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Commission des affaires étrangères

Mercredi 10 février 2010

Séance de 9 h 30

Compte rendu n° 40

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Communication, ouverte à la presse, de M. Jean-Claude Mignon sur la réforme du Conseil de l’Europe et l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme

Communication de M. Jean-Claude Mignon sur la réforme du Conseil de l’Europe et l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme

La séance est ouverte à neuf heures trente.

M.  le Président Axel Poniatowski. Nous allons commencer les travaux de cette matinée avec une communication de notre collègue Jean-Claude Mignon qui préside la délégation française de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. A plusieurs reprises, nous avions évoqué l’intérêt qu’il y aurait pour notre commission d’établir un lien entre les travaux menés au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et ceux de la commission des affaires étrangères.

Je suis heureux que cette occasion se présente aujourd’hui car le calendrier s’y prête particulièrement ; une revue spécialisée vient de consacrer dans son dernier numéro un article intitulé « le Conseil de l’Europe : une organisation européenne méconnue ». Il est grand temps de démontrer le contraire.

Vous étiez fin janvier à Strasbourg avec les membres de la délégation française et je pense que vous nous direz quels ont été les points importants discutés au cours de cette dernière session de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE).

Mais je souhaitais aussi que vous puissiez nous informer des évolutions en cours sur deux points particuliers : d’une part, la réforme des institutions du Conseil de l’Europe souhaitée par le nouveau secrétaire général, M. Jagland ; d’autre part, j’aimerais que vous nous parliez de la conférence d’Interlaken qui se tiendra dans quelques jours, les 18 et 19 février prochains, et qui doit apporter des solutions aux difficultés de fonctionnement de la Cour européenne des droits de l’homme.

M. Jean-Claude Mignon, président de la délégation française à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Monsieur le Président, je vous remercie tout d’abord chaleureusement pour m’avoir invité à vous faire part des principaux dossiers d’actualité concernant le Conseil de l’Europe. Avant de vous les présenter, permettez-moi de saluer une initiative qui me fait chaud au cœur car elle traduit un intérêt pour une institution aussi utile que méconnue. Je voudrais aussi saluer mes collègues qui composent la délégation française, et qui sont parmi nous.

Par ailleurs, je voudrais rappeler l’honneur que j’ai à présider la délégation française au sein du Conseil de l’Europe, car malgré les différences qui nous opposent ici, lorsque nous nous retrouvons à Strasbourg pour chaque partie de la session plénière, c’est, permettez-moi une image, l’équipe de France qui se retrouve au Conseil de l’Europe. Nous parlons d’une seule et même voix pour défendre, bien sûr, les intérêts de la France, mais aussi ce qui est l’essence même du Conseil de l’Europe, les droits de l’homme.

Le Conseil de l’Europe est la plus veille des institutions paneuropéenne. Il vient de fêter ces soixante ans et il n’a pas à rougir de l’œuvre accomplie. Dans les années 90 s’est opéré un véritable tournant avec l’adhésion massive des pays qui étaient auparavant sous la tutelle soviétique. Les années 90 sont aussi un tournant car c’est la période pendant laquelle la France a joué un rôle particulièrement important en termes d’influence. Catherine Lalumière était la secrétaire générale du Conseil de l’Europe. Depuis, le rôle relatif de la France a diminué au sein de l’institution, même si Jean-Paul Costa préside la Cour européenne des droits de l’homme.

Les Français ont été très critiqués pour n’avoir pas su accorder suffisamment d’importance au Conseil de l’Europe, pour l’avoir délaissé. Au sein de la délégation française nous avons cherché à modifier cette image. Le Conseil de l’Europe fait un décompte de la présence des parlementaires au sein des commissions. La France y a longtemps été mal classée, elle se situait dans les cinq derniers rangs ; aujourd’hui, elle est parmi les douze premiers.

Nous souhaitons participer à la réforme du Conseil de l’Europe. Nous avons la chance d’avoir élu un nouveau secrétaire général, M. Thorbjørn Jagland qui est un homme politique norvégien remarquable. Il a présidé le Parlement norvégien et occupe des fonctions au sein du Comité Nobel. Son élection s’est faite à une large majorité car il était porteur d’une réforme d’envergure du Conseil de l’Europe.

Le Conseil de l’Europe joue un rôle très important dans différents domaines. Par exemple, au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, la Commission de suivi est chargée de vérifier que les pays qui ont adhéré respectent bien les engagements qu’ils ont pris lors de leur adhésion. La direction de la qualité du médicament, la Pharmacopée, définit le contenu des médicaments et en contrôle le respect, l’essentiel étant d’ailleurs produit en Asie. Et c’est en outre le seul exemple de coopération positive avec l’Union européenne. Le Comité de prévention de la torture contrôle tous les lieux de privation de liberté en Europe et a édicté des règles pénitentiaires européennes qui servent de référentiel : sujet d’actualité s’il en est, puisque la question des gardes à vue en France est à nouveau à la une. Son action a inspiré la création en France du contrôleur général des lieux de privation de liberté. L’action du Conseil de l’Europe concerne donc tout ce qui est relatif à la démocratie et à la protection des droits de l’homme.

Mais surtout, le Conseil de l’Europe c’est une assemblée parlementaire paneuropéenne, au sein de laquelle siègent 47 pays, dont les 27 pays membres de l’Union européenne. Le nouveau président de l’Assemblée parlementaire, M. Mevlüt Çavusoglu, est turc. Un des rôles essentiels de l’assemblée parlementaire, c’est la diplomatie parlementaire. Pour prendre un exemple tiré de l’actualité récente, la Russie et la Géorgie sont toutes deux membres du Conseil de l’Europe ce qui a permis un véritable dialogue entre ces deux pays lors du conflit qui les embrasait.

Pour autant, le budget du Conseil de l’Europe est une question préoccupante. Pour l’ensemble de ces activités, le Conseil de l’Europe ne dispose que de 205 millions d’euros alors que 200 millions d’euros sont consacrés aux aller-retours entre les deux pôles du Parlement européen que sont Strasbourg et Bruxelles ! Entre 2004 et 2009, les effectifs des agences européennes ont augmenté de 160 %. A même été créée une Agence des droits fondamentaux qui venait directement concurrencer le Conseil de l’Europe sur son cœur de métier, alors que son existence n’apparaissait pas comme une priorité absolue pour l’Union européenne. Le nouveau secrétaire général a donc décidé de faire de la question du budget un sujet prioritaire.

Vous avez souhaité, M. le Président, que je m’exprime plus particulièrement au sujet de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est le fleuron du Conseil de l’Europe. Celui-ci est composé du Comité des ministres, d’un Secrétaire général, de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ainsi que du Comité de prévention de la torture que j’ai cité tout à l’heure. Les liens avec la société civile sont établis à travers la représentation des organisations non gouvernementales (ONG).

La Cour européenne des droits de l’homme a été victime de son succès, et, il faut bien le dire, des insuffisances des systèmes judiciaires de quelques Etats. Depuis l’adhésion de la Russie le nombre de requêtes déposées a crû de telle manière qu’il crée un véritable encombrement de son prétoire. La conférence qui se tiendra à Interlaken les 18 et 19 février, conférence interministérielle où Jean-Marie Bockel représentera la France, a pour objet notamment de répondre à cette préoccupation.

Il y a environ 120 000 affaires pendantes devant la Cour dont 57 % des recours concernent quatre pays (Fédération de Russie, Turquie, Ukraine et Roumanie). Le délai moyen de jugement est en augmentation constante, et ce, en dépit d’un accroissement significatif des moyens de la Cour lors des dernières années. En 2009, il y a eu 57 000 nouvelles requêtes, à savoir un accroissement de 14 % par rapport à 2008. Sur l’ensemble des requêtes adressées à la Cour, 20 % sont irrecevables, la moitié des 10 % des requêtes recevables sont des requêtes répétitives.

La Cour européenne des droits de l’homme court le risque de devenir un quatrième degré de juridiction, ce qui n’est pas sa vocation.

Il faut souligner un autre problème, celui de la bonne exécution des arrêts de la Cour. Le nombre d’arrêts relevant de la surveillance du Comité des ministres, c’est-à-dire posant un problème d’exécution, n’a cessé de croître : ce chiffre est passé de 2 298 au 31 décembre 2000 à 6 614 en 2008.

Face à ces difficultés, une première approche « technique » réside dans le Protocole 14 amendant la Convention européenne des droits de l’homme. L’autorisation de ratification donnée par les deux chambres du Parlement russe devrait maintenant permettre son entrée en vigueur rapide. Il prévoit, notamment, un filtrage des requêtes par un juge unique ; la création d’une formation réduite à 3 juges pour les affaires répétitives ; la possibilité, en cas d’inexécution par un État membre d’un arrêt, de saisir la Cour d’une procédure en manquement ou le recours à un traitement différencié des affaires en fonction du préjudice subi : seraient ainsi jugées en premier lieu les affaires qui sont les plus préjudiciables en termes de droits fondamentaux.

Force est de constater que la délégation française au sein de l’APCE n’est pas étrangère au changement de position de la Russie sur sa décision de finalement ratifier le Protocole 14. J’ai eu de nombreux échanges à ce sujet avec le Président de la délégation russe M. Kosachev. Il importe de rappeler que c’est l’Assemblée parlementaire qui élit les juges qui siègent à la Cour européenne des droits de l’homme sur le principe d’un juge par pays, soit 47 juges.

La Conférence d’Interlaken ne règlera pas tout. Au-delà de ces mesures techniques, il faut aller plus loin et jusqu’au cœur du problème, c’est-à-dire améliorer les systèmes judiciaires des Etats membres.

D’aucuns reprochent à la Cour une interprétation trop extensive de la Convention, une interprétation trop souple des critères de recevabilité ou l’octroi de dommages et intérêts trop importants. En réponse, la Cour fait généralement valoir que 90 % des requêtes sont déclarées irrecevables et que des critères trop stricts de recevabilité pénaliseraient des requérants en situation difficile, comme les prisonniers politiques.

Se pose alors la question du financement de la Cour, sachant que le Secrétaire général du Conseil de l’Europe, M. Jagland, a bien indiqué qu’à l’avenir, les financements supplémentaires ne s’effectueraient plus au détriment des autres institutions du Conseil de l’Europe. Faut-il créer un tribunal de première instance pour décharger la Cour, comme ce fut le cas avec la Cour de Justice de l’Union européenne ? Faut-il donner son autonomie administrative à la Cour ? Comment améliorer le processus de sélection des juges ? La première partie de session a été instructive de ce point de vue : de fortes pressions ont été faites pour influencer la désignation du juge italien par l’Assemblée parlementaire, pressions auxquelles l’assemblée a su résister.

Faut-il donner une portée normative aux arrêts de la Cour, qui ne trancheraient alors plus seulement des cas d’espèce, mais auraient en quelque sorte la valeur d’une règle de droit ? Une telle solution constituerait évidemment un bouleversement de l’ordre juridique européen.

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe propose de renforcer le rôle des parlements nationaux dans l’exécution des arrêts de la Cour. A titre d’exemple, les Pays Bas disposent d’un mécanisme modèle de notification au Parlement des décisions de la Cour et des mesures prises pour les mettre en œuvre.

Autre question fondamentale pour l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme : l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme.

Au niveau de l’Union européenne, l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne a donné une pleine valeur juridique à la Charte des droits fondamentaux, jusque-là déclarative, lui conférant une valeur identique à celle des traités. Le protocole n° 30 sur l’application de la Charte en écarte l’application à la Pologne et au Royaume Uni, en prévoyant qu’aucune juridiction ne pourra s’en prévaloir dans ces deux États. En pratique, cela revient à ne pas les obliger à appliquer les droits non couverts par la Convention, c’est-à-dire pour l’essentiel des droits sociaux.

Le même article 6 du Traité modifié sur l’Union européenne prévoit que « l’Union européenne adhère à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». L’article 218 du Traité de l’Union européenne précise que l’accord ne peut être conclu qu’après approbation du Parlement européen. L’article 218-8 stipule qu’à titre dérogatoire le Conseil statuera à l’unanimité sur cet accord. Or, le Conseil intervient à quatre étapes de la procédure : il autorise l’ouverture des négociations, arrête les directives de négociation, autorise la signature et conclut les accords.

Enfin, « la décision portant conclusion de cet accord entre en vigueur après son approbation par les États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives ». En d’autres termes, les 27 États membres de l’Union européenne doivent ratifier cet accord.

Au niveau du Conseil de l’Europe, l’article 17 du Protocole 14 à la Convention européenne des droits de l’homme du 13 mai 2004 modifiera son article 59 qui sera ainsi rédigé : « l’Union européenne peut adhérer à la présente Convention ».

Le rapport explicatif souligne que « des modifications additionnelles à la Convention seront nécessaires afin de rendre une telle adhésion possible d’un point de vue juridique et technique ».

Les modifications nécessaires, qu’elles soient contenues dans un Protocole amendant la Convention ou dans un Traité d’adhésion de l’Union européenne, devront faire l’objet d’une ratification par les 47 États membres.

Le Comité directeur pour les droits de l’homme du Conseil de l’Europe a procédé à une analyse détaillée du processus d’adhésion de l’Union européenne. Au-delà de la pure technique juridique, ce document s’interrogeait sur la manière d’éviter une contrariété de jurisprudence entre la Cour de Justice des communautés européennes et la Cour européenne des droits de l’homme, qui est le problème fondamental posé potentiellement par cette adhésion.

Dans un discours le Président de la Cour de justice des communautés européennes, M. Gil Carlos Rodriguez Iglésias soulignait que si « la Charte se voyait conférer formellement une valeur normative et même constitutionnelle, il pourrait en découler un risque accru de contradictions entre la jurisprudence, la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de Justice, compte tenu notamment des différences de contenu et de formulation qui distinguent la Charte et la Convention ». C’est désormais le cas.

L’Union européenne a engagé la préparation de cette adhésion. Quelques questions se posent : faut-il ou non que l’Union européenne adhère aux protocoles à la Convention ratifiés par tous les États membres ? Comment éviter que la Cour européenne des droits de l’homme puisse juger une disposition des traités communautaires, qui serait incompatible avec la convention ?

La commission européenne a sur ce point indiqué que la Cour européenne des droits de l’homme s’était déjà prononcée sur ce point dans l’affaire Mathews et qu’une sécurité absolue était impossible. Dans cet arrêt du 18 février 1999, relatif à une plainte d’une habitante de Gibraltar privée du droit de vote aux élections européennes du fait de son lieu de résidence, la Cour européenne des droits de l’homme ne s’est pas déclarée par nature incompétente sur les questions mettant en cause le droit primaire de l’Union européenne. En l’espèce, elle a jugé que le fait de ne pas organiser d’élections au Parlement européen était contraire à « l’essence même du droit de vote » tel que garanti par le protocole n° 1 à la convention.

Il est intéressant de noter qu’elle relevait que « les actes de la Communauté européenne ne peuvent être attaqués en tant que tels devant la Cour, car la Communauté en tant que telle n’est pas partie contractante », ce qui ne sera plus le cas demain.

La Conférence d’Interlaken ne pourra pas à l’évidence résoudre toutes ces questions. Nous rencontrons tout à l’heure M. Jean-Marie Bockel et nous pourrons lui faire part des questions qui seront soulevées par la suite.

Monsieur le Président, je vous remercie de m’avoir permis de m’exprimer devant la Commission ce matin. Vous aurez compris que nous sommes tous passionnés par le travail que nous faisons au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. J’y siège depuis 1993 et j’ai appris au contact des autres délégations parlementaires la modestie, la tolérance et le respect de l’autre. Le travail que j’effectue au sein de la commission de suivi permet, tout en restant ferme en termes de respect des engagements pris, de comprendre le fonctionnement des institutions des autres pays. Le Comité de prévention de la torture, au sein duquel siège un Français, effectue un travail formidable dont la France pourrait s’inspirer notamment sur la question des gardes à vue.

M. le Président Axel Poniatowski. Le Conseil de l’Europe est à l’origine de nombreuses normes en matière de droits de l’homme. Au début de cette législature, nous avons ainsi examiné la convention européenne sur l’exercice des droits des enfants. Quelles sont les conventions que l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe examine en ce moment et qui seront importantes pour nous demain ?

M. Jean-Claude Mignon. Toutes les conventions sont importantes. Elles traitent de sujets aussi sensibles que la prévention de la torture, le respect du droit des minorités nationales – thème qui ne concerne pas la France mais suscite un immense intérêt en Europe centrale et orientale – ou encore la lutte contre le racisme. La création d’une Commission spéciale pour la démocratie par le droit, dite Commission de Venise, mais encore la charte sociale européenne et tant d’autres textes sont discutés et approuvés par l’Assemblée parlementaire. La France est d’ailleurs en pointe dans ce processus d’édiction de normes. Sous l’impulsion de Jean-François Mattéi, elle a ainsi attiré l’attention sur les problèmes de bioéthique liés à la pratique du clonage, par exemple.

M. André Schneider. Oui, nous faisons un travail très important à Strasbourg. J’insisterai sur le fait qu’il s’agit là de la plus vieille institution européenne installée sur le territoire français. Je ne crois pas, par ailleurs, que la comparaison entre le coût de fonctionnement du Conseil de l’Europe et le coût généré par la double localisation du Parlement européen à Bruxelles et Strasbourg soit pertinente.

En tant que délégation française, nous défendons tous les droits de l’homme et les valeurs que représente le Conseil de l’Europe. Nous devons par ailleurs veiller à ce que le Parlement européen n’absorbe pas les compétences du Conseil. Par exemple, la question de la jeunesse et des sports, dont le Parlement européen s’occupe d’un point de vue économique et financier, doit rester un thème de travail de notre Assemblée, qui défend l’idée que le terrain de sport est le premier lieu d’expérimentation par les jeunes des principes démocratiques de droits de l’homme et de tolérance.

M. Lionnel Luca. Je veux témoigner ici de la réactivité dont a su faire preuve la délégation française, et son président Jean-Claude Mignon, lors de certains événements internationaux comme la crise au Tibet. A l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, il a été question de respect des droits de l’homme, alors que dans d’autres enceintes, on se taisait pour préserver ses intérêts directs en Chine.

De plus, je souhaite défendre le terme de « droits de l’homme » contre l’emploi de plus en plus systématique de la notion que je qualifierai « d’américaine » de « droits humains ». Apparu avec l’idée de lutter contre le sexisme supposé de l’expression « droits de l’homme », critique d’ailleurs infondée puisque le terme « homme » dans cette expression renvoie à la catégorie générale de l’humanité, la notion de droits humains tend à banaliser et affaiblir le concept de droits de l’homme, de la même manière que l’idéologie marxiste avait proposé la notion de « libertés » pour affaiblir la valeur que représente la liberté de chacun.

Enfin, je suis étonné du nombre de recours engagé contre des pays membres de l’Union européenne, comme la Roumanie, ou candidat, comme la Turquie.

M. Jean-Claude Mignon. Je n’ai pas ici les chiffres exacts du nombre de recours, mais ils sont publics. M. Jean-Paul Costa, président de la Cour européenne des droits de l’homme, m’a d’ailleurs fait part de sa disponibilité pour présenter l’ensemble de l’activité de sa juridiction à notre commission.

En revanche, je voudrais évoquer ici le cas de la Turquie, membre fondateur et exemplaire du Conseil de l’Europe. Après une phase d’inquiétude lors de l’élection d’un président turc à la tête de l’APCE, nous sommes tous impressionnés par la qualité du travail qu’il mène, et j’estime que cela devrait nous inciter à revoir notre jugement concernant l’avenir européen de la Turquie.

M. Axel Poniatowski. Cette déclaration n’engage que vous.

M. François Loncle. Je partage l’inquiétude de M. Luca concernant la dérive qu’il a pertinemment qualifié « d’américaine » et qui tient à l’usage extensif de la notion de droits humains.

Je voudrais revenir sur les liens entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe. Le traité de Lisbonne a intégré la Charte des droits fondamentaux au droit primaire de l’Union, et une nouvelle agence, la 43ème selon la liste établie dans l’excellent rapport de notre collègue sénateur Denis Badré, a été crée : l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne. En tant que membre de la commission de rédaction de la charte des droits fondamentaux, je n’ai pas souvenir que l’idée d’une agence ait été défendue par les auteurs de la charte.

Rapidement, l’Union européenne a précisé que cette agence n’avait pas vocation à recevoir des pouvoirs réglementaires, et un accord a été signé avec le Conseil de l’Europe. La dernière clarification sera sans doute apportée lors de l’adhésion de l’Union européenne à la Charte européenne de protection et de sauvegarde des droits fondamentaux, faisant de la Cour européenne des droits de l’homme le juge ultime dans ce domaine. Il a d’ailleurs fallu négocier longuement avec la Russie pour permettre l’entrée en vigueur du Protocole 14, qui permet l’adhésion de l’Union à la Convention. En effet, cette démarche est complexe, l’Union n’étant pas un Etat souverain. Sur ces questions, je mets à la disposition des membres de notre commission, ainsi qu’à ceux de la délégation française à l’APCE, une note que j’ai rédigée il y a peu.

En réponse à notre collègue Lionnel Luca, je tiens également à souligner que l’APCE s’avère souvent plus réactive que beaucoup de Parlements nationaux, y compris le nôtre. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe se saisit très vite des sujets d’actualité, et réagit rapidement. Par exemple, lors de la dernière réunion, le principe a été admis qu’un rapport et un débat devraient être inscrits à l’ordre du jour de l’APCE sur l’épidémie de grippe A/H1N1, afin notamment d’évaluer l’intensité des pressions subies par l’Organisation mondiale de la santé de la part des industriels pharmaceutiques et d’autres lobbies. Une telle question mériterait d’être abordée par une mission d’information de l’Assemblée nationale.

Enfin, je tiens à rappeler à tous nos collègues que, compte tenu de cette réactivité et de l’étendue des domaines qu’elle est amenée à connaître, l’APCE peut être un relais efficace des préoccupations de chacune et chacun. Le président de notre délégation, M. Mignon, peut tout à fait recevoir les sujets que vous souhaiteriez voir abordés, et les soumettre à la discussion européenne.

Mme Nicole Ameline. Pourrait-on approfondir les liens entre le Conseil de l’Europe et les autres organisations internationales qui traitent de sujets similaires, comme le Comité des droits de l’homme des Nations unies, voire même l’Union interparlementaire ou l’Organisation internationale du travail ?

Sur les conventions, nous consacrons beaucoup d’énergie à leur conception et leur rédaction, mais leur diffusion et la sensibilisation des Etats à la nécessité de leur mise en œuvre restent déficientes. Comment améliorer cette situation ?

Enfin, s’agissant du rôle des Parlements nationaux, j’ai rédigé une note au comité onusien auquel j’appartiens concernant le respect par les Parlements, non pas seulement des décisions juridictionnelles, mais des conventions internationales dans le domaine des droits de l’homme. Il semble qu’il y ait aujourd’hui un fossé entre l’adoption et l’application de ces textes, du fait de l’absence, pour la majorité des normes internationales, de mécanisme spécifique pour vérifier leur mise en œuvre respective.

Pour conclure, j’aimerais ajouter que j’estime que les droits de l’homme n’avancent que lorsque l’Europe s’en préoccupe. L’Europe doit mieux coopérer car ses valeurs ne sont pas un élément du passé, mais bien un projet d’avenir qui n’est malheureusement pas à l’abri, même aujourd’hui, d’un mouvement mondial de recul.

Mme Claude Greff. L’attachement actuel au Conseil de l’Europe me paraît significatif, car il ne relève plus du seul sentiment positif, mais découle d’un attachement profond aux activités mêmes du Conseil. Sur l’épidémie de grippe A/H1N1 par exemple, nous avons réussi à obtenir des informations importantes, et le rapport qui sera présenté bientôt sera sans doute un élément majeur du débat public.

Lors de la dernière réunion, je dois noter toutefois que nous avons subi des attaques très virulentes de la part de certains pays très conservateurs, sur le thème de l’avortement et de la santé des femmes. C’est pour résister à ce genre de pressions que la présence française au Conseil me paraît si importante.

Par ailleurs, j’aimerais rappeler que l’APCE permet de nouer des liens entre les parlementaires que nous sommes, qui peuvent ainsi dialoguer sereinement notamment avec les parlementaires turcs. Le Parlement européen a un autre rôle. La confusion des genres doit être évitée, et le projet d’agence communautaire des droits fondamentaux ne me paraît pas répondre à cet objectif de clarification.

Pour finir, je voudrais répondre à la question relative aux relations extérieures du Conseil de l’Europe. Nous avons des relations suivies avec des Etats non membres sur la question des droits de l’homme, notamment les Etats-Unis. C’est aussi une des raisons pour lesquelles j’estime que la France doit reprendre toute sa place au sein du Conseil.

Mme Muriel Marland-Militello. Je vais reprendre les propos de ma collègue Claude Greff auxquels je souscris totalement. J’ajoute que c’est grâce à son dynamisme et son investissement que Jean-Claude Mignon réussit à fédérer les délégués français. Au Conseil de l’Europe, les clivages politiques n’ont pas le même sens qu’ici. Cela étant, le grand intérêt du Conseil de l’Europe est d’étendre les droits à des domaines dans lesquels ils n’existaient pas. Je pense en particulier au droit à la culture. C’est grâce à notre travail au sein de la commission de la culture, que la culture est devenue un droit de l’homme. Cela traduit le rôle précurseur du Conseil de l’Europe, qui doit être souligné, dans la prise de conscience de la place de l’individu dans le développement du droit. Les parlements nationaux devraient indéniablement mieux connaître le Conseil de l’Europe. Je suis tout à fait d’accord avec Lionnel Luca quant à l’universalité des droits de l’homme.

M. Henri Plagnol. Je remercie Jean-Claude Mignon de souligner l’extrême importance du Conseil de l’Europe et de l’ensemble des institutions qui le composent. Le partage de valeurs communes entre les Etats membres et le cheminement vers une meilleure effectivité des droits de l’homme sont tout à fait essentiels pour les pays adhérents au Conseil de l’Europe qui ne sont pas encore membres de l’UE. Cela étant, il y a une forte inquiétude quant à la situation des droits de l’homme en Russie, qui, à l’évidence, n’a pas la même conception de la démocratie que nous, où des avocats sont emprisonnés, où la justice est aux ordres et corrompue. La Russie va adhérer au Protocole 14, c’est une bonne chose. Je note aussi que l’inflation du contentieux dont pâtit la Cour européenne est précisément due au contentieux russe qui explose et encombre la Cour. Comment le Conseil de l’Europe peut-il aider la Russie sur la question des droits de l’homme ? C’est crucial pour l’avenir de la Cour, et je propose d’ailleurs que nous entendions le président Costa.

M. Rudy Salles. Je me réjouis que nous entendions Jean-Claude Mignon car effectivement il s’agit d’une institution que nous connaissons mal, comme nombre d’institutions internationales dans lesquelles nous siégeons. Il est vrai que le Conseil de l’Europe communique peu. La presse a fait état du prochain rapport sur la question de la grippe A/H1N1, ou encore du départ des membres la délégation française lorsque Jean-Claude Trichet s’est exprimé en anglais, mais elle donne peu d’informations de fond. La délégation française est très présente et c’est un point très positif. Cela étant, outre les 47 membres du Conseil de l’Europe, il y a des pays de l’autre versant de la Méditerranée et il serait opportun de développer nos relations avec eux. Nous devrions élever le niveau de nos échanges pour améliorer le dialogue, par exemple au sein de la commission politique.

M. Jacques Myard. Je partage l’appréciation sur l’intérêt et la valeur du Conseil de l’Europe, qui est une institution assez souple et qui a fait avancer des concepts importants. Mais comme Max Gallo, je dirais que si l’on est pour les droits de l’homme, ils ne sont pas pour autant une explication du monde. Nous partageons tous une histoire commune et des principes, mais il ne faut pas commettre l’erreur de croire à l’unicité de nos principes, qui ne sont pas universels. Il ne faut pas se poser en donneurs de leçons sauf à risquer le blocage et l’échec, intellectuels et culturels, dans des sociétés qui ne les partageront pas avant des décennies pour certaines d’entre elles. Attention à notre tentation impérialiste.

Je crois par ailleurs qu’il faudrait réfléchir à l’explosion du nombre de signatures de conventions internationales sur lesquelles nous ne jaugeons pas suffisamment notre capacité à les faire appliquer. Le cas de la culture me semble symptomatique. La culture est un droit de l’homme ; la tauromachie fait partie d’une culture, et cela n’empêche pas certains d’entre nous de vouloir l’interdire. Il faut se méfier des raccourcis et avancer, certes, mais en regardant où l’on met les pieds.

Mme Christine Marin. Il est vrai que le Conseil de l’Europe est assez discret, mais il ne dispose pas d’un budget de communication qui lui permette de faire plus. Je soulignerai que l’importance de ses travaux se traduit aussi au plan écologique. Le premier des droits de l’homme est de vivre dans un environnement sain et des thèmes comme celui de la prévention des catastrophes sont essentiels ; le Conseil de l’Europe y travaille. Nous aurons aussi prochainement à examiner un rapport de notre collègue Rouquet sur la géothermie et les économies d’énergie.

M. Alain Néri. Il est intéressant et positif de mieux connaître les institutions dans lesquelles nous siégeons mais je m’interroge sur le degré de compréhension de nos concitoyens. Il y a un problème. Je suis d’accord sur les chartes pour officialiser des principes mais qu’en est-il en pratique des droits accordés ? Comment pouvoir exercer le droit à la culture ? La culture est variée, variable, mais au-delà de la pétition de principes, comment assurer le respect de ce droit ?

M. Jean-Claude Mignon. Il ne faut pas oublier que les délégations émanent de 47 pays différents et il faut augmenter les relations entre eux. Il faut que l’information remonte aux parlements nationaux et qu’il y ait une connaissance, par exemple de nos ordres du jour, afin qu’on en discute préalablement au sein de nos assemblées. Nous avons de grandes lignes données par le ministère des affaires étrangères et européennes mais nous ressentons un désintérêt de la part des parlements nationaux. C’est dommage et il faut parvenir à changer cela. Les délégations des 27 Etats membres de l’Union européenne sont de cet avis.

Quant à la question de la multiplication des conventions internationales, je suis d’accord avec les positions exprimées. Il faudrait pouvoir assurer le suivi de ce qui est adopté. A cet égard, les travaux de la commission de suivi du Conseil de l’Europe sont très précieux. Notre commission pourrait utilement s’y référer, lorsqu’elle est saisie d’un projet de loi de ratification d’un accord signé avec un Etat du Conseil de l’Europe, comme cela a récemment été le cas pour l’accord de sécurité intérieure avec l’Albanie.

Quant à la Russie, que faut-il faire ? Je ne crois pas qu’il faille la suspendre, mais au contraire qu’il est important de discuter. Tout n’est pas parfait, loin de là, mais il faut maintenir la tolérance et le dialogue. J’ai un contact fréquent et personnel avec M. Kosachev et la France est pour beaucoup dans le fait que la Russie ait ratifié le Protocole 14. Je rencontre également souvent M. Orlov, ambassadeur de Russie en France. On peut discuter avec eux des questions qui nous préoccupent.

La relation avec le Parlement européen est quasi nulle. Il y a un désintérêt fort de la part du Parlement européen qui est à la limite du mépris envers le Conseil de l’Europe. Nous essayons avec nos collègues mais essuyons des fins de non-recevoir. Quant au Sud, nous nous en occupons : il y a des délégations du Maroc, de la Tunisie et d’autres pays du Sud de la Méditerranée qui sont associés au travail du Conseil de l’Europe.

Le problème des langues est en effet sérieux : il y a deux langues officielles mais le français est en perte de vitesse. Quant à Strasbourg, je partage votre inquiétude : il n’est pas une réunion du bureau sans que l’un ou l’autre n’exprime la volonté de quitter Strasbourg pour déplacer l’assemblée à Bruxelles. Il y a le problème de la desserte aérienne qu’on n’a pas su améliorer. Strasbourg est en tout cas en danger comme capitale européenne.

M.  le Président Axel Poniatowski. Mes chers collègues, nous devions entendre Mme Catherine Withol de Wenden dont je constate, non sans un certain étonnement, l’absence parmi nous. Je lève donc notre séance.

La séance est levée à dix heures quarante.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 10 février 2010 à 9 h 30

Présents. - Mme Nicole Ameline, Mme Sylvie Andrieux, Mme Martine Aurillac, M. Jean-Paul Bacquet, M. Jacques Bascou, M. Christian Bataille, M. Jean-Louis Bianco, M. Claude Birraux, M. Roland Blum, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Chantal Bourragué, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Jean-Louis Christ, M. Dino Cinieri, M. Philippe Cochet, M. Gilles Cocquempot, M. Pierre Cohen, M. Alain Cousin, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Paul Dupré, M. Jean-Michel Ferrand, M. Alain Ferry, Mme Marie-Louise Fort, M. Jean Glavany, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, M. Serge Janquin, M. Didier Julia, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, Mme Henriette Martinez, M. Didier Mathus, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, M. Alain Néri, M. Jean-Marc Nesme, M. Henri Plagnol, M. Axel Poniatowski, M. Éric Raoult, M. Jean-Luc Reitzer, M. Jacques Remiller, M. Jean Roatta, M. Jean-Marc Roubaud, M. Rudy Salles, M. André Schneider, M. Dominique Souchet, M. Michel Vauzelle, M. Gérard Voisin

Excusés. - M. François Asensi, M. Loïc Bouvard, M. Hervé de Charette, Mme Geneviève Colot, M. Michel Delebarre, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Jean-Paul Lecoq, M. Renaud Muselier, M. François Rochebloine, Mme Odile Saugues, M. Michel Terrot

Assistaient également à la réunion. - Mme Claude Greff, Mme Christine Marin, Mme Muriel Marland-Militello