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Commission des affaires étrangères

Mardi 17 février 2009

Séance de 16 h 30

Compte rendu n° 34

Présidence de M. Axel Poniatowski, président puis de Mme Martine Aurillac, vice-présidente

– Examen du rapport d’information sur le bilan de la présidence française de l’Union européenne – Mme Nicole Ameline, rapporteure

– Examen du rapport d’information sur « Quelle réforme pour le budget européen ? » – M. Roland Blum, rapporteur

– Centre spatial guyanais (n° 1330 et n° 1331) – M. François Loncle, rapporteur

– Accords avec le Bénin, la République du Congo et le Sénégal sur la gestion concertée des flux migratoires (n° 1326, n° 1327 et n° 1328) – M. Michel Terrot, rapporteur

– Accord avec la Tunisie sur la gestion des migrations et le développement solidaire (n° 1329) – M. Jean-Claude Guibal, rapporteur

Examen du rapport d’information sur le bilan de la présidence française de l’Union européenne

La séance est ouverte à seize heures trente

La commission examine le rapport d’information sur le bilan de la présidence française de l’Union européenne, présenté par Madame Nicole Ameline.

Mme Nicole Ameline, Rapporteure. La présidence française du Conseil de l’Union européenne qui s’est achevée le 31 décembre dernier semble déjà assez loin derrière nous. Elle aura pourtant été marquée par un calendrier extraordinaire à maints égards. Mais les dossiers continuent d’exister et d’avancer, peu ou prou, par-delà les présidences tournantes. En effet, le contenu des politiques communautaires ne cesse d’évoluer, comme sous l’effet d’une dynamique propre : ce qu’il est convenu d’appeler la « machine communautaire » persiste, semestre après semestre, à faire mûrir des compromis et à élaborer des normes dans quantité de domaines. À la différence des contenus, les méthodes me semblent davantage porter la marque de la présidence du moment. De ce point de vue, dresser un bilan de la présidence française doit également permettre de tirer des leçons sur le fonctionnement de l’Union. Peut-être même est-ce là l’aspect le plus pérenne de cette présidence. Naturellement, le contenu influe sur les méthodes, et réciproquement. Mais comme on va le voir, cette distinction est utile pour l’analyse.

La présidence française appartient donc au passé, du moins à l’aune du « temps médiatique ». Le changement de titulaire du portefeuille de secrétaire d’État aux Affaires européennes joue aussi, sans doute, un rôle. Et pourtant, l’établissement du bilan exhaustif de la présidence française est quelque peu prématuré. J’en prendrai deux exemples. Le premier est de court terme : on ne sait pas encore quel est le « coût complet » de la présidence française. Cet exercice, délicat, ne pourra vraisemblablement être mené à bien que lorsque seront disponibles les rapports annuels de performances annexés au projet de loi de règlement du budget, c’est-à-dire pas avant la fin du mois de mai. Mon second exemple renvoie au temps long de l’histoire de l’Union européenne : à l’évidence, il est un peu tôt pour mesurer avec justesse ce que sera le legs de la PFUE. Par conséquent, l’exercice du bilan suppose un devoir de modestie.

En parlant de modestie, ce ne sont sans doute ni notre présidence, ni les échos des tout derniers jours à propos des prétendues critiques adressées à la présidence tchèque, qui permettront d’écarter le grief, devenu quasi proverbial, d’« arrogance française ». Mais au moins l’unanimité s’est-elle faite pour saluer le professionnalisme de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Alors ne gâchons pas notre plaisir ! Cela est d’autant plus remarquable que les précédentes présidences françaises avaient été affectées par de sérieux problèmes d’organisation. En 2000, la France était en cohabitation. Et en 1995, l’élection présidentielle s’était déroulée à mi-parcours. Au contraire, la présidence de 2008 aura été organisée dans les meilleures conditions. La prochaine présidence française étant, à droit constant, prévue pour 2022, mieux valait ne pas risquer de laisser une mauvaise impression aussi durable.

En amont, la présidence a été minutieusement préparée, à la fois par de nombreux déplacements ministériels dans les 27 capitales et, en interne, par la mobilisation de toutes les administrations. Les instances de coordination que sont le Secrétariat général des affaires européennes à Paris et la Représentation permanente à Bruxelles ont rempli leur rôle de façon exemplaire. La mise en place d’un Secrétariat général de la présidence française du Conseil de l’Union européenne a été décidée dès le mois de juin 2007 et formalisée par un décret du 15 juin. Le Secrétaire général est notamment le responsable d’un programme budgétaire ad hoc, au sein des crédits de la mission Direction de l’action du Gouvernement. Ce programme de soutien visait à financer les dépenses additionnelles occasionnées par l’exercice de la présidence du Conseil et par ses actions préparatoires. Plus précisément, il s’agissait d’assurer une meilleure lisibilité des dépenses induites par l’exercice de la présidence que lors des précédentes expériences, une clarification des responsabilités de gestion, à travers une structure unique à vocation interministérielle, placée auprès du Premier ministre, une gestion plus efficace des crédits, fondée sur la recherche d’économies d’échelle permises par certaines mutualisations – par exemple les équipements pour l’interprétariat ou le parc automobile.

Je précise que ce programme était doté de 188,6 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 118,6 millions d’euros en crédits de paiement en loi de finances initiale pour 2008. L’exécution budgétaire fait apparaître une consommation des crédits de 153,8 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 110,5 millions d’euros en crédits de paiement, soit respectivement 82 % et 93 % des crédits votés. Même avec le solde des dépenses à régler en 2009, pour lesquelles 69,5 millions d’euros de crédits de paiement ont été votés en loi de finances initiale, les dépenses devraient être maintenues en deçà des 190 millions d’euros initialement prévus, qui se situaient dans la moyenne des budgets adoptés par les dernières présidences comparables. Mais encore une fois, le coût complet ne pourra être reconstitué qu’ex post. Il reviendra à nos collègues de la commission des Finances d’y veiller, appuyés par la Cour des comptes, par exemple pour réintégrer les coûts de personnel, qui sont supportés par les ministères et non par le programme budgétaire spécifique. De même pourra-t-on examiner le coût et les modalités de financement du Sommet du 13 juillet dernier consacré à l’Union pour la Méditerranée.

Le mot d’ordre qui avait été retenu il y a un an pour caractériser le programme de la PFUE, « Une Europe qui agit pour répondre aux défis d’aujourd’hui », aura été largement mis en œuvre. Le SGAE s’est naturellement déjà chargé du travail minutieux de recensement des nombreuses avancées à mettre à l’acquis de la présidence française et il en a publié une synthèse ; mon rapport écrit en reprend d’ailleurs les grandes lignes. L’essentiel à retenir pourrait être résumé dans les propos du Président de la République, qui a reconnu à la fin de son semestre de présidence combien l’exercice l’avait « changé ». Il a aussi souligné que la PFUE avait voulu une Europe « qui ne subit pas, qui agit, et qui protège ».

C’est peu dire que l’Union européenne, durant le second semestre de 2008, aura été active et réactive. Elle aura, pour reprendre les mots de notre Représentant permanent à Bruxelles, Pierre Sellal, répondu aux défis extérieurs et apporté des réponses collectives aux grands problèmes de l’heure. Là encore, je me permets de renvoyer aux développements de mon rapport écrit, ainsi qu’à ceux de mon précédent rapport d’information, qui traitait de l’Union européenne sur la scène internationale. Préparée avec soin et professionnalisme, la présidence française aura été politique de bout en bout. Politique dans la conduite des priorités de la présidence. Le pacte pour l’asile et l’immigration a ainsi été préparé très en amont, en dialogue étroit avec tous les États membres, et affiné à quatre reprises pour que le consensus se fasse en octobre. Le « bilan de santé » de la politique agricole commune a été géré avec doigté, sachant que la France est dans une position très particulière au regard de la PAC. L’Europe de la défense a pu progresser sur des sujets très concrets, des matériels ou des capacités, ce choix ayant permis de « réveiller une belle endormie » dix ans après l’impulsion franco-britannique de Saint-Malo. Alors que le sommet de Strasbourg-Kehl d’avril prochain doit célébrer avec éclat les 60 ans de l’Alliance atlantique, ces progrès européens étaient particulièrement bienvenus pour témoigner d’un renouveau de la relation transatlantique. Enfin, le « paquet climat-énergie » a pu être adopté in extremis au Conseil européen de décembre, puis par le Parlement dans la foulée. In extremis mais non pas « à l’arraché », ou au terme d’un épuisant marathon ressemblant à un marchandage. L’alliance de l’écoute et d’un vrai leadership a permis un accord que je ne crains pas de qualifier d’historique. L’Europe montre la voie au monde sur ce sujet majeur. Ce faisant, elle se hisse au rang qui devrait être beaucoup plus souvent le sien sur la scène internationale lorsqu’elle inspire le monde.

Politique, la présidence française l’a été, ô combien, dans la réaction à l’imprévu. Je ne cite que pour mémoire les épisodes que nous avons tous encore à l’esprit. La préparation d’une présidence du Conseil de l’Union comprend, entre autres passages obligés, la publication du calendrier prévisionnel des principales réunions du semestre, formelles ou informelles. Ainsi qu’il est de tradition communautaire, rien n’était prévu en août 2008 ; or la présidence s’est alors impliquée au plus haut point dans la crise en Géorgie, avec notamment la convocation d’un Conseil « affaires générales » extraordinaire le 13 août. Et le 1er septembre, là où le calendrier prévisionnel ne mentionnait qu’une réunion ministérielle informelle sur les transports, s’est tenu un Conseil européen extraordinaire sur cette crise géorgienne. De même, rien n’était prévu les week-ends des 4 et 5 octobre, puis des 11 et 12 octobre. Or les réunions aux formats les plus innovants ont été convoquées par la présidence pour traiter de la crise financière et endiguer la propagation de l’onde de choc américaine dans la sphère bancaire et financière. C’est ainsi que s’est tenu, pour la première fois, un Sommet de l’Eurogroupe au niveau des chefs d’État et de gouvernement, à Paris, le dimanche 12 octobre. Une réunion informelle des 27 chefs d’État et de gouvernement a également été organisée le 7 novembre pour préparer la réunion du G 20 aux États-Unis. Ce que j’appellerai « l’esprit de coordination » a en l’occurrence fonctionné à merveille et mérite d’être reproduit à l’avenir.

Politique enfin, la présidence française l’a été dans la gestion étroite des relations entre le Conseil, dans ses différents formats, et les autres institutions, la Commission et le Parlement européen, mais aussi la Banque centrale européenne. Il faut vraiment rendre hommage au Président Nicolas Sarkozy d’avoir su associer à ce point José Manuel Barroso à ses initiatives. Pourtant ce généreux souci n’aura pas masqué, à mon avis, le grave manque de réactivité de la Commission et de son président face aux différentes crises que nous avons connues. Dans l’articulation entre l’intergouvernemental et le communautaire, ce dernier pôle a paru complètement dépassé en période de crise. La PFUE en aura été un puissant révélateur. Il faut, peut-être davantage encore, rendre hommage au Président de la République pour l’attitude à la fois franche et attentive qu’il a su adopter à l’égard du Parlement européen. Les « eurodéputés » ne s’y sont pas trompés. Je considère qu’il s’agit là d’un réel progrès et d’une profonde intelligence des évolutions à l’œuvre au sein des institutions communautaires. En effet, l’histoire de la construction européenne est aussi − on le dit trop peu − celle du renforcement constant du Parlement européen, depuis son élection au suffrage universel direct il y a trente ans, jusqu’au Traité de Lisbonne. Il y avait là un beau geste politique. Il faut souhaiter qu’il se prolonge et se diffuse auprès des citoyens. Or on peut reprocher à la présidence française de n’avoir pas été suffisamment mise à profit pour faire de la « pédagogie communautaire » à l’aube d’une année qui pourtant aurait justifié qu’un tel effort soit consenti.

Ces six mois de présidence française auront mis en évidence un besoin aigu de réponses collectives face aux crises. Ils auront démontré la capacité de l’Union européenne à définir ou à proposer ces réponses, pourvu qu’un leadership soit exercé à sa tête. Ces six mois ont aussi, comme je l’espérais à l’automne 2007, consacré le retour de la France en Europe et de l’Europe en France. Au-delà de l’imaginable, le capital d’influence de la France en Europe et dans le monde a été réaffirmé. Ce semestre d’anthologie, aujourd’hui, nous oblige. Le besoin d’un leadership politique de l’Union est vital ; c’est pour cette raison qu’il faut au plus vite dépasser les atermoiements institutionnels et se doter des institutions telles que prévues par le Traité de Lisbonne. Au-delà, il est possible d’innover encore au service d’une efficacité institutionnelle accrue ; je pense par exemple à la pérennisation d’une réunion de l’Eurogroupe au niveau des chefs d’État et de gouvernement. La nécessité d’une voix européenne dans le monde s’accroît chaque jour : pour répondre aux crises du système international, pour tendre la main aux pays en développement, pour dialoguer avec les grandes puissances de demain. À l’aube de la présidence de Barack Obama, il est à mes yeux indispensable d’œuvrer à la définition d’une offre politique européenne dans le cadre d’une relation transatlantique refondée. Cela vaut dans le domaine de la défense et de l’OTAN. Cela vaut également pour l’Europe comme productrice de valeurs et de normes, sociales et environnementales ; une Union européenne qui doit être l’artisan d’une refondation sociale de la mondialisation. La présidence française du Conseil de l’Union a permis de voir l’Europe en grand. Ne laissons pas s’étioler cette belle idée.

M. Jean-Marc Roubaud. Vous avez évoqué, Madame la Rapporteure, la qualité et l’efficacité de la Présidence française, qui a été saluée par l’ensemble de la communauté internationale. Vous avez également évoqué la passivité de la Commission, qui désespère nos concitoyens et réduit encore leur confiance dans l’action politique. Vous avez enfin évoqué le traité de Lisbonne, dont la ratification se trouve aujourd’hui bloquée par le vote irlandais. Qu’en est-il de la situation actuelle sur ces points ?

Mme Nicole Ameline, Rapporteure. En contribuant à renouer un dialogue positif avec l’Irlande, la Présidence française a, là encore, apporté la preuve de son efficacité. Concernant l’activité de la Commission, je me suis entretenue récemment avec l’un de ses responsables, et il m’a rassurée en m’indiquant que l’institution est désormais convaincue que l’Europe doit être, à l’avenir, moins réglementaire, et plus régulatrice, ce dont je suis également persuadée. Sur tous les points, la dynamique créée par la Présidence française a montré qu’il fallait surtout améliorer la visibilité de l’Union européenne.

M. François Rochebloine. La Présidence française a montré que l’Union pouvait obtenir des résultats quand elle se mettait en action, par exemple dans le cas de la crise géorgienne. Ma seule interrogation concerne l’axe franco-allemand : l’activisme français au cours de la Présidence n’a-t-il pas nui à cette relation ?

Mme Nicole Ameline, Rapporteure. L’axe franco-allemand reste fondamental. La nomination de M. Bruno Le Maire au poste de secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes est un signe de la priorité accordé à cette relation.

M. Axel Poniatowski, Président. Je vous renvoie également à la lecture du livre de M. Jean-Pierre Jouyet, paru récemment, qui montre que le partenariat franco-allemand a un avenir prometteur.

M. Loïc Bouvard. L’une des ambitions de la Présidence française de l’Union européenne était d’obtenir des avancées dans le domaine de l’Europe de la défense. Ce point est d’autant plus important que la France envisage de reprendre toute sa place au sein de l’OTAN. Quels acquis la Présidence française a-t-elle enregistré dans ce domaine ? La France a-t-elle réussi à entraîner d’autres Etats membres dans la construction d’une Europe de la défense ?

Mme Nicole Ameline, Rapporteure. La Présidence française a permis d’avancer sur quatre points principaux : le renforcement des capacités militaires, la formation des soldats et des officiers par la mise en place d’un véritable Erasmus militaire, la lutte contre le terrorisme et la lutte contre la piraterie. Ces progrès sont tangibles et sont porteurs de sens. De telles avancées étaient nécessaires, si la France souhaite effectivement rénover ses liens avec l’OTAN. L’Europe de la défense apparaît donc à la fois à l’actif de la Présidence française, mais est également un des aspects les plus prometteurs du futur de l’Union.

M. Axel Poniatowksi, Président. La Présidence française a également permis de lancer d’autres projets très importants, en matière de transport aérien, de coopération dans le domaine aéronaval et d’entretien des flottes d’hélicoptères. Au total, dans le domaine de la défense, une dizaine d’initiatives ont été lancées par la France au cours de son semestre de Présidence.

M. Jacques Myard. L’évocation de la Présidence française de l’Union européenne me rappelle la pièce de Samuel Beckett « En attendant Godot ». La crise géorgienne a montré que les Etats étaient revenus au cœur des relations internationales, évolution dont je me félicite. La crise économique, également, a d’abord été traitée par des Etats, au sein du G4 au niveau européen, où la Commission ne siégeait pas, puis au sein du G20, là encore sans la Commission, quand des solutions mondiales ont commencé à être avancées.

Il est clair que le système européen actuel s’épuise. Il est faux de dire que l’Europe va bien. L’Union européenne est un projet des années 1950. La mondialisation économique telle qu’elle se fait conduit à réfléchir à des enjeux qui dépassent le cadre de l’Europe. Celle-ci va connaître une crise d’ici dix ans, qui provoquera un blocage de tout le système européen. On ne peut donc pas honnêtement parler de bilan positif pour l’Union européenne.

Concernant l’Europe de la défense, les projets de la Présidence française existent mais, dans le même temps, de très nombreux Etats européens financent la génération future d’avions de combat américains ! Dassault est le seul industriel européen autonome qui puisse encore fabriquer un avion de combat ! L’Europe de la défense, en l’état, est en réalité dominée par les Etats-Unis.

Mme Nicole Ameline, Rapporteure. Vous n’évoquez le projet européen que pour y renoncer. La Présidence française a donné à l’Europe plus de réactivité, tout en gardant constant à l’esprit le souci des coûts des mesures ainsi impulsées. Les organismes d’évaluation extérieurs et indépendants ont qualifié la Présidence français de très performante.

La commission autorise la publication du rapport d’information.

*

Examen du rapport d’information « Quelle réforme pour le budget européen ?»

La commission examine le rapport d’information « Quelle réforme pour le budget européen ? » présenté par Monsieur Roland Blum.

M. Roland Blum, Rapporteur. Après l’excellente intervention de notre collègue Nicole Ameline, je vais à mon tour vous parler de l’avenir de l’Union européenne sous un angle plus technique et plus aride mais qui n’est pas sans importance : celui du budget de l’Europe et de son inéluctable réforme.

Le budget de l’Union fait désormais l’objet d’une programmation pluriannuelle. L’accord du Conseil européen de décembre 2005 sur les perspectives financières 2007-2013 a été obtenu, comme vous le savez, au prix de l’insertion d’une « clause de réexamen », qui prévoit une réévaluation du cadre financier de l’Union sans tabous et « à froid », en dehors des contraintes inhérentes aux négociations sur un nouveau cadre financier. La Commission européenne a été chargée d’étudier la question et d’en faire rapport en 2008 / 2009.

Je me bornerai aujourd’hui, compte tenu des retards pris par la procédure de consultation lancée par la Commission sur la réforme du budget, à vous présenter les grandes lignes du rapport de synthèse établi par cette dernière en novembre dernier à partir de 300 contributions, dont celle de la France, sur le thème « Réformer le budget, changer l’Europe ».

Mais auparavant, je rappellerai brièvement quelques éléments relatifs au budget de l’Union pour 2009 et à la contribution de la France à ce budget.

En quarante ans, le montant du budget européen a été multiplié par 11 : il était de 10 milliards d’écus en 1969 et il s’élève en 2009 à 116,1 milliards d’euros. Néanmoins, la somme reste modeste : le budget général de l’Union pour 2009 ne représente que 0,89 % du revenu national brut de l’Union à 27.

Le budget 2009 est le troisième budget d’application du cadre financier pluriannuel 2007-2013. Il s’élève en crédits d’engagement à 133,8 milliards d’euros et à 116,1 milliards d’euros en crédits de paiement, soit l’équivalent de 0,89 % du RNB de l’UE.

Les principales dépenses – 45 % du budget, soit 60 milliards d’euros – seront consacrées d’une part aux politiques de cohésion et d’autre part aux politiques de compétitivité. La politique agricole commune (PAC) reste l’autre grande masse financière : 41,1 milliards d’euros, soit 30 % du budget, sont affectées à son « premier pilier », les dépenses agricoles et aides directes. Enfin 8,1 milliards d’euros sont prévus pour les politiques extérieures, soit 6,1 % du budget, avec une augmentation totale de 7,3 %. Les dépenses administratives par comparaison s’élèvent à 7,7 milliards d’euros, soit 5,7 % du budget.

Le montant, pour 2009, de la participation de la France au budget de l’Union s’élève à 18,9 milliards d’euros. La France reste ainsi le 2e contributeur en valeur au budget européen, après l’Allemagne. Mais la France a été aussi, en 2006, et en 2007, le principal bénéficiaire des dépenses de l’UE, avec 13,9 milliards d’euros, devant l’Espagne (12,8 milliards) et l’Allemagne (12,5 milliards). Cela s’explique notamment par les importants retours perçus dans le cadre de la PAC.

J’en viens maintenant à la présentation de l’état actuel de la procédure de réexamen du budget communautaire qui pour l’instant n’a franchi qu’une première étape.

Comme je l’ai indiqué, les conclusions du Conseil européen de décembre 2005 sur les perspectives financières 2007-2013 comportent une « clause de réexamen », qui « invite la Commission à entreprendre un réexamen complet et global, couvrant tous les aspects des dépenses de l’Union européenne, y compris la PAC, ainsi que des ressources, y compris la compensation en faveur du Royaume-Uni, et à en faire rapport en 2008-2009 . »

En réponse aux conclusions du Conseil européen, la Commission européenne a choisi de lancer une vaste consultation publique intitulée « Réformer le budget, changer l’Europe » qui s’est finalement achevée le 15 juin 2008.

La Commission a reçu un total de 284 contributions, en provenance du secteur public et gouvernemental, d’organisations non gouvernementales, de groupes d’intérêt du secteur privé et des partenaires sociaux, d’universités et aussi de citoyens individuels. Quasiment tous les gouvernements des États membres ont participé, sauf la Slovénie qui, assurant la présidence de l’UE pendant le premier semestre 2008, voulait rester neutre.

La Commission a publié un bref résumé des contributions et a organisé une conférence de clôture à Bruxelles en novembre 2008. C’est donc en retard sur le calendrier initialement prévu fin 2008 que la Commission devrait publier à l’automne 2009, juste avant la fin de son mandat, ses conclusions sur le réexamen du budget de l’Union sous la forme d’un livre blanc.

Il semble peu probable que la question de la réforme budgétaire soit encore abordée par les institutions européennes avant les élections européennes de juin 2009 et la résolution de la crise institutionnelle liée au rejet du traité de Lisbonne par l’Irlande.

Il me semblait néanmoins utile, même à ce premier stade et en dépit du retard pris par cette procédure de réexamen, d’informer les membres de la commission des affaires étrangères au moment où nous dressons par ailleurs un bilan de notre présidence.

J’en viens aux principaux enseignements de la consultation publique « réformer le budget, changer l’Europe » lancée par la Commission, concernant d’abord des dépenses.

La consultation publique permet déjà de constater une convergence remarquable des opinions en ce qui concerne les principaux défis que l’Union devra affronter dans les décennies à venir en raison de la mondialisation perçue comme une « force prédominante ». Le budget de l’Europe devrait mieux refléter les changements intervenus concernant principalement la nécessité d’assurer une meilleure compétitivité de l’Europe dans le monde, d’accorder une plus grande priorité à l’économie de la connaissance et de l’innovation, à la lutte contre le changement climatique, à la sécurité de l’approvisionnement énergétique, ainsi qu’à l’évolution démographique et la gestion des migrations. Les événements de l’année passée ont aussi démontré la nécessité d’assumer une responsabilité accrue au niveau mondial.

Ces nouveaux défis pourraient exiger un déplacement du centre de gravité, voire une augmentation de la taille du budget communautaire, dont les deux tiers sont aujourd’hui orientés vers la politique de cohésion et la PAC. De fait, l’augmentation des dépenses pour la recherche, l’innovation et en général pour des politiques en faveur de la compétitivité ainsi que pour la politique de l’environnement devrait être étudiée, tout en respectant les principes de subsidiarité et de proportionnalité ainsi que celui de la valeur ajoutée de l’action communautaire.

J’attire votre attention sur le fait que les moyens affectés à l’action extérieure de l’Union européenne sont perçus comme insuffisants. Le Parlement européen a ainsi déploré, dans sa résolution accompagnant le vote du budget 2009, que la rubrique 4 « L’Union européenne comme acteur mondial » ait été « constamment sous pression en raison du fait que ses marges disponibles ne suffisent pas à financer les priorités qui se sont fait jour au cours de l’année sans mettre en péril ses priorités traditionnelles. »

La politique de cohésion, qui vise à réduire des disparités régionales et couvre à elle seule plus d’un tiers du budget reste une préoccupation majeure dans l’Union élargie. Plusieurs propositions de réforme ont été faites, notamment celle de concentrer les fonds sur les États membres et les régions les moins développés. La politique de cohésion pourrait aussi soutenir les objectifs prioritaires relatifs à l’amélioration de la compétitivité et à la lutte contre le changement climatique.

La PAC, dont le « bilan de santé » vient d’être dressé sous présidence française, a toujours été une politique très controversée au niveau communautaire. Elle reste, pour la France comme pour beaucoup d’autres États membres, un secteur stratégique, mais le réexamen des dépenses liées à l’agriculture devrait mener à de nouvelles réformes pour mettre la PAC en conformité avec les priorités actuelles, telles que la sécurité alimentaire, la lutte contre le changement climatique et l’amélioration de l’environnement. Une réaffectation des dépenses du premier vers le second pilier est souvent proposée.

S’agissant des recettes, le système actuel dit « des ressources propres » assure un flux de recettes communautaires suffisant et stable. Depuis sa création en 1970 il a fortement évolué avec la prépondérance prise au fil du temps par la ressource PNB, qui constitue aujourd’hui près des deux tiers des recettes, et la mise en place de mécanismes de corrections, notamment le « chèque britannique », de plus en plus complexes depuis le milieu des années 80. Le système de financement actuel est devenu très compliqué et peu lisible.

La Commission, suite à la consultation publique qu’elle a lancée, a identifié deux grandes options pour la réforme du système des ressources propres : l’évolution vers un système reposant exclusivement sur les ressources propres traditionnelles et sur la ressource PNB avec suppression de la ressource fondée sur la TVA ainsi que de toutes corrections ; ou bien le passage, dans un délai plus ou moins long, à un système nouveau, fondé sur une nouvelle ressource propre.

Les ressources propres traditionnelles, qui ne représentent plus que 16,5 % des recettes, sont en fait plutôt bien acceptées. C’est la ressource fondée sur une TVA statistique, représentant 16,9 % des recettes, qui est perçue comme injuste, compliquée et peu efficace. Une nette majorité des gouvernements des États membres se déclare en faveur de l’abandon de cette ressource pour simplifier le système.

La ressource RNB est souvent vue comme une ressource équitable, transparente et relativement simple, qui doit être conservée. Pourtant, elle ne possède pas de lien direct avec les citoyens de l’UE et ressemble plus à une contribution nationale qu’à une ressource propre communautaire, ce qui incite les États membres souvent à juger les politiques communautaires plus en termes de « retour sur investissement » par rapport à leur contribution nationale qu’en appréciant la valeur globale des politiques menées au niveau européen.

En ce qui concerne la création de nouvelles ressources propres, une grande partie des gouvernements des États membres se déclare prête à étudier la question. Les avis divergent quant à la nature souhaitable d’une nouvelle ressource. Les propositions formulées sont souvent en relation avec des politiques spécifiques de l’Union, notamment avec la politique de l’environnement, comme, par exemple, une mobilisation des recettes procurées par les échanges de droits d’émission, la taxation des émissions de CO2, la taxation de l’énergie, de l’essence, ou du kérosène, ou bien des taxes aériennes. Le Parlement européen a aussi proposé d’étudier l’option d’une source reposant sur la TVA ou l’impôt sur les bénéfices des sociétés.

La plupart des gouvernements des États membres se sont déclarés contre toute forme de correction, d’exception ou de compensation. Une suppression de ces mécanismes rendrait le budget plus équitable et plus transparent − mais poserait certainement des difficultés politiques.

En ce qui concerne la contribution française à la consultation publique, outre la réaffirmation de la nécessité pour l’Europe de sécuriser son approvisionnement énergétique ou sa sécurité alimentaire, la France suggère la mise en place d’une vision agrégée des finances publiques en Europe afin d’évaluer comment l’Europe se situe par rapport à ses partenaires, la nécessité de sortir de la logique actuelle des rabais et des corrections et la limitation des instruments ad hoc créés en marge du budget. A ce titre notre pays propose le regroupement, lors du prochain cadre financier, de l’ensemble des instruments communautaires d’intervention en matière d’aide publique au développement

En conclusion, le processus de réexamen budgétaire, dont je viens vous présenter la toute première étape, est un exercice important qui pourrait permettre de définir les futures priorités de l’Union en matière de dépenses et de réviser le système de financement, devenu de plus en plus complexe et opaque. On peut aussi espérer qu’un futur budget correspondrait encore mieux aux attentes des citoyens, qui – d’après un sondage « Eurobaromètre » – souhaitent que les dépenses de l’Union se dirigent surtout vers la croissance économique (38 %) et vers l’emploi et les affaires sociales (36 %).

M. Jacques Myard. Le Rapporteur a souligné à juste titre la complexité du financement et des dépenses communautaires. Ces dernières consistent en un déplorable saupoudrage, la PAC étant la seule politique intelligente visant à stabiliser les marchés, alors que toutes les tentatives du même ordre portant sur d’autres secteurs ont échoué. La politique régionale est en revanche vouée à l’échec. Le saupoudrage actuel résulte des négociations permanentes entre institutions de l’Union, voire entre groupes parlementaires. Il est vrai que le montant du budget, qui représente 0,89 % du RNB, soit un peu plus de 110 milliards d’euros, n’est pas très élevé, mais c’est justement un paradoxe : il y a une véritable contradiction entre un discours européen en faveur du développement des politiques communautaires et le refus des Etats membres de contribuer davantage. La part de 0,89 % reste ainsi nettement inférieure à la part de 1,24 % du RNB, plafond fixé dans le cadre financier 2007-2013. Mettre en place un impôt européen reviendrait à accepter une nouvelle dépossession des parlements nationaux : le maintien de l’autorisation budgétaire nationale est indispensable.

M. Roland Blum, rapporteur. L’objectif poursuivi par la Commission dans le cadre des consultations en cours est justement d’éviter le saupoudrage en définissant clairement les politiques communautaires et les recettes du budget. L’éventualité d’un impôt européen et la question du niveau des moyens nécessaires sont abordées dans ce cadre, le statut quo actuel ne devant pas perdurer à cause de sa trop grande complexité.

M. Jean-Marc Roubaud. Le Rapporteur pourrait-il rappeler le montant de la contribution française au budget communautaire et celui des retours financiers dont elle bénéficie ? L’interventionnisme de la Commission ne devrait-il pas être mieux encadré, afin d’éviter qu’il la conduise à se pencher sur des sujets pour lesquels le niveau européen n’apparaît pas le plus pertinent ?

M. Roland Blum, rapporteur. Il faut en effet parvenir à une définition plus claire des domaines d’intervention communautaire.

Pour 2009, la contribution française au budget européen a été autorisée par le Parlement à hauteur de 18,9 milliards d’euros. La France a reçu 13,9 milliards d’euros de crédits communautaires au cours de l’exercice 2007. Elle en était le premier bénéficiaire, devant l’Espagne (12,8 milliards d’euros) et l’Allemagne (12,5 milliards d’euros).

La commission autorise la publication du rapport d’information.

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Centre spatial guyanais (n° 1330 et 1331)

La commission examine, sur le rapport de M. François Loncle, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la déclaration de certains gouvernements européens relative à la phase d'exploitation des lanceurs Ariane, Vega et Soyouz au Centre spatial guyanais (n° 1330) et le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation du protocole portant amendement de l'accord entre le Gouvernement de la République française et l'Agence spatiale européenne relatif au Centre spatial guyanais (CSG) (n° 1331).

M. François Loncle, Rapporteur. Les deux projets de loi qui vous sont transmis visent à autoriser l’approbation de deux textes internationaux relatifs à l’organisation des activités au sein du Centre spatial guyanais, et font donc l’objet d’un rapport commun.

Le premier projet de loi porte sur la Déclaration de certains gouvernements européens relative à la phase d’exploitation des lanceurs Ariane, Soyouz et Vega au Centre spatial guyanais, adoptée à Paris le 30 mars 2007. Ce texte a été approuvé par 17 Etats européens, dont la France. Ses stipulations visent à adapter les règles régissant les rapports entre les principaux intervenants sur le site du Centre spatial guyanais.

Le second projet est un protocole modifiant l’accord du 11 avril 2002 entre la France et l’Agence spatiale européenne relatif au Centre spatial guyanais. Signé le 12 décembre 2006 à Paris, il permet d’apporter de nouvelles précisions quant aux facilités offertes à l’Agence européenne pour utiliser les infrastructures du Centre spatial guyanais.

La signature de ces deux textes s’explique fondamentalement par l’évolution du contexte commercial dans lequel la politique spatiale européenne se développe depuis quelques années.

L’Europe a cherché, depuis les années 1970, à conquérir et conserver son autonomie dans le domaine des technologies spatiales. Le programme le plus emblématique de cette période est sans doute le programme Ariane, dont l’objet initial était de permettre à l’Europe de disposer d’un lanceur efficace et fiable afin de mettre en orbite les satellites dont elle s’avérerait avoir besoin.

A l’heure actuelle, l’Europe est donc l’une des cinq puissances capables de fabriquer et de lancer une fusée à même de mettre en orbite un objet spatial. Elle partage cette compétence avec les Etats-Unis, la Russie, le Japon et la Chine.

Toutefois, malgré une offre toujours restreinte, la demande de lancements de satellites a augmenté, tant de la part d’Etats que pour le compte de sociétés privées. Dès lors, l’Europe s’est trouvée confrontée à une vive compétition dans ce qui est devenu un véritable marché du lancement des satellites.

Afin de répondre au mieux à la demande, l’Europe a décidé d’adapter sa politique en matière de lanceurs spatiaux. En effet, la seule poursuite du programme Ariane 5 posait un problème commercial important. La fusée Ariane 5 étant conçue pour emporter une charge utile d’environ 10 tonnes, il n’était pas rentable de programmer des vols pour un seul satellite de taille moyenne, ce qui reste le type de satellite le plus courant.

Afin de contourner cet obstacle, l’Europe a cherché à se doter de lanceurs adaptés aux satellites de petite et moyenne taille.

Pour les satellites d’un poids inférieur à deux tonnes, l’Agence spatiale européenne a ainsi mis en place, en juillet 1998, le programme Vega. Le premier vol de ce lanceur devrait avoir lieu à la fin de cette année.

Pour les satellites de moyenne importance, l’Europe s’est trouvée confrontée à un choix difficile. En effet la fusée Ariane 4 permettait d’assurer des lancements pour des satellites d’environ 5 tonnes. Toutefois, la poursuite de ce programme parallèlement à l’exploitation d’Ariane 5 aurait engendré des coûts fixes très importants.

Plutôt qu’une solution purement européenne, un partenariat a donc été noué avec la Russie, dont le lanceur Soyouz permettait, pour un coût moyen considérablement inférieur, d’assurer le lancement de satellites de taille moyenne. Cet accord fut négocié au cours d’un déplacement du Président Chirac auquel j’ai participé, en juillet 2001 à Samara, en Russie. La fusée Soyouz ST, issue de cette coopération, devrait également effectuer sont premier vol à la fin de cette année.

Ces deux nouveaux lanceurs seront exploités depuis le Centre spatial guyanais, qui reste la meilleure localisation pour organiser les lancements européens du fait de sa position géographique. Dès lors, l’arrivée de nouveaux lanceurs en Guyane a conduit à préciser les liens juridiques existant entre les trois principaux intervenants européens présents sur le site guyanais, à savoir le Centre national d’études spatiales, qui représente l’Etat français, l’Agence spatiale européenne et la société Arianespace.

Les grands principes approuvés dès l’origine pour faciliter la cohabitation entre ces trois organismes n’ont pas été bouleversés. Propriétaire du terrain sur lequel est bâti le Centre spatial, et de certaines de ses infrastructures, le CNES exerce une responsabilité particulière. Il est notamment garant de la maintenance du site, et assure les missions essentielles de sauvegarde et de sûreté.

L’Agence spatiale européenne joue également un rôle non négligeable, notamment du point de vue financier. Elle assure environ 2/3 du financement du centre, et est propriétaire de nombreuses infrastructures, au premier rang desquelles les ensembles de lancement Ariane et Soyouz, ainsi que l’ensemble de préparation des charges utiles.

En contrepartie de cette place éminente, l’Agence spatiale européenne dispose de facilités dans l’utilisation du Centre spatial guyanais. Les structures présentes sur le site doivent ainsi lui être réservées, l’Etat français se voyant attribuer une priorité de second rang par rapport à l’agence européenne, au titre de l’accord du 11 avril 2002, que le protocole de 2006 vient modifier.

Principal acteur privé au sein du Centre spatial guyanais, la société Arianespace, dont le CNES est un des principaux actionnaires, a pour principale mission l’exploitation commerciale des lanceurs présents en Guyane. Elle effectue cette mission sous la surveillance de l’Agence spatiale européenne, au titre notamment de textes internationaux que complète la Déclaration de mars 2007.

Les deux textes que nous analysons ont ainsi la même finalité, à savoir l’adaptation juridique au renouveau de la politique européenne en matière de lancement de satellites.

Le protocole du 12 décembre 2006 est un texte de transition. Il permet d’intégrer les textes parus depuis la signature de l’accord du 11 avril 2002, signé par la France et l’Agence spatiale européenne, et en étend la durée jusqu’au 31 décembre 2008. Un nouvel accord a été négocié et signé le 18 décembre 2008 entre ces deux mêmes parties pour organiser leurs relations quant à l’utilisation du Centre spatial guyanais à l’avenir. La ratification du protocole de 2006 donnerait donc une base juridique effective aux décisions adoptées entre 2006 et 2008.

La Déclaration de certains gouvernements européens du 30 mars 2007, relative à l’exploitation d’Ariane, Soyouz et Vega au Centre spatial guyanais, reprend pour sa part les principes traditionnels de partage des tâches entre l’Agence spatiale européenne, la société Arianespace et l’Etat de lancement, à savoir la France.

Cette dernière est chargée, au titre de la Déclaration, de contrôler les modalités d’exploitation des lanceurs depuis le site français, et d’en rendre compte auprès de ses Etats membres.

De plus, la Déclaration fixe quelques principes généraux relatifs à la politique européenne de lancement de satellites. Elle précise ainsi que celle-ci doit recourir prioritairement aux lanceurs européens, Ariane ou Vega, et seulement s’il est plus adapté, au lanceur Soyouz. Tout recours à un lanceur extérieur ne peut être justifié que si l’utilisation d’un lanceur européen représente un surcoût déraisonnable.

La Déclaration de certains gouvernement européens du 30 mars 2007, de même que le protocole du 12 décembre 2006, visent à préciser les règles d’utilisation par l’Europe du Centre spatial guyanais, afin de permettre l’exploitation de deux nouveaux lanceurs, indispensables à la consolidation de la position européenne sur le marché du lancement de satellites.

Ces deux textes respectent donc les grands principes édictés depuis l’origine, qui ont permis d’aboutir à un partage équilibré des responsabilités sur le site de Guyane.

M. Loïc Bouvard. Il faut se réjouir de la place qu’occupe l’Europe dans le domaine d’avenir qu’est la conquête spatiale. Il est également très positif de travailler dans ce domaine avec la Russie, et de partager ainsi avec elle de grandes ambitions.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission adopte les projets de loi (nos 1330 et 1331).

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Accords avec le Bénin, la République du Congo et le Sénégal sur la gestion concertée des flux migratoires (n° 1326, n° 1327 et n° 1328)

La commission examine, sur le rapport de M. Michel Terrot, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Bénin relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au codéveloppement (n° 1326) ; le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Congo relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au codéveloppement (n° 1327) et le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord relatif à la gestion concertée des flux migratoires entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal et de son avenant (n° 1328).

M. Michel Terrot, Rapporteur. Notre commission est saisie de trois projets de loi aux fins de ratification d’accords relatifs à la gestion concertée des flux migratoires et au codéveloppement. Ils ont été négociés avec le Bénin, le Congo (Brazzaville) et le Sénégal. L’accord avec le Sénégal a été signé le 23 septembre 2006 et, avant sa ratification, deux avenants lui ont été apportés le 25 février 2008. L’accord avec le Congo a été signé le 25 octobre 2007 et celui avec le Bénin le 28 novembre 2007.

Le traitement de l’immigration étant une question des plus polémiques, il est nécessaire de resituer la politique du gouvernement, et donc les textes qui nous intéressent aujourd’hui, dans leur contexte national, régional et international.

Chacun se souvient bien sûr de la loi de juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, de celle de novembre 2003 également, relative à la maîtrise de l’immigration ou, tout récemment, du Pacte européen sur l’immigration et l’asile, adopté par le Conseil européen en octobre dernier, durant la présidence française de l’Union européenne. On a en revanche peut-être moins présent à l’esprit que depuis quelques années, la question des migrations internationales est non seulement devenue l’une des principales priorités de l’ensemble de la communauté internationale dont l’approche recoupe très exactement celle défendue par le gouvernement dans ces accords de gestion concertée.

Le fait migratoire touche aujourd’hui quelque 200 millions de personnes, soit 3 % de la population mondiale, motivées bien sûr essentiellement par des conditions socio-économiques et l’écart entre pays riches et pauvres. Cela étant, l’immigration est un phénomène qui évolue fortement : il concerne aujourd’hui aussi bien des mouvements de populations des pays du sud vers le nord que du sud vers le sud. Nombre de pays africains, par exemple, sont désormais des pays d’accueil ou de transit importants qui rencontrent les mêmes problèmes que les pays de l’OCDE. Il faut savoir que l’Ouganda, l’Afrique du sud et la Côte d’Ivoire sont parmi les 20 premiers pays accueillants au niveau mondial.

Je voudrais insister ensuite sur le fait que ce ne sont pas seulement les migrations qui changent mais surtout le regard qu’on a sur elles et que ce changement de perspective induit depuis quelques années, au niveau mondial, de profondes évolutions des politiques migratoires.

Que ce soit de la part de l’OIT, de l’OIM, de l’OCDE, de la Banque mondiale, et bien sûr, en tout premier lieu, de la part de l’ONU, toute la réflexion et les stratégies en matière de politique migratoire insistent désormais sur le lien étroit entre migrations et développement et sur l’articulation nécessaire entre les deux. Je veux rappeler à ce sujet qu’en 2006, Kofi Annan avait lancé un « Dialogue de haut niveau sur les migrations internationales et le développement » qui a réuni plus de 130 pays autour de l’idée selon laquelle les pays pouvaient coopérer afin de concrétiser les synergies possibles entre migrations et développement et rendre la situation avantageuse et profitable à la fois pour les migrants, leurs pays d’origine et les sociétés qui les accueillent. Depuis lors, tous les ans, à l’initiative la première fois de la Belgique en 2007, un Forum mondial sur la migration et le développement associe Etats et organisations de la société civile de plus de 150 pays pour débattre des différents aspects de la problématique. Y ont déjà été discutés les thèmes de la fuite des cerveaux, des transferts monétaires des migrants vers leurs pays d’origine, de la meilleure utilisation qui pourrait être faite de ces sommes (qui équivalent, au niveau mondial, à plus du double du montant total de l’aide publique au développement), ou encore des partenariats de coopération à mettre en œuvre entre pays d’origine et de destination.

Il y a donc un véritable processus de dialogue, institutionnalisé au niveau international, qui se décline au niveau régional – il y a actuellement 13 forums régionaux qui débattent sur la thématique « migration et développement » sur les cinq continents. L’important est que de forts consensus se forgent désormais entre le nord et le sud sur ces thèmes.

L’Union européenne est sans doute le pôle régional qui a été le plus loin dans cette logique avec l’approbation du « Partenariat Afrique – UE » au sommet de Lisbonne en décembre 2007, avec l’adoption du Pacte il y a trois mois et bien sûr avec les Conférences ministérielles euro-africaines sur la migration et le développement qui se sont réunies à Rabat en juillet 2006 et à Paris en novembre dernier, au cours desquelles un partenariat global ainsi qu’un programme de coopération pluriannuel ont été approuvés par les soixante pays et les vingt organisations internationales participantes. Cette approche euro-africaine globale des migrations couvre trois volets : la migration légale, la lutte contre la migration irrégulière et les synergies entre migrations et développement, et elle inclut une série de mesures concrètes et opérationnelles, qui tendent à renforcer la coopération entre pays d'Europe et d'Afrique concernant la problématique.

Comme je l’ai indiqué en introduction, il me semblait opportun de revenir sur ces éléments de contexte international et régional pour mieux situer le cadre dans lequel s’inscrivent le propos et la logique des trois accords qui nous sont soumis, dont la logique et l’ambition sont exactement identiques.

Ces accords reposent sur une vision globale, cohérente et négociée et mettent l’accent sur deux aspects essentiels, comme leurs titres l’indiquent, à savoir la maîtrise des flux migratoires et des actions de codéveloppement. En d’autres termes, c’est une approche de la relation nord-sud sous l’angle du développement des pays d’origine.

L’architecture des trois accords est très proche et l’on note peu de différences quant au fond, dans la mesure où ils déclinent les trois aspects complémentaires : le volet de l’organisation de l’immigration légale ; celui de la lutte contre l’immigration irrégulière et enfin celui du codéveloppement ou développement solidaire.

En matière de circulation, tout d’abord, tous les trois comportent des dispositions sur les différentes catégories de visas et de personnes admises au séjour. Sont successivement abordés la politique de facilitation des visas de circulation, c'est-à-dire les visas de courts séjours à entrées multiples, qui permettent des séjours de trois mois maximum par semestre pour une durée de un à cinq ans, pour trois catégories de bénéficiaires : les hommes d’affaires, universitaires, sportifs, etc. ; les membres des familles de ressortissants résidant sur le territoire et enfin, les personnes nécessitant des soins médicaux.

En ce qui concerne les séjours de longue durée, les accords distinguent entre la qualité des demandeurs. Ce sont en premier lieu les étudiants qui sont concernés et la logique des dispositifs est de valoriser leur séjour en France dans une perspective de développement de leurs pays d’origine. En ce sens, sont prévus des mécanismes tendant à favoriser leur retour au pays à la suite de leurs études, et la possibilité d’une première expérience professionnelles en France après leurs études pour ceux titulaires d’un master. Je note aussi, dans le cas du Sénégal et du Bénin, le souci d’une adéquation marquée de la politique avec les besoins de formation exprimés par les pays.

La seconde catégorie concernée par les visas de longue durée est celle des immigrés pour motifs professionnels, pour laquelle les accords, pour l’essentiel, mettent en œuvre les dispositions de la loi de 2006 qui renvoie expressément à la signature d’accords bilatéraux en ce qui concerne l’octroi des cartes de séjour « compétences et talents » aux ressortissants de pays appartenant à la zone de solidarité prioritaire. Un nombre maximum de 150 cartes « compétences et talents » est prévu dans les accords avec le Congo et le Bénin. Il n’est pas précisé dans l’accord avec le Sénégal.

Pour le reste, les accords prévoient également les dispositions concernant les jeunes professionnels et la délivrance des cartes de séjour temporaire qui concernent soit les travailleurs saisonniers soit un certain nombre de métiers précisément énumérés. Sur cet aspect de la question, des échanges d’information sont prévus entre les pays sur les métiers qui connaissent des difficultés durables de recrutement et qui rendent précisément intéressant le recrutement de travailleurs étrangers.

Le deuxième point clé de ces accords concerne l’organisation de la lutte contre l’immigration irrégulière. Ici aussi, les dispositifs prévus dans les trois accords sont très proches, si ce n’est identiques, en tout cas dans leur esprit. Le principe est affirmé d’une responsabilité partagée entre la France et le Bénin et le Congo en la matière et des mécanismes de coopération ou de collaboration sont prévus, notamment en matière de réadmission des nationaux et de procédures d’identification de la nationalité des personnes en situation irrégulière pour leur future réadmission.

Une coopération spécifique, via le FSP, est également prévue en matière de surveillance des frontières dans le cadre de l’accord avec le Sénégal en vue d’un partenariat entre les deux pays. Dans le cadre de l’accord avec le Bénin et le Congo, l’accent est mis sur une coopération policière, par laquelle la France apporte son expertise en matière de gestion des flux migratoires sur les questions de démantèlement de filières de clandestins, de sécurisation de titres, de fraude documentaire ou de sécurisation aéroportuaire.

Le troisième volet des accords porte sur les questions de codéveloppement et d’aide au développement des pays d’origine. C’est sur ce dernier aspect que les accords diffèrent le plus dans la mesure où ils répondent aux besoins exprimés par chacune des Parties. L’accord avec le Congo met ainsi l’accent sur le rôle des migrants et notamment le financement de projets de développement local initiés par leurs associations, sur l’appui aux diasporas et le soutien aux projets d’initiatives économiques ou de développement des migrants, notamment des jeunes. Un autre aspect concerne la réinsertion des migrants volontaires pour un retour dans leur pays et enfin, un fort accent est mis à la coopération dans le secteur santé dans lequel un certain nombre d’actions sont énumérées qui complètent le DCP signé entre la France et le Congo en 2007.

La coopération développée avec le Sénégal dans le cadre de l’accord est plus variée et concerne notamment, outre la santé, les secteurs de l’agriculture et de la pêche, le domaine financier et la coopération décentralisée.

Enfin, l’accord avec le Bénin énumère d’une part les généralités sur lesquelles les Parties entendent mettre l’accent et détaille en annexe la forte participation de la part de la France aux questions de santé et tout particulièrement sur le thème de la faiblesse des ressources humaines du système de santé béninois.

Chacun de ces accords enfin un dispositif de gestion et de suivi bilatéral.

Je vous invite bien sûr à approuver ces projets de loi qui marquent une étape, après le premier accord signé avec le Gabon, et une réorientation de la politique migratoire de la France, dans un sens que je crois à la fois plus équilibré et répondant aux intérêts communs de notre pays et des trois pays d’origine.

Mme Nicole Ameline. Le sujet de ces accords est tout à fait essentiel. À cet égard, je souscris aux propos du Rapporteur qui en a justement souligné l’importance. Je souhaiterais ajouter que la signature, sous présidence française, du Pacte européen pour l’asile et l’immigration aura été un grand succès de cette présidence du Conseil de l’UE. Par ailleurs, j’insiste sur les liens entre les migrations et le développement : ces accords pourront permettre de trouver des leviers de croissance dans les pays partenaires et de remédier aux éventuelles difficultés rencontrées, par exemple en promouvant la protection sociale dans la lutte contre la pauvreté.

Les transferts financiers des migrants vers leurs familles restées dans leur pays d’origine sont souvent obérés par des coûts d’opérations importants. Des établissements financiers comme la Banque postale s’étaient engagés à améliorer la situation ; qu’en est-il ? Dans le domaine des visas, sous le régime antérieur les étudiants n’étaient pas autorisés à réutiliser leur visa pour revenir en France quelque temps après leur premier séjour. Qu’est-il prévu sur ce point ? Enfin, la question des « réfugiés climatiques » est-elle traitée dans les accords soumis à ratification ?

M. Michel Terrot, Rapporteur. La question des « réfugiés climatiques » constitue un réel problème en effet ; il faut néanmoins savoir que beaucoup de migrants africains ne poursuivent pas leur migration au-delà du continent, et se rendent par exemple du Niger ou du Burkina Faso vers la Côte d’Ivoire et pas au-delà. Par ailleurs, 60 % des migrations vers des pays de l’OCDE s’effectuent vers des États membres de l’OCDE qui ne sont pas européens. L’Afrique a vu en quelques années baisser sa part relative dans le nombre total de migrants de 17 % à 12 %. La Chine, qui comptait pour un tiers du total, n’en représente aujourd’hui qu’un quart. Les migrations latino-américaines sont quant à elles trop rarement évoquées.

Depuis 2006, plusieurs lois sont venues réglementer et encourager l’épargne en vue du développement solidaire, avec la création de comptes et de livrets ad hoc, sans grand succès. Notre collègue Henriette Martinez a eu l’occasion de le souligner dans ses avis budgétaires sur l’aide publique au développement, en appelant à corriger cette politique. La difficulté principale résulte du fait que 80 à 90 % des fonds envoyés vers le pays d’origine des migrants servent à alimenter la consommation immédiate. En dépit de ces difficultés, qu’il faudra traiter pour favoriser davantage le développement et l’investissement, il faut reconnaître à la France le mérite d’être le tout premier pays à s’occuper du sujet – à la différence de l’Allemagne ou du Royaume-Uni.

M. François Loncle. La question des frais facturés en cas de transfert financier vers les pays d’origine est un vrai problème, renforcé par le fait que, les systèmes postaux fiables étant généralement inexistants dans ces pays, il faut avoir recours à des sociétés spécialisées.

M. Michel Terrot, Rapporteur. L’un des accords prévoit que l’Agence française de développement mette en place un site Internet permettant de comparer les tarifs des différentes sociétés spécialisées dans ce type de transactions. Il est vrai que leur faible nombre ne favorise guère la concurrence.

M. François Loncle. D’autres accords du même type sont en cours de négociation. Il semble qu’avec le Mali deux refus aient été essuyés ; sait-on pourquoi ?

M. Michel Terrot, Rapporteur. Outre les trois accords que je vous ai présentés, un autre, avec la Tunisie, va l’être dans un instant et il existe déjà un accord avec le Gabon. Trois autres ont été signés récemment avec le Burkina Faso, Maurice et le Cap-Vert. Selon les informations que j’ai reçues du Gouvernement, les négociations sont en bonne voie avec le Cameroun et l’Égypte. Au Mali en revanche, les pressions exercées par la population sur le pouvoir sont telles qu’aucun accord ne peut être signé tant que les nombreux Maliens vivant en France en situation irrégulière n’auront pas été régularisés ; or le secrétaire général du ministère de l’Immigration a clairement indiqué qu’il n’en était pas question.

M. François Loncle. Je souhaite que l’examen de ces accords en séance publique soit l’occasion d’un débat et non d’une procédure simplifiée.

Le Président Axel Poniatowski. C’est bien ce qui est prévu, conformément au souhait du bureau de notre commission.

Mme Martine Aurillac. Tous les accords évoqués sont conclus ou vont l’être avec des pays d’Afrique, si l’on veut bien reconnaître la proximité de l’Île Maurice avec ce continent. Le principe de la promotion de l’immigration choisie par toutes les parties, pays d’origine et pays d’accueil, est excellent. D’autres continents seront-ils concernés par des accords du même type ? Je note par ailleurs que l’accord avec le Sénégal comporte un avenant dans lequel figure une liste détaillée des nombreux métiers susceptibles d’être exercés par les migrants, ce dont je me réjouis en tant que président du groupe d’amitiés avec ce pays. Mais pourquoi cette particularité que l’on ne retrouve pas dans les autres accords ?

M. Michel Terrot, Rapporteur. En dehors de l’Afrique, un seul accord est pour l’instant envisagé à ma connaissance, avec Haïti. L’accord avec le Sénégal est en effet particulier, en quelque sorte à rebours du concept d’immigration qualifiée ; espérons donc que ce cas demeure isolé.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission adopte les projets de loi (nos 1326, 1327 et 1328).

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Présidence de Mme Martine Aurillac, vice-présidente

Accord avec la Tunisie sur la gestion des migrations et le développement solidaire (n° 1329)

La commission examine, sur le rapport de M. Jean-Claude Guibal, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord-cadre relatif à la gestion concertée des migrations et au développement solidaire, du protocole relatif à la gestion concertée des migrations et du protocole en matière de développement solidaire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne (n° 1329).

M. Jean-Claude Guibal, Rapporteur. L’accord de gestion concertée des flux migratoires et au codéveloppement a été signé avec le gouvernement de la république tunisienne le 28 avril 2008.

Je voudrais vous dire tout d’abord que je souscris totalement aux développements que notre collègue Michel Terrot vient de faire pour montrer que la démarche du gouvernement s’inscrit dans contexte international et régional, et pas seulement français, et que je partage les conclusions qu’il a formulées.

C’est effectivement la perception d’ensemble de la communauté internationale qui a profondément changé ces dernières années en ce qui concerne l’immigration et qui a ouvert de nouvelles perspectives, riches de possibilités, en articulant les questions de migrations et de développement. Le fait qu’elles soient partagées par l’ensemble de la communauté internationale est un élément déterminant qui peut considérablement aider au succès des politiques migratoires, et notamment des accords régionaux ou bilatéraux qui sont négociés entre pays ou régions d’origine et de destination.

Comme le disait Nicolas Sarkozy lors du débat de la loi de 2006, la politique d’immigration ne peut plus se définir de manière isolée, sans prendre en compte les problèmes ou les besoins des pays d’origine, ne peut plus seulement viser à la fermeture des frontières, comme cela à été un temps l’objectif, d’ailleurs impossible à réaliser, mais doit s’inscrire dans le cadre de partenariats entre pays en développement et pays d’accueil. C’est ce que la France met en œuvre et promeut, soit de manière bilatérale, soit dans le cadre de l’Union européenne et l’on sait la part qu’a prise le ministre Brice Hortefeux dans l’élaboration du Pacte européen signé en octobre dernier.

Cela étant dit, pour ce qui concerne le cas de l’accord négocié avec la Tunisie, sans revenir sur la démonstration de Michel Terrot, mais en restant sur cette lancée, je voudrais centrer le début de mon propos sur quelques aspects complémentaires, à savoir sur les relations bilatérales que nos deux pays ont entretenues en matière migratoire d’une part et sur le contexte particulier, d’autre part, que présente le dialogue euroméditerranéen et le processus de construction de l’Union pour la Méditerranée.

Preuve, s’il en était besoin, que l’articulation entre migrations et codéveloppement s’est imposée récemment, comme le soulignait Michel Terrot, le fait que les accords autrefois signés entre la France et la Tunisie ne comportaient pas la moindre disposition y faisant allusion. L’accord négocié en 1988 et ses avenants de 1991 et de 2000, par exemple, qui sont d’inspiration clairement plus libérale que ceux d’aujourd’hui, se bornent à traiter des conditions de séjour et d’obtention de titres de séjour des ressortissants tunisiens en France et français en Tunisie. Un accord antérieur, de 1983, avait ouvert la voie à un contrôle plus efficace des flux migratoires entre les deux pays. Un échange de lettres avait suffi pour répondre au souci commun des deux gouvernements et avait accordé leur collaboration qui n’avait d’autre préoccupation que celle-ci.

L’approche sur laquelle repose l’accord signé en avril dernier est radicalement différente, et surtout bien plus ambitieuse. Cet accord s’inscrit dans la droite ligne du Pacte européen qu’a mentionné Michel Terrot, et des sommets de Rabat et de Lisbonne. Il est aussi très fidèle à l’esprit du dialogue euroméditerranéen sous ses différentes formes.

Je voudrais rappeler ici que la préoccupation d’une relance du dialogue et du processus de Barcelone a été envisagée autour des questions de développement économique et social des pays de la rive sud de la Méditerranée. Comme on l’a souligné il y a déjà plusieurs années, l’intérêt du processus de Barcelone a été de traiter l’ensemble des problèmes dans leur complexité, et tout particulièrement celui de l’immigration : plutôt que de se limiter à une conception essentiellement sécuritaire de l’immigration, qui aurait pu être choisie, notamment lors de périodes de relative tension, de vagues d’attentats, c’est au contraire la voie privilégiant une coopération dans un but de codéveloppement qui a été privilégiée. C’est le développement économique et social des pays d’origine qui a été vu comme le meilleur outil permettant la meilleure solution dans l’intérêt de toutes les parties.

En d’autres termes, cette approche permettait d’ouvrir la réflexion sur certaines des questions que l’on retrouve aujourd’hui consacrées dans les forums internationaux et traitées dans les accords de gestion concertée des flux migratoires et de codéveloppement. Entre autres, l’idée de migrations provisoires, qui permettent aux intéressés d’acquérir une formation et de rentrer avec des compétences utiles au développement de leur pays. De même, dans le cadre du Dialogue 5 + 5, par exemple, au tournant des années 2000, les questions de mise en adéquation des besoins de main d’oeuvre avec les migrations étaient déjà posées. Tout comme l’étaient aussi celles du contrôle des migrations, de l’intégration des intéressés, certes sur la base d’autres préoccupations initiales, tenant au risque terroriste, notamment, mais avec les mêmes aboutissants. C’est ainsi que des points de convergence ont pu être trouvés très tôt, sur les questions de rapprochements des législations nationales en matière d’immigration, notamment pour faciliter les séjours de longue durée des étudiants ainsi qu’en matière de formation professionnelle pour que les bénéficiaires puissent valoriser ensuite la formation acquise dans leur pays d’origine.

D’une certaine manière, l’accord qui a été négocié avec la Tunisie marque l’achèvement de ce processus de dialogue. C’est le premier de ce type signé avec un pays du Maghreb, après ceux négociés avec des pays d’Afrique subsaharienne et en ce sens, il revêt une particulière importance, compte tenu aussi des liens traditionnels qui unissent nos deux pays.

Par rapport aux accords présentés auparavant, peu de différences sont à noter, si ce n’est dans la forme. En lieu et place d’un texte unique, comme c’est jusqu’ici la plupart du temps le cas, sauf on l’a vu pour le Sénégal, il y a ici un accord cadre auquel sont adjoints deux protocoles, l’un portant sur la question de la gestion concertée des flux migratoires, le second sur le développement solidaire, qui ont été signés le même jour. 

L’accord cadre, très bref dans sa rédaction, ne fait par conséquent que poser les principes et tout particulièrement ceux pour les deux parties d’affirmer « leur engagement solidaire pour une gestion concertée de la migration » et « d’asseoir un partenariat privilégié en matière de développement solidaire ».

Le protocole additionnel relatif à la gestion concertée des flux migratoires détaille, dans des termes qui sont fort proches de ceux que l’on retrouve dans les autres accords, les questions relatives aux divers types d’immigration, en y apportant les mêmes solutions. Parmi les différences notables que l’on peut mentionner, je retiens le nombre des personnes concernées par les catégories de visas : ce sont quelque 1500 candidats par an qui peuvent bénéficier de la carte « compétences et talents », 1500 autres des programmes de jeunes professionnels. La catégorie des travailleurs saisonniers intéresse 2500 personnes et 3500 personnes peuvent être admises chaque année comme salariés exerçant l’un des métiers énumérés sur une liste précise. Il faut préciser que la liste des métiers ouverts aux ressortissants tunisiens est incomparablement plus étendue que celles figurant dans les autres accords.

Les questions relatives à la réadmission des personnes en situation irrégulière ne font pas l’objet d’un traitement non plus différent, ni dans leur principe, ni dans leur mise en œuvre. Enfin, de même que dans les autres accords, il est prévu que la France aide au renforcement des capacités des services tunisiens en charge de la lutte contre l’émigration clandestine.

Le second protocole est relatif au développement solidaire, que j’aurais personnellement préféré voir s’appeler codéveloppement, réaffirme en premier lieu que « le développement d’une solidarité agissante intégrant à la fois les impératifs du développement durable, de l’emploi et de la sécurité pour tous, est de nature à assurer une maîtrise efficace de la migration ». Il indique ensuite les axes sur lesquels la coopération entre les deux pays se concentrera et les points sur lesquels la France portera son effort : l’emploi et la formation professionnelle et universitaire ; le renforcement de la capacité institutionnelle tunisienne en matière de migration, l’amélioration des dispositifs de transferts de l’épargne des migrants et la coopération décentralisée. Un volet particulier relatif à la réinsertion sociale et professionnelle intéresse les ressortissants tunisiens porteurs d’un projet de création d’entreprise, les migrants en situation irrégulière qui souhaitent bénéficier de l’aide au retour de la France et les bénéficiaires de la carte « compétences et talents ». Enfin, une liste de projets, à mettre en œuvre sur crédits du MIIIDS, est indiquée en annexe du protocole et porte sur des aspects touchant à la formation professionnelle, à l’intégration sociale, à la pêche côtière artisanale, à l’accompagnement des projets des jeunes entrepreneurs ainsi qu’au développement de la région de Médénine ; ces deux derniers projets sont financés pour des coûts estimatifs de 3 et 5 millions d’euros respectivement. D’autres actions, plus modestes, intéressent les secteurs santé et le micro-crédit.

En conclusion, mes chers collègues, je voudrais retenir l’idée que cet accord, comme ceux présentés antérieurement, répond à l’intérêt de la France et de l’Union européenne en ce qui concerne la maîtrise des flux migratoires. Mais je voudrais insister également sur l’opportunité qu’ils représentent pour le développement économique et social des pays avec lesquels ils ont été négociés. La politique du gouvernement s’inscrit aujourd’hui dans le cadre d’une démarche d’aide au développement qui est plus lisible et relève d’une logique de coresponsabilité qu’il faut saluer.

Je vous recommande par conséquent d’approuver le projet de loi qui nous est soumis.

M. Jacques Remiller. Des accords similaires sont-ils envisagés avec le Maroc et l’Algérie ?

M. Jean-Claude Guibal, Rapporteur. Non car le cas de la Tunisie est singulier : la communauté tunisienne en France, avec 175 000 membres, est assez réduite, les flux d’immigration sont modestes – 10 000 demandes de visa par an, toutes catégories confondues – et la proportion d’immigration familiale est très importante : elle représente les deux tiers du total.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission adopte le projet de loi (no 1329).

La séance est levée à dix-huit heures quinze.

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