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Commission des affaires étrangères

Mardi 23 mars 2010

Séance de 17 h 00

Compte rendu n° 46

Présidence de M. Axel Poniatowski, président, puis de M. Jacques Remiller, secrétaire

– Audition de MM. Bruno Foucher, ambassadeur de France au Tchad et François Zimeray, ambassadeur pour les Droits de l’Homme sur la situation intérieure et la condition des droits de l’Homme au Tchad

Audition de MM. Bruno Foucher, ambassadeur de France au Tchad et François Zimeray, ambassadeur pour les Droits de l’Homme sur la situation intérieure et la condition des droits de l’Homme au Tchad.

La séance est ouverte à dix-sept heures.

Le président Axel Poniatowski. Nous avons le plaisir de recevoir cet après midi M. Bruno Foucher, ambassadeur de France au Tchad, et M. François Zimeray, ambassadeur pour les droits de l’homme. Votre audition, messieurs, doit en effet nous permettre de préparer la discussion en séance publique, jeudi 25 mars, de la proposition de résolution déposée par l’opposition visant à demander à l’État tchadien de se conformer aux recommandations de la commission d’enquête créée à la suite des événements survenus au Tchad en 2008 et de l’arrestation de l’opposant au régime, M Ibni Saleh, dont le sort reste inconnu à ce jour.

À la fin du mois de janvier 2008, les rebelles tchadiens au gouvernement du Président Idriss Déby ont lancé depuis le territoire soudanais une forte offensive qui les a conduits à N’Djamena où ils ont failli prendre le pouvoir. Les forces rebelles ont finalement été repoussées par l’armée nationale tchadienne au terme d’un bilan très lourd de près de 1000 morts et de 1 800 blessés. Trois opposants politiques – Lol Mahamat Choua, Ngarlejy Yorongar et Ibni Oumar Mahamat Saleh – ont été enlevés le 3 février 2008 par des éléments des forces armées. Si deux d’entre eux sont réapparus quelques temps plus tard, M. Ibni Saleh n’a quant à lui jamais été retrouvé. Sous la pression internationale et compte tenu de l’émotion suscitée par cette disparition, une commission d’enquête a été créée par le Président Idriss Déby. L’enquête a en l’occurrence été menée par une équipe restreinte composée d’experts indépendants désignés par l’Union européenne, l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) ainsi que la France. Ses conclusions mettent très clairement en cause la responsabilité du gouvernement tchadien dans cette disparition, enjoignent notamment ce dernier à poursuivre les investigations pour que toute la lumière soit faite sur le sort d’Ibni Saleh et, enfin, demandent la mise en place d’un comité restreint de suivi où la représentation de la communauté internationale sera assurée. 

Par ailleurs, la proposition de résolution incitant le gouvernement français à faire pression sur le gouvernement tchadien afin que les recommandations de la commission d’enquête – à laquelle la France a participé – ne restent pas lettre morte constitue une première : en effet, elle a été déposée en application du nouvel article 34-1 de la Constitution, disposant que « les assemblées peuvent voter des résolutions ». En application de notre règlement, elle ne fera pas l’objet d’un examen préalable en commission mais il m’a semblé normal et de bonne méthode, comme nous l’avions déjà fait lors des débats sur l’Afghanistan, d’organiser cette réunion d’information préalablement à la discussion en séance publique.

M. François Zimeray, ambassadeur pour les droits de l’homme. C’est bien volontiers que j’ai accepté cette invitation dont je vous remercie, monsieur le président, pour deux raisons : nous croyons particulièrement au principe de responsabilité dans l’action extérieure de la France et, spécifiquement, en matière de droits de l’homme, fût-il très délicat d’évaluer quantitativement l’impact de notre action dans ce domaine ; par ailleurs, les questions que vous poserez, mesdames et messieurs les députés, seront l’occasion de mettre en lumière des pans entiers d’une action diplomatique continue et souvent ingrate qui sont, hélas, souvent méconnus du public pour lequel les droits de l’homme relèvent d’abord de l’ordre déclaratoire.

Tout d’abord, je tiens à y insister, notre action ne se limite pas à soutenir les enquêtes visant à faire toute la lumière sur la disparition de M. Saleh. Durant les événements dont il vient d’être question ont été dénombrés 977 morts, 1 758 blessés, 32 viols et plusieurs centaines d’emprisonnements. Chaque cas, à l’instar de celui de M. Saleh, requiert la même attention. Même si, en l’occurrence, la disparition de ce dernier est particulièrement choquante et emblématique compte tenu de sa personnalité, de sa notoriété professionnelle et de son rôle d’opposant dans la vie politique tchadienne, la France soutient chaque jour toutes les victimes, quelles qu’elles soient et où que ce soit. C’est ainsi que notre intervention ponctuelle s’inscrit dans le cadre beaucoup plus vaste des actions que nous menons depuis plus de vingt ans contre les disparitions forcées dans le monde ; il s’agit-là d’un grand combat méconnu de l’action extérieure de la France, pays qui, avec l’Argentine, peut s’enorgueillir d’avoir le plus œuvré en faveur du projet de convention sur les disparitions forcées. J’insiste : non seulement nous ne faisons preuve d’aucune complaisance ni indulgence pour ces crimes odieux mais, sur les cinq continents, c’est en partie grâce à notre volonté politique qu’il est aujourd’hui possible de poursuivre et de réprimer les auteurs d’enlèvements.

Si grande soit l’émotion – tant que M. Saleh n’aura pas été retrouvé et tant que des explications définitives n’auront pas été fournies, le légitime besoin de vérité demeurera inassouvi –, nous devons toutefois nous en tenir aux seuls faits. De la même manière, nous nous sommes aperçus très souvent que lorsque les réponses passionnément attendues font défaut le sentiment que l’on cache une vérité ne tarde pas à poindre ; s’il est évident que tout n’a pas été dit dans l’affaire qui nous réunit – le rapport d’enquête évoque même le « mur de silence » auquel la commission s’est parfois heurtée –, prétendre pour autant que la France, en raison de sa présence au Tchad, est nécessairement au courant de ce qui s’est passé relève d’une fable inacceptable. Si quelqu’un dispose d’informations, qu’il les verse au dossier !

En outre, de la même manière que la France a toute confiance dans la justice tchadienne, elle a exigé et accompagné la mise en place d’institutions telles que la commission d’enquête ou le comité de suivi afin que toute la lumière soit faite, autant que faire se peut, sur ces événements meurtriers. Les résultats obtenus à ce jour demeurent, hélas, insatisfaisants : même si de nombreuses pistes ont été explorées – comme en atteste le rapport – et si des moyens exceptionnels ont été mis en œuvre, nulle vérité judiciaire n’a été établie. Quoi qu’il en soit, je le répète, notre diplomatie ne dissimule rien et je m’inscris catégoriquement en faux contre telle ou telle insinuation.

Je suis à votre disposition pour répondre à toutes les questions que vous voudrez bien me poser.

M. Bruno Foucher, ambassadeur de France au Tchad. Je m’associe aux propos de M. François Zimeray.

Ambassadeur au Tchad depuis 2006, j’ai donc connu ce conflit dont on peut espérer qu’il vient de prendre fin. Ce ne sont pas moins de dix attaques qui ont été menées contre ce pays dont une, extrêmement violente, sur la capitale au cours de laquelle nous avons été animés par un souci majeur : l’évacuation de nos compatriotes. L’ambassade a elle-même été prise violemment sous le feu : le samedi 2 février et le dimanche 3, nous avons été à deux doigts de l’évacuer, les forces rebelles tirant au-dessus de nos bâtiments afin d’atteindre les troupes gouvernementales. Les militaires ont même envisagé une évacuation par le fleuve, laquelle aurait été lourde de menaces. Dans le même moment, Paris nous demandait d’intervenir pour les ambassades de Chine, d’Algérie et de Russie ou pour tel ou tel ressortissant dont la famille s’était manifestée auprès du centre de crise. À cinquante mètres de la chancellerie, l’hôtel « Le Méridien » où avait été rassemblée une soixante d’expatriés était également pris sous le feu sans que nous puissions les évacuer, deux convois blindés ayant dû rebrousser chemin en raison de tirs trop nourris – j’ai d’ailleurs profité de l’un de ces convois pour évacuer la majeure partie de mon personnel.

C’est dans ce climat-là que j’ai appris, très tôt, la disparition de certains opposants tchadiens, le fils de M. Lol Mahamat Choua ayant réussi à informer mon adjoint de l’arrestation de son père. À dix heures du soir, ce dimanche 3 février, alors que nous devions nous entretenir de la lettre que les plus hautes autorités tchadiennes devaient envoyer au Conseil de sécurité de l’ONU, j’ai eu l’occasion de faire part de mes plus vives inquiétudes au conseiller diplomatique du président Déby – lequel devait devenir quelques mois plus tard Premier ministre de son pays et présider le comité de suivi – quant aux rumeurs faisant état de telles arrestations. Je l’ai alors fermement mis en garde sur leurs éventuelles conséquences. Ce n’est que bien après que les rebelles, après avoir reflué vers la périphérie de N’Djamena avant de se replier vers Mongo, gagnèrent le Soudan.

S’agissant de la disparition des opposants et, en particulier, de celle de M. Saleh, quatre phases ont été déterminantes.

La première s’étend du 3 au 27 février, date de la visite du Président Sarkozy et de l’acceptation, par le Président Déby, de la création de la commission d’enquête. Faisant écho à la démarche de MM. les ministres Kouchner et Morin, l’ambassade n’a eu de cesse d’exercer des pressions sur la présidence tchadienne afin que nous ayons des nouvelles des disparus. Plus précisément, si nous étions certains de la disparition de M. Mahamat Choua, il n’en allait pas de même de celles de M. Yorongar et de M. Saleh. Nous avons donc dû prendre contact avec les principaux opposants – je rappelle que l’on dénombre au Tchad pas moins de 130 partis politiques dont la moitié, environ, sont dans l’opposition – et que ce n’est qu’au bout de quelques jours que nous avons constaté la disparition de M. Yorongar et de M. Saleh, dans le quartier dit des « Deux châteaux ». Je n’ai pu obtenir aucun détail quant à leurs lieux de détention et ce n’est que le 14 février, après avoir effectué maintes démarches auprès de la présidence, que j’ai été appelé par le conseiller diplomatique du Président Déby et par le Président lui-même afin de rencontrer dans sa geôle M. Mahamat Choua. Je me suis rendu le soir même à la prison du « Camp des martyrs » où, après avoir vérifié que M. Mahamat Choua n’avait pas été maltraité, j’ai demandé à ce qu’il soit remis au comité international de la Croix-Rouge (CICR), ce qui fut fait. Il a ensuite été libéré après un bref passage en résidence surveillée et la visite du Président Sarkozy.

M. Yorongar, quant à lui, s’était réfugié au Cameroun, les autorités de ce pays l’ayant intercepté à Douala.

Enfin, concernant M. Saleh et suite aux instructions que j’avais reçues, je suis intervenu avec insistance auprès du Président Déby, de son Premier ministre, de son ministre des affaires étrangères et de son conseiller diplomatique afin qu’une commission d’enquête internationale soit créée.

Deuxième phase : présidée par le président de l’assemblée nationale tchadienne, membre de la majorité et dont l’impartialité est contestée, la composition de la commission n’a pas convenu à l’opposition non plus qu’à l’opinion internationale. La « troïka européenne » et l’ensemble de l’Union ont alors entrepris des démarches très insistantes afin que cette composition soit modifiée et que siègent au sein de la commission de hauts représentants de la société civile dont, notamment, le président de la ligue tchadienne des droits de l’homme ainsi que des membres de la coalition d’opposition à laquelle M. Saleh appartenait. C’est ainsi qu’il fut fait au bout d’une quinzaine de jours, la commission étant présidée par un avocat indépendant, le responsable de la ligue tchadienne des droits de l’homme ayant par ailleurs accepté d’en faire partie de même que des parlementaires de l’opposition, dont un membre de l’organisation de M. Yorongar. J’ajoute, enfin, que la famille du M. Saleh a accepté de participer à ses travaux et que la France est le seul pays à avoir assisté à l’ensemble de ses réunions – je suis moi-même intervenu à plusieurs reprises afin de lever divers obstacles au bon fonctionnement de la commission en obtenant notamment du Premier ministre que celle-ci puisse visiter certaines prisons. Je précise que le rapport de la commission, remis au mois d’août, a été salué par l’UE ainsi que l’OIF.

Troisième phase : la création d’un comité de suivi préconisée par la commission d’enquête afin que les travaux réalisées – dont 1 500 auditions – portent tout leur fruit et qu’une issue judiciaire soit rendue possible. La « troïka européenne » a donc formulé deux exigences – qui ont été satisfaites par le comité : le transfert intégral du dossier à la justice et l’indemnisation des 32 femmes violées dont la liste avait été annexée au rapport de la commission d’enquête.

Quatrième phase, enfin : j’ai entrepris des démarches insistantes auprès du président Déby, du Premier ministre, du ministre de la justice – lequel est membre de la même coalition d’opposition que M. Saleh – afin d’être assuré du bon fonctionnement de la justice et, donc, de l’affectation de magistrats instructeurs – sept ont été nommés – ainsi que d’un budget conséquent.

Par ailleurs, l’intégralité des cas de disparitions ayant été transmise à la justice, nous avons insisté pour que la situation de M. Saleh fasse l’objet d’une instruction particulière et, une fois encore, nous avons été suivis. Les magistrats avaient initialement estimé que douze mois seraient nécessaires à la conclusion de leur instruction ; ils ont demandé un délai supplémentaire de six mois – à compter du 9 janvier 2010 – à l’issu duquel un procès devrait vraisemblablement se tenir. Je n’ai pas accès au dossier mais je sais que les magistrats ont procédé à de nombreuses auditions, et que les magistrats travaillent semble-t-il librement.

Depuis deux semaines, un nouveau gouvernement a été installé dont M. Emmanuel Nadingar, chrétien du sud, est le Premier ministre. Je le rencontrerai à sa demande dès la semaine prochaine et je lui dirai à cette occasion tout l’intérêt que le Parlement français continue de porter à ce dossier ; je lui ferai part de cette audition ainsi que de la résolution qui sera discutée le 25 mars ; je lui dirai combien l’opinion publique française est attentive à ce que toute la vérité soit faite et, également, qu’en tant que président du comité de suivi il a le devoir de s’assurer que le pôle de magistrats instructeurs continue de disposer des moyens nécessaires à sa mission. À ce propos, je sais aussi que le budget additionnel qui a été demandé ne leur a pas encore été octroyé mais je demanderai que cette situation ne perdure pas.

J’ajoute, enfin, que je ne dispose d’aucune information concernant les suites de l’arrestation de M. Saleh, les circonstances de cette dernière m’ayant été relatées par son épouse, selon laquelle la garde présidentielle, identifiée seulement par ses chechs, serait en cause – mais tous les combattants portent des chechs... À ce jour, je n’ai pas de raison de penser qu’une piste serait plus sérieuse qu’une autre ; le général qui a procédé à l’arrestation de M. Mahamat Choua m’a d’ailleurs confié qu’il était extrêmement difficile d’identifier les personnes arrêtées au cours des opérations militaires. S’il en était autrement, comme je l’entends dire parfois, croyez bien que j’en aurais référé à mes supérieurs et que je ne me serais pas privé de le faire savoir au Président Déby avec lequel j’entretiens des relations franches et régulières.

Le président Axel Poniatowski. Je vous remercie, messieurs.

Monsieur l’ambassadeur Foucher, le comité restreint de suivi – lequel compte un représentant de la communauté internationale – a-t-il ou non accès à l’instruction ? Si tel n’est pas le cas, à quoi sert-il ?

M. Bruno Foucher, ambassadeur de France au Tchad. Ayant principalement été créé pour savoir ce qu’il devait advenir des recommandations de la commission d’enquête, je ne pense pas que le comité ait accès au détail de l’instruction. Sa principale décision a été de transférer l’intégralité du dossier à la justice.

J’ajoute qu’en tant qu’émanation interministérielle de huit membres du gouvernement, le comité ne comprend aucun représentant de la communauté internationale. Néanmoins, le Premier ministre, qui, je le rappelle, le préside, n’a jamais manifesté quelque réticence ou hostilité que ce soit aux demandes d’informations ou d’actions que nous avons formulées. Mieux : étant comme nous convaincu que la vérité doit éclater le plus rapidement possible, il a sans doute été plus facile et plus efficace de lui faire faire part de nos requêtes – dont la nécessité de traiter singulièrement le cas Saleh – afin qu’il les transmette au comité de suivi.

M. Gaétan Gorce. Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir organisé cette audition. Il s’agit en effet d’éclairer les faits dans une affaire extrêmement grave qui, concernant la vie et probablement la mort d’un opposant, touche les droits de l’homme et les relations qu’entretient la France avec le Tchad sur les plans politique, diplomatique et militaire. Un accord de coopération, signé en 1976, prévoit notamment la présence dans ce pays de conseillers militaires auprès du gouvernement et du Président tchadiens. Nous devons donc être très attentifs et examiner les choses avec rigueur et transparence.

La gravité des événements a été soulignée par le Président de la République qui s’est rendu au Tchad fin février 2008 et dans ses échanges de courriers avec des parlementaires comme le sénateur Jean-Pierre Sueur et moi-même. Il a ainsi évoqué l’importance qu’il accordait « personnellement » à la question et son rôle pour la mise en place d’une commission d’enquête.

Il faut aller plus loin dans la compréhension de ces événements, grâce aux précisions apportées par vous en tant qu’ambassadeur de France au Tchad. Vous avez rappelé le contexte de l’enlèvement des trois opposants politiques et de la disparition de l’un d’eux.

Mes questions portent d’abord sur le déroulement des événements du 28 janvier au 8 février 2008, lequel doit être précisé : quel fut le rôle exact de l’armée française ? Un flou juridique entoure ses interventions car l’accord de 1976 dont les dispositions sont très précises se limite essentiellement à l’organisation et à l’instruction des forces armées tchadiennes, dispositif lui-même complété par le dispositif « Epervier ». La France est-elle allée au-delà, ne serait ce que pour assurer la protection de ses ressortissants ? Le ministre des affaires étrangères a déclaré à Paris-Match qu’en 2006 des Mirages français avaient ouvert le feu mais qu’aujourd’hui ce genre d’action ne pourrait plus se produire. Est-ce tout à fait certain ? Comment faut-il alors interpréter le décollage d’hélicoptères de combat tchadiens pilotés par des mercenaires, destinés à repousser les rebelles, depuis un aéroport contrôlé et protégé par l’armée française ? Le ministre des affaires étrangères a indiqué que des armes françaises ont été livrées par l’intermédiaire de la Libye au gouvernement tchadien : peut-on nous assurer que la France n’a fourni aucun moyen logistique ?

Que faut-il ensuite penser de certains articles de presse, comme celui de Jeune Afrique du 2 février, de déclarations de témoins voulant garder l’anonymat dans le cadre de la commission d’enquête, et de déclarations du ministre des affaires étrangères dans le Paris-Match du 9 mars dernier faisant état, sinon de contacts entre la France et les rebelles, du moins d’informations qu’elle aurait reçues selon lesquelles les rebelles auraient pris contact avec des opposants en vue de la formation d’un gouvernement de substitution à celui de M. Déby ? M. Foucher, vous avez évoqué le 5 février devant des journalistes, l’existence de collusions entre des opposants politiques et des rebelles. À partir de quels éléments donnez-vous ces informations ? Ceux-ci étaient-ils connus du gouvernement tchadien ?

Vous avez indiqué également n’avoir été informé qu’indirectement de la disparition de deux opposants mais directement de celle de Mahamat Choua. Vous avez alors demandé au premier conseiller de prendre contact avec les opposants susceptibles de subir un sort identique. Quel fut le résultat de ces appels ? Il semble que vous n’ayez pas eu d’informations plus précises concernant le sort de M. Saleh.

Dans un entretien accordé au Nouvel Observateur en octobre 2009, le Président Déby, indique que, ayant été informé d’un rassemblement devant son domicile, il avait ordonné l’arrestation de Mahamat Choua par l’armée puis décidé de le rendre à sa famille. Il précise que lorsqu’il a donné ces instructions, deux officiers français qui sont probablement les deux conseillers militaires placés auprès du Président de la République, se tenaient auprès de lui.

Alors que l’ensemble des systèmes de communication et de transmission est à ce moment-là défaillant, le seul dispositif fonctionnant encore se trouvait autour du Président. Ces officiers vous ont-ils informé de ce qu’ils savaient, via le président Déby, concernant M. Choua ? Peut-on penser que les choses se sont déroulées de la même façon s’agissant de M. Saleh ? J’aimerais savoir, Monsieur l’Ambassadeur, si les conseillers militaires français doivent vous rendre compte directement et si oui pourquoi ne l’ont-ils pas fait dans le cas de M. Choua ? Vous comprendrez que l’on puisse craindre alors qu’ils ne l’aient pas fait s’agissant de M. Saleh. A quel moment avez-vous informé les autorités françaises de ces disparitions ?

Le 4 février 2008, M. Bernard Kouchner aurait appelé le président Déby pour s’en inquiéter. Or, au même moment, la France intervenait au Conseil de sécurité pour obtenir la condamnation des rebelles tchadiens et se féliciter de la médiation des pays voisins, mais sans mentionner, même de façon implicite, la disparition d’opposants. Il eût été facile pour la France, très engagée dans l’adoption de cette résolution, d’ajouter un paragraphe. Pourquoi ne l’a-t-on pas fait alors que nous avions déjà des craintes ? N’est-ce pas regrettable ?

M. Zimeray, votre prédécesseur, M. Michel Doucin a le 11 février déclaré que les opposants détenus dans les locaux des renseignements généraux seraient prochainement libérés. Ces éléments repris dans les travaux de la commission d’enquête et par la presse n’ont été ni infirmés, ni confirmés. A quel moment avez-vous obtenu des informations suffisamment fiables pour orienter votre action ? Vous avez dit, M. Foucher, ne pas en avoir disposé avant longtemps. La présence des conseillers militaires, les propos du ministre, les déclarations de l’ambassadeur aux droits de l’Homme me conduisent à vous demander de préciser votre réponse.

La mise en place de la commission d’enquête, appuyée par la France, fut lente et difficile car il a fallu obtenir la garantie de son impartialité et de son indépendance. Dans un premier temps, vous avez invoqué, M. Foucher, l’article 31 de la Convention de Vienne, permettant de ne pas avoir à répondre à ces questions, puis vous y avez répondu. Pourquoi avez-vous tout d’abord refusé de répondre et que pensez-vous des conclusions de la commission d’enquête ?

Aussi bien sur les évènements qui ont fait des centaines de victimes que sur le cas de M. Saleh, la commission a dit les choses de façon très nette en mettant en cause les rebelles accusés d’exactions et bien plus encore l’armée tchadienne tenue pour responsable des bombardements par hélicoptère qui ont frappé durement les populations civiles. Quelles ont été la réaction et l’action de la France sur ce point ? Pour d’autres pays, de tels actes auraient été qualifiés de crimes contre l’humanité et auraient conduit leurs auteurs devant la Cour pénale internationale.

S’agissant du cas de M. Ibni Saleh, vous faites part de vos doutes et vous dites, M. l’ambassadeur, ne pas pouvoir choisir entre plusieurs pistes possibles, en l’absence d’indices pertinents. Mais la commission d’enquête conclut de façon très précise en estimant que cette arrestation ne peut être le fait de militaires subalternes n’ayant reçu aucun ordre de leur hiérarchie ou d’une autorité supérieure de l’Etat tchadien, ce qui, selon elle, met en évidence l’implication des plus hautes autorités militaires tchadiennes et pose la question du rôle du chef de l’Etat dans la chaîne de commandement.

Nous nous demandons donc pourquoi, à partir de ces conclusions, la France n’insiste pas pour que la recommandation soit pleinement appliquée et que le comité de suivi, qui je le précise, doit aussi se réunir régulièrement pour apprécier les progrès de l’enquête, soit constitué et comprenne une représentation de la communauté internationale.

Ce comité de suivi doit pouvoir apporter son commentaire aux conclusions de l’enquête qui seront rendues dans trois mois environ.

Il faut certes respecter l’indépendance d’un État mais le Tchad est-il une démocratie ? La justice y est-elle indépendante ? Peut-on s’en remettre à ses institutions pour connaître la vérité ? Je suis frappé de la répétition de faits similaires.

Ainsi, un Français travaillant dans l’humanitaire a été assassiné dans des conditions douteuses au Tchad le 1er mai 2008 avec une arme qui pourrait appartenir à la garde présidentielle. Quelle action la France a-t-elle menée dans cette dernière affaire ?

Au total, notre pays s’honore-t-il en soutenant ce régime ?

Le président Axel Poniatowski. Merci. M. Gorce, vous conviendrez que sur ce dernier point, nous sommes sur un autre sujet.

Mme Françoise Hostalier. Dans n’importe quelle affaire, on peut toujours considérer le verre à moitié vide ou à moitié plein ; pour ma part, je préfère le voir à moitié plein. Je remercie les ambassadeurs pour les éclairages qu’ils viennent de nous apporter.

Les relations entre la France et le Tchad constituent une vieille et belle histoire. Je le dis en ma qualité de présidente du groupe d’amitié France-Tchad, il nous faut accompagner ce pays et l’aider à faire apparaître la vérité sur ces évènements très douloureux.

Il faut souligner la qualité du rapport de la commission d’enquête, à travers les témoignages qu’elle comporte et les attendus qu’elle formule. Mais pourquoi la vérité ne sort- elle pas plus vite ? Le comité de suivi et le comité restreint n’ont pas la même envergure ; pourriez-vous nous en préciser la composition ? Le récent changement de gouvernement tchadien va-t-il affecter la composition du comité restreint actuellement présidé par le Premier Ministre et huit ministres ? De quelle liberté d’investigation bénéficient-ils ?

La discussion qui aura lieu jeudi à l’Assemblée nationale sur la proposition de résolution aura-t-elle selon vous un poids au Tchad auprès des politiques et de l’opinion publique ?

En dehors du gouvernement, quelles sont les positions du Parlement tchadien ? A-t-il entrepris une action ?

D’autres instances internationales peuvent-elles parallèlement entreprendre des démarches pour que toute la clarté soit définitivement faite sur cette affaire ?

M. Bruno Foucher. Concernant le rôle de l’armée française, je ne saurais m’exprimer pour le compte du ministère de la défense. Mais je puis indiquer que notre armée s’est d’abord préoccupée de la situation de la communauté française puis des ressortissants de l’OCDE, évacuant, sous le feu, 1600 personnes appartenant à 68 nationalités. L’attaché de défense, qui ne m’a pas quitté durant toute la durée de ces évènements, et les militaires qui travaillaient à l’ambassade, n’ont pas agi en dehors de ce domaine et n’ont pas exercé d’action politique. Dans l’ambassade, c’est très clair, les militaires ne s’occupent pas de questions politiques.

M. Gaétan Gorce. Il y a pourtant des conseillers militaires français placés auprès du président Déby.

M. Bruno Foucher. L’attaché militaire, comme dans toutes les ambassades, est à la tête d’un service de coopération militaire qui gère un budget d’actions de coopération. Ce conseiller militaire à la présidence est chargé d’une de ces actions, comme il existe, par exemple, un conseiller militaire pour la garde nomade ou la gestion informatique des effectifs de l’armée tchadienne. Son rôle est purement technique. Jamais aucune information sur les opposants au régime n’a transité par les conseillers militaires. Seuls à l’ambassade les conseillers politiques interviennent en la matière et ont suivi cette affaire de très près.

M. Gaétan Gorce. Le président Déby a pourtant dit que des conseillers militaires français l’accompagnaient lors de sa décision de faire arrêter Choua.

M. Bruno Foucher. Je démens qu’il ait été accompagné de deux conseillers militaires qui auraient détenu des informations. En tout cas, je n’en ai jamais eu connaissance.

On a parlé de collusion entre l’opposition intérieure et l’opposition extérieure depuis le début des offensives en décembre 2005 et lors de celle contre la capitale en avril 2006. Nous avons soutenu un processus de réconciliation. Puis la majorité présidentielle s’est ouverte à l’opposition, jusqu’à signer avec elle un important accord politique en août 2007 pour fixer des élections qui auront lieu en novembre 2010. Au départ de ce processus, l’opposition croyait encore à la force armée pour conforter sa position et revendiquait « le dialogue inclusif. »

En février 2008, lors de l’attaque contre la capitale, des contacts eurent lieu avec les éléments extérieurs de la rébellion. Cela n’a rien de surprenant. Il faut savoir que, dans un pays comme le Tchad, toute la classe politique se connaît : les chefs rebelles sont souvent d’anciens membres du gouvernement ou d’anciens collaborateurs du Président et ne cessent de se parler ; dans le quartier des Deux Châteaux où habitent les trois opposants qui ont été arrêtés, résident aussi plusieurs chefs de la rébellion.

Lorsque le processus intérieur a progressé après 2008, avec le PDL, les appels de l’opposition à la lutte armée ont à peu près disparu. L’opposition légale s’est sentie assez forte pour ne pas avoir recours à l’opposition externe et se passer du soutien de gens qui ne leur ressemblent pas. Depuis lors, on ne parle plus de contacts entre elles. Il n’existe pas de collusion avérée.

Sur quoi se fondent les déclarations de M. Doucin du 11 février ? Je ne saurais vous répondre mais je peux vous dire que j’ai envoyé très rapidement l’attaché de sécurité intérieure de l’ambassade, auprès de la police pour vérifier que les opposants n’étaient pas détenus : il m’a répondu qu’ils ne l’étaient pas.

Le Conseil de Sécurité de l’ONU a été saisi de la question le 2 ou le 3 février mais je n’étais pas à New York à ce moment-là. Mon rôle s’est limité à obtenir des autorités tchadiennes leur engagement, par une lettre, de faire appel à la communauté internationale pour recevoir son assistance.

Le président Axel Poniatowski. Je soutiendrai en séance publique le projet de résolution qui vise à ce que la France entreprenne auprès des autorités tchadiennes toutes les démarches nécessaires à l’application des préconisations de la commission d’enquête et notamment la mise en place du comité de suivi restreint. Cette résolution n’a pas d’autre objet et il ne saurait être question de mener une enquête parallèle.

M. Gaétan Gorce. Le projet de résolution a bien été rédigé dans cet esprit. Mais nous devrons entendre encore d’autres personnalités car notre préoccupation du sort d’une personne met en cause les autorités tchadiennes. Il nous faut aller jusqu’au terme des éclairages que nous souhaitons.

Le président Axel Poniatowski. Je précise toutefois que nous ne sommes pas une commission d’enquête parlementaire et que les ambassadeurs qui n’interviennent pas sous serment, peuvent estimer qu’ils ne sont pas habilités à répondre à toutes les questions.

M. Jacques Remiller remplace M. Axel Poniatowski à la présidence de la Commission.

M. Bruno Foucher. La commission d’enquête a travaillé de façon satisfaisante, avec sérieux et crédibilité. Elle a fait œuvre utile, a éclairé des points obscurs, mais aussi invalidé des témoignages qui relèvent de la pure fantaisie. Pour autant, il n’est aucunement question d’oublier l’affaire.

Le comité de suivi fonctionne-t-il bien ? Il continuera de se réunir, probablement avec les nouveaux ministres. Il joue un rôle important pour le fonctionnement du pôle judiciaire, que le gouvernement tchadien doit toujours soutenir pour faire apparaître la vérité.

Le Tchad était un pays très pauvre jusqu’au début de l’exploitation, en 2005, de gisements pétroliers. Il produit maintenant 100 000 barils par jour. Il allait cesser de dépendre de l’aide internationale lorsque est survenue la crise du Darfour. Le paysage tchadien s’est transformé depuis l’arrivée du premier baril : on construit des lycées, des hôpitaux, des routes. Les discours de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international à son égard se sont modérés, ce qui représente un changement radical.

Certes, on observe une évolution politique et économique du pays, mais l’affaire Ibni Saleh est grave. Le Tchad a tout intérêt à la résoudre afin d’aller vers une réconciliation autour de la vérité sans quoi cette affaire restera comme une tache. C’est pourquoi nous poursuivons nos pressions. Cela dit, on ne parle plus beaucoup de l’affaire dans les médias et elle ne constitue plus un sujet de polémique ; seul le poste diplomatique français continue de l’évoquer systématiquement au cours des audiences que nous avons.

Les obstacles politiques ont été levés en vue des élections législatives qui se tiendront le 28 novembre prochain.

Je n’ai pas refusé de répondre à la commission d’enquête : j'ai demandé si je pouvais le faire. Le Quai d’Orsay m’y a autorisé et j’ai été entendu deux fois – avec d’autres ambassadeurs puis seul.

Je me méfie beaucoup des interprétations selon lesquelles, dans un pays comme le Tchad, tout remonte au Président.

M. Gaétan Gorce. C’est ce que dit la commission d’enquête.

M. Bruno Foucher. J’ai pu observer qu’il arrive que le Président donne des instructions qui souvent se perdent dans les sables. Il existe des marges de manœuvre pour des pratiques différentes : le schéma du pouvoir n’est pas une construction parfaitement pyramidale.

Pascal Marlinge a été assassiné le 1er mai 2008 dans des conditions suspectes, par, dit-on, une arme de fabrication française. Or, au Tchad, tout fusil d’assaut qui circule dans l’armée est appelé un Famas, alors que l’armée nationale n’en est pas équipée. Les autorités tchadiennes pensent connaître les responsables – les mêmes qui auraient tué un chauffeur libyen – et des mandats d’arrêt ont été lancés contre eux. Actuellement, ces personnes se sont réfugiées au Soudan, l’une d’entre elles a rejoint un temps la rébellion. L’affaire n’est pas oubliée.

M. François Zimeray. Il faut mettre les déclarations de M. Doucin du 11 février sur le compte d’informations erronées ; beaucoup de rumeurs ont circulé mais il n’a pas connu directement les faits évoqués.

Il est légitime de vouloir savoir ce qui s’est passé en raison de l’histoire des relations entre la France et le Tchad. Mais il faut prendre garde à la théorie de la causalité diabolique, selon laquelle on nous cache quelque chose. Il sera pour la France toujours impossible de prouver qu’elle ne savait pas.

La France s’honore-t-elle à soutenir le régime tchadien ? Si cela signifie se rendre complice de violations des droits de l’homme, même par omission, la réponse est non. Mais si cela signifie accompagner l’évolution du régime à un moment spécial, celui de la mise en place d’une commission d’enquête dont le travail, sans être parfait, se rencontre rarement dans ce genre de pays – elle a procédé à 1500 auditions et présenté des conclusions audacieuses et même cinglantes –, si c’est cela l’apport de la France, la réponse est oui.

Aucun pays ne se prête à la caricature. Le Tchad non plus. À côté des violations des droits de l’homme, se développe, dans la société civile et le monde politique, une aspiration au droit et à des institutions crédibles : nous devons l’encourager.

Comment réagir aux accusations portées par la commission d’enquête ? Il existe des indices précis et concordants, la justice a été saisie, les enquêtes sont en cours et progressent selon les informations dont nous disposons, qui sont limitées par le secret de l’instruction. Il faut attendre la fin de la phase judiciaire. Après quoi, la France prendra ses responsabilités.

Nous ne transigerons pas sur la lutte contre l’impunité, sans préjuger le résultat de l’enquête ni exercer de pressions. Si les mises en cause formulées dans le rapport de la commission d’enquête débouchent sur des accusations puis sur des mises en examen, on pourra considérer cela comme un point positif.

Etant donné la gravité des faits, d’autres instances internationales pourraient intervenir, mais dans le respect de la subsidiarité, qui constitue un des principes de la justice internationale selon la convention de Rome, auquel le Tchad est partie. Il faut que les États soient défaillants, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Il n’existe pas aujourd’hui de cas dans lequel la France serait intervenue pour entraver de quelque manière que ce soit une procédure engagée devant la justice internationale. Les droits de l’homme se placent au dessus de toute autre considération, au Tchad comme ailleurs.

Le rôle de notre pays consiste à accompagner les éléments vertueux d’évolution de la société tchadienne afin de progresser sur la voie d’un État de droit.

M. Gaétan Gorce. La description que vous faites, M. Foucher, de la situation au Tchad est très « sage ».

Revenons aux faits : en tant qu’ambassadeur, vous n’avez pas été informé directement de la disparition d’Ibni Saleh dans des délais suffisamment brefs pour pouvoir réagir auprès du gouvernement ou du Conseil de sécurité ; puis vous n’avez pas obtenu de nouvelles informations car vous étiez occupé notamment par la protection de nos ressortissants, de laquelle l’armée française était chargée ; vous démentez l’affectation de militaires français auprès du président Déby, bien que celui-ci ait reconnu leur présence, notamment celle du colonel Gadonnet. Quelle était la mission de ce dernier ? Etait-il auprès du Président Déby au moment des faits ? A qui rendait-il compte ? Sur l’affaire Choua, vous a-t-il transmis des informations ?

Par ailleurs, d’où les hélicoptères qui ont bombardé des quartiers civils ont-ils décollé ? Est-ce d’un aéroport contrôlé par l’armée française ?

M. l’ambassadeur, vous ne vous prononcez pas sur les conclusions de la commission d’enquête qui mettraient en cause le président tchadien mais, selon vous, ce dernier n’était pas forcément au courant de tout et la justice tchadienne serait la mieux placée pour agir. Ces propos me font l’effet d’une sorte de berceuse.

La résolution que nous proposons à l’Assemblée nationale demande qu’une place soit accordée à la communauté internationale à côté du comité de suivi car nous avons des raisons de douter de l’indépendance de la justice et du nouveau gouvernement tchadien qui ne résulte pas d’un accord global mais d’un désaccord au sein des parties de l’opposition sur la question de la participation à ce gouvernement.

La correspondante de l’Agence France Presse (AFP) et de Radio France internationale (RFI) a été expulsée du Tchad à la fin de février après avoir suivi ces évènements : est-ce en relation avec son enquête sur les disparitions ? Sinon, pour quelle raison ? Etes-vous alors intervenu, comme vous l’aurait demandé notre Président de la République, pour éviter cette expulsion ?

Quelles grandes entreprises françaises exerçaient à l’époque et exercent aujourd’hui des activités au Tchad dans le secteur pétrolier mais aussi en matière d’équipements publics ?

M. Bruno Foucher. Les intérêts économiques français sont peu présents au Tchad, à l’exception de Vinci dans le secteur des infrastructures. La production de pétrole est contrôlée par Exxon, en association avec Petronas et Mobil. Le Tchad se plaint d’ailleurs de la faible présence économique française. Une récente mission du MEDEF en est repartie avec des impressions mitigées sur les opportunités à court terme.

Le Président de la République m’a effectivement demandé d’intervenir dans le cas de la journaliste de l’AFP. Je l’ai fait, dès le lendemain de la visite du Président, auprès du ministre de la communication. L’intéressée n’a pas été expulsée : elle a quitté le Tchad plus tard, son permis de travail n’ayant pas été renouvelé.

J’étais aussi chargé d’organiser un rendez-vous entre le président Déby et Madame Saleh mais celle-ci a refusé cette rencontre.

M. Gaétan Gorce. Peut-on avoir communication des échanges d’informations entre le ministère des affaires étrangères et la commission d’enquête, si de tels échanges ont eu lieu ?

Le gouvernement tchadien a engagé une réflexion sur la réforme du système de santé. Qu’en est-il ?

M. Bruno Foucher. Ce n’est pas à moi d’autoriser la communication des documents de ce type.

Dans le domaine de la santé, le Tchad dépend de l’aide internationale. C’est une priorité de l’Union européenne et la France en a aussi fait l’une des priorités de son document cadre de partenariat signé avec le Tchad en 2006. Aujourd’hui, grâce à l’argent du pétrole, des hôpitaux sortent de terre. Il faut maintenant passer à la formation de médecins. Dans une région où je me suis rendu, les praticiens m’ont dit qu’ils disposaient des moyens de travailler. Depuis que les ressources du Tchad ont augmenté, elles alimentent le secteur de la santé. Mais le Tchad se trouve victime de son statut de pays pétrolier. L’aide internationale diminue car on considère que le pays peut maintenant financer ses programmes. C’est notamment ce qui se passe pour les campagnes de vaccination, jadis financées par des bailleurs internationaux et désormais à la charge des autorités tchadiennes qui n’en ont pas les moyens, d’où la réapparition, par exemple, de la poliomyélite, dont une épidémie partie du Nigéria touche désormais le Tchad. J’ai récemment évoqué cette question avec le Premier ministre tchadien. Nous demeurons attentifs car l’état général de la santé reste mauvais au Tchad, notamment pour les femmes.

M. François Zimeray. La proposition de résolution présente un texte explicite mais repose sur un implicite, qui transparaît dans vos questions. Je veux être très clair : dans l’intérêt des droits de l’homme et dans son propre intérêt, la France ne couvre et ne couvrira personne.

M. Jacques Remiller, président. Messieurs les ambassadeurs, je vous remercie.

La séance est levée à dix-neuf heures.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 23 mars 2010 à 17 heures

Présents. - M. Jean-Paul Bacquet, M. Christian Bataille, M. Claude Birraux, M. Roland Blum, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Chantal Bourragué, M. Hervé de Charette, M. Jean-Louis Christ, M. Pascal Clément, M. Gilles Cocquempot, M. Pierre Cohen, M. Alain Cousin, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean Glavany, M. Gaëtan Gorce, M. Jean Grenet, M. Jean-Claude Guibal, M. Jean-Paul Lecoq, M. Robert Lecou, M. Lionnel Luca, Mme Henriette Martinez, M. Axel Poniatowski, M. Jacques Remiller, M. Jean Roatta, M. Michel Terrot, M. Gérard Voisin

Excusés. - Mme Nicole Ameline, Mme Martine Aurillac, M. Michel Delebarre, M. Michel Destot, M. Tony Dreyfus, M. Jean-Michel Ferrand, Mme Marie-Louise Fort, M. Jean-Jacques Guillet, M. Serge Janquin, M. Jean-Pierre Kucheida, M. François Loncle, M. Didier Mathus, M. Jacques Myard, M. François Rochebloine, M. Jean-Marc Roubaud, M. Michel Vauzelle

Assistait également à la réunion. - Mme Françoise Hostalier