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Commission des affaires étrangères

Mercredi 24 mars 2010

Séance de 10 h 00

Compte rendu n° 47

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de MM. François d’Aubert, délégué général à la lutte contre les territoires et juridictions non coopératifs, président du groupe d'évaluation des juridictions non coopératives de l'OCDE et Rick McDonell, secrétaire exécutif du Groupe d’action financière (GAFI) (ouverte à la presse)

– Information relative à la commission

Audition de MM. François d’Aubert, délégué général à la lutte contre les territoires et juridictions non coopératifs, président du groupe d'évaluation des juridictions non coopératives de l'OCDE et Rick McDonell, secrétaire exécutif du Groupe d’action financière (GAFI)

La séance est ouverte à dix heures.

M. le président Axel Poniatowski. Mes chers collègues, nous accueillons ce matin M. François d’Aubert, délégué général à la lutte contre les territoires et juridictions non coopératifs, et M. Rick McDonell, secrétaire exécutif du Groupe d’action financière – GAFI. Je vous rappelle que cette double audition est ouverte à la presse et est retransmise en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale.

Notre commission des affaires étrangères doit examiner dans les prochaines semaines plus d’une quinzaine de conventions bilatérales portant principalement sur l’échange de renseignements en matière fiscale.

Si je vous précise que ces conventions concernent non seulement les Bahamas, Gibraltar, Saint-Marin, le Liechtenstein, Guernesey, Jersey, l’Île de Man, mais également les Îles Vierges britanniques, Andorre, les Bermudes, les Îles Turks et Caïcos, ou encore les Îles Caïmans, vous aurez immédiatement compris qu’il s’agit là de ce qu’il est convenu d’appeler des paradis fiscaux.

En dépit de la publication par l’OCDE en 2000 de la liste de ces paradis fiscaux, ces derniers n’avaient guère amélioré leurs pratiques, même si nombre d’entre eux s’étaient déclarés prêts à adopter les normes internationales en matière de transparence.

Grâce à la détermination politique des pays du G 20 et sous l’impulsion des ministres français et allemand, la situation a connu à la fin de l’année 2008 une évolution favorable.

L’ensemble de ces territoires non coopératifs ont reconnu les standards internationaux en matière de transparence et d’échanges d’informations et les pays figurant sur la liste grise établie par l’OCDE en avril 2009 se sont engagés dans la signature d’accords internationaux permettant l’échange de renseignements.

Voilà pourquoi notre commission est saisie d’une longue série de projets de loi autorisant l’approbation d’accords bilatéraux pour permettre l’échange d’informations en matière fiscale. Si l’objet de ces conventions reste de nature fiscale, elles constituent toutefois une première étape visant à établir de façon générale une plus grande transparence sur les activités financières qui s’effectuent dans ces pays ou territoires et à les soumettre aux règles internationales. En effet, c’est bien souvent par ces territoires que transitent et sont blanchis les fonds provenant de la corruption et de la drogue, ou ceux qui sont destinés à financer le terrorisme.

C’est pourquoi j’ai estimé qu’il serait intéressant pour notre commission des affaires étrangères d’avoir une connaissance plus globale de la situation des territoires non coopératifs sur le plan fiscal comme sur le plan juridique ou judiciaire. J’ai donc convié M. Rick McDonell, secrétaire exécutif du GAFI, à nous exposer les principaux domaines d’intervention du GAFI et à nous faire part des dernières tendances observées et des évolutions qui sont intervenues, notamment en matière de flux financiers d’origine illicite qui se réfugient dans les territoires non coopératifs ou dans les pays considérés comme des juridictions à hauts risques.

M. François d’Aubert, qui se retrouve aujourd’hui parmi nous dans un univers familier, a, quant à lui, été nommé en septembre 2009 président du groupe d’évaluation des juridictions non coopératives de l’OCDE sur la transparence et l’échange d’informations. Il est, à ce titre, chargé de suivre la mise en œuvre des recommandations du G 20 concernant les pratiques non coopératives de certains États dans la lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment de capitaux ou le renforcement des contrôles prudentiels. Il nous parlera plus précisément des initiatives prises par la France dans ce domaine où notre pays est particulièrement engagé.

M. François d’Aubert, délégué général à la lutte contre les territoires et juridictions non coopératifs. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je suis très heureux de me retrouver parmi vous pour évoquer un sujet, certes ancien, mais qui a été l’objet d’un regain d’intérêt depuis la crise financière : c’est pourquoi le G 20 de Londres a considéré qu’il convenait d’en renouveler l’approche.

La crise a en effet mis l’accent sur un phénomène qu’on soupçonnait déjà, à savoir le caractère trois fois déstabilisateur des territoires et des juridictions dits « non coopératifs » : ils le sont en effet dans le domaine fiscal, en matière de blanchiment d’argent et sur les questions d’ordre prudentiel. Il faut savoir que le mot « juridictions » recouvre à la fois des États souverains, des dépendances, notamment de la couronne britannique, voire certains des États composant des fédérations.

Ces juridictions sont, je l’ai dit, déstabilisatrices tout d’abord sur le plan fiscal, du fait que, en tant que paradis fiscaux, elles privent les États de ressources fiscales. Elles le sont ensuite sur le plan des pratiques financières, puisque, en permettant le blanchiment de l’argent, elles couvrent des pratiques criminelles, en commençant par la fraude. Elles le sont enfin sur le plan des circuits financiers : on s’est en effet aperçu de l’importance acquise par certaines structures ou certains produits financiers, qui se sont développés depuis une dizaine d’années, notamment les hedge funds ou encore les special purpose vehicles – ceux-ci, qui sont des véhicules financiers destinés à un objectif particulier, président généralement à des opérations hors bilan de la part du monde financier. Or ces produits ou ces structures sont accrochés à des territoires non coopératifs. Je prendrai l’exemple de la banque britannique Northern Rock, qui a été nationalisée à la suite de son engagement excessif dans les crédits hypothécaires américains : une structure domiciliée à Jersey – Granite – portait pour quelque 50 milliards de livres de dettes qui auraient dû figurer dans les comptes de Northern Rock ! Une grande partie du jeu financier a donc profité de l’extrême opacité fiscale, mais surtout juridique, de ces territoires non coopératifs, avec lesquels les échanges d’informations se révèlent très difficiles. En l’absence d’observatoire sur les aspects macroéconomique et macrofinancier, il est du reste très difficile d’obtenir des statistiques relatives au niveau financier d’utilisation de ces territoires : une somme importante – on évoque le chiffre de 10 000 milliards de dollars – est en quelque sorte stockée dans cet ensemble de juridictions aux frontières assez floues, puisque les listes de l’OCDE, du GAFI ou du FSB (Financial Stability Board) ne se recoupent pas nécessairement : certains pays ne sont pas supervisés par les autorités internationales, notamment dans le cadre de relations bilatérales.

Depuis le G 20 de Londres, des progrès considérables ont été accomplis grâce à une prise de conscience de tous les gouvernements. Certains ont évidemment montré plus d’allant que d’autres en la matière : il convient, à cet égard, de souligner le consensus de la France, de l’Allemagne, des États-Unis et, à un certain degré, du Royaume-Uni, visant à approfondir la coopération et l’échange d’informations en matière fiscale, en matière de blanchiment d’argent comme dans le cadre prudentiel, afin que les opérations financières qui passent par ces juridictions soient les plus transparentes possibles, ce qui est assurément une gageure.

Le combat contre les juridictions non coopératives s’est tout d’abord engagé, en matière de blanchiment d’argent, sur un plan multilatéral dans le cadre du GAFI, qui regroupe la plupart des pays de l’OCDE, plus quelques autres. Cette lutte avait commencé depuis longtemps mais ces institutions ont été réveillées par le G 20 de Londres. En effet, à la fin des années 90 et au début des années 2000, certaines juridictions non coopératives avaient déjà pris des engagements pour lutter contre l’opacité et améliorer l’information. Certaines les avaient tenus, d’autres non, ce qui a rendu nécessaire l’exercice d’une pression politique homogène. Ce fut le cas jusqu’au 11 septembre. Après les attentats, l’accent principal a été mis sur la lutte contre le terrorisme, ce qui, tout en étant parfaitement légitime, a eu l’inconvénient de rendre, je dirai, plus aimable, moins rigoureux et moins vigoureux le combat sur le plan fiscal, notamment en matière d’échanges de renseignements. Des pays qui avaient pris des engagements sur ce point ne les ont pas tenus, faute d’avoir pris les mesures internes nécessaires, si bien que l’administration qui demandait des informations se heurtait, chaque fois, à un mur. Le G 20 de Londres a permis de réaliser de réels progrès grâce à la signature de conventions bilatérales entre les juridictions non coopératives et d’autres pays, qui peuvent être également des juridictions non coopératives. La généralisation de la coopération permet de créer un double réseau d’accords d’échanges de renseignements – c’est le degré minimal – et de conventions de double imposition, dans lesquelles on insère des dispositifs précis se rapportant au standard de l’OCDE établi en 2005. Je pense notamment à l’article 26, qui dresse les obligations des États en matière de transparence fiscale. Des avenants ont également été signés.

Depuis un an, ce sont ainsi plus de 300 conventions qui ont été signées dans le monde, permettant de tisser un réseau très serré d’échanges de renseignements à usage fiscal. Pour les pays qui s’engagent dans ces nouvelles conventions, des dispositifs sont prévus pour faire reculer le secret bancaire à usage fiscal. C’est la raison pour laquelle les conventions que le Parlement aura à examiner sont des conventions beaucoup plus exigeantes en matière d’échange de renseignements afin d’éviter que le diable ne se cache dans les détails. Trop souvent, en effet, un pays, auquel sont demandés des renseignements d’ordre fiscal sur un particulier ou une société, se barricade, pour ne pas répondre, derrière des dispositions d’ordre constitutionnel ou administratif. Nous observons du reste des évolutions notables avec des pays comme le Luxembourg ou la Suisse, qui sont évidemment très importants pour la France, puisque c’est avec eux que nous entretenons les relations financières ou fiscales les plus nombreuses.

Un second cadre a été utilisé, celui du Forum mondial de l’OCDE, qui est une création des années 90, et qui, réuni à Mexico en 2009, a décidé de mettre en place, sur le modèle du système d’évaluation du GAFI, un système d’évaluation permanent des réglementations et des législations internes de chacune de ces juridictions, afin, notamment, de mesurer l’efficacité réelle des dispositifs mis en application, en s’assurant, par exemple, qu’un texte adopté ne reste pas lettre morte.

Il convient d’ajouter à ces dispositifs le recours aux listes – noire ou grise –, système qui a pour objectif, en quelque sorte, de faire honte à certaines juridictions. En dépit des critiques dont il est l’objet, c’est, à mes yeux, un bon système parce qu’il provoque une véritable évolution des législations internes de certains territoires en raison de la pression que fait peser sur eux le risque de se voir inscrits sur une liste noire ou grise. Du reste, l’annonce, par le G 20, qu’il sera possible pour ces pays d’être rayés de ces listes à condition de signer douze conventions, a créé une forte incitation, si bien que les listes se sont réduites au bénéfice de la création d’un réseau de conventions internationales d’échange de renseignements. Il est vrai que certains pays n’ont pas joué le jeu et que, parmi les douze conventions, certaines ont été signées avec d’autres paradis fiscaux, voire avec des pays avec lesquels ils n’entretenaient aucune relation : une convention signée avec le Danemark étant applicable aux Îles Féroé et au Groenland, certains États sont ainsi devenus partenaires de ces deux territoires en l’absence de toute relation.

Il était indispensable de prévoir un système permettant de remplacer celui des listes : tel est précisément l’objectif de l’évaluation mise en place par l’OCDE dans le cadre du Forum mondial. En tant que président du groupe d'évaluation des juridictions non coopératives de l’OCDE, j’ai signé, la semaine passée, un questionnaire très exigeant en termes de références, notamment en ce qui concerne la disponibilité de l’information sur les banques et les propriétaires réels de structures tels que trusts, fondations ou IBC (International business corporations). Ce nouveau système exige des législations très transparentes de la part des juridictions concernées. Au cours d’une première phase, quarante pays seront évalués avant la fin de l’année.

Les critères sont ceux de tous les systèmes d’évaluation internationale financière ou fiscale : sur chaque point examiné, les pays sont déclarés conformes, non-conformes, largement conformes ou partiellement conformes, ce qui permettra de ranger les pays par catégories. J’ignore pour l’instant si des listes noire, grise ou blanche seront établies à partir de cette évaluation : il reviendra à une instance politique telle que le G 20 de le décider éventuellement. Il n’en demeure pas moins que nous disposerons d’une évaluation aussi sérieuse que transparente, effectuée par les pairs : chacun s’observant, les pays ont tendance à jouer cartes sur table.

Par ailleurs, un système de sanctions et de contre-mesures coordonnées s’applique aux États véritablement récalcitrants ou allergiques à toute mise aux normes : en effet, les pays du G 20 se sont engagés à prendre des contre-mesures ou des sanctions contre les opérateurs qui ont recours à ces pays. C’est ainsi que le gouvernement français a récemment publié un arrêté établissant une liste noire officielle, qui contient à l’heure actuelle dix-huit juridictions ne témoignant d’aucune volonté de coopération – je rappelle que cette liste ne saurait mentionner des pays membres de l’Union européenne en raison de l’action particulière qui est menée en la matière au sein de l’Union au travers des directives, notamment la directive « Épargne ». Cette liste sera mise à jour tous les ans par le Gouvernement.

La lutte devient donc beaucoup plus serrée. Il convient de faire comprendre aux opérateurs qu’ils prennent des risques beaucoup plus importants qu’auparavant en montant des opérations financières dans des juridictions non coopératives : ceux d’être contrôlés et sanctionnés ou d’avoir à établir des comptes rendus plus détaillés – je rappelle que nous sommes dans le cadre d’un échange d’informations à la demande et non automatique, sauf pour l’Union européenne. Cet important progrès devrait se traduire par quelques rentrées fiscales supplémentaires pour les pays qui s’en donneront, au plan national, les moyens en termes de contrôle fiscal, et par une lutte accrue contre le blanchiment, qui, contrairement à ce que pensent d’aucuns, demeure un sujet de préoccupation aussi important que l’évasion fiscale en raison de la diminution des échanges financiers. Enfin, en ce qui concerne le domaine prudentiel, le fait que certains paradis fiscaux deviennent coopératifs permet d’abattre les paravents opaques derrière lesquels se dissimulent propriétaires et actionnaires.

M. Rick McDonell, secrétaire exécutif du Groupe d’action financière. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de votre invitation car c’est pour moi toujours un honneur que de contribuer aux travaux des différentes commissions de l’Assemblée nationale. Votre invitation témoigne de l’intérêt que vous portez aux travaux du GAFI.

Le GAFI a été créé en 1989 à l’occasion d’un sommet du Groupe des Sept afin de développer des normes et mesures visant à lutter contre le blanchiment des capitaux (LBC). Après les évènements du 11 septembre 2001, notre mandat a été élargi à la lutte contre le financement du terrorisme (FT).

Depuis sa création, le GAFI fonctionne dans le cadre d’un mandat défini : c’est donc une task force (groupe d’action) qui peut répondre aux menaces dès qu’elles apparaissent. Le mandat actuel du GAFI, qui couvre la période 2004-2012 a été revu à mi-parcours en 2007 et en 2008 ; il a été confirmé et révisé par les ministres responsables en avril 2008.

La priorité du GAFI demeure la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme à l’échelle mondiale, par la mise en œuvre complète de normes internationales élaborées à partir des 40+9 Recommandations du GAFI. En effet, nous fixons des normes et évaluons leur mise en œuvre de manière très rigoureuse. Comme M. d’Aubert l’a rappelé, le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales a commencé à évaluer les pays en s’inspirant des mécanismes du GAFI. Depuis une vingtaine d’années maintenant, nous avons examiné tous les pays qui se sont engagés dans la LCB/FT : nous sommes en train de réaliser le troisième cycle d’évaluation des pays. Nous disposons également de huit groupes régionaux (groupes régionaux de style GAFI ou FATF-style regional bodies) qui suivent le même modèle d’évaluation, si bien que quelque 180 juridictions respectent, sur un plan politique et technique, la mise en œuvre de ces normes.

Par ailleurs, nous examinons de près toute méthode, toute tendance et tout nouveau modus operandi permettant ou facilitant le blanchiment des capitaux.

L’absence dans un pays de mesures contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme accroît sa vulnérabilité en le rendant extrêmement attractif pour ceux qui souhaitent utiliser son système financier en vue de faire transiter des capitaux à des fins illicites, y compris pour financer le terrorisme. C’est pourquoi un aspect fondamental de nos travaux consiste à identifier les risques que présentent certains pays afin d’y remédier. À cette fin, le GAFI, au cours des années écoulées, a recouru à différentes méthodes. Entre 2000 et 2006, il a réalisé un exercice qui a porté sur les pays et les territoires non coopératifs – Non-Cooperative Countries and Territories ou NCCT –, exercice qui a fait l’objet, à l’époque, d’une certaine publicité. Celui-ci a été concluant puisque, sur soixante pays ou juridictions étudiés, vingt-trois ont figuré sur une liste recensant les territoires ne prévoyant aucun système efficace de lutte contre le blanchiment des capitaux. Ces vingt-trois pays ont accompli, depuis lors, des progrès significatifs si bien qu’ils ne figurent plus sur cette liste – le dernier pays a été retiré de la liste en octobre 2006.

En 2007, nous avons engagé un nouveau processus d’analyse des systèmes des juridictions où le risque perdure ou qui en présentent de nouvelles menaces en matière de blanchiment des capitaux, de financement du terrorisme ou de flux financiers à des fins illicites. Nous avons publié, en 2008, plusieurs déclarations concernant des défaillances dans des pays tels que l’Iran, l’Ouzbékistan, le Pakistan, le Turkménistan, Sao-Tomé-et-Principe et la partie nord de Chypre. En rendant publiques ces déclarations, nous invitions non seulement les gouvernements mais également les institutions financières, telles les banques, et les régulateurs financiers à porter une attention plus particulière aux transactions avec ces pays. Outre que tous les membres du GAFI ont prévenu leurs institutions financières des risques existants, le GAFI a demandé l’application de contre-mesures, notamment à l’encontre de l’Iran. Les juridictions visées ont pris des mesures correctives pour lutter contre les défaillances : la partie nord de Chypre et l’Ouzbékistan ont fait suffisamment de progrès pour que le GAFI cesse sa surveillance étroite.

Toutefois, en cette même année 2008, le GAFI a renforcé encore son processus d’analyse, à la suite de l’appel du G 20 visant à répondre aux menaces nouvelles qui ont surgi avec la crise économique et financière mondiale. Le mois dernier, nous avons publié, notamment sur notre site internet, deux documents. Le premier document identifie quatre nouvelles juridictions : l’Angola, la République démocratique populaire de Corée, l’Équateur et l’Éthiopie, qui présentent des défaillances significatives, et nous avons appelé nos membres à s’intéresser tout particulièrement à ces pays.

Le GAFI dispose d’un menu d’actions auquel il recourt par le truchement de ses membres : il peut, comme l’a évoqué M. d’Aubert, faire procéder, par des pairs, à des examens approfondis et rigoureux, ou encore exercer une pression internationale par le biais de déclarations publiques. Il peut également adopter des contre-mesures. C’est ainsi que nous pouvons demander aux membres du GAFI, ainsi qu’à nos partenaires régionaux, de s’assurer que leurs établissements financiers font preuve d’une vigilance accrue en matière de transactions avec les pays visés, entre ces pays ou avec des individus ou des entités présents dans ces pays, ce qui peut se traduire par des sanctions financières à l’encontre d’un individu, d’une entité, voire d’un pays donnés.

Il est possible à terme de limiter, voire d’interdire les transactions financières avec certains individus ou entités d’un pays.

Nous avons par ailleurs publié un autre document qui identifie vingt autres juridictions présentant des manquements significatifs. Celles-ci présentent assurément un risque élevé mais ne peuvent toutefois être considérées comme « non coopératives » au sens strict du terme car elles ont témoigné d’un engagement politique de haut niveau auprès du GAFI et ont adopté des plans d’action avec des dates butoirs pour l’adoption de mesures correctives. C’est la raison pour laquelle nous séparons ce groupe de vingt pays du groupe des pays les plus préoccupants. Toutefois, ces défaillances subsistant, nous avons décidé de les rendre publiques et nous continuerons de surveiller de près les progrès accomplis – nous ferons un bilan à chacune des trois réunions plénières annuelles du GAFI. Si les progrès sont jugés suffisants, nous diminuerons les pressions ; en revanche, nous pourrons les accroître si nous considérons que l’application des mesures correctives prend du retard.

Nous avons également mis en place un mécanisme d’évaluations mutuelles, qui repose sur des analyses approfondies du niveau de conformité. Si nous estimons que le niveau de conformité d’un pays est défaillant, celui-ci entre dans le processus de suivi avec les conséquences éventuelles que j’ai déjà évoquées.

À terme, nous aurons étudié la conformité des mesures de quelque cent juridictions. Nous demanderons publiquement des comptes aux juridictions dont le niveau de conformité sera jugé insuffisant.

En ce qui concerne le financement du terrorisme, nous avons adopté neuf recommandations spéciales après les attentats du 11 septembre. Elles visent à rendre nécessaire un engagement politique et la mise en œuvre des mesures nécessaires pour ratifier et immédiatement appliquer toutes les conventions des Nations unies pertinentes, criminaliser le financement du terrorisme, geler et confisquer les actifs liés au terrorisme, signaler toute transaction suspecte liée au terrorisme, apporter, sur le plan de la coopération internationale, l’assistance la plus large possible en matière d’entraide judiciaire ou d’échange de renseignements dans le cadre des enquêtes, lutter contre le blanchiment des fonds, notamment dans le cadre d’un réseau informel de transferts de fonds non bancaires, encore appelé « système souterrain », afin de le réglementer, exiger une réglementation en matière de transferts ou d’envois de fonds télégraphiques ou par câble, lutter contre l’utilisation frauduleuse des organisations à but non lucratif et détecter, enfin, les passeurs de fonds – nous assistons en effet au développement d’un phénomène très inquiétant en la matière depuis que nous avons remédié à certaines lacunes.

Telle est, monsieur le président, la présentation, très rapide, que je souhaitais faire de l’institution que j’ai l’honneur de représenter.

M. Daniel Garrigue. Comme vous, monsieur d’Aubert, je suis convaincu qu’il existe un lien très étroit entre paradis fiscaux et paradis financiers. Je l’ai souligné dans le rapport que j’ai présenté l’an dernier avec Élisabeth Guigou.

J’en viens à mes questions, qui s’adressent principalement à M. d’Aubert. Quelle est la portée des accords bilatéraux ? Pour sortir de la liste grise de l’OCDE, un pays doit conclure douze accords bilatéraux – Monaco, par exemple, en a signé neuf –, mais beaucoup de ces accords sont conclus entre paradis fiscaux et ne s’étendent pas à l’ensemble des États membres de l’OCDE.

Par ailleurs, l’échange d’informations n’a pas un caractère automatique puisqu’il est effectué sur demande. Sur quoi peut se fonder la demande d’un État envers un autre État ? À cet égard, les difficultés que nous rencontrons avec la Suisse n’ont pas été évoquées : aux termes de l’accord tel qu’il avait été signé, il suffisait pour obtenir une information de faire référence à une personne, à son adresse et à une période donnée, sans préciser la banque dans laquelle cette personne effectuait ses dépôts ; or, sur ce point, les Suisses semblent vouloir revenir en arrière.

La liste des pays concernés établie par le Gouvernement est dérisoire. Les États membres de l’Union européenne sont exclus du fait que la directive « Épargne » prévoit l’échange automatique d’informations. Mais pour que cet échange soit généralisé, il faudrait un accord unanime, et en l’absence d’un tel accord, nous restons dans le cadre d’accords intergouvernementaux. Pourquoi une telle exclusion ?

M. Dino Cinieri. Je remercie les deux intervenants pour la qualité de leurs exposés. Lors de la réunion plénière du Groupe d’action financière, qui s’est tenue en octobre dernier à Paris, des craintes ont été exprimées quant à l’incapacité de l’Iran à traiter significativement les défaillances constantes et substantielles de son régime de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Qu’en est-il aujourd’hui ? Doit-on, comme pour le nucléaire, craindre un enlisement en la matière ?

Au cours des derniers mois, plusieurs nations, jusqu’à présent pointées du doigt, ont signé des accords d’échange de renseignements en matière fiscale – le Liechtenstein, Andorre et les Bahamas. Ces accords ont-ils déjà porté leurs fruits ?

M. Michel Terrot. Ma question, très subsidiaire, porte sur un problème qui frappe de plus en plus les quartiers difficiles. Dans ces quartiers, les « points-phone » se sont multipliés. Or il existe un décalage évident entre le niveau de vie des responsables et la réalité de ces commerces. Avez-vous déjà engagé une réflexion sur cette question ?

Mme Élisabeth Guigou. Je vous remercie, messieurs, pour vos exposés très complets.

Le G 20 a effectivement réveillé des systèmes qui s’étaient endormis. Mais nous avons toujours l’impression d’un manque de rapidité et de visibilité. Au reste, nous avons perdu dix ans. En 1999, nous disposions de trois listes : celle de l’OCDE sur l’évasion fiscale, celle du GAFI sur le blanchiment d’argent et celle du Forum de stabilité financière sur l’évasion réglementaire et les paradis financiers. Ces listes ont disparu, et les événements du 11 septembre n’en sont pas les seuls responsables. En réalité, nous avons relâché notre vigilance face à l’extension du système financier et fait preuve d’une tolérance excessive vis-à-vis d’opérations qui ont conduit à la crise que nous subissons depuis septembre 2008.

Comment faire renaître une volonté politique – elle a fait défaut pendant dix ans – et permettre une meilleure visibilité des listes ? Je me réjouis de voir que, deux ans après le début de la crise, le GAFI a établi une liste, mais je m’étonne de ne pas y trouver un pays comme Singapour, par exemple, alors que tous les magistrats spécialisés dans la lutte contre les infractions financières tiennent ce territoire pour l’un des plus opaques du monde, avec Hong Kong et Macao.

Par ailleurs, quelle sanction, en dehors de l’opprobre, envisagez-vous pour les opérateurs qui utilisent les paradis fiscaux ? La France a fait un geste, mais où en sommes-nous au niveau européen ? Il est clair que si l’ensemble des banques européennes et américaines décidaient, du jour au lendemain, de stopper leurs opérations avec les territoires non coopératifs, cela réglerait le problème de la concurrence entre banques. Certes, ce n’est pas le sujet central de la crise, mais cela pourrait bien le devenir si nous faisons des progrès en matière de réglementation bancaire.

M. Lionnel Luca. Vous indiquez que les États-Unis participent activement à la lutte contre les fraudes, mais certains États américains sont considérés comme des paradis fiscaux, en particulier le Delaware. Comment la Communauté internationale peut-elle accepter une telle schizophrénie ?

D’autre part, existe-t-il des liens entre le terrorisme et ce que l’on appelle la finance islamique ?

M. Jean-Paul Lecoq. M. McDonell insiste sur la rigueur nécessaire en matière de normes. Ce qui est important, ce sont les critères d’évaluation.

La France, qui cherche à faire revenir les capitaux sur son territoire, mène un combat intransigeant à l’encontre des paradis fiscaux. Toutefois, dans le même temps, elle prend des dispositions visant à réduire la durée du délai dans lequel il est possible d’intervenir en matière de délits fiscaux et de délits financiers. De tels détails ne risquent-ils pas de nous tirer vers le bas ? Par ailleurs, les sanctions qui s’appliquent à ces délits sont dérisoires – je suis d’accord avec Mme Guigou sur ce point. Pourquoi ne pas appliquer aux délits financiers et aux délits fiscaux la fameuse tolérance zéro ?

M. François Asensi. Le maître mot en la matière est la transparence, tout le monde en convient. Or, celle-ci existe-t-elle dans la volonté politique des États d’aller jusqu’au bout et de rechercher les responsables, à savoir ceux qui, en gonflant la bulle financière et en spéculant, ont contribué en grande partie à la crise financière internationale ?

Je crains que la prise de conscience de certains États – dont la France, qui a joué un rôle important – ne s’accompagne pas de la volonté politique d’aller jusqu’au bout. Les principales banques européennes poursuivent leurs transactions avec les paradis fiscaux, et le chiffre présenté par M. d’Aubert est éloquent : 10 000 milliards de dollars transiteraient dans les paradis fiscaux. Pourquoi ne pas interdire aux banques européennes d’engager des transactions avec ces pays ?

En matière de contrôle, pourquoi ne pas imposer aux paradis fiscaux de tenir des registres des sièges sociaux qui sont implantés sur leur territoire ?

Il est fait état des résultats des entreprises au niveau mondial. Pourquoi ne présente-t-on pas les résultats obtenus par telle entreprise ou filiale d’une multinationale dans chaque paradis fiscal ?

Enfin, pourquoi ne pas imposer des accords multilatéraux, passés sous l’égide de la Communauté internationale, au lieu de laisser deux États voyous signer un accord « bidon » ?

M. Philippe Cochet. En dehors d’Al-Qaïda, quelles sont les organisations terroristes qui profitent d’un financement opaque ? Le travail que vous menez a-t-il tendance à tarir ces transactions ou reste-t-il insuffisant ?

M. François d’Aubert. Les avenants et nouvelles conventions bilatérales de double imposition et d’échange de renseignements signés par la France sont conformes au modèle OCDE de 2005 qui oblige notamment – et pas seulement en cas de blanchiment ou de fraude – l’Etat requis lors du contrôle fiscal d’un contribuable offshore non déclaré à fournir de l’information détenue par des banques, autrement dit la levée du secret bancaire. Pour que celle-ci puisse être effective, certains pays se sont en outre engagés à supprimer les obstacles constitutionnels et législatifs ainsi que la distinction opérée en droit interne, suisse par exemple, entre évasion et fraude fiscale qui constitue depuis longtemps un obstacle dirimant à l’échange d’informations. Autre progrès, les nouvelles conventions interdisent toute restriction relative à ce que l’on appelle « l’intérêt domestique » : à l’avenir l’Etat requis devra s’obliger à rechercher un renseignement d’intérêt fiscal, même si celui-ci est inutile pour l’intérêt de sa propre législation.

Pour les trusts et autres entités juridiques favorisant l’opacité et de plus en plus utilisés dans les montages d’optimisation et d’évasion fiscale, les nouvelles conventions obligent aussi les Etats et les juridictions à rendre accessible et disponible l’information financière, comptable et fiscale concernant à la fois les propriétaires légaux, mais aussi les bénéficiaires effectifs de ces dispositifs. C’est un point essentiel car, avec les dispositions actuelles les trusts et leur combinaison avec d’autres structures opaques constituent autant de murs infranchissables nuisant gravement à l’efficacité des contrôles fiscaux transnationaux.

Cela dit, il existera toujours des nuances d’un pays à l’autre ; elles peuvent être interprétées comme des limites, mais il n’en demeure pas moins que nous serons plus efficaces lorsqu’un certain nombre d’obstacles seront levés. Aussi je me réjouis que le calendrier parlementaire permette à l’Assemblée et au Sénat de se pencher sur ces conventions, qui ont été négociées il y a déjà quelques mois. Cela étant, outre que leur application ne sera pas immédiate dans la mesure où elles doivent être ratifiées par les deux pays concernés, elles ne seront pas rétroactives : pour ce qui est des personnes physiques, elles ne pourront s’appliquer que sur les revenus perçus en 2010.

Une autre limite importante vient de ce que nous appliquons la norme de l’OCDE, laquelle repose sur le consensus. Or, pour lutter plus efficacement contre l’évasion fiscale, la fraude fiscale, les dérapages divers et variés et les délits comme le blanchiment, il faut que tous les pays concernés acceptent les mêmes normes. Ce consensus politique existe, mais il doit être juridiquement décliné par tous les pays, y compris par ceux qui reprochent aux juridictions de n’être pas suffisamment transparentes.

En matière de sanctions, la France a récemment pris des mesures. L’Allemagne l’a fait également, sans toutefois établir une liste, ainsi que les États-Unis. Au Royaume-Uni, Alistair Darling, le chancelier de l’Echiquier, a annoncé il y a quelques jours que le doublement des sanctions financières pour les revenus non déclarés figurerait dans le prochain budget.

Nous pouvons certainement faire plus. Cela dit, l’Europe a fait de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale l’une de ses priorités, en témoignent la nouvelle directive « Épargne » ou celle sur les hedge funds, qui est actuellement en discussion – même si la négociation est difficile.

Les États fédéraux posent un problème particulier. En Suisse, par exemple, chaque canton a sa propre politique fiscale. C’est le cas depuis longtemps de Zoug, rejoint depuis peu par les petits cantons historiques comme Schwyz ou Glarus. Dans certains cantons, on ne paie pas d’impôt sur le revenu, dans d’autres on paie l’impôt sur la fortune…

De la même manière, aux États-Unis, les États disposent d’une certaine autonomie fiscale. Et le système en vigueur, s’il pose des problèmes juridiques, présente l’avantage de faciliter le règlement des conflits commerciaux. Il n’en reste pas moins que les États-Unis sont attaqués aujourd’hui sur la fiscalité d’États comme ceux du Delaware, du Montana ou du Nebraska.

M. le président Axel Poniatowski. En bref, monsieur McDonell, sommes-nous suffisamment sévères avec les paradis fiscaux ?

M. Rick McDonell. Je répondrai aux questions qui concernent directement le GAFI.

S’agissant de l’Iran, on constate des progrès, mais ils sont insuffisants pour que le GAFI envisage de retirer sa publication mentionnant les défaillances. Cela dit, suites aux décisions du GAFI, les autorités iraniennes ont pris certaines mesures, par exemple la mise en place d’une unité spéciale dédiée à la lutte contre le blanchiment des capitaux et l’amélioration de la législation en la matière. Toutefois, des défaillances subsistent en raison de l’absence de législation en matière de lutte contre le financement du terrorisme. Des discussions ont eu lieu à ce sujet entre le Secrétariat du GAFI et l’Iran, qui devrait, dans les six mois à venir, élaborer un texte de loi à cet effet.

En ce qui concerne l’efficacité, d’une manière générale, c’est une chose de disposer d’une réglementation, c’en est une autre d’appliquer les lois de façon rigoureuse et d’en assurer le respect.

Quels sont les résultats obtenus par le GAFI ? En toute franchise, j’estime que les normes du GAFI sont appliquées de façon très rigoureuse – je mets de côté la question politique du niveau d’acceptabilité et celle de la réaction des pays face à un rapport mutuel d’évaluation détaillée. Les rapports du GAFI, qui contiennent généralement de 200 à 300 pages, constituent une véritable enquête sur tous les aspects financiers, juridiques et répressifs d’un pays, à partir d’une série de critères très précis : ce pays dispose-t-il de lois qui criminalisent le blanchiment des capitaux ? Que fait-il pour y parvenir ? Combien de cas ont été traités par la justice ? Quel est le montant des actifs saisis ou confisqués ? Les évaluations suivent des critères précis et sont publiées sur notre site Web.

Les rapports du GAFI identifient les défaillances de chaque pays et déterminent s’il respecte totalement, partiellement ou pas du tout les normes fixées. Le pays concerné apporte alors une réponse technique précise sur ce qu’il entend faire, et à quelle échéance, pour remédier à ses lacunes, et prend un engagement politique. Il appartient à chaque pays de répondre à la demande qui lui est faite, mais nous exerçons une pression pour que l’engagement politique pris par un pays se traduise par des mises en conformité techniques. C’est exactement ce à quoi travaillent les juridictions dans les territoires non coopératifs.

Lorsque nous avons identifié les lacunes et les défaillances, si nous constatons qu’un pays ne souhaite pas remédier à ses problèmes de conformité, nous utilisons le processus suivant : opprobre, déclaration publique, contre-mesures, sanctions financières. Il ne s’agit pas de mesures ponctuelles mais récurrentes. Nous exerçons un suivi constant et régulier jusqu’à ce que le pays apporte les remèdes nécessaires.

Il est heureux pour moi que Mme Guigou ait quitté la salle, car sa question était très embarrassante… Non, nous n’avons pas perdu dix ans. Le GAFI, avec diverses organisations associées de par le monde, a évalué quelque 130 pays de façon très détaillée et vérifie régulièrement que chacun d’entre eux comble ses lacunes. Ce processus fonctionne de façon satisfaisante.

Cela dit, entre la question des paradis fiscaux, qui vous préoccupe, et celle du blanchiment des capitaux, qui intéresse particulièrement le GAFI, le parallèle n’est pas parfait. Si certains pays sont en mesure d’assurer la conformité en matière de supervision du blanchiment des capitaux, d’autres, pour des raisons commerciales et politiques, ne veulent pas respecter les exigences fiscales. Il n’en reste pas moins qu’un système efficace de lutte contre le blanchiment des capitaux doit permettre de progresser en matière fiscale. Pour le GAFI, qui est confronté à des transactions suspectes, le produit de la fraude fiscale doit être pris en considération : nous travaillons actuellement sur cette question afin d’inclure ce délit parmi les infractions sous-jacentes au blanchiment de capitaux.

Cette différence s’explique par le fait que les organisations internationales fonctionnent sur le consensus. Jusqu’à présent, les délits fiscaux n’étaient pas inclus dans le mandat du GAFI. Ce sera bientôt le cas, et cela nous permettra de progresser. N’y voyez pas de ma part une excuse mais une façon de vous expliquer que nous voulons assurer la conformité avec un certain nombre de normes, qui concernent principalement le système judiciaire. L’OCDE s’intéresse surtout aux aspects commerciaux, quand nous, nous mettons l’accent sur la transparence.

Mme Chantal Bourragué. Dans le domaine du blanchiment, la part des trafics des êtres humains est plus importante que celle des trafics de drogue. Cette réalité est-elle prise en compte dans la lutte contre le blanchiment ?

M. Jacques Myard. Je reviens sur le double standard évoqué par Lionnel Luca. En effet, selon que vous soyez puissants ou faibles, vous n’avez pas droit à la même justice. Qu’on le veuille ou non, le GAFI est une émanation de l’OCDE, et dans la liste que vous nous avez transmise on ne trouve ni le Delaware ni Jersey. Et ce n’est pas la directive « Épargne » qui permettra de corriger les faiblesses du système.

Le blanchiment de l’argent de la drogue pose de graves problèmes mais il concerne aussi le terrorisme. Or dans ce dernier cas, les sommes en cause n’ont pas du tout le même ordre de grandeur : il suffit, pour commettre un attentat, d’engager quelques dizaines de milliers de dollars, et, de plus, ces sommes ne passent pas par le biais du système bancaire international. Il faut sans doute poursuivre les mouvements terroristes, mais ce mélange des genres me paraît correspondre plus à une approche idéologique qu’à la recherche d’une véritable efficacité dans la lutte contre le blanchiment.

M. Jean-Claude Guibal. Je ne voudrais pas donner l’impression de sous-estimer l’importance des actions menées et leur nécessité, mais je me demande si nous faisons semblant ou si nous voulons vraiment aboutir à des résultats. Je vous pose la question de manière directe, mais dans le cadre de finances mondialisées, de systèmes dont nous avons démontré à quel point il était difficile de les maîtriser ou de les réguler, comment obtenir de la part d’un paradis fiscal qu’il renonce au blanchiment ?

Par ailleurs, comment décourager l’inventivité des trafiquants ?

Enfin, ma question est volontairement provocante, dans quelle mesure l’argent du blanchiment ne contribue-t-il pas au maintien des marchés financiers ?

Mme Geneviève Colot. La convention de Merida, que nous avons signée ici même et qui comporte un volet important contre le blanchiment, entre-t-elle dans les critères du GAFI ? Selon vous, est-elle efficace ?

M. Dominique Souchet. Monsieur McDonell, vous nous avez indiqué que la partie Nord de Chypre figurait dans la liste des juridictions les plus préoccupantes, mais qu’elle en a été récemment retirée. Quels sont les principaux manquements soulignés par le GAFI et quelle est la nature des progrès qui l’ont amené à retirer ce territoire de la liste noire ? Quel est aujourd’hui le statut du Nord de Chypre ? A-t-il été placé dans une autre catégorie, laquelle et pourquoi ?

M. Alain Néri. Nous parlons beaucoup de trafics d’êtres humains. Il en existe un qui n’est pas pris en compte : il s’agit des sportifs professionnels, en particulier des footballeurs. Sans atteindre les 10 000 milliards d’euros dont nous avons parlé tout à l’heure, des sommes importantes circulent de façon éhontée et incontrôlée en empruntant des circuits particulièrement opaques. Si des contrôles existent au niveau européen – contrôle budgétaire des clubs, statut des clubs professionnels –, ce n’est pas le cas en Amérique du Sud ou dans certains pays de l’Est. Quant à l’engagement des propriétaires de certains clubs, il est parfois douteux. Le GAFI s’intéresse-t-il à cette question ?

M. François d’Aubert. S’agissant du caractère sérieux des engagements pris, je vous confirme qu’il existe une volonté politique très forte dans la quasi-totalité des pays, exceptés ceux qui figurent sur la liste noire. Quant à ceux qui se trouvent dans une situation intermédiaire, ils se sont engagés à davantage de transparence et d’échanges d’informations fiscales, financières et comptables. Reste à vérifier le caractère effectif et concret de ces engagements. C’est à quoi se consacre le groupe d’évaluation par les pairs des quatre vingt onze pays ayant adhéré au Forum Mondial (OCDE) dont la volonté de coopération est en train d’être ainsi testée.

Des flux financiers massifs transitent par les places offshore et les territoires non coopératifs. En dehors même des questions de régulation prudentielles, ils échappent pour une large part à la fiscalisation. Cela peut amener à s’interroger utilement sur l’opportunité de créer une taxe, de type Tobin, qui permettrait de capter une partie de ces flux financiers.

Les transferts financiers liés au blanchiment sont en forte augmentation. Comme le montrent des affaires récentes impliquant le crime organisé entre les Etats Unis et le Mexique et en Europe, incluant à chaque fois un ou plusieurs territoires non coopératifs. Peut-on aller jusqu’à dire que l’argent du blanchiment met de l’huile dans les rouages de l’économie mondialisée? Il y a deux ans, lorsque la crise est apparue, un haut fonctionnaire de l’ONU a expliqué qu’un certain nombre de banques avaient réussi à rester liquides grâce à des flux financiers peu orthodoxes. Cela n’a jamais été confirmé, mais la crise a révélé que les paradis fiscaux étaient utilisés souvent plus pour leur opacité juridique que pour le niveau de leur fiscalité.

Les bénéfices nets réalisés en 2008 par les seules mafias italiennes représenteraient, selon des sources italiennes, 130 milliards d’euros : cela peut paraître presque modeste en masse comparé aux centaines de milliards de $ de Credit Default Swaps et autres produits dérivés dont une proportion importante transite ou est domiciliée dans des paradis fiscaux à la réputation d’opacité solidement établie. Mais pour une part non négligeable, les activités de blanchiment utilisent les même types d’instruments juridico-financiers, exploitent les même carences réglementaires, usent et abusent de la complaisance des mêmes autorités locales et des régulateurs financiers ainsi que des services de banques ou de filiales bancaires ou de conseils que les transactions financières offshore classiques.

Dans l’affaire Madoff étaient impliqués 22 hedge funds et fonds de fonds domiciliés notamment aux British Virgin Islands, aux Caïmans, en Irlande et au Luxembourg, sans doute en raison de la faiblesse de régulateurs locaux, d’obligations très légères voire inexistantes de reporting comptable et financier et de la non régulation de ce secteur de la finance.

L’opacité et le faible niveau de taxation des territoires non coopératifs sont toujours considérés comme attractifs pour les opérateurs financiers. En 2008, pourtant l’une des pires années pour les résultats globaux des banques, ceux enregistrés dans l’ offshore sont restés très positifs avec un niveau encore élevé de rentabilité notamment pour le private banking. D’où les résistances très vives aux projets de régulation touchant par exemple les hedge funds.

Il est néanmoins encourageant de voir les grandes banques françaises, fortement incitées par les pouvoirs publics à réduire leurs activités dans les juridictions non coopératives, fermer des implantations dans ces pays, ainsi récemment la BNP-Paribas au Panama.

Sans doute serait-il opportun, pour aller vers davantage de transparence, de demander aux banques d’établir un reporting pour chaque pays d’implantation, mais cette mesure ne fait malheureusement pas consensus. Le Parlement français a fait un pas en avant important, dans le cadre du projet de loi sur les caisses d’épargne, en demandant aux banques d’établir un reporting plus précis, et surtout de le rendre public.

La question des prix de transfert est importante pour la fiscalité des entreprises et au cœur des stratégies d’évitement fiscal. L’une des contre-mesures proposées par le Gouvernement français est d’exiger de la part des entreprises une documentation plus fournie pour l’établissement des prix de transfert, notamment entre sociétés mères et filiales. Des prix de transfert abusifs avec délocalisation du bénéfice imposable dans un paradis fiscal lèsent à la fois les recettes fiscales du pays d’origine, ce qui est un vrai problème pour les pays en développement, et du pays de destination. C’est ainsi que Jersey est devenu le plus gros exportateur mondial de bananes !

M. Rick McDonell. Nous nous apprêtons à réaliser une étude sur le trafic des êtres humains, qui semble générer de grosses sommes d’argent – qui seraient, selon certains, du même ordre que celles provenant du trafic des stupéfiants.

Monsieur Néri, le problème du blanchiment des capitaux par le truchement des clubs de football est abordé dans notre rapport sur les typologies « Blanchiment des capitaux dans le secteur du football », lequel évoque les vulnérabilités qui touchent les joueurs, les pratiques et les transactions. Lorsqu’une situation de vulnérabilité en termes de blanchiment et/ou de financement du terrorisme nous est signalée, nous étudions la situation concrète et publions un rapport (appelé rapport sur les typologies) qui contient des suggestions pratiques et qui, souvent, soulève des questions quant aux normes, autrement dit faut-il affiner les normes applicables en matière de blanchiment de capitaux à cette situation afin de remédier efficacement à la situation de fragilité initialement constatée dans un domaine précis.

Vous avez raison, monsieur Myard, de dire que, pour financer une opération terroriste, il n’est pas nécessaire d’engager beaucoup d’argent. C’est précisément la raison pour laquelle il est particulièrement difficile de retrouver les financiers du terrorisme et de les traduire en justice. Si, en collaboration avec le secteur bancaire, nous parvenons à identifier les transactions suspectes dans le cadre du blanchiment de capitaux, il est beaucoup plus difficile d’identifier les transactions destinées à permettre de commettre un attentat terroriste.

Cela dit, nous avons publié une série de neuf Recommandations spéciales sur le financement du terrorisme. Outre que lorsque nous obtenons des informations, nous les échangeons, nous essayons d’être plus efficaces qu’autrefois. À cet égard, les polices et les agences de renseignements coopèrent aujourd’hui de façon plus étroite pour ce qui est du partage des informations : c’est une évolution positive.

Si nous nous intéressons aujourd’hui aux virements électroniques, c’est pour les identifier et mettre en lumière leur lien avec le financement du terrorisme : un courtier peut entrer en rapport avec son homologue dans un autre pays sans passer par le secteur financier. Pour lutter contre ce phénomène, il faut des réglementations différentes des réglementations traditionnelles. Il existe dans le monde plusieurs milliers d’opérateurs qui réalisent des transactions, parfaitement fiables, pour un prix inférieur à celui proposé par les banques. Or certaines servent à financer le terrorisme. Comment les identifier ? Pour cela, il faut vérifier les envois de fonds, ce qui est fait plus souvent que par le passé, notamment dans les États du Golfe et les Émirats arabes unis. Des processus d’identification ont donc été mis en place, ainsi que le suivi de toutes les personnes chargées de ces envois de fonds (les services alternatifs de remise de fonds). Ce travail de supervision progresse. Nous ne le réglerons pas en vingt-quatre heures, mais des progrès ont déjà été accomplis.

Il en va de même de la criminalité : nous faisons beaucoup d’efforts, mais nous ne réglerons jamais le problème à 100 %. Cela dit, nous essayons de combler les défaillances et les lacunes, et les nouveaux outils dont nous disposons – lois, arsenal répressif – nous permettent d’être plus efficaces que par le passé.

Dans le cadre de la convention de Mérida, nous traitons le lien entre la lutte anti-corruption – qui n’entre pas en tant que telle dans notre mandat – et le blanchiment des capitaux, dans la mesure où les transactions portant sur des produits issus de la corruption et de personnes corrompues constituent des opérations de blanchiment de capitaux. Lorsque des transactions suspectes sont signalées aux cellules de renseignements financiers – comme Tracfin en France –, elles sont examinées sous le prisme de leur origine, notamment. Nous poursuivons diverses activités dans ce domaine, au sein du GAFI mais également en coopération avec la Banque mondiale, laquelle a déjà travaillé dans le domaine des pratiques anti-corruption.

La partie nord de Chypre ne disposait pas, entre autre, d’un mécanisme de déclaration des transactions suspectes et nous ne savions pas s’il existait une réglementation en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux, ni qui était responsable. Notre processus de suivi nous a apporté la preuve que ces problèmes avaient été réglés. Nous continuons de vérifier la mise en conformité de ce territoire, mais il ne figure plus sur la liste des États défaillants nécessitant une déclaration publique.

Enfin, nous avons publié un rapport sur les typologies du financement du terrorisme, qui évoque le secteur financier, la façon dont les fonds transitent par le secteur officiel, les passeurs de fonds, l’envoi de fonds via des systèmes alternatifs, l’utilisation d’œuvres de charité. Ce document vous confirmera de façon détaillée tous les éléments que je viens d’évoquer.

M. le président Axel Poniatowski. Il me reste à vous remercier, messieurs, au nom de tous les collègues, pour cette audition particulièrement instructive.

Nous organiserons probablement une seconde réunion de notre commission sur ce sujet avant de procéder à l’autorisation de la ratification des accords. Je vous proposerai de recevoir M. Carpentier, président de Tracfin, et des responsables du ministère des finances.

Information relative à la commission

Au cours de sa première séance du mercredi 24 mars 2010, la commission a nommé M. Hervé Gaymard, rapporteur sur la proposition de résolution européenne sur les accords de partenariat économique entre l’Union européenne et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (n° 2136).

La séance est levée à onze heure quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 24 mars 2010 à 10 heures

Présents. - M. François Asensi, M. Jean-Paul Bacquet, M. Jacques Bascou, M. Christian Bataille, M. Jean-Louis Bianco, M. Roland Blum, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Chantal Bourragué, M. Loïc Bouvard, M. Jean-Louis Christ, M. Dino Cinieri, M. Pascal Clément, M. Philippe Cochet, M. Gilles Cocquempot, M. Pierre Cohen, Mme Geneviève Colot, M. Alain Cousin, M. Jean-Paul Dupré, M. Alain Ferry, M. Hervé Gaymard, M. Jean Glavany, M. Gaëtan Gorce, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, M. Didier Julia, M. Patrick Labaune, M. Jean-Paul Lecoq, M. Robert Lecou, M. Lionnel Luca, Mme Henriette Martinez, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, M. Alain Néri, M. Jean-Marc Nesme, M. Henri Plagnol, M. Axel Poniatowski, M. Jean-Luc Reitzer, M. Jacques Remiller, M. Jean Roatta, M. Rudy Salles, M. André Santini, Mme Odile Saugues, M. André Schneider, M. Dominique Souchet, M. Michel Terrot, M. Gérard Voisin

Excusés. - Mme Nicole Ameline, Mme Sylvie Andrieux, Mme Martine Aurillac, M. Alain Bocquet, M. Michel Delebarre, M. Michel Destot, M. Tony Dreyfus, M. Jean-Michel Ferrand, Mme Marie-Louise Fort, M. Jean-Pierre Kucheida, M. François Loncle, M. Didier Mathus, M. Éric Raoult, M. François Rochebloine, M. Jean-Marc Roubaud, M. Michel Vauzelle

Assistait également à la réunion. - M. Daniel Garrigue