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Commission des affaires étrangères

Mercredi 23 juin 2010

Séance de 11 h 00

Compte rendu n° 77

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– EUROGENDFOR : ratification du traité entre l’Espagne, la France, l’Italie, les Pays-Bas et le Portugal– n° 2278 (M. Alain Néri, rapporteur).

– Ratification de l’accord de stabilisation et d’association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres et la Bosnie-et-Herzégovine – n° 2146 (M. Loïc Bouvard, rapporteur).

EUROGENDFOR : ratification du traité entre l’Espagne, la France, l’Italie, les Pays-Bas et le Portugal– n° 2278

La séance est ouverte à onze heures.

La commission examine, sur le rapport de M. Alain Néri, le projet de loi autorisant la ratification du traité entre le Royaume d’Espagne, la République française, la République italienne, le Royaume des Pays-Bas et la République portugaise, portant création de la force de gendarmerie européenne EUROGENDFOR (n° 2278)

M. Alain Néri, rapporteur. Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui vise à ratifier le traité, signé le 18 octobre 2007 à Velsen, aux Pays-Bas, portant création d’une force de gendarmerie européenne (FGE). Les cinq Etats d’origine, la France, les Pays-Bas, l’Espagne, le Portugal et l’Italie, ont été rejoints, en 2008, par la Roumanie.

Le projet de créer une force de gendarmerie européenne est ancien. Proposé dans les conclusions de plusieurs conseils européens dès 2000, il a été formalisé une première fois en 2004, par la signature d’une déclaration d’intention ministérielle entre les cinq Etats fondateurs.

La volonté de mettre en commun des forces de gendarmerie, ou des unités apparentées, procède d’une analyse lucide des opérations militaires contemporaines. De plus en plus complexes, et étalées dans le temps, les missions demandées aujourd’hui aux armées mêlent des aspects proprement militaires, et des nécessités de maintien de l’ordre, ou de soutien à des forces de sécurité locales.

Les forces de police à statut militaire sont aptes à intervenir dès la fin des affrontements, et jusqu’à la reprise en main du territoire et de la sécurité des personnes par les autorités légitimes. Leur polyvalence en fait donc un atout clé notamment pour les opérations conduites sous l’égide d’organisations internationales.

C’est pourquoi, dès l’origine, la force de gendarmerie européenne a été conçue comme la mise en commun de capacités nationales au service d’organisation internationales, au premier rang desquelles figure l’Union européenne, mais qui peuvent être, également, l’ONU, l’OTAN, ou même une coalition spécifique.

Depuis 2004, la force de gendarmerie européenne, également appelée EUROGENDFOR, s’est progressivement mise en place. Elle est dotée d’un quartier général permanent et projetable, installé à Vicence, en Italie.

Comme la plupart des institutions militaires internationales, elle ne dispose pas de forces autonomes. Elle fait donc appel aux capacités des Etats membres pour effectuer les opérations décidées par le comité interministériel de haut niveau, son principal organe de décision.

A l’heure actuelle, l’EUROGENDFOR est censée pouvoir déployer 800 personnels en moins de 30 jours, et soutenir un total de 2300 personnes en opération. Ces chiffres restent toutefois un objectif théorique.

La force de gendarmerie européenne a dores et déjà participé à trois opérations.

En Bosnie-Herzégovine, elle déploie 124 personnels dans le cadre de l’opération Althéa, conduite par l’Union européenne.

En Afghanistan, ce sont 124 gendarmes français, sur un total de 276 personnels de l’EUROGENDFOR, qui participent à des missions de formation sous commandement de l’OTAN.

Enfin, à Haïti, la force de gendarmerie européenne a envoyé 270 personnels, dont 147 Français, pour participer à la mission des Nations Unies, la MINUSTAH.

Certaines des opérations déjà lancées ont souligné les difficultés que la force de gendarmerie européenne rencontre depuis l’origine. Dépendante des efforts consentis par les Etats, en l’absence de capacités logistiques propres, l’EUROGENDFOR a parfois dû retarder de plusieurs mois le déploiement de ses unités. Certains Etats ont renoncé à leur intention d’envoyer leurs personnels, en l’absence de capacités nationales adéquates pour assurer le soutien de leurs troupes sur place.

Par ailleurs, relevant uniquement d’une déclaration d’intention ministérielle, la force de gendarmerie européenne souffre d’une relative incertitude juridique concernant certains aspects de son activité. C’est précisément à cette question que la présente convention entend répondre.

Le traité du 18 octobre 2007 est parfaitement conforme aux principes de la déclaration d’intention de 2004, et reprend tous les éléments constitutifs de la force : quartier général permanent, recours aux capacités nationales en hommes et en moyens, disponibilité de la force pour les opérations menées par l’Union européenne, l’ONU, l’OTAN voire d’autres coalitions.

Le présent traité rappelle notamment que les seules charges communes sont celles occasionnées par l’entretien du quartier général, et sont réparties au prorata du nombre d’officiers détachés dans cette structure.

La France, qui a envoyé 4 officiers et 2 sous-officiers au quartier général qui compte 36 personnels militaires, finançait ainsi 53 des 266 000 euros nécessaires au fonctionnement de cette structure en 2009. Pour 2010, les chiffres prévisionnels sont de 292 000 euros pour le budget total, et 59 000 euros pour la part française.

Au-delà des stipulations tenant lieu de rappel de l’existant, le traité de 2007 apporte quelques précisions dans des domaines que la déclaration d’intention de 2004 ne couvrait qu’imparfaitement.

Ainsi, le statut des personnels détachés au quartier général de la force est détaillé. Il est proche des standards applicables dans le cadre d’accords de siège d’organisations internationales. La spécificité des activités militaires conduit à ajouter quelques stipulations relatives au port d’armes et de l’uniforme.

Les éventuels dommages causés dans le cadre des opérations ou exercices de la force de gendarmerie européenne sont soumis à des règles de responsabilité particulières, qui prévoient notamment une charge collective dans les cas où le dommage ne serait pas imputable à une faute grave ou une négligence d’un personnel.

Enfin, si la force de gendarmerie européenne bénéficie de la personnalité juridique interne, elle n’est pas dotée de pouvoirs juridiques internationaux, et ne peut donc pas passer d’accords directement avec les organisations internationales requérant ses capacités, ou avec les Etats au sein desquels les opérations sont menées.

Les décisions stratégiques ne peuvent être prises que par le comité interministériel, qui se prononce à l’unanimité, et choisit seul d’intégrer des unités de l’EUROGENDFOR à une opération.

Le traité portant création d’une force de gendarmerie européenne apparaît donc comme la formalisation d’une initiative originale et positive.

Originale, car elle permet de mettre en commun des capacités militaires au service, notamment, de l’Union européenne, tout en préservant l’entière liberté de décision des Etats qui y participent.

Positive, car elle permet de valoriser le modèle de forces de police à statut militaire, dont la gendarmerie française est un des principaux exemples, alors même que l’utilité de ce type d’unités est sans cesse soulignée dans les opérations militaires contemporaines.

Déjà, deux Etats, la Pologne et la Lituanie, se sont vues octroyer le statut d’observateur au sein de l’EUROGENDFOR, et ont entrepris le rapprochement de certaines de leurs forces de police des standards pratiqués par les pays membres de la force.

Parce qu’il valorise un domaine d’excellence française, et qu’il renforce les capacités européennes dans un secteur clé pour la résolution des conflits contemporains, je ne peux que me prononcer en faveur de la ratification du présent traité.

M. le président Axel Poniatowski. Quel est le ministère qui sera présent au comité stratégique décidant du déploiement de la force créée par le traité ? S’agit-il du ministère des Affaires étrangères, du ministère de la Défense ou du ministère de l’Intérieur ?

M. Alain Néri, rapporteur. Le traité indique que les Etats sont représentés par un membre du ministère des Affaires étrangères et un membre du ministère de l’Intérieur ou de la Défense, selon le choix fait par les instances nationales en fonction de la chaîne de commandement interne des forces de police à statut militaire.

M. Jacques Myard. L’initiative que porte ce traité est louable. Je relève néanmoins deux problèmes. En premier lieu, l’intervention de la force de gendarmerie n’est possible qu’avec l’accord du pays où l’opération se déploie, à moins que le Conseil de sécurité des Nations unies n’en décide dans le cadre d’une opération de « guerre ». En second lieu, la langue de travail de cette force, choisie conjointement par les parties, sera l’anglais, nous le savons. Or ce n’est la langue d’aucun des États signataires ! Nos forces doivent employer le français et j’entends déposer un amendement en ce sens.

M. Alain Néri, rapporteur. En effet, dans beaucoup de réunions internationales il est difficile d’employer le français et l’usage de l’anglais tend à devenir hégémonique. Je rappelle à cet égard qu’il est aussi de notre responsabilité personnelle de nous exprimer dans notre langue dans les enceintes internationales. Mon rapport écrit exprime le regret de constater que le français n’ait pas été retenu comme langue de travail d’EUROGENDFOR. Quant à l’initiative des opérations qui seront menées, il est exact qu’elle proviendra de tiers ; la force ne fait que participer à des opérations décidées par d’autres organisations.

M. Jacques Myard. De simples regrets ne suffisent pas ! Je dénonce la lâcheté de nos militaires qui n’emploient pas le français. Voyez la liste des États parties : quelle raison y a-t-il de parler anglais dans un tel cadre ?

M. Jean-Louis Christ. Nous parlons d’unités de police à statut militaire. Quel en est le vivier de recrutement : des policiers ou des gendarmes ? Ce n’est pas indifférent du point de vue de la qualité de leur formation.

M. Alain Néri, rapporteur. La force de police à statut militaire française est la gendarmerie. La France met donc des gendarmes à disposition de la force de gendarmerie européenne. Mais d’autres pays peuvent user d’autres appellations pour désigner leurs forces de police à statut militaire.

M. Lionnel Luca. Je voterai ce projet de loi mais je reste dubitatif. Si un petit nombre d’États membres de l’Union européenne se réunissent autour du statut particulier de certaines de leurs forces de sécurité, qu’en est-il des autres ? Sont-ils exclus par principe ou bien l’extension de cette force à l’ensemble de l’Union européenne est-elle possible ? Pareille extension tracerait une perspective d’avenir. Je préférerais qu’une telle coopération soit mise en place pour les pompiers, dont on sait qu’ils existent dans chaque État membre ; les besoins sont importants dans ce domaine.

M. Alain Néri, rapporteur. Tous les Etats membres de l’Union européenne ne sont pas dotés de forces de police à statut militaire. C’est donc dans un premier temps un « noyau dur » qui est créé, une forme de coopération renforcée hors du cadre de l’UE, ce premier cercle étant appelé à s’élargir. Cela étant, le format restreint de la coopération peut aussi être un gage de réactivité et d’efficacité, à l’abri des lourdeurs de la concertation à 27.

M. Jean-Paul Dupré. Cette construction à cinq pays me semble quelque peu bancale. Qui sera l’utilisateur de la force ainsi créée ? Par ailleurs, quelle place pour la France dans cet ensemble dans l’éventualité d’une fusion entre sa police et sa gendarmerie ? Enfin, des relations transfrontalières dans ce domaine sont-elles prévues avec un pays comme l’Andorre ?

M. Alain Néri, rapporteur. Le premier utilisateur d’EUROGENDFOR sera l’Union européenne, comme cela est clairement stipulé dans le traité. Si la perspective de faire participer les 27 à cette force de gendarmerie est souhaitable – en dépit d’éventuelles lourdeurs dans la coordination –, mieux vaut commencer par réunir les États partageant un modèle commun plutôt que d’attendre que chaque État membre se dote d’une gendarmerie. La fusion police-gendarmerie en France n’est pas, semble-t-il, d’une actualité immédiate. Enfin, la coopération avec de petits pays n’est pas envisagée pour l’heure, car l’objectif est de s’appuyer sur des pays dont les forces soient en nombre suffisant pour permettre un déploiement efficace hors de nos frontières.

M. Patrick Labaune. Avec le rapprochement entre police et gendarmerie sous l’autorité unique du ministère de l’Intérieur, faut-il comprendre que ce ministère devient compétent pour des opérations extérieures ?

M. Alain Néri, rapporteur. La gendarmerie conserve son statut militaire, c’est à ce titre qu’elle intervient à l’extérieur.

M. Dino Cinieri. Je note, pour le déplorer, que cette force ne jouera aucun rôle dans la lutte contre le terrorisme international. Je m’interroge par ailleurs sur ses modalités de déploiement sur le terrain. Enfin, pourquoi l’Allemagne n’y participe-t-elle pas ?

M. Alain Néri, rapporteur. L’Allemagne ne dispose pas de force de police à statut militaire.

M. Gérard Menuel. Je me réjouis que ce texte soit un facteur de meilleure sécurité juridique. Selon quelle procédure de nouveaux États membres peuvent-ils participer à EUROGENDFOR ? Je pense en particulier à ceux qui contribuaient à la Force de gendarmerie européenne, comme la Pologne et la Slovénie.

M. Alain Néri, rapporteur. Les Etats peuvent mettre leurs forces de police à statut militaire à disposition de la FGE dès que les membres estiment qu’elles répondent à leurs standards.

M. Michel Terrot. Est-il exact que la Belgique aurait fait acte de candidature ? Quid d’autres pays ?

M. Alain Néri, rapporteur. Je n’ai pas connaissance d’une telle demande de la Belgique.

M. Jean-Paul Lecoq. Le rapporteur souligne le statut militaire des gendarmes. Lorsque des gendarmes français remplissent des missions très utiles en Afghanistan, sous quel statut opèrent-ils ? En d’autres termes, obtiendront-ils une carte d’ancien combattant ? Les gendarmes français envoyés hors de nos frontières dans le cadre de la FGE conservent les droits des gendarmes envoyés dans des opérations nationales.

M. Alain Néri, rapporteur. Je ne sais pas ce qu’il en est précisément pour les gendarmes intervenant en Afghanistan mais les unités de gendarmerie qui ont assuré l’ordre en Algérie ont obtenu le statut d’ancien combattant.

M. Jean-Michel Boucheron. Je suis très favorable à la méthode qui a conduit à l’adoption de ce traité. Il me semble en effet que seule une Europe à plusieurs vitesses peut avancer. Ceux qui sont les plus favorables à une coopération la mettent en place entre eux et entraînent les autres dans un deuxième temps.

Cette force peut être amenée à intervenir dans différentes situations, tantôt d’une manière très positive tantôt avec de mauvais résultats. Je considère très positive l’intervention de ce type de forces pour aider un pays à passer d’un régime dictatorial à une véritable démocratie. Il ne saurait en effet y avoir de démocratie sans la mise en place de forces de police extérieures aux autres forces militaires.

En revanche, je trouve très mauvaise l’intervention de forces occidentales pour former la police de certains Etats sur le modèle de ce qui se fait en Afghanistan. Nos gendarmes et policiers ont pour principal objectif de « faire du chiffre » sans fournir une véritable formation aux policiers locaux, qui n’en reçoivent pas moins des armes susceptibles d’être finalement utilisées contre le régime politique qu’elles sont censées protéger.

M. Serge Janquin. Je considère que ce traité constitue une avancée concrète utile en mettant en place un nouveau domaine de coopération européenne, même s’il est encore incomplet. J’estime moi aussi qu’il est inadmissible que cette force ait pour langue commune l’anglais alors qu’aucun pays anglophone n’est partie au traité. Je m’interroge sur les stipulations relatives au règlement des différends. Certes, il est prévu d’emprunter la voie de la négociation ; mais que se passera-t-il si les différends persistent ? A quel niveau seront-ils réglés ? Au sein du comité interministériel de haut niveau ? Entre les ministres eux-mêmes ? Au niveau des chefs d’Etat ? En cas d’absence de règlement des différends la seule solution consisterait-elle à dénoncer le traité ?

M. Alain Néri, rapporteur. L’article relatif au règlement des différends est celui qui figure traditionnellement dans les traités. Si la voie de la négociation ne suffit pas, on a alors recours à l’arbitrage et à toute autre possibilité offerte en droit international public.

M. Philippe Cochet. Je m’interroge sur la gouvernance de cette nouvelle force. On ne cesse de multiplier les organes sans se préoccuper de savoir à qui ils rendent compte. Il me semble qu’il faudra suivre attentivement la mise en œuvre de ce traité, tout comme il conviendrait de le faire d’une manière générale pour les accords dont nous autorisons la ratification.

M. le président Axel Poniatowski. La commission a toujours la possibilité d’assurer ce suivi notamment dans le cadre de la semaine de contrôle, voire en recourant si nécessaire à une proposition de résolution.

M. Alain Néri, rapporteur. Dans la mesure où la participation de la France au budget d’EUROGENDFOR est votée chaque année, les parlementaires peuvent tout à fait remplir leur mission de contrôle à cette occasion, même si la participation française est limitée à 150 000 euros par an.

M. Jacques Remiller. Dans le projet de rapport sont soulignés les avantages du traité en terme d’amélioration de la sécurité juridique. Pourriez-vous nous préciser en quoi ce sera le cas ? Les stipulations applicables manquent-elles actuellement de lisibilité ou d’efficacité ?

M. Alain Néri, rapporteur. Le traité regroupe en effet des stipulations actuellement éparpillées dans différents instruments internationaux. Il assurera donc une plus grande clarté des normes applicables. Par ailleurs, il apporte des précisions sur le statut des personnels et les règles de responsabilité.

Mme Elisabeth Guigou. J’estime très positif la création d’une force de gendarmerie européenne qui permettra de combler le manque souvent constaté dans des pays qui viennent de sortir d’un conflit entre les missions remplies par les forces armées et celles qui doivent être prises en charge par la police civile. J’ai en revanche des réserves sur le procédé qui a conduit à la conclusion de ce traité. Le traité de Lisbonne offre un cadre pour que certains pays de l’Union constituent des avant-garde dans certains domaines. Certes ce traité a été signé en octobre 2007 avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Les stipulations de celui-ci relatives à la coopération structurée permanente en matière militaire auraient parfaitement pu trouver à s’appliquer pour la création de cette Force. Je m’interroge sur la possibilité qu’il y aurait maintenant à replacer cette force dans le cadre de cette coopération prévue par le traité de Lisbonne. Je vous rappelle que le traité de Schengen n’avait dans un premier temps été conclu que par cinq Etats avant d’être réintégré dans le traité sur l’Union européenne. A moins que se posent des problèmes juridiques particuliers, notre pays devrait saisir l’occasion offerte par la création de cette Force pour affirmer sa volonté d’utiliser les possibilités offertes par le traité de Lisbonne en matière d’avant-garde.

M. Alain Néri, rapporteur. La coopération structurée permanente prévue par le traité de Lisbonne prévoit d’associer les Etats membres les plus avancés en matière militaire. La FGE n’a pas tout à fait le même objet. Elle procède enfin d’une ambition bien moins large que la coopération structurée permanente.

M. Jean-Michel Ferrand. Le traité prévoit que chaque opération donne lieu à la constitution d’une force de gendarmerie : faut-il en conclure qu’EUROGENDFOR ne disposera d’aucun vivier de personnels spécifiquement formés mais fera exclusivement appel aux unités volontaires pour telle ou telle opération ? Dans ces conditions, cette force ne risque-t-elle pas d’être dépourvue de toute expérience commune et de toute camaraderie ? Par ailleurs, qui en assurera le commandement ?

M. Alain Néri, rapporteur. Le commandement stratégique sera assuré par le comité interministériel. Le quartier général de la Force, qui rassemble un certain nombre d’officiers, assure la coordination sur le terrain. Il est vrai qu’il ne s’agit pas d’une force autonome et qu’il sera fait appel au volontariat pour chaque opération. Chaque Etat s’assure que ses forces de police à statut militaire sont correctement formées et intégrables à la FGE.

M. le président Axel Poniatowski. L’objectif du traité n’est pas la constitution d’une force autonome mais l’organisation de la mise en commun d’unités de gendarmerie pour effectuer une opération particulière.

M. Patrick Balkany. La police est sous la tutelle du ministère de l’intérieur et les ministres de l’intérieur des Etats membres de l’Union se réunissent très régulièrement pour coordonner la lutte contre les différents trafics internationaux. J’avoue ne pas voir l’intérêt de la création d’une nouvelle force de gendarmerie dont la mise en place ne coûtera que 150 000 euros à la France ! Cela me semble n’avoir aucun sens ! Pour quelles missions allons-nous envoyer des gendarmes aux quatre coins de la planète ? J’ai l’impression que le mieux serait encore de rattacher cette force au ministère du tourisme ! Je vais m’abstenir sur ce texte.

M. Jean-Louis Bianco. Les nombreuses questions posées par mes collègues sont très légitimes. Je partage l’avis de M. Jean-Michel Boucheron sur le fait qu’une coopération de ce type fait avancer l’Europe, même si elle n’a pas une vaste portée. Il y a incontestablement des missions particulières à remplir pour une force de gendarmerie distincte des forces armées classiques et des forces civiles, et ce à toutes les étapes d’une crise. Vous avez évoqué l’éventualité de la participation de la Roumanie à EUROGENDFOR. Une démarche est-elle entreprise pour obtenir la participation d’autres Etats de l’Union ?

M. Alain Néri, rapporteur. Notre gendarmerie a déjà beaucoup d’expérience en matière d’interventions sur des terrains extérieurs. Mais elles se déroulent exclusivement après la fin des opérations militaires stricto sensu. Selon le ministère des affaires étrangères et européennes, seule la Roumanie a, à ce jour, exprimé la volonté de se joindre à EUROGENDFOR.

M. Jean-Claude Guibal. Je suis d’accord avec M. Boucheron pour ce qui est de la méthode visant à construire une Europe à géométrie variable, et avec M. Myard pour déplorer l’usage de l’anglais comme langue commune alors que la plupart des pays participants sont de langues romanes. Ce choix me semble à la fois déplacé et inacceptable. Cette force de gendarmerie pourrait constituer le noyau d’une force d’intervention européenne plus large. Je m’inquiète néanmoins de la manière dont se mettent en place les coopérations de ce type : qui décide de l’intervention de cette force ? Qui définit ses missions prioritaires ? Dans le cadre de quelle politique ses interventions se placeront-elles ?

M. Jean-Paul Bacquet. En ce qui concerne le mode de financement, le traité évoque l’utilisation d’une clé de répartition liée au nombre de personnels émanant de chaque Etat, mais ce nombre dépend lui-même du choix des Etats concernant chacune des opérations. Le financement de la force sera-t-il assuré opération par opération ? Si un seul pays intervient, devra-t-il assurer l’ensemble du financement ?

M. Alain Néri, rapporteur. Les gendarmes participant à une opération sont toujours rémunérés par le pays duquel ils viennent. Seul le fonctionnement du comité interministériel est assuré par le budget commun.

M. Hervé de Charette. Je suis surpris par l’ampleur de ce débat ! Ce traité crée certes un instrument utile mais ce n’est tout de même pas la pierre philosophale ! Sur le fond, il me semble positif que les forces de gendarmerie de plusieurs Etats travaillent ensemble.

M. le président Axel Poniatowski. Il est vrai qu’il ne s’agit que d’un petit pas. Néanmoins, lorsque cette force de gendarmerie européenne est intervenue à Haïti après le tremblement de terre, son action dans la lutte contre les pillards a été très utile et appréciée. C’est aussi à la suite de ce tremblement de terre que l’on a regretté l’absence d’une coopération européenne en matière de sécurité civile, plusieurs pays européens étant intervenus sur le terrain sans coordination. S’il n’y a que cinq Etats participants aujourd’hui à EUROGENDFOR, je suis sûr que leur nombre sera bien supérieur dans un proche avenir.

M. Jacques Myard. Je me propose de déposer auprès du service de la séance un amendement visant à compléter l’article unique du projet de loi afin d’imposer aux gendarmes français l’utilisation de notre langue lorsqu’ils participent à une opération de cette force européenne.

M. le président Axel Poniatowski. Permettez-moi d’émettre des doutes quant à la recevabilité d’un tel amendement.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (no 2278).

Ratification de l’accord de stabilisation et d’association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres et la Bosnie-et-Herzégovine – n° 2146

La commission examine, sur le rapport de M. Loïc Bouvard, le projet de loi autorisant la ratification de l’accord de stabilisation et d’association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d’une part, et la Bosnie-et-Herzégovine, d’autre part (n° 2146).

M. Loïc Bouvard, rapporteur. Monsieur le Président, mes chers collègues, notre commission avait eu l’occasion de le constater lors de la table ronde organisée le 20 janvier dernier sur la situation des Balkans occidentaux à l’égard de l’Union européenne : la situation politique interne de la Bosnie-Herzégovine est, à de nombreux égards, beaucoup plus complexe que celle de ses voisins. Cela est dû à la fois à ses institutions, à son peuplement et à la tutelle internationale à laquelle elle est soumise, encore aujourd’hui, quatorze ans après la fin de la guerre sur son territoire. En effet, en matière d’institutions, l’État central bosnien est concurrencé par d’autres institutions : celles de la Republika srpska d’une part, et d’autre part celles de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, elle-même divisée en dix cantons, avec chacun à sa tête un exécutif gouvernemental. À telle enseigne que la Bosnie détient une forme de record de densité institutionnelle, puisqu’elle ne compte pas moins de 14 gouvernements et près de 180 ministres, pour moins de 4 millions d’habitants !

Deuxièmement, si l’on excepte l’Ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM), la question du partage du pouvoir entre communautés distinctes ne se pose pas dans les autres États de la région, dont le peuplement est beaucoup plus homogène. En revanche, la Bosnie-Herzégovine est composée de trois peuples dits « constitutifs » : les Bosno-Serbes, les Bosno-Croates et les Bosniaques – qui sont musulmans. Les dirigeants de ces communautés, qui se sont affrontées par les armes dans le passé, ne parviennent pas spontanément à élaborer des positions communes et tendent à faire passer les intérêts de l’entité à laquelle ils s’identifient − la Republika srpska pour les Bosno-serbes, la fédération pour les Bosniaques − avant ceux de l’État central. L’existence d’une présidence collégiale tournante, comprenant un représentant de chacun des trois peuples « constitutifs » ne contribue pas non plus à faciliter les choses. Enfin, ce pays est placé sous la tutelle internationale exercée par le PIC − Peace Implementation Committee ou Conseil de mise en œuvre de la paix − et par un Haut Représentant, qui est nommé par l’ONU. Il s’agit, depuis mars 2009, de M. Valentin Izko, diplomate autrichien. M. Izko est également le Représentant spécial de l’Union européenne.

Cette complexité du terrain, inégalée dans les Balkans occidentaux, explique en grande partie la lenteur du processus de rapprochement de la Bosnie avec l’Union européenne. C’est à la suite du Conseil européen de Zagreb, en 2000, que le Conseil européen de Thessalonique de juin 2003 a réaffirmé la perspective d’adhésion à l’Union européenne des pays des Balkans occidentaux − Albanie, Serbie, Monténégro, Croatie, Ancienne République yougoslave de Macédoine et Bosnie-Herzégovine. Cette perspective a alors été définie sous la forme d’un « processus de stabilisation et d’association », cadre institutionnel et politique des relations entre l’Union européenne et les pays de la région. Ce processus s’est traduit concrètement par la signature d’accords de stabilisation et d’association (ASA). À ce jour, tous les pays des Balkans occidentaux, à l’exception du Kosovo, ont signé un tel accord avec l’Union européenne : l’ARYM en 2001, la Croatie en 2001 également, l’Albanie en 2006, le Monténégro en 2007, la Serbie en avril 2008 et la Bosnie-Herzégovine en juin 2008. La Croatie et l’ARYM ont d’ailleurs, depuis lors, obtenu le statut de pays candidat à l’adhésion à l’Union européenne.

C’est cet accord de stabilisation et d’association, signé le 16 juin 2008 entre la Bosnie et les 27, que propose de ratifier, pour la Partie française, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui. La même formalité doit être accomplie par la Bosnie-Herzégovine et chacun des 27 États membres de l’Union afin que l’accord entre en vigueur. Pour la Bosnie, c’est chose faite depuis février 2009. C’est chose faite également pour 22 des 27 États membres de l’Union. Manquent donc à l’appel, outre la France : l’Italie, l’Espagne, la Grèce et le Luxembourg.

La négociation technique de l’accord de stabilisation et d’association, ouverte en novembre 2005, a été menée à bien en l’espace d’un an, s’achevant en décembre 2006. Mais la difficulté à obtenir des différentes forces politiques de Bosnie l’entente nécessaire à la réalisation de certaines réformes, a conduit l’Union européenne à retarder la conclusion de cet accord, finalement intervenue le 16 juin 2008, après que le Parlement bosnien est parvenu à adopter deux lois mettant en œuvre la première phase de la réforme de la police. En effet, La signature de l’accord avait été bloquée dans l’attente du respect par les autorités de Bosnie-Herzégovine de quatre conditions essentielles posées par l’Union : la réforme de la police, une pleine coopération avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, la réforme de la radio-télédiffusion publique et la réforme de l’administration.

L’adoption des réformes requises a, de fait, pris davantage de temps que dans d’autres pays des Balkans occidentaux. En définitive, si la Bosnie-Herzégovine n’est pas le tout dernier pays des Balkans occidentaux à signer un ASA, elle le doit uniquement au fait que le Kosovo n’est pour l’instant pas reconnu par cinq États membres : l’Espagne, la Grèce, la Slovaquie, la Roumanie et Chypre.

Comme l’a souligné, lors de notre table ronde du 20 janvier dernier, M. Jean-Arnault Dérens, rédacteur en chef du Courrier des Balkans : « Le débat porte fondamentalement sur la question de savoir s’il faut un État ou maintenir les deux entités actuelles qui constituent le pays ; ce sont des paramètres fondamentaux du débat politique et ils n’ont absolument pas changé depuis quatorze ans [c’est-à-dire depuis les accords de Dayton/Paris] ; la Bosnie-Herzégovine se trouve dans un après-guerre interminable. Par comparaison, en France, en 1959, il y a longtemps que l’on n’était plus dans la problématique de l’après-guerre. » M. Dérens ajoutait : « Il y a ensuite un autre serpent de mer. Celui du rôle et des conséquences de la tutelle internationale comme obstacle à l’intégration. La question se pose toujours en ces termes. Le protectorat est contreproductif car il aboutit à une irresponsabilité de la classe politique bosnienne. »

Je souscris à cette analyse d’une tutelle internationale qui crée aujourd’hui davantage de problèmes qu’elle n’en résout. Cela étant, les cinq objectifs et deux conditions – les fameux « 5+2 » – exigés depuis 2008 par la communauté internationale pour la fermeture du Bureau du Haut Représentant, ne devraient pas être entièrement satisfaits avant le prochain Conseil de mise en œuvre de la paix, les 29 et 30 juin prochain. Je rappelle que les cinq objectifs sont : un accord durable et équitable sur la répartition des propriétés de l’État, la répartition des propriétés militaires, la pérennisation du statut spécial du district de Brcko, la soutenabilité budgétaire et le renforcement de l’État de droit. Quant aux deux conditions, il s’agit, précisément, de la signature de l’Accord de stabilisation et d’association et, d’autre part, de l’évolution positive de la situation dans le pays, au regard des Accords de Dayton/Paris.

La communauté internationale ne veut pas exercer trop de pressions sur les dirigeants bosniens, en cette période de campagne électorale − des élections générales sont prévues en octobre-novembre 2010 − mais elle n’en reste pas moins active. De même, l’Union européenne continue d’œuvrer concrètement et financièrement au rapprochement de la Bosnie-Herzégovine à son égard. Jugez plutôt : dans le cadre de l’instrument d’aide de pré-adhésion de l’Union, doté de 11,5 milliards d’euros au total pour la période 2007-2013, 660 millions d’euros ont été alloués à la Bosnie-Herzégovine. Cette somme représente environ 21 euros par habitant. J’ajoute qu’en juillet 2009, la Bosnie-Herzégovine s’est vue accorder par le FMI un crédit d’un montant de 1,2 milliard d’euros sur trois ans.

Comme les pays déclarés « candidats potentiels » à l’entrée dans l’Union européenne qui bénéficient de l’aide de pré-adhésion, la Bosnie-Herzégovine est éligible uniquement aux composantes I et II, c’est-à-dire « l’aide à la transition et le renforcement des capacités administratives » d’une part, et la « coopération transfrontalière » d’autre part. Lorsque le pays deviendra candidat, il sera éligible aux composantes III « développement régional », IV « développement des ressources humaines » et V « agriculture et développement rural », qui le prépareront à la gestion des fonds de l’Union européenne. Quoi qu’il en soit, on peut d’ores et déjà dire que l’Union européenne est le principal contributeur à la stabilité politique et au développement économique et social de la Bosnie-Herzégovine. Elle a encore montré sa bonne volonté, le 2 juin dernier à Sarajevo, lors du Sommet UE-Balkans, avec l’engagement politique de lever l’exigence de visas pour les citoyens bosniens dès l’automne prochain, à condition que soient remplis les derniers critères relatifs au renforcement de l’État de droit, ainsi qu’à la lutte contre le crime organisé et contre la corruption. Concrètement, cette question ne concerne que les Bosniaques car les populations d’origine serbe ou croate disposent, respectivement, de passeports de l’un ou l’autre de ces États qui leur permettent de circuler librement en Europe.

J’en viens pour terminer au contenu de l’accord de stabilisation et d’association dont l’autorisation de ratification est soumise à notre vote. Le cadre de cet ASA est bien connu : c’est le même que celui des quatre accords qui l’ont précédé. À vrai dire, la seule différence notable dans le cas de la Bosnie-Herzégovine, c’est le retard de calendrier que j’ai évoqué au début de mon propos. Pour le reste, les trois principes-clefs du processus de stabilisation et d’association demeurent. Il s’agit, premièrement, d’une relation contractuelle qui marque l’engagement des parties à parvenir, au terme d’une période de transition, à une pleine association avec l’Union européenne, l’accent étant mis sur le respect des principes démocratiques essentiels et sur la reprise des éléments fondamentaux de l’acquis communautaire. La présidence espagnole a, tout récemment encore, réaffirmé la perspective d’adhésion à l’UE. Il s’agit, deuxièmement, d’un programme d’assistance financière de pré-adhésion – je viens de l’évoquer. Il s’agit, troisièmement, de préférences commerciales asymétriques exceptionnelles, destinées à favoriser l’accès au marché communautaire des produits industriels et agricoles des Balkans, de façon à contribuer au redémarrage de leurs économies par une stimulation de leurs exportations. Ces économies sont fragiles ; songez que le taux de chômage en Bosnie-Herzégovine atteint 30 à 40 %. Je précise que ces stipulations de nature commerciale sont mises en application avant l’entrée en vigueur de l’accord par un accord intérimaire. Celui-ci est entré en vigueur le 1er juillet 2008 pour la Bosnie-Herzégovine.

Le reste de l’accord entrera en vigueur une fois que tous les États membres l’auront ratifié. Permettez-moi de dresser la liste des têtes de chapitre, qui vous rappellera l’ampleur du champ couvert par les accords de stabilisation et d’association : le titre Ier porte sur les principes généraux de l’accord, que sont le respect des principes démocratiques, des droits de l’homme et de l’économie de marché ; le titre II porte sur le dialogue politique entre la Bosnie-Herzégovine et l’Union ; le titre III sur la coopération régionale ; le titre IV sur la libre circulation des marchandises ; le titre V sur la circulation des travailleurs, le droit d’établissement, la prestation de services et la libre circulation des capitaux ; le titre VI sur la reprise des éléments fondamentaux de l’acquis communautaire, ceux sur lesquels la Bosnie devra ses concentrer en priorité durant les trois premières années d’application de l’accord ; le titre VII sur la justice, la liberté et la sécurité ; le titre VIII concerne les politiques de coopération, dans des domaines aussi divers que la politique économique et commerciale, la pêche, les douanes, la fiscalité, la coopération sociale, l’éducation et la formation, la culture, l’audiovisuel, la société de l’information, les réseaux et services de communication électronique, les transports, l’énergie, l’environnement, la recherche et le développement technologique, le développement régional et local, et enfin l’administration publique ; le titre IX concerne la coopération financière ; le titre X, enfin, est consacré aux stipulations institutionnelles, générales et finales. L’accord est conclu pour une durée illimitée, mais l’association est censée être entièrement réalisée au terme d’une période transitoire maximale de six ans, sous la supervision d’un Conseil de stabilisation et d’association.

Monsieur le Président, mes chers collègues, la Bosnie-Herzégovine est encore bien loin de l’adhésion à l’Union européenne, mais l’accord de stabilisation et d’association que nous examinons aujourd’hui trace un chemin vers ce but. Un chemin exigeant, un chemin nécessaire. Alors que ce pays des Balkans occidentaux connaît une situation intérieure compliquée, il est, me semble-t-il, de notre devoir – mais c’est aussi notre intérêt bien compris – de l’aider à accomplir ce chemin. C’est la raison pour laquelle je vous invite à adopter le projet de loi autorisant la ratification de l’accord de stabilisation et d’association avec la Bosnie-Herzégovine.

Mme Chantal Bourragué. Je voterai bien sûr en faveur de la ratification de cet accord. On peut néanmoins être inquiet à voir la carte et le morcellement territorial qu’elle met en évidence. Faire vivre cet Etat sera difficile, sera-t-il même viable ? Comment peut-il s’affranchir de la tutelle internationale tout en maintenant la paix ? Qu’en est-il de la politique des visas ?

M. Michel Terrot. Quelles sont les entreprises françaises, s’il y en a, qui sont présentes en Bosnie-Herzégovine ?

M. Jean-Louis Christ. La situation tragique de ce pays a été amplement décrite. Un Etat sous tutelle internationale, une absence de souveraineté qui empêchent une véritable stabilité. Si les efforts de stabilisation aboutissent, quelles sont les perspectives d’un rapprochement de l’Union européenne puis d’une adhésion à l’Union européenne ? A quelle échéance cela se ferait-il ?

M. Hervé de Charette. Je ferai deux observations. Quant à la Bosnie-Herzégovine en premier lieu. Le spectacle de ce pays est navrant et l’on doit porter un jugement sévère, alors qu’on maintient une posture faible en se disant que l’on va dans le bon sens. Je suis allé à Sarajevo. L’organisation des pouvoirs publics, que le rapporteur a évoquée, est du plus haut comique. Tout le monde est présent, rien ne fonctionne ni ne peut fonctionner. C’est à la fois ridicule et tragique, une véritable comédie à la Feydeau ! Il ne faut pas avoir de faiblesse à l’endroit de ce territoire qui n’est pas près de se consolider après les déchirements épouvantables qu’il a connus, et que seule l’intervention de l’Union européenne a permis d’arrêter. Nous allons donc voter, ratifier un texte, montrant une fois de plus la faiblesse du contrôle parlementaire sur la politique étrangère de notre pays car tout est fait d’avance et bien loin, nous le savons, de ce que l’on ferait si nous avions réellement une influence.

En second lieu, j’aborderai la question des Balkans. Il s’agit d’une menace. On a accepté la rebalkanisation des Balkans et l’on va donc accepter de voir adhérer à l’Union européenne, les uns après les autres, ces différents Etats, de la taille d’un, deux ou trois départements français. Cela va inévitablement déstabiliser l’Europe qui ne fonctionnera définitivement plus. Certes, cela ne sera pas immédiat mais à terme, c’est inévitable. Nous sommes dans un entonnoir, où rien n’est négociable, et nous ne faisons rien pour éviter la catastrophe annoncée. Tout cela alors qu’il faudrait un débat politique au Parlement pour adopter une ligne, tracer des perspectives. Nous allons dans une très mauvaise direction. Nous avons débattu de l’élargissement aux pays de l’Europe centrale et orientale dans de mauvaises conditions en pleine nuit à la sauvette ! Nous avons élargi l’Union à la Roumanie et à la Bulgarie par faiblesse, sachant parfaitement que ces pays n’étaient pas prêts ! Demain, nous ferons de même avec la Bosnie-Herzégovine. Il nous faut dire ici qu’à la commission des affaires étrangères on a exprimé sur ces questions un point de vue différent.

M. le président Axel Poniatowski. Je partage totalement votre sentiment. Je ne suis pas non plus d’accord pour une entrée prochaine dans l’Union européenne des pays des Balkans, sauf de la Croatie. Votre suggestion d’un débat sur la politique à mener à l’égard des Balkans est une très bonne idée. Il faudra obtenir son inscription à l’ordre du jour parlementaire de la séance publique à la rentrée.

M. Jean-Pierre Dufau. Je partage l’analyse de notre collègue Hervé de Charette. On a évoqué la Croatie ; c’est peut-être la reconnaissance hâtive de l’indépendance de ce pays par l’Allemagne qui a tout déclenché. Depuis, nous menons une fuite en avant inexorable. On ne voit pas de solution alternative, ni de possibilité de reculer, mais on ne sait pas où l’on va. Je recevais récemment une délégation serbe, et je suis allé au Kosovo ; tous ces points ont été abordés.

Toutefois, même si nous ne savons pas où nous allons, nous n’avons pas d’autre solution que la stabilisation. La mémoire de ces lieux est pesante, et la reconnaissance par la Serbie du massacre de Srebrenica l’a rappelé.

La meilleure issue pour la région est de faciliter le jeu du marché, qui permet de mettre de côté les problèmes ethniques et religieux. Sur le religieux, je reste sceptique.

Par ailleurs, je pense qu’il ne faut pas présenter ces accords de stabilisation et d’association comme une étape menant nécessairement vers l’adhésion. Il faudra avoir le courage de se poser cette question, et refonder l’Union européenne sur d’autres bases.

Il faut voir la question balkanique de manière globale, en essayant d’obtenir des résultats. Nous voterons donc sans enthousiasme en faveur de ce projet de loi. La création d’une mission de suivi d’information sur les Balkans que nous souhaitons depuis longtemps serait très utile et un préalable important au débat nécessaire que nous devons avoir sur la région.

M. Jacques Remiller. Le rapporteur a parlé d’intérêt et de devoir, je parlerais également de chance nouvelle. J’ai été observateur électoral en Bosnie-Herzégovine et j’ai été frappé par ce que j’ai vu.

Il existe de facto deux Etats, deux Républiques, les populations sont séparées. Au-delà des 40 % de chômage, il y a également une totale séparation des marchés du travail. En quoi cet accord va-t-il rapprocher les peuples et favoriser l’intégration des deux Républiques en un seul Etat ?

M. Loïc Bouvard, rapporteur. Concernant les investissements français en Bosnie, ils sont très faibles. La France est le 11ème client et le 13ème fournisseur de ce pays, et sa part de marché est inférieure à 2 %. Les entreprises françaises sont présentes, mais sans investissement de réelle envergure. Les relations économiques bilatérales sont donc très modestes.

La Bosnie est-elle un Etat viable ? Il faut revenir au passé tragique, que reflète bien l’horreur de Srebrenica. J’ai vu les maisons détruites, près de Sarajevo, le long de la route menant à Pale, celles détruites par les Serbes, les autres par les Croates.

Aujourd’hui, la situation prévalant entre les communautés n’est guère meilleure. On a essayé de prendre les moins mauvaises décisions. La solution proposée par l’Union européenne n’est pas entièrement satisfaisante, puisqu’on constate la coexistence entre plusieurs Républiques au sein desquelles cohabitent plusieurs minorités. Hervé de Charette a raison de parler d’une situation qui frise le ridicule, mais que faire ?

La solution proposée a le mérite d’exister. Songez à ce qui se passe en Belgique : c’est encore pire dans cette région des Balkans ! On ne peut pas forcer des gens qui ne veulent pas vivre ensemble à le faire ! Ce pays est, en l’état actuel des choses, ingouvernable.

Je souscris à la demande d’une mission d’information sur la région des Balkans, porteuse de nombreuses incertitudes. La « balkanisation des Balkans » est une vraie question : accepterons-nous un commissaire kosovar à Bruxelles ? Pour ma part, cette perspective me fait dresser les cheveux sur la tête !

Même si la situation n’est pas bonne, je ne vois pas que faire d’autre. Si l’on sépare toutes les populations, cela donnerait naissance à des Etats peu viables. C’est pourquoi je propose d’adopter ce projet de loi.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (no 2146).

La séance est levée à douze heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 23 juin 2010 à 11 heures

Présents. - M. François Asensi, Mme Martine Aurillac, M. Jean-Paul Bacquet, M. Patrick Balkany, M. Jacques Bascou, M. Jean-Louis Bianco, M. Claude Birraux, M. Alain Bocquet, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Chantal Bourragué, M. Loïc Bouvard, M. Hervé de Charette, M. Jean-Louis Christ, M. Dino Cinieri, M. Philippe Cochet, M. Gilles Cocquempot, M. Pierre Cohen, M. Alain Cousin, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Paul Dupré, M. Jean-Michel Ferrand, M. Alain Ferry, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Serge Janquin, M. Didier Julia, M. Patrick Labaune, M. Jean-Paul Lecoq, M. Robert Lecou, M. Lionnel Luca, Mme Henriette Martinez, M. Gérard Menuel, M. Jacques Myard, M. Alain Néri, M. Axel Poniatowski, M. Jacques Remiller, M. Jean-Marc Roubaud, M. André Schneider, M. Dominique Souchet, M. Michel Terrot, M. Jacques Valax, M. Michel Vauzelle, M. Gérard Voisin

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Roland Blum, Mme Geneviève Colot, M. Michel Delebarre, M. Jean-Jacques Guillet, M. Jean-Pierre Kucheida, M. François Loncle, M. Didier Mathus, M. Jean-Claude Mignon, M. Henri Plagnol, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. Rudy Salles, Mme Odile Saugues