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Commission des affaires étrangères

Mardi 30 juin 2009

Séance de 17 h 00

Compte rendu n° 68

Présidence de M. Axel Poniatowski, Président

– Audition de M. Staffan de Mistura, représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies chargé de la mission d’assistance des Nations unies pour l’Irak

– Convention France-Inde sur le transfèrement des personnes condamnées (n° 1550) – M. Christian Bataille, rapporteur

Audition de M. Staffan de Mistura, représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies chargé de la mission d’assistance des Nations unies pour l’Irak.

La séance est ouverte à dix-sept heures.

M. le président Axel Poniatowski. Monsieur le représentant spécial, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie d'avoir accepté l'invitation de la Commission. Vous êtes suédois et vous travaillez depuis de nombreuses années pour les Nations unies, ce qui vous a conduit dans plusieurs régions affectées par des conflits, comme la Somalie, les Balkans, le Népal et le Proche-Orient. Vous avez été représentant personnel du Secrétaire général pour le Liban Sud de 2001 à 2004, représentant spécial adjoint pour l'Irak entre janvier 2005 et avril 2006, puis vous avez dirigé pendant un an le collège du personnel de l'ONU à Turin avant d'être nommé représentant spécial du Secrétaire général pour l'Irak en septembre 2007. Vous allez quitter Bagdad pour devenir directeur exécutif adjoint du Programme alimentaire mondial et nous sommes heureux de pouvoir vous entendre présenter le bilan des deux années que vous avez passées à la tête de la Mission d'assistance des Nations unies pour l'Irak.

Alors qu'est programmé le retrait des forces américaines d'Irak, on assiste à un regain de violence et à la multiplication d’attentats meurtriers. Quel bilan faites-vous de la situation en Irak sur le plan de la sécurité ? Sur le plan économique, l'Irak enregistrait l'an dernier une croissance évaluée à 7% par le FMI. La crise économique mondiale compromet-elle le redressement du pays et notamment ses capacités de production de pétrole ? Sur le plan politique, que pouvez-vous nous dire sur l'évolution du dialogue entre les Irakiens ? La législation visant à revenir sur la « débaassification » est-elle suivie d'effets ? Enfin, le pays est-il menacé de fragmentation ou ce risque est-il définitivement éloigné ?

M. Staffan de Mistura, représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies chargé de la mission d’assistance des Nations unies pour l’Irak. Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous en cette journée qui est pour moi doublement symbolique : c’est mon dernier jour dans mes fonctions actuelles et c’est un jour important pour l’Irak, puisque les forces américaines se retirent des villes.

La sécurité est une question cruciale en Irak. Je travaille depuis 38 ans pour les Nations unies et j’ai eu l’expérience de 18 guerres. Ce qui, cette fois, m’a le plus préoccupé, comme le sait l’ambassadeur Gérard Sambrana, présent à mes côtés, c’est la nécessité de concilier d’une part l’indispensable visibilité de la mission d’assistance des Nations unies et l’accroissement de ses activités et d’autre part, le risque qu’une organisation, Al-Qaïda par exemple, soit tentée de refaire ce que l’on a fait à mon ami Sergio Vieira de Mello et à 26 de nos collègues.

Indépendamment des Nations unies, où en est, plus généralement, la sécurité en Irak ? Les attentats sont fréquents ces jours-ci, mais ils doivent être replacés en perspective. En 2007, on était au bord de la guerre civile, l’attentat commis par Al-Qaïda contre la mosquée de Samarra ayant provoqué une réaction excessive de la communauté chiite qui a elle-même eu un effet boule de neige. Il s’en est suivi 30 000 morts, et plus de 1,5 million de personnes se sont trouvées réfugiées ou déplacées.

Les enseignements nécessaires ont été tirés de cette suite d’événements et j’ai constaté à Najaf, lieu saint chiite, que les chiites ne veulent pas tomber à nouveau dans ce piège. Mon interprétation est que ce moment difficile s’explique par le souhait d’Al-Qaïda de se rappeler au souvenir des Irakiens au moment où les Américains retirent leurs troupes des villes pour voir si cela suscite des réactions de la part des Chiites – car ce sont des Chiites qui sont visés pour la plupart. Pour l’instant, ils gardent leur sang-froid. Ces événements sont très pénibles, mais les Irakiens sont animés d’un fort sentiment national et ils veulent éviter de retomber dans une sorte de guerre civile. En conclusion, ces attentats qui ont causé 200 morts au cours des dernières semaines, sont, selon moi, plus démonstratifs qu’autre chose.

Quelles sont alors les menaces qui pèsent sur la stabilité de l’Irak ? En premier lieu, la tension entre les Kurdes et le gouvernement central et, plus largement, entre les Kurdes et tous les Arabes. C’est d’ailleurs pourquoi les Nations Unies ont fait de ce dossier une de leurs priorités. Permettez-moi une incidente. En 38 ans de carrière à l’ONU, j’ai vu les faiblesses et les grandeurs du « machin », pour reprendre le qualificatif du général de Gaulle. Oui, l’action des Nations unies a des limites, mais elle existe. On l’a vu en Irak avec l’organisation des élections provinciales, dans laquelle nous nous sommes impliqués très en amont, en participant aux négociations relatives à la révision de la loi électorale et en aidant la commission électorale. La tâche était ardue, car il y avait plusieurs points de blocage : les chrétiens, les femmes, et Kirkouk. Nous avons fini par obtenir un accord car, sans nous, point de crédibilité internationale possible.

Nous continuons de travailler d’arrache-pied à régler la question de la province de Kirkouk, car ce dossier est le seul qui, selon nous, pourrait déstabiliser l’Irak. Nous avons créé la dynamique d’un dialogue en publiant un rapport exhaustif qui détaille l’histoire de la province dans tous ses aspects, y compris économiques et géopolitiques - car il y a du pétrole dans ce territoire si disputé, ce qui complique les choses. Les participants aux réunions du comité national peuvent désormais se référer à ce rapport de 502 pages ; il y a là une base de dialogue qui n’existait pas auparavant. L'article 140 de la Constitution irakienne permettait qu’un référendum sur le statut de Kirkouk soit organisé avant fin 2007 ; il ne l’a pas été, non plus qu’en juillet 2008 comme il en avait été question. Le danger de déstabilisation demeure néanmoins.

Les sahwa constituent un autre foyer d’instabilité potentielle. Ces miliciens sunnites qui ont décidé de travailler avec les Américains et non avec Al-Qaïda veulent partager le pouvoir en Irak et, à cette fin, ils ont créé un parti politique. Mais ils veulent aussi continuer d’être payés ; il faut les intégrer dans les forces de sécurité ou dans la fonction publique, sous peine que la tension ne monte. La vigilance s’impose.

Une autre menace tient au risque d’influences régionales, plus prégnant qu’avant.

Est-ce que, demain ou après-demain, l’armée irakienne sera en mesure de faire ce que les Américains ont fait ? Pas tout à fait, mais j’ai confiance en elle. J’ai plusieurs fois été protégé par ces soldats irakiens, hors la présence de tout militaire américain, et j’ai été impressionné par leur professionnalisme. Il y aura des moments difficiles car l’armée irakienne n’aura pas la logistique dont disposent les Américains et parce que Al-Qaïda voudra démontrer que M. Al Maliki ne peut réussir – mais M. Al Maliki réussira.

En résumé, la situation n’est pas bonne, l’Irak n’est pas la Suisse, mais l’Irak peut y arriver. Mon optimisme est fondé sur la manière dont j’ai vu les forces irakiennes prendre en charge les suites d’attentats.

J’en viens à l’économie irakienne. Elle dépend à 98% du pétrole, et la place de l’agriculture dans les priorités nationales a beaucoup régressé. L’Irak a de nombreux atouts : le pétrole, deux fleuves, un potentiel agricole et une population très qualifiée. L’Irak a donc d’excellentes chances de se développer, au delà du seul pétrole. Actuellement, la production pétrolière a baissé, et les dépenses budgétaires aussi. A cause de l’embargo, l’Irak n’a pas développé ses capacités de production pétrolières pendant des années, mais l’on estime que son énorme réserve pétrolière encore peu exploitée est comprise entre 200 et 300 milliards de barils. Les Irakiens devront construire des raffineries et des oléoducs ; il faudra les y aider, et Total, par exemple, a des chances de revenir en Irak. La forme que prendront les contrats concerne les Irakiens et non les Nations unies mais une chose est certaine : l’Irak veut accroître sa production pétrolière, seul moyen de reconstruire le pays, de développer son agriculture et de gagner en autonomie. Le chômage est d’une particulière gravité en Irak car il favorise le recrutement de jeunes gens désoeuvrés par Al-Qaïda. Développer l’emploi doit donc être une priorité, notamment dans le secteur privé.

L’Irak a donc beaucoup à reconstruire, et il a beaucoup de ressources pour le faire. Il faut l’y aider. Le potentiel est considérable si l’on ménage la sensibilité irakienne, mais on devra faire vite, faute de quoi la situation économique risquerait de se dégrader, et ce serait déstabilisateur. Mais les Irakiens en sont conscients.

Le dialogue doit avant tout progresser entre les Kurdes et les Arabes - tous les Arabes, je l’ai dit, car l’aspiration des Kurdes à voir leur influence reconnue dans la province de Kirkouk a eu pour effet d’unir Chiites et Sunnites contre eux. Il faut répondre aux aspirations légitimes des Kurdes mais en trouvant une formule juste pour tous, au risque, sinon, que toutes les minorités du pays se coalisent contre eux. Les Kurdes le savent, c’est pourquoi ils acceptent la médiation des Nations unies alors que la Constitution prévoyait l’organisation d’un referendum. Ce faisant ils se sont montrés sages, et cette sagesse doit perdurer.

Le dialogue doit aussi avoir lieu entre les Sunnites et les Chiites. Le gouvernement est majoritairement chiite, mais le premier ministre a fait la preuve de son réalisme. En lançant la troupe contre des extrêmises Chiites, il a démontré aux Sunnites qu’il était le premier ministre de tous les Irakiens ; il a donc besoin de constituer des alliances et, pour cela, de dialoguer.

Selon moi, le risque de fragmentation du pays n’existe pas. Elle ne s’est pas produite quand elle aurait pu avoir lieu, et quand les Chiites de Bassorah ont imaginé pour le Sud du pays ce que les Kurdes avaient obtenu au Nord – une large autonomie – le quorum n’a pas été atteint lors du referendum. Cela démontre un certain sentiment national même chez ceux qui pensent avoir intérêt à la fragmentation. De plus, comme l’ont montré les élections, il y a eu une maturation intellectuelle en Irak. En bref, on entend parler de fragmentation mais je pense que ce petit bruit ne sera pas traduit dans les faits, même par les Kurdes.

Comment envisager l’avenir politique du pays ? Si l’on met en parallèle la situation en Irak et de nombreux événements intervenus récemment ailleurs, on ne peut qu’être frappé de voir à quel point, en Irak, le politique a prévalu. La campagne électorale a été une vraie campagne, les élections provinciales ont été de vraies élections – où les femmes ont voté à visage découvert -, et le premier ministre les a gagnées parce qu’il a joué la carte du nationalisme et de la sécurité. Donc, les Irakiens s’affrontent, et parfois violemment, mais ils le font sur le terrain politique. Ce qu’ils ne savent pas faire, c’est négocier : ils ont tendance à commencer à négocier douze minutes avant minuit, et à ne pas céder. C’est en quoi les Nations unies sont très utiles : nous arrivons à minuit moins huit, avec une formulation impartiale qui permet un accord gagnant-gagnant…

M. Daniel Garrigue, président du groupe d’amitié France-Irak. On aimerait pouvoir comme vous, Monsieur le représentant spécial, fonder un espoir sur le sentiment national des Irakiens et sur le fait qu’ils sont entrés dans le jeu politique, mais quand les forces étrangères pèseront moins, quelle influence s’exercera depuis les pays voisins ?
Al-Qaïda n’était pas en Irak quand Saddam Hussein était au pouvoir – elle est venue de l’extérieur. S’agissant de la reconstruction, il y a des ressources, c’est vrai, mais tous les cadres sont partis. Comment les encourager à revenir ?

M. Jean-Paul Dupré. Quelle est la situation sanitaire ? Y a-t-il du personnel en nombre suffisant ? En matière d’éducation, quelle est la proportion des jeunes Irakiens scolarisés ?

M. Jean-Paul Lecoq. La guerre en Irak a cela d’exceptionnel qu’elle a été déclenchée sur le fondement d’un mensonge. Les Irakiens demandent-ils justice ? Que le coupable ait fait son mea culpa au terme de son mandat ne l’exonère pas de ses responsabilités. L’hypothèse a-t-elle été formulée de constituer un tribunal international ?

M. Jean-Marc Roubaud. Au regard de l’immensité de la tâche, votre optimisme est méritoire. Les pays voisins de l’Irak envisagent-ils la reconstruction du pays de manière positive ou négative ?

M. Loïc Bouvard. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur les relations entre Kurdes de Turquie et Kurdes d’Irak, et sur les relations entre le gouvernement turc et le gouvernement irakien ? D’autre part, que représente Saddam Hussein dans l’opinion publique irakienne ? Est-il oublié ou est-ce une personnalité mythique ?

M. Staffan de Mistura. Les relations régionales sont compliquées. L’influence de certains pays, dont l’Iran, est indéniable et les autorités iraniennes, que j’ai rencontrées, ont admis avoir un grand intérêt pour cet Irak avec lequel ils ont été en guerre pendant huit ans. Cependant, selon mon expérience personnelle fondée sur de nombreux entretiens, l’influence chiite iranienne est limitée par l’orgueil national ; les Irakiens sont d’abord des Irakiens et s’ils doivent choisir entre l’Irak et l’Iran ils choisiront l’Irak.

La Turquie, autre voisin important, a mis au point une stratégie à l’élaboration de laquelle nous avons participé, celle de « l’engagement constructif », un ensemble qui dépasse les questions du PKK et de Kirkouk mais qui en tient compte. On évolue donc vers une entente générale, ce qui est très positif et qui a contribué à réduire la tension à propos du PKK et donc des Kurdes de Turquie. Pour la première fois, il y a eu des discussions informelles entre Irakiens, Turcs et Kurdes pour parler de sécurité et éviter les malentendus. L’influence de certains pays est réelle, mais j’ai confiance et je pense qu’elle demeurera limitée car les Irakiens sont obsédés par leur souveraineté.

Il n’y avait pas Al-Qaïda en Irak sous Saddam Hussein, en effet – il n’en voulait à aucun prix car sa présence aurait menacé son régime, le parti Baath d’Irak ayant une idéologie religieuse modérée. Al-Qaïda est entrée en Irak pour mener, avec certains Sunnites qui ont passé une alliance avec elle, une guerre d’usure contre les 135 000 soldats américains qui y sont stationnés ; on peut donc imaginer que son intérêt pour l’Irak s’émoussera à mesure que ceux-ci seront de plus en plus dans leurs bases. Je m’attends à quelques attaques désespérées, mais pas davantage. D’ailleurs, les volontaires pour commettre ces attentats semblent manquer, et Al-Qaïda doit recruter comme futurs activistes de très jeunes gens, presque des enfants.

Le retour des cadres est crucial. Après l’attentat de Samarra et les violences qui s’en sont suivies, un mouvement d’émigration très prononcé a eu lieu. Les premiers qui sont partis avaient été les très riches proches de Saddam Hussein – au point qu’ils ont provoqué l’enchérissement du prix de l’immobilier à Amman. Après l’attentat, c’est la classe moyenne qui s’en est allée – enseignants, médecins, commerçants… Il faut les encourager à rentrer, mais ne pas les y contraindre. Le HCR y travaille avec le gouvernement, mais c’est aux intéressés de décider en dernier ressort.

Vous m’avez interrogé sur la situation sanitaire. Avez-vous entendu parler d’une grave épidémie de poliomyélite en Irak, ou d’une propagation catastrophique du choléra ? Non. C’est que, malgré tout, les médecins irakiens et ce qui reste du système de santé parviennent à faire face aux besoins, avec l’aide des Nations unies et d’autres organisations. Si le pays gagne en stabilité et que les médecins qui se sont exilés reviennent, le système de soins reprendra de la vigueur dans les six mois, on l’a vu dans le Nord du pays.

S’agissant de l’éducation, et en dépit de tout, tous les enfants, garçons et filles, sont scolarisés – d’ailleurs, quand la situation était particulièrement sombre, le fait d’être dans un établissement d’enseignement les protégeait des attentats commis dans la rue. Quant aux universités, elles sont pleines. Le système éducatif a donc tenu.

Au cours des deux années écoulées, personne, je dis bien aucun de mes interlocuteurs, ne m’a jamais parlé du passé ni évoqué devant moi l’hypothèse de créer un tribunal international. Les Irakiens veulent reconstruire, et parler du passé ne leur apporte rien. De même, très peu sont ceux qui parlent de Saddam Hussein, même parmi les Sunnites les plus durs. Ils disent vouloir une autorité sunnite, mais ils reconnaissent que le pays a connu une période très dure – et très peu de gens vont se recueillir sur la tombe du défunt. La seule chose souvent entendue était que « du temps de Saddam, la criminalité n’était pas si répandue» mais à présent qu’elle est plus maîtrisée, on n’entend plus guère ces mots.

M. François Asensi. Vous nous avez dit que le sentiment national transcende les clivages religieux, ce qui est surprenant et intéressant. Cependant, ne peut-on craindre que lors de la reconstruction de l’Irak, Etat de tradition laïque, la compétition pour le pouvoir n’entraîne une radicalisation qui pourrait conduire à l’instauration d’une république islamique ?

M. Jean-Louis Bianco. Comment voyez-vous l’Irak dans dix ans ?

M. Jean-Marc Nesme. Qu’en est-il de l’influence de la Syrie, où le parti Baas a aussi été au pouvoir de longues années ?

M. Staffan de Mistura. Le risque d’une radicalisation religieuse et de l’instauration d’une république islamique me paraît très faible. Lors des élections provinciales, les partis islamiques ne sont arrivés à rien. Chez les Sunnites, ce sont les chefs tribaux qui l’ont emporté, pour des considérations strictement territoriales et bien peu religieuses. Chez les Chiites, ce n’est pas le parti le plus proche de l’Iran qui a gagné mais le parti de Al Maliki, qui a joué la carte de la souveraineté nationale. Aucun des partis qui ont gagné les élections ne parle d’instaurer une république islamique. Même au Sud, on entendait dire : « Nous sommes différente des Iraniens », comme pour souligner que l’on entendait distinguer politique et religion. Le régime de Saddam Hussein était assez laïque, vous l’avez rappelé, et le mouvement religieux s’est déradicalisé, par pragmatisme, au cours des dernières années.

Comment envisager l’Irak dans dix ans ? S’il n’y pas de crise à Kirkouk, si le dialogue avec les Sunnites s’intensifie, si la loi sur le partage des revenus pétroliers aboutit de manière satisfaisante, si les capacités de production de pétrole augmentent et avec elles les ressources qui permettront la reconstruction et la création d’emplois, alors je serai très optimiste pour l’Irak – cet Irak qui m’a beaucoup touché car il vient de faire un don au programme alimentaire mondial… Alors, dans dix ans l’Irak sera un pays prospère et assez modéré.

La Syrie a toujours eu une influence en Irak mais cette influence était limitée par le fait que les deux partis Baas étaient en compétition, et une frontière longue et poreuse laissait passer trop de volontaires terroristes, déstabilisant l’Irak. Les relations entre les deux pays se sont améliorées. Les deux premiers ministres se sont rencontrés, ils sont en affaires – et les affaires aident à devenir réalistes.

M. le président Axel Poniatowski.  Le temps nous manque pour aborder bien d’autres questions mais je vous remercie, Monsieur le représentant spécial, pour cette présentation passionnante. D’importants progrès ont été réalisés en Irak, mais votre optimisme est tempéré par tant de conditions que l’on peut se demander si c’est encore d’optimisme qu’il faut parler…

Convention France-Inde sur le transfèrement des personnes condamnées (n° 1550)

La commission examine, sur le rapport de M. Christian Bataille, le projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde sur le transfèrement des personnes condamnées (n° 1550).

M. Christian Bataille, rapporteur. La situation de notre compatriote Florence Cassez, condamnée à soixante ans de prison au Mexique, montre à quel point l’obtention d’un transfèrement peut apparaître indispensable, sinon vital, dans certaines circonstances. Même si les conventions de transfèrement laissent toujours à chaque Etat le droit de refuser une demande, elles précisent les conditions à remplir, les procédures à suivre et les règles applicables en cas d’acceptation de la demande.

Le Mexique fait partie des dix-huit Etats non membres du Conseil de l’Europe qui ont adhéré à convention du Conseil de l’Europe sur le transfèrement des personnes condamnées, signée le 21 mars 1983. Tel n’est pas le cas de l’Inde. C’est pourquoi il a été choisi de conclure avec elle une convention bilatérale, dont la négociation, commencée en 1998, a été très longue car l’Inde a dû modifier sa loi interne pour autoriser le transfèrement des étrangers détenus dans le pays.

Cette convention complète les instruments bilatéraux de coopération judiciaire en matière pénale, après l’entrée en vigueur d’une convention d’entraide judiciaire en matière pénale le 25 mai 2006 et d’une convention bilatérale en matière d’extradition le 4 novembre 2005. La coopération entre les deux pays dans ces domaines est encore peu développée, principalement du fait des disparités entre les systèmes juridiques et judiciaires des deux pays.

Au 1er avril 2009, il y avait quarante-trois détenus de nationalité indienne incarcérés dans les prisons françaises, principalement pour des infractions aux règles de l’entrée et du séjour des étrangers.

A la même date, on comptait six Français incarcérés dans les prisons indiennes, dont quatre pour des affaires liées à des produits stupéfiants.

La convention étant applicable aux condamnations prononcées avant comme après son entrée en vigueur, toutes ces personnes pourront bénéficier de ses stipulations, sous réserve de remplir les autres conditions.

Elles sont au nombre de huit :

– la personne doit avoir la nationalité française si elle demande à être transférée en France, la nationalité indienne si elle souhaite finir de purger sa peine en Inde ;

– au moment de la demande, la personne doit encore avoir à purger au moins six mois d’emprisonnement, sauf cas exceptionnel permettant de déroger à cette durée minimale – il peut s’agir, par exemple, de mineurs, de détenus âgés ou atteints d’une affection grave nécessitant une prise en charge médicale immédiate ou très spécifique qui ne pourrait être assurée dans l’Etat de condamnation ;

– la condamnation fait suite à une infraction pénale au regard du droit de la Partie d’accueil ;

– la personne condamnée accepte le transfèrement ;

– les deux Etats concernés sont d’accord ;

– le jugement doit être définitif et il ne doit y avoir aucune procédure pénale en cours dans l’Etat de condamnation à l’encontre de la personne condamnée ;

– la peine à exécuter est une peine privative de liberté et non la peine de mort, mais la convention est applicable à l’exécution des peines privatives de liberté résultant de la commutation d’une condamnation à la peine capitale ;

– le transfèrement ne porte atteinte ni à la souveraineté, ni à la sécurité, ni à aucun autre intérêt de l’Etat de transfèrement.

Les cinq premières conditions énumérées sont identiques à celles qui figurent dans la convention du Conseil de l’Europe. Les trois autres s’en distinguent, mais figurent dans certaines conventions bilatérales conclues par la France ; elles ont été ajoutées à la demande de la partie indienne.

Il convient de souligner que la dernière condition est d’une portée limitée, dans la mesure où cette convention de transfèrement, comme toutes les conventions ayant le même objet, repose sur le principe selon lequel chacune des parties est libre d’accepter ou non une demande, et peut donc la rejeter pour des considérations d’opportunité.

L’exigence de la transmission des demandes par la voie diplomatique est une autre particularité de cette convention, les conventions bilatérales conclues par la France privilégiant, en règle générale, la transmission directe entre autorités centrales.

Comme dans toutes les conventions de transfèrement, la personne transférée purge dans le pays d’accueil la condamnation qui lui a été infligée. Mais l’exécution de la peine est poursuivie conformément à la législation de la Partie d’accueil, ce qui peut avoir une incidence sur les modalités d’exécution de cette peine.

En effet, si cette Partie « est liée par la nature juridique et la durée de la condamnation telles que déterminées dans la partie de transfèrement », elle peut adapter cette condamnation afin de la rendre compatible avec sa législation dans le cas où elle ne le serait pas.

Cette possibilité d’adaptation, présente dans toutes les conventions bilatérales conclues par la France, répond à des contraintes constitutionnelles : elle permet d’adapter les peines dont la nature n’est pas compatible avec notre ordre public (par exemple, les peines de travaux forcés) ou dont la durée excède la peine maximale encourue dans notre droit pour l’infraction correspondante.

La définition des modalités d’exécution de la peine – y compris les possibilités d’aménagement – relève de l’Etat d’accueil, le droit de statuer sur une demande de révision du jugement est réservé à l’Etat de transfèrement, mais les deux Etats peuvent accorder la grâce, l’amnistie ou la commutation de la peine, chacun selon ses propres règles juridiques. Pour la France, ces stipulations très classiques répondent également à des contraintes constitutionnelles, dans la mesure où les exigences liées aux « conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale » s’opposent à ce que des limitations puissent être apportées aux droits de grâce et d’amnistie, constitutionnellement garantis.

Si cette convention bilatérale sur le transfèrement des personnes condamnées n’est pas absolument indispensable, puisque deux transfèrements ont été effectués dans les années 1990 en application du principe de la réciprocité, elle facilitera, dans l’avenir, le règlement de situations qui peuvent s’avérer très difficiles à vivre pour les personnes concernées. Le développement des échanges humains entre les deux pays, qu’ils soient le résultat de l’intensification des flux touristiques, de la coopération universitaire et scientifique ou des relations économiques, justifie pleinement la mise en œuvre de cette convention.

Je vous recommande l’adoption du présent projet de loi.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission adopte le projet de loi (no 1550).

La séance est levée à dix-huit heures quinze.

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