Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires étrangères > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires étrangères

Mercredi 2 juin 2010

Séance de 10 h 45

Compte rendu n° 69

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Echange de renseignements en matière fiscale : accord avec les Îles Turques et Caïques – n° 2324, accord avec les Bermudes – n° 2325, accord avec les Îles Caïmans – n° 2326 et accord avec les Îles vierges britanniques – n° 2337 (M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur)

– Informations relative à la commission

Echange de renseignements en matière fiscale : accord avec les Îles Turques et Caïques, accord avec les Bermudes, accord avec les Îles Caïman et accord avec les Îles vierges britanniques

La séance est ouverte à dix-heures quarante cinq.

La commission examine, sur le rapport de M. Jean-Pierre Kucheida, le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Îles Turques et Caïques relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale (n° 2324), le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Bermudes relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale (n° 2325), le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Îles Caïmans relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale (n° 2326), et le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des îles Vierges britanniques relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale (n° 2337).

M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur. Je vous propose de rester quelques minutes encore en territoires britanniques, un peu plus lointains toutefois que les précédents. Les quatre accords dont je vais vous détailler la teneur concernent en effet les Îles Vierges Britanniques, à l’ouest de Porto Rico, les Îles Turques et Caïques, proches des Bahamas, les Bermudes au milieu de l’Atlantique et enfin les Îles Caïmans, entre Cuba et l’Amérique centrale. Je vous invite donc à un voyage en territoires lointains, aux pays des prédateurs de la finance internationale, pour l’essentiel dans la grande barrière des Caraïbes.

Après ce que nous ont dit précédemment nos collègues sur ce type de convention, je ne m’étendrai pas sur les éléments de contexte désormais bien connus. Dans le cas des îles britanniques des Caraïbes, il s’agit aussi d’accords conclus dans les derniers mois, après que des négociations qui achoppaient depuis un certain temps eurent été relancées grâce à une forte pression internationale. Les négociations bilatérales que la France avait engagées avec les Îles Vierges Britanniques avaient par exemple été entamées en 2004, vainement relancées en 2007 ; celles avec les Îles Caïmans avaient débuté en 2005, sans plus de succès. Ces quatre territoires font partie de ceux qui figuraient sur la liste grise de l’OCDE, établie en avril 2009 et le fait que tous ces accords aient été signés en quelques mois montre clairement l’effet positif de la pression internationale dans le cadre de la lutte contre les paradis fiscaux : L’accord avec les Îles Vierges Britanniques a été conclu le 17 juin 2009 ; celui avec les Îles Caïmans le 16 septembre, celui avec le gouvernement des Îles Turques et Caïques, le 18 septembre et enfin, celui avec les Bermudes a été signé le 2 octobre 2009.

A l’instar des dépendances de la Couronne et de Gibraltar dont notre collègue Alain Cousin a parlé il y a quelques instants, les territoires britanniques des Caraïbes bénéficient d’une grande autonomie politique, dans la mesure où les compétences exécutives sont réparties entre un cabinet élu, ayant à sa tête le chef de la majorité politique au parlement local, et un gouverneur, chargé des affaires étrangères, de la défense, des services publics et de la sécurité intérieure. D’un côté, l’administration de la Couronne ; de l’autre, l’administration locale, qui a entre autres, l’administration financière.

Sur un autre plan, il faut souligner les grandes similitudes dans la situation économique des archipels britanniques des Caraïbes : peu peuplés, ils sont à la fois très florissants et se caractérisent tous par un tissu économique reposant essentiellement sur le tourisme et les activités financières.

Le tourisme représente une part parfois importante des revenus de ces îles. C’est le cas, par exemple, des Îles Vierges britanniques qui attirent chaque année plus de 800 000 touristes qui génèrent près de 45 % du revenu national. De même, le secteur touristique constitue le premier pilier de l’économie des Îles Caïman, avec des recettes représentant quelque 70 % du PNB et 75 % des entrées de devises étrangères. Plus de 2 millions de touristes, dont la moitié est en provenance des Etats-Unis, se rendent ainsi chaque année aux Îles Caïman sur lesquelles se trouvent les représentations des 30 plus grandes banques de la planète.

Mis à part le tourisme, compte tenu des faibles superficies et de la pauvreté des sols, ce n’est pas sur l’agriculture ni sur l’industrie que repose la richesse des territoires mais sur la finance internationale. Vous en jugerez à l’énoncé de quelques données parlantes : les Îles Vierges Britanniques sont un des principaux lieux de domiciliation financière du monde, avec quelque 500 000 sociétés. Les Îles Caïmans en hébergent pour leur part plus de 85 000, souvent plus importantes, les Îles Turques et Caïques plus de 16 000 et les Bermudes 13 000.

D’une certaine manière, les uns et les autres ont chacun leur spécialité : le tiers des hedge funds mondiaux, 9 500, sont gérés depuis les Îles Caïman. Si les Bermudes hébergent 8 % des hedge funds, elles sont aussi le principal lieu de domiciliation des sociétés d’assurance captives au monde, plus de 1 400 s’y trouvent.

En termes de revenus, le secteur financier garantit aux territoires britanniques des Caraïbes des ressources considérables : les dépôts bancaires aux Bermudes représentent 23 milliards de dollars ; les actifs des quelque 1 300 fonds s’élevaient à 211 milliards en 2006. La situation est comparable aux Îles Caïman où les 700 sociétés d’assurance captives qui y sont domiciliées représentent plus de 37 milliards de dollars.

On comprend dans ces conditions la faible volonté dont ont longtemps fait preuve tous ces territoires pour coopérer avec la communauté internationale en faveur de plus de transparence. Qu’ils aient été qualifiés de « non coopératifs » par l’OCDE en 2000, comme les Îles Vierges Britanniques et les Îles Turques et Caïques ou que, à la même époque, ils se soient au contraire engagés à collaborer, comme les Bermudes et les Îles Caïman, il a fallu attendre la pression internationale du début 2009 pour que tous se mettent réellement à la table des négociations et acceptent enfin d’appliquer les standards de transparence et d’échanges d’informations fiscales. Ce qui en dit long sur leur réelle volonté de coopération et doit donc inciter à une très grande vigilance.

Cela étant dit, par rapport à ceux qui ont été présentés antérieurement, les accords qui ont été signés avec ces territoires ne comportent pas de différence majeure qui justifieraient de larges développements. Comme on le sait, ils ont été signés sur la base du modèle de l’OCDE, qu’ils améliorent en partie, par exemple en ce qui concerne le champ des impôts couverts ou l’obligation pour les parties de prendre les mesures de nature à garantir la disponibilité des informations.

La structure de ces quatre accords est rigoureusement identique. Il s’agit, aux termes des préambules, de faciliter l’échange de renseignements fiscaux entre les Parties. Pour cela, l’article 1er de chaque accord prévoit une assistance en matière fiscale de manière à aider les Parties contractantes à appliquer leur législation en ce qui concerne les impôts visés par l’accord. Les Parties conviennent qu’il s’agit des renseignements « pertinents pour la détermination, l’établissement, le contrôle et la perception de ces impôts, pour le recouvrement et l’exécution des créances fiscales, ou pour les enquêtes ou les poursuites en matière fiscale » (article 1er des accords), étant entendu que seuls les renseignements détenus par les autorités compétentes sont concernés. Il est important de noter que, à la différence de certains autres accords, les impôts qui sont visés dans ceux-ci sont, dans chaque cas, l’ensemble des impôts existants prévus par les dispositions législatives et réglementaires des parties. Dans le même esprit, il est précisé que les impôts qui viendraient à être créés après la signature des accords sont également concernés. Il est également prévu que les accords s’appliquent à tous les autres impôts dont peuvent convenir les Parties contractantes. Ces dispositions sont l’objet des articles 3 des différents accords.

Des obligations précises sont mises à la charge des Parties prenantes. C’est l’objet des articles 5 des accords qui précisent, comme règle de base, que « l’autorité compétente de la partie requise est tenue de fournir les renseignements sur demande par écrit aux fins visées à l’article 1er », tant en matière fiscale pénale que non pénale.

De plus, dans l’hypothèse où elle ne dispose pas des renseignements qui lui sont demandés, la Partie requise est tenue de prendre toutes les mesures adéquates de collecte nécessaires pour fournir à la Partie requérante les renseignements demandés, même si elle n’en a elle-même pas besoin pour ses propres fins fiscales. En d’autres termes, une obligation de résultat incombe aux parties contractantes.

En parallèle, comme pour d’autres accords, la Partie requérante a également la possibilité de mandater des représentants qui peuvent être autorisés « à entrer sur le territoire de la partie requise pour interroger des personnes physiques et pour examiner des documents, avec le consentement écrit préalable des personnes concernées. »

Les possibilités de refus sont également énumérées, comme en ce qui concerne les autres territoires britanniques dont notre collègue Alain Cousin a parlé. Elles ne diffèrent pas de celles que l’ont trouve dans les autres accords, non plus que les règles de confidentialité.

Dans l’ensemble, ces accords me semblent intéressants pour plusieurs raisons : ils ont un champ d’application large, en ce qu’ils portent sur l’ensemble des impôts, existants ou à venir, sans restriction. Ensuite, certains mécanismes de contrainte sont prévus qui peuvent, malgré l’éventuel manque de bonne volonté des parties, aider à leur application.

Le débat que nous avons eu la semaine dernière, et celui de toute à l’heure, reflétait nos préoccupations quant à l’efficacité de ce type d’accord. Il faudra à l’évidence, c’est important, qu’une évaluation soit effectuée en temps utile de l’application de ces mesures, compte tenu de la mauvaise volonté à laquelle sont accoutumés les territoires concernés. A l’heure actuelle, force est de constater que les choses ne vont pas très vite : les législations internes ont à peine commencé d’être examinées pour s’assurer qu’elles ne faisaient pas obstacle à l’échange de renseignements, mais ce n’est qu’à partir du second semestre de 2012 pour les Bermudes, les Îles Caïman et les Îles Vierges britanniques et au cours du premier semestre 2013 pour les Îles Turques et Caïques que l’application de la mise en œuvre effective de ces accords pourra faire l’objet d’un examen. Notre évaluation ne pourra donc se faire de sitôt.

Malgré tout, compte tenu des dispositifs prévus, notamment de la revue par les pairs, compte tenu du rôle antérieur joué par la pression internationale comme on l’a vue, qui ne doit pas faiblir, je crois qu’on peut être très raisonnablement optimiste et considérer que ces accords sont un pas en avant sur le chemin de la transparence. Comme le disait notre collègue Daniel Garrigue, c’est un petit pas en avant qui nous donne bonne conscience. Plusieurs questions se posent : Comment les établissements financiers vont-ils tenter de contrer ces accords ? Quels vont être les moyens des services fiscaux français pour procéder aux investigations nécessaires à l’heure où l’on diminue les effectifs de la fonction publique ? Le contrôle des paradis fiscaux n’est sans doute pas aussi fort qu’il pourrait l’être. Je retiens notamment la remarque de l’ambassadeur Maurice Gourdault-Montagne ce matin qui a souligné que les paradis fiscaux représentaient une source de revenus non négligeable pur le Royaume-Uni. Mais on ne peut sans doute pas tout mettre sur la table du jour au lendemain.

Je me suis abstenu tout à l’heure d’approuver ces projets de loi car je crois qu’il faudrait aller plus loin.

M. Lionnel Luca. Sans reprendre ce qui a été dit précédemment, la multiplication des accords de cette nature témoigne d’une évolution incontestable en matière de lutte contre les paradis fiscaux. Je m’interroge néanmoins sur l’attitude de la Grande-Bretagne sur ces questions. Il serait utile que nous ayons des éléments plus précis sur ce point ainsi que sur la capacité de l’Union européenne à infléchir la position britannique.

M. le président Axel Poniatowski. Cette question devra en effet être abordée lors de l’évaluation de ces accords. Il conviendrait de s’assurer que la Grande-Bretagne figure toujours parmi les signataires de douze conventions exigées par l’OCDE.

M. Rudy Salles. Je tiens à rendre hommage au rapporteur et à le remercier pour son cours de géographie. Je me permets de réitérer le souhait que j’ai formulé dans mon intervention précédente quant à la nécessité d’un suivi de ces accords.

Mme Chantal Bourragué. Je m’associe aux remarques précédentes de mes collègues. Il me semble que les établissements bancaires français ont reçu du ministère des finances des recommandations particulières concernant leurs établissements dans ces îles. Qu’en est-il ?

M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur. Il est vrai que la France est présente au travers de ses établissements bancaires dans ces îles et que ceux-ci en tirent probablement quelques facilités.

M. Jean-Claude Guibal. Je souhaite poser une question connexe : avons-nous des informations sur l’origine des fonds, notamment le blanchiment, qui transitent par ces pays ?

M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur. Nous ne disposons pas d’informations précises sur cette question.

M. François Loncle. J’indique que le groupe socialiste s’abstient sur ces projets de loi, non pour désavouer l’excellent rapport de M. Kucheida mais pour regretter que les efforts en matière de lutte contre les paradis fiscaux n’aillent pas plus loin, faisant écho à l’intervention de Mme Guigou.

M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur. Je vous rappelle qu’un seul des quatre Etats a procédé à la notification nécessaire à l’entrée en vigueur des accords.

La commission adopte sans modification les projets de loi (n°s 2324, 2325, 2326, 2337).

Informations relatives à la commission

La commission nomme les rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2011.

– Affaires européennes :

– Action extérieure de l’Etat :

Mme Geneviève Colot, rapporteure pour avis

– Action extérieure de l’Etat :

– Aide publique au développement :

– Ecologie, développement et aménagement durables :

– Economie

– Immigration, asile et intégration :

– Médias :

– Défense :

La séance est levée à onze heures.

____

Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 2 juin 2010 à 10 h 45

Présents. - Mme Martine Aurillac, M. Jean-Paul Bacquet, M. Jacques Bascou, M. Roland Blum, Mme Chantal Bourragué, M. Hervé de Charette, M. Dino Cinieri, M. Pascal Clément, M. Philippe Cochet, M. Gilles Cocquempot, Mme Geneviève Colot, M. Alain Cousin, M. Michel Delebarre, M. Tony Dreyfus, Mme Marie-Louise Fort, M. Paul Giacobbi, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Patrick Labaune, M. Jean-Paul Lecoq, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, Mme Henriette Martinez, M. Didier Mathus, M. Gérard Menuel, M. Axel Poniatowski, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. Rudy Salles, M. Michel Terrot

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Christian Bataille, M. Claude Birraux, M. Loïc Bouvard, M. Jean-Jacques Guillet, M. Serge Janquin, M. Didier Julia, M. Renaud Muselier, M. Éric Raoult, M. Michel Vauzelle