoins nous avons salué des étapes encourageantes comme la libération du président, qui était prisonnier dans son palais. Nous avons pris note de l’annonce d’élections tout en demandant que les protagonistes ne puissent pas se représenter, et apprécié que le président, qui était retourné dans son village après être venu dans la capitale, puisse recevoir des hôtes librement. Voilà où nous en sommes.

M. François Loncle. Donc, vous suivez les recommandations de M. Bourgi ?

M. le ministre. Je ne sais pas de quoi vous parlez. Nous ne suivons les recommandations de personne. Nous calquons notre position sur celle de l’Union africaine.

M. le président Axel Poniatowski. Nous en venons à une première série de questions groupées.

M. Jean-Pierre Kucheida. Ma première interrogation concerne le Tchad, où je me suis rendu récemment avec l’assemblée interparlementaire de l’Union de l’Europe occidentale. L’EUFOR va quitter ses positions au mois de mars pour être remplacée par une force de l’ONU ; on va passer de 3200 hommes à 5200, mais je crains que cet effectif ne soit pas suffisant car, en qualité, un soldat de l’Union européenne en vaut sans doute trois ou quatre de l’ONU. J’ai donc des doutes sur l’évolution de la situation, les incursions de part et d’autre, tant du côté du Soudan que de celui du Tchad, risquant de se développer à nouveau.

En deuxième lieu, que peut-on dire aux personnels d’ambassade de catégories B et C qui se plaignent de leurs conditions de vie – coût de la vie, loyers, scolarité des enfants, emploi des conjoints – et, surtout, d’un manque de dialogue avec le ministère des affaires étrangères ?

En ce qui concerne l’Afghanistan, où je dois me rendre en mai, comment notre position a-t-elle évolué ? Connaissant la nature du terrain, que j’ai découvert dès 1964, je ne crois pas à l’efficacité d’un engagement militaire.

Enfin, l’accord russo-ukrainien va-t-il renforcer la volonté des pays européens de définir une véritable politique énergétique ?

Permettez-moi de vous dire en terminant qu’hier, devant mon poste de télévision, j’ai été très surpris par votre réaction aux propos de M. Hubert Védrine…

M. le ministre. Ce n’est pas la peine de dire que l’Europe pourrait jouer un rôle, alors qu’elle le joue déjà ! Voilà ce que j’ai fait observer, et cela n’avait rien d’inamical.

M. le président Axel Poniatowski. En ce qui concerne votre premier point, Monsieur Kucheida, tous les députés de la Commission étaient invités ce matin au Mont Valérien, où nous avons eu, au quartier général de l’Eufor/Tchad RCA, un exposé particulièrement intéressant.

M. Jean-Louis Christ. Lors de ses vœux au corps diplomatique, le président Sarkozy a présenté de nouvelles ambitions pour une paix globale au Kivu. Après s’être opposé à l’envoi des troupes européennes d’interposition, il a exprimé le souhait que l’on traite des problèmes de fond entre le Rwanda et le Congo. C’est une grande nouveauté dans l’approche de cette crise. Trois éléments sont évoqués : la promotion d’une coopération pacifique fondée sur l’exploitation en commun des ressources minières ; une initiative sur les questions foncières ; la recherche d’une solution à la question des minorités au Congo, notamment la représentation de la minorité tutsie dans les instances politiques locales. Pouvez-vous nous donner des indications supplémentaires sur cette initiative ?

M. Jean-Michel Boucheron. La période qui s’achève était faste pour notre pays, du fait de sa présidence de l’Union européenne et de « l’interrègne » américain. Des choses ont été faites, mais sur un certain nombre de dossiers j’ai trouvé la France un peu à la remorque des Etats-Unis de M. Bush.

C’est le cas au Proche-Orient, où j’ai regretté que la démarche se concentre sur la demande d’un cessez-le-feu, sans propositions constructives à long terme ; j’ai regretté notamment que nous ne considérions pas encore ceux qui gouvernent la bande de Gaza comme des interlocuteurs parmi les autres.

C’est aussi le cas au sujet de l’Iran, dossier sur lequel la France s’est montrée plus « bushiste » que Bush. Il est temps de discuter avec ce grand pays – et M. Obama va le faire.

La politique française va-t-elle anticiper les prochains virages américains, ou allons-nous, une fois de plus, accuser du retard ?

M. Michel Vauzelle. Monsieur le ministre, partagez-vous le sentiment d’une nouvelle régression sur le dossier du Proche-Orient ? Israël intervient, selon ce qu’il considère comme son bon droit, tantôt au Liban, tantôt à Gaza, peut-être demain en Cisjordanie ; et nous ne pouvons que regretter cette situation et réclamer le cessez-le-feu. La seule piste que nous pourrions sans doute explorer, c’est de rencontrer ceux qui se battent, pour inciter les parties à se mettre autour d’une table. Mais quelque chose de nouveau permet-il de penser que l’on avance vers la paix ? Même s’ils retirent leurs troupes de la bande de Gaza, les Israéliens peuvent continuer à la bombarder par voie aérienne ou par voie maritime ; en Cisjordanie, la colonisation continue ; à Jérusalem, l’encerclement de la partie arabe se poursuit. Continuer de déclarer que nous souhaitons un Etat palestinien et un Etat israélien disposant de frontières sûres et reconnues est bien commode, mais la situation réelle paraît désespérante et extrêmement grave – y compris pour l’Union pour la Méditerranée, qui me paraît mise à mal dès sa naissance, et sans parler de ses effets sur les populations dans des régions comme celle que je préside. A quoi pouvons-nous nous raccrocher ?

M. le ministre. Un mot encore à l’attention de M. Loncle et de ceux qui s’interrogent sur les contacts que nous aurions pu avoir avec M. Obama : le président qui achève son mandat étant, jusqu’au dernier moment, le seul maître à bord, aucun pays n’en a eu. Certes nous connaissons bien l’équipe de M. Obama, mais nos homologues eux-mêmes étaient très peu en contact avec leurs successeurs. Concernant le Moyen-Orient, c’est avec Mme Condoleezza Rice que nous avons parlé jusqu’à présent, même si nous savons qui va être désigné pour suivre ce dossier et quelles seront les grandes lignes de la position que défendra Mme Hillary Clinton.

Monsieur Kucheida, la résolution sur le Tchad vient d’être votée. Elle va mettre en place une nouvelle Mission des Nations Unies en République Centrafricaine et au Tchad, la MINURCAT 2, qui sera en partie constituée par des hommes des vingt-six nations qui composent l’EUFOR. Je suis très optimiste ; quand je suis allé sur place il y a deux mois, un quart des personnes déplacées avaient regagné leur domicile, et je pense qu’en mars on en sera à la moitié.

M. Jean-Pierre Kucheida. Non : 80 % des réfugiés, étant bien traités, n’ont pas envie de rentrer chez eux.

M. le ministre. Certes, dans les camps où chacun a de quoi manger, il peut y avoir un peu de pédagogie à faire… Mais la situation progresse – même si la guerre continue.

En ce qui concerne les fonctionnaires de catégories B et C, j’ai rencontré les syndicats à de nombreuses reprises, et encore la semaine dernière ; je viens de décider d’augmenter de 19 % l’indemnité de résidence de ces catégories dans les pays les plus chers, en particulier aux Etats-Unis.

M. Jean-Pierre Kucheida. Les fonctionnaires que j’avais rencontrés étaient en Ethiopie.

M. le ministre. On ne peut pas répondre à toutes les demandes, mais l’idée est bien de tenir compte de l’augmentation du coût de l’immobilier.

S’agissant de la scolarité à l’étranger, je n’entrerai pas dans la polémique sur la gratuité. En septembre prochain, celle-ci sera applicable en terminale, en première et en seconde.

En Afghanistan, il n’y aura pas de solution militaire au conflit, mais il faut absolument conforter nos amis. Tout en sécurisant la population, nous devons, comme cela s’est fait dans le domaine de la santé, donner les responsabilités aux Afghans. M. Robert Gates, secrétaire d’Etat à la défense de M. Bush que M. Obama a maintenu à son poste, a déjà décidé l’envoi de 20 000 soldats américains de plus.

En ce qui concerne le conflit russo-ukrainien, pour le moment le gaz arrive partout, y compris en France. L’Union européenne s’est montrée au début, grâce à la présidence tchèque, capable d’unité et de solidarité mais très vite, pressés par leurs besoins, certains pays ont été tenté de faire cavalier seul, ce qui n’a pas facilité le dialogue. Cette crise a fait apparaître de façon criante la nécessité, d’abord, de diversifier nos voies d’approvisionnement ; celle, ensuite, d’améliorer les interconnexions de gazoducs entre les pays européens, afin de permettre une solidarité interne. Au Conseil européen de mars, la question de l’énergie sera à nouveau posée.

Enfin, Monsieur Kucheida, Hubert Védrine est mon ami, mais il m’a néanmoins surpris en disant de l’Europe qu’elle ne devait pas attendre les Etats-Unis : c’est bien ce que nous avons fait au Moyen-Orient ! Nous nous sommes engagés à fond dans la Conférence de Paris ; nous avons condamné les colonisations, le Président de la République l’a fait à la tribune de la Knesset, et nous continuons à le faire, considérant que c’est un obstacle absolu à la formation d’un Etat palestinien. Nous le faisons parce que nous sommes les amis d’Israël. Quant à l’Union pour la Méditerranée, Monsieur Vauzelle, l’Autorité palestinienne et Israël y ont obtenu un poste de secrétaire général adjoint.

Monsieur Christ, hier, avec l’accord de M. Kabila et du gouvernement de Kinshasa, des soldats rwandais ont passé la frontière ; en principe, ils ne doivent pas rester longtemps. L’objectif que la France soutient et que M. Obasanjo, l’ancien président du Nigéria, a mis en avant, c’est une approche coopérative dans la gestion des ressources minières et du développement régional dans le respect de la souveraineté de la RDC.

Monsieur Boucheron, nous avons eu l’occasion d’affirmer très fortement nos positions lors de la Conférence de Paris. Ensuite, nous avons déployé notre énergie diplomatique et politique entre les Egyptiens, seuls interlocuteurs immédiats du Hamas, et les Israéliens ; et nous n’avons pas cessé de demander à M. Abou Mazen de parler au Hamas, mais il ne le voulait pas, et, disait-il, ne le pouvait pas. Une rencontre entre le Hamas et l’OLP devait avoir lieu début novembre, mais le Hamas de Damas l’a interdite ; dès lors, tout le monde s’attendait à ce que la crise éclate. La médiation avec l’Egypte a réussi, trop tard bien sûr pour les victimes. Le cessez-le-feu était la priorité, et je ne crois pas que nous pouvions être plus efficaces. Si le Hamas accepte l’idée d’un gouvernement d’union nationale, j’en serai le premier ravi.

Quant aux Iraniens, je leur ai parlé fréquemment pendant cette crise. M. Mottaki avait dit qu’il viendrait à la réunion de Paris, avec l’Afghanistan et ses voisins, mais au dernier moment il a annulé sa venue.

M. Jean-Michel Boucheron. Au-delà de ce dossier particulier, je parlais de la position française vis-à-vis de l’Iran, qui me paraît plus dure que la position américaine.

M. le ministre. Les Américains disent qu’ils vont parler aux Iraniens, mais nous, cela fait un an et demi que nous avons des contacts directs avec eux. Sans résultat jusqu’à présent.

M. le président Axel Poniatowski. Nous passons à une autre série de questions brèves.

M. Jacques Myard. Quelle est votre appréciation des rapports entre l’Egypte et le Hamas ?

M. Jacques Bascou. A l’issue de la réunion, la semaine dernière, de la commission exécutive de l’Union parlementaire de l’Organisation de la conférence islamique, le Président du Parlement jordanien a écrit au Président du Parlement européen pour lui dire que les parlementaires arabes et turcs ne participeraient plus aux réunions et aux activités de l’Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne. Dans ces conditions, que pensez-vous de l’avenir de l’Union pour la Méditerranée ? Quid des projets en cours ? Ce processus peut-il relancer les relations diplomatiques en Méditerranée ?

M. Lionel Tardy. Quel est votre avis sur le problème de la frontière entre l’Egypte et Gaza ? Que peut-on attendre sur ce sujet ? Quels engagements M. Moubarak a-t-il pris ?

M. Jacques Remiller. Avez-vous des informations à nous communiquer au sujet de l’élection présidentielle en Côte-d’Ivoire, qui vient d’être reportée une nouvelle fois ?

Pourriez-vous par ailleurs nous apporter quelques éclaircissements sur l’accord de paix dont la presse s’est fait l’écho, dans le cadre du groupe de Minsk, entre la République d’Azerbaïdjan et l’Arménie ?

M. Renaud Muselier. Les Etats-Unis sortent de la présidence de M. Bush déconsidérés sur la scène internationale, et depuis leur intervention en Irak, l’ONU est profondément affaiblie et se révèle incapable de faire appliquer ses résolutions – on le voit au Proche-Orient, en Afghanistan, au Darfour ou en Iran. Dans ce contexte, la France, qui a aujourd’hui un pouvoir diplomatique important, se doit d’avoir une réflexion sur le système onusien. Qu’en pensez-vous ?

M. le ministre. L’Egypte et le Hamas se parlaient dans un cadre très fermé, qui s’est un peu ouvert. Mais pour notre part, nous parlons aussi aux Syriens ; or à chaque fois qu’une délégation du Hamas quittait Le Caire, c’était pour rentrer à Damas. Nous avons eu la possibilité, et nous étions les seuls, de parler à la fois aux Egyptiens et aux Syriens, et donc au Hamas par l’intermédiaire des deux. Nous verrons comment se passent les rencontres de cette semaine : les Israéliens vont jeudi au Caire. Le Hamas, semble-t-il, a accepté de venir seulement samedi. En tout cas, les Egyptiens jouent un rôle très positif.

Oui, Monsieur Bascou, nous devons nous attacher à relancer l’activité parlementaire euro-méditerranéenne et à débloquer le processus de l’Union pour la Méditerranée ; je pense que c’est possible, mais je ne m’engagerai pas sur une date.

Monsieur Tardy, nous pouvons essayer, si on nous le demande, de mieux garantir la frontière entre l’Egypte et la bande de Gaza. L’Egypte a passé un accord il y a un an avec les Etats-Unis pour la fourniture de matériel de détection des tunnels, mais celui-ci n’a pas encore été totalement livré ; si nous sommes sollicités, nous apporterons volontiers notre contribution – mais nous ne pouvons pas intervenir sur le territoire égyptien. Cela dit, tant que durera le blocus de Gaza, il y aura de la contrebande ; nous sommes partisans, nous l’avons dit maintes fois, de la levée de ce blocus – qui ne profite pas à Israël.

Concernant la Côte d’Ivoire, Monsieur Remiller, je dois rencontrer dans les jours à venir M. Choi, le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations-Unies. Il semble toujours penser que l’élection, dont on a justifié le report par des difficultés techniques, va avoir lieu ; je vous ferai part de ce qu’il m’aura dit.

Monsieur Muselier, l’ONU ne fonctionne pas si mal – voyez le Kosovo, voyez la résolution 1860 sur le Moyen-Orient. Bien sûr, sa réforme est nécessaire, et peut-être faut-il faire une proposition provisoire. Il nous fallait attendre la fin de la présidence française de l’Union européenne ; nous nous attelons maintenant à ce dossier. La réflexion que nous allons avoir la semaine prochaine sur les opérations de maintien de la paix sera l’occasion de dresser un bilan, mais l’ONU, même s’il faut la réformer, est irremplaçable.

Concernant, dans le cadre du groupe de Minsk, les rapports entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, Monsieur Remiller, l’accord n’est pas encore signé. La Russie a joué un rôle qu’il faut saluer. Sur le terrain, nous avons consolidé la situation. La Conférence ministérielle de l’OSCE a été très positive ; nous poursuivons les contacts.

M. le président Axel Poniatowski. Nous vous remercions des éclairages que vous nous avez apportés, Monsieur le ministre.

La séance est levée à dix-sept heures trente-cinq.

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