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Commission des affaires étrangères

Mardi 22 décembre 2009

Séance de 9 h 00

Compte rendu n° 31

Présidence de M. Axel Poniatowski, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur l’actualité internationale (Iran, Rwanda, conflit israélo-palestinien, Sommet de Copenhague)

Audition de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur l’actualité internationale (Iran, Rwanda, conflit israélo-palestinien, Sommet de Copenhague)

La séance est ouverte à neuf heures.

M. le président Axel Poniatowski. Monsieur le ministre des affaires étrangères et européennes, quatre thèmes ont été retenus pour cette dernière audition de l’année.

Il s’agit tout d’abord de la situation en Iran, où les manifestations de mécontentement à l’égard du régime ont repris de plus belle lors de la journée de deuil qui a suivi le décès de l’ayatollah Ali Montazeri, figure historique de la Révolution islamique devenu un soutien de l’opposition au régime. Sans doute évoquerez-vous également le sort de notre compatriote Clotilde Reiss, qui se trouve toujours retenue à Téhéran.

Le deuxième thème est le Rwanda, avec qui la France vient de rétablir ses relations diplomatiques – décision qui met fin à une période de grandes tensions et vous donnera sans doute aussi l’occasion de faire le point sur la situation dans la région, notamment sur les relations entre le Rwanda et la République démocratique du Congo. Je rappelle à ce propos que notre Commission a entendu la semaine dernière M. Alain Le Roy, secrétaire général adjoint des Nations unies pour les opérations de maintien de la paix, qui nous a déjà entretenus de ces sujets.

Le troisième thème est le conflit israélo-palestinien, qui se trouve dans une phase désespérante, au moment où le Conseil central de l’OLP proroge le mandat du président Abbas en raison du refus du Hamas de tenir les élections le 24 janvier. Les négociations israélo-palestiniennes n’ont pas repris depuis l’intervention qui a eu lieu voilà près d’un an à Gaza, où la situation ne s’améliore pas. La conclusion, le 15 décembre dernier, d’un accord de partenariat entre la France et les Territoires palestiniens devrait redonner un peu d’espoir.

Nous souhaiterions également des précisions sur l’échec de la conférence de Copenhague en laquelle on avait placé des espérances manifestement irréalistes. La Chine, l’Inde et les États-Unis sont montrés du doigt. Pourquoi un accord sur des objectifs chiffrés de diminution des émissions de gaz à effet de serre a-t-il été impossible ?

Enfin, compte tenu de la toute dernière actualité, vous nous parlerez de la Guinée, où la situation devient explosive.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. En Iran, l’enterrement de M. Montazeri a en effet réuni plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines, de milliers de manifestants – car il ne s’agissait pas seulement d’un hommage à cette grande figure historique et politique : les slogans appelaient très clairement à mettre à bas le régime.

M. Montazeri, compagnon de Khomeiny, a participé de très près et avec beaucoup d’imagination à l’élaboration de ce système très particulier qui, s’il l’a jamais fait, ne fonctionne plus correctement désormais en Iran. M. Montazeri avait d’ailleurs récemment repris la parole pour déclarer que le Guide actuel ne remplissait pas son rôle, qui devrait le tenir au-dessus des partis.

Comme toujours, la répression a été forte, mais, d’après nos renseignements, certes imparfaits, il semble que les blessés n’aient pas été très nombreux et qu’il n’y ait pas eu de morts. Dans l’islam chiite, comme vous le savez, le deuil comporte des temps forts les septième et quarantième jours après le décès et il est à prévoir que ces célébrations seront l’occasion d’autres manifestations. Loin de se dérouler dans le calme, celles qui ont eu lieu ont servi à exprimer une opposition au régime.

Sur son chemin de retour, M. Moussavi, l’un des principaux dirigeants de l’opposition, a été attaqué par des hommes à moto qui ont brisé les vitres de sa voiture et l’ont menacé. Ce n’est évidemment pas un bon signe.

Les déclarations faites à Copenhague par M. Ahmadinejad, le président iranien, selon lesquelles le retour de Clotilde Reiss dépendait de la France, ont donné lieu à diverses interprétations. Ne vous y trompez pas : il n’est pas question de quelque échange que ce soit. Les personnes dont le nom a été évoqué à ce propos sont détenues par la justice française selon des procédures ordinaires, qui excluent un tel échange. Il n’est en outre pas question d’échanger une jeune fille innocente contre un criminel. L’ambassadeur d’Iran en France a récemment redit le souhait de ses autorités de procéder à un échange, mais le Président de la République a été très clair sur ce point.

Nous avons décidé, en lien avec notre ambassadeur à Téhéran, qui suit ce dossier de très près, que Clotilde Reiss pourrait rencontrer à nouveau demain le juge – qu’elle a déjà vu voilà un mois – pour la « dernière des dernières chances », audition qui doit permettre de déterminer si la sentence peut être rendue.

Par ailleurs, la situation de l’Iran n’est pas bonne sur le dossier nucléaire. Nous travaillons sur des sanctions supplémentaires, après celles qui ont été définies par trois résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Tout en essayant de poursuivre le dialogue avec Téhéran, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne – les « 5+1 » –réuniront à partir du début janvier, leurs directeurs politiques, puis leurs ambassadeurs auprès des Nations unies à New York, en vue de proposer, peut-être en février, une nouvelle résolution.

Le rétablissement des relations diplomatiques avec le Rwanda n’a rien d’insolite : ce qui est habituel, c’est précisément d’entretenir des relations diplomatiques, comme nous le faisons avec tous les pays – à l’exception de la Corée du Nord. Notre ambassadeur, déjà désigné, et l’ambassadeur rwandais, qui devrait l’être la semaine prochaine, rejoindront très prochainement leurs postes. Une mission technique s’est rendue au Rwanda, où les bâtiments français sont en bien mauvais état. Il faudra sans doute un mois de travaux pour restaurer l’ambassade, six mois au moins pour la résidence et bien plus encore pour le centre culturel, qui a subi de graves dégradations.

Je tiens à saluer la Belgique et son ambassadeur qui, durant près de trois ans, ont représenté la France et pris soin de ses intérêts au Rwanda. Il reste dans ce pays quelques centaines de Français, qui ont accueilli avec beaucoup de satisfaction la mission technique. Notre ambassadeur devrait arriver à Kigali au cours du mois de janvier.

Il est inutile de se replonger dans le passé. Mieux vaut parler de l’avenir – des relations qui peuvent être renouées avec le Rwanda et du rôle que ce pays va jouer dans une région instable qui menace, sinon d’exploser, du moins de se rappeler tristement à notre souvenir.

Les forces de l’ONU présentes en République démocratique du Congo sont insuffisantes, non seulement en nombre – on pourrait y remédier –, mais aussi et surtout en qualité. Elles vont, en outre, se retirer. Un mouvement de recul, plus ou moins dirigé par M. Kabila, président de la République démocratique du Congo, s’amorce en effet. Alors qu’une stabilisation avait semblé possible lorsque les armées rwandaise et congolaise ont fait ensemble mouvement contre les Forces démocratiques de libération du Rwanda – les FDLR –, les résultats se sont révélés insuffisants pour rétablir le calme dans cette région où les populations civiles, en particulier les femmes, font l’objet d’exactions insupportables. Hormis une belle et rapide opération franco-européenne, nous n’avons pas été capables d’encadrer les troupes de l’ONU.

La région des Grands Lacs, notamment le Haut et le Bas-Kivu, doit faire l’objet d’une attention particulière, afin de donner aux populations d’autres perspectives que d’aller d’un camp de réfugiés à un autre en subissant en chemin de nouvelles exactions, de nouveaux meurtres et de nouveaux pillages. Cette situation catastrophique, qui perdure depuis plus de dix ans, est une honte pour le système des Nations unies, que nous représentons tous.

La situation en Israël et en Palestine est un crève-cœur. Les progrès sont inexistants. Il y a cependant des espoirs, mais dont la forme est encore imprécise. La libération du soldat franco-israélien Gilad Shalit pourrait alléger un peu l’atmosphère. Il devrait être échangé contre quatre cent cinquante à cinq cents prisonniers plus ou moins liés au Hamas, et serait alors transféré en Égypte. Un autre groupe de prisonniers, liés cette fois à l’OLP, serait également libéré. Nous ignorons si des personnalités importantes pourraient figurer dans le nombre. Les Allemands ont beaucoup travaillé en vue de cette libération et nous avons fait de même en Syrie. Voilà quinze jours, nous étions proches du but. Nous en sommes aujourd’hui un peu plus éloignés. L’idée d’une libération qui interviendrait avant Noël, a couru dans la presse israélienne. J’ignore cependant si cela sera possible.

La France qui, pour l’heure, participe à quelques actions humanitaires à Gaza, arrêtées par les deux parties, concernant notamment les écoles ou le système de soins, a naguère joué le rôle, aujourd’hui dévolu à l’Allemagne, d’intermédiaire choisi par les Israéliens et les Palestiniens, et je me souviens de ce vendredi soir où, dans le vol qui nous conduisait d’Égypte vers Tel-Aviv, pour aller à Jérusalem, nous nous réjouissions en attendant la nouvelle de la libération de Gilad Shalit, qui devait nous parvenir d’un moment à l’autre. Cette nouvelle a finalement été négative, le processus s’étant grippé. J’espère que ce ne sera pas le cas cette fois-ci.

Pour le reste, il faut nous réjouir de l’entrevue, inimaginable voilà encore peu de temps, qui a eu lieu entre M. Saad Hariri, le Premier ministre libanais, et M. Bachar el-Assad, le président syrien. Au cours d’un entretien qui a duré trois heures, les fils ont dû, entre autres choses, parler de leurs pères. M. Hariri a effectué seul cette visite. Une autre est désormais prévue, auquel le gouvernement libanais participerait. Il s’agit d’un progrès pour cette région.

La Syrie est consciente de l’ouverture que la France – mais pas seulement la France – lui a procurée. Elle commence à s’écarter de l’Iran et elle serait sage de s’en éloigner plus encore. Le sénateur Mitchell revient dans la région et se rendra à Damas, ce qui n’est pas sans importance. Ces prémices n’infirment pourtant en rien votre diagnostic, monsieur le président : la situation n’est pas bonne et aucune percée spectaculaire ne pourrait nous faire espérer la reprise du dialogue israélo-palestinien dans les semaines qui viennent.

M. Mahmoud Abbas, qui avait évoqué la possibilité de ne pas se présenter pour un nouveau mandat, a finalement vu son mandat prorogé, et c’est une bonne chose. Il est l’homme qui peut faire la paix – avec d’autres, comme Salam Fayyad ou Saeb Erekat.

S’agissant de Copenhague, je ne suis pas de ceux qui parlent d’échec, car je n’attendais pas d’autre issue. Il y a même eu, selon moi, une avancée. Établir avec les pays africains et d’autres pays parmi les plus pauvres du monde une confiance que des années ont ébréchée ne s’improvise pas. Le développement ne se décrète pas. Il suppose un long travail. Les dialogues engagés constituent même une bonne surprise. Il ne s’agit cependant que du début d’un processus. Il me semblait prévisible que le vrai travail ne commencerait qu’à partir de samedi dernier. Cela aurait certes pu se faire sur une meilleure base, mais le fait que les journaux décrivent à ce point Copenhague comme un échec donne matière à réflexion quant à l’immédiateté des condamnations ou des approbations formulées.

Je ne m’attendais pas non plus à ce que l’Organisation mondiale de l’environnement voie le jour immédiatement, car un travail important s’impose déjà pour savoir quoi faire avec ce qui existe déjà, à savoir le PNUD : il n’était pas question de mettre à bas l’édifice des Nations unies. Nous serions du reste bien marris s’il se délitait, car nous avons besoin d’une organisation internationale. Toutefois, à Copenhague, celle-ci n’avait pas vraiment voix au chapitre – et M. Ban Ki-moon a d’ailleurs été, à ce que l’on m’a dit, très discret.

Techniquement nécessaire pour contrôler la réalisation des promesses de réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’Organisation mondiale de l’environnement existera un jour, même si, comme pour tout ce qui concerne les Nations unies, il y faut du temps. En attendant, nous devons nous consacrer à la réforme de l’ONU : tous les sommets en « G » laisseront toujours des États à l’écart. En ce sens, le « G2 » qui a réuni la Chine et les États-Unis n’offre pas une bonne perspective. On a mesuré à Copenhague la puissance de la Chine, de l’Inde et des États-Unis, mais c’est un constat qu’on aurait pu faire avant !

De nombreuses avancées ont été réalisées, comme l’acceptation générale de la conception proposée pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou pour la limitation de l’élévation de la température et, surtout, comme l’accord sur les financements alternatifs, pour lesquels je me bats depuis vingt-cinq ans. De fait, l’accord du président Obama sur ce que nous, Français, appelons « financements innovants » est un vrai progrès. Tout reste bien évidemment à faire : on ne pouvait pas compter, pour financer le développement, sur des financements innovants qui n’existaient pas. Il faut maintenant mettre ces mécanismes en place, et le faire avec des partenaires. Il ne s’agit plus, en effet, de réserver les prêts aux pays émergents et d’accorder des dons aux pays en développement : ces derniers doivent désormais être considérés comme des partenaires, sur des projets précis, avec des financements dédiés, comme on l’a fait dans le cadre du Fonds mondial pour le SIDA.

Copenhague, je le répète, n’est pas un échec, et j’espère que l’accord sur la mobilisation de 100 milliards de dollars d’ici à 2020 sera appliqué.

Il est facile de dire que tout pourrait être mieux, surtout quand on n’est pas responsable. À ceux qui pensent qu’ils auraient fait mieux, je souhaite bonne chance !

Il n’a pas été fait mention d’une réduction de 50 % des émissions pour 2050. Une décision relative à la réforme de l’ONU et à la création d’une agence mondiale de l’environnement n’a même pas été évoquée, mais le sens général de ce qu’il faut faire est acquis. Les ONG du développement, en particulier dans le domaine de l’environnement, sont prêtes à retravailler. Copenhague est donc une étape. Durant toute la campagne de préparation, qui a duré près d’un an et demi, la France a été très en pointe et les 27 pays de l’Union européenne ont toujours été unis pour soutenir la proposition d’une réduction de 20 % – ou 30 % – des émissions et pour contribuer au financement – sur 10 milliards, l’Europe en fournissait 2,5. De même, les Vingt-sept sont en accord sur les financements innovants, sur lesquels un groupe réunissant 59 pays rendra un rapport dans les trois mois. Nous nous efforcerons d’avancer aussi loin que possible en faveur du développement nécessaire et d’un meilleur équilibre entre les pays riches et les pays pauvres.

Quant à la Guinée, je vous engage à lire le rapport remis samedi par la commission d’enquête internationale, composée de deux femmes africaines – une ancienne ministre burundaise et une militante mauricienne – et de M. Mohammed Bedjaoui, ancien ministre des affaires étrangères d’Algérie et professeur de droit, entourés de 16 techniciens. Ce document insoutenable, rédigé après quelques jours d’enquête, fait état de meurtres, d’exactions et de tortures qui dépassent ce que l’on pouvait imaginer. Des femmes ont été séquestrées, violées, coupées en morceaux et jetées à la mer – ce qui explique pourquoi on ne retrouvait pas les corps. Ce document des Nations unies, qui répondait à une demande spéciale du secrétaire général, peut être consulté facilement.

Dans le même temps, l’Union africaine et la CEDEAO s’étaient préoccupées de la situation et avaient envisagé une action, ainsi que l’Union européenne, qui avait déjà proposé et voté des sanctions visant les déplacements d‘individus, et la Cour pénale internationale, qui s’était autosaisie. Je rappelle à ce propos qu’il faut en la matière distinguer trois catégories de personnes impliquées : celles qui sont accusées de crimes contre l’humanité, celles qui en sont fortement suspectées et celles qui sont appelées à témoigner. Les membres du Conseil de sécurité seront certainement réunis sur cette question, car M. Ban Ki-moon leur a déjà remis ce rapport samedi. Il appartiendra en revanche à la Cour pénale de se saisir des cas qui relèvent de sa compétence et d’engager des procédures.

Le médiateur burkinabé, M. Blaise Compaoré, a également avancé l’idée d’un régime de transition de six mois, pendant lesquels une centaine de personnes seraient chargées de préparer les élections, étant entendu qu’elles ne pourraient pas être candidates. Parallèlement, une force d’observation serait déployée, fournie notamment par la CEDEAO. Le Nigéria, qui fournit le gros des troupes de cette organisation, a déjà marqué, en théorie du moins, son intérêt pour cette proposition.

La France a été dès le départ du côté de la justice et favorable à une action multilatérale, laquelle a été engagée trois jours après que l’on a eu connaissance des exactions. L’accord entre l’Union africaine, la CEDEAO, l’Union européenne, l’ONU et la Cour pénale internationale a été total. Dans le même temps, les « Forces vives », c’est-à-dire la coalition des trois partis d’opposition guinéens et les syndicats, ont toujours été favorables à cette intervention internationale, et le sont de plus en plus. Ils se sont même opposés, lors d’une réunion organisée à Ouagadougou, au médiateur, le président Compaoré, qui souhaitait trouver une solution avec les militaires.

Enfin, M. Dadis Camara, qui est toujours hospitalisé au Maroc, n’y restera sans doute pas. Tout dépendra de la rapidité avec laquelle la Cour pénale internationale, si elle le fait, pourra se prononcer et émettre des mandats d’amener. Le Maroc insiste du reste sur le fait qu’il n’a accepté M. Dadis Camara, blessé, que pour des raisons humanitaires, au motif que son avion se dirigeait vers le Maroc.

M. le président Axel Poniatowski. À la demande de quelle partie les relations diplomatiques avec le Rwanda, rompues à la suite des initiatives du juge Bruguière, ont-elles été rétablies ?

Par ailleurs, le jour même où il annonçait le rétablissement de ses relations diplomatiques avec la France, le Rwanda, pays francophone, adhérait au Commonwealth. Comment jugez-vous cette double initiative diplomatique dont la coïncidence est quelque peu curieuse ?

Pour ce qui concerne la Guinée, il ne me semble pas avoir vu de démenti de votre ministère aux accusations, portées par certaines autorités guinéennes et la presse, selon lesquelles la France aurait participé à la tentative d’assassinat dont a fait l’objet le capitaine Camara, et protégerait M. Tumba.

M. le ministre. Le Rwanda et la France ont demandé ensemble le rétablissement des relations diplomatiques à la suite de deux rencontres qui ont eu lieu, à Lisbonne et aux Nations unies, entre les deux présidents. J’ai moi-même effectué trois visites au Rwanda, la dernière fois avec M. David Miliband, dans le cadre d’une tournée autour des Grands Lacs, au pire moment – si jamais le pire a cessé dans cette région. Les relations diplomatiques ont été rompues, vous l’avez rappelé, lorsque le juge Bruguière a émis des mandats internationaux visant neuf personnes de l’entourage très proche du président Kagamé. Ces mandats courent toujours, à l’exception de celui qui visait Mme Rose Kabuyé – laquelle, me semble-t-il, ne figurait d’ailleurs pas parmi les neuf.

Quant à l’adhésion du Rwanda au Commonwealth – je rappelle à ce propos que le président Kagamé parle anglais, comme une partie de son entourage –, il s’agit d’une triste coïncidence.

M. le président Axel Poniatowski. C’était le même jour !

M. le ministre. C’est tout à fait fortuit. Le président français, qui s’est rendu quelques jours auparavant à la conférence du Commonwealth, n’y a pas rencontré M. Kagamé. Au demeurant, celui-ci a bien le droit d’adhérer au Commonwealth. Cela ne l’empêchera peut-être pas d’adhérer un jour à la francophonie.

Mieux vaut, en tout cas, avoir des relations diplomatiques que n’en pas avoir.

Quant à la Guinée, la France n’a pas armé le bras de M. Tumba, lequel est aujourd’hui en fuite dans les rues de Conakry, poursuivi par M. Claude Pivi, l’une des trois personnes susceptibles d’appartenir à la catégorie des coupables de crimes contre l’humanité. Mon ministère a du reste publié un communiqué démentant « énergiquement » des « rumeurs absurdes » – mais était-ce vraiment nécessaire ?

Comme vous le savez, une bataille a fait de nombreux morts dans le camp militaire abritant M. Dadis Camara, dont M. Tumba était le chef des gardes du corps. Cependant, bien qu’il soit classique qu’un garde du corps se voie demander d’assassiner son patron, il s’agissait en l’espèce d’une dispute entre les deux hommes, M. Camara voulant faire porter sur M. Tumba tout le poids des faits aujourd’hui retracés dans le rapport des Nations unies. En fuite et réfugié dans la presqu’île, M. Tumba est poursuivi par le capitaine Pivi, qui s’est allié à Sékouba Konaté. La France n’est pour rien dans tout cela, sinon qu’elle proclame, comme les autres, son indignation devant un massacre qui restera comme l’un des pires de ceux qui jalonnent l’histoire du continent africain.

Mme Martine Aurillac. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda a rendu plusieurs décisions en appel, dont certaines ont annulé les jugements de première instance, pour vice de procédure ou pour défaut de preuve. Or le mandat de ce tribunal expirera en 2011. Compte tenu de la durée de certaines instances, quelles pourront en être alors les conséquences sur les droits fondamentaux, garantis par les Nations unies, des prévenus et inculpés ?

M. Jean-Louis Christ. Monsieur le ministre, vous avez dit, à propos des relations avec le Rwanda, qu’il ne fallait pas « se replonger dans le passé ». Mais les relations entre la France et l’Allemagne n’ont été rétablies qu’au prix d’un travail de mémoire, qui s’impose toujours, tôt ou tard, dans de telles situations.

Par ailleurs, s’il est confirmé que le prochain sommet Afrique-France se déroulera dans notre pays et non en Égypte, pour quelles raisons fera-t-on exception à la règle de l’alternance ? Dans quel état d’esprit aborderons-nous cette réunion ? Quelles en seront les lignes directrices ? Enfin, quelle sera la place de la diplomatie parlementaire dans cette démarche ?

M. Michel Destot. Le week-end dernier, j’étais à Marrakech pour rencontrer les maires d’Afrique, dans le cadre d’Africités, et j’ai constaté l’immense déception qu’a suscitée chez eux la conclusion du sommet de Copenhague. Ne pouvait-on, pour sauver la planète et assurer aux pays du Sud un peu plus de solidarité, agir avec la même efficacité que lorsqu’il s’est agi, pour le G20 et, plus largement, pour la communauté internationale, de sauver le système financier mondial ?

Par ailleurs, je m’étonne du peu de souci qu’on a eu d’associer à la préparation de ce sommet, non seulement les associations, mais aussi les « gouvernements locaux » ou, pour utiliser la terminologie française, les collectivités territoriales, auxquelles il reviendra de mettre en œuvre 70 % des mesures décidées à Copenhague. Ne pouvait-on parvenir, aux niveaux français, européen et mondial, à un consensus comparable à celui auquel a abouti le Grenelle de l'environnement ?

M. le ministre. Madame Aurillac, s’agissant du Tribunal pénal international pour le Rwanda, tout dépendra des condamnations prononcées. Les faits remontent à 1994. Bien des gens n’ont pas été poursuivis pendant longtemps. Le silence s’est fait pendant cinq ou dix ans. Certaines poursuites – bien peu – ont été possibles ensuite. Mais il faudra du temps pour mener à bien le travail de mémoire que M. Christ a appelé de ses vœux. Beaucoup de personnes impliquées dans ces atrocités vivent tranquillement aujourd’hui, en ayant presque oublié le rôle qu’ils ont joué dans les événements. Ils s’indignent quand on les interroge à ce sujet. Ils invoquent un mouvement collectif – le peuple se soulevant contre une partie du peuple –, comme si cette participation collective au génocide, préparé et orchestré par quelques-uns, n’était pas un des plus grands drames de l’humanité.

Ce Gouvernement n’a cessé d’œuvrer en faveur du travail de mémoire, qui sera très long. Des commissions doivent s’y attacher sur le plan juridique et sur le plan historique. Pour l’instant, cela n’a pas été possible, mais il a fallu des années pour que la commission « Vérité et réconciliation » achève son travail en Afrique du Sud. De même, au Rwanda – de beaux livres le disent –, il faut du temps, quand on est survivant, pour vivre à nouveau parmi ceux qui ont assassiné ses parents.

Monsieur Christ, le prochain sommet France-Afrique, dont le lieu reste à définir, a été reporté – à mai ou juin sans doute – pour de nombreuses raisons, notamment à cause de la participation du président el-Béchir. Notre pays est en effet un de ceux qui respectent les mandats et les décisions de la Cour pénale internationale. Mais nous trouverons une solution pour que cette réunion ait lieu.

Je partage votre sentiment, Monsieur Destot, à propos du sommet de Copenhague. Cela dit, s’il est possible que vingt pays trouvent un accord sur les problèmes financiers et économiques, il est beaucoup plus difficile que cent quatre-vingt douze États prennent des décisions à l’unanimité. Si les ONG, les collectivités locales et les Nations unies étaient prêtes, les États ne l’étaient pas. Comment auraient-ils brusquement pu trouver des fonds pour financer le développement quand ils n’y sont parvenus depuis trente ans que dans une très faible mesure ? Espérait-on trouver, par magie, de l’énergie pour l’Afrique ? L’unanimité étant requise, puisque la réunion se tenait sous l’égide des Nations unies, il n’y a même pas eu de vote lorsque les pays qui ont rédigé le document final se sont adressés à la salle – la Conférence s’est bornée à « prendre note ». Il faut, bien entendu, recommencer sous de meilleurs auspices, mais le bilan n’est pas uniquement négatif. L’Europe, particulièrement la France, qui a montré sa détermination, n’a pas à rougir de sa conduite.

M. François Loncle. Monsieur le ministre, ce n’est pas tant la presse que vos collègues, et même le Président de la République, qui avaient annoncé le succès de Copenhague. Il n’y a donc aucune raison d’accabler les journalistes.

Quant au Rwanda, je vous rappelle qu’un rapport de l’Assemblée nationale, issu d’une mission d’information parlementaire, a été rédigé, dont la publication a été saluée en son temps. S’il n’a pas plu à M. Kagamé, il contient des informations extrêmement précieuses, qui ont été reprises ensuite par d’autres, y compris à l’ONU.

Lors de votre dernière audition, vous avez dit en réponse à une question de Mme Guigou que M. Guéant vous avait relaté son séjour en Syrie. J’aimerais savoir si M. Lang a fait de même de sa visite en Corée du Nord, et quels enseignements vous en avez tirés.

M. Jean-Paul Lecoq. Monsieur le ministre, vous nous avez parlé de la Palestine et de M. Shalit. J’aurais aimé vous entendre évoquer aussi le cas de Salah Hamouri, ce Franco-palestinien dont la mère vous sollicite régulièrement, tout comme le Président de la République, afin que vous interveniez en faveur de sa libération.

Par ailleurs, où en est la demande de réouverture des points de passage à Gaza ? Vous nous avez dit comment vous percevez la situation. J’attends plutôt du ministre des affaires étrangères de mon pays qu’il me dise ce qu’il fait pour l’améliorer !

Au Cameroun, le journaliste Jean Bosco Talla a été arrêté, il y a une semaine, simplement pour avoir fait son travail. Quelles informations avez-vous à son sujet ?

Vous affirmez à juste titre que notre planète a besoin d’une organisation internationale forte, mais il semble que la position de la France, notamment sur le Sahara occidental, le rapport Goldstone, la Palestine ou Mayotte – à propos de laquelle notre pays fait tout pour éviter une résolution qui nous serait hostile et qui serait votée à la quasi-unanimité –, ne soit pas de nature à aider l’ONU à jouer tout son rôle. Envisagez-vous un changement d’attitude, afin de redonner tout son lustre à cette organisation ?

Enfin, pouvez-vous nous confirmer que le Président de la République ou vous-même êtes intervenus pour permettre à Aminatou Haidar de rentrer dans son pays ? Si oui, je vous en remercie en tant qu’élu d’une ville jumelée avec une localité du Sahara occidental, mais j’aimerais savoir si, à cette occasion, vous avez réaffirmé la nécessité de l’autodétermination du peuple sahraoui, conformément aux résolutions des Nations unies.

M. Daniel Garrigue. Les États membres de l’Union européenne ont publié une déclaration importante, à l’initiative de la présidence suédoise, sur le conflit israélo-palestinien. J’aimerais connaître la position qu’a défendue la France, notamment en ce qui concerne le statut de Jérusalem, au cours du débat qui a précédé. Quelles initiatives pourraient selon vous sortir de cette déclaration ? D’autre part, quelle portée donnez-vous à l’accord France-Israël visant à lutter contre la criminalité et le terrorisme ? Ce document me semble quelque peu déséquilibré au détriment des Palestiniens.

Enfin, à Copenhague, la France et les Européens ont défendu des positions maximalistes que l’on peut juger courageuses. Mais n’aurait-il pas mieux valu chercher un accord minimal qui aurait pu constituer une sorte de « plan B » ?

M. le ministre. Monsieur Loncle, lorsqu’il est venu devant vous, M. Lang vous a indiqué qu’il avait rendu compte de son voyage au Président de la République comme à moi-même. Je le sais suffisamment intègre pour nous avoir dit la même chose à tous. Pourquoi donc répéterais-je une relation qu’il nous a faite dans les mêmes termes ? Il a rencontré des personnalités et, comme le précise son rapport, les dirigeants de la Corée du Nord lui ont proposé un dialogue sur les droits de l’homme,… ce qui nous laisse un peu perplexes.

La Corée a lancé des missiles qui sont retombés de part et d’autre du Japon, et a procédé à des essais nucléaires. Au moment où nous nous efforçons de dissuader un État de fabriquer la bombe atomique, il serait de mauvaise diplomatie de discuter avec un autre qui poursuit ses essais et le développement de son programme nucléaire. En revanche, nous pouvons peut-être aider la population de ce pays, par le biais de financements ou en ouvrant un bureau des ONG, mais, comme celles-ci nous l’ont confirmé à plusieurs reprises, la chose ne sera certainement pas aisée.

M. Claude Guéant nous a fait part des résultats de sa visite au Rwanda, effectuée à une époque où les relations diplomatiques n’étaient pas encore rétablies. À présent qu’elles le sont, la prochaine visite sera celle du ministre des affaires étrangères et européennes. À l’issue d’un travail de deux ans, il est en effet apparu aux deux parties que ce rétablissement des relations était la seule solution. Je n’ignore pas le rapport parlementaire que vous avez mentionné, mais je regrette, alors que j’ai été témoin du génocide, que la mission ne m’ait pas auditionné.

Monsieur Lecoq, j’ai répondu récemment à une question écrite de M. Braouezec à propos de Salah Hamouri, dont j’ai rencontré très souvent la famille, à Jérusalem comme en France. Nous souhaitons bien sûr qu’il fasse partie des détenus prochainement rendus à leur famille, mais il est impossible d’en dire plus, car les noms figurant sur la liste restent secrets. Les réponses qui nous ont été apportées ne sont pas pleinement satisfaisantes. Peut-être plusieurs étapes sont-elles à prévoir.

Par ailleurs, je n’ai cessé de demander l’ouverture des points de passage à Gaza. Israël a consenti à ce que l’argent de la conférence de Paris soit employé à reconstruire l’hôpital Al-Quds. Il s’agit d’une mesure élémentaire. La libération de Gilad Shalit pourrait arranger la situation mais, pour l’heure, je constate avec tristesse que les matériaux destinés à cette reconstruction ne peuvent passer que par les tunnels. Il serait préférable pour les deux peuples qu’il en soit autrement.

Je vais m’informer de l’emprisonnement, au Cameroun, du journaliste dont vous avez parlé. Chaque fois qu’une telle situation se présente, je proteste et je tente de faire libérer l’intéressé.

Je vous remercie de vos appréciations sur la façon dont Mme Haidar a pu être rendue à sa famille. Il fallait tout faire pour éviter la mort de cette jeune militante.

La position de la France à propos du Sahara occidental est connue. Nous avons salué la tentative, venant après tant d’autres du même type, que les Nations unies viennent d’accueillir favorablement. La proposition marocaine d’autonomie me semble une bonne chose, même si, du côté algérien et sahraoui, on refuse d’y voir une avancée. Je n’interviendrai pas dans cette affaire. Souvent, ceux qui s’en sont mêlés ont cru pouvoir aboutir à l’organisation d’un référendum, mais l’entreprise a toujours dépassé leurs forces. Il faut sans doute reprendre le dossier que Mme Haidar a porté sur le devant de la scène, grâce à une détermination qu’elle a poussée jusqu’à entreprendre une grève de la faim.

Il va de soi que l’ONU est nécessaire. Le G20 ne la remplacera pas. Les discussions se poursuivent pour élargir le Conseil de Sécurité à d’autres grands pays afin d’y assurer une meilleure représentation de tous les continents. Les propositions de réforme de l’organisation formulées par la France sont les plus acceptables, à mon sens, parmi celles qui ont été envisagées. Il faut remédier à l’affaiblissement politique de l’ONU – et c’est d’ailleurs sous la responsabilité de celle-ci que le communiqué relatif à Mme Haidar recommandait de placer la recherche d’une solution politique pour le Sahara occidental.

Monsieur Garrigue, la position française sur Jérusalem peut être résumée par la formule employée par le Président de la République à la Knesset comme à Ramallah, à la satisfaction des deux camps : Jérusalem, capitale des deux États. J’ai donc demandé que soit modifiée en ce sens la déclaration européenne, qui parlait de Jérusalem-Est comme la capitale de l’État palestinien à venir, et ce texte a ainsi pu être approuvé à l’unanimité par les Vingt-sept. Les représentants du Royaume-Uni ont protesté en annonçant qu’ils rédigeraient un texte complémentaire, mais ils n’ont rien fait de tel à ma connaissance.

Nous continuons de proposer une réunion, qui pourrait, en accord avec M. Medvedev, se tenir à Moscou ou à Paris, dans le but de donner un socle à des pourparlers politiques bilatéraux. Ceux-ci pourraient reprendre sur la base des échanges secrets qui ont eu lieu, pendant un an, dans le cadre du processus d’Annapolis, entre MM. Mahmoud Abbas et Ahmed Qorei d’une part, et M. Ehoud Olmert et Mme Tzipi Livni, d’autre part. Cependant, si le principe de cette conférence a été approuvé par les Américains et les Russes, les protagonistes refusent la proposition – les Palestiniens, en particulier, parce qu’au lieu de mettre fin à la colonisation, comme nous le souhaitons nous-mêmes, M. Netanyahou n’a accepté que de la geler pendant dix mois, et uniquement en dehors de Jérusalem.

Je n’ai rien à ajouter en ce qui concerne l’accord France-Israël pour lutter contre le terrorisme – sinon que vous avez bien fait d’adopter le projet de loi autorisant sa ratification.

Quant au sommet de Copenhague, je ne vois pas d’autre plan B que de recommencer les négociations en vue de fixer des dates précises et des objectifs chiffrés pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, que chaque pays entend opérer avant 2020, 2030 ou 2050, l’objectif théorique étant de 80 % en 2050. Il faut donc reprendre la réflexion. À midi, nous rencontrons d’ailleurs les ONG françaises de protection de l’environnement afin de poursuivre ce Grenelle mondial.

M. Didier Julia. Vous avez décrit l’état d’abandon de certaines régions du Rwanda. Comment la France supportera-t-elle la présence purement symbolique, dans ce pays, de plusieurs contingents des Nations unies, notamment ceux d’Amérique du Sud, qui n’ont pas le droit de faire usage de leurs armes ? La France, avec la Grande-Bretagne par exemple, ne devrait-elle pas inciter les Nations unies à envoyer des forces aptes à assurer effectivement le maintien de l’ordre ?

Entre la Syrie et Israël, on a parlé d’une médiation française s’ajoutant à la médiation turque, qui ne donnait pas de mauvais résultats. Ne serait-il pas souhaitable d’accélérer la reprise des relations entre ces deux États ? Il ne semble pas difficile, en effet, de parvenir à une solution, sachant que les vœux de la Syrie ne sont pas de nature à compromettre les intérêts d’Israël.

M. Jacques Remiller. En Côte d’Ivoire, l’élection présidentielle a été reportée une nouvelle fois et M. Gbagbo achève quasiment un deuxième mandat complet sans avoir été réélu. Quel est le point de vue de la France à cet égard ?

Par ailleurs, dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat de Guy-André Kieffer, l’étau de la justice française semble se resserrer autour de l’entourage de l’épouse du président. Je ne vous demanderai pas le point de vue de la France sur ce sujet, puisqu’une enquête judiciaire est en cours, mais peut-être avez-vous un commentaire à faire.

M. Jean-Michel Boucheron. Lors d’une réunion récente de la Commission, nous avons discuté du projet d’accord de coopération en matière de lutte contre le terrorisme entre la France et Israël. Je ne vois aucun problème sur le fond, mais une maladresse s’est glissée dans la rédaction de l’article 4, qui parle du « maintien de l’ordre au sein des groupes sociaux ». La formule peut être interprétée de différentes manières. Pour éviter tout malentendu avec la partie palestinienne, j’aimerais que vous nous confirmiez que l’accord ne saurait être appliqué que dans l’État israélien, à l’exclusion des territoires occupés, notamment de la Cisjordanie ou de la bande de Gaza.

M. Jean Glavany. Nous sommes nombreux à déplorer le manque cruel d’Europe, dont je citerai deux exemples.

Le sommet de Copenhague, dont vous nous assurez qu’il ne s’est pas soldé par un échec, n’est-il pas malgré tout une déconvenue pour l’Union, qui n’a pas su faire entendre une voix unique et forte ?

D’autre part, à l’heure où le président Obama annonce l’envoi de 30 000 hommes supplémentaires en Afghanistan, les pays européens ont réagi chacun pour leur compte sans tenter aucune forme de coordination ou de réflexion. N’est-ce pas le signe que, contrairement à ce que prétend le discours officiel, l’Europe de la défense marque le pas ?

M. le président Axel Poniatowski. Une précision au sujet de l’audition de M. Jack Lang : celui-ci nous a annoncé que la France travaillait à l’ouverture d’une sorte de bureau de liaison en Corée du Nord. Il s’agirait d’une avancée non négligeable dans les relations franco-nord-coréennes…

M. le ministre. Nous y travaillons. Si cette mesure est prise pour aider la population, elle est bienvenue. Mais, si, à l’heure des négociations avec les Chinois ou les Japonais, elle était interprétée par les Nord-Coréens comme le signe d’une ouverture politique, ce serait une très mauvaise décision. Par conséquent, je considère qu’il serait mal venu d’afficher dans ce domaine une position outrancière. Si l’on peut aller dans tous les pays du monde, il faut rester prudent lors de certaines visites. Le regard qu’a porté Jack Lang sur l’évolution de la Corée du Nord, surtout par rapport à la Corée du Sud, est intéressant, ce que lui ont dit les dirigeants est a examiner avec attention. On peut aussi se rendre en Birmanie, comme le demande Mme Aung San Suu Kyi. Les Américains l’ont fait, d’ailleurs.

Monsieur Boucheron, la mesure que vous avez citée concerne bien entendu le territoire israélien, et non les territoires occupés – encore que les limites de l’État d’Israël soient difficiles à déterminer précisément. Loin de nous l’idée de nous impliquer sur ce point à Gaza, par exemple. Reste qu’il faudra être vigilant sur la manière d’appliquer un tel accord.

Monsieur Glavany, vous regrettez, pour citer votre jolie formule, le « manque cruel d’Europe ». Mais l’accord des Vingt-sept, pendant toute la conférence de Copenhague, a été sans faille. Sous la présidence française, un accord avait déjà été acquis en vue de prévenir les changements climatiques. Le dernier Conseil européen a permis d’en conclure un autre pour déterminer notre marge de négociation, entre 20 % et 30 % de réduction des émissions : nous avons décidé de proposer le taux de 30 % et de le maintenir si les autres évoluaient. Et nous avons également conclu un accord sur le financement par l’Union européenne d’un quart de la somme de 10 milliards de dollars, en fixant déjà la répartition de l’effort entre les États membres – la France devrait contribuer pour 400 millions.

Loin de donner le spectacle d’une débandade déplorable, l’Union européenne a montré l’exemple. Elle s’est impliquée plus que tous autres dans la préparation du sommet. La présidence suédoise a tenté de faire connaître dans le monde entier – cela s’est révélé très difficile pour la Chine – les chiffres de réduction envisagés. L’attitude de l’Union a été appréciée partout. Si le sommet de Copenhague n’a pas été un plein succès, la faute n’en incombe pas aux Européens. Je rappelle que le document final prévoit un contrôle des émissions européennes, qui pourrait être étendu au monde sous l’égide de l’Agence, ou de l’Organisation, mondiale de l’environnement, et, pour l’heure, l’Europe est le seul continent à mettre en place un tel mécanisme. On veut toujours faire plus – je le souhaite aussi –, mais on ne doit pas sous-estimer le travail exemplaire qui a été accompli à cette occasion. Il n’y a eu aucune divergence entre les pays de l’Union au sommet de Copenhague. M. Brown, par exemple, a joué, avec nous, un très grand rôle à cette occasion, comme d’ailleurs les représentants de pays non européens tels que l’Éthiopie ou le Brésil.

Par ailleurs, pourquoi parler de débandade européenne en Afghanistan ? Rien ne sera fait, notamment par les Américains, avant mars. Les missions confiées à la France peuvent être assurées par l’effectif de soldats actuellement sur place. Nous verrons, le 28 janvier, lors de la conférence de Londres, à laquelle nous travaillons entre Européens, si nous pouvons faire mieux. Chacun est à la besogne, à commencer par les militaires. Vous connaissez les débats auxquels sont confrontés les ministres de la défense, en Allemagne, en Angleterre et presque partout. Cette conférence de Londres devrait nous permettre de parvenir à un document européen crédible. Nous y débattrons des quatre promesses de M. Karzaï, en essayant d’être le plus positifs possible sur les réalisations civiles auxquelles nous nous attachons.

Monsieur Julia, la médiation turque entre la Syrie et Israël est allée assez loin en effet mais, à la suite, semble-t-il, de critiques formulées par la Turquie sur la politique israélienne, elle a été interrompue. C’est pourquoi, lors de la visite de M. Bachar el-Assad, la France a proposé de jouer le rôle de médiateur, avec ou sans la Turquie. L’idée n’est pas abandonnée, bien que les discussions n’aient pas repris entre Israéliens et Palestiniens. La situation serait plus simple s’il n’y avait pas le Hezbollah. Israël et la Syrie ne sont pas seulement séparés par le plateau du Golan, mais par 20 000 missiles qui représentent une menace très claire. Aux Israéliens et Syriens de décider si les pourparlers peuvent reprendre sur les deux sujets. La proposition française reste sur la table. Par ailleurs, j’ai cru constater un infléchissement de la position d’Israël vis-à-vis de la Turquie.

Monsieur Remiller, il est vrai que les élections ont à nouveau été reportées en Côte d’Ivoire. L’échéance de l’automne dernier a été repoussée. La prochaine est fixée en février ou mars. Il y a que deux positions : les uns pensent qu’elles n’auront jamais lieu ; les autres, qu’elles seront organisées quand le Président Gbagbo sera sûr de les remporter.

M. François Loncle. Ce que vous dites est scandaleux !

M. le ministre. Je pense pour ma part qu’il y aura une compétition électorale. Pour l’heure, on procède à la révision des listes. Le moins qu’on puisse dire est que le processus traîne en longueur. Le président Compaoré travaille à ce que ces élections aient lieu. Nous verrons bien.

Enfin, vous n’attendiez pas de moi que je me prononce sur la procédure concernant M. Kieffer ! La justice suit son cours et doit aller à son terme, quelles que soient les suspicions ou les accusations.

M. le président. Monsieur le ministre, je vous remercie de ces éclaircissements. Il me reste à vous souhaiter, comme à tous mes collègues, de bonnes fêtes de fin d’année.

M. le ministre. Je vous remercie.

La séance est levée à dix heures trente.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 22 décembre 2009 à 9 heures

Présents. - Mme Martine Aurillac, M. Jean-Louis Bianco, M. Jean-Michel Boucheron, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Jean-Louis Christ, M. Gilles Cocquempot, M. Pierre Cohen, M. Michel Destot, M. Tony Dreyfus, M. Jean Glavany, M. Didier Julia, M. Jean-Paul Lecoq, M. François Loncle, M. Alain Néri, M. Axel Poniatowski, M. Éric Raoult, M. Jacques Remiller, M. Jean Roatta, M. Jean-Marc Roubaud, M. Michel Terrot, M. Gérard Voisin

Excusés. - M. François Asensi, M. Jacques Bascou, M. Christian Bataille, Mme Chantal Bourragué, M. Loïc Bouvard, M. Hervé de Charette, M. Alain Cousin, M. Michel Delebarre, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Paul Dupré, Mme Élisabeth Guigou, M. Serge Janquin, M. Robert Lecou, M. Lionnel Luca, Mme Henriette Martinez, M. François Rochebloine, M. André Schneider

Assistait également à la réunion. - M. Daniel Garrigue