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Commission des affaires étrangères

Mardi 1er février 2011

Séance de 17 h 00

Compte rendu n° 32

Présidence de  M. François Rochebloine, vice-président

– Ratification des statuts de l'Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) (n° 3080) – M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur

– Kazakhstan : approbation de l’accord de coopération en matière militaire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kazakhstan (n° 2985) – M. Loïc Bouvard, rapporteur

Ratification des statuts de l'Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA)

La séance est ouverte à dix-sept heures.

La commission examine, sur le rapport de M. Jean-Jacques Guillet, le projet de loi autorisant la ratification des statuts de l'Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) (n° 3080).

M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. Nous sommes saisis d’un projet de loi sur lequel le Gouvernement nous demande de statuer rapidement.

En effet, la première assemblée de cet organe se réunira le 4 avril prochain. Pour que notre pays puisse y voter et y assumer son rôle, il faut qu’il ait déposé les instruments de ratification dès le début du mois de mars. Notre délai d’examen est donc assez court, cette situation provenant du fait que le Conseil d’Etat a pris du temps pour étudier ce texte.

Heureusement, cette urgence n’est pas problématique car ce texte ne contient aucune difficulté technique. En revanche, il revêt une véritable importance politique.

IRENA est un projet porté pendant plus de 20 ans par Hermann Scheer, un scientifique allemand récemment décédé, qui a également été député SPD et président du conseil mondial des énergies renouvelables. Scheer considérait que notre modèle énergétique fondé sur la consommation d’énergies fossiles arrivait à échéance dans les pays développés, et obligeait les pays en voie de développement à des investissements coûteux en capitaux, alors qu’ils n’en avaient pas les moyens financiers. A ses yeux, les énergies renouvelables n’étaient pas indispensables uniquement pour les pays développés, mais également une solution pour les pays en développement, ce qui explique son engagement en faveur de la création d’une agence internationale.

Sous la grande coalition, le Gouvernement allemand a accepté de porter ce projet et a désigné en janvier 2007 trois ambassadeurs spéciaux, chargés de convaincre les diplomaties étrangères de le suivre dans la fondation de l’agence IRENA. C’est ainsi que du 30 juin au 1er juillet 2008, s’est tenu à Berlin un atelier international, où 60 Etats ont été réunis pour en débattre. Après un processus classique de négociations, les statuts de l’Agence ont été signés le 26 janvier 2009, à Bonn, par 75 Etats. Depuis, 75 autres Etats et entités, comme l’Union européenne, ont adhéré aux statuts. A la suite du dépôt, le 8 juin 2010, du vingt-cinquième instrument de ratification par Israël, les statuts sont entrés en vigueur le 8 juillet 2010. 53 Etats à ce jour ont ratifié l’accord.

Ce succès a dépassé les espérances des concepteurs de l’agence, qui pensaient qu’elle intéresserait seulement quelques pays développés et quelques pays de l’hémisphère Sud. En fait, il y a une adhésion massive des Etats d’Afrique et du Moyen-Orient, qui se sont joints dans ce projet aux pays développés. Cette situation explique que la première réunion de l’IRENA se tienne à Abou Dabi, qui fait montre d’une véritable volonté politique dans le domaine des énergies renouvelables.

Pourquoi créer une agence spécifique, au lieu de réformer l’Agence internationale de l’énergie (AIE) ?

Créée au lendemain de la crise pétrolière de 1979 pour gérer les réserves stratégiques, l’AIE a surtout développé son expertise dans le domaine des énergies fossiles. De plus, elle n’est pas un organisme universel, ne réunissant que 28 Etats. Ces arguments justifient la création d’un organisme nouveau, doté d’objectifs spécifiques.

Ces objectifs sont prévus par l’article 4 des statuts. IRENA est d’une part un forum d’information, qui ambitionne de centraliser toute la documentation, tous les résultats des expériences technologiques, toutes les connaissances sur les énergies renouvelables lorsqu’elles font l’objet d’une application concrète. Surtout, elle propose son expertise à tout Etat qui veut mettre en œuvre une politique en ce sens. C’est ce point qui intéresse au premier chef les pays en voie de développement. Enfin, en application des conclusions d’un conseil interministériel qui s’est déroulé à Charm El Cheikh en juin 2009, IRENA sera dotée d’un laboratoire d’expérience technologique, basé à Bonn, en Allemagne fédérale.

Ce point suscite des interrogations. Le centre d’expérimentation n’est pas explicitement prévu par les statuts, mais ces derniers permettent aux pays membres de créer tout organe utile aux travaux de l’agence.

L’Allemagne a énormément insisté pour obtenir sur son territoire l’implantation de ce centre. Il faut dire que, dans le domaine des énergies renouvelables, l’Allemagne dispose d’une avance considérable sur nous. Elle utilise cet avantage comparatif dans de nombreux pays de la planète en exportant ses savoir-faire, par exemple en Russie.

En Rhénanie du Nord-Westphalie, l’Allemagne dispose d’un réseau de 3200 entreprises qui consacrent beaucoup de temps, de compétences et de capitaux à la recherche, à l’essai et à la production d’énergies renouvelables. S’appuyant sur l’université Friedrich-Wilhelm, Bonn est devenue un pôle d’excellence en ce domaine.

L’Allemagne tenait tellement à ce résultat qu’elle s’est engagée à apporter à IRENA une contribution volontaire de 4 millions de dollars en plus de sa contribution obligatoire pour la mise en place du centre, et à apporter chaque année environ 3 millions de dollars pour son fonctionnement, en sus de sa quote-part au budget de l’organe, soit 8 millions d’euros au total, à comparer aux 800 000 euros versés par la France, augmentés, en 2009, d’une dotation d’un million d’euros pour permettre le démarrage de l’IRENA. Elle a également affirmé qu’elle mettrait à disposition du centre d’excellence des locaux pour une durée illimitée et sans condition préalable ou restriction.

Ce déséquilibre se retrouve sur le marché russe, que j’ai cité tout à l’heure. Alors que l’Allemagne investit 3 millions d’euros dans un centre germano-russe pour l’efficacité énergétique, la France peine à réunir 100 000 euros pour un projet dans ce domaine !

Cet environnement est à l’évidence favorable à la recherche sur les énergies renouvelables… Mais il renforcera sans nul doute les capacités de recherche des entreprises allemandes qui disposeront d’un avantage compétitif lors du lancement des appels d’offre. En d’autres termes, IRENA pourrait servir à stimuler l’industrie allemande, leader mondial dans les énergies renouvelables, avec les contributions financières des autres Etats.

La stratégie allemande est claire et compréhensible, mais cela ne peut être un motif pour nous retirer. Nous devons, au contraire, être le plus présents possible. C’est en toute connaissance de cause que la France a signé les statuts de l’agence et accepté que les capacités de recherche technologique soient implantées à Bonn. De nombreuses entreprises françaises développent des programmes technologiques importants dans le domaine des énergies renouvelables.

Nos représentants au sein d’IRENA devront donc faire preuve de vigilance afin que nos entreprises puissent retirer des bénéfices technologiques et économiques de notre position au sein de l’agence dont nous serons, selon les années, le quatrième ou le cinquième contributeur.

Les structures de l’agence sont calquées sur celles de l’ONU, avec une assemblée générale des pays membres, qui vote les décisions et qui élit un conseil comprenant de 11 à 21 pays membres, sans membres permanents. Ce conseil joue essentiellement un rôle de proposition pour le programme de travail annuel et le budget. Les deux instances sont assistées par un secrétariat général dont le directeur devrait être M. Amin Adnan, un Kenyan haut fonctionnaire aux Nations Unies.

La quote-part des pays membres est calquée sur celle qui leur est applicable à l’ONU, avec de légères différences puisque l’agence ne rassemble pas tous les membres de l’ONU, bien qu’elle en soit proche. La contribution française, qui alimente le budget de l’ONU à hauteur de 6,123%, sera vraisemblablement de 7,2% au sein d’IRENA.

Les principaux contributeurs devraient être les Etats-Unis (22%), le Japon (15,7%), l’Allemagne (9,7%), le Royaume-Uni (7,9%) et la France (7,2%) soit pour notre pays environ 830 000 euros. En valeur absolue, cette dotation pèse peu sur les finances publiques.

S’agissant du coût en emploi public, l’ambassade de France à Abou Dabi recevra le renfort d’un fonctionnaire du ministère de l’environnement qui suivra les travaux de l’agence et préparera les réunions interministérielles. L’enjeu en termes de moyens est donc faible, pour des résultats importants.

Toutefois, deux difficultés doivent être mentionnées.

Le premier problème est budgétaire. Certains grands pays n’ont pas signé les statuts, notamment la Russie et la Chine. La Russie souhaite se concentrer sur l’exploitation de ses ressources en énergies fossiles. La Chine veut pour sa part préserver l’autonomie entière de sa politique énergétique.

En revanche, les Etats-Unis ont adhéré à IRENA, mais il existe un risque que le Congrès, dont la composition a changé en novembre 2009, n’autorise pas la ratification des statuts.

Si les Etats-Unis ne ratifient pas l’accord, c’est une contribution de 22 % du budget qui disparaîtrait, de l’ordre de 2,9 millions d’euros, faisant peser un poids financier plus considérable sur les autres membres, au premier rang desquels le Japon, deuxième contributeur actuel de l’agence derrière les Américains. Or, ce pays a prévenu lors du dépôt de son instrument de ratification qu’il s’était fixé un plafond de contribution budgétaire et qu’il ne porterait pas l’agence à bout de bras.

Le second problème est linguistique. Les statuts de l’agence ont été adoptés en une seule langue, l’anglais, lors de la conférence de Bonn. La délégation française avait alors obtenu par une déclaration ayant même force que les statuts que ces derniers « devaient être authentifiés dans les langues officielles des Nations Unies autre que l’anglais », à savoir le français, l’arabe, le chinois mandarin, l’espagnol et le russe. Notre objectif est, à terme, de mettre en place une agence mondiale de l’environnement intégrée au système des Nations unies.

Cette authentification des statuts en d’autres langues a été obtenue le 21 janvier 2010 pour le français et l’espagnol, auquel s’est ajouté l’allemand, compte tenu de la part importante de l’Allemagne dans IRENA. Elle ne signifie toutefois pas que les cinq langues précitées deviennent des langues de travail au sein de l’agence. A ce jour, le comité administratif, qui met progressivement en place les structures de l’agence, ne travaille qu’en Anglais.

Juridiquement, l’usage exclusif de l’anglais a été décidé lors de la conférence préparatoire de Madrid, par accord verbal. Une clause du règlement intérieur a ensuite validé cet accord.

La question doit être résolue à un niveau politique. L’Organisation internationale de la francophonie porte actuellement ce dossier, qui consiste à préparer une modification de statuts de l’agence et de documents connexes comme le règlement de procédure. Parallèlement, le Mexique conduit une démarche analogue en faveur de l’espagnol.

L’agence internationale pour les énergies renouvelables sera un outil utile au service d’une politique qui va au-delà de la promotion de technologies vertes. IRENA permettra à l’ensemble de ses Etats membres de réfléchir et d’agir ensemble dans un domaine crucial pour l’avenir de l’humanité. La France se doit de participer activement à cette agence et d’y jouer un rôle moteur.

M. François Rochebloine, président. Vous nous avez dit que l’anglais était actuellement la seule langue de travail et que le choix d’ériger d’autres langues en langues de travail relève d’une décision politique qui n’a pas encore été prise. Pouvez-vous nous donner des assurances sur le fait que le français sera retenu ? Il faut être particulièrement vigilant dans ce domaine, en commençant par ne pas tolérer que des personnalités françaises comme M. Jean-Claude Trichet parle en anglais devant des institutions, comme le Conseil de l’Europe, où le français est langue officielle !

M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. Le gouvernement français mène activement campagne pour que le français soit reconnu comme langue de travail dès l’assemblée générale du 4 avril prochain. Cette demande est aussi portée par l’Organisation internationale de la francophonie, dont un grand nombre de pays membres, en particulier d’Afrique de l’Ouest, sont aussi membres de l’IRENA. L’absence du Canada constitue un handicap pour le français, en partie compensé par le fait que l’Union européenne est partie à son statut.

M. François Rochebloine, président. Il est fréquent que de grands pays comme la Russie, la Chine, les Etats-Unis ou l’Inde refusent de signer ou de ratifier des instruments internationaux très importants dans différents domaines. Avez-vous le sentiment que ce positionnement en marge est en train d’évoluer ?

M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. Pour ce qui est d’IRENA, l’Inde a d’ores et déjà signé et ratifié le traité.

Pour la position des autres grands pays, on peut faire un parallèle avec leur attitude vis-à-vis du protocole de Kyoto : les Etats-Unis l’ont signé mais pas ratifié, mais la Russie s’y est finalement ralliée. Il me semble qu’il ne faut pas désespérer ! Tous les Etats finiront par rejoindre l’IRENA. Il faut d’ailleurs avoir en tête que les Etats-Unis prennent beaucoup d’initiatives en interne en faveur des énergies renouvelables, mais ils ont tendance à considérer que les instruments multilatéraux ne sont pas adaptés au traitement de ces sujets. Pourtant, même sur ce point, les opinions publiques commencent à évoluer.

M. Michel Terrot. Je me demande s’il est pertinent de voter dès aujourd’hui en faveur du projet de loi alors que nous n’avons pas encore de garantie sur la place du français comme langue de travail de la nouvelle agence. L’optimisme du rapporteur est-il étayé ?

Combien l’agence comptera-t-elle d’employés ? Quelle sera la part des Français, en particulier au niveau des postes à responsabilités ?

M. Serge Janquin. Nous avons bien compris que l’Allemagne souhaitait aller de l’avant en matière de développement des énergies renouvelables, et y mettait les moyens politiques et financiers. En soutenant la création de cette agence, nous rendons service à l’Allemagne et contribuons à l’accroissement de son influence. Ne pourrions-nous pas attendre de sa part la même bienveillance à notre égard, sinon une forme de contrepartie ?

M. Jean-Louis Christ. Je tiens aussi à insister sur la nécessité de défendre la place de notre langue.

La position de l’Allemagne, déjà dominante sur les énergies renouvelables, sera encore renforcée par cet accord. Je signale néanmoins qu’elle est loin d’être irréprochable dans ce domaine et que l’on peut s’étonner du développement en cours en Allemagne de centrales utilisant de l’huile de palme, lorsque l’on connaît les conditions dans lesquelles cette huile est produite ! Il me semble que l’essentiel est que nous renforcions la compétitivité et la compétence des entreprises françaises dans le secteur des énergies renouvelables et j’espère que cette agence y contribuera.

M. Jean-Paul Dupré. La création de cette agence apparaît judicieuse dans son principe, mais je m’interroge sur les conséquences de l’absence de certains grands pays en son sein. Pourriez-vous nous préciser les coûts de fonctionnement annuels de l’agence et la durée de l’engagement financier pris par les Etats membres ? Le traité vise-t-il à aider les Etats les plus pauvres à accéder aux énergies renouvelables ?

M. Jean-Claude Guibal. Sur l’ensemble des Etats membres de Nations unies, combien sont-ils parties au statut de l’IRENA ?

Quelles seront ses modalités d’intervention vis-à-vis des entreprises, et notamment de leurs départements chargés de la recherche ? Dans la mesure où son centre de recherches sera à Bonn, est-il prévu qu’elle utilise les normes allemandes ou les normes seront-elles différentes selon les pays partenaires ?

M. Lionnel Luca. J’estime que la question de l’utilisation de la langue française est importante et que nous devrions voter en faveur du projet de loi sous réserve qu’elle obtienne le statut de langue de travail de l’agence.

Pourriez-vous nous préciser combien de fonctionnaires travailleront pour elle et selon quelles modalités ils seront recrutés ?

M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. Je répondrai successivement aux nombreuses questions posées. S’agissant de la langue, la question de l’opportunité d’un vote ou de la formulation de réserves est légitime. Toutefois, à défaut d’un vote rapide de l’accord, il sera nettement plus difficile d’obtenir l’usage du français. C’est à l’assemblée générale du 4 avril prochain qu’une telle décision sera prise. Les choses sont bien engagées et il ne faut donc pas dramatiser.

S’agissant du coût global, il s’élèvera à environ 13 millions de dollars en année pleine sur la base d’un engagement initial d’une durée de cinq ans, au terme de laquelle il existe une possibilité de retrait à tout moment pour les pays qui le souhaiteraient. Cela s’apparente à une expérimentation. La répartition du coût est celle que j’ai indiquée, c'est-à-dire en fonction de la clé onusienne, mais si les Etats-Unis ne ratifiaient pas l’accord, la charge effective en serait modifiée.

S’agissant des personnels et du nombre de Français, la structure de direction, est quant à elle simple et légère, avec un directeur et plusieurs adjoints.

Concernant la nature des projets qui seraient conduits, l’Agence est un centre de recherche, mais au sens où elle est d’abord un centre d’échanges sur la recherche. C’est pourquoi la question des normes qui seront utilisées se posera dans un second temps. Cela n’est pas explicitement indiqué, mais des normes seront fixées.

M. François Rochebloine, président. Ne conviendrait-il pas de le préciser ?

M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. Ce sera un des objets de la première assemblée générale.

L’agence est un lieu où sont définis des projets, en fonction des demandes exprimées, qui sont naturellement d’abord le fait de pays en développement donc disposant de moyens limités. Pour autant, l’Agence n’est pas appelée à financer les projets, mais à apporter son expertise.

J’adhère à la remarque de Jean-Louis Christ sur le renforcement de la compétitivité des entreprises françaises. Je ne saurais en revanche répondre à la question sur la réciprocité avec l’Allemagne. Il existe des échanges en permanence. Dans le domaine énergétique et des technologies vertes, l’Allemagne a une certaine avance. Siemens est ainsi un outil de la présence et de l’influence de l’Allemagne. La France aurait évidemment intérêt à aider ses entreprises à jouer ce rôle. L’agence peut être vue comme un lieu permettant une amélioration de notre compétitivité en tirant profit de ce que les Allemands peuvent apporter dans ces domaines, plutôt que de tenter de combattre à armes inégales.

M. François Rochebloine, Président. Je remercie le Rapporteur pour les réponses apportées. Je rappelle que ce texte est inscrit à l’ordre du jour du 3 février et le met au vote.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n 3080).

*

Kazakhstan : approbation de l’accord de coopération en matière militaire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kazakhstan

La commission examine, sur le rapport de M. Loïc Bouvard, le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération en matière militaire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kazakhstan (n° 2985).

M. Loïc Bouvard, rapporteur. L’accord de coopération militaire entre la France et le Kazakhstan, signé le 6 octobre 2009, est d’une grande importance stratégique, pour deux raisons. Premièrement, il permet de clarifier la situation juridique des personnels engagés dans des missions de formation et des exercices communs hors de nos frontières. A court terme, son approbation permettra l’entrée en vigueur de deux accords majeurs pour notre pays.

Le premier prévoit de renforcer la coopération en matière d’armement entre la France et le Kazakhstan. Le second rend possible le transit ferroviaire de nos armées à travers le territoire kazakhstanais vers l’Afghanistan. L’approvisionnement de nos troupes déployées sur ce théâtre s’en trouvera alors grandement facilité. Les Etats-Unis ont déjà obtenu ce droit de transit.

Mais au-delà de ces motifs d’opportunité, l’accord de coopération militaire consolide la place de la France dans un Etat qui s’impose progressivement comme la première puissance d’Asie centrale.

Le Kazakhstan n’est pas le pays le plus peuplé d’Asie centrale, c’est l’Ouzbékistan qui, avec 22 millions d’habitants, représente la plus grande population, devant le Kazakhstan, où vivent 17 millions d’individus. En revanche, le Kazakhstan est le pays le plus riche, et le plus important stratégiquement.

Le Kazakhstan est de loin la principale puissance économique de la région. Ses performances reposent notamment sur ses réserves en gaz et en pétrole, parmi les dix premières au monde représentant 3% des réserves totales pour le pétrole et 1,5 % pour le gaz, et en uranium, avec 15 % des stocks mondiaux, les deuxièmes plus importants sur la planète. Son PIB par habitant, d’environ 11 000 dollars, est cinq fois supérieur à la moyenne régionale.

Le Kazakhstan cherche à convertir ce poids économique en influence politique, phénomène classique comme le montre l’exemple chinois. Ses positions diplomatiques sont empreintes de modération, dans une région où les tensions restent vives, comme l’a montré la récente crise kirghize.

Indépendant depuis 1991, le Kazakhstan entretient toujours une relation très privilégiée avec la Russie. Premier partenaire économique, la Russie est également l’allié de référence pour le Kazakhstan. Le Kazakhstan a renvoyé, à l’instar de l’Ukraine, l’ensemble de son arsenal nucléaire hérité de l’ère soviétique vers la Russie. Membre de toutes les organisations régionales où la Russie est présente, le Kazakhstan est très actif au sein de l’organisation du traité de sécurité collective et de l’organisation de coopération de Shangaï.

Mais le Kazakhstan souhaite également affirmer son autonomie vis-à-vis de l’ancienne puissance tutélaire. Premier membre de la communauté des Etats indépendants à présider l’OSCE en 2010, le Kazakhstan a développé des relations avec de nombreux partenaires, intéressées à participer à l’émergence de cette nouvelle puissance. Les 1er et 2 décembre 2010 s’est ainsi tenu un sommet des chefs d’Etats et de gouvernements de l’OSCE à Astana.

La Chine s’est déjà imposée comme le deuxième partenaire économique du Kazakhstan, et intensifie ses efforts en matière de coopération militaire. Des liens très forts existent entre ces deux pays, du fait de l’existence d’une importante minorité kazakhe en Chine d’environ 1,5 millions d’habitants.

Les Occidentaux ne sont pas en reste. L’OTAN a intégré le Kazakhstan à son programme de partenariat pour la paix dès 1994. Plusieurs délégations de l’assemblée parlementaire de l’OTAN ont pu se déplacer à Astana, capitale nouvelle construite selon les souhaits du dirigeant autoritaire du pays, le président Nazarbaïev. Par la suite, le Kazakhstan a été le premier pays d’Asie centrale bénéficiant d’un plan d’action individuel.

Sur le plan bilatéral, les Etats-Unis ont clairement fait de la relation avec le Kazakhstan leur priorité dans la région. Ils contribuent à la formation de l’armée kazkahstanaise et fournissent des équipements de tous ordres aux différents services de force, armée, police, garde-frontières, ministère des situations spéciales. Les Etats-Unis fournissent notamment des hélicoptères, des véhicules blindés et des navires pour les garde-côtes.

La France a un intérêt économique évident au Kazakhstan, du fait de ses réserves en uranium, indispensables au bon fonctionnement de notre parc électro-nucléaire. Mais le poids géopolitique de ce pays est également crucial à nos yeux, puisqu’il ouvre une nouvelle voie d’accès au théâtre afghan. Les firmes françaises, comme Total ou EADS, sont intéressées par le développement rapide et très important de ce pays.

Les relations entre la France et le Kazakhstan ont été considérablement renforcées depuis la signature, le 11 juin 2008, d’un accord de partenariat stratégique entre nos deux pays. Ce texte prévoit de développer notre coopération dans de nombreux domaines stratégiques, promesse concrétisée lors d’une visite du président de la République, Nicolas Sarkozy, au Kazakhstan en octobre 2009. De nombreux accords de partenariat ont été signés au cours de ce déplacement officiel, dans le domaine spatial, de l’armement, de la lutte contre la criminalité, de la sécurité civile, des visas, et, sujet qui nous occupe aujourd’hui, la coopération militaire.

La coopération militaire entre la France et le Kazakhstan progresse régulièrement. Depuis la nomination d’un attaché de défense à Astana en 2002, quatre grands domaines ont été identifiés, qui pourraient donner lieu à des projets futurs. Il s’agit notamment de formation, d’exercices communs, de conseils liés à la coopération en matière d’armement et d’appui aux exportations d’armement.

L’armée kazakhstanaise compte environ 30 000 hommes, dont 20 000 pour l’armée de terre, 6 000 pour l’armée de l’air et 3 000 dans les forces maritimes. Le Kazakhstan a entrepris une réforme de ses forces armées sans équivalent dans la région. Elle passe notamment par l’acquisition de matériels plus adaptés aux besoins du pays, car les équipements actuels sont souvent issus de la période soviétique. La France est vue comme un partenaire fiable pour accompagner ce mouvement de modernisation, par la formation mais aussi la fourniture d’équipements.

Les industriels français ont déjà répondu à plusieurs appels d’offre, dans des domaines variés : Thalès pour les télécommunications, Eurocopter pour les hélicoptères de transport, SAGEM pour les drones et EADS pour les satellites. Les premiers contrats sont en cours de finalisation, et le Kazakhstan a bien marqué son souhait d’accélérer le processus en organisant le premier salon d’armement d’Asie centrale, en 2010, le KADEX, où la France était très présente.

Le présent accord permet de donner un cadre juridique plus stable à nos activités de coopération militaire avec le Kazakhstan, anticipant ainsi sur un renforcement probable, car nous sommes au début d’un processus, et souhaitable, de nos activités communes.

Il comporte toutes les garanties nécessaires pour accompagner ce développement. Mais il ne constitue en aucun cas un accord de défense impliquant pour notre pays la participation à des opérations militaires décidées par le Kazakhstan. Ses principes directeurs sont ceux qui régissent les textes de référence définis par l’OTAN, notamment pour la protection des droits des personnes en cas de procédure judiciaire intentée sur le territoire de l’autre partie.

Couvrant un large champ de la coopération militaire, cet accord prévoit de répartir la charge financière qui en résulte sur les deux parties, chacun finançant les actions qu’il entreprend.

L’accord du 6 octobre 2009 participe donc du renforcement de nos relations avec notre partenaire stratégique en Asie centrale. Il permettra à la France de jouer un rôle accru dans la modernisation des forces armées de la principale puissance de cette région.

En cours de ratification au Kazakhstan, cet accord permettra, si vous l’approuvez, l’entrée en vigueur de deux autres textes, dont l’un concerne directement l’approvisionnement de nos forces déployées en Afghanistan. Le Kazakhstan a, de son côté, déjà effectué les procédures de ratification de ces deux accords liés.

L’opportunité de cet accord de coopération militaire ne repose pas seulement pour les raisons stratégiques que je viens d’évoquer. Conforme aux modèles les plus répandus d’accords de coopération militaire, c’est parce que ce texte offre toutes les garanties pour que nos actions communes se déroulent dans un cadre juridique stable et sûr que j’estime son entrée en vigueur tout à fait souhaitable.

M. François Rochebloine, président. Avant de passer la parole aux autres commissaires, je souhaiterais moi-même vous interroger sur deux points. En premier lieu, le Kazakhstan est un pays musulman, disposant d’un régime qu’on peut qualifier d’autoritaire. Y existe-t-il des mouvements islamistes ? J’ai été sollicité pour participer à une surveillance des élections au Kazakhstan et j’ai refusé pour ne pas servir de caution morale au régime.

En second lieu, de nombreuses actions ont été conduites au niveau international ces dernières années sur la question des mines antipersonnel, notamment avec les accords d’Ottawa puis d’Oslo. La Russie ne les a pas signés. Je suppose qu’il en est de même du Kazakhstan. Pouvez-vous le confirmer ?

M. Michel Terrot. La France a la chance de disposer d’un espace d’échanges et de rencontres avec le Collège interarmées de défense. Cette « école de guerre » accueille de nombreux stagiaires étrangers. Des stagiaires kazakhstanais y ont-ils déjà été accueillis ? Par ailleurs, le Kazakhstan est riche en uranium. Je suppose qu’Areva se préoccupe de son implantation dans ce pays, d’autant que la situation au Niger est difficile. Comment son intérêt se manifeste-t-il ?

M. Jean-Paul Dupré. J’aurais souhaité connaître la composition des forces militaires kazakhstanaise, en particulier la part de la marine.

M. Loïc Bouvard, rapporteur. L’armée kazakhstanaise compte 30 000 hommes, dont 3 000 dans les gardes côtes et la marine, 20 000 dans l’armée de terre et 6 000 dans l’armée de l’air.

M. Jean-Paul Dupré. Depuis que la Russie a retiré tout son arsenal nucléaire, existe-t-il au Kazakhstan une volonté de se rééquiper en nucléaire militaire ? J’aurais souhaité également savoir si des militaires kazakhstanais étaient engagés dans des opérations extérieures aujourd’hui et, enfin, quelles relations le Kazakhstan entretient avec ses voisins, s’il existe des situations conflictuelles si ont met de côté les relations avec la Chine et la Russie qui semblent être des relations privilégiées.

M. Jacques Remiller. On se souvient que pendant l’ère soviétique, des essais nucléaires avaient lieu au Kazakhstan. Il semblerait qu’il y ait encore des accords entre la Russie et ce pays. Disposez-vous d’informations à ce sujet ? Pouvez-vous nous en dire plus sur les méthodes de travail, les hommes et les technologies ?

M. Lionel Luca. Je m’interroge sur le caractère peu démocratique du régime. Les évènements actuels rappellent qu’une certaine prudence est de mise. De plus, il me semblait que l’objet essentiel des accords avec le Kazakhstan était d’assurer le passage vers l’Afghanistan et non de développer un partenariat stratégique. Un tel partenariat mériterait d’être précisé. Je m’interroge enfin sur le rôle de la Chine et de la Russie dans ce théâtre de l’Asie centrale.

M. Jean-Claude Guibal. Nous signons un accord de coopération militaire avec le Kazakhstan. Quels autres pays, hormis les Etats-Unis, ont signé un tel accord ? Le Kazakhstan a-t-il, à l’image de la Turquie par exemple, la volonté de s’ériger en puissance régionale ? Cela pose à nouveau la question de ses relations avec ses voisins.

M. Jacques Bascou. Le Kazakhstan apparaît comme un pays lointain, que l’on connaît mal, voisin de la Chine et de la Russie, membre du partenariat pour la paix et au régime autoritaire. Il serait utile d’en savoir plus sur ce pays sur le plan politique et sur ses relations avec ses voisins.

M. Hervé de Charette. J’aurais pour ma part une question malicieuse en vous interrogeant sur les relations entre l’UMP et le parti au pouvoir au Kazakhstan, après avoir lu dans la presse que des visites au plus haut niveau avaient lieu.

M. Loïc Bouvard, rapporteur. Le régime kazakhstanais est autoritaire, tenu d’une main de fer par un président qui impose un culte de la personnalité. Le président a toutefois refusé la demande émise par le parlement kazakhstanais d’organiser un référendum pour prolonger son mandat jusqu’en 2020. Des élections présidentielles devraient donc avoir lieu en 2010.

L’islam n’est pas perçu comme une menace pour la sécurité du Kazakhstan, même si les autorités redoutent des infiltrations d’extrémistes provenant d’Afghanistan.

En ce qui concerne l’interdiction des bombes à sous-munition et antipersonnelles, le Kazakhstan n’a pas ratifié les conventions d’Oslo et d’Ottawa. Toutefois, il ne fabrique pas d’armes de ce type. Outre la Russie et les Etats-Unis, ses principaux fournisseurs d’équipements militaires sont Israël, la Corée et la Turquie.

L’accord prévoit que la France accueille des officiers kazakhstanais pour des formations. A ma connaissance, il n’y a pas encore eu d’élèves originaires de ce pays à l’école de Saint-Cyr.

Pour l’heure, la France achète de l’uranium au Niger, à l’Australie et au Canada, mais un accord a été signé par Areva, qui prévoit la livraison de 4 000 tonnes d’uranium provenant du Kazakhstan chaque année.

Le pays est partie au traité de non-prolifération et, à ma connaissance, ne cherche pas à se doter de l’arme nucléaire. En tant que partenaire stratégique, il peut sans doute compter sur la protection nucléaire russe.

Il n’y a pas de forces kazakhstanaises stationnées à l’étranger. Une promesse a été faite d’envoyer quelques officiers en Afghanistan, pour le moment sans suite. Son armée est en cours de modernisation et l’objectif est de la professionaliser à hauteur des deux tiers. Il ne faut pas se cacher que les accords de coopération militaires impliquent toujours des transferts de technologies, même si la partie la plus sensible de celles-ci n’est pas révélée.

Le Kazakhstan ne prétend pas devenir un tampon entre la Chine et la Russie et il a intérêt à avoir de bonnes relations avec les deux, ce qui est le cas et ne l’empêche pas de participer au partenariat pour la paix de l’OTAN. Il se contente de défendre ses intérêts, notamment dans la mer Caspienne, mène une politique de bon voisinage et n’entretient aucune tension avec les pays qui l’entourent. Sa taille et sa richesse lui donnent un poids certain dans la région, mais il ne semble pas souhaiter en jouer, contrairement à la Turquie qui cherche à accroître son influence dans les Etats turcophones de la zone.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n 2985).

La séance est levée à dix-huit heures trente.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 1er février 2011 à 17 heures

Présents. - M. Christian Bataille, M. Jean-Louis Bianco, M. Roland Blum, M. Loïc Bouvard, M. Hervé de Charette, M. Jean-Louis Christ, M. Pascal Clément, M. Gilles Cocquempot, M. Alain Cousin, M. Michel Destot, M. Jean-Paul Dupré, M. Alain Ferry, Mme Marie-Louise Fort, M. Jean Grenet, M. Jean-Claude Guibal, M. Jean-Jacques Guillet, M. Serge Janquin, M. Robert Lecou, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Renaud Muselier, M. Alain Néri, M. Jean-Marc Nesme, M. Jean-Luc Reitzer, M. Jacques Remiller, M. François Rochebloine, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle, M. Éric Woerth

Excusés. - Mme Nicole Ameline, Mme Sylvie Andrieux, M. Jacques Bascou, M. Claude Birraux, M. Alain Bocquet, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Chantal Bourragué, M. Michel Delebarre, M. Paul Giacobbi, M. Pierre Lequiller, M. Axel Poniatowski, M. Jean-Marc Roubaud, M. André Schneider