Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires étrangères > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires étrangères

Mardi 5 octobre 2010

Séance de 16 h 30

Compte rendu n° 2

Présidence de  M. Axel Poniatowski, président

– Roumanie : accord relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire de la République française et à leur retour dans leur pays d'origine ainsi qu'à la lutte contre les réseaux d'exploitation concernant les mineurs (n° 2503) – Mme Chantal Bourragué, rapporteure

Roumanie : accord relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire de la République française et à leur retour dans leur pays d'origine ainsi qu'à la lutte contre les réseaux d'exploitation concernant les mineurs

La séance est ouverte à seize heures trente.

La commission examine, sur le rapport de Mme Chantal Bourragué, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Roumanie relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire de la République française et à leur retour dans leur pays d'origine ainsi qu'à la lutte contre les réseaux d'exploitation concernant les mineurs – n° 2503.

Mme Chantal Bourragué, rapporteure. Entre février 2003 et février 2006, la France et la Roumanie ont été liées par un accord, signé en 2002 et conclu pour trois ans, « relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains en difficulté sur le territoire de la République français et à leur retour dans leur pays d’origine, ainsi qu’à la lutte contre les réseaux d’exploitation ». Celui-ci avait surtout permis la constitution d’un groupe de liaison opérationnel (GLO) grâce auquel les deux pays échangeaient des informations tant sur les cas individuels des mineurs roumains isolés trouvés sur le territoire français que sur les réseaux par l’intermédiaire desquels une partie d’entre eux était arrivée en France et qui les y exploitaient. Depuis que l’accord n’est plus en vigueur, cette structure ne s’est pas réunie, ce qui a constitué une régression dans la coopération bilatérale. L’un des objectifs du nouvel accord signé le 1er février 2007 est de permettre au GLO de fonctionner à nouveau ; ses stipulations sont très directement inspirées de celles de l’accord précédent, tout en tenant compte de l’expérience accumulée entre 2003 et 2006.

Cet accord est le seul qui existe entre la France et un autre pays, du fait du nombre important dans notre pays des mineurs roumains isolés, c’est-à-dire qui ne sont pas accompagnés d’une personne exerçant l’autorité parentale sur eux : il n’y a évidemment pas de chiffrage parfaitement sûr, mais les jeunes Roumains pourraient constituer près de la moitié des 4 à 8 000 mineurs qui se trouvent dans cette situation. S’inspirant de cet accord, l’Espagne et l’Italie ont aussi signé des accords avec la Roumanie, ainsi qu’avec le Maroc et le Sénégal en ce qui concerne l’Espagne. Ces accords bilatéraux sont apparus nécessaires dans la mesure où les initiatives de l’Union européenne pour traiter ces problèmes sont encore très insuffisantes.

La structure du nouvel accord est très proche de la composition de celui qu’il remplace. L’article 1er décrit son domaine d’application et l’article 2 fixe les objectifs de la coopération franco-roumaine. L’article 3 reconduit pour l’essentiel les stipulations relatives à la prise en charge des mineurs isolés en France et au Groupe de liaison opérationnel. L’article 4 est en revanche nouveau : il prévoit une organisation de la procédure pouvant conduire au raccompagnement du mineur en Roumanie légèrement différente de celle mise en place par l’accord 2002. Les modalités de financement de la coopération, qui mettent à la charge de la France l’ensemble des actions réalisées en France et, le cas échéant, le retour du mineur, sont fixées à l’article 5. Le nouvel accord est signé pour trois ans mais cette période est tacitement reconductible, ce qui évitera tout vide juridique.

Je vais insister sur les différences entre les stipulations du nouvel accord et celles de l’accord signé en 2002.

Il faut d’abord remarquer que le nouvel accord met davantage l’accent sur la lutte contre les réseaux d’exploitation. Il mentionne aussi la nécessaire prévention du risque de représailles contre les mineurs rentrés en Roumanie, lequel est apparu particulièrement grand à la lumière de l’expérience des années 2003 à 2005. Les autres objectifs de coopération restent les mêmes : identifier et protéger les mineurs en France, favoriser le retour des mineurs dans leur pays dans de bonnes conditions grâce à des échanges d’informations, l’adoption de mesures de protection et le suivi, pendant six mois, de leur réintégration sociale. Afin d’améliorer ce suivi, à la demande de plusieurs associations, l’accord de 2007 fait peser une nouvelle obligation sur les autorités roumaines : celle d’informer annuellement la partie française de la situation de chaque mineur concerné.

Le GLO redeviendra le lieu où se réalisent concrètement ces échanges d’informations. Ses compétences restent les mêmes.

C’est surtout l’article 4 de l’accord qui suscite des critiques : il réorganise la procédure pouvant conduire au retour d’un mineur isolé dans son pays. Je tiens d’abord à rappeler que ces retours ont toujours été rares : on en compte une soixantaine depuis 2003. Mais ils étaient relativement plus nombreux pendant que l’accord était en vigueur : 9 en 2004, 18 en 2005 (dont 8 enfants de la même fratrie), 10 en 2006. En effet, l’échange d’informations permettait d’identifier plus facilement les jeunes gens, puis de préparer leur retour en collaboration avec les autorités roumaines, qui les prenaient en charge dès leur arrivée. Le petit nombre de retours n’est pas étonnant puisque la mesure n’est décidée que si elle est dans l’intérêt de l’enfant, après qu’il a pu donner son avis. Le droit français, conforme à la convention internationale des droits de l’enfant, interdit en effet tout retour forcé d’un mineur.

La procédure telle qu’elle est décrite à l’article 4 du nouvel accord n’a pas pour but de conduire à une explosion du nombre des retours, mais à faciliter ceux qui sont dans l’intérêt du mineur. En effet, même les associations qui expriment des inquiétudes reconnaissent que la procédure suivie est souvent trop longue et que la situation des mineurs peut avoir changé avant que leur retour soit organisé. Le nouvel accord donne compétence au juge des enfants, comme auparavant, mais aussi au Parquet pour saisir les autorités roumaines d’une demande d’informations sur un mineur isolé, puis pour autoriser son retour dans son pays si les autorités roumaines le demandent et si toutes les garanties sont réunies pour assurer sa protection.

Nous sommes là dans le cas, prévu par le droit français, où le Parquet intervient « en cas d’urgence ». Bien que ça ne soit pas explicité dans l’accord, cette compétence ne peut être exercée que pendant huit jours au maximum, délai pendant lequel le procureur doit saisir le juge des enfants. Aussi, dans les faits, la compétence du Parquet se limitera à lancer la demande d’informations auprès des autorités roumaines et il appartiendra ensuite au juge des enfants de décider d’un éventuel raccompagnement du mineur au vu de ces informations et de l’avis du jeune, en application, là encore, du droit français.

Par ailleurs, en cas de fugue du jeune entre la décision de son raccompagnement et son retour effectif, l’article 4 de l’accord permet au Parquet de mettre à exécution la mesure de raccompagnement. Mais cette faculté, qui n’est pas une obligation, est étroitement encadrée : elle ne pourra être exercée que si les informations obtenues sur la situation du mineur sont suffisantes et ne datent pas de plus de douze mois. Si le procureur constate que la situation du jeune a changé depuis que la décision a été prise, il pourra lancer une nouvelle demande d’informations et confier à nouveau le dossier à un juge des enfants.

On voit donc bien que les droits et garanties dont bénéficient les mineurs isolés n’en seront pas réduits. Le but principal est d’éviter de perdre trop de temps à cause de la surcharge de travail des juges des enfants en permettant au procureur de formuler la demande d’informations auprès des autorités roumaines. Celles-ci doivent alors, en application du droit roumain, déclencher une enquête sociale, qui prend plusieurs semaines. Une fois son résultat communiqué à la France, c’est un juge des enfants qui poursuivra la procédure.

J’ai donc la conviction que les inquiétudes formulées à propos de cette procédure ne sont pas fondées. Il est vrai que la rédaction du nouvel accord n’est pas toujours aussi précise que celle de l’accord signé en 2002. Par exemple, il n’est pas fait mention de l’enquête sociale roumaine. Mais ce silence s’explique par les progrès accomplis depuis 2002 par les autorités roumaines : ce qu’il fallait expliciter dans l’accord en 2002 est désormais intégré dans le corpus juridique roumain, qui s’applique.

Soucieuse de démontrer son volontarisme en matière de protection de l’enfance, afin, notamment, de combattre le souvenir des orphelinats mouroirs découverts sur son sol aux lendemains de la chute du régime de Ceausescu, la Roumanie, qui a consenti beaucoup d’efforts dans ce domaine, a approuvé l’accord avec diligence et s’impatiente, à juste titre, du retard pris par la procédure côté français.

J’estime que les stipulations du nouvel accord, qui mettent davantage l’accent sur la lutte contre les trafics d’enfants et sur le suivi des mineurs raccompagnés en Roumanie, sont équilibrées et ne méritent pas les vives critiques qui lui ont été adressées par certains.

Je ne prétends pas que la mise en œuvre de cet accord va résoudre tous les problèmes et je profiterai du débat en séance publique pour attirer l’attention du Gouvernement sur les propositions des associations actives auprès des mineurs isolés, visant principalement à renforcer la capacité d’hébergement qui leur est destiné. La France comme l’Union européenne devraient aussi être attentives à ce que la Roumanie consacre des moyens suffisants aux mesures de protection des mineurs, malgré le contexte de crise qui la pousse à faire des économies drastiques et menace de remettre en cause les réels progrès accomplis en la matière.

Cet accord est un instrument utile pour préparer le retour dans leur pays des mineurs isolés roumains, dans la mesure où cette solution apparaît la meilleure pour leur avenir et qu’ils y ont consenti. Je suis donc favorable à l’adoption du présent projet de loi.

M. Christian Bataille. Je veux en préambule de ma courte intervention souligner les mérites de votre rapport même si je vais, au nom du groupe socialiste, arriver aux conclusions inverses. L’accord de 2002 était déjà, en lui-même, insuffisant. Il a donné des résultats décevants, discutables. L’association « hors la rue » souligne que, derrière l’habillage ambitieux de l’accord de 2002, les rapatriements n’étaient qu’une opération logistique de retour au pays. Or l’accord de 2007 est en deçà de celui de 2002. D’ailleurs, vous le dites vous-même dans votre rapport. Le dispositif est en recul : sur la constitution d’un groupement d’ONG françaises, sur les enquêtes sociales, sur le suivi des mineurs, et sur l’élaboration d’un projet pour l’enfant.

La partie la plus discutable de l’accord, du moins celle sur laquelle nous avons le plus de divergences, est la faculté accordée au Parquet de décider seul du rapatriement du mineur isolé, sans magistrat indépendant ni recours. Qui plus est, l’avis du juge des enfants est facultatif. Ceci conduit à prendre des décisions sur des bases plus policières que juridiques.

Quant au problème de l’exploitation des enfants et au démantèlement des réseaux, je connais des endroits de Paris, en particulier la gare du Nord, où le phénomène est patent, même s’il a tendance à s’atténuer ces derniers temps. Mais les enfants ne sont pas rentrés dans leur pays dans des conditions juridiquement acceptables. Ce phénomène touche un nombre limité de jeunes qu’il faut que notre pays assume plus pleinement.

Je crois qu’il faut s’interroger sur ce que fait l’Europe en la matière. Le gouvernement de la France doit agir beaucoup plus au niveau européen pour rechercher une solution à cette errance d’enfants abandonnés et livrés à toutes les dérives. Toutes ces raisons font que nous ne pouvons pas souscrire à cet accord bilatéral insuffisant.

M. Jacques Remiller. Vous avez bien souligné que l’accord concernait les seuls mineurs isolés. Mais on voit parfois arriver des adultes accompagnés d’enfants avec lesquels le lien de parenté n’est pas établi. Dans quels cas les mineurs sont-ils considérés comme isolés ? Quant à ma seconde question, qui portait sur l’action de l’Union européenne, elle a déjà été posée.

M. Philippe Cochet. Depuis 2003, on agite un grand marteau pour régler la situation de soixante enfants. Ils le méritent, car chaque vie sauvée mérite le dispositif. Mais il faut un équilibre. L’article 5 de l’accord prévoit que « la partie française assure le financement des actions en ce qui concerne l’évaluation, l’identification, la protection des mineurs sur le territoire de la République française, ainsi que le transport des mineurs roumains dans leur pays ». Cet accord me paraît déséquilibré face à l’importance du flux actuel. Selon moi, la prise en charge par la France des aspects financiers plombe l’accord.

M. Michel Terrot. Je suis plutôt circonspect sur l’application réelle de l’accord, qui vise un nombre restreint de cas. Si j’ai bien compris, entre quatre et huit mille mineurs roumains sont potentiellement concernés par cet accord. Quelle est la part des Roms parmi eux ? Par ailleurs, un accord est-il prévu avec la Bulgarie pour le cas des mineurs isolés originaires de ce pays ?

Mme Chantal Bourragué, rapporteure. A Monsieur Bataille, je tiens à dire que c’est le groupe de liaison opérationnel (GLO) qui permet d’obtenir des informations. L’association « hors la rue » voudrait pouvoir agir en Roumanie, mais elle n’a pas de raison de le faire puisque la Roumanie s’est engagée à donner les informations et à prendre, après le retour des mineurs, les mesures de protection qu’elle considère comme nécessaires au regard de la législation roumaine. Le mineur isolé peut sentir le besoin de se sentir chez lui, dans sa famille, dans son pays d’origine, et d’avoir le maximum de protection de la part de ce pays.

Quant au rôle du Parquet et du juge des enfants, le droit commun en France veut que le parquet soit saisi en cas de demande de protection en urgence. Au bout de huit jours, le Parquet transmet le dossier au juge des enfants. Il n’y a pas de raison d’avoir un a priori négatif sur l’action du Parquet dans le cas précis des mineurs roumains isolés. Selon moi, il n’y a pas d’inquiétudes à avoir sur ce point.

Quant au rôle de l’Union européenne, je tiens à souligner que l’Union a versé des fonds à la Roumanie dans le cadre de sa préparation à l’adhésion pour qu’elle adapte ses dispositifs de protection de l’enfance. La France a été chargée de piloter cette réforme. Néanmoins, la nécessité se fait jour de mieux coopérer sur l’identification des réseaux d’exploitation des mineurs, dont le démantèlement résoudra les problèmes rencontrés en France.

Pour ce qui est des mineurs arrivés en France accompagnés d’adultes, il faut savoir qu’en droit français, s’il n’est pas accompagné par un adulte titulaire de l’autorité parentale, le jeune est considéré comme un mineur isolé. Quand un mineur isolé est pris en charge par une association, celle-ci contacte, le cas échéant, les adultes avec lesquels il est en relation, et mène une enquête pour définir les liens qui l’unissent au mineur. Cependant, ces enquêtes sont longues et difficiles, tout d’abord en raison de problèmes de langue, mais aussi parce que le jeune ne dit pas tout immédiatement. L’association effectue tout un travail d’accompagnement qui prend du temps.

A Monsieur Cochet, je tiens à vous dire mon accord : soixante enfants sauvés, c’est déjà ça ! En revanche, sur le problème financier, il n’y a pas de discussion à avoir. Si les mineurs isolés n’étaient pas raccompagnés en Roumanie, ils resteraient à la charge de la France. Et lorsqu’ils sont raccompagnés en Roumanie, l’accord précise bien que la France n’assume la charge financière de leur retour que jusqu’à la frontière roumaine, la Roumanie assumant le financement des actions menées sur son territoire en matière de protection. En outre, les mineurs roumains isolés sont raccompagnés par l’Office français de l’immigration et de l’intégration, et non pas par la police, et qui plus est, par du personnel formé à l’accompagnement des enfants.

A Monsieur Terrot, je précise que les Roms sont le plus souvent en famille. Il y a peu de mineurs Roms isolés et ils ne sont pas identifiés en tant que tels. Nous ne disposons donc d’aucune information particulière sur les mineurs roumains isolés appartenant à la communauté des Roms. La coopération avec la Roumanie permet de renforcer la lutte contre les réseaux d’exploitation des mineurs. Des associations comme les Apprentis orphelins d’Auteuil font un travail remarquable et disposent de centres reconnus qui offrent aux mineurs isolés des formations à des métiers manuels. La situation de ces mineurs reste néanmoins toujours difficile, ce qui explique beaucoup d’indécision voire de fugue de leur part, situation dont le parquet doit tenir compte.

Mme Marie-Louise Fort. Le mieux est souvent l’ennemi du bien comme dit l’adage et il est important pour un enfant d’avoir un pays, des racines, une famille. Quelle est la situation des enfants dont l’accord s’occupe, sont-ils venus de leur plein gré ? Je n’en suis pas certaine, vu les conditions dans lesquelles on les voit tous les jours. Au pays des droits de l’homme, j’ai honte de cette situation. La Roumanie est une jeune démocratie qui appartient à l’Europe. Il n’est pas sûr qu’on puisse se donner bonne conscience en disant qu’ils sont mieux ici qu’en Roumanie. Cela dit, je félicite la rapporteure pour la qualité de son travail et l’attention portée au sort de ces enfants. Pourriez-nous nous préciser si d’autres pays de l’Union européenne ont signé ce genre d’accord avec la Roumanie ?

M. François Asensi. Je dirai en séance publique qu’il ne nous est pas possible de souscrire à un tel projet de loi qui opère un changement de conception et aborde la question plus sous l’angle du contrôle des flux migratoires que sous celui de la protection de l’enfance. Il contrevient aux dispositions de notre droit des étrangers en ne prévoyant pas de procès équitable. Il prévoit l’expulsion de notre territoire des seuls mineurs roumains et pas de ceux d’autres nationalités et il est en opposition avec la convention internationale des droits de l’enfant, notamment dans ses articles 3 et 12, sur la prise en considération des intérêts de l’enfant et sur son droit d’expression. Le procureur ici prend la place du juge des enfants et appliquera évidemment la politique migratoire du gouvernement. Le Sénat, lors de son examen du texte a parlé de bilan contrasté. 53 mineurs ont été concernés. Je partage l’avis de Christian Bataille quant à l’Union européenne : il n’y a pas de politique européenne d’intégration et les accords bilatéraux en l’espèce sont inadaptés. Ce projet de loi s’avère finalement contre nos préoccupations : si son affichage est juste sur le thème de l’exploitation des enfants, il n’y répond pas.

M. Jean-Paul Dupré. Je partage l’avis de la majorité de mes collègues quant à l’action concertée de l’Union européenne sur la question des mineurs isolés. Quels que soient les pays dont ils sont issus, ils doivent recevoir assistance. En ce qui concerne leur accueil en Roumanie à leur retour, de quels moyens de suivi dispose-t-on pour nous assurer de leur devenir ?

M. Serge Janquin. Le rapport de Chantal Bourragué est très clair et mes critiques ne porteront que sur le projet de loi. Je suis aussi d’accord avec Christian Bataille. Ma question porte sur l’article 4 pour lequel deux cas de figure se présentent selon que le juge des enfants est saisi ou pas. Dans quels cas sera-t-il saisi ? Sur quelles instructions le procureur agira-t-il ? Il y a certains cas où la protection de l’enfant exigera son maintien en France, notamment lorsque c’est la famille elle-même qui a fait commerce de l’enfant. Qu’en sera-t-il dans ce cas ? Ne faudrait-il pas préciser qu’une période de transition est possible, pour que l’enfant soit autorisé à rester sur notre territoire pour sa propre sécurité. Cela est dit de façon subliminale dans le texte, mais il y a aussi la brutalité des procédures.

M. Paul Giacobbi. La gravité du problème est à souligner et il faut donner acte aux parties qu’elles visent l’intérêt des enfants et je salue la qualité du rapport. Cela étant, je dois dire que je suis atterré des énormités que l’on trouve dans ce texte, et en particulier à son article 4 qui prévoit que « si le parquet des mineurs ne saisit pas le juge des enfants, il peut, dès réception de la demande roumaine de raccompagnement, la mettre à exécution », en tenant compte « notamment » – c’est pourtant bien la moindre des choses ! – des données fournies par la partie roumaine. Je ne sais pas qui l’a rédigé mais ce n’est assurément pas du droit français et ça ne passerait pas devant le Conseil constitutionnel ! La rédaction est lamentable et j’en suis profondément choqué.

Mme Chantal Bourragué, rapporteure. Je remercie Marie-Louise Fort pour ses propos. J’ai visité le centre d’accueil du Kremlin-Bicêtre. Il faudrait qu’il puisse se doter de places complémentaires mais les jeunes y sont vraiment orientés. D’autres accords existent, entre la Roumanie, l’Espagne et l’Italie. Je veux dire à M. Asensi que ce projet de loi n’a rien à voir avec l’immigration et la délinquance et qu’il est dans l’intérêt des enfants. Je ne peux pas accepter que vous disiez qu’il s’agit d’organiser leur expulsion. Ce traité ne le permet pas et il respecte la convention internationale des droits de l’enfant. Il s’agit simplement d’organiser une coopération avec la Roumanie dans le cas où l’enfant veut rentrer.

Ce texte vise aussi à améliorer le suivi des enfants après leur retour et oblige la Roumanie à en rendre compte. C’est un engagement fort. L’Union européenne doit effectivement monter en puissance sur ces dossiers. Des progrès sont intervenus dans le cadre du programme PHARE et le ministre des affaires européennes a demandé à l’Union européenne de se pencher sur la question. Je répondrai à Jean-Paul Dupré que, en ce qui concerne les autres pays, le même droit s’applique, à la différence près qu’il n’y a pas de coopération instituée avec les Etats et que, par conséquent, les procédures sont plus longues et difficiles.

Quant aux critères de saisine du juge des enfants, pour répondre à Serge Janquin, elle est prévue au bout d’un délai de 8 jours et sera donc automatique, compte tenu des délais de la procédure. Toute la procédure est organisée dans l’intérêt de l’enfant : il restera en France s’il le souhaite. S’il rentre, c’est dans son intérêt, après l’avoir voulu.

Enfin, je n’ai pas rédigé ce texte ! Mais en tout état de cause, le droit français s’applique. Je me suis entretenue avec Dominique Versini, défenseure des enfants, et il est sûr que le juge des enfants se prononcera systématiquement lorsque le parquet lui remettra la requête au bout du délai de huit jours.

M. Lionnel Luca. Je remercie la rapporteure pour son travail et je note que lors des débats sur ce projet de loi au Sénat on n’avait pas vu s’exprimer autant d’anxiété ; c’était certes avant l’été… Si la France ne ratifie pas cet accord, elle se mettra en porte-à-faux à l’égard de la Roumanie, dont la ratification a suivi très rapidement la signature de l’accord, en 2007. Comment nos collègues, y compris ceux de l’opposition qui ont jadis présidé le groupe d’amitié France-Roumanie, expliqueront-ils tout atermoiement supplémentaire au nouvel ambassadeur de Roumanie en France, qui nous a saisis de ce sujet sitôt nommé ? Bien qu’insuffisant, cet accord doit être ratifié au plus vite, faute de quoi la situation des mineurs roumains va empirer. En outre, nous enverrons ainsi un message explicite à une Union européenne dont l’action est déficiente en ce domaine.

M. Jacques Myard. Lorsqu’on cite un accord international, il ne faut pas le faire de manière tronquée. L’alinéa de l’article 4 partiellement cité par notre collègue stipule que la mise à exécution immédiate, par le parquet des mineurs, de la demande roumaine de raccompagnement, ne s’effectue que si « toutes les garanties sont réunies pour assurer la protection du mineur ». Si l’on ne fait confiance ni aux diplomates, ni aux procureurs, alors il ne faut jamais rien signer ! Par ailleurs, j’insiste sur le fait que les reconduites s’effectueront à la demande du gouvernement roumain ; c’est de ses nationaux qu’il s’agit. Douter du gouvernement de la Roumanie revient à nier la pertinence de l’adhésion de ce pays à l’Union européenne. Le refus d’autoriser la ratification de cet accord aura pour conséquence de laisser perdurer les situations choquantes du type de celle que dénonçait notre collègue autour de la gare du Nord. Enfin, Monsieur le Président, je vous suggère de veiller à l’application de cet accord pour s’assurer qu’il remplisse bien l’objectif d’une meilleure protection de l’enfance.

Mme Martine Aurillac. J’approuve l’appel de notre collègue Lionnel Luca à voter ce projet. Nous ne pouvons en effet laisser les choses en l’état. Madame la rapporteure, d’autres accords du même type sont-ils en préparation ? avec la Bulgarie par exemple ? Par ailleurs, je note que le titre de l’accord mentionne « la lutte contre les réseaux d’exploitation concernant les mineurs », en décalage avec le contenu du texte, très succinct sur ce sujet.

M. Jean-Michel Ferrand. Madame Aurillac a raison : je vais voter ce texte bien qu’il soit insuffisant dans la lutte contre les réseaux criminels. Ceux-ci sont parfaitement connus ; on sait que certaines familles se « débarrassent » volontiers d’enfants contre rétribution, que ces enfants sont ensuite entraînés à voler et que tout l’argent ainsi collecté remonte aux chefs de réseaux, dénommés « bachi-boula ». Ces derniers se font construire de véritables palais au vu et au su de tous, par exemple dans la région de Cluj. Il faut arriver à faire coopérer le gouvernement roumain dans la lutte contre ces réseaux et leurs chefs, faute de quoi toute politique de retour dans le pays d’origine sera vaine. Emir Kusturica, dans son film Le temps des gitans, avait fort bien décrit ce phénomène à propos de l’ex-Yougoslavie.

Mme Henriette Martinez. Je voterai ce projet de loi avec conviction. L’intérêt de l’enfant n’est pas seulement une notion définie dans la Convention des droits de l’enfant, elle existe aussi en droit français. Peut-être cette notion aurait-elle besoin d’être précisée, mais elle recouvre clairement le droit de l’enfant à une famille et à la sécurité, ainsi que l’interdiction de tout trafic d’enfants, comme celle du travail des enfants. Or certains des mineurs dont nous parlons aujourd’hui ont une famille à laquelle ils ont été soustraits, parfois sur « commande » d’un réseau pédophile. Comment pourrions-nous dès lors contrevenir au droit international en privant ces enfants de leurs droits, en les maintenant sur notre territoire où ils ont été conduits à la suite d’un enlèvement ? Il faut rendre hommage au gouvernement roumain de demander instamment la ratification de cet accord, lui qui s’est longtemps désintéressé du sort de ces mineurs. J’observe aussi que la fin de l’article 4 de l’accord pose le principe, bienvenu, d’un suivi. Assurément, il faudrait signer des accords similaires avec d’autres États. Je souhaiterais enfin savoir quel est l’âge moyen des mineurs dont il est ici question. S’agit-il majoritairement de filles ou de garçons ? Sont-ils aux mains de réseaux pédophiles ?

Mme Chantal Bourragué, rapporteure. Je remercie Monsieur Luca pour ses propos et je confirme que, alors que la ratification par la Partie roumaine remonte à octobre 2007, nous avons en effet pris du retard dans la lutte contre les réseaux d’exploitation des mineurs.

Monsieur Myard a eu raison de compléter la lecture de l’article 4 de l’accord. Ce sont bien les groupes de liaison opérationnels qui permettront d’améliorer substantiellement les échanges sur les phénomènes visés dans le texte. Je précise également que l’article 9 de l’accord prévoit un suivi et une évaluation réguliers de son application.

Aucun autre pays n’a formulé de demande d’accord bilatéral de ce type ; la Roumanie est seule dans ce cas.

La lutte contre les réseaux qui concernent les mineurs existe déjà par ailleurs, notamment au moyen d’échanges réciproques d’information mais aussi d’échanges de personnels : quatre policiers roumains sont d’ores et déjà chargés de cette mission à Paris, en appui des policiers français et l’objectif est de porter ce nombre à quatorze à brève échéance.

Je remercie Madame Martinez d’avoir insisté sur l’intérêt de l’enfant. L’âge moyen des mineurs roumains dont nous parlons est de l’ordre de 14 à 15 ans ; sont concernés à parts égales filles et garçons. Les témoignages des éducateurs spécialisés font apparaître une légère diminution, en quelques années, du nombre de mineurs roumains dont ils ont à s’occuper ; mais les réseaux, eux, sont de plus en plus présents et actifs.

M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie pour ce débat très constructif sur un sujet qui préoccupe chacun d’entre nous. Ce projet de loi fera l’objet d’un débat en séance publique jeudi matin. Je retiens la proposition de Monsieur Myard concernant le suivi de l’application de cet accord.

Suivant les conclusions de la rapporteure, la commission adopte sans modification le projet de loi (no 2503).

La séance est levée à dix-sept heures trente.

____

Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 5 octobre 2010 à 16 h 30

Présents. - M. François Asensi, Mme Martine Aurillac, M. Jacques Bascou, M. Christian Bataille, M. Jean-Louis Bianco, Mme Chantal Bourragué, M. Hervé de Charette, M. Philippe Cochet, Mme Geneviève Colot, M. Michel Destot, M. Jean-Paul Dupré, M. Jean-Michel Ferrand, Mme Marie-Louise Fort, M. Paul Giacobbi, M. Jean Glavany, M. Jean Grenet, M. Jean-Claude Guibal, M. Serge Janquin, M. Robert Lecou, M. Lionnel Luca, Mme Henriette Martinez, M. Gérard Menuel, M. Renaud Muselier, M. Jacques Myard, M. Jean-Marc Nesme, M. Axel Poniatowski, M. Éric Raoult, M. Jacques Remiller, M. Jean-Marc Roubaud, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle, M. Gérard Voisin

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Jean-Michel Boucheron, M. Loïc Bouvard, M. Gilles Cocquempot, M. Alain Cousin, M. Michel Delebarre, M. Jean-Jacques Guillet, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Jean-Paul Lecoq, M. François Loncle, M. Jean-Claude Mignon, M. Alain Néri, M. François Rochebloine, M. Rudy Salles, Mme Odile Saugues