Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires étrangères > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires étrangères

Mercredi 25 mars 2009

Séance de 16 h 15

Compte rendu n° 46

Présidence de M. Axel Poniatowski, président et de M. Didier Migaud, Président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan

– Audition, commune avec la commission des finances, de l’économie générale et du Plan, de M. Dominique Strauss-Kahn, directeur général du Fonds monétaire international

Audition, commune avec la commission des finances, de l’économie générale et du Plan, de M. Dominique Strauss-Kahn, directeur général du Fonds monétaire international.

La séance est ouverte à seize heures quinze.

M. le président Axel Poniatowski. Mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir aujourd’hui M. Dominique Strauss-Kahn, directeur général du Fonds monétaire international.

Monsieur le directeur général, je vous remercie d’avoir accepté l’invitation de la Commission des affaires étrangères et de la Commission des finances. Il est inutile de souligner à quel point notre réunion se trouve au centre de l’actualité, à quelques jours de la réunion du G20 à Londres, le 2 avril prochain.

Vous venez de déclarer que face à la situation « extrêmement inquiétante et difficile » de l’économie mondiale, seules des « politiques audacieuses » menées par les gouvernements permettraient « une possible reprise en 2010 ». Vous avez également appelé à une relance par la demande, estimant que les politiques monétaires avaient désormais atteint leurs limites. Mais nous sommes surtout frappés par le caractère un peu apocalyptique de vos propos car, évoquant les conséquences de cette crise, vous avez considéré qu’elle pouvait aller jusqu’à « menacer la démocratie, et peut-être même, dans certains cas, se terminer en guerre ». De la part du directeur général du FMI, un si profond pessimisme ne risque-t-il pas de nourrir le désespoir et d’anéantir tout désir d’entreprendre ? Que répondez-vous à ceux qui estiment que la sortie de crise est peut-être plus proche qu’on ne le dit ?

C’est avec le plus grand intérêt que nous vous entendrons nous présenter plus en détail les éléments qui fondent votre appréciation sur la situation et sur les politiques qui ont été engagées aux États-Unis, dans l’Union européenne et en France pour combattre cette crise globale.

M. le président Didier Migaud. Monsieur le directeur général, je suis très heureux de vous retrouver. La Commission des finances vous avait reçu fin octobre 2007, à un moment où l’on ne faisait qu’évoquer la contamination de l’économie réelle par la crise financière née aux États-Unis. Déjà, on avait pu vous taxer de pessimisme, mais en vérité vous aviez fait preuve de réalisme : les faits vous ont donné raison. Vous nous aviez fait part, à l’époque, de votre souhait de revivifier l’organisation financière internationale dont vous veniez de prendre la tête, qui souffrait selon vous d’un triple problème, de légitimité, d’organisation et de nature des interventions.

Le désordre financier et économique mondial a remis le FMI au centre des sollicitations, qu’il s’agisse de faire face aux difficultés du présent ou de bâtir une nouvelle architecture financière globale.

En ce qui concerne la réponse aux difficultés du présent, quelle est votre appréciation des plans de relance ? Comment le FMI analyse-t-il la situation actuelle du système bancaire et les plans de sauvetage – apports de fonds propres, nationalisations éventuelles, cantonnement des actifs toxiques ? Quelles sont ses possibilités d’intervention ? Comment analysez-vous la situation des pays émergents et celle des pays d’Europe de l’Est ? Comment, selon vous, peut-on remédier aux déséquilibres monétaires, l’une des causes de la crise étant l’afflux de liquidités et de crédit dans l’économie américaine, en provenance des pays fortement excédentaires ?

S’agissant de l’élaboration d’une nouvelle architecture financière globale, le G20 peut-il, selon vous, devenir un organe de gouvernance mondiale ? Le FMI peut-il être l’organisme-clé d’une nouvelle architecture financière, le « garde-champêtre » du village financier et économique mondial, selon les termes de Michel Camdessus, ancien directeur général, qui met en avant le fait que le FMI a l’avantage d’exister – alors que toute nouvelle institution devrait faire l’objet de traités internationaux, dont la ratification par les États demanderait plusieurs années – et de compter 185 pays adhérents. Dans cette perspective, quelles seraient selon vous les réformes nécessaires quant aux missions du FMI et quant à sa gouvernance et à son organisation ?

M. Dominique Strauss-Kahn, directeur général du FMI. Tout d’abord, merci de m’avoir invité : cela fait toujours plaisir de revenir dans cette maison. Je commencerai par une rapide analyse de la crise financière.

Le marché des subprimes américains a été l’allumette qui a provoqué l’explosion, mais il y aurait pu y avoir un autre élément déclencheur ; le vrai problème était la croissance démesurée de l’endettement privé. Par ailleurs, cette crise revêt deux caractéristiques nouvelles.

D’une part, c’est la première fois que le cœur de la crise se situe à l’intersection du secteur financier et de l’économie réelle : la crise des subprimes entraîne une détérioration de la situation des banques, qui en conséquence ne font plus crédit, d’où une dégradation de l’état des entreprises, ce qui conduit à une nouvelle détérioration de la situation des banques ; les allers et retours entre le secteur financier et le secteur réel sont beaucoup plus importants que dans les crises précédentes. Ce n’est pas sans conséquences sur la façon dont il faut réagir.

D’autre part, c’est la première vraie crise mondiale. Il en résulte que le FMI, qui dans le passé intervenait pour résoudre une crise « seulement » asiatique ou « seulement » latino-américaine, intervient dans l’ensemble du monde. C’est l’une des raisons du problème des ressources.

Dans ce contexte, les prévisions du FMI sont plus pessimistes que d’autres. C’était aussi le cas l’année dernière, mais force est de constater que nous avions raison. Cela ne veut pas dire que ce sera toujours le cas, mais nous avons l’avantage de travailler au point de rencontre du secteur financier et de l’économie réelle, et par ailleurs d’avoir des missions dans l’ensemble des pays du monde ; c’est l’une des raisons pour lesquelles, lorsque la crise a commencé, nous avons plus vite que les autres compris son importance.

Nous publierons en avril nos prévisions détaillées. Au niveau global, nous prévoyons en 2009, pour la première fois depuis soixante ans, un taux de croissance mondiale négatif, compris entre -1 % et -0,5 %. Pour la zone euro, nous prévoyons une croissance fortement négative, de -3,2 % en moyenne, ce qui signifie que la contraction sera plus importante encore dans certains pays.

La production industrielle a très fortement chuté au quatrième trimestre 2008. Personne ne s’y attendait, et les prévisions ont été révisées en conséquence. On observe une chute parallèle des échanges internationaux.

On ne saurait donc être surpris de l’effondrement des PIB, non seulement dans les pays industrialisés mais aussi dans les pays émergents – ce qui démontre que nous avions raison de combattre la thèse, beaucoup entendue l’année dernière, selon laquelle un découplage était possible, laissant les pays émergents relativement à l’abri. Nous pensions qu’il pouvait y avoir un décalage dans le temps, mais qu’ils seraient touchés par la crise comme les autres.

Cet effondrement des PIB a évidemment des conséquences sur le chômage, surtout dans les pays avancés, où le lien entre croissance et emploi est le plus fort. Aux États-Unis comme en Europe, il faut s’attendre à une situation très difficile dans les mois qui viennent.

Dans ce contexte, non seulement le risque d’inflation s’est beaucoup amoindri, mais la déflation est devenue un risque réel, même si sa probabilité n’est pas énorme. Si on y arrive, la sortie de crise sera encore plus difficile.

J’en viens au secteur financier.

En 2008, nous estimions à 1.400 milliards de dollars les pertes, aux États-Unis et ailleurs, dues à des actifs toxiques américains. Le phénomène s’étend, en raison de la crise : des actifs qui n’étaient pas toxiques hier le deviennent car on a fait des prêts à des entreprises qui étaient saines et qui ne le sont plus. En janvier dernier, notre estimation des pertes atteignait 2.200 milliards de dollars. Celle que nous publierons en avril sera malheureusement un peu plus élevée encore. Un effet boule de neige se produit : à mesure que le ralentissement de l’économie se fait sentir, il y a de plus en plus d’actifs toxiques, qui eux-mêmes provoquent le ralentissement. Il faut arriver à stopper cet enchaînement.

Cette situation est fonction de la confiance, dont la bourse peut constituer un indicateur. On constate ainsi que les cours de bourse se sont effondrés, tout particulièrement après la faillite de Lehman Brothers, qui a provoqué une rupture très nette. Quant à la confiance des consommateurs, elle chute également, même si les évolutions ne sont pas exactement les mêmes partout.

Dans ce contexte, les spreads sur les credit default swaps, les CDS, c’est-à-dire en quelque sorte l’assurance que les banques peuvent prendre pour couvrir leurs prêts contre le défaut du débiteur, ont considérablement augmenté. On constate que ces primes sont beaucoup plus élevées aux États-Unis qu’en Europe : autrement dit, la crainte d’une défaillance des institutions financières est beaucoup plus grande aux États-Unis. C’est le pays qui est à l’origine de la crise, et c’est celui d’où peut provenir une grande partie de la solution.

De même, l’évolution du spread sur swap de l’index Libor-Overnight, qui mesure les tensions sur le marché interbancaire, montre que la situation est beaucoup plus tendue qu’il y a trois ans. Je souligne qu’elle l’est désormais bien davantage encore au Royaume-Uni que dans la zone euro ou aux États-Unis.

Il est logique, dans ce contexte, de voir les conditions de prêts des banques se durcir. En conséquence, de plus en plus d’entreprises sont en difficulté et de plus en plus de ménages doivent renoncer à leurs projets d’investissement : c’est l’effet sur l’économie réelle.

En ce qui concerne les pays émergents, ceux dont le déficit de la balance courante dépassait 5 % du PIB en 2007 n’arrivent pas, bien entendu, à se refinancer : en partant d’un indice 100 en janvier 2007, leurs spreads sur CDS atteignent 3 500 aujourd’hui, ce qui signifie pour eux l’impossibilité d’accéder au marché. Mais ceux dont la balance courante est en excédent rencontrent eux-mêmes des difficultés puisque, toujours sur la base d’un indice 100 en janvier 2007, leurs spreads avoisinent 1 500. L’ensemble des pays émergents se trouve ainsi dans l’incapacité de trouver sur le marché les sommes nécessaires pour couvrir les dettes émises dans le passé tant par les entreprises que par les États – sans même qu’il soit question d’un endettement supplémentaire afin de financer le développement. C’est dire l’urgence de régler ce problème, faute de quoi les conséquences systémiques pourraient être très graves ; en tant que créanciers des pays émergents, les pays développés se trouvent exposés au risque. Le FMI fait ce qu’il peut, mais cela ne saurait suffire.

On n’est pas étonné d’observer une chute des flux bancaires internationaux vers les pays émergents en 2008. L’exposition du système bancaire des différents pays est néanmoins très variable. Les petits pays européens qui se sont beaucoup engagés en Europe centrale, tels l’Autriche, la Suisse, les Pays-Bas ou la Belgique, sont particulièrement touchés. L’exemple le plus frappant est celui de l’Autriche : l’exposition de ses banques dans les pays émergents dépasse 80 % de son PIB. Si une catastrophe se produisait dans un pays d’Europe centrale, membre ou non de l’Union européenne, l’effet en retour serait considérable. Une déstabilisation de la zone euro serait extrêmement dangereuse.

Alors, que faire ?

Les risques inflationnistes étant faibles, le premier outil est la baisse des taux. Ceux de la zone euro sont un peu plus élevés que ceux des États-Unis ou du Japon. Cependant, malgré les méthodes innovantes des banques centrales, qui font aujourd’hui ce qu’elles n’auraient pas osé envisager il y a encore deux ans, les marges dont elles disposent en matière de politique monétaire sont désormais limitées.

C’est pourquoi j’ai préconisé dès janvier 2008 une deuxième ligne de défense, à savoir le soutien budgétaire. Nous avons estimé à environ 2 % du PIB mondial l’effort nécessaire. Bien entendu, certains pays peuvent faire plus, d’autres doivent faire moins, selon leur situation budgétaire.

À ce sujet, je voudrais tenter de mettre fin à une polémique injustifiée qui s’est développée dans la presse. Globalement, et pour le moment – on verra ce qui sera décidé dans les budgets pour 2010 –, ce que les pays ont fait nous convient, même si l’on est un peu en dessous des 2 % – sans doute autour de 1,7 %. Ceux qui pouvaient faire plus, notamment les États-Unis, ont fait plus ; et je me réjouis que, pour la première fois, un très grand nombre de pays du monde – non seulement les pays avancés, mais aussi des pays émergents, en particulier la Chine – aient coordonné leurs politiques, à l’instigation de l’institution multilatérale que je dirige, qui avait fixé le cap.

Évidemment, la relance par le déficit budgétaire est une étape, et il faudra ensuite parvenir à résorber l’excédent de dette. Néanmoins il n’y a pas d’hésitation à avoir : aujourd’hui, les risques liés à l’augmentation de la dette sont beaucoup plus faibles que ceux qui résulteraient d’un soutien de l’activité insuffisant.

Mais s’il est bien que tous les pays, émergents comme avancés, pratiquent désormais cette politique budgétaire de relance, le problème est en revanche que l’assainissement du système financier, qui est la troisième ligne de défense, reste à faire. La relance budgétaire se perdra dans les sables si les systèmes financiers ne sont pas dans le même temps remis sur pied. Je ne sous-estime pas la difficulté politique qu’il peut y avoir à expliquer, à un moment où les populations incriminent le système financier, qu’il faut mettre de l’argent pour le recapitaliser. Il reste que si on ne le fait pas, non seulement les efforts budgétaires ne serviront pas à grand-chose, mais la crise durera longtemps.

Le FMI a connu, au cours de ses soixante ans d’existence, 122 crises bancaires, certes fort différentes mais dont on peut néanmoins observer les constantes. L’une d’entre elles est que, tant que l’on n’a pas nettoyé les actifs toxiques et rééquilibré les bilans des banques, la machine ne redémarre pas. Cela peut se faire de diverses manières – par exemple par une structure de défaisance, ou cantonnement des actifs toxiques à l’intérieur d’une banque, ou par une nationalisation dans un objectif de nettoyage, avant remise sur le
marché –, mais quelle que soit la technique utilisée, qui importe peu et doit être inspirée par le pragmatisme, il est impératif de le faire – j’insiste sur ce point capital.

S’agissant de la crise actuelle, si l’on ne peut pas dire que rien n’a été fait, force est de constater que c’est encore très insuffisant. Or plus on attend, plus c’est difficile, puisque le volume des actifs toxiques a tendance à augmenter à mesure que la crise se poursuit.

La quatrième ligne de défense, enfin, qui concerne en principe davantage les pays émergents que les pays développés, c’est le FMI, qui accorde des prêts massifs aux pays dont il faut redresser la balance des paiements. La plupart des pays émergents ont, au cours des deux dernières décennies, vécu avec des apports très importants de capitaux extérieurs, mais cette source de financement s’est tarie du fait des problèmes rencontrés par les banques des pays développés.

Parmi ces pays émergents, certains mènent des politiques qui n’appellent pas de critiques. C’est pourquoi j’ai voulu modifier la conditionnalité des programmes du FMI – qui jusqu’à présent conditionnaient l’accord d’un prêt à l’engagement du pays de changer sa politique. Le conseil d’administration a ainsi adopté hier des modalités nouvelles de prêts.

La crise étant mondiale, les besoins vont être très importants dans les mois qui viennent, et le consensus semble acquis sur la nécessité de doubler les ressources du Fonds. Mais il convient par ailleurs d’accroître la flexibilité des prêts, c’est-à-dire de permettre aux pays d’en faire ce dont ils ont besoin : auparavant, le FMI demandait systématiquement au pays de remettre de l’ordre dans ses finances publiques ; aujourd’hui, le problème à régler peut être différent. En revanche, j’attache beaucoup d’importance à l’introduction d’une conditionnalité sociale : nous aidons le pays à mettre sur pied un plan de sortie de sa situation de déficit – souvent 10 ou 15 % de son PIB –, mais nous lui demandons de dépenser un peu plus – généralement 0,5 à 1 point de PIB – pour mettre en place des filets de sécurité à destination des plus vulnérables. Au-delà du désir d’aider les plus malheureux, que nous partageons tous mais qui ne relève pas du rôle du FMI, notre objectif est de faire en sorte que ces programmes fonctionnent, donc que les populations les acceptent.

Les prêts accordés par le FMI à l’occasion de la crise actuelle représentent en moyenne 8,2 % du PIB des pays concernés, alors que pour l’ensemble des crises du passé, la moyenne était de 6,3 % du PIB. La différence est déjà importante, mais on peut penser que dans les mois qui viennent l’écart va encore se creuser. En ce qui concerne la conditionnalité, les programmes du Fonds comportaient souvent dans le passé des conditions « non-core »
– en dehors du cœur du sujet –, telles que la demande d’une réforme agraire ; c’est ce qui a provoqué des phénomènes de rejet, notamment en Amérique Latine. Dans les programmes actuels, ce type de conditions a quasiment disparu.

Malgré tout cela, les risques demeurent importants.

Le premier, c’est que l’on n’aille pas assez vite dans la mise en œuvre des politiques visant à stabiliser le système bancaire.

Le deuxième risque, qui existe même si sa probabilité n’est pas très grande, c’est la déflation, qui peut nous faire entrer dans une spirale longue.

Le troisième, c’est un renouvellement encore moins important que ce que nous prévoyons des financements apportés par les banques européennes ou américaines aux pays émergents : c’est la question du « rollover ».

Le quatrième, moins illusoire qu’on ne le croit, c’est le protectionnisme, qui peut prendre une forme traditionnelle – hausse des droits de douane, quotas… – ou être pratiqué au niveau financier, en faisant en sorte que l’argent ne sorte pas du pays.

Le dernier, c’est la difficulté qu’il pourrait y avoir à soutenir des politiques budgétaires expansionnistes, lesquelles doivent s’inscrire dans un cadre à moyen terme.

Pour conclure, je répondrai à Axel Poniatowski, qui s’inquiétait des sentiments que pouvait susciter notre analyse, que le rôle du FMI, qui n’est pas un rôle politique, est de dire ce qu’il croit juste. Tous les chefs d’État ou de gouvernement, notamment au G20, réclament des systèmes plus efficaces d’alerte précoce, mais il faudrait surtout, même si c’est une démarche difficile, que les dirigeants reconnaissent la validité de ces alertes et en tirent les conséquences. Quant aux menaces sur la démocratie, je les avais évoquées à propos des pays africains. Les démocraties africaines sont jeunes, et les situations de révolte sociale peuvent les déstabiliser ; dans ces pays, la déstabilisation se termine souvent en conflit de frontière ou en guerre civile.

M. le président Axel Poniatowski. Merci pour cet exposé. Nous allons aborder les questions, en en regroupant à chaque fois plusieurs.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la Commission des finances. Ma première question concerne les États-Unis, qui semblent donner la priorité à la relance plutôt qu’à la régulation, mais où se situe néanmoins le déclenchement de la crise, dans un secteur qui manquait visiblement de règles. Quel est le message du FMI aux États-Unis sur ce sujet ? Quels sont vos moyens d’action sur ce pays, dont le rôle sera essentiel dans la sortie de crise ?

Ma deuxième question porte sur l’endettement. Comment concilier une relance saine avec l’explosion de la dette publique ? Les subprimes, la titrisation à outrance, les montages à effet de levier constituent de l’endettement ; au nom de quoi peut-on dire que l’explosion de l’endettement public va être une réponse saine à un endettement privé dont on reconnaît les effets néfastes ?

M. Jean-Pierre Brard. Pensez-vous que les États-Unis sont prêts à un mutilatéralisme beaucoup plus large, notamment en direction des pays émergents ?

Que pensez-vous de l’idée de créer un conseil international de la sécurité économique, sociale et environnementale auprès de l’ONU, pour éviter la répétition de crises telles que celle que nous vivons ?

Enfin, quel est l’avis du directeur général du FMI sur le rôle joué par les paradis fiscaux, dont on parle beaucoup en ce moment et sur lesquels le Président de la République veut que des décisions soient prises lors du sommet du G20, le 2 avril à Londres ?

M. Nicolas Perruchot. Sur le sujet des paradis fiscaux, bancaires et juridiques, des travaux sont menés depuis quelques semaines par des parlementaires, et par ailleurs des annonces ont été faites, notamment en Europe. Quelle est votre propre appréciation ? Le FMI partage-t-il l’idée qu’il est impératif de faire évoluer la situation, non seulement en Europe, mais aussi dans les paradis liés aux États-Unis ainsi qu’à Singapour et à Hong-Kong ?

M. Pierre-Alain Muet. De l’étude qui a été faite par le FMI des 122 crises financières passées, il ressort qu’elles ont toujours été durables, entraînant une récession souvent supérieure à une année. Parfois, en particulier au Japon, des plans de relance successifs n’ont pas réussi à sortir l’économie de la crise. Le scénario que vous présentez, dans lequel la récession de 2009 est suivie par un redémarrage en 2010, ne repose-t-il pas sur l’hypothèse que toutes les « lignes de défense » dont vous avez parlé fonctionnent de façon optimale ?

Par ailleurs, certes il faut commencer par éteindre l’incendie – et donc faire de la relance, nettoyer les actifs toxiques –, mais on ne peut pas évacuer le problème de la régulation du système bancaire et financier. La crise est née du fait que les banques ont délaissé leur métier, à savoir gérer des dépôts et accorder des prêts, pour développer des produits et des mécanismes, produits dérivés et titrisation, qui leur ont permis de se défausser de leurs responsabilités en matière de crédits ; si l’on n’agit pas dans ce domaine, ne pensez-vous pas que nous resterons confrontés aux mêmes difficultés ?

M. Dominique Strauss-Kahn. Monsieur Carrez, la régulation est une cause qui m’est chère, et je ne saurais perdre une occasion de la faire avancer. En son sein, il faut cependant distinguer celle qui concerne les paradis fiscaux, évoqués par MM. Brard et Perruchot, et celle dont a parlé M. Muet, touchant les produits dérivés et la titrisation. Dans les deux cas, il me paraît clair que ce qui peut être fait doit être fait. Sur ce sujet, je considère que le Président de la République française a raison, et j’espère que des résultats pourront être obtenus au G20. J’avais d’ailleurs dit il y a quelque temps à propos des paradis fiscaux qu’il fallait les « attaquer à la dynamite ». Mais là encore, il faut faire une distinction. Il y a les paradis fiscaux comme le Liechtenstein, Monaco ou le Luxembourg, qui permettent l’évasion fiscale ; mais il y a aussi ceux que l’on a des motifs plus grands encore de combattre car ils permettent le blanchiment de l’argent de la drogue, ou de celui provenant du commerce des armes ou de trafics comme la traite des femmes… Quand je parle de dynamite, je vise surtout les seconds ! Le moyen dont on dispose, à condition d’un accord international suffisamment large, c’est de les menacer de cesser toute relation bancaire.

Au-delà des paradis fiscaux, il faut se préoccuper des centres off-shore ainsi que du problème des hedge funds. D’une façon générale, je considère qu’il faut faire avancer la régulation, sous toutes ses formes. Mais il faut être conscient que cela prend du temps : en matière de régulation bancaire, le Forum de stabilité financière, le FSF, a fixé de grandes orientations ; encore faut-il les traduire en réglementations, lesquelles doivent être adoptées par chaque pays. Même si le fait d’aller dans cette direction peut contribuer à redonner confiance, ce qui est important dans la situation que nous connaissons, il ne faut pas se tromper de priorité : l’urgence, aujourd’hui, c’est de combattre la crise. Les progrès de la régulation pourront empêcher le développement d’une nouvelle crise, mais ils ne sauraient résoudre celle-ci.

Pour revenir aux États-Unis, je veux tout d’abord préciser les capacités de surveillance dont dispose le FMI. Au-delà de la surveillance obligatoire des pays membres qui est imposée par l’article IV des statuts, a été instituée il y a une dizaine d’années la procédure des FSAPs – financial sector assessment programmes –, programmes d’évaluation du système financier, sur un mode volontaire. Jusqu’à la survenue de la crise actuelle, deux pays avaient refusé qu’elle soit utilisée chez eux : la Chine et les États-Unis. Ils ont maintenant accepté. Je ne dis pas que si le FMI avait pu évaluer le système financier américain, il aurait empêché la crise des subprimes ; il reste que sa capacité de surveillance paraît devoir être au moins aussi importante dans les pays industrialisés que dans les pays émergents.

Quel est le pouvoir du FMI sur les États-Unis ? C’est un pouvoir d’influence, et non de contrainte. Mais il y a un an, nous avions adressé à M. Henry Paulson, secrétaire au Trésor, des notes soulignant l’intérêt qu’il y aurait à ne pas agir au cas par cas ; il a cependant fallu attendre la faillite de Lehman Brothers, en septembre, pour que les États-Unis se décident à mettre en place un plan global. Néanmoins ce pouvoir d’influence peut être efficace, à condition toutefois de rester discret.

J’en viens à votre question sur l’endettement, Monsieur Carrez. Quand la maison brûle, on n’a pas le choix, il faut agir. Certes il convient de prendre certaines précautions, mais le plus grave serait de laisser l’incendie perdurer.

Cette crise vient de l’endettement privé. Si les prêteurs pouvaient porter les créances jusqu’à leur terme, le problème serait moindre, mais les règles comptables les en empêchent. C’est une grosse différence avec l’endettement public, auquel, devant l’écroulement du système d’endettement privé, il n’est pas illégitime de faire appel. Certes, cela ne résout pas le problème de l’endettement, mais cela accroît la fiabilité de celui-ci. Bien entendu, on ne peut augmenter l’endettement public sans se préoccuper en même temps de la manière dont on en sortira ; c’est la raison pour laquelle nous recommandons une politique de relance, dimensionnée en fonction de la situation des finances publiques du pays, et inscrite dans un cadre pluriannuel prévoyant la sortie de cette phase d’endettement public.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Dans certains pays, le niveau de l’endettement public est déjà problématique.

M. Dominique Strauss-Kahn. C’est vrai, et je ne sous-estime pas les conséquences de cette situation, mais j’insiste sur le fait qu’il serait plus grave encore de s’abstenir de toute politique de relance, y compris pour les finances publiques.

Monsieur Brard, je pense que l’administration Obama est disposée à jouer le jeu du multilatéralisme. J’observe d’ailleurs que, sous la présidence de M. Bush, les relations étaient bonnes entre le FMI et les Etats-Unis qui considèrent qu’ils ont besoin de cet instrument. Je ne sais s’il en irait de même dans une période plus calme ; aujourd’hui, ils apprécient que nous soutenions certains pays.

Sur l’idée de créer un conseil économique à l’ONU, je suis assez réservé. Je ne suis pas sûr que ce soit un cadre adéquat pour traiter efficacement les problèmes économiques et financiers. Le multilatéralisme est déjà compliqué à la Banque mondiale et au FMI. Plutôt que de créer une instance à l’ONU, mieux vaut à mes yeux partir de ce qui existe, et constituer un groupe en adjoignant au G20 des représentants des pays émergents ; des réunions annuelles pourraient avoir lieu au niveau des chefs d’État, et des réunions un peu plus fréquentes au niveau des ministres des finances.

Monsieur Muet, selon nos prévisions, après une année 2009 très difficile, le redémarrage est possible au premier semestre 2010. S’ajoute à diverses raisons objectives l’effet attendu de la relance budgétaire et de l’assainissement du système financier. Mais il est certain que si l’on n’agit pas assez, ce redémarrage n’aura pas lieu.

Quant à la régulation, oui, elle est indispensable, je l’ai dit, mais encore une fois, n’imaginons pas qu’on peut en attendre des effets immédiats.

M. Xavier Bertrand. Monsieur le directeur général, pourriez-vous nous préciser quelques éléments-clés de l’intervention à venir du FMI dans cette crise ?

Quel scénario imaginez-vous pour la sortie de crise ?

Enfin, quand et selon quelles modalités envisagez-vous l’augmentation de capital du FMI ?

Mme Élisabeth Guigou. Concernant le nettoyage des actifs toxiques, n’y a-t-il pas, malgré tout, des techniques meilleures que d’autres ? En cas de recours à des « nationalisations temporaires », comment expliquer à l’opinion publique qu’il ne s’agit pas de nationaliser les pertes et privatiser les bénéfices ?

M. Jacques Myard. Étant donné les limites des différents outils que vous avez évoqués, que pensez-vous de celui qui consiste, pour les banques centrales, à reprendre les dettes des États ? Cela revient à faire fonctionner la « planche à billets », mais je préfère encore l’inflation à la déflation.

M. Michel Destot. En matière de plans de relance, vous avez dit que les États faisaient le nécessaire, mais quel est votre sentiment au sujet de l’Union européenne ? Sur les 200 milliards d’euros, 170 correspondent à la consolidation des plans nationaux ; 30 milliards, est-ce suffisant, surtout pour un espace si peu endetté ?

Par ailleurs, quelle est la situation des pays pauvres ? Au Burkina-Faso, où je suis allé il y a quinze jours, on m’a dit que c’était bien d’apporter des fournitures scolaires aux écoles, mais que pour lire et écrire, il fallait commencer par manger.

M. Jean-Michel Fourgous. En ce qui concerne le montant des actifs financiers dans le monde, les chiffres qui circulent vont de 150 000  à 200 000 milliards de dollars. Quelle est l’évaluation du FMI ? Quelle proportion du total les bons du Trésor représentent-ils ?

Quelle est la part de ces actifs financiers mondiaux qui passe par les paradis fiscaux ?

Quant aux fonds souverains, ils représenteraient, selon les diverses études qui ont été faites, environ 3 000 milliards. Avez-vous votre propre évaluation ? La perte qu’ils ont subie est-elle de 20 %, 30 % ? Quelle est la stratégie de ces fonds, par secteur ? Quelles différences constate-t-on entre les pays arabes et la Chine ou la Russie ?

Enfin, le fait que nous vivions dans une économie mondialisée ne borne-t-il pas le débat sur la rémunération des entrepreneurs ?

M. Dominique Strauss-Kahn. Monsieur Bertrand, en période de crise l’intervention du FMI revêt trois formes.

La première, c’est l’alerte précoce, qui va des prévisions jusqu’à des études très sophistiquées, comme nous en avons fait récemment sur l’Europe centrale, en examinant notamment les risques d’effets dominos. Les prévisions sont publiques, le reste est exclusivement destiné aux gouvernements ou aux banques centrales.

La deuxième, c’est l’activité de prêt – pour laquelle nous sommes aujourd’hui très sollicités.

La troisième, c’est l’activité de conseil en matière de politique économique. Selon les cas, elle peut être publique ou secrète. Bien entendu, les gouvernements ne sont pas obligés de suivre ces conseils ; mais force est de reconnaître que le FMI est assez bien placé pour en donner, du fait, je le répète, qu’il est la seule institution à se trouver à l’intersection de l’économie financière et de l’économie réelle, et peut donc avoir une vision globale.

Vous m’interrogez ensuite, Monsieur Bertrand, sur le scénario de sortie de crise. Si vous entendez par « sortie de crise » le fait de renouer avec une croissance positive, je vous renvoie à ce que je disais sur 2010. Si vous pensez au moment où ce qui a été perdu sera rattrapé – c’est-à-dire au fameux output gap –, nous en sommes beaucoup plus loin. Parvenir au redémarrage de l’économie est relativement simple. Cela suppose que le marché immobilier américain cesse de s’effondrer, notamment au moyen de mesures gouvernementales. L’épuisement des stocks y contribue nécessairement. Enfin, il suppose que les milliards annoncés dans les plans de relance se concrétisent au niveau microéconomique. Je suis assez confiant, notamment si les Américains donnent suite au deuxième plan Geithner sur les banques.

La force de ce plan, par rapport aux annonces précédentes, est d’être assez précis sur les méthodes. Sa faiblesse potentielle, c’est de reposer sur l’idée que, certes avec des aides publiques, on trouvera des fonds privés pour racheter les actifs des banques. Comme il n’y a pas de prix de marché, le risque est, si les prix fixés sont élevés, que personne ne veuille acheter ces actifs, et si ces prix sont faibles, que les banques ne veuillent pas les céder. On me dira qu’il existe un prix d’équilibre, mais faute de marché, on ne le connaît pas.

Pour rester sur ce sujet et répondre à Mme Guigou, il n’y a qu’en France que le mot « nationalisation » est resté un gros mot. Bien sûr, il ne s’agit pas aujourd’hui de la même chose qu’en 1946 : le but n’est pas de gérer la banque et distribuer les crédits, mais de forcer à la restructuration, dans la perspective d’une remise sur le marché ; aujourd’hui, dans la plupart des pays, on songe à cette forme de prise de contrôle public. Elle n’est pas considérée comme une panacée ; elle peut être nécessaire pour certaines banques et ne pas l’être pour d’autres, et le choix doit être guidé par le pragmatisme. Évidemment, en Europe on n’appréhende pas la question de la même façon qu’aux États-Unis, où l’on dénombre 8 000 banques. Il reste que les décisions se font attendre. Comment expliquer ces décisions à l’opinion publique ? Cela ne relève pas de ma fonction. Je comprends fort bien la très grande difficulté politique qu’il peut y avoir à expliquer que l’on consacre de l’argent à restructurer le système bancaire. Sans doute peut-on faire comprendre que les crédits dont tout le monde a besoin ne peuvent exister que si le système bancaire est sain et si les banquiers ne sont pas tétanisés. Quoi qu’il en soit, cette difficulté, que je reconnais bien volontiers, n’enlève rien à la nécessité de réaliser cette restructuration. Pour parler franc, je ne voudrais pas que, les Américains mettant en avant l’importance de leur soutien budgétaire massif, et les Européens leur volonté de développer la régulation, on en oublie ce troisième pôle – essentiel.

Monsieur Bertrand, je reviens à votre question sur les ressources du FMI. Il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une augmentation de capital mais d’une augmentation de nos capacités de prêts, ce qui passe par un accord avec des banques centrales pour qu’elles nous prêtent à hauteur de nos besoins. C’est possible dès lors que la volonté politique existe ; je pense qu’à Londres, le G20 consacrera le principe d’un doublement – qui me paraît un minimum.

M. Xavier Bertrand. En ce qui concerne la sortie de crise, pensez-vous qu’il faille s’attendre à une inflation modérée ou à une hyperinflation ?

M. Dominique Strauss-Kahn. Le risque d’inflation existe, une fois que la croissance sera repartie. Sa concrétisation dépendra beaucoup de la capacité des banques centrales à éponger les liquidités. Je n’ai pas beaucoup d’inquiétudes sur le plan technique : la formidable inventivité qui est à l’origine de la crise financière peut aussi se manifester pour trouver des solutions. Le problème sera plutôt de prendre conscience à temps des risques : tant que les choses ne vont pas mal, on a tendance à reporter à plus tard ce qui est douloureux… Dès que l’on commencera à sortir de la crise, il faudrait, quitte à ralentir l’amélioration, mais pour la rendre plus durable, éponger des liquidités. Aurons-nous collectivement cette sagesse ? Je ne sais pas.

Monsieur Myard a raison, les banques centrales se mettent à intervenir de façon très peu orthodoxe, en faisant du financement direct. C’est le cas de la Fed, la BCE y vient. Mais le financement direct du papier commercial est encore plus contestable que le financement direct des États.

M. Jacques Myard. L’inflation permet d’éradiquer la dette !

M. Dominique Strauss-Kahn. Monsieur Destot, plus l’on fera de relance, mieux ce sera. En ce qui concerne l’Europe, je considère que les plans décidés par les différents pays sont satisfaisants ; en revanche, une marge de manœuvre existe au niveau de l’Union, où l’on parle d’ailleurs depuis longtemps de créer des bons européens. J’y suis encore plus favorable aujourd’hui qu’hier, mais il est plus difficile de lancer une opération nouvelle en période de crise.

En ce qui concerne les pays pauvres, il est malheureusement à redouter que ce qui chez nous se mesure en termes de chômage et de baisse du pouvoir d’achat va se mesurer chez eux en termes de pertes de vies humaines. Les chiffres de la Banque mondiale sont effrayants.

Et pourtant, les besoins de ces pays ne se chiffrent pas en milliards, mais en millions, qu’il est scandaleux de ne pas être capable de trouver. J’espère que le G20 va prendre des décisions à ce sujet. Il s’agit bien sûr d’une question de conscience, mais c’est aussi un problème de stabilisation politique.

Monsieur Fourgous, je vous communiquerai les chiffres dont je dispose, mais je n’en ai pas sur les fonds souverains, qui en général refusent de communiquer des informations. Quant à la rémunération des entrepreneurs, c’est un sujet moins économique que politique et social.

M. Gérard Bapt. Monsieur le directeur général, il semble qu’en ce qui concerne la sortie de crise, l’analyse de la Banque centrale européenne soit différente de la vôtre, ce qui pose problème.

S’agissant des instances susceptibles d’organiser la régulation, quel rôle pensez-vous que pourrait jouer le Forum de stabilité financière ?

M. Marc Goua. Hier, le ministre des finances chinois a déclaré qu’il fallait aller vers une monnaie de réserve mondiale, en abandonnant le dollar. Qu’en pensez-vous ?

Mme Chantal Brunel. A votre avis, quelles sont les marges de manœuvre de la France en matière d’endettement ? A partir de quand la notation de notre pays risque-t-elle de se détériorer ?

M. François Asensi. Permettez-moi tout d’abord d’observer que le rôle du FMI n’est pas seulement technique : en parlant de son pouvoir d’influence sur les Etats-Unis, vous avez bel et bien évoqué son rôle politique.

Vous avez dit que le FMI n’impose plus les mêmes conditions que par le passé aux pays qui font appel à lui ; pourtant, les aides que vous avez récemment accordées aux pays de l’Est étaient assorties de demandes expresses de réduction de la dépense publique. Et n’y a-t-il pas là une contradiction avec votre demande d’une relance par la politique budgétaire ?

Enfin, où situez-vous la ligne de partage entre les plus vulnérables et les autres ?

Mme Sandrine Mazetier. La dépendance, réaffirmée encore récemment par Hillary Clinton, du Trésor américain par rapport à la Chine, ne rend-elle pas illusoire, ou en tout cas inéquitable, la lutte contre la montée du protectionnisme sous ses différentes formes ?

M. Georges Tron. Il peut arriver un moment où les intérêts des différents groupes de pays ne seront plus convergents. L’utilisation de la « planche à billets » ne risque-t-elle pas d’aboutir à terme à un effondrement du dollar, qui pénaliserait l’Europe par rapport aux Etats-Unis ?

M. Michel Bouvard. Un plan de relance américain par trop massif ne risque-t-il pas, en effet, d’accélérer l’érosion du dollar et de désorganiser les marchés financiers ? Quant au fait que la dette américaine soit en grande partie détenue par les Chinois, ne risque-t-il pas d’aboutir à un accord sur le dos des Européens ?

En ce qui concerne les fonds souverains, le FMI peut-il jouer un rôle d’intermédiaire afin qu’ils soient mobilisés en faveur du développement durable dans les pays développés ?

M. le président Axel Poniatowski. Puisque le sujet n’a pas été évoqué, je voudrais pour terminer vous interroger sur AIG. Le jour où nous connaîtrons l’ampleur du risque porté par cette société d’assurances sur les actifs toxiques, ne saurons-nous pas que nous avons atteint le fond ?

M. Dominique Strauss-Kahn. Monsieur Bapt, la BCE est en effet plus optimiste que le FMI. J’espère qu’elle a raison. Jusqu’à maintenant, cela n’a pas été le cas. Force est de reconnaître qu’une banque centrale n’a pas les mêmes moyens d’information que nous. Le travail du FMI a l’avantage d’être une gigantesque machine d’itération, permettant de rendre l’ensemble cohérent.

Le Forum de stabilité financière, le FSF, créé il y a dix ans par le G7, regroupe les principaux banquiers centraux et diverses institutions de contrôle, afin de réfléchir sur la régulation. C’est un rôle qu’il remplit assez bien, mais il s’agit avant tout d’une coordination de ce qui se fait par ailleurs – en matière bancaire, en matière de comptabilité ou en matière d’assurance. Il est bien que cet outil soit étendu au G20.

Monsieur Goua, certes les Chinois disposent d’un moyen de pression sur les Américains, mais ils n’ont pas intérêt à ce que la situation des Etats-Unis soit trop mauvaise. Par ailleurs, l’une des missions du FMI est de surveiller l’évaluation des devises. Le RMB, le yuan est très fortement sous-évalué, c’est vrai, mais le plus important aujourd’hui est que la Chine contribue à soutenir la croissance. De plus, le fait que le plan de relance chinois recentre sur la consommation intérieure la production chinoise, jusqu’ici très largement tournée vers l’exportation, va avoir pour effet de faire remonter le RMB. Quant à l’idée d’une autre monnaie de réserve, ce n’est que de l’affichage. Mais j’ai la conviction que les décennies à venir seront dominées par la relation Chine–Etats-Unis, par rapport à laquelle l’Europe doit déterminer son positionnement. Il ne s’agit pas seulement de questions financières – je pense en particulier à la présence chinoise en Afrique.

Madame Brunel, je ne puis répondre à votre question sur la marge de manœuvre de la France en matière d’endettement. Quant aux agences de notation, je suis très réservé sur leur activité : le contrôle public de ce bien public mondial qu’est l’information sur la situation du monde me paraît indispensable ; l’encadrement de ces agences me semble donc faire partie des questions de régulation dont il faut débattre.

Monsieur Asensi, je reconnais volontiers que le FMI peut avoir un rôle politique. En revanche, je ne partage pas votre vision du Fonds. Quand un pays fait appel au FMI, c’est qu’il ne peut vraiment pas faire autrement. Lorsqu’il se trouve en cessation de paiements parce qu’il a accumulé des déficits publics pendant des années, le FMI lui apporte son aide ; mais celle-ci ne servirait à rien si elle ne s’accompagnait pas d’une correction de la situation budgétaire. Ce qui est nouveau de la part du FMI, c’est qu’il essaie de faire en sorte que, dans le cadre du plan que lui propose le pays pour réduire son déficit, toute l’attention nécessaire soit portée, avec son aide, aux personnes les plus fragiles. A ce sujet, et pour exemple, l’affirmation que je déplore d’avoir lue dans la presse, selon laquelle le FMI aurait demandé de réduire les salaires des fonctionnaires en Hongrie est totalement erronée : il revient évidemment au gouvernement hongrois de déterminer comment il choisit de réduire son déficit. Le FMI ne fait que demander de soigner le mal. Certes c’est un exercice douloureux, mais les choix ne relèvent pas de nous – même s’il est bien compréhensible que les gouvernements préfèrent, vis-à-vis de leur opinion, en rejeter la faute sur le FMI.

Monsieur Tron, je ne crois pas beaucoup à l’effondrement du dollar, même s’il est difficile de faire de pronostics. Force est de constater que dans le contexte actuel de crise, le dollar se tient plutôt bien, contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, sans doute parce que c’est encore dans l’économie américaine que les investisseurs conservent le plus de confiance.

Monsieur Bouvard, les fonds souverains ne se concentrent pas sur des investissements stratégiquement agressifs. En outre, on peut comprendre que les Saoudiens, par exemple, quand on leur demande d’augmenter la production de pétrole, veuillent investir comme ils l’entendent les revenus de leurs activités pétrolières. Les fonds souverains ne voient pas pourquoi on leur demanderait des comptes alors que nous n’en demandons pas aux hedge funds. Leurs investissements se portent d’ailleurs souvent sur des secteurs dont ils pensent qu’ils seront profitables à très long terme, ce qui rejoint votre préoccupation.

Quant à la compagnie AIG, elle portait à l’origine une grande partie des actifs toxiques, mais la localisation de ces actifs est de plus en plus difficile. Notre estimation de 2.200 milliards de dollars est fondée sur les risques que nous constatons, mais nous aurions besoin d’une analyse microéconomique : il faudrait que dans chaque pays, les superviseurs analysent les bilans de toutes les banques. Le manque d’informations à ce niveau explique qu’on n’avance pas suffisamment vite dans la correction des déséquilibres. Cela explique aussi mon « pessimisme » raisonné.

M. le président Axel Poniatowski. Il nous reste à vous remercier pour cette audition, qui aura été utile à nos deux commissions. Peut-être vous solliciterons-nous à nouveau à l’automne.

La séance est levée à dix-huit heures quinze.

_____