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Commission des affaires étrangères

Mercredi 2 février 2011

Séance de 11 h 00

Compte rendu n° 33

Coprésidence de  M. Axel Poniatowski, président et de M. Didier Quentin, vice-président de la commission des affaires européennes

– Audition, conjointe avec la commission des affaires européennes, de M. Dick Roche, secrétaire d’Etat irlandais aux affaires européennes

Audition, conjointe avec la commission des affaires européennes, de M. Dick Roche, secrétaire d’Etat irlandais aux affaires européennes

La séance est ouverte à onze heures trente.

M. le président Axel Poniatowski. Nous avons l’honneur d’accueillir aujourd’hui, pour une audition conjointe de la Commission des affaires étrangères et de la Commission des affaires européennes, M. Dick Roche, secrétaire d’État irlandais aux affaires européennes. Je vous prie d’excuser l’absence de mon collègue Pierre Lequiller, président de la Commission des affaires européennes, temporairement empêché. Monsieur le ministre, merci d’avoir accepté notre invitation.

Fragilisée à la fois par une crise de liquidités et par une crise de solvabilité, déclenchée notamment par le retournement du marché immobilier, l’État irlandais a dû intervenir pour sauver son système bancaire. La détérioration des finances publiques qui en a résulté a conduit les agences de notation à dégrader la note attribuée à la dette publique irlandaise. Un plan d’aide de 85 milliards d’euros a été élaboré par le FMI et l’Union européenne. En outre, un nouveau programme de rigueur, faisant suite aux mesures prises dès l’année 2008, a été voté pour les quatre années à venir ; il porte sur 15 milliards d’euros, ce qui fait s’élever l’effort total à quelque 30 milliards.

Des élections anticipées auront lieu le 25 février, mais il semble que le plan de rigueur soit appelé à être mis en œuvre quel que soit le résultat ; vous nous le confirmerez peut-être, monsieur le ministre.

Mais nous vous auditionnons avant tout, au titre de vos fonctions de secrétaire d’État aux affaires européennes, sur la politique européenne de l’Irlande. Dans la situation difficile que connaît votre pays, avec des marges de manœuvre réduites, l’adhésion au projet européen est-elle fragilisée ? Nous aimerions entendre votre analyse sur le sentiment de l’opinion publique irlandaise au sujet de l’intégration européenne et de l’union monétaire.

Le fonds européen de stabilité financière, activé pour la première fois dans le cadre du plan d’aide à l’Irlande, vient de rencontrer avec sa première émission un succès impressionnant : alors qu’il cherchait à lever 5 milliards sur les marchés, le livre d’ordres a dépassé les 40 milliards. C’est un signal positif dans la crise que traverse l’Union. Comment la classe politique irlandaise conçoit-elle le rôle du fonds européen à l’avenir ? Plus généralement, quelle est sa position sur la coordination des politiques budgétaires et économiques ?

Enfin, permettez-moi de poser à nouveau la question de l’harmonisation fiscale, sur laquelle nos deux pays ont des positions divergentes. Cette harmonisation constitue un élément important dans la construction d’une gouvernance économique et financière européenne, en particulier à l’heure où les États doivent préserver leurs rentrées fiscales pour résorber leur déficit.

M. Didier Quentin, vice-président de la Commission des affaires européennes. À mon tour, je vous prie d’excuser notre ami Pierre Lequiller, momentanément immobilisé.

Monsieur le ministre, je m’associe au propos liminaire du président Poniatowski. Nous souhaiterions connaître votre sentiment sur les mécanismes de stabilité financière qui ont été forgés au printemps 2010 et mobilisés dans le cadre du plan de sauvetage de novembre dernier. Rappelons que l’Europe va fournir plus de 45 milliards des 67,5 milliards d’euros de prêts à l’Irlande ; votre jugement sur les résultats des premières émissions européennes en janvier 2011 nous intéressera.

J’aimerais aussi, bien sûr sans ingérence dans la vie politique intérieure de votre pays, connaître votre opinion sur les perspectives d’adoption du prochain budget et votre appréciation sur la situation économique actuelle, en particulier en matière bancaire.

Enfin, je m’associe à la question posée par le président Poniatowski sur la fiscalité et ce qu’on a pu appeler – expression qui vous semble peut-être polémique – le « dumping fiscal » de l’Irlande.

M. Dick Roche, secrétaire d’État irlandais aux affaires européennes. Tout d’abord, je tiens à vous remercier de m’avoir invité. Comme vous le savez, la dissolution du Dáil, notre Assemblée nationale, a été prononcée hier ; des élections législatives anticipées vont avoir lieu le 25 février : je me consacrerai donc à la campagne dès mon retour en Irlande.

C’est un grand plaisir d’être parmi vous aujourd’hui. En ces temps un peu mouvementés, il me paraît très important que les politiques aient des échanges de vues sur leurs préoccupations communes.

Comme vous le savez, l’Irlande a une expérience très positive de l’Europe. En 1972, le peuple irlandais a exprimé par référendum, à une large majorité, sa volonté de tourner une page de son histoire et d’intégrer l’Europe le 1er janvier 1973. L’Irlande était jusque là « une île derrière une île », cachée par la Grande-Bretagne, mais depuis nous avons beaucoup changé. À l’époque, le PIB ne représentait qu’environ 60 % de la moyenne européenne ; mais pendant ces trente-sept années, notre taux de croissance annuel a avoisiné 4,5 %. Nous avons bien sûr connu des difficultés, mais notre peuple relève les défis auxquels il est confronté ; depuis trois ou quatre ans, nous avons fait énormément pour redresser la situation.

Nous avons une économie de petite taille, mais ouverte ; sans le commerce extérieur, nous ne pourrions pas vivre : 80 % de ce que nous produisons est vendu à l’extérieur de nos frontières.

La participation au marché unique nous a été très bénéfique. Au moment où nous avons rejoint l’Union européenne, nous étions fortement dépendants du marché britannique – plus de la moitié de nos exportations étaient destinées au Royaume-Uni. Nous avons abaissé cette part à 18 %, tandis que la part de nos exportations à destination de l’Union européenne est passée de 21 à 45 % environ.

La destinée de l’Europe et la nôtre sont donc intimement liées. Nous avons toujours regardé vers l’Europe, en particulier vers la France, et cela depuis des siècles. Le fait que notre pays soit membre de l’Union européenne explique pourquoi nous avons pu attirer tant d’investissements étrangers. Beaucoup de sociétés étrangères se sont installées en Irlande – qui, comme la France, fait beaucoup d’efforts pour cela. Depuis deux ans, certains investisseurs ont effectué des transferts vers la Pologne ; mais nous considérons que cela fait partie des cycles économiques. Bien d’autres facteurs que le taux de l’impôt sur les sociétés ont contribué à attirer dans notre pays les investisseurs étrangers : nous avons une très forte culture entrepreneuriale ; il existe un large consensus politique sur l’objectif de compétitivité – chez nous, ce n’est pas du tout un gros mot – ; le niveau d’instruction et de qualification est élevé, les compétences se sont diversifiées. Notre économie reste tournée vers les exportations, indispensables pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés.

Nos recettes fiscales étant insuffisantes par rapport à nos dépenses, nous venons de prendre des décisions très difficiles – et mon parti est au plus bas de sa popularité depuis les années vingt. Nous considérons qu’il importe d’élargir l’assiette fiscale pour augmenter les recettes, en même temps qu’il faut maîtriser les dépenses publiques. Nous venons de réduire notre budget de 15 milliards en deux ans et demi ; 6 milliards supplémentaires sont économisés sur le budget 2011, auxquels devraient s’ajouter 9 milliards d’ici 2014. Imaginez que le budget de la France soit amputé à hauteur de 18 % du PIB !

Dans le cadre de cet effort de maîtrise budgétaire, nos fonctionnaires ont accepté une baisse de salaire de 14 % en moyenne. C’est une illustration des sacrifices que nous avons faits pour équilibrer notre budget et respecter nos engagements vis-à-vis de l’Union européenne.

Hier dans ma circonscription, j’ai entendu de vives critiques sur le fait que nous protégions les banques et les détenteurs d’obligations. Mais au sein du Gouvernement, nous considérons que nous avons une responsabilité vis-à-vis des autres pays de la zone euro : nous devons prendre les mesures nécessaires pour protéger le système, aussi imparfait soit-il. Comme l’a dit une figure politique qui s’exprimait hier pour la dernière fois au Parlement, il n’y a jamais de mauvais moment pour prendre les bonnes décisions ; nous avons donc pris une série de mesures fiscales.

La France est bien placée pour comprendre qu’il n’y a pas de recette unique applicable aux vingt-sept pays de l’Union européenne ou aux dix-sept pays de la zone euro. Qu’il s’agisse de l’agriculture, de la culture, de la défense, de l’énergie, du marché de l’emploi, chaque État doit prendre des mesures adaptées à son cas. Je sais que notre taux d’impôt sur les sociétés de 12,5 % suscite des commentaires ; nous allons le maintenir, mais il y aura d’autres ajustements.

En Europe, il y a une indépendance des systèmes fiscaux, fruits de l’histoire de chaque pays. On sait que les bénéfices des sociétés du CAC 40 ont été imposés à environ 8 % : le taux d’imposition effectif n’est donc pas toujours le taux affiché. En Irlande, les sociétés qui sont imposées au taux de 12,5 % représentent environ 2,9 % du PIB irlandais. Mais quand on compare ce qui est comparable, on s’aperçoit que les recettes fiscales de l’Irlande sont tout à fait semblables à la moyenne des recettes fiscales européennes. Encore une fois, chaque pays a son système fiscal spécifique. Le taux de l’impôt sur les sociétés en Irlande n’a pas été choisi, quoi qu’on en dise, dans le but d’attirer les entreprises étrangères ; mais c’est incontestablement un taux avantageux pour les PME, particulièrement représentées dans notre pays.

On dit aussi que par son système fiscal, l’Irlande a détourné à son profit les investissements directs étrangers. Or il faut être bien conscient que les arbitrages en faveur de l’Irlande ne se sont pas faits au détriment d’un autre pays d’Europe : comme par exemple dans le cas d’Intel où le choix se posait entre l’Irlande et un autre pays hors U.E. et au final le choix s’est porté sur l’Irlande. Il est donc indispensable de prendre du recul et de voir si l’Europe est ou non gagnante ; et à notre avis, nos politiques sont bénéfiques pour l’Europe. De même en France, il existe des niches fiscales en faveur de l’innovation, et nous n’y voyons aucun inconvénient, bien au contraire.

Quelques mots sur le secteur bancaire et ses défaillances.

Nous avons pris conscience des problèmes – non spécifiques à l’Irlande – et nous avons « pris le taureau par les cornes ». Les prêts, pour une valeur nominale de 71 milliards, ont été transférés à l’agence nationale de gestion des actifs (National Asset Management Agency – NAMA). Nous allons payer un prix politique très fort pour cette décision, mais nous considérons que c’est notre responsabilité morale de protéger ceux qui ont fait des investissements dans notre pays. Les banques ont augmenté les niveaux de capital du Tier 1 de plusieurs points, conformément aux accords passés avec la banque centrale. Dans le cadre du programme Union européenne – FMI, notre pays va revoir les ratios de solvabilité des banques.

L’Irlande a beaucoup gagné d’appartenir à l’Europe. Elle a joué tout son rôle quand est venu son tour de présider l’Union ; sa présidence a témoigné de la force de son engagement européen et de sa volonté de jouer en équipe. Contre toute attente, nous avons réussi à obtenir un accord de tous les pays sur la Constitution européenne. Notamment à travers Patrick Cox, notre pays a joué – et continue de jouer – un rôle très actif au sein du Parlement européen.

La France et l’Irlande ont ensemble une longue histoire. Notre drapeau tricolore est inspiré du modèle français. Nous avons eu à gérer nos relations avec le même voisin. L’Irlande et la France travaillent main dans la main pour défendre un secteur agricole dynamique. J’ai récemment évoqué le sujet avec les autorités brésiliennes : je ne comprends pas la logique qui conduit à importer du bœuf en provenance de pays très lointains alors que nous sommes confrontés au changement climatique.

Les chiffres du commerce bilatéral entre la France et l’Irlande sont très bons. Nous avons chez nous beaucoup d’expatriés français, et il y a eu beaucoup d’investissements irlandais en France – dans les domaines de la climatisation, de la fabrication du verre, ou encore dans l’agro-alimentaire : environ cinquante entreprises irlandaises ont investi en France et emploient environ 10 000 personnes. Des sociétés françaises ont des activités en Irlande, dans le domaine des services environnementaux, dans l’assurance, ou encore dans les transports – avec en particulier la réalisation par Veolia du système de tramways de Dublin. Pernod Ricard et BSN sont fortement implantées en Irlande.

La France est pour l’Irlande un partenaire commercial majeur. Actuellement la balance est sans doute en notre faveur, mais les relations commerciales ont toujours été très soutenues, depuis plusieurs générations.

Il nous fallait prendre des décisions difficiles pour juguler la crise financière. Mais imaginez, en France, faire une campagne électorale en promettant, comme j’ai dû le faire hier, une augmentation des impôts, une hausse des cotisations sociales et une diminution du niveau des retraites ! Il reste que ces mesures impopulaires sont nécessaires. Bien sûr, c’est un exercice d’équilibrisme.

Nous avons également défini un plan national de reprise, comportant l’ensemble des mesures qui nous paraissent indispensables. Nous allons redresser les finances publiques, effectuer des changements structurels au sein de la fonction publique et augmenter les recettes fiscales ; mais les études de l’OCDE ont montré l’impact positif d’un faible taux d’impôt sur les sociétés : pour qu’une économie se développe, elle doit pouvoir attirer les investissements directs étrangers. À l’inverse, il a été démontré qu’une augmentation des prélèvements fiscaux sur l’économie a un effet très négatif. Nous considérons qu’il vaut mieux augmenter les autres impôts plutôt que l’impôt sur les sociétés. Le Parlement a donc voté la semaine dernière l’augmentation de divers droits et impôts, notamment sur les salaires, ce qui bien sûr déplaît à l’opinion publique. Mais il y a un consensus politique pour conserver le taux d’impôt sur les sociétés de 12,5 % – et nous ne comprenons pas très bien pourquoi d’autres pays nous désapprouvent. Certains devraient s’inspirer de nous.

Nous sommes engagés dans une démarche de long terme pour une meilleure gouvernance du secteur financier et bancaire. Le Conseil européen continuera à travailler sur ces questions ; nous sommes évidemment ouverts aux idées qui permettraient d’aller plus loin. Pour gérer la crise économique, nous avons besoin de travailler avec nos voisins. Mais l’Union européenne et ses structures, qui ont si bien travaillé pour nous, devront nécessairement évoluer dans l’avenir : il faut tirer les enseignements de nos erreurs, des erreurs des Vingt-sept, et améliorer notre processus de collaboration. Nous savons qu’aujourd’hui notre responsabilité morale est très importante dans le règlement de ces problèmes.

M. le président Axel Poniatowski. Merci pour cette présentation et cette défense courageuse de la politique économique irlandaise.

M. Michel Terrot.  Monsieur le ministre, nous avons en mémoire l’image de quartiers inachevés et abandonnés par des promoteurs en faillite. Ce secteur montre-t-il aujourd’hui des signes de redémarrage ?

Par ailleurs, il apparaît dans les statistiques irlandaises que pour la première fois depuis la croissance exceptionnelle des années quatre-vingt-dix, le nombre de partants dépasse celui des arrivants. Ces départs concernent-ils principalement des Irlandais ou bien des immigrés qui étaient arrivés récemment, notamment d’Europe de l’Est, pour occuper les emplois nouveaux générés par le boom économique ?

Mme Marie-Louise Fort.  Monsieur le ministre, je salue votre sincérité. Vous ne pratiquez pas la langue de bois !

M’étant rendue en Irlande avec une délégation du groupe d’amitié France - Irlande lors du dernier référendum sur l’Europe, j’aimerais savoir si depuis cette période, votre perception de ce que peut faire l’Europe pour votre pays a évolué.

On nous avait signalé une reprise de l’émigration chez les jeunes Irlandais. Se confirme-t-elle, ou les jeunes retrouvent-ils la confiance et, surtout, du travail et de quoi vivre sur place ?

M. Robert Lecou.  Merci pour votre franchise, monsieur le ministre. Je vous souhaite, dans votre circonscription,  de convaincre vos concitoyens avec votre « parler vrai » !

Une nouvelle gouvernance se met en place au niveau mondial dans le cadre du G 20. Quelle appréciation l’Irlande porte-t-elle sur cette instance ? Quelles sont ses attentes ? L’Europe doit-elle selon vous avoir une stratégie ? Si oui, laquelle ?

Enfin, la régulation des marchés financiers vous paraît-elle souhaitable ?

M. Jean Gaubert. À mon tour de saluer votre grande franchise, monsieur le ministre.

Vous avez parlé de la politique agricole, en évoquant les importations européennes en provenance d’Amérique du Sud. Quel est votre sentiment sur les accords qui se préparent avec le Mercosur ?

S’agissant des perspectives budgétaires de l’Union européenne, comment le gouvernement irlandais voit-il la répartition des moyens de l’Union ? En particulier, quels moyens faut-il selon vous consacrer à la future politique agricole commune – et que doit être cette nouvelle PAC ?

M. Jean-Louis Christ.  Moi aussi je salue votre discours courageux, monsieur le ministre.

L’attractivité de votre pays s’explique, vous l’avez dit, par de nombreux facteurs, mais on ne peut pas nier que la fiscalité y contribue. Le taux de 12,5 % auquel vous maintenez l’impôt sur les sociétés est inférieur de moitié à la moyenne européenne. Pour relever le défi de la mondialisation, ne pensez-vous pas que l’Europe doit d’abord travailler à son intégration économique, laquelle passe nécessairement par une convergence des systèmes fiscaux ?

M. Dick Roche. Le secteur du bâtiment et de la construction a connu une forte croissance dans notre pays à un moment où j’étais ministre de l’environnement et des collectivités locales. J’étais profondément préoccupé car les arrivées de capitaux ont été telles que les anciens systèmes prudentiels de crédit ont disparu : les banques ont tout simplement transféré des fonds en provenance d’autres nations européennes pour les diriger vers des projets dont certains étaient de qualité ; mais l’éclatement de la bulle conduit aujourd’hui à une situation très difficile – moins peut-être néanmoins que les médias ne le laissent entendre. Le retournement du marché de la construction a entraîné une chute des recettes fiscales qui lui étaient liées, de la TVA à l’impôt sur le revenu des 250 000 personnes qui étaient employées dans ce secteur. Nous sommes ainsi confrontés simultanément à l’effondrement des recettes fiscales et aux retombées de la crise bancaire.

L’industrie de la construction n’a toujours pas redémarré. Les prix de l’immobilier, qui avaient connu une surévaluation, semblent avoir touché le fond. L’agence de gestion chargée de ces actifs toxiques (NAMA) devrait permettre de progressivement normaliser la situation. Des signes semblent montrer que le marché, après avoir atteint son point bas, va pouvoir repartir, mais cela prendra du temps.

En ce qui concerne les mouvements migratoires, l’émigration a malheureusement recommencé : les parents voir partir les jeunes qui ont étudié dans nos universités. L’émigration est vraiment le fléau de la vie nationale irlandaise. Elle avait cessé avec l’adhésion au projet européen, et l’Irlande avait commencé à attirer des immigrants. En 2004 – j’étais ministre – je faisais partie de ceux qui avaient vigoureusement plaidé pour que l’on ne mette pas de barrière à l’entrée en provenance des dix nouveaux membres de l’Union. Je continue à penser que c’est la bonne politique. Nous avons, je crois, accueilli comme il convient tous ceux qui sont venus dans notre petit pays, à hauteur de 10 % de sa main d’œuvre. Un grand nombre de ces personnes sont retournées chez elles, mais beaucoup aussi sont restées en Irlande et font partie des nouveaux Irlandais.

Pour paraphraser le célèbre discours du Président John F. Kennedy, je voudrais évoquer non ce que peut faire l’Union européenne pour l’Irlande, mais ce que peut faire l’Irlande pour l’Europe : nous pouvons lui montrer qu’un petit pays, confronté à un tsunami de difficultés économiques, peut prendre des décisions courageuses et se reconstruire.

En ce qui concerne le G 20, votre ministre a présenté lors du Conseil des affaires générales auquel j’ai participé à Bruxelles les travaux à mener sous présidence française. Malheureusement, je n’étais pas là lundi car j’étais retenu par la fin de la session du Parlement. Je crois à la possibilité d’une synergie ; en matière bancaire, par exemple, la maladie n’a pas débuté en Irlande ou en Europe : elle est venue de l’extérieur. Certains problèmes ont un caractère tellement multinational qu’un cadre comme celui du G 20 s’impose pour les résoudre. Je pense donc que la présidence française aura le soutien de l’Irlande. Les mesures de gouvernance sont satisfaisantes. Ce qui m’irrite, ce sont les décisions que prennent les agences de notation sur les dettes souveraines : il y a peu de temps, elles accordaient un triple A à des obligations à haut risque… Nous devons traiter ce problème : pourquoi et comment une personne dans son bureau peut-elle prendre une décision susceptible d’affecter la vie d’un peuple entier et, au-delà, de l’ensemble de l’Europe ?

En ce qui concerne la PAC, j’ai évoqué mon dialogue avec les autorités brésiliennes. Je ne renie en rien les commentaires que j’avais faits au sujet des importations brésiliennes. La viande produite en Europe répond à divers critères de qualité. En Irlande, quand on va au supermarché pour acheter son steak, on voit une photo du fermier chez qui cette viande a été produite ! On peut même relever les indications GPS pour aller visiter la ferme. Il y a donc une traçabilité totale, ce qui est très important pour les consommateurs. L’Europe serait bien mal avisée d’abandonner la PAC, notamment pour des raisons de sécurité alimentaire ; regardez ce qui s’est passé cette année avec l’embargo russe sur les exportations et avec les interrogations sur la production australienne du fait des conditions climatiques.

L’Irlande devient un contributeur net au budget européen ; nous avons donc intérêt nous aussi à ce que ce budget soit maîtrisé et bien utilisé. Moi qui ai été élu député d’une circonscription urbaine, je considère que la PAC nous a été très bénéfique.

S’agissant enfin du taux de 12,5 % que nous retenons pour l’impôt sur les sociétés, j’insiste sur le fait que d’autres facteurs importants contribuent à attirer les investissements étrangers en Irlande. D’abord, il se trouve que par un accident de l’histoire, nous ne parlons pas notre langue irlandaise, mais une langue que nous avons empruntée à notre voisin et qui est largement utilisée dans les échanges internationaux. Ensuite, les Irlandais ont une mentalité très entrepreneuriale ; ils ont un regard très favorable sur les entreprises. Le fait que tant d’Irlandais aient si bien réussi dans le monde des affaires en Amérique en est la preuve. En outre, nous avons créé d’excellents réseaux à travers le monde. Le niveau d’imposition a surtout un impact psychologique ; l’objectif est avant tout de ne pas dissuader les investissements. Un livre remarquable diffusé par l’ambassade d’Israël, « La nation des start-up » fait systématiquement des comparaisons entre Israël, l’Inde et l’Irlande – les trois « I ».

M. Henri Plagnol.  Dans votre exposé courageux, monsieur le ministre, vous avez insisté sur l’enracinement de l’Irlande dans l’Europe. Cependant n’y a-t-il pas dans votre pays, comme certains sondages semblent le montrer, un début de questionnement sur le coût de l’appartenance à la zone euro et une tentation de s’inspirer de l’attitude britannique ?

N’y a-t-il pas un point limite au-delà duquel les sacrifices demandés aux Irlandais risquent de faire de l’euro un bouc émissaire ? C’est une question fondamentale pour l’avenir de la zone euro. C’est aussi la question que se posent souvent les marchés. Ne craignez-vous pas, si la situation ne se redresse pas rapidement, des mouvements populistes importants, allant jusqu’à plaider pour un retrait de la zone euro ?

M. Jean-Claude Guibal.  Monsieur le ministre, j’ai apprécié moi aussi votre franc-parler.

Face aux nouveaux grands pays émergents, êtes-vous partisan d’une préférence communautaire au niveau européen ?

Vous avez présenté les systèmes fiscaux dans l’Union comme le produit de l’histoire de chacun des pays. Penchez-vous pour le respect de ces identités nationales ou pour une harmonisation fiscale et sociale au sein de l’Union ?

M. Jacques Myard.  Je salue le valeureux peuple celte, moi qui suis un Gaulois irréductible !

L’Irlande, nous avez-vous dit, monsieur le ministre, fait des sacrifices pour remplir ses obligations à l’égard de l’euro. Le problème, c’est que votre pays est un cas typique du mauvais fonctionnement de l’euro. Il n’y a pas de zone économique optimale. Vous étiez en excédent budgétaire, mais vous avez perdu votre compétitivité. Comment la retrouver, alors que la valeur de l’euro est tirée vers le haut par la puissance de l’Allemagne ? À partir du moment où on cadenasse les taux externes, il faut que les riches paient pour les pauvres : l’union est un cadre pour des transferts. C’est ce qui se passe dans tous les systèmes de monnaie unique : Washington, à travers le budget fédéral, aide la Californie. Combien de temps pensez-vous que l’Allemagne, voire la France, va payer pour l’Irlande ?

Mme Marietta Karamanli.  Après la Grèce, l’Irlande a fait l’objet de mesures de soutien de son économie, notamment à travers un fonds de stabilité. Mais en demandant des mesures d’assainissement tout en pratiquant des taux de prêt très élevés et en réclamant une prime de risque, laquelle affaiblit davantage encore ces États tout en donnant aux marchés financiers le sentiment qu’elle n’a pas confiance, l’Europe, d’une part, ne pratique pas la solidarité et, d’autre part, donne aux marchés un signal de doute quant à la capacité des États à tenir leurs engagements. Que pensez-vous de cette attitude ?

M. Dick Roche. Je vous remercie de cet échange très franc.

En ce qui concerne l’euro, nous n’assistons pas en Irlande à un mouvement populiste anti-européen. Lors du second référendum irlandais sur le traité de Nice, j’ai moi-même expliqué au peuple irlandais pourquoi il était juste de traiter de la même manière tous les travailleurs européens, d’où qu’ils viennent, et d’assurer la libre circulation. Il n’y a pas eu de réaction négative vis-à-vis des immigrants, comme il y en a eu dans d’autres pays ; le sort que nous leur réservons est celui que nous souhaitons pour ceux de nos compatriotes qui vont travailler dans d’autres pays.

La rhétorique anti-européenne ne se fonde sur aucune analyse objective. C’est une forme de cynisme importé en Irlande, où les médias britanniques sont très présents ; l’un des journaux les plus vendus est l’édition irlandaise du Times – bon journal dans sa version britannique, moins bon dans sa version irlandaise. On s’est attaqué au référendum sur le traité de Lisbonne : ce qui n’avait pas pu être fait en Grande-Bretagne, on a essayé de le faire en Irlande, en faisant en quelque sorte de nous un cheval de Troie ; mais le peuple irlandais a su résister.

Il est très important de continuer à expliquer et expliquer encore ; mais vous avez raison, il y a un danger. Tout traité ou autre texte fondamental devra, en Irlande, être soumis à référendum ; et il est difficile de tout faire comprendre dans ce cadre. Après le 25 février, sans doute ne serai-je plus au Gouvernement et la moitié des membres de mon parti auront-ils perdu leur siège au Parlement ; mais l’important est que, parce que nous aurons pris les décisions qui s’imposaient, nous puissions demain parler la tête haute à nos petits-enfants.

Il faut continuer la réflexion sur la fiscalité, mais dans le cadre d’un débat constructif où chacun respecte le point de vue d’autrui. Au-delà des frontières de l’Irlande, force est de constater que l’Union européenne ne s’est guère rapprochée des citoyens ; elle communique peu et n’a pas su gagner leur cœur. Elle n’est pas à la mesure de ce qu’elle pourrait être.

L’économie irlandaise est basée sur les exportations. Les difficultés économiques que nous connaissons comme d’autres pays européens ne doivent surtout pas nous conduire à succomber au chant des sirènes protectionnistes. Nous devons avoir un système adapté à notre situation, susceptible de répondre aux défis auxquels nous sommes confrontés, notamment face à l’Inde et à la Chine. Pour l’Europe, ces pays peuvent soit représenter une grande menace, soit constituer des partenaires de choix. Comme beaucoup d’amis, je pense qu’il faut regarder vers l’Est plutôt que de lui tourner le dos.

J’en viens à la question très directe sur l’euro et les transferts dans l’Union. Moi aussi, je vais être très franc. À quel choix étions-nous confrontés ? Nous aurions pu abandonner ceux qui avaient fait confiance à nos banques : si nous avions pris cette option, la zone euro serait non pas en crise, mais en phase terminale. Nous avons préféré assumer nos responsabilités.

Dans la perspective de l'intervention de l'UE / FMI, il y a eu une forte pression due à des informations diffusées dans certains médias les jours qui ont précédé la date du 28 novembre, et qui visaient à nous forcer la main. Cela a été préjudiciable, au moins en ce qui concerne le calendrier des décisions, et donnait l'impression d'un manque de solidarité.

Je pense que les citoyens européens sont en faveur des mesures difficiles que nous avons prises. En revanche, ceux qui jouent sur les marchés n’ont pas de scrupules à attaquer l’Europe. Il faut aussi éviter que l’Europe nous emmène sur un terrain où nous ne voulons pas aller, celui de la spéculation financière.

Nous avons subi beaucoup de critiques au moment de l’élaboration du plan de sauvetage, et cela ne nous a pas aidés. Je pense que les États petits et moyens en Europe en ont encore gros sur le cœur.

M. le président Axel Poniatowski. Au nom de tous mes collègues de la Commission des affaires étrangères et de la Commission des affaires européennes, monsieur le ministre, il me reste à vous remercier d’avoir accepté cet échange et d’avoir répondu de manière aussi franche à toutes nos questions.

La séance est levée à midi trente cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 2 février 2011 à 11 h 30

Présents. - Mme Sylvie Andrieux, Mme Martine Aurillac, M. Jean-Paul Bacquet, M. Roland Blum, M. Hervé de Charette, M. Jean-Louis Christ, M. Dino Cinieri, M. Pascal Clément, M. Philippe Cochet, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Michel Ferrand, M. Alain Ferry, Mme Marie-Louise Fort, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, M. Serge Janquin, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Patrick Labaune, M. Jean-Paul Lecoq, M. Robert Lecou, M. Didier Mathus, M. Jacques Myard, M. Alain Néri, M. Henri Plagnol, M. Axel Poniatowski, M. Éric Raoult, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. Jean-Marc Roubaud, M. Rudy Salles, M. Dominique Souchet, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Jacques Bascou, M. Claude Birraux, M. Alain Bocquet, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Chantal Bourragué, M. Gilles Cocquempot, M. Paul Giacobbi, M. Gaëtan Gorce, M. Pierre Lequiller, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Remiller, Mme Odile Saugues, M. André Schneider

Assistait également à la réunion. - M. Éric Straumann