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Commission des affaires étrangères

Mercredi 16 décembre 2009

Séance de 11 h 00

Compte rendu n° 28

Présidence de M. Axel Poniatowski, Président

– Audition de M. Jack Lang, député, envoyé spécial du Président de la République pour la Corée du Nord (ouverte à la presse).

Audition de M. Jack Lang, député, envoyé spécial du Président de la République pour la Corée du Nord

La séance est ouverte à onze heures.

M. le président Axel Poniatowski. Monsieur Jack Lang, cet automne, vous avez été chargé par le Président de la République d’une mission d’information sur la Corée du Nord, afin de proposer des initiatives que « la France pourrait entreprendre pour contribuer au règlement de la crise nord-coréenne » et de procéder à « l’analyse sur les circonstances qui pourraient conduire la France à envisager l’établissement de relations diplomatiques avec la République démocratique de Corée », en tenant compte de la nécessité de progrès sur les questions du nucléaire, des relations entre les deux Corées et de la situation des droits de l’homme.

Les membres de notre commission, ceux du groupe d’études à vocation internationale sur les questions de la Corée du Nord et du groupe d’amitié France-République de Corée sont donc particulièrement intéressés par votre audition.

M. Jack Lang. La France est le seul pays de l’Union européenne, avec la Lettonie, à ne pas reconnaître l’État nord-coréen, à n’entretenir aucune relation diplomatique avec lui depuis la guerre de Corée. Je ne reviens pas sur les raisons de cet état de fait, structurelles et conjoncturelles. Au début des années 2000, lors de l’ASEM – Asia-Europe Meeting –, qui était présidé par Jacques Chirac, le climat de confusion avait généré des malentendus. En outre, les Européens n’ont peut-être pas eu, alors, la volonté d’adopter une position cohérente. Bref, l’Italie, la Grande-Bretagne et les autres pays ont reconnu la Corée du Nord.

Le fait que la France n’entretienne pas de relations diplomatiques avec la Corée du Nord entre en contradiction avec l’interprétation du droit international à laquelle elle souscrit traditionnellement en matière de relations d’État à État. La France ne reconnaît pas les gouvernements mais les États, sur la base du principe d’effectivité. C’est d’ailleurs pourquoi le général de Gaulle avait été l’un des tout premiers chefs d’État occidentaux à reconnaître la Chine de Mao, suivi un peu plus tard par le président Nixon.

Le Président de la République et le ministre des affaires étrangères ont souhaité qu’une personnalité choisie par eux entreprenne une mission exploratoire pour mieux comprendre la situation. C’est la première fois, je crois, qu’un tel mandat est donné concernant la Corée du Nord. Cette décision est intervenue à point nommé, alors que les lignes paraissent bouger légèrement – je le dis avec la prudence la plus extrême car les choses peuvent encore changer. La visite de Bill Clinton à Pyongyang, liée à un objectif précis – la libération de deux journalistes –, a été l’occasion de conversations avec des dirigeants nord-coréens sur d’autres sujets. Le premier ministre chinois s’est aussi rendu à Pyongyang assez récemment. La semaine dernière, l’envoyé spécial du président Obama, Stephen Bosworth, est, je crois, resté trois jours à Pyongyang, ce qui a permis d’autres discussions avec les autorités locales ; Hillary Clinton, la secrétaire d’État, a jugé ces discussions « positives », même si elles ont eu lieu à un niveau inférieur à celui des entretiens qui m’ont été accordés.

Tout au long de ma mission, j’ai pu constater l’extrême qualité de notre service public de la diplomatie, à Paris, notamment à la direction Asie, comme sur place, dans les différents pays que j’ai traversés. La conscience professionnelle et la qualité du travail de nos diplomates sont tout à fait remarquables, nous pouvons en être fiers.

Ma mission s’est effectuée en deux temps.

Premièrement, pour s’astreindre aux exigences de solidarité, de transparence, de loyauté vis-à-vis d’eux, avant de me rendre à Pyongyang, j’ai rencontré les hauts dirigeants des pays concernés par la question de la Corée du Nord. La France étant membre du Conseil de sécurité, elle a son mot à dire, en particulier, sur les questions nucléaires. C’est dans cet esprit que j’ai rencontré les ambassadeurs à Paris des pays concernés puis que je me suis rendu successivement au Japon, où j’ai rencontré le ministre des affaires étrangères, en République de Corée, où j’ai rencontré le président, le ministre des affaires étrangères et le ministre de la réunification, à Washington, où j’ai notamment rencontré le secrétaire d’État adjoint Steinberg, à New York, où j’ai rencontré des personnalités des Nations unies, à Pékin, à deux reprises, où j’ai rencontré de hauts dirigeants de la Chine, enfin, hier, à Moscou, où j’ai rencontré M. Lavrov, le ministre des affaires étrangères. Je me suis aussi entretenu avec des experts militaires, des spécialistes de la Corée du Nord et de très nombreuses organisations non gouvernementales.

Deuxièmement, à Pyongyang, j’étais accompagné de membres du corps diplomatique qui suivent très attentivement ces questions, M. Lortholary, conseiller technique chargé de l’Asie et de l’Océanie auprès du Président de la République, M. Viteau, directeur adjoint Asie et Océanie, et M. Berthelot, premier conseiller auprès de l’ambassadrice de France à Séoul. En cinq jours, nous avons visité des institutions universitaires, médicales et culturelles ainsi que des entreprises. Nous avons entrepris deux voyages en province, l’un à la frontière Sud, à Kaesong, l’autre vers la mer de l’Ouest, au nord du port de Nampo. Nous devrions encourager davantage ceux qui se dévouent pour améliorer la situation de la population.

Les conversations diplomatiques ont été longues, franches, cordiales, dépourvues de tabous et de restrictions. Nous avons notamment rencontré le numéro deux du régime, M. Kim Yong-nam, chef de l’État, président du présidium de l’assemblée populaire suprême, le ministre des affaires étrangères et certains de ses vice-ministres. Les autorités nord-coréennes ont souhaité accomplir deux « gestes spéciaux » à l’égard de la France, sous la forme de déclarations solennelles.

La première déclaration portait sur la prolifération et le transfert de matières fissiles et balistiques. Nous avions nous-mêmes beaucoup insisté sur ce point. Il appartiendra à ceux qui détiennent les responsabilités exécutives d’en tenir compte ou non. En tout cas, les officiels ont déclaré à la délégation française que la Corée du Nord ne se livre à aucune activité de prolifération de matières fissiles ou balistiques.

La seconde portait sur les droits de l’homme. La Corée du Nord, qui a interrompu toute discussion avec les pays de l’Union européenne sur la question des droits de l’homme, est prête à reprendre la discussion. Je crois savoir que le quai d’Orsay, prenant au mot les autorités nord-coréennes, met au point des propositions.

La presse comme les dirigeants des pays visités ont émis une appréciation positive, même si certains avaient commencé par s’interroger ou s’inquiéter. Nous avons pu expliquer la démarche de notre pays avec clarté et transparence.

J’ai remis quant à moi une note à mon retour au Président de la République et au ministre des affaires étrangères.

Sur la question principale, celle des relations diplomatiques à établir – notre mandat ne portait pas particulièrement sur le volet nucléaire –, les autorités françaises souhaitent ouvrir une nouvelle page de coopération dans les relations avec la Corée du Nord. Mais ce processus se fera par étapes. Les ambassadeurs des cinq pays, que notre délégation a rencontrés, approuvent l’idée de l’ouverture à Pyongyang d’une structure permanente de coopération, dans les domaines humanitaire, culturel, linguistique, agricole et autres. Nous avons soumis cette proposition à la délégation générale de la Corée du Nord à Paris et attendons sa réponse.

La France, comme les autres pays sincèrement attachés au sort des populations, devrait aussi soutenir les ONG et les organisations relevant des Nations unies. Trois ONG françaises travaillent sur place : Triangle génération humanitaire, qui a entrepris une action d’aménagement de polders en collaboration avec une ferme collective, dans un pays qui manque de terres agricoles ; Première urgence, qui agit avec l’hôpital de Pyongyang dans le domaine de la transfusion sanguine ; Handicap international, qui apporte une aide extrêmement importante en matière de prothèses. L’aide consentie par les autorités françaises est réelle mais modeste, et il en va de même pour ce qui concerne les organisations relevant des Nations unies, notamment le PNUD et l’UNICEF. L’aide est surtout irrégulière, accusant paradoxalement un ralentissement chaque fois que la tension monte entre la Corée du Nord et les autres pays. Le contraire serait souhaitable, pour aider les populations, contribuer à l’ouverture des esprits et surtout ne pas soumettre à une telle incertitude des organisations qui se dévouent avec cœur et enthousiasme.

La question du nucléaire ne relevait pas de notre mission mais elle intéresse la France, pays membre du Conseil de sécurité, attaché à la paix et à la stabilité de cette région du monde. L’ensemble des formations politiques françaises sont solidaires des pays qui veulent reprendre des négociations avec la Corée du Nord sur le nucléaire. Or, si l’on en croit les déclarations de l’envoyé spécial américain, qui m’ont été confirmées hier par le ministre des affaires étrangères russe, les autorités nord-coréennes seraient prêtes à reprendre les négociations à six, telles qu’elles sont souhaitées par chacun de nos pays.

M. le président Axel Poniatowski. En juin dernier, au cours d’une table ronde sur la Corée du Nord, des spécialistes nous avaient expliqué que les stations de mesures n’avaient détecté aucune présence d’« isotopes radioactifs du gaz xénon » à la suite du deuxième essai qualifié de « nucléaire », réalisé le 25 mai 2009. Êtes-vous aujourd’hui en mesure de nous dire si des études permettent aujourd’hui de conclure que cet essai avait un caractère nucléaire ?

Le 12 juin 2009, le Conseil de sécurité des Nations unies a voté des sanctions supplémentaires à l’égard du régime nord-coréen. Ont-elles eu des effets réels sur le pays et sa population, qui sont particulièrement isolés ?

M. Patrick Beaudouin. Je préside le groupe d’amitié France-Corée du Sud, et je fais partie de ceux qui pensent que la France devait prendre une initiative pour rentrer dans le jeu de cette partie du monde ; je me réjouis donc que cette mission d’exploration ait été organisée. Je reste toutefois soucieux des liens d’amitiés entre la Corée du Sud et la France, noués au fil de plus de 120 ans de relations diplomatiques, en particulier durant la guerre de Corée et l’invasion japonaise – nous avions alors accueilli le gouvernement provisoire de la République de Corée.

Comment pensez-vous que les autorités sud-coréennes ont perçu cette initiative, alors que le Président Lee Myung-bak, élu en 2007, a plutôt engagé un processus de fermeté par rapport à la Sunshine Policy menée par ses prédécesseurs ?

Comment la France et l’Europe, absentes du groupe des six, peuvent-elles intervenir dans le processus de dénucléarisation ? Avez-vous pris contact avec la Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères, récemment nommée ? Sinon, envisagez-vous de le faire ?

M. Dominique Souchet. Votre mission est-elle ponctuelle, ou appelée à se prolonger, notamment pour suivre l’évolution du dossier concernant l’ouverture d’un bureau de liaison à Pyongyang ?

Le Japon semble le pays de la région le plus inquiet d’une reconnaissance de facto de la nucléarisation de la Corée du Nord. Comment les Japonais ont-ils perçu notre initiative ?

M. Jacques Myard. Il faut reconnaître la Corée du Nord, et le plus tôt sera le mieux. Les tergiversations consistant à proposer l’ouverture d’un bureau de coopération sont inutiles. Au-delà de la « politique du ping-pong », seul compte le premier pas. L’après-guerre de Corée est loin. Je comprends que la Corée du Sud puisse s’interroger mais, que je sache, ce pays négocie de manière continuelle avec le côté Nord.

Avec Jean-Michel Boucheron, nous avons rendu un rapport relatif à la prolifération nucléaire, adopté à l’unanimité par cette commission. Je vous rappelle ce que les Nord-Coréens ont dit aux Américains : nous voulons la bombe car nous ne voulons pas que vous nous fassiez ce que vous avez fait à l’Irak. Au cours de vos contacts, avez-vous eu la même impression ?

Comment les Chinois réagissent-ils à l’idée que la Corée du Nord soit une puissance nucléaire ?

Le Traité de non-prolifération est moribond ou presque et, partout où nous sommes passés, nous avons constaté que la Corée du Nord était derrière le phénomène de prolifération.

M. Jack Lang. Je n’étais pas porteur d’un mandat de l’Agence internationale de l’énergie atomique et je n’aurais pas été qualifié pour cela. Ne disposant pas d’informations, je ne puis vous répondre. Les données sont si contradictoires, si diverses, si multiples, qu’elles suscitent inévitablement des questions multiples. Mais l’on est immanquablement porté à la prudence et l’on peut s’interroger sur la réalité de telle ou telle expérience nucléaire. Je n’ose rappeler, car ce n’est pas comparable, que des informations touchant à la possession d’armes de destruction massive par un autre pays ont conduit à tromper le monde entier – la France, par bonheur, s’y est opposée, presque unanimement. Le Parlement et le Gouvernement ont le devoir de confronter les données et de mieux nous informer.

Les sanctions prononcées par les États-Unis sont effectives, notamment celles frappant certains dirigeants du pays, mais sont-elles efficaces ? Peuvent-elles conduire à un changement d’attitude ?

Je ne suis pas le porte-parole du gouvernement nord-coréen, mon rêve de démocratie est tout autre, je crois l’avoir montré. Cela dit, les Nord-Coréens expliquent que la possession du parapluie nucléaire est légitime, pour des raisons tenant à leur souveraineté et à leur sécurité. Le nom du général de Gaulle, qui n’avait demandé l’autorisation à personne, a d’ailleurs été cité à plusieurs reprises – je sais que cela n’a rien à voir mais je retranscris fidèlement les propos qui m’ont été tenus –, tout comme l’exemple de l’Irak.

Je vais maintenant parler à titre personnel. Pour qu’un traité de paix soit signé – car il faudra bien un jour mettre un terme définitif à la guerre de Corée –, il est indispensable de doter cette région d’un système de sécurité collective, protégeant le Japon, la République de Corée, la Chine et la Corée du Nord. Diplomates, responsables politiques et experts devraient se creuser la cervelle pour imaginer un plan de paix assurant la sécurité, à laquelle tous sont attachés. Nos amis russes eux-mêmes y sont plus attachés peut-être qu’ils ne l’étaient il y a deux ans – ils ne se réjouissent pas à l’idée de pouvoir recevoir sur leur partie orientale je ne sais quel missile. Bref, un effort de courage et d’imagination doit être conduit.

Lorsque le Président de la République m’a nommé envoyé spécial, il est vrai que les Coréens du Sud ont pu s’interroger, même si j’ai des relations assez denses avec eux, en particulier parce que je me suis rendu à Séoul, en juillet dernier, afin de travailler avec leur Assemblée nationale à la révision de leur Constitution. Je crois les avoir pleinement rassurés. Le président sud-coréen, le ministre des affaires étrangères, le ministre de la réunification et d’autres responsables, que j’ai longuement rencontrés, comprennent que la France puisse réfléchir à l’établissement de relations diplomatiques avec la Corée du Nord. À titre personnel, je plaide pour que la France restitue les archives royales, qui appartiennent à la mémoire nationale. François Mitterrand l’avait envisagé et Nicolas Sarkozy n’y est pas opposé. Ce geste serait hautement apprécié, il toucherait le cœur de tous les Coréens.

Je n’ai pas rencontré la nouvelle Haute représentante de l’Union européenne ; c’est une bonne idée, je le ferai.

Ma mission est ponctuelle. Je serai évidemment attentif, comme vous, à la suite des événements et à la réponse que les Nord-Coréens donneront à notre proposition. De plus en plus de Français, jeunes, médecins, universitaires, archéologues, se rendent en Corée du Nord. Tout récemment, l’ex-entraîneur de l’équipe du Japon de football a été sollicité par l’équipe nationale nord-coréenne, sélectionnée pour la coupe du monde en Afrique du Sud, afin d’occuper des fonctions d’encadrement importantes ; le « politique du football », comme la « politique du ping-pong », peut être un moyen pour renforcer les liens entre les peuples.

Le Japon est certainement le pays le plus sensible à la question, avec la problématique des kidnappés japonais, celle de la sécurité et celle des bases américaines sur place, dont les autorités japonaises se sont entretenues avec le président Obama. En tout cas, quand on discute avec les nouveaux dirigeants du Japon, on a le sentiment d’avoir en face de soi un vrai gouvernement, avec une pensée, une vision, libéré de la soumission aux administrations. Il reste à vérifier s’il réalisera tout ce qu’il a prévu, concernant l’environnement – nous le verrons à Copenhague –, les bases américaines ou d’autres sujets diplomatiques.

M. Michel Destot. Quelle est la situation sociale en Corée du Nord, notamment dans les campagnes, marquées par une extrême pauvreté, voire par la famine ? Les ONG ont-elles une latitude d’action suffisante pour être efficaces ?

M. Gérard Voisin. Le Président de la République a eu l’intelligence de vous confier cette mission mais elle ne va pas sans poser des problèmes : avec un ministre des affaires étrangères bis, comment la diplomatie française est-elle prise en compte ?

Pour le Japon, la question de la Corée du Nord est cruciale ; c’est le premier pays concerné. Étant vice-président du groupe d’amitié France-Japon, je fréquente le gouvernement japonais depuis quinze ans. Si j’ai pu constater moi aussi que le nouveau gouvernement était porté par une vision nouvelle et désireux de régler ce problème, il n’en reste pas moins inquiet, voire fébrile.

M. Lionnel Luca. Vous avez évoqué votre « rêve de démocratie », alors que la Corée du Nord est un pays en plein cauchemar. Le sens de votre mission est ambigu car on peut se demander s’il ne vise pas à figer définitivement un état de fait, c’est-à-dire la partition, alors que ce peuple aspire à sa réunification. En ce vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin, je me demande si ce n’est pas un peu décalé par rapport au sens de l’histoire.

M. Pascal Clément. Je ressens le même scepticisme. Si, dans ce cas d’espèce, le principe d’une reconnaissance des Etats n’a pas été respecté, c’est parce que l’on espérait la réunification des deux Corées. Cela n’a rien à voir avec la partition entre Formose et la Chine, c’est un pays coupé en deux, avec, d’un côté, une monarchie héréditaire communiste, l’absence de la moindre trace de démocratie et des « villes Potemkine ». Quand je m’y suis rendu, il y a vingt ans, un député communiste qui m’accompagnait ne l’a pas supporté. La reconnaissance de la Corée du Nord facilitera-t-elle la réunification ? Il faut l’espérer, sinon, je ne vois pas quel serait son intérêt.

M. Jack Lang. S’agissant de la situation sociale, là encore, la prudence s’impose. N’étant resté là-bas que cinq jours, je ne puis prétendre établir une radiographie. Mon sentiment, c’est qu’il existe une assez grande différence entre Pyongyang et la campagne. Dans la capitale, une certaine vitalité se manifeste, il y a une économie privée, avec des marchés où les paysans peuvent vendre leurs surplus, on distingue des classes sociales et certains semblent ne pas vivre mal. Par contre, à la campagne, sur les routes, des personnes paraissent connaître des difficultés de vie. Mais je ne veux pas prononcer des appréciations superficielles. Des Français installés à Pékin, qui entreprennent des enquêtes sur place, donnent des informations assez contradictoires sur l’état de santé ou l’alimentation.

Les organisations humanitaires, lorsqu’elles disposent d’un minimum de moyens, effectuent un travail efficace : un centime investi à leur bénéfice est rendu au centuple. En outre, c’est un vecteur de contacts, de confiance, d’échanges. Les habitants ont conscience que les Français, les Britanniques ou les Américains leur apportent une certaine forme de civilisation ou de civilité. Une aide beaucoup plus importante serait extrêmement profitable, sur tous les plans.

Le Japon est effectivement un grand pays, une grande puissance mondiale, on l’oublie en cette période d’ascension de la Chine. Les Français devraient se montrer beaucoup plus attentifs à l’évolution économique et politique de ce pays. Nous ne devons négliger aucun effort pour établir des liens très étroits avec le Japon, pays envers lequel je ressens également une grande sympathie. Je souhaite que les membres du Gouvernement s’y rendent souvent.

Je ne suis absolument pas un « ministre des affaires étrangères bis ». Ma mission est ponctuelle, limitée dans le temps, liée à une situation. Permettez-moi encore d’émettre une réflexion personnelle. Nous avons un excellent appareil diplomatique, d’excellentes équipes d’ambassades, des serviteurs de l’État qui méritent d’être salués pour leur dévouement, leur engagement et leur travail. Mais, dans de nombreux pays, notre représentation politique est insuffisante. Je ne suis candidat à rien, vous le savez, ni ministre bis, ni ministre, mais il ne serait pas absurde de prendre exemple sur des pays comme la Chine, les États-Unis ou la Russie, qui assurent une représentation politique beaucoup plus forte sur chaque continent. En quoi le Président de la République ou le ministre des affaires étrangères seraient-ils affaiblis par la création de postes de vice-ministres chargés de suivre une région particulière, comme c’est déjà le cas pour l’Europe et l’Afrique ? J’insiste, je ne suis candidat à aucune fonction.

Il n’est pas aisé de distinguer relations d’État à État et relations de peuple à peuple, en particulier à travers les ONG. Mais la paix et la sécurité comptent. Si nous prétendons vouloir régler toutes les questions d’un seul coup, nous ne réglerons rien, cela vaut pour la Corée du Nord comme pour d’autres pays. Tel est du reste le sentiment qui m’a été exprimé par le ministre des affaires étrangères japonais : il faut se centrer sur la question de la sécurité et de la paix, sans se préoccuper du régime politique – il n’est d’ailleurs pas impossible que les deux questions soient liées.

La question de la réunification est posée aussi bien au Nord qu’au Sud. Avec quel engagement profond ? Je l’ignore. Les nouvelles générations y sont peut-être moins attachées mais chacun des deux pays milite pour la réunification, ni la République du Sud ni la République du Nord ne peut être soupçonnée du contraire.

M. François Loncle. Les dirigeants nord-coréens ne s’intéressent qu’à la survie du régime, croire que cela peut changer est très optimiste. Tout ce que vous avez accompli me semble néanmoins utile.

Quelques mois après l’entrée en fonction du président nord-coréen, dont l’état de santé est d’ailleurs incertain, les manifestations d’ouverture, notamment l’ébauche d’échanges transfrontaliers, avaient suscité beaucoup d’espoir. Pourquoi n’y a-t-il plus aucun signe de cet ordre ?

M. Jean-Claude Guibal. Percevez-vous des perspectives d’évolution de ce régime ? Pouvez-vous préciser comment la prise de distance de la Corée du Nord vis-à-vis de l’Union européenne s’est manifestée ?

M. Jean-Paul Lecoq. Si j’avais été du voyage, j’aurais été sans nul doute le communiste offusqué car il reste énormément à faire dans ce pays en matière de droits de l’homme.

Mais comment un pays qui possède l’arme nucléaire – celui qui l’en a doté a même déclaré que c’était une « assurance-vie » – peut-il aller faire la leçon à ceux qui souhaitent s’en doter pour leur propre sécurité ? Quelle solution alternative pouvons-nous proposer à ces pays, qui sont différents et se sentent entourés d’ennemis politiques ? Dans le rapport que vous avez rendu au Président de la République, avez-vous évoqué la possibilité d’associer à la discussion autour du Traité de non-prolifération ces pays, qui ne sont pas officiellement reconnus comme détenteurs de l’arme nucléaire mais dont il faut tenir compte ?

Étiez-vous porteur, dans votre mallette, de cartes de visite d’entreprises françaises ? Votre mission s’inscrivait-elle aussi dans la démarche de rattrapage politique face à l’offensive du président Obama en direction des pays censés être ses ennemis ?

M. Henri Plagnol. Nous n’avons aucune illusion à nous faire : les dirigeants du régime nord-coréen ne bougeront qu’en fonction de leurs intérêts et de leur survie personnelle. En effet, le jour où le régime s’effondrera – et ce jour viendra –, une poussée en faveur de la réunification se produira et ils devront rendre des comptes.

Votre mission est toutefois très utile car la France à intérêt à rentrer dans le jeu et ce régime ne pourra survivre à une véritable ouverture.

Il y a une dizaine d’années, avec Pierre Rigoulot, le plus grand spécialiste des camps en Corée du Nord, nous avions interviewé les malheureux qui, au péril de leur vie, passent la frontière avec la Chine et se retrouvent alors dans une situation de non-droit tragique, la Chine ne leur accordant pas le statut de réfugié mais les exploitant très durement. La France s’honorerait si elle reprenait ce combat. Ce sujet est très sensible en Corée du Sud.

M. le président Axel Poniatowski. Votre mission va-t-elle se poursuivre ? Si oui, pour quoi faire ?

M. Jack Lang. Les deux précédents présidents de la République de Corée ont conduit une politique nouvelle de rapprochements partiels entre familles, d’échanges économiques, d’aide alimentaire. L’actuel président a été élu sur un programme plus dur : à quoi bon apporter une aide si aucun changement n’intervient en matière de sécurité nucléaire ? Sans avoir fait volte-face, la République de Corée continue d’aider la Corée du Nord car c’est un même peuple et les exigences d’humanité demeurent. La zone économique de Kaesong est toujours active, sans compter la zone touristique. J’ai rencontré des chefs d’entreprise très importants de Corée du Sud qui travaillent en liaison avec la Corée du Nord. Les choses sont complexes. La politique d’antan est révolue mais une sorte de désir de détente s’exprime. À l’occasion de la mort de l’ancien président sud-coréen, les dirigeants nord-coréens ont accompli un geste spécial en se rendant à Séoul, où ils ont été accueillis cordialement. Il existe une volonté de régler des conflits frontaliers au large des côtes des deux pays. Ces liens pourraient se renforcer.

Aucun pays ne souhaite renoncer à son régime politique, vous le savez. Je me garderai bien de me prononcer sur les perspectives d’évolution de la Corée du Nord car j’ignore ce qu’il en est.

Le ministre des affaires étrangères nord-coréen nous a déclaré solennellement, en lisant un texte écrit, que le dialogue sur les droits de l’homme avait été interrompu avec l’Union européenne, et que la Corée du Nord voulait l’établir avec la France, ni plus ni moins.

Lorsque la France s’est dotée de l’arme nucléaire, c’était une autre époque, celle de la guerre froide. La possession de la bombe était alors considérée par le général de Gaulle comme l’expression de l’indépendance et de la souveraineté du pays, comme l’« assurance-vie » d’un système. Il faut en tenir compte. Si l’on veut vraiment avancer dans les négociations, il convient non pas d’acquiescer au point de vue de l’autre mais de se mettre à sa place, de comprendre ses ressorts. À titre personnel – mes propos n’engagent personne d’autre que moi –, je suis convaincu que l’on doit faire preuve d’une imagination plus grande pour concevoir un plan constituant une « assurance-vie » pour la Corée du Nord tout en garantissant la sécurité de la zone et en empêchant la prolifération, notamment dans le reste du monde, car cela comporterait de graves dangers pour la paix et la sécurité.

Je n’étais pas porteur de cartes de visite d’entreprises, ma mission se limitait à la question de l’établissement de relations diplomatiques. Des chefs d’entreprise sont certes venus me voir pour m’expliquer leurs projets, dont certains sont très intéressants et avancés, concernant l’aéronautique, le tourisme, la santé ou l’agriculture, mais je me suis gardé de me faire leur porte-parole auprès des autorités nord-coréennes. Cela dit, après avoir rencontré les ambassadeurs d’Allemagne, de Suède et de Grande-Bretagne à Pyongyang, je pense qu’il ne serait pas absurde que la France soit plus présente sur place ; cela constituerait un premier pas vers une reconnaissance à venir.

La question des réfugiés est douloureuse et grave mais je ne puis répondre car cela dépend au premier chef de la Chine. J’imagine que les autorités chinoises se trouvent dans une situation contradictoire. À défaut de l’attribution du statut de réfugié, qui ne serait pas illégitime, au moins peut-on espérer que ces personnes soient accueillies humainement.

Ma mission se termine pratiquement devant vous mais, comme vous, j’aurais la curiosité intellectuelle de m’intéresser au sujet et d’attendre la réponse des autorités nord-coréennes quant à l’installation d’une structure permanente à Pyongyang.

M. le président Axel Poniatowski. Monsieur l’envoyé spécial, je vous remercie pour cette audition particulièrement intéressante et instructive.

La séance est levée à douze heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 16 décembre 2009 à 11 heures

Présents. - Mme Martine Aurillac, M. Claude Birraux, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Chantal Bourragué, M. Pascal Clément, Mme Geneviève Colot, M. Michel Destot, Mme Marie-Louise Fort, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Patrick Labaune, M. Jean-Paul Lecoq, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, M. Henri Plagnol, M. Axel Poniatowski, M. Éric Raoult, M. Jean Roatta, M. André Schneider, M. Dominique Souchet, M. Michel Terrot, M. Gérard Voisin

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Christian Bataille, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Hervé de Charette, M. Pierre Cohen, M. Michel Delebarre, M. Tony Dreyfus, M. Jean-Pierre Dufau, M. Serge Janquin, M. Robert Lecou, Mme Henriette Martinez, M. Alain Néri, M. Rudy Salles

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Paul Anciaux, M. Patrick Beaudouin, M. Jean-Jacques Candelier