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Commission des affaires étrangères

Mercredi 28 avril 2010

Séance de 10 h 00

Compte rendu n° 56

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Table ronde sur les échanges internationaux de renseignements en matière fiscale, en présence de M. Jean-Marc Fenet, directeur chargé de la fiscalité à la direction générale des finances publiques du ministère du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat et de M. Yves Ulmann, directeur adjoint de Tracfin.

– Informations relatives à la commission

Table ronde sur les échanges internationaux de renseignements en matière fiscale, en présence de M. Jean-Marc Fenet, directeur chargé de la fiscalité à la direction générale des finances publiques du ministère du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat ; M. Yves Ulmann, directeur adjoint de Tracfin.

La séance est ouverte à dix heures.

M. le président Axel Poniatowski. Mes chers collègues, notre commission examinera dans les prochaines semaines une série de dix-huit conventions bilatérales, pour lesquelles nous procéderons tout à l’heure à la désignation de rapporteurs. Quatorze de ces conventions portent sur l’échange de renseignements en matière fiscale, c’est pourquoi notre séance de ce matin est consacrée à une table ronde sur ce thème. Après avoir auditionné, le 24 mars dernier, MM. François d’Aubert et Rick McDonell, nous recevons aujourd’hui deux responsables de l’administration fiscale française, MM. Jean-Marc Fenet et Yves Ulmann, afin de compléter l’approche générale qui nous a été donnée précédemment, en appréciant, du point de vue de l’administration française, les enjeux de la lutte contre les paradis fiscaux et les effets attendus ou espérés de ces nouveaux instruments juridiques que constituent ces conventions bilatérales.

Tracfin, je le rappelle, est la cellule française de lutte anti-blanchiment. Elle dépend des ministères de l’économie et du budget et a pour mission de lutter contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Je souhaiterais, monsieur Ulmann, que vous fassiez le point sur la situation actuelle de ces territoires non coopératifs et les évolutions récentes que vous avez pu observer. La crise financière et économique que nous venons de traverser a-t-elle véritablement modifié la donne ? Autrement dit, ces territoires vous paraissent-ils sérieusement prêts à évoluer pour cesser de constituer des réceptacles des flux financiers douteux et des opérations illicites ?

S’agissant plus précisément des conventions bilatérales soumises à notre examen, je souhaiterais, monsieur Fenet que vous nous indiquiez, tout d’abord, ce que représente, en perte de recettes pour l’État, l’évasion fiscale rendue possible par les paradis fiscaux identifiés par l’OCDE et le GAFI.

En deuxième lieu, reste-t-il encore des zones grises qui ne seraient pas traitées par les nombreuses conventions signées ces derniers mois par la France avec des États ou des territoires considérés comme des paradis fiscaux ?

Enfin, le modèle de convention sur les échanges de renseignements fiscaux, que je viens d’évoquer, vous paraît-il suffisant pour éviter à l’avenir le phénomène d’évasion fiscale que nous connaissons ?

M. Yves Ulmann, directeur adjoint de Tracfin. La problématique du blanchiment des capitaux, tout en étant plus large que la problématique fiscale, lui est éminemment liée du fait que les juridictions non coopératives sur le plan fiscal ne le sont parfois pas non plus en matière de lutte contre le blanchiment. C’est contre le cumul de ces deux aspects, qui crée les trous noirs de l’économie, qu’il convient de lutter.

Votre commission a entendu il y a un mois M. Rick McDonell, secrétaire exécutif du Groupe d’action financière. Le GAFI, organisme international caractérisé par une grande souplesse, émet des recommandations visant à lutter contre les juridictions non coopératives, qui font l’objet de listes, lesquelles ne sont pas à confondre avec les listes fiscales proprement dites. Ces juridictions n’ont pas bâti de systèmes pertinents de lutte contre le blanchiment ou le financement du terrorisme : elles ne disposent pas, notamment, de cellules de renseignement financier.

La France a établi un large dispositif de lutte contre le blanchiment puisque le code monétaire et financier incrimine au titre du blanchiment toute utilisation des circuits financiers en vue de profiter des produits de la fraude, le délit devant être susceptible de faire encourir à son auteur une peine d’emprisonnement supérieure à un an.

L’ensemble ou presque des délits économiques est donc couvert en France par une large notion d’infraction sous-jacente. En matière de fraude fiscale, l’article 1741 du code général des impôts prévoit une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans. Nous avons dès lors, par ricochet, introduit le spectre de la fraude fiscale dans le dispositif anti-blanchiment. Le code monétaire et financier le prévoit explicitement à travers une procédure particulière. Les professions qui sont dans l’obligation d’exercer leur vigilance sur les opérations qu’elles ont à connaître doivent déclarer à la cellule de renseignement financier française les opérations qu’elles soupçonnent de reposer sur la fraude fiscale, dès lors qu’apparaît l’un des seize critères prévus dans le décret du 16 juillet 2009.

Les établissements financiers ont donc pour nouvelle responsabilité de dénoncer le soupçon de fraude fiscale, lorsqu’il présente un caractère avéré, grave ou complexe. Tracfin, qui dispose de moins d’une centaine de collaborateurs, n’a pas, en effet, vocation à se substituer à l’administration fiscale.

Notre champ d’opérations n’est pas identique à celui des organismes comparables dans le reste du monde : la fraude fiscale ou le délit fiscal ne font pas partie, à l’heure actuelle, des recommandations du GAFI, en tant que délit sous-jacent du blanchiment. Nous mettons tout en œuvre pour faire évoluer cette situation et le GAFI réfléchit à l’inclusion de cette fraude sous-jacente dans les délits susceptibles d’engendrer du blanchiment. Cette notion a été reprise à Abou Dhabi, en février 2010, dans le cadre d’un groupe de travail. Le principe en a été approuvé en séance plénière. L’introduction formelle de ce nouveau délit sous-jacent ne pourra toutefois avoir lieu avant un an, mais les listes d’infractions sous-jacentes du GAFI seront dès lors élargies, ce qui devrait nous faciliter la tâche.

Je tiens à rappeler que la coopération internationale en matière de lutte contre le blanchiment ne repose pas sur des standards normés dans le cadre de conventions internationales, contrairement à celles portant sur les échanges fiscaux que votre commission aura à examiner. Les standards de lutte contre le blanchiment ont été établis par les cellules de renseignement financier au fil du temps au sein du groupe Egmont, club informel de 116 cellules de renseignement financier du monde entier – elles seront 120 à la mi-2010 –, qui ont accepté les meilleures pratiques en matière d’échange de renseignements. Ces pratiques sont notamment fondées sur le respect de la réciprocité, qui s’entend comme la capacité de fournir à la cellule qui le demande les informations qu’elle serait elle-même capable de fournir si on les lui demandait. Ce système, qui fonctionne de manière pragmatique, se heurte à quelques difficultés, la première étant précisément son caractère non-normatif, la qualité des échanges dépendant de la bonne volonté de chacun. En cas de difficulté, une procédure de non-compatibilité peut être activée par le groupe Egmont, laquelle constitue un signe d’alerte pour le GAFI lors des évaluations des juridictions qu’a évoquées M. McDonell au cours de son audition. Toutefois, aujourd'hui, certaines juridictions continuent de refuser de répondre en opposant le secret défense ou le secret bancaire, faisant ainsi obstacle à la bonne coopération internationale en matière de lutte contre le blanchiment.

Une recommandation du GAFI précise que, lorsque le délit sous-jacent comprend un aspect fiscal, celui-ci ne doit pas être mis en avant par la juridiction interrogée en vue de faire obstacle à l’échange de renseignements. L’administration française s’efforce d’obtenir un durcissement de cette recommandation, qui est en cours de révision : puisque le blanchiment sera intégré l’année prochaine à la liste des délits sous-jacents, elle souhaite que l’échange puisse également porter sur des données uniquement fiscales en cas de soupçon de blanchiment, notre propos n’étant pas, en effet, le rétablissement de la surface taxable d’un contribuable.

Tel est le cadre de notre action.

M. Jean-Marc Fenet, directeur chargé de la fiscalité à la direction générale des finances publiques. Depuis deux ans, la France mène une action renforcée contre les paradis fiscaux dans un contexte international très dynamique. Non que nous ayons attendu cette période récente pour nous montrer actifs en la matière : la France conduit traditionnellement, dans le cadre du contrôle fiscal international, une action forte, notamment en matière d’évasion des bénéfices des entreprises vers les paradis fiscaux ou de bases taxables échappant illégitimement à l’imposition sur le territoire national – je pense aux mécanismes des prix de transfert et du business restructuring, la « restructuration » interne des entreprises qui peuvent parfois consister à déplacer leurs centres de bénéfices vers des pays à très basse pression fiscale.

En ce qui concerne les particuliers, la lutte concerne essentiellement les comptes off shore non déclarés, passifs ou actifs – distinction qui nous est propre et à laquelle nous avons recouru récemment, notamment en ce qui concerne l’affaire des fichiers du Liechtenstein ou de comptes ouverts en Suisse. Les comptes passifs, ou dormants, sont le fruit d’un héritage qui se transmet parfois sur plusieurs générations, alors que les comptes actifs sont approvisionnés par des revenus dissimulés, qui quittent le territoire français.

Jusqu’à il y a peu, l’action contre de tels comptes était compliquée du fait qu’elle se heurtait à l’absence de transparence et au refus, par les pays interrogés, de répondre aux questions posées, au nom du secret bancaire, lequel est souvent inscrit dans la législation interne, voire la constitution des juridictions en cause. L’action que nous menions en la matière, sans être nulle, ne pouvait être soutenue.

Le monde a beaucoup changé depuis le début de l’année 2008 et l’affaire du Liechtenstein que j’ai évoquée. Il convient d’ajouter, à ce fait générateur, les conséquences de la crise, l’action de l’OCDE et les initiatives franco-allemandes très fortes d’Éric Woerth et de son homologue Peer Steinbrück, qui ont, à la fin de l’année 2008 et au début de l’année 2009, réuni deux conférences internationales, à Paris et à Berlin, en vue de renforcer la coopération et les échanges en la matière. Le G20, enfin, s’est emparé de la question.

Je tiens à resituer les conventions qui sont soumises à votre examen dans le contexte des mesures d’ordre général que la France a prises depuis deux ans.

Dès la fin de l’année 2008, le Parlement a durci la législation en adoptant deux mesures relatives aux comptes non déclarés à l’étranger. La première a permis d’actualiser l’amende pour non-déclaration, dont le montant, désuet, de 1 500 euros a été porté à 10 000 euros ; la seconde a consisté à porter le délai de prescription de trois ans – ou six ans, en matière de patrimoine – à dix ans. De plus, à la fin 2009, la loi de finances rectificative a prévu un paquet législatif visant les paradis fiscaux, qui a été complété par des mesures administratives, ce qui a permis de définir, en droit fiscal, au sein du code général des impôts, un concept qui n’existait pas jusqu’alors en droit français et qui recouvre la notion de paradis fiscal. Auparavant, les textes évoquaient simplement les pays « à fiscalité privilégiée ». Or un pays « à fiscalité privilégiée » est un pays dont, pour un impôt déterminé, le taux est inférieur de moitié au moins à celui qui est appliqué sur le territoire français. Certains pays pratiquent, pour des raisons stratégiques, la basse pression fiscale – je pense notamment à l’Irlande pour l’impôt sur les sociétés – : il ne s’agit pas pour autant de paradis fiscaux. C’est la raison pour laquelle le législateur a introduit à la fin de l’année 2009, dans le code général des impôts, les « entités non coopératives », lesquelles ne se contentent pas de pratiquer la basse pression fiscale mais sont, de plus, non transparentes en matière d’échange de renseignements. Elles n’ont ni signé les douze conventions réclamées par l’OCDE ni souscrit, avec la France, une convention ou un accord d’échange international de renseignements conforme aux normes françaises, lesquelles ne font que reprendre l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE, qui prévoit notamment que le secret bancaire ne peut plus être opposé à une demande de renseignements. Certes, l’article 26 interdit encore le fishing, qui permet, sur des critères anonymes, de constituer des listes de noms répondant à ces critères : il convient donc de cibler les demandes. Toutefois, les pays qui souscrivent avec nous ces conventions s’engagent à ne plus nous opposer le secret bancaire. Comme le montrent les conventions soumises à votre examen, le durcissement de la législation à l’encontre des entités non coopératives et des acteurs économiques qui font commerce avec elles a permis à la France, notamment en 2009 et au début 2010, d’être un des pays les plus actifs en matière de signatures puisque la France a prévu, à la fois, des avenants à des conventions bilatérales déjà existantes, visant notamment à empêcher les doubles impositions, et des accords ciblés sur l’échange de renseignements avec des « entités » avec lesquelles un accord sur la double imposition n’aurait aucun sens, du fait que nous n’avons quasiment pas de nationaux établis chez elles – je pense notamment aux Îles Caïmans, aux Îles Tonga ou aux Îles Turques-et-Caïques. Sept autres accords avec, notamment, l’Uruguay, la Grenade et Sainte-Lucie, seront prochainement soumis au Conseil d’État.

Les entités concernées sont soumises à une condition supplémentaire, qui est la plus novatrice : elles devront prouver, dans le temps, qu’elles respectent leur signature. En effet, durant des décennies, des listes noires ou grises, établies par l’OCDE, ont regroupé des pays qui, pour en être rayés, s’engageaient simplement à plus de transparence sans jamais traduire leur engagement dans les faits, si bien que les listes de l’OCDE finissaient par faire rire tout le monde ! Ces juridictions devront désormais faire la preuve sur le long terme de leur volonté de transparence dans les échanges de renseignements.

M. d’Aubert, qui dirige le groupe des pairs de l’OCDE, a dû évoquer devant vous le processus de vérification des engagements pris par les signataires. La France s’est dotée d’un dispositif semblable, puisque des pays qui, après avoir signé un accord avec la France, ne respecteront pas leur signature, pourront de nouveau être inscrits sur la liste des entités non coopératives que notre pays a établie et qu’il révisera chaque année.

La France a également adopté, sur amendement parlementaire, à la fin de l’année dernière, la création d’un fisc judiciaire, installé dans les locaux de la police judiciaire, sorte de police fiscale ciblée sur la « tête de diamant » de la fraude fiscale, telle que définie par l’article 1741 du code général des impôts. Parmi les motifs d’investigation retenus figure, à l’exemple de nos voisins, la dissimulation d’avoirs à l’étranger sur des comptes off shore non déclarés.

Au plan administratif, la direction générale des finances publiques a pris plusieurs dispositions, dont la création, après autorisation de la CNIL, du fichier EVAFISC qui contient l’ensemble des informations relatives aux comptes off shore non déclarés, notamment dans les paradis fiscaux. Ce fichier alimentera le contrôle fiscal de leurs titulaires.

Cette politique nous permettra de tester rapidement la solidité des signatures des conventions, une fois que l’autorisation de les ratifier aura été donnée par le Parlement français et par ceux des pays concernés, qu’ils soient membres de l’Union européenne ou non, comme Singapour. À cette fin, nous solliciterons rapidement les administrations fiscales de ces juridictions en demandant des renseignements sur des listes de noms que nous leur fournirons. Ce sera l’épreuve de vérité.

Aujourd'hui, la fraude fiscale dans son ensemble – nationale et internationale – fait l’objet d’études ciblées : le Conseil des prélèvements obligatoires a évoqué, en 2007, le chiffre de 30 à 40 milliards d’euros, voire 50 milliards en tenant compte de la fraude sociale. Nous étudions, avec nos collègues de l’Union européenne, la fraude à la TVA, qui s’élèverait à quelque 8 ou 9 milliards d’euros uniquement pour la France, ce qui situe notre pays à un niveau moyen par rapport aux pays de l’Union. Toutefois, nous ignorons la part internationale de cette fraude à la TVA – je l’évalue, sans pouvoir le confirmer, au tiers du total. C’est un fait : nous assistons actuellement au sein de l’Union européenne au développement des carrousels de TVA, ce qui avait conduit la présidence française à lancer, à la fin de l’année 2008, une initiative – Eurofisc – consistant à créer un réseau informel et réactif, utilisant les moyens modernes de communication, des vingt-sept administrations fiscales en vue d’effectuer des échanges d’informations dans des délais conformes à ceux des fraudeurs, qui créent des sociétés taxis éphémères en vue d’organiser la fraude à la TVA. Les procédures actuelles, qui demandent entre 100 et 200 jours, sont évidemment beaucoup trop lourdes et manquent leurs cibles. Cette initiative de la France fait actuellement l’objet d’une négociation en vue d’être intégrée à la réglementation européenne par la Commission.

S’agissant des zones grises, la liste des entités non coopératives publiée par la France en contient une vingtaine, au sens de notre législation – il s’agit le plus souvent de petites îles des Caraïbes. Quant aux grands noms auxquels chacun pense, ils se trouvent parmi les signataires des conventions – c’est notamment le cas des Îles Anglo-normandes. La fraude fiscale des particuliers – l’expérience le montre – est une fraude de proximité : la Belgique, le Luxembourg et la Suisse en représentaient 80 % à 90 %. Il n’en est pas de même des entreprises, qui ont recours à des îles lointaines. L’idée selon laquelle la fraude pourrait se déplacer vers des juridictions éloignées, comme Singapour, me paraît hasardeuse du fait que Singapour fait partie des signataires des conventions de transparence.

Le véritable défi, pour les deux prochaines années, n’est donc pas la signature de nouvelles conventions avec les quelques poussières d’îles manquant encore à la liste, mais de faire en sorte que les conventions, une fois ratifiées, ne restent pas lettre morte.

M. le président Axel Poniatowski. Monsieur Fenet, si je vous ai bien compris, la nouveauté de ces conventions fiscales sur les échanges de renseignements consistera dans l’obligation pour les juridictions interrogées d’apporter la preuve qu’elles répondent bien aux questions posées. Quel système de contrainte prévoient ces accords bilatéraux ?

Mme Martine Aurillac. Monsieur Fenet, en matière de double imposition, le critère de la domiciliation – la règle des six mois plus un jour – est le plus important. De quel moyen de contrôle disposez-vous en la matière ?

M. Jean-Marc Roubaud. Monsieur Ulmann, si les entités non coopératives sont heureusement minoritaires dans le monde, toutefois, même en France, tous les problèmes ne sont pas réglés puisque certaines professions n’ont recours qu’à des capitaux liquides, au vu et au su de chacun, ce qui est indécent.

Quel est le statut de Tracfin : est-ce une branche du ministère des finances ou une entité autonome ?

M. Dino Cinieri. La fraude fiscale et sociale représentant dites vous de 30  à 50 milliards d’euros, ne serait-il pas bon, face à des États qui ne sont pas coopératifs et où le secret bancaire est bien gardé, d’adopter la méthode italienne de la faible imposition en vue de favoriser le retour des capitaux situés dans les paradis fiscaux ?

Par ailleurs, combien de comptes sont revenus en France et pour quel montant ?

M. Jean-Marc Fenet. Qu’il s’agisse des douze accords dédiés à l’échange de renseignements ou des avenants à des conventions fiscales plus larges, l’objet reste le même : accroître la transparence, dans le cadre des standards de l’OCDE – ce n’était pas le cas auparavant en raison de l’existence de strates historiques : je pense notamment à la signature de la convention entre la France et la Suisse.

Ces standards, sans être parfaits, permettent de réaliser un progrès considérable puisque le secret bancaire ne sera plus opposable. Il appartiendra, de plus, aux pays signataires de mettre en conformité leur législation interne avec la nouvelle réglementation – le Chili a dû, à cette fin, changer sa constitution.

Toutefois, les conventions elles-mêmes ne prévoient aucun dispositif de contrainte. C’est l’environnement dans lesquelles elles s’inscrivent, notamment le droit de suite, qui incitera ces pays à respecter leur signature. D’une certaine façon, tout commencera pour eux après la signature de la convention !

L’OCDE a confié à la France le secrétariat du groupe des pairs chargé de procéder à l’examen semestriel de la mise en conformité par les pays signataires de leur législation interne ou de vérification de leur sincérité : ils pourraient manquer à leurs engagements en opposant, par exemple, les réglementations propres aux trusts, fondations ou autres Stiftungen aux demandes de renseignements. L’OCDE et la France qui, je le répète, a adopté une loi en la matière, se gardent donc la possibilité de faire réintégrer, dans la liste des juridictions non coopératives, des pays qui en seraient sortis après avoir signé des conventions. Des pays rayés de la liste noire de l’OCDE sur la base de promesses qu’ils n’ont jamais tenues, se sont moqué de la communauté internationale durant de trop longues années : cela ne sera plus possible.

De plus, la législation relative aux échanges des entreprises avec des pays inscrits sur la liste des juridictions non coopératives a été considérablement durcie, ce qui pénalise fortement ces dernières.

La vérification de la domiciliation fiscale est la résultante de tout un faisceau de critères. Nous les vérifions avec les moyens que le Parlement donne à l’administration fiscale dans le cadre de contrôles parfois approfondis ou de regroupements avec des tiers. Il n’existe pas, en la matière, d’arme privilégiée.

S’agissant du retour des capitaux, la presse a établi un comparatif entre la cellule de régularisation des avoirs à l’étranger non déclarés, mise en place par Éric Woerth tout au long du second semestre 2009 et qui a fermé ses portes le 31 décembre dernier –, et la politique d’amnistie appliquée par l’Italie pour la troisième fois au cours de la décennie et qui s’achève ce mois-ci. Cette politique a visé, à chaque fois, à faire payer aux opérateurs, pour solde de tout compte, un taux d’imposition forfaitaire relatif au montant des capitaux en cause – de 2,5 % au début de la décennie, il est passé à 5 % à la fin de l’année 2009 –, que les capitaux soient rapatriés ou non : l’expérience montre qu’ils le sont rarement.

La France n’a pas fait ce choix, pour des raisons à la fois d’ordre politique – l’opinion publique aurait mal accepté une telle amnistie – et d’efficacité. En effet, si nos collègues italiens ont pu afficher des résultats flatteurs – plusieurs milliards d’euros recouvrés de recettes fiscales –, l’expérience révèle toutefois l’apparition au sein de la société italienne d’une véritable addiction à l’amnistie. Les capitaux ressortent rapidement ou ne sont jamais rentrés et replongent dans la clandestinité jusqu’à l’amnistie suivante, que tous les opérateurs attendent : en effet, un taux d’imposition de 2,5 %, voire de 5 %, payé tous les cinq ou six ans, est très favorable. C’est la raison pour laquelle la France n’a pas fait le choix de cette politique qui se révèle, sur le moyen ou le long terme, moins efficace qu’une politique plus rigoureuse.

M. Yves Ulmann. La méthode employée par les Italiens n’a pas été sans soulever une certaine émotion au sein du GAFI, du fait que le taux d’opportunité de blanchiment établi par le FMI et la Banque mondiale se situe entre 10 % et 15 % – ce qui signifie que les capitaux illicites peuvent tolérer une franchise de 10 % à 15 % pour revenir dans le circuit licite. Or le scudo fiscale 2009 ne s’élève qu’à la moitié, voire au tiers du taux que le crime organisé accepte de payer ! Le GAFI s’est donc inquiété de ce que l’amnistie italienne pouvait attirer des capitaux d’origine illicite et non pas seulement des capitaux ayant échappé à l’impôt. C’est la raison pour laquelle il a, pour la première fois en 2009, interpellé l’Italie sur l’amnistie fiscale, en soulignant le risque de voir le crime organisé, notamment italien, faire revenir dans le circuit légal des capitaux acquis illégalement.

Il est vrai que l’utilisation des espèces a eu tendance à s’accroître avec la crise financière, du moins si l’on en juge par les déclarations que nous avons reçues. Le dispositif prévoit en effet que, outre les établissements financiers, quatorze professions déclarent à Tracfin les opérations sur lesquelles pèse un soupçon de délit sous-jacent. Or les mouvements d’espèces – retraits ou apports importants sur les comptes – constituent des indices évidents de suspicion.

Il existe de par le monde quatre types de cellules : les cellules adossées à la banque centrale, à la police ou à la justice et les cellules administratives. Ce dernier choix fut celui du législateur français pour Tracfin, qui a été, jusqu’en novembre 2006, un service de la direction générale des douanes, avant d’être érigée, en vue d’accroître son autonomie, en service à compétence nationale dépendant directement des ministères chargés du budget et de l’économie.

M. Jean-Marc Nesme. Quel est l’impact d’internet sur le blanchiment et la fraude fiscale et sociale ? Existe-t-il une cybercriminalité financière des produits fiscaux et sociaux au même titre qu’il existe une cybercriminalité en matière de trafic d’objets d’art, d’êtres humains ou d’éléments du corps humain ? La Toile risquant de devenir le paradis fiscal idéal, la police fiscale récemment créée disposera-t-elle d’une branche cybercriminelle ?

M. Philippe Cochet. Peut-on agir sur l’origine des flux financiers ? Je pense notamment aux cabinets fiscalistes : vous arrive-t-il de les consulter ? Qu’en est-il, en matière d’éthique, de la perméabilité entre ces cabinets et certains fonctionnaires à la retraite des services fiscaux ?

M. Michel Terrot. Quid du succès des conventions ?

Par ailleurs, en matière de retour des capitaux, quel est le montant des recettes fiscales récupérées par le Trésor français ?

M. Alain Néri. L’Assemblée nationale a récemment examiné un texte sur la situation des agents sportifs et un autre sur les jeux en ligne.

Chacun connaît l’importance des flux financiers occasionnés par les transferts de sportifs, qui ne sont pas tous des footballeurs, notamment avec des pays d’Amérique du Sud et d’Europe orientale. Par ailleurs l’actualité nous a révélé des affaires de fraude fiscale et sociale et de blanchiment, sans oublier les conséquences de l’accélération de la mise en place des jeux en ligne à quelques semaines de la coupe du monde de football.

Pensez-vous que Tracfin aura les moyens de mener une action efficace dans la lutte contre le blanchiment ?

M. Jean-Paul Dupré. Quelle est la proportion, dans le blanchiment et la fraude fiscale, des particuliers et des entreprises ?

Par ailleurs, que représente, pour l’économie européenne, l’activité de l’économie souterraine ?

Enfin, qu’est devenu Eurofisc ? Ce réseau, proposé par la France, est-il toujours actif ?

M. Jean-Claude Guibal. Monsieur Fenet, vous n’avez pas cité la principauté de Monaco : où se situe-t-elle au regard des critères que vous avez évoqués ?

Monsieur Ulmann, lorsqu’une collectivité locale, instruisant un permis de construire, a des doutes sur l’origine des fonds investis, elle n’a aucun moyen d’empêcher l’opération. Du reste, elle n’est pas tenue de la dénoncer et lorsqu’elle s’adresse à Tracfin, l’organisme répond comme s’il était une banque de données à la réactivité limitée. Dans ces conditions, vers qui peut-elle se tourner ?

M. Yves Ulmann. La cybercriminalité est considérée par Tracfin comme un risque nouveau, lié notamment au développement spectaculaire des paiements via internet dans le cadre de systèmes qui ne sont pas situés sur le territoire français : je pense à la société PayPal, de droit luxembourgeois, qui opère les compensations et effectue les paiements sur internet. La solution passe par un accroissement de la coopération avec le Luxembourg, qui répond à nos demandes. Toutefois, l’origine de la saisine dépend toujours de l’organisme financier, Tracfin ne s’autosaisissant en aucun cas d’une enquête. C’est à partir de la déclaration de soupçon effectuée par un établissement financier ou par un professionnel que Tracfin peut demander à son homologue luxembourgeois des éléments d’information sur la nature, le montant ou la localisation des paiements.

De plus, la directive européenne sur les services de paiement, qui a été transposée en droit français, permet à des établissements de paiement d’installer des agents physiques qui se contentent, eux aussi, d’effectuer le paiement pour le compte d’un établissement de paiement situé en dehors du territoire national. Il nous faut donc renforcer la coopération bilatérale avec les cellules de renseignement financier et les autorités de contrôle des établissements de paiement de l’Union européenne.

Nous avons saisi de cette question le comité européen de lutte anti-blanchiment, en vue d’institutionnaliser l’échange d’informations.

En ce qui concerne les agents sportifs, le GAFI a établi une typologie des risques de flux financiers liés aux transferts des joueurs. La France a, en la matière, un dispositif relativement sûr puisqu’elle a créé une autorité susceptible de déclarer à Tracfin les mouvements qui lui sont soumis pour agrément et qui lui paraissent relever du blanchiment – elle l’a déjà fait et la presse s’en est largement fait l’écho.

S’agissant des jeux en ligne, l’autorité de régulation des jeux en ligne – ARJEL – a été instituée parallèlement à l’ouverture du marché. Tracfin a, avec cette autorité, établi un accord permettant l’échange de personnels, en vue de faire remonter l’analyse de risques dans les deux organismes. Il convient notamment de sensibiliser les agents au risque de blanchiment via les jeux en lignes qui n’en sont qu’à l’aube de leur développement.

J’ignore la répartition du blanchiment entre les particuliers et les entreprises : ce calcul n’a pas été fait. En 2009, les flux qui ont fait l’objet d’une investigation transmise à la justice se sont élevés à quelque 1,3 milliard d’euros.

Enfin, je rappellerai, concernant les collectivités locales et, plus généralement, l’immobilier, que la déclaration de soupçon émane, en premier lieu, de l’établissement de crédit qui voit passer la transaction – l’immobilier est une source importante de déclaration, qu’il s’agisse de la construction ou du bâti vendu. Un deuxième secteur assujetti au dispositif est constitué des notaires : cette profession juridique, récemment encore peu sensibilisée à cette problématique, commence à déclarer des opérations à Tracfin – près de 400 l’année dernière sur un total de 17 300. Les agences de commercialisation ou de vente ou les conseils en immobilier forment le troisième secteur assujetti au dispositif, lequel concerne, selon le code de la consommation, l’ensemble des agents de la chaîne immobilière. Toutefois, nous recevons, à l’heure actuelle, très peu de déclarations de ces professionnels, dont certains n’ont même pas conscience de leur assujettissement au dispositif – ou l’on récemment découvert à l’occasion d’évaluations du GAFI. Nous espérons accentuer la prise de conscience.

Une collectivité locale, comme toute entité publique ou société privée exerçant une mission de service public, peut déclarer à Tracfin toute opération sur l’origine de laquelle pèse un soupçon. Tracfin enquête sur les éléments qui sont soumis à son attention et transmet le dossier à la justice dès lors que certains de ces éléments sont manifestement susceptibles de constituer un délit. La cellule informe parallèlement la collectivité de cette transmission du dossier à la justice. Toutefois, la loi ne donne pas à une collectivité la possibilité d’interroger directement Tracfin pour savoir si l’investisseur – personne physique ou morale – qui se propose de lancer une opération commerciale est inscrit dans son fichier.

M. Jean-Marc Fenet. En matière de fraude fiscale, notre principale préoccupation, s’agissant d’internet, est d’assister au développement d’un commerce en ligne qui s’affranchirait des obligations fiscales et sociales pesant sur les autres acteurs : une considérable distorsion de concurrence s’ajouterait alors à la perte de recettes pour le Trésor public. Au cours des années précédentes, des amendements « eBay », visant à disposer d’un droit de communication auprès des opérateurs, ont permis de réaliser des progrès en la matière. Il s’agit, évidemment, de connaître l’identité des gros commerçants de fait, et non pas d’ennuyer l’adolescent qui revend en ligne un cadeau reçu à Noël ! Le dispositif devra être perfectionné dans le cadre des prochaines lois de finances, d’autant qu’eBay joue au chat et à la souris avec nous en prenant, pour éluder nos demandes, le prétexte de la délocalisation de sa plate-forme au Luxembourg. Il convient que le législateur durcisse les textes visant à lutter contre les commerçants de fait qui développent sur internet une activité de grosse envergure.

J’ignore si la police fiscale s’emparera du sujet : il convient tout d’abord de procéder à son installation. La loi, votée à la fin de l’année 2009, prévoit la création d’une brigade mixte fisc-police au sein des locaux de la direction centrale de la police judiciaire située à Nanterre. Des textes réglementaires attendent encore d’être publiés et la qualification d’officier de police judiciaire doit être passée par une quinzaine d’inspecteurs des impôts, ce qui exige une lourde formation. La brigade devrait être installée lors du dernier trimestre de l’année 2010, ce qui nous permettra de la saisir de ses premiers dossiers importants, constitués à la suite des contrôles que nous effectuons actuellement dans le cadre, notamment, de l’affaire des listes de la banque HSBC.

Il nous arrive, lorsque nous réunissons les cabinets fiscalistes à Bercy, de reconnaître quelques têtes ! Toutefois, ce phénomène de porosité a perdu de son importance : les annonces de recrutements d’avocats fiscalistes passées par les grands cabinets, ne mentionnent plus, comme il y a quinze ans, « expérience DVNI exigée » – la Direction des vérifications nationales et internationales étant réservée aux dossiers fiscaux les plus pointus. Désormais, les cabinets recrutent des personnes ayant achevé un troisième cycle universitaire.

Ces cabinets n’en demeurent pas moins des partenaires et il convient de veiller à ce qu’ils ne franchissent pas la ligne jaune. Nous les réunissons régulièrement en tant qu’intermédiaires au même titre que les acteurs économiques, notamment les organisations patronales ou la Fédération française des banques. Mme Lagarde a récemment lancé un nouveau dispositif de consultation en ligne des projets d’instruction, concernant l’interprétation fiscale des textes, ce qui représente un progrès en termes de sécurisation juridique.

Si des montages frauduleux sont proposés à des clients, ce qui est assez rare, le droit fiscal et le droit douanier prévoient d’ores et déjà des procédures, que nous pouvons activer si nécessaire. Nous n’avons pas besoin de moyens supplémentaires en ce domaine.

Je ne saurais répondre sur le succès des conventions avant leur ratification. Lorsqu’elles auront été ratifiées par tous les partenaires concernés, elles s’appliqueront pour la plupart à compter du 1er janvier 2010 – n’étant pas rétroactives, elles ne sauraient concerner des dossiers antérieurs à cette date. Nous pourrons donc mesurer leur efficacité au cours des prochaines années.

Nous avons toutefois monté des opérations de contrôle hors conventions, et la presse a largement fait écho aux chiffres provisoires, établis par la cellule de régularisation des comptes off shore non déclarés, et communiqués, en son temps, par Éric Woerth. La cellule, je le rappelle, a été fermée le 31 décembre dernier mais nous continuons de traiter des dossiers, M. Baroin ayant donné aux cabinets et aux contribuables intéressés jusqu’au 15 mai 2010 pour désanonymiser les dossiers qui nous ont été soumis avant le 31 décembre 2009. Les chiffres définitifs devraient être disponibles au début de l’été. D’ores et déjà, entre 5 et 6 milliards d’euros de base ont été rapatriés sur le territoire français et 600 à 700 millions d’euros de recettes fiscales recouvrés à cette occasion.

La présidence française du Conseil de l’Union européenne a fait adopter, au second semestre 2008, le principe d’Eurofisc à l’unanimité par le conseil Écofin d’octobre – c’est la règle en matière fiscale –, à charge pour la Commission d’adapter en ce sens la réglementation communautaire relative à l’échange d’informations fiscales. La Commission ne s’est pas penchée sur la question en 2009, année de son renouvellement à la suite des élections européennes, et c’est la présidence espagnole qui s’est de nouveau emparée du projet au début de l’année 2010. Les experts de la Commission l’examinent actuellement et il devrait passer avant la fin de la présidence espagnole devant un nouveau conseil Écofin. Nous pourrons alors désigner dans les vingt-sept pays les correspondants, secteur de fraude par secteur de fraude, qui formeront des mini-réseaux de spécialistes communiquant instantanément entre eux en toute sécurité. La fraude la plus importante, en matière de carrousels de TVA, concerne les microprocesseurs, la téléphonie ou la petite électronique, en raison de leur faible encombrement et de leur forte valeur ajoutée. Il ne convient toutefois pas d’oublier la fraude à la TVA intracommunautaire sur les véhicules.

Monaco, depuis l’accord de 1961, n’est plus un paradis fiscal pour la France. Un citoyen français ayant des intérêts à Monaco ne profite d’aucun avantage particulier. Monaco pouvait être considéré comme un paradis fiscal par d’autres pays de l’Union européenne. Toutefois, la principauté a récemment signé des conventions, notamment avec l’Allemagne.

Mme Marie-Louise Fort. Les échanges internationaux de renseignement fiscal ont-ils un impact sur l’économie parallèle qui est, le plus souvent, alimentée par le trafic de substances illicites en provenance de l’étranger ? Dois-je rappeler que cette économie permet à ceux qui s’y livrent d’acquérir des biens immobiliers ou des fonds de commerce ? Quelle est la part de l’économie parallèle dans la fraude que vous avez évoquée ? Par ailleurs, la mise en place des groupes d’intervention régionale – GIR – ou les nouvelles mesures permettant de lutter contre la fraude permettront-elles de réduire cette part ?

Mme Élisabeth Guigou. Que pensez-vous de la législation française relative aux fiducies – ou trusts –, montages juridiques qui sont faits pour assurer l’opacité des vrais détenteurs des capitaux ? Si la confidentialité vis-à-vis des concurrents est nécessaire dans le monde des affaires, la législation française donne-t-elle suffisamment de moyens aux autorités judiciaires, fiscales ou administratives pour y voir clair dans les fiducies ?

M. Didier Julia. Ma question concerne le comportement de l’administration française et des autres pays européens quant à l’usage des liquidités.

En France, la ménagère pourra payer un kilo de pommes de terre avec sa carte bancaire. En Allemagne, au contraire, l’acheteur d’une Mercedes paiera en liquidités : s’il signe un chèque, le soupçon sera immédiat, avec, à la clef, une enquête auprès de sa banque.

Que penser, de plus, des voitures de luxe possédées par les gens du voyage et payées en liquide, alors même que les fonds proviennent le plus souvent de biens français recyclés dans un pays étranger ? Avez-vous des moyens d’action à l’encontre de ces « entités peu coopératives » ?

M. Alain Cousin. La contrefaçon n’a pas encore été évoquée, alors même qu’elle entre dans le cadre d’une économie souterraine sur fond de blanchiment et de fraude fiscale et sociale importante. Quel est son coût et de quelles parades disposez-vous ?

M. Robert Lecou. Un système de sanctions est-il prévu à l’encontre des États non coopératifs ?

M. Jean-Marc Fenet. La mention des GIR à propos de l’économie parallèle montre que la question de la fraude recouvre des aspects, des segments, donc des publics très différents. Avoir un compte à l’étranger n’est pas interdit : ce qui l’est, c’est de ne pas le déclarer en vue de ne pas payer de droits. Par ailleurs, l’argent déposé sur ces comptes frauduleux n’a pas nécessairement une origine douteuse. Le public auquel les GIR ont affaire est encore différent : c’est celui des quartiers difficiles. L’interaction entre le public des GIR et celui des comptes off shore non déclarés n’est donc pas avérée. Les GIR visent un public usant de liquidités en provenance de trafics illicites, notamment de stupéfiants. Le ministère du budget, sur la demande du Président de la République, est très impliqué dans cette action puisqu’il participe à l’ensemble des GIR et qu’il a mis, à l’automne dernier, dans dix-sept départements, cinquante inspecteurs des impôts à la disposition des services de police et de gendarmerie pour constituer des équipes communes chargées de lutter contre la délinquance financière dans les quartiers difficiles. Il ne s’agit toutefois que d’une des actions menées contre la fraude : il convient de lutter contre l’ensemble de celle-ci, sans en privilégier aucun aspect, qu’il s’agisse de la fraude aux prestations sociales, de la fraude propre aux quartiers difficiles ou de la fraude fiscale internationale. Les accords internationaux que nous évoquons aujourd'hui ne sont pas des outils adaptés à la délinquance fiscale ordinairement rencontrée par les GIR dans les quartiers difficiles.

En ce qui concerne les fiducies ou trusts, ils peuvent constituer dans certains pays une parade importante à la transparence, leur principe étant l’opacité à son degré ultime, puisque les noms des détenteurs de capitaux sont dissimulés par l’écran suprême que constituent précisément la fiducie, le trust ou toute autre Stiftung. Toutefois, lorsque nous disposons de certaines informations, nous pouvons, par des moyens qui nous sont propres, remonter jusqu’aux intéressés, ce que des affaires récentes en Suisse ou au Liechtenstein ont montré. Ces fiducies n’en représentent pas moins une difficulté, notamment dans le cadre de la directive européenne sur les revenus de l’épargne, qui a été adoptée après de très nombreuses années de négociation – je le rappelle, l’unanimité prévaut en matière fiscale. Trois pays avaient du reste obtenu un régime dérogatoire : l’Autriche, le Luxembourg et la Belgique, qui y a renoncé au début de l’année 2010. Cette directive prévoit l’information systématique des pays partenaires de l’Union européenne sur les revenus tirés de l’épargne. L’Autriche, le Luxembourg et la Belgique avaient préféré organiser un prélèvement à la source croissant dans le temps afin de pénaliser le détenteur de l’épargne. Ces trois pays s’engageaient en retour à rétrocéder une partie du prélèvement effectué, mais sans communiquer le nom des intéressés. Or cette directive butte également sur la question des fiducies. La France, ainsi que d’autres pays de l’Union européenne, aimeraient la remettre sur la table pour faire disparaître les deux dernières exceptions au principe de la transparence que constituent encore l’Autriche et le Luxembourg et pour en étendre le champ aux fiducies, contre lesquelles, c’est vrai, l’administration fiscale reste insuffisamment armée.

Mme Élisabeth Guigou. La position française actuellement exprimée au sein du conseil Écofin et des groupes d’experts est-elle bien celle que vous venez de présenter ?

M. Guillaume Drano, inspecteur principal à la direction de la législation fiscale. S’agissant de la directive épargne, telle a bien été la position défendue par la France au cours des travaux techniques de la fin de l’année 2008. La directive, qui sera présentée au conseil Écofin, prévoit d’inclure les trusts dans le dispositif, afin de supprimer les possibilités actuelles de contournement. Toutefois, la directive butte sur le régime dérogatoire dont bénéficient le Luxembourg et l’Autriche.

M. Jean-Marc Fenet. Et, très honnêtement, ce n’est pas gagné !

En ce qui concerne les liquidités, le droit français fixe à 3 000 euros la limite au-delà de laquelle il n’est plus possible de payer en espèces. Quant aux différences entre la France et l’Allemagne, elles sont avant tout d’ordre culturel.

Toutefois, le paiement en liquide, quand il concerne certains montants, fait partie, pour les services fiscaux, des clignotants qui s’allument en cas de présomption de fraude.

M. Yves Ulmann. Madame Guigou, en matière de lutte contre le blanchiment dans le cadre des trusts, je tiens à rappeler que le code monétaire et financier dans son article L. 561-15-IV prévoit la déclaration systématique à Tracfin des opérations dont l’identité du bénéficiaire effectif reste douteuse. L’établissement de crédit est donc tenu de nous signaler les fonds en provenance d’entités faisant écran à la connaissance effective du client. La vigilance de l’établissement est renforcée. Une fois saisi, Tracfin peut interroger la structure d’accueil du trust, qui est souvent une juridiction externe située dans les Caraïbes. Si cette juridiction fait partie du groupe Egmont, elle ne fait pas obstacle à la transmission de l’information. Il n’y a donc pas d’opacité absolue en matière de lutte contre le blanchiment – je ne parle pas de la question fiscale.

Mme Élisabeth Guigou. La fiducie n’en demeure pas moins un système qui complique votre travail…

M. Jean-Marc Fenet et M. Yves Ulmann. Nous sommes d’accord.

M. Yves Ulmann. La limite de paiement en espèces à 3 000 euros ne concerne que les résidents français. Il n’y a aucune limite pour les non-résidents. Toutefois, un règlement communautaire prévoit d’instaurer une déclaration particulière ou de fixer la limite à 15 000 euros. Nous nous orientons donc vers un durcissement de la réglementation en la matière.

Il est vrai que les gens du voyage constituent une clientèle particulière. Les garagistes, quant à eux, ne sont pas assujettis au dispositif de déclaration à Tracfin – tous les secteurs économiques ne peuvent y être. En revanche, dès lors qu’un établissement de crédit voit passer des liquidités importantes dont l’origine est inconnue, il lui faut, sous le regard de l’Autorité de contrôle prudentiel, accroître sa vigilance. Il doit disposer, à cette fin, d’un système d’alerte permettant de détecter de telles opérations et de tenter de les expliquer. Dès lors qu’il n’arrive pas à établir le caractère licite des fonds qui ont transité par le compte, il doit effectuer une déclaration auprès de Tracfin.

La contrefaçon est, quant à elle, un délit douanier qui touche, selon l’organisation mondiale des douanes, 10 % du commerce mondial. Alors que son impact est considérable sur la production nationale, il reste marginal en termes de droits de douane non perçus par le Trésor, compte tenu de la décrue globale des droits de douane : 150 millions d’euros pour la contrefaçon et la contrebande contre 1,5 milliard perçu pour la totalité de nos importations.

M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie, messieurs, des informations précieuses que vous nous avez fournies.

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Informations relatives à la commission

Au cours de sa séance du mercredi 28 avril 2010, la commission des affaires étrangères a nommé :

La séance est levée à onze heures quarante cinq minutes.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 28 avril 2010 à 10 heures

Présents. - Mme Nicole Ameline, Mme Martine Aurillac, M. Jean-Paul Bacquet, M. Jacques Bascou, M. Christian Bataille, M. Jean-Louis Bianco, M. Claude Birraux, M. Alain Bocquet, Mme Chantal Bourragué, M. Dino Cinieri, M. Pascal Clément, M. Philippe Cochet, M. Pierre Cohen, Mme Geneviève Colot, M. Alain Cousin, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Paul Dupré, M. Jean-Michel Ferrand, M. Alain Ferry, Mme Marie-Louise Fort, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Didier Julia, M. Patrick Labaune, M. Robert Lecou, M. Lionnel Luca, M. Gérard Menuel, M. Jacques Myard, M. Alain Néri, M. Jean-Marc Nesme, M. Axel Poniatowski, M. Jacques Remiller, M. Jean-Marc Roubaud, M. André Santini, Mme Odile Saugues, M. André Schneider, M. Dominique Souchet, M. Michel Terrot, M. Gérard Voisin

Excusés. - Mme Sylvie Andrieux, M. Jean-Michel Boucheron, M. Loïc Bouvard, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Jean-Louis Christ, M. Tony Dreyfus, M. Jean Glavany, M. Jean-Jacques Guillet, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Jean-Paul Lecoq, M. François Loncle, Mme Henriette Martinez, M. Didier Mathus, M. Jean-Claude Mignon, M. Éric Raoult, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. Rudy Salles, M. Michel Vauzelle