Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires étrangères > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires étrangères

Mardi 11 mai 2010

Séance de 17 h 30

Compte rendu n° 60

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de M. Christophe Farnaud, ambassadeur de France en Grèce.

Audition de M. Christophe Farnaud, ambassadeur de France en Grèce.

La séance est ouverte à dix-sept heures trente.

M. le président Axel Poniatowski. Nous recevons M. l’ambassadeur de France à Athènes, que je remercie d’avoir accepté notre invitation. La Grèce est depuis quelques semaines sous les feux de l’actualité pour des raisons que plus personne n’ignore mais il reste difficile de comprendre les phénomènes propres à ce pays qui ont contribué à le plonger dans la situation extrêmement difficile qui est la sienne.

Notre commission entendra bientôt des experts sur l’avenir de la zone euro. En vue de cette échéance, je voudrais que nous soyons parfaitement informés de la situation économique de la Grèce, dont l’évolution a suscité la réaction commune que nous connaissons. Aussi vous demanderai-je, monsieur l’ambassadeur, de nous présenter une analyse succincte de la situation de la Grèce, des causes du désastre budgétaire de ce pays et des effets politiques potentiels de la crise économique actuelle. Il semble que les biais statistiques utilisés par les Grecs pour masquer la situation réelle de leurs finances publiques étaient connus des Européens depuis plusieurs années ; pourquoi la Grèce n’a-t-elle pas amélioré sa situation depuis lors ? Les décisions particulièrement brutales du gouvernement grec, visant à rétablir la situation des finances publiques, ont suscité un mécontentement social croissant qui a conduit à des manifestations très violentes ; une crise politique et sociale menace-t-elle la Grèce ? Enfin, la Grèce persiste à maintenir une politique d’équilibre des dépenses militaires avec la Turquie, à hauteur de 3,5%, voire 4% de son PIB, une proportion particulièrement élevée. Vous paraît-il que cela puisse durer ?

M. Christophe Farnaud, ambassadeur de France en Grèce. Je suis honoré d’être invité à analyser devant vous la situation de la Grèce, les raisons de la crise qui secoue ce pays et les perspectives qui s’offrent à lui. Permettez-moi pour commencer d’esquisser un tableau général de la situation, car on ne saurait uniquement décrire la Grèce comme un pays à feu et à sang – ce n’est pas le cas, même si ses difficultés sont nombreuses.

Si l’on observe la carte de l’Europe, la Grèce, avec ses 132 000 kilomètres carrés, semble un petit pays. Mais, outre qu’il a une forte résonance culturelle, c’est un pays de grande valeur stratégique. Son PIB s’élève à 240 milliards d’euros environ, soit 2,4 % du PIB de la zone euro ; mais compte tenu de la part de l’économie « informelle » dans l’activité économique générale du pays, l’évaluation du PIB grec n’est jamais absolument certaine et ces 240 milliards d’euros constituent l’estimation la plus communément admise. La Grèce compte 13 600 kilomètres de côtes – autant, donc, que pour l’Afrique ; cela souligne l’importance de la mer pour la Grèce, que l’on parle de marine marchande ou d’immigration. On compte en Grèce 11 millions d’habitants ; c’est un nombre très faible au regard de la population des grands pays européens, mais, avec cette population, la Grèce se situe néanmoins dans la première moitié des 27 pays membres. Le taux de chômage est de quelque 10 %.

Outre les chiffres, il y a la valeur stratégique, et celle de la Grèce est importante compte tenu de sa position géographique, avec le passage vers le détroit du Bosphore dont l’importance est aujourd’hui renforcée par les enjeux énergétiques du transit depuis l’Asie centrale ou la Russie ; c’est un élément essentiel pour l’économie et la stratégie du pays et de l’Europe. Elle tient aussi à ce que la Grèce est un pays balkanique, avec une forte expérience dans cette région, et que tout ce qui se passe dans les Balkans peut avoir des conséquences pour elle. Elle tient encore à ses relations avec la Turquie, des relations qui orientent fondamentalement sa politique stratégique, et qui sont compliquées depuis la chute, en 1453, de Constantinople – que de nombreux Grecs continuent de nommer ainsi, et non point « Istanbul ». Cela explique l’importance du budget grec de la défense, qui n’est pas une concession faite à des États tiers mais une réponse à une question stratégique majeure pour la Grèce. Cela explique aussi la position grecque favorable à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. En raison même de cette inimitié séculaire, les Grecs soutiennent l’adhésion au motif que l’intégration de la Turquie pousserait celle-ci à se réformer et favoriserait progressivement le dialogue. Faire de la Turquie le vingt-huitième État membre de l’Union serait pour la Grèce le meilleur moyen de ne plus être isolée face à son grand voisin.

La Grèce est donc un pays qui compte, ce dont plusieurs gouvernements sont conscients. Elle est ainsi devenue une cible pour la Chine, qui voit dans la Grèce la porte d’entrée pour les produits qu’elle veut exporter vers l’Union européenne mais aussi vers l’Europe du Nord et l’Europe orientale. Ce n’est pas un hasard si un groupe chinois a repris pour partie la gestion du trafic de marchandises du port du Pirée. La Grèce est un pays qui compte en Méditerranée orientale et c’est, au sein de l’Union européenne, le pays européen de la Méditerranée orientale. Enfin, la flotte marchande grecque est toujours la première du monde en capacité ; elle représente bon an mal an de 15 à 18 % du trafic marchand maritime mondial.

La Grèce et la France entretiennent des relations politiques étroites de très longue date. Sans remonter à l’indépendance de la Grèce en 1821 ni à la bataille de Navarin en 1827, plusieurs dates proches ont marqué la force de ce lien. Ainsi, c’est dans l’avion présidentiel mis à sa disposition par le Président Giscard d’Estaing qu’en 1974 M. Constantin Caramanlis est retourné en Grèce pour y rétablir la démocratie. Au cours des années 1979 à 1981, pendant la fin de la négociation préalable à l’entrée de la Grèce au sein de l’Union européenne, la France a beaucoup soutenu la Grèce. L’arrivée au pouvoir du PASOK, le parti socialiste, en 1981, marque l’établissement de relations particulières entre François Mitterrand et Andreas Papandréou. Enfin, le 6 juin 2008, le Président de la République a fait à Athènes une visite d’État très réussie, évoquant une « nouvelle alliance » et un partenariat renforcé entre la France et la Grèce.

De fait, les Grecs sont proches de nous sur tous les dossiers communautaires, qu’il s’agisse de la PAC ou de la politique d’immigration. La Grèce, aujourd’hui première porte d’entrée de l’immigration irrégulière en Europe, a besoin de nous, et nous avons besoin de travailler avec elle. Souhaitant une politique migratoire commune, elle s’est prononcée en faveur du pacte européen sur l’immigration. De même, elle est très favorable à l’émergence d’une véritable défense européenne ; les pays de cet avis ne sont pas si nombreux au sein de l’Union, ce qui explique un partenariat étroit entre la Grèce et la France en matière de défense. Par ailleurs la Grèce est très favorable, depuis le début, à l’Union pour la Méditerranée dont sa position lui montre les avantages.

Dans le domaine économique, nos échanges sont très importants. La France est, en flux, le premier investisseur en Grèce, où plus de 150 entreprises françaises – banques, compagnies d’assurance, cimenteries, grande distribution… – sont implantées, qui emploient plus de 30 000 Grecs ; de ce fait, la France est le premier employeur étranger du pays. Le solde de nos échanges commerciaux avec la Grèce était de quelque 3 milliards d’euros jusqu’en 2009, année où il s’est établi à 2,6 milliards d’euros ; c’est notre troisième excédent commercial dans le monde.

Enfin, la Grèce est un pays francophone et francophile. Le degré de francophonie y est encore très élevé, y compris au sein du Gouvernement. Lorsque, prenant mes fonctions, j’ai rendu visite aux membres du Gouvernement grec, les trois quarts des ministres ont eu l’obligeance de s’entretenir avec moi en français. Cette présence culturelle est un facteur majeur d’influence française, et le développement de l’enseignement du français est une de nos priorités. La Grèce compte 300 000 élèves apprenant le français, chiffre important que nous nous efforçons d’accroître. Quelque cinq cents livres français sont traduits en grec chaque année, et plusieurs dizaines de films français sont diffusés en Grèce ; c’est beaucoup pour un pays de 11 millions d’habitants.

En résumé, la Grèce et la France ont des liens particuliers et en soutenant ce pays nous soutenons nos propres intérêts.

Le tableau général étant ainsi brossé, j’en viens à la crise et à ce qui l’a causée. Tout au long des années 2000, l’économie grecque était encore « en rattrapage ». Avec un taux moyen, très élevé, de 3,8 % chaque année entre 2000 et 2008, la croissance était forte, tirée par de grands projets dont les jeux Olympiques de 2004 qui ont été un beau succès mais qui ont entraîné de grandes dépenses. La Grèce a beaucoup dépensé, sans doute plus qu’elle ne l’aurait pu. Il en est résulté une forte hausse de la demande intérieure au regard de la capacité de production du pays, ce qui explique son taux d’endettement – d’autant que, parallèlement, les gains de productivité depuis 2001 ont été insuffisants pour garantir une compétitivité dont on savait, lorsque la Grèce a adopté l’euro, qu’elle n’était pas assez forte.

Avant les élections d’octobre 2009, le Gouvernement sortant, celui de M. Caramanlis, indiquait déjà que le pays allait au devant de décisions difficiles. À peine élu, le nouveau premier ministre, M. Papandréou, faisait état le 16 octobre 2009 devant le Parlement d’une situation extrêmement difficile. De fait, fin 2009, la dette publique représentait 115,1 % du PIB, soit quelque 273 milliards d’euros ; le déficit public, initialement estimé à 12,7 %, est maintenant évalué à 13,6 % pour 2009.

Le problème est à la fois conjoncturel et structurel : conjoncturel parce qu’il a été déclenché par la crise économique ; structurel car l’économie grecque était dans un état de grande fragilité en raison des phénomènes précédemment décrits. Les annonces du Gouvernement ont provoqué une réaction très vive des marchés, réaction qui est allée s’amplifiant au fil des mois, la réponse de la Grèce et de l’Union européenne apparaissant insuffisante. Les risques n’ont alors cessé de croître, les taux appliqués aux emprunts d’État pesant d’une charge trop lourde sur l’État d’abord et, par répercussions successives, sur l’économie grecque dans son ensemble, les entreprises risquant de se trouver asphyxiées par des taux de crédit prohibitifs. La crise a pris une dimension européenne : parler de la crise grecque revient à parler d’une crise de l’euro et de l’Europe. Les Grecs en ont pris conscience très rapidement ; la France a été l’un des pays qui ont pris position à ce sujet le plus vite et le plus clairement, et la Grèce lui en sait gré.

Finalement, une réponse appropriée a été trouvée à la crise ; elle s’est faite par étapes, et elle concerne à la fois la Grèce et l’Union européenne.

En Grèce, le Premier ministre Papandréou a agi avec courage. Il a dit la vérité sur les chiffres et mentionné ouvertement les dysfonctionnements de la société grecque, évoquant clientélisme et corruption – même si ce dernier mot doit être utilisé avec circonspection.

Maintenant, l’attention de tous les Grecs est focalisée sur le plan d’austérité, dont le dernier volet a été voté la semaine dernière sans le principal parti d’opposition, La Nouvelle Démocratie. Dans son volet « recettes », le plan prévoit l’accroissement des taxes – la TVA, mais aussi les taxes indirectes sur les alcools et le tabac. Il prévoit aussi la lutte contre l’évasion fiscale, de manière à pouvoir mettre en place, à terme, des services plus efficaces, ce qui sera compliqué. Il prévoit encore la création d’un service statistique compétent, apte à mesurer l’état exact de l’économie. S’agissant des dépenses, le Gouvernement grec a décidé de réduire le salaire des fonctionnaires en supprimant les treizième et quatorzième mois, et de réduire aussi les pensions de retraite. Ces mesures sont largement contestées. Le Gouvernement entend également retreindre significativement le train de vie de l’État. Ainsi le ministre de la défense a-t-il déjà pris de nombreuses décisions tendant à réduire de manière draconienne les dépenses de fonctionnement du ministère : mutualisation des services logistiques et médicaux des différentes armes, réduction du nombre des centres de formation, diminution du nombre des déplacements en mission des cadres des armées… Pour ce seul ministère, la diminution des dépenses serait de l’ordre de 20 % au lieu des 10 % initialement annoncés.

Ces mesures conjoncturelles se doublent d’une politique de réformes structurelles destinées à rétablir la compétitivité de l’économie grecque. La première réforme touchera les retraites ; le débat a été lancé hier, et s’appuie sur les travaux engagés par le précédent Gouvernement, qui n’a pas été aussi inactif qu’on le dit. D’autres réformes tendront à améliorer la flexibilité du travail, à promouvoir des mesures favorables à l’investissement, à réviser le système de santé. Toutes seront très difficiles à mener mais toutes sont déjà lancées.

La réaction courageuse et ambitieuse du Gouvernement grec a eu pour contrepartie, vous le savez, l’octroi d’une aide de 110 milliards d’euros sur trois ans par l’Union européenne et le FMI ; le premier versement (qui comprend 5,5 milliards d’euros par le FMI) est imminent, la Grèce devant faire face à une importante échéance le 19 mai. De plus, la Banque centrale européenne a décidé d’accepter les titres de dette grecque en garantie de ses prêts, quelle que soit leur notation financière. C’est un grand soutien pour le financement de l’économie, et une garantie pour le système bancaire grec. La solidarité européenne a donc pleinement joué, même s’il a fallu, pour cela, plusieurs semaines sinon quelques mois. C’est très constructif, et les Grecs en sont conscients.

Les difficultés économiques, sociales et politiques sont réelles et vont durer, mais il existe des éléments positifs. En matière économique, la situation est stabilisée à court terme grâce au plan d’aide Union européenne-FMI. Les opérateurs grecs considèrent que les 110 milliards d’euros sur lesquels on s’est accordé suffisent pour mettre la Grèce à l’abri de nouveaux aléas à court terme. À plus long terme, le chemin est escarpé car les réformes structurelles seront très difficiles à mettre en œuvre, en particulier parce que l’appareil de l’État n’a pas, en Grèce, la même efficacité qu’il a en France. D’autre part, la dette grecque va continuer de croître avant de se stabiliser d’ici deux à trois ans. Tout cela se fera dans un contexte de déflation qui a lui-même un coût très important.

Mais l’enjeu de court terme est principalement de nature sociale et politique. Les Grecs vont-ils accepter facilement ce train de mesures ? Non, bien sûr. Cependant, le jeu est ouvert. Ainsi par exemple les Grecs, qui sont pourtant premiers fumeurs d’Europe, ont-ils accepté l’augmentation de plus de 25 % du prix du tabac depuis 2007. Certes, les Grecs sont mécontents de ce qui se passe, mais, à l’échelle du pays, la mobilisation des manifestants est plus faible que ne l’ont prétendu certains médias. Ensuite, on sent une évolution psychologique très nette de la population, qui est sensible à la nécessité de l’effort ; pour l’instant, la résignation semble l’emporter. Enfin, la mort tragique de trois personnes au cours de la manifestation du 5 mai a pour partie calmé l’agitation des extrémistes. À ce sujet, il faut savoir que les casseurs sont des factions autonomes à tendance anarchisante qui existaient dans le paysage politique grec avant le déclenchement de la crise.

Sur le plan politique, la difficulté sera réelle pour le Gouvernement, élu sur un programme de relance par le biais d’une politique de croissance verte et qui se trouve contraint de mener la politique d’austérité la plus dure jamais conduite en Grèce et peut-être en Europe. Cela ne manquera pas d’avoir un coût politique, coût atténué si la politique suivie réussit. Mais c’est la classe moyenne qui sera la plus touchée par les mesures décidées, classe qui est le vivier de l’électorat du PASOK et du parti de la Nouvelle Démocratie.

Plus profondément, la question se pose de la refonte du système politique dans son ensemble ; la population le demande, et le Gouvernement souhaite en tenir compte.

Les clés de la réussite passent par la justice sociale et par des résultats. Les Grecs sont prêts à des efforts à condition qu’ils soient répartis entre tous. Le Gouvernement en est conscient mais, en pratique, c’est difficile à mettre en œuvre. Par ailleurs, si, à la fin de l’année, la population grecque constate que ses efforts portent leurs fruits, les sacrifices qui lui sont demandés seront mieux acceptés.

S’agissant de la solidarité européenne, le rôle de la France a été très largement apprécié, et tout signal supplémentaire sera bienvenu. Par ailleurs, on perçoit des éléments favorables. D’une part, la réduction du déficit public semble probable : il est déjà de 40 % inférieur au premier trimestre 2010 à ce qu’il était au premier trimestre 2009. D’autre part, la Grèce a des atouts : une matière grise abondante, car les Grecs sont bien formés ; une marine marchande puissante dont le rebond, qui semble s’amorcer, est dû au dynamisme de l’Asie ; le tourisme. On ne saurait non plus ignorer le poids de l’économie « grise » – qui a certes des défauts mais qui a aussi servi d’amortisseur – ni celui des solidarités sociales. Par ailleurs, plus de 25 milliards de fonds européens restent à dépenser jusqu’à 2015 ; le Gouvernement grec réfléchit à la meilleure manière de les utiliser. Enfin, je l’ai dit, de très sérieux efforts sont engagés qui visent à une meilleure gouvernance.

En conclusion, la situation est et restera difficile ; le rôle de la France a été très apprécié et nous devons poursuivre en ce sens. Rappelons-nous que « crise », mot d’origine grecque, a aussi pour signification le tournant dans le décours d’une maladie. C’est donc le moment du dénouement, celui où les choses peuvent changer et évoluer favorablement. C’est nécessaire pour la Grèce, pour la France et pour l’Union européenne.

M. le président Axel Poniatowski. Monsieur l’ambassadeur, vous avez abordé de façon très complète la situation du pays et les conséquences de la crise, mais vous êtes passé plus rapidement sur les causes de cette dernière, et en particulier sur le laxisme dont ont fait preuve les gouvernements successifs. Par ailleurs, vous avez évoqué certaines dépenses structurelles, mais sans dire un mot des dépenses de fonctionnement, qui semblent pourtant jouer un rôle non négligeable dans le creusement du déficit. Pouvez-vous nous donner quelques précisions à ce sujet ?

M. Bernard Perrut. C’est en ma qualité de président du groupe d’amitié France-République hellénique que je me joins aujourd’hui à mes collègues de la Commission des affaires étrangères.

J’ai assisté, il y a quelques semaines, à l’entretien entre le Premier ministre grec et le président de l’Assemblée nationale, et je suis surpris par la rapidité avec laquelle la situation a évolué depuis. M. Papandréou avait alors évoqué ses nombreux projets, rappelant notamment la priorité qu’il donnait à l’environnement. Et s’il avait mentionné certaines préoccupations, nous ne pouvions imaginer celles qui sont aujourd’hui les siennes.

Des efforts considérables sont demandés aux fonctionnaires grecs. Je crois même savoir que les ambassadeurs, vos homologues, subissent une diminution très forte de leur salaire. Comment acceptent-ils cette évolution ?

De même, comment la population vit-elle cette crise ? À en croire les images que nous recevons, les Grecs dont les salaires sont les moins élevés, qui semblent les premières victimes des mesures décidées par le Gouvernement, dénoncent vigoureusement les dysfonctionnements de la société et le manque de justice sociale.

Quelle est la situation du chômage en Grèce ? Observe-t-on une évolution positive en ce domaine ? Pensez-vous que les dirigeants du pays seront en mesure d’appliquer un programme que l’on peut, en l’espèce, qualifier sans discussion de plan de rigueur ?

M. Dominique Souchet. J’aimerais savoir quelle est l’importance des créances des banques françaises sur l’économie grecque. Est-il vrai que nous sommes le premier pays créditeur de la Grèce ? S’agit-il de bonnes créances ?

La question de Chypre a-t-elle toujours la même importance pour le gouvernement grec ? Inspire-t-elle sa politique de défense et, par conséquent, joue-t-elle un rôle dans ses dépenses militaires ?

M. Michel Terrot. Je souhaitais poser deux questions qui ont déjà été posées par mes collègues : celle du degré d’acceptabilité par le peuple grec des mesures de rigueur, et celle de l’importance des créances détenues par les banques françaises. J’aimerais par ailleurs savoir si le secteur de la grande distribution ne risque pas d’être touché par les mesures de restriction.

M. Philippe Cochet. Vous nous avez dit que le PIB de la République hellénique s’élevait à 240 milliards d’euros. À quelle part de ce montant peut-on évaluer le poids de l’économie grise ? L’État sera-t-il, à terme, en mesure de taxer cette économie de façon à augmenter ses recettes ?

Par ailleurs, je vous trouve assez optimiste en ce qui concerne la situation politique. Les Grecs sont d’abord des Méditerranéens : tant que l’on s’en tient aux déclarations, tout va bien, mais qu’en sera-t-il quand les mesures d’austérité seront vraiment appliquées ? N’y a-t-il pas un risque que les organisations situées aux extrêmes de l’échiquier politique ne fassent leur miel de la situation ?

M. Michel Vauzelle. Il est vrai qu’un plan de redressement n’est pas immédiatement douloureux. C’est une chose de l’annoncer et de le faire adopter par le Parlement, et c’en est une autre d’en vivre les conséquences au quotidien. Outre les casseurs auxquels vous avez fait allusion, nous avons vu à la télévision des citoyens ordinaires exprimer leur préoccupation et dénoncer l’injustice de leur situation. Alors qu’ils estiment ne pas être responsables de la crise dans laquelle se trouve le pays, c’est eux, disent-ils, qui devront en payer les conséquences sous la forme d’une importante baisse de pouvoir d’achat. N’est-il pas inquiétant de voir les habitants d’une démocratie encore relativement jeune s’en prendre ainsi aux politiciens – qu’ils mettent tous dans le même panier, droite et gauche confondue ?

M. Christophe Farnaud. Il est vrai que Chypre est un sujet de politique étrangère important pour la Grèce. Mais l’attitude de la Grèce à l’égard de Nicosie est avant tout un appui à la position définie par le gouvernement de la République de Chypre. Même si elle reste son allié indéfectible, notamment au sein de l’Union européenne, elle prend peu d’initiatives. Cela étant, la Grèce reste très attentive à la situation de la République de Chypre, pays avec lequel Georges Papandréou souhaite d’ailleurs resserrer les liens. Il l’a montré en s’y rendant peu après sa nomination, tandis que le président Christofias est venu très souvent à Athènes.

Dans quelle mesure la population grecque, notamment les fonctionnaires et les catégories populaires, juge-t-elle la situation acceptable ? Le mécontentement est réel, mais pour l’instant il ne va pas jusqu’à la révolte. On observe plutôt une certaine résignation. La plupart des Grecs ont conscience que le système qu’ils ont connu jusqu’à présent est à l’origine des dysfonctionnements actuels et que leur pays a vécu au-dessus de ses moyens. Ils reconnaissent la nécessité de consentir des efforts. Il existe une relative unanimité sur ce sujet, comme j’ai pu m’en apercevoir à la lecture des sondages ou lors des contacts que j’ai quotidiennement avec la population : ce raisonnement n’est pas seulement tenu par l’élite, mais par la majorité des Grecs. Constater cela n’est pas se montrer particulièrement optimiste. C’est plutôt la perception qu’ont les médias de la situation, sa dramatisation, qui conduit à un pessimisme excessif. Or pour l’instant, les Grecs se montrent très responsables. Ainsi, contrairement à ce qu’ont annoncé les syndicats, les manifestations qui ont déjà eu lieu ne sont pas les plus importantes de la décennie. Certaines peuvent même être jugées d’une ampleur modeste à l’échelle de la Grèce. La population hésite, et les avis ne sont pas tranchés, comme le montrent les sondages les plus récents : alors que certains indiquent que la majorité de la population soutient les mesures prises par le Gouvernement, d’autres affirment le contraire.

Mais il est vrai que les Grecs, lorsque leurs poches commenceront à se vider, pourraient faire preuve de plus de mécontentement. De nombreux observateurs pensent en particulier que la rentrée de septembre-octobre sera difficile. Ainsi, même si les violences que le pays a connues ne doivent pas être considérées comme très significatives, la situation économique risque de peser sur la vie du pays, y compris d’un point de vue politique.

Toutefois, en discutant avec des chefs d’entreprise grecs ou français – car les filiales grecques des entreprises françaises sont nombreuses et emploient beaucoup de monde –, j’ai été frappé de n’entendre personne évoquer, pour l’instant, un climat social difficile. Que ce soit dans l’industrie, le secteur bancaire ou la grande distribution, on n’observe pas, en effet, de tensions sociales accrues dans les entreprises, même si les employés se disent inquiets, à juste titre d’ailleurs. Ainsi, lorsque les employés de banque ont fait grève par solidarité avec les victimes de la manifestation de la semaine dernière, une partie de ceux qui s’étaient déclarés grévistes sont tout de même venus travailler. Une telle réalité ne correspond pas à l’image que les médias étrangers donnent de la Grèce.

Tout cela ne signifie pas que la dimension sociale de la crise ne doit pas être prise en compte, bien au contraire. À court terme, les problèmes financiers de la Grèce devraient s’apaiser, mais la situation sociale, elle, devra être suivie de très près. Le Gouvernement en est d’ailleurs conscient et cherche à assurer une certaine justice sociale. Mais en ce domaine, l’équilibre sera difficile à trouver.

Du côté des fonctionnaires, des grèves ont déjà eu lieu et d’autres sont prévues, y compris – vous l’avez dit – au ministère des Affaires étrangères, ce qui est très rare. Il faut dire que les conditions de travail sont rendues très difficiles par la réduction des dépenses de fonctionnement.

M. Vauzelle a parlé de risque pour la démocratie. Il est certain que la crise politique peut évoluer en crise de légitimité. Le Gouvernement devra consentir un effort d’explication très important – il l’a d’ailleurs déjà entrepris – afin que les gens comprennent la raison de leur effort. Par ailleurs, s’il est vrai que les partis d’extrême gauche ou de gauche radicale affirment que la crise est le fait d’une élite profiteuse dont les pauvres doivent désormais payer les conséquences, cette idée est peu reprise par la majorité. Les gens connaissent la façon dont les choses fonctionnent. Ils savent que le laxisme dont on a fait preuve ces dernières années dans la gestion des personnels – grand nombre de stagiaires, rémunérations excessives, etc. – n’a pas seulement profité aux chefs. Toutes ces pratiques relèvent d’un système clientéliste. C’est pourquoi la critique n’a pas pris jusqu’à présent.

J’en viens à la situation des entreprises françaises et aux créances détenues par nos banques. Avant même que la crise n’entre dans une phase aiguë, les premières disaient constater une réduction de l’activité liée au contexte économique général. Mais pour l’instant, la majorité de leurs dirigeants ne se montrent pas exagérément pessimistes. Je n’ai ainsi entendu aucun chef d’entreprise envisager une cessation d’activités ou un départ lié à la crise. Au contraire, tous jugent que les mesures structurelles annoncées vont dans le bon sens et que la crise peut être l’occasion de procéder à des ajustements.

Quant aux banques françaises exposées en Grèce, elles sont principalement trois : il s’agit, dans l’ordre d’importance, de BNP-Paribas, de la Société générale et du Crédit agricole. On a cité, à propos des créances de l’ensemble des banques françaises, des chiffres très élevés – de l’ordre de plusieurs dizaines de milliards d’euros –, variant selon les critères employés. Mais ils prenaient en compte, en plus des créances sur l’État grec, l’ensemble des participations privées de ces banques dans le pays, et n’ont donc pas une grande signification. Si on ne retient que les créances publiques détenues par les banques, on aboutit à un chiffre beaucoup moins élevé et à des sommes relativement faibles au regard du montant de la dette grecque ou du chiffre d’affaires global de ces établissements. On ne peut donc pas parler d’une exposition exagérée. D’ailleurs, aucune des banques concernées ne fait preuve d’une inquiétude particulière.

M. Terrot a évoqué la grande distribution. Il est vrai que la France est très présente dans ce secteur, puisque Carrefour est, avec son partenaire grec, le premier distributeur du pays. La situation économique y est contrastée : une partie de la consommation s’est ralentie en raison de la crise, mais les dépenses alimentaires et de première nécessité tendent à se maintenir, ne serait-ce que parce que les gens vont moins au restaurant et mangent plus souvent chez eux. Le bilan n’est donc pas univoque.

Le niveau du chômage, monsieur Perrut, est estimé à 9,5 % en 2009, et on s’attend à ce qu’il grimpe à 10, voire 12 % (au plus) l’année prochaine. Mais comme pour le PIB, ces chiffres sont extrêmement discutés. En raison du poids de l’économie parallèle, notamment dans des secteurs clés comme le tourisme, tous les experts insistent sur la difficulté de donner des estimations précises. Les réformes structurelles envisagées, notamment les mesures de lutte contre l’évasion fiscale, devraient permettre d’y voir plus clair. Je précise à ce sujet que contrairement aux critiques exprimées par certains médias, une partie de ces mesures sont déjà mises en place. En particulier, un système de reçus a été instauré pour limiter la fraude, notamment dans les deux secteurs où elle est réputée la plus facile, les professions libérales et la restauration. Afin que le consommateur soit incité à réclamer ces reçus, une réduction d’impôt est proposée en échange de leur présentation. Or, comme j’ai pu le constater personnellement, le système fonctionne, au point qu’il m’est arrivé plusieurs fois d’être rattrapé par un commerçant parce que j’avais oublié de prendre mon ticket.

Quant à la part de l’économie grise dans le PIB de la Grèce, par définition, personne ne la connaît exactement. L’estimation va de 25 à 45 %, et le chiffre moyen communément proposé est de 30 % – ce qui est énorme. Cette incertitude a d’ailleurs des conséquences sur les autres statistiques : cela peut signifier notamment que le déficit est moins élevé qu’on le croit en pourcentage du PIB…

M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie, monsieur l’ambassadeur, de nous avoir donné une vision plus claire de la situation en Grèce.

La séance est levée à dix-huit heures trente.

____

Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 11 mai 2010 à 17 h 30

Présents. - Mme Martine Aurillac, M. Jean-Paul Bacquet, M. Roland Blum, M. Jean-Michel Boucheron, M. Philippe Cochet, M. Pierre Cohen, M. Alain Cousin, M. Tony Dreyfus, M. Hervé Gaymard, M. Lionnel Luca, Mme Henriette Martinez, M. Didier Mathus, M. Axel Poniatowski, M. Jean-Marc Roubaud, M. Dominique Souchet, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle

Excusés. - M. Claude Birraux, Mme Chantal Bourragué, M. Michel Destot, M. Jean-Paul Dupré, M. Jean-Pierre Kucheida, M. François Loncle, M. Renaud Muselier, M. Éric Raoult, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, Mme Odile Saugues

Assistait également à la réunion. - M. Bernard Perrut