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Commission des affaires étrangères

Mercredi 1er avril 2009

Séance de 16 h 15

Compte rendu n° 49

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de M. Philippe Kirsch, ancien président de la Cour pénale internationale

Audition de M. Philippe Kirsch, ancien président de la Cour pénale internationale

La séance est ouverte à seize heures quinze

M. le président Axel Poniatowski. Nous avons le plaisir de recevoir M. Philippe Kirsch, qui a présidé la Cour pénale internationale, la CPI, jusqu’au 11 mars 2009. Cette audition est d’autant plus intéressante que la CPI est au cœur d’une actualité brûlante.

Après une carrière de diplomate et de représentant du Canada auprès de plusieurs institutions internationales, monsieur Kirsch, vous avez présidé le comité plénier de la Conférence de Rome, qui a conduit à la création de la CPI, puis sa commission préparatoire et enfin la Cour elle-même.

Quelques jours avant la fin de votre mandat, la CPI a délivré un mandat d’arrêt à l’encontre du président soudanais Omar al-Béchir, en retenant les chefs d’accusation de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Cette décision a été prise en toute indépendance par la chambre préliminaire de la Cour. Si certains ont posé la question de son opportunité, il me semble que c’est surtout la question de son efficacité qui est cruciale. En effet, depuis la délivrance de ce mandat d’arrêt, le Président Béchir multiplie les déplacements à l’étranger sans être nullement inquiété.

Je souhaite que vous présentiez un bilan global des premières années de fonctionnement de la Cour et que vous nous disiez comment vous estimez envisageable de l’améliorer.

M. Philippe Kirsch. Mon exposé abordera la justice pénale internationale dans son ensemble, mais je ne m’étendrai pas sur les derniers développements.

La France, depuis le procès de Nuremberg, a apporté un appui considérable à la justice pénale internationale.

La responsabilité de prévenir et réprimer les crimes incombe aux États. Toutefois, pour les crimes les plus graves, leur tâche est compliquée par deux phénomènes. Premièrement, les conséquences de ces crimes sont souvent incommensurables et le fonctionnement de la société s’en trouve affecté. Deuxièmement, il arrive que les systèmes judiciaires nationaux se montrent défaillants du fait de l’implication d’agents de l’État dans la commission de ces crimes. Dans des circonstances exceptionnelles, pour des crimes exceptionnels, il n’y a pas de solution nationale : un substitut international aux défaillances de la justice nationale est nécessaire.

Au-delà, la justice internationale vise à mettre un frein à l’immunité et à prévenir la commission de nouveaux crimes.

La justice pénale internationale s’est développée sur le tard, lentement. Elle se heurte à des obstacles variés : l’attachement de principe des États à l’exercice inaltéré de leur souveraineté ; les divergences très prononcées quant à son mode de fonctionnement ; les situations politiques sous-tendant la commission de crimes à grande échelle.

Les débuts de la justice pénale internationale datent du procès de Nuremberg, à l’occasion duquel ont été édictés plusieurs principes encore en vigueur : la responsabilité des crimes constituant des violations du droit international pèse sur des hommes et non sur des entités abstraites ; la qualité de chef d’État ou de haut fonctionnaire ne saurait constituer une excuse absolutoire ; un individu ne peut être condamné qu’au terme d’un procès équitable garantissant les droits de la défense.

Il faut attendre la fin de la guerre froide pour que le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies établisse deux tribunaux, respectivement compétents pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda. Ceux-ci ont fait œuvre de pionnier en démontrant qu’une justice pénale internationale était possible en dehors d’un contexte de victoire militaire. Néanmoins, la création de tels tribunaux ad hoc dépend de la volonté politique de la communauté internationale. En outre, comme ils sont chargés de se prononcer sur des crimes déjà commis et circonscrits géographiquement, leur effet de dissuasion est limité.

Plus récemment, des tribunaux hybrides, constitués de juges internationaux et de juges nationaux, ont été créés pour le Sierra Leone, pour le Cambodge et pour le Liban. Il s’agit de rapprocher la justice internationale des systèmes nationaux, mais leur impact est tout autant réduit que celui des tribunaux ad hoc installés par le Conseil de sécurité, même s’ils n’ont pas été imposés aux pays concernés.

L’idée de la CPI vient de là : ses architectes ont voulu qu’elle soit établie sur le fondement d’un traité ; les États sont libres de la rejoindre. Créée en 1998, elle procède d’un équilibre entre deux conceptions : une juridiction forte et indépendante ; une juridiction soumise à un certain contrôle politique, notamment de la part du Conseil de sécurité.

La CPI est une institution indépendante, qui ne fait pas partie de l’ONU. Sa compétence est limitée aux crimes les plus graves : génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Le crime d’agression est prévu dans le Statut de Rome mais la Cour ne peut encore exercer sa compétence dans ce domaine. La CPI peut être saisie par un État, par le Conseil de sécurité ou, à certaines conditions, par son procureur. Dans le souci du maintien de la paix et de la sécurité, le Conseil de sécurité peut surseoir à une enquête ou à des poursuites.

La compétence de la Cour n’est pas universelle : elle est limitée aux crimes commis sur le territoire des pays parties à son statut et à ceux commis par les ressortissants de ces mêmes pays. La compétence de la Cour ne s’applique qu’aux crimes commis à partir de l’entrée en vigueur de son statut, c’est-à-dire le 1er juillet 2002. Enfin et surtout, la Cour est un tribunal de dernier recours : elle ne peut agir que quand le système national n’a pas la capacité ou pas la volonté d’engager réellement des procédures judiciaires. La Cour, qui exerce une fonction purement judiciaire, respecte les droits des accusés et le principe de légalité. C’est la première juridiction internationale conférant une place aux victimes, lesquelles participent aux procédures et bénéficient d’un régime de réparation.

À ce jour, quatre situations ont été déférées devant la CPI, concernant la République démocratique du Congo, l’Ouganda, la République centrafricaine et le Darfour, au Soudan. Les trois premières ont été déférées par les États eux-mêmes ; la quatrième par le Conseil de sécurité. Le procureur a diligenté des enquêtes pour chacune de ces situations. La Cour a jusqu’à présent émis douze mandats d’arrêt, dont quatre seulement ont été exécutés. Le procureur examine d’autres situations, concernant la Côte d’Ivoire, la Géorgie, la Colombie, l’Afghanistan et le Kenya.

La Cour pénale internationale, tout comme la justice pénale internationale en général, fait face à deux problèmes principaux.

Premièrement, elle s’efforce d’intervenir juridiquement dans un cadre politisé. Tous les tribunaux pénaux internationaux ont été fidèles à leur caractère judiciaire. Cependant, ils touchent à des intérêts importants et leur action est liée à des conflits internes ou internationaux très frais dans les mémoires, voire encore en cours. Même si la justice internationale peut être considérée comme un obstacle à la réconciliation, elle est fondée sur une conviction : il ne peut y avoir de paix durable sans justice. Par ailleurs, tous les tribunaux pénaux internationaux sont dépeints par certains sous des couleurs politiques ; ils ne peuvent contrecarrer de telles accusations car ils n’ont pas vocation à entrer dans des débats politiques.

Deuxièmement, la CPI ne dispose pas des moyens de ses objectifs. Toute justice repose sur deux piliers : le pilier judiciaire, constitué par le tribunal, et le pilier exécutif, assurant l’exécution des décisions du tribunal. Dans un système national, la police est à la disposition des tribunaux ; dans la justice internationale, la situation est différente, les tribunaux internationaux doivent compter sur la coopération des États, qu’il s’agisse du bon fonctionnement de l’enquête, de la protection des victimes et des témoins, de l’exécution des sentences et surtout des arrestations. C’est encore plus compliqué pour la CPI, qui intervient presque toujours dans des situations caractérisées par des conflits armés en cours.

Le souci de prévention, qui était l’un des objectifs fondamentaux de la création de la Cour, a porté ses fruits beaucoup plus tôt que prévu : dans au moins deux cas, des criminels ont cessé leurs exactions par crainte de faire l’objet d’un mandat d’arrêt. Reste que l’écart entre le nombre de mandats d’arrêt et le nombre d’arrestations est élevé.

La création de nouveaux tribunaux pénaux internationaux ad hoc devrait être exceptionnelle. L’avenir de la justice pénale internationale coïncidera dans une large mesure avec celui de la CPI. Son succès dépendra de sa crédibilité. Elle doit éviter de déborder de son mandat, se cantonner à un rôle strictement judiciaire, mener des procédures impeccables.

Cela dit, la CPI, plus qu’une juridiction, est un système, qui ne peut réussir que dans la mesure où les États et, par extension, les organisations internationales y prennent leur part. La CPI a été créée par des États, qui lui ont assigné pour objectifs de réprimer et de prévenir des crimes ainsi que de contribuer à la sécurité internationale. Pour ce faire, les États doivent coopérer, notamment pour l’exécution des mandats d’arrêt. En effet, si trop peu de mandats d’arrêt étaient suivis d’arrestation, les effets dissuasifs de la CPI ne tarderaient pas à s’estomper.

Enfin, la justice pénale internationale a besoin d’appui pour être mieux connue, mieux comprise, pour que son image soit moins déformée. Si le champ de la parole est laissé à ceux qui ont avantage à dénigrer la justice, celle-ci s’en trouvera affaiblie.

Finalement, pour avoir les moyens de remplir sa mission, la Cour devra se rapprocher de l’universalité. C’est une entreprise de longue haleine, dans laquelle les institutions internationales, les États et les parlementaires ont un rôle à jouer.

Avant que vous ne posiez vos questions et au risque de vous décevoir, je rappelle que je ne suis pas un politique mais un juge, ce qui m’empêche, quoi que j’en pense, de formuler tout commentaire à propos de situations en cours d’instruction. Je n’étais pas non plus le procureur de la CPI, vis-à-vis duquel j’avais même l’obligation de maintenir une distance ; je ne puis donc davantage commenter son action.

M. le président Axel Poniatowski. Vous jugerez vous-même de la possibilité de répondre à nos questions.

Il y a une différence entre le nombre de demandes d’arrestations faites par la Cour et le nombre de celles auxquelles il est réellement procédé. Pouvez-vous être plus précis et nous donner des exemples d’instructions qui n’ont pu aboutir ?

Au sujet du Soudan, c’est l’ONU qui a saisi la CPI. Le Président Béchir, au Sommet de Doha, vient pourtant d’assister, au premier rang, au discours de M. Ban Ki-moon. La Cour, qui repose sur la seule volonté des États, pourrait-elle être dotée de moyens supplémentaires ?

Trois membres du Conseil de sécurité – la Chine, la Russie et les États-Unis – ne sont pas parties au Statut de Rome. À votre avis, est-ce préjudiciable et est-il envisageable que ces trois très grandes nations y adhèrent dans un avenir plus ou moins lointain ?

M. Philippe Kirsch. Les non-exécutions d’arrestations ont deux causes différentes. En ce qui concerne l’Ouganda, le gouvernement local s’est montré incapable d’arrêter les membres de l’Armée de résistance du Seigneur, soupçonnée de commettre des crimes depuis vingt ans, notamment contre des enfants. Sur les cinq dirigeants de cette organisation ayant fait l’objet d’un mandat d’arrêt, deux ont été tués et les autres ont échappé aux efforts conjugués menés ces derniers mois par trois États. En République démocratique du Congo, il en a longtemps été de même pour un ancien rebelle, Bosco Ntanganda, qui a intégré l’armée régulière et s’est détaché de son ancien chef, Laurent Nkunda ; la situation est donc très ambiguë et nous ignorons ce que fera l’État congolais. Quant au Soudan, il s’oppose farouchement à toute collaboration avec la Cour.

S’il n’est pas envisageable, dans un avenir proche, que les États mettent l’équivalent d’une police à la disposition de la Cour, ils doivent davantage se concerter pour améliorer l’exécution des mandats. Un État partie au Statut de Rome sur le territoire duquel se trouve une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt a une obligation de coopération très stricte, mais, s’il se trouve incapable de procéder à l’arrestation, la Cour ne peut contraindre aucun autre État à agir. Un autre moyen est sous-utilisé : le recours aux forces de maintien de la paix de l’ONU, qui disposent d’une vraie capacité d’intervention militaire.

Même s’ils ne l’ont pas ratifié, les États-Unis et la Russie ont signé le Statut. La signature d’un traité représente un double engagement : la volonté, à terme, de le ratifier ; l’acceptation de ne rien faire contre ses objectifs. Bien que les Etats-Unis aient « retiré » leur signature en 2001, la position de l’administration américaine, ces dernières années, a tout de même beaucoup évolué : sans accepter tous les aspects de la CPI, elle reconnaît que celle-ci, dans certaines situations, peut jouer un rôle utile et, toujours dans certaines situations, elle n’exclut pas de coopérer avec elle. La Cour étant une institution extrêmement jeune – les premiers juges n’ont été élus qu’en 2003 –, il serait déraisonnable de tirer des conclusions définitives.

M. Jacques Myard. La Cour a beau être jeune, elle suscite parfois un sentiment de malaise. D’abord, les États qui l’ont voulue sont des démocraties et, pour que le système fonctionne, il faudrait que les démocraties règnent en maître sur la planète. Ensuite, il est frappant que les procédures ouvertes ne concernent que de petits États, alors que les Occidentaux n’ont pas les mains propres : le bombardement de la Serbie était un crime de guerre et la théorie de la preventive war défendue par M. George Bush était contraire au statut de la CPI, sans oublier ce qui s’est passé récemment au Proche-Orient. Je comprendrais que vous sortiez votre joker mais les esprits libres s’interrogent.

M. Philippe Kirsch. 120 États ont voté en faveur du Statut de Rome lors de son adoption en 1998. À la date limite pour la signature, le 31 décembre 2000, 138 États l’avaient signé.

Tous les États signataires n’étaient pas animés par le même dessein. Certains, comme la France ou le Canada, souhaitaient la création d’une cour pénale internationale pour des raisons humanitaires et géopolitiques. Les motifs des États africains étaient beaucoup plus concrets : ils attendaient une barrière juridique contre des forces susceptibles de commettre des crimes sur leur territoire. En effet, la Cour, pour agir, doit avoir le consentement soit du pays dont l’accusé est ressortissant, soit du pays où les crimes ont été commis, alors que les États-Unis voulaient que ces deux conditions soient nécessaires.

Je rappelle au demeurant que la Cour ne s’est saisie d’aucune situation : elle a toujours été saisie par un État ou par le Conseil de sécurité. Cette réalité ne donne pas prise à l’accusation selon laquelle la Cour s’en prendrait aux petits pays.

La CPI ne peut être compétente au sujet de la Serbie car les événements y ont eu lieu avant sa création.

Parmi les quelque 3 000 communications reçues par le procureur, un nombre significatif concernait l’Irak, mais ni les États-Unis ni l’Irak ne sont parties au Statut. Or il serait suicidaire de la part de la CPI de se lancer dans des procédures où elle n’aurait pas compétence. Des allégations de crimes commis par des soldats britanniques en Irak nous sont bien parvenues mais le procureur a conclu que la gravité des faits ne justifiait pas l’intervention de la Cour et que le système judiciaire national britannique fonctionne suffisamment bien pour les traiter.

Le procureur a également reçu des communications concernant le Venezuela, au sujet desquelles il a encore estimé que la gravité des crimes ne justifiait pas l’intervention de la CPI.

Pour les situations concernant d’autres pays, le procureur n’a fait aucune déclaration.

M. le président Axel Poniatowski. Pourra-t-il arriver que la CPI s’autosaisisse ?

M. Philippe Kirsch. Absolument. Le procureur peut se saisir d’une situation de son propre chef mais, pour éviter des décisions à caractère politique, il existe des verrous : l’accord doit être donné par une chambre préliminaire ; si celle-ci donne son autorisation, l’État en question peut lui opposer que son système judiciaire fonctionne correctement et qu’il est en mesure de traiter l’affaire ; si la chambre persiste, le dossier va en appel.

M. Serge Janquin. Il ne faut pas oublier les interférences morales et religieuses : au Soudan, les pressions des églises évangéliques américaines et de l’islam ne sont pas négligeables. En outre, se pose la question de la capacité des organisations non gouvernementales à intervenir au bénéfice de populations déplacées en grand danger.

M. Antonio Cassese invite à éviter la « justice spectacle ». D’autres s’inquiètent d’un traitement inégalitaire entre les causes soumises à la Cour. Les dysfonctionnements de la Cour sont-ils imputables à sa jeunesse ou à des causes à corriger ?

Il est assez aberrant que M. Ban Ki-moon soit resté présent au Sommet de la Ligue arabe, en face de M. Omar al-Béchir, inculpé par la CPI. De même, M. Barack Obama a envoyé un émissaire spécial auprès du Président Béchir pour obtenir le retour des organisations non gouvernementales à Khartoum. Tout converge pour discréditer la Cour.

M. Philippe Kirsch. Je ne vois pas ce que je peux répondre car je n’ai pas entendu de question !

M. François Rochebloine. Chacun sait que la CPI s’intéresse parfois à des États dont le degré d’organisation politique et juridictionnelle n’est pas comparable avec celui des États à l’origine de la création de cette cour. Comment asseoir la légitimité de la Cour et de ses décisions dans l’opinion publique de ces pays ou au moins parmi leurs responsables ?

La France vous paraît-elle faire tout son possible dans ce sens ?

Quelles initiatives de coopération et de soutien attendez-vous de notre pays ?

M. Philippe Kirsch. La légitimité de la Cour dépend du caractère judiciaire de son comportement. Le procureur est une sorte de paratonnerre : il attire sur lui la plupart des critiques. Cependant, jusqu’à la mise en cause du Président Béchir, pas une décision de chambre n’avait été critiquée comme ne reposant pas exclusivement sur des considérations judiciaires. Pourquoi les choses seraient-elles différentes sur le dossier soudanais ? Pendant les six années durant lesquelles j’ai travaillé à la Cour, je n’ai jamais entendu de commentaires internes de nature politique, ni dans les chambres, ni au greffe. La Cour ne peut légalement s’occuper de situations qui dépasseraient le cadre de son mandat, car dans ce cas elle deviendrait un organe politique et perdrait ainsi sa légitimité.

La Cour est souvent décrite de façon inexacte, pour ne pas dire tendancieuse. Elle s’efforce d’informer, par exemple sur les territoires où elle est impliquée, comme la République du Congo, afin que les populations perçoivent mieux sa nature, qu’elle ne soit pas perçue comme l’outil d’une justice occidentale s’en prenant au tiers-monde, alors qu’elle agit à la demande des pays concernés. La Cour communique comme elle peut mais c’est une toute petite structure. Les organisations non gouvernementales, les États et les organisations internationales rendraient un grand service à la Cour s’ils l’aidaient à se faire connaître. À cet égard, l’Union européenne et la France pourraient jouer un rôle très actif.

M. Patrick Labaune. La CPI, création des démocraties, éprouve quelques difficultés avec les autres pays. Pratiquement aucun État du bloc arabo-musulman – à l’exception de la Jordanie – qui appliquent la loi islamique, la charia, n’est partie au Statut de Rome. Avez-vous ressenti ce problème ?

Qu’entendez-vous par « gravité » pour caractériser un crime ?

M. Philippe Kirsch. La notion de gravité est prévue dans le Statut. Son appréciation relève d’abord du procureur, qui s’attache à évaluer le nombre de crimes commis. Il incombe ensuite à la chambre saisie de prendre position.

Les circonstances actuelles ne sont évidemment pas favorables à une signature en masse des pays arabes. Cependant, une bonne douzaine de pays arabes ont signé le Statut, de même que l’Iran. Nombre de conférences se sont tenues, notamment aux Émirats arabes unis, au Yémen et en Égypte – comme en Chine, d’ailleurs –, afin d’examiner le rôle de la CPI et l’opportunité d’y adhérer. Je me suis rendu personnellement en Syrie et au Liban. La porte n’est donc pas fermée à jamais. La vocation de la Cour est de s’approcher au maximum de l’universalité. Mais des pays se trouvent empêchés de se rallier à cause de situations temporaires dont ils attendent le règlement avant de franchir le pas.

Le nombre d’États ayant ratifié le Statut de Rome – 108 – excède largement le nombre d’États acceptant la compétence obligatoire de la Cour internationale de justice, qui date de la Libération et a succédé à la Cour permanente de justice internationale.

M. Jacques Myard. De nombreux pays, comme la France, ont retiré leur acceptation de la compétence obligatoire de la CIJ. Espérons que la CPI ne subira pas le même sort !

M. Philippe Kirsch. Jusqu’à présent, trois pays ont retiré leur signature : les États-Unis, Israël et le Soudan. Aucun pays n’est revenu sur sa ratification. Il reste donc 135 États signataires et 108 États ayant ratifié. Ne désespérons pas après quatre ou cinq ans de fonctionnement.

M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie pour cette audition très intéressante.

La séance est levée à dix-sept heures quinze

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