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Commission des affaires étrangères

Mercredi 16 février 2011

Séance de 16 h 15

Compte rendu n° 38

Présidence de  M. Axel Poniatowski, président

– Audition de M. Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération, sur la politique de son ministère (ouverte à la presse)

Audition de M. Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération, sur la politique de son ministère.

La séance est ouverte à seize heures quinze.

M. le président Axel Poniatowski. Nous avons le plaisir d’auditionner M. Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération. Votre audition devait se dérouler hier après-midi mais vous avez dû modifier cette date au dernier moment et je vous remercie de nous avoir proposé une date aussi proche de celle qui avait été envisagée. Comme vous le savez, l’action de votre ministère est suivie avec une particulière attention par les membres de notre commission. Il y a quelques semaines, la commission a examiné le rapport rédigé par Mme Nicole Ameline au nom de la mission d’information sur l’équilibre entre bilatéralisme et multilatéralisme de l’aide publique au développement, que présidait M. Jean-Paul Bacquet.

Pour cette première audition, je souhaiterais, Monsieur le ministre, que vous nous présentiez tout d’abord les orientations de votre ministère. Les critiques dont notre politique de coopération est l’objet pointent davantage le déséquilibre croissant entre les subventions et les prêts, la dispersion de nos moyens et le manque de cohérence et de pilotage politique que le montant des financements que la France consacre à l'APD. Quelles réponses apportez-vous aux critiques qui lui sont faites ?

La semaine dernière, vous étiez à Nouakchott. Vous avez rappelé au président mauritanien que la France était à la disposition des pays de la région pour les aider dans leur lutte contre AQMI. Cette question est de celles qui nous préoccupent vivement et une mission d’information, composée de MM. François Loncle et Henri Plagnol y travaille en ce moment. Les pays concernés sont parmi les 14 pays prioritaires de notre aide. De quelle manière notre coopération au développement est-elle d’ores et déjà affectée par ces troubles ? Allons-nous pouvoir continuer à apporter une aide sur le terrain aux populations et a-t-on d’ores et déjà évalué les conséquences d’un retrait ou d’une diminution de notre aide au développement, qui est évidemment l’un des objectifs de la stratégie d’AQMI ? Quelle est votre analyse et quelles sont les solutions alternatives que l’on peut envisager ?

Je vous cède la parole, Monsieur le ministre, pour une intervention liminaire, à la suite de quoi, mes collègues et moi-même aurons un certain nombre de questions à vous poser.

M. Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération. J’ai plaisir à venir devant la commission des affaires étrangères pour débattre de la politique d’aide au développement de la France et je vous remercie de votre accueil. Je participais hier à une réunion avec l’African Panel Progress, que pilote Kofi Annan, et j’ai donc dû vous demander de bien vouloir reporter à aujourd’hui cette rencontre.

Notre politique de coopération et de développement est partie prenante de notre politique internationale. Elle existe depuis longtemps, pour des raisons historiques bien connues sur lesquelles il n’est pas nécessaire de revenir ici. L’époque a changé et nous sommes aujourd’hui à un moment charnière pour l’Afrique et pour la planète tout entière. L’articulation entre les différents aspects, compte tenu de la multiplicité des enjeux, est d’autant plus importante pour nous que la France préside actuellement le G8 et le G20.

Je voudrais souligner en quelques rappels chiffrés l’évolution de notre politique envers les pays qui en ont le plus besoin. L’Afrique compte aujourd’hui 1 milliard d’habitants ; elle en aura 2 milliards en 2050. Il s’agit là d’une donnée fondamentale qui doit inspirer toute l’action des pouvoirs publics, pour favoriser tout ce qui peut l’être pour contribuer au développement endogène de l’Afrique, qui dispose de ressources considérables, au plan minier, pétrolier ou forestier. La croissance économique moyenne en Afrique est de plus de 5 % par an et l’endettement a largement été réduit. L’Afrique a un certain nombre d’atouts, qu’il faut contribuer à renforcer pour favoriser son développement.

Dans cette période budgétaire difficile, nous entendons conserver notre capacité d’intervention et notre effort d’aide publique globale de 10 milliards d’euros est l’un des rares à avoir été sanctuarisé sur les trois prochaines années, alors même que des efforts budgétaires ont été demandés à tous les autres.

Cela étant, il y a quelques préoccupations que j’entends, exprimées dans les rapports parlementaires de Mme Henriette Martinez ou de M. Jean-Paul Bacquet et Mme Nicole Ameline. Je peux ainsi vous indiquer que nous allons essayer de porter notre effort bilatéral à 65 % de notre aide en 2013. C’est un objectif de rééquilibrage accessible et j’ai bon espoir que nous réussissions à l’atteindre dans un délai assez bref.

Notre aide est désormais concentrée sur deux secteurs géographiques spécifiques : l’Afrique et le pourtour méditerranéen. 60 % de l’effort budgétaire est consacré à l’Afrique, pour l’aider à faire face aux défis qu’elle doit affronter dès à présent. Il ne faut pas perdre de vue la structure démographique de ce continent, dont la population jeune et active impose de créer des emplois et de soutenir le développement pour éviter de le voir exposé à des difficultés insurmontables à court terme. Il est essentiel que nous nous concertions avec nos partenaires de l’Union européenne pour travailler le plus concrètement possible et augmenter nos possibilités d’interventions et leur donner le maximum d’efficacité.

La France n’a pas à rougir de son aide, qui est la première à destination de l’Afrique. Nous avons défini 14 pays prioritaires les plus nécessiteux sur lesquels nous concentrons notre aide. Le Président Axel Poniatowski faisait référence dans son propos introductif à AQMI et je veux dire que nous lions développement et sécurité. Si nous voulons lutter contre le terrorisme, il faut essayer de couper les liens entre les terroristes et les populations. Il est indispensable que nous gardions le contact avec les populations locales pour obtenir au moins leur neutralité. Le renseignement est indispensable et les observations que peuvent faire les populations sont essentielles. Je l’ai personnellement constaté en Mauritanie où le gouvernement mauritanien a lancé avec succès des opérations contre trois véhicules terroristes bourrés d’explosifs avant qu’ils ne réussissent les attentats qu’ils planifiaient, dont un contre l’ambassade de France. C’est grâce aux informations obtenues auprès de la population que cette intervention a été possible. L’aide au développement peut nous permettre de garder ce contact ; c’est tout à fait essentiel au Sahel.

En ce qui concerne la concentration de nos interventions sur l’Afrique, je soulignerai que nous avons certes des liens privilégiés avec l’Afrique francophone mais qu’ils ne sont pas exclusifs : dans la mesure où les problématiques sont mondiales, nous devons penser en termes de globalité du continent et ne pas oublier l’Afrique anglophone et lusophone. Le Président de la République nous a demandé d’être en contact avec l’ensemble des pays africains, quels que soient les liens historiques que nous avons avec chacun d’eux.

En 2008, à la suite du discours du Président de la République, « l’Initiative du Cap » a été lancée. Elle nous permet d’intervenir pour quelque 10 milliards d’euros sur 5 ans dont 2,5 milliards en faveur du secteur privé, moyennant la mobilisation de divers instruments auxquels il convient d’ajouter l’apport de différents mécanismes et fonds d’investissements, qui ont des effets de leviers importants, tel FISEA. Je relève aussi l’action de fonds de garantie pour le financement de projets, ARIZ, et Proparco.

Notre effort budgétaire sur le pourtour méditerranéen représente 20 % et, compte tenu des événements actuels, nous y portons une particulière attention : le Premier ministre nous a demandé de redéfinir un certain nombre d’actions vis-à-vis de la Tunisie et nous nous mettons à la disposition de ce pays pour lui apporter l’aide qu’il pourrait souhaiter en fonction des besoins qu’il aura lui-même définis, sans qu’il s’agisse pour nous de lui imposer quoi que ce soit moyennant des projets « clefs en mains ».

Quelques mots sur nos priorités sectorielles ; liées aux objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Le premier concerne la réduction de la pauvreté. Je rappelle à cet égard que 1/6e de la population mondiale vit avec moins de 1 dollar par jour et qu’il reste par conséquent encore beaucoup à faire. Nous intervenons beaucoup en matière de santé, qui représente un effort budgétaire de 500 millions d’euros par an. La France est aussi très engagée dans la lutte contre le sida et notre effort annuel de 300 millions sera porté à 360 millions dès cette année. En complément, nous finançons aussi Unitaid à hauteur de 110 millions, jusqu’en 2013. A Ouagadougou, lors d’un colloque sur le thème « populations et développement », j’ai annoncé un engagement supplémentaire de 100 millions en faveur de la santé maternelle et infantile, compte tenu de l’importance des besoins dans ce seul secteur. Notre effort en matière d’éducation représente 1 milliard d’euros annuellement. Ici aussi beaucoup reste à faire même si l’analphabétisme a diminué de moitié en Afrique. L’AFD est très active sur ce secteur.

Cela étant, il est important de souligner que nous avons aussi essayé de clarifier notre cadre d’intervention. Le CICID a adopté récemment un document cadre, qui trace les perspectives de notre politique d’aide au développement pour les 10 prochaines années. Nous attachons une importance particulière à ce que cette politique soit évaluée comme il se doit. C’est la préoccupation du gouvernement, et c’est mon obsession depuis toujours. L’utilité du parlement est dans son contrôle de l’activité du gouvernement et dans l’évaluation des politiques publiques, d’autant plus pertinente en période de disette budgétaire. L’efficience doit être maximale et l’évaluation doit permettre d’apporter les correctifs qui s’imposent. A cet effet, un rapport sera présenté tous les deux ans au parlement, ainsi qu’à la Cour des comptes et je souhaite que le Parlement soit systématiquement associé à cette évaluation. Il sera représenté au comité de pilotage.

M. le président Axel Poniatowski. Nous buvons du petit lait, Monsieur le ministre !

M. Henri de Raincourt. Notre politique doit savoir s’adapter aux nouveaux enjeux et l’évaluation permettra de faire le point régulièrement et de viser les résultats, si besoin de définir de nouvelles orientations. Je sais aussi les critiques portées à notre politique d’aide vis-à-vis des pays émergents. Nous la maintenons car elle est une réponse au défi climatique et je peux notamment citer l’exemple de notre action en Indonésie, qui est le 4e émetteur de gaz à effet de serre du monde. L’investissement que nous faisons est des plus utiles pour lutter contre le réchauffement climatique et nous ne devons pas l’abandonner. De la même manière qu’il est tout aussi important que nous continuions nos interventions en faveur du secteur privé, via Proparco. Je ne peux omettre de mentionner la coopération décentralisée, mise en œuvre par quelque 5 000 collectivités locales de France qui financent aujourd’hui plus de 12 000 projets, de manière efficace et concrète. L’ensemble forme un tout qui contribue au développement des pays du sud.

Enfin, il y a de nombreux défis à relever, des besoins nouveaux à satisfaire. Il ne sera pas possible d’y répondre dans les circonstances budgétaires actuelles. Il est par conséquent indispensable de trouver des financements innovants. Notre recherche en la matière ne vise pas à substituer des financements à notre effort budgétaire mais à trouver des recettes additionnelles et complémentaires, stables et reconductibles. J’y vois aussi une dimension morale et éthique, aux termes de laquelle ceux qui bénéficient le plus de la mondialisation participent au financement de la recherche des solutions dans les pays les moins riches, qui en sont au demeurant les premières victimes. C’est indispensable. Plusieurs solutions sont envisageables. A titre d’exemple, je rappelle que, selon les estimations, si nous institutions une taxation à hauteur de 0,005 %, indolore donc, sur les transactions financières, nous disposerions de 30 à 40 milliards de dollars de plus par an en faveur du développement, à mettre en perspective avec les 16 milliards qui sont par exemple nécessaires pour scolariser l’ensemble des enfants africains qui ne peuvent l’être actuellement. Nous ne pouvons pas passer à côté de cette possibilité. Nous sommes certes isolés encore dans les instances internationales sur ces thématiques. Nous appelons à la mobilisation des premiers intéressés, les pays africains eux-mêmes, pour qu’ils prennent plus de poids dans ce débat et adoptent un texte commun. Le Président de la République l’a fait dernièrement encore à Addis Abeba devant le sommet de l'Union africaine.

M. le président Axel Poniatowski. Merci pour cet exposé liminaire très complet de ce que sera votre action, tant concernant vos objectifs, géographiques et budgétaires, que vos objectifs de bonne gestion, qui ont été entendus par la commission.

Mme Martine Aurillac. Je vous remercie effectivement Monsieur le Ministre pour ce tableau d’ensemble qui laisse espérer que l’Afrique n’est pas mal partie, comme nous l’ont d’ailleurs confirmé d’autres interlocuteurs invités devant la commission. Ma question porte sur un pays précis : la Côte d’Ivoire. M. Laurent Gbagbo s’enferme dans un déni de démocratie et il serait en voie, paraît-il, de fonder une nouvelle monnaie, qui s’appellerait le MIR. Si un tel projet devait se concrétiser, quelles en seraient les conséquences sur la zone et le franc CFA, qui est soutenu par le Trésor ?

M. Jean-Louis Christ. Vous êtes le troisième ministre en trois ans à ce poste. Permettez-moi donc de vous souhaiter non seulement la bienvenue, mais aussi de la longévité, car nous avons besoin de visibilité et peut-être aussi de continuité. Vous avez évoqué quatorze pays prioritaires, étant rappelé que ces pays possèdent des éléments de grande vulnérabilité qui ont débouché sur des révolutions. On l’a vu en Tunisie et en Egypte. Quelle diplomatie conduire à l’égard de ces pays qui sont loin d’être administrés par des parangons de vertu et comment les accompagner dans des réformes qui sont nécessaires ? Selon l’AFD il conviendrait d’investir massivement dans les domaines de la formation professionnelle, de l’éducation et de la santé.

Mme Henriette Martinez. Merci des renseignements que vous nous avez donnés sur les orientations que vous comptez donner à la politique d’aide au développement, dont certains nous satisfont tout à fait, notamment une réorientation de la politique bilatérale de la France qui en a bien besoin. Il convient toutefois de faire attention, en augmentant le bilatéral comme nous l’avons fait cette année, de ne pas augmenter le multilatéral car nous resterions alors dans un déséquilibre structurel. Nous approuvons la politique d’évaluation et le suivi du CICID mais ce dernier s’est réuni il y aura bientôt deux ans. Les parlementaires formulent la demande récurrente d’un débat d’orientation et de programmation de l’aide publique au développement, afin de ne pas en débattre uniquement lors du vote du budget et sur des aspects financiers déjà bouclés sur lesquels nous n’avons pas d’emprise. Pensez-vous pouvoir faire aboutir cette demande, auquel cas nous aurions un rôle beaucoup plus actif et plus intéressant ?

Ma seconde série de questions porte sur le contrat d’objectif et de moyens en discussion avec Bercy. Où en sont les discussions ? Le contrat sera-t-il soumis à l’approbation des commissions parlementaires. Quel est le montant des dividendes reversés par l’AFD au budget et des dividendes qu’elle pourrait conserver pour disposer de moyens pour développer une politique bilatérale beaucoup plus forte.

Enfin, lors de la reconstitution du Fonds mondial Sida, le Président de la République a annoncé une augmentation de 60 millions d’euros et que 5 % du fonds seraient réservé à des organisations non gouvernementales ou gouvernementales françaises ou francophones. C’était l’objet d’un amendement que j’avais déposé et dû retirer. Je suis heureuse que le Président ait satisfait cette demande. Je voudrais savoir comment cela sera mis en œuvre, afin que nous puissions en informer les ONG.

M. Henri de Raincourt. En réponse à Mme Aurillac, chacun connaît la situation en Côte d’Ivoire. Je rappelle qu’il y a eu un processus global de sortie de crise porté par la communauté internationale et accepté par les acteurs de la politique ivoirienne. Ce processus s’est plutôt bien déroulé jusqu’aux résultats du second tour qui n’étaient pas ceux espérés par M. Gbagbo. L’Afrique, au travers de la CEDAO et de l’Union africaine a ratifié ces résultats. Ce n’est pas discutable. Le temps passe et les choses se compliquent. Nous craignons que la violence reprenne – et les Ivoiriens ont déjà payé un lourd tribut – ce qui serait évidemment dommageable à la population. Nous voudrions, tout en invitant M. Gbagbo à participer à la mission des cinq chefs d’Etat de la mission africaine désignés par l’UA il y a deux semaines, faire appliquer les résultats des élections. Il y a des mesures diplomatiques, financières et économiques. Parmi les mesures financières, il y a ce projet de création d’une monnaie ou de sortie du système monétaire actuel. Il s’agit d’une rumeur persistante. Je pense qu’une telle mesure serait difficile à mettre en œuvre et qu’ensuite ce serait une faute majeure pour la Côte d’Ivoire et pour tous les pays de la région compte tenu du rôle de ce pays. Les conséquences seraient telles pour tout le continent que je fais partie de ceux qui, après en avoir discuté avec des membres de la mission désignée par l’UA, pensent et espèrent que M. Gbagbo ne mettra pas en œuvre cette menace.

En réponse à M. Christ, je rappelerai que je suis non seulement le troisième ministre en trois ans, mais qu’il y a eu 28 ministres depuis la création du ministère. Je pense que, comme pour les autres, ma durée de vie à ce poste sera assez éphémère parce que j’ai cru comprendre qu’il y a des rendez-vous démocratiques l’année prochaine.

M. Jean-Paul Bacquet. Vous êtes pessimiste.

M. Henri de Raincourt. Non je ne suis pas pessimiste, je suis réaliste et j’essaie de faire mon travail en prenant en compte la période qui m’est donnée ; raison de plus pour essayer d’honorer avec ardeur la mission qui m’a été confiée. Je ne suis pas sûr d’avoir compris votre question en matière de politique de l’AFD. Au niveau de la santé, nous faisons beaucoup de choses. En matière de formation professionnelle, c’est également le cas. Je peux vous citer la construction d’un centre de formation professionnelle financé à 70 % en Mauritanie à Zerouate, car de nombreux interlocuteurs africains nous font part d’un besoin de meilleure adéquation entre l’offre d’emplois et la formation des jeunes.

M. le président Axel Poniatowski. S’agissait-il d’une question ou d’une recommandation ?

M. Jean-Louis Christ. Je formulais une recommandation générale. En revanche, concernant l’action diplomatique à l’égard de pays présentant des fragilités, il s’agissait bien d’une question.

M. le Président Axel Poniatowski. M. le ministre a répondu dans son propos liminaire.

M. Henri de Raincourt. Je voudrais préciser que la Tunisie et l’Egypte ne figurent pas parmi les quatorze pays.

Mme Henriette Martinez, s’agissant du débat d’orientation et de programmation, peu importe l’intitulé du débat, pourvu que le Parlement puisse dire ce qu’il veut de façon spécifique et solennelle en matière de politique de développement et je pense que nous l’aurons avec le rapport d’évaluation qui sera remis au terme des deux ans. Il s’agit d’un projet sur dix ans, à l’élaboration duquel vous avez participé, et vous pourrez vous prononcer sur la façon dont il se déroule et sur ce qu’il faut changer. Est-ce un débat d’orientation ou un débat de suivi...

Mme Henriette Martinez. Ce n’est pas la même chose.

M. Henri de Raincourt. Certes, mais on ne peut pas modifier les orientations tous les deux ans. On ne peut pas tout remettre en question tout le temps car toute politique mérite un peu de temps pour porter ses fruits.

Concernant le contrat d’objectifs et de moyens de l’AFD, il en discussion au niveau interministériel. Tous les ministres ne sont pas sur la même ligne. S’agissant des dividendes de l’AFD, elle en reverse aujourd’hui la totalité au budget de l’Etat, ce qui représente 200 millions d’euros et c’est un bon résultat dont il faut féliciter l’AFD. Je milite pour qu’ils soient partagés d’une manière plus équitable entre le budget de l’Etat et l’AFD. Deux éléments plaident en ce sens. D’une part, on ne peut demander à l’AFD de se déployer plutôt que de rétrécir son champ d’action sans renforcer ses fonds propres et la réutilisation d’une partie de ses résultats à cette fin me paraît logique. D’autre part, l’AFD n’est pas un organisme public comme les autres car ce n’est pas un centre de coût mais un centre de profit. Si l’on veut que l’AFD élargisse son action, il faut lui en donner les moyens, y compris humains. Tout converge donc pour une répartition des dividendes et je milite pour un partage égal.

Concernant le contrat d’objectifs et de moyens, la loi sur l’action extérieure de l’Etat votée par le Parlement justifie qu’il soit soumis aux commissions compétentes. Je suis un « vieux » parlementaire et j’ai toute confiance dans le rôle du Parlement.

Concernant le Fonds mondial Sida, un certain nombre d’ONG vont bénéficier de la somme correspondante mais je ne peux vous apporter plus de précisions.

Mme Henriette Martinez. Je souhaiterais que les parlementaires soient informés de la façon dont les sommes seront affectées.

Mme Marie-Louise Fort. Vous avez participé dernièrement dans le département qui est le nôtre un certain nombre de conférences réunissant des chefs d’entreprises ; vous y parliez coopération et vous souhaitiez aussi faire du développement. J’ai lu récemment votre tribune sur l’eau, avec la perspective du Forum mondial de l’eau qui se tiendra à Marseille en 2012, je voudrais connaître votre sentiment sur la question : est-ce pour nos entreprises, et nous sommes bien placés en France, un moyen d’aller œuvrer en faveur de l’eau ? Vous avez également porté avec le Président de la République l’idée d’un droit à l’eau comme droit de l’homme, comment allez-vous l’illustrer de façon précise ?

M. Michel Terrot. Je voudrais à mon tour adresser mes félicitations à monsieur le ministre pour la clarté de son exposé et surtout les orientations qu’il va donner à la politique de son département, notamment l’augmentation du bilatéral par rapport au multilatéral et j’espère qu’au sein du bilatéral les subventions, qui donnent plus de visibilité, seront privilégiées par rapport aux prêts. D’abord, j’aimerais comprendre où sont prélevés les 60 millions supplémentaires pour le Fonds mondial Sida. Pouvez-vous nous apporter des précisions ? Deuxièmement, j’ai noté que vous allez poursuivre cette politique qui consiste sur les 14 pays prioritaires à ne pas tenir compte de la langue. Je souhaiterais qu’on n’oublie pas la République du Congo, qui n’était pas une colonie française, mais est le premier pays francophone et qui est probablement moins doté que des pays lusophones ou anglophones. Il me semble qu’il faudrait assurer un rééquilibrage. Enfin, comment envisagez-vous d’articuler votre action avec celle du ministre du commerce extérieur ? Je suis de ceux qui pensent que la présence de la France résulte aussi du dynamisme de ses entreprises. Il serait bon qu’il y ait un lien étroit entre les deux ministères.

M. Jean-Paul Bacquet. Monsieur le ministre, je ne peux que me féliciter de vous avoir entendu dire que l’Afrique était une priorité, que le bilatéral serait augmenté et qu’il ne pourrait pas y avoir de diminution du budget. Je m’associe à votre souhait d’un contrôle, d’une évaluation, d’un rôle du Parlement plus important et en particulier d’un rôle de décision du Parlement. Je ne souhaite pas que la coopération soit sous-traitée par des organismes qui, quelle que soit leur qualité, n’ont pas la caution de la représentation de l’Assemblée nationale. Pour autant, si le budget est sanctuarisé, l’objectif de 0,7 % n’est pas atteint. Nous sommes à 0,44 % et, si l’on retient des critères plus objectifs, on se situerait plus près des 0,37 %, compte tenu de la méthode de comptabilisation de l’écolage, de Mayotte, de Wallis et Futuna et de l’aide aux réfugiés. On peut se poser des questions par rapport à ce taux.

Nous sommes favorables à l’augmentation du bilatéral, c’était une recommandation de notre rapport, mais nous souhaiterions aussi avoir plus de visibilité sur le multilatéral. Lorsque nous participons à du multilatéral, d’autres en profitent, d’autres s’affichent. En République démocratique du Congo qui était citée, notre aide représente 0,4 % de l’aide reçue. On s’est fait agresser lors de notre déplacement en RDC au motif que nous ne faisions rien en particulier pour la lutte contre le sida, alors que nous sommes le premier contributeur mondial par habitant, même si nous sommes le deuxième en montants.

Sur le problème des dons et des prêts, c’est injuste puisque les prêts ne peuvent être accordés qu’à des pays solvables et qu’on ne fait pas de dons – ou pas assez – à des pays qui ne sont pas solvables. L’AFD devrait garder la totalité de ses dividendes et les transformer en dons ; cela lui permettrait d’avoir une action plus importante.

M. Henri de Raincourt. En réponse à Mme Fort, je dirai que le droit à l’eau a été reconnu comme l’un des droits de l’homme par l’Assemblée Générale de l’ONU avec l’appui de la France. La coopération française sur l’eau s’élève à 677 millions en 2011, en augmentation de 50 % par rapport à 2008.

S’agissant de la question de M. Terrot concernant les 60 millions promis au Fonds Sida, je l’avoue, on cherche toujours quelles ressources mobiliser ! Mais cet engagement sera tenu. Nous faisons le tour des solutions extrabudgétaires ; l’idée étant – sous une forme ou une autre – de s’adosser aux financements innovants existants.

Sur la République démocratique du Congo (RDC), s’il y a des projets que nous pouvons aider, il n’y a pas d’opposition de principe à un effort supplémentaire. J’enregistre votre demande.

Vous êtes plutôt pour plus de subventions et moins de prêts, M. Terrot ?

M. Michel Terrot. Oh, cette discussion serait très longue…

M. Henri de Raincourt. Les prêts ont un avantage considérable : un euro d’engagement entraîne cinq euros de financement. Les prêts à intérêt bonifié représentent dans le budget de l’AFD 480 millions seulement de coût pour l’Etat.

Quant à la question de M. Bacquet sur les 0,7 % du PNB comme objectif, je lui répondrai qu’ici, au ministère on considère qu’on est à 0,48 % aujourd’hui alors que vous considérez qu’on est à 0,34 %. Quoiqu’il en soit, on a un objectif, et quand on compare la France avec d’autres contributeurs, on s’aperçoit qu’elle est plutôt en haut de l’échelle.

Sur le multilatéral, c’est vrai qu’on est trop modeste. Une anecdote : je suis allé en Mauritanie visiter un centre de formation financé en partie par la France, et à l’accueil, la banderole – qui sans doute me souhaitait la bienvenue – était en chinois car l’entreprise qui construit le centre avec un financement français est chinoise ! J’ai cherché vainement le panneau de l’AFD.

Vous souhaiteriez que l’AFD garde 100 % de ses dividendes ; franchement ce sera difficile à obtenir, du moins cette année.

M. Axel Poniatowski. La problématique de l’aide liée est fondamentale, il y va de nos intérêts vitaux. La plupart des pays européens lient leur aide. Cette question doit être posée au niveau de l’Union européenne.

M. Jean-Paul Dupré. L’aide bilatérale a une réelle efficacité, mais quelle est sa lisibilité ? Pour le multilatéral, il faut conclure des partenariats reposant sur la solidarité. Ma question concerne l’aspect économique de la politique de développement. Je pense à la faiblesse de notre commerce extérieur, il faudrait impliquer plus les entreprises et viser davantage les pays émergents et l’Asie.

M. Loïc Bouvard. Les chiffres sur la démographie donnés par le ministre dans son exposé interpellent. Nous avons un devoir moral envers cette population africaine qui va doubler. Mais quoiqu’on fasse, ce milliard d’individus restera confronté à la pauvreté qu’il est difficile d’éradiquer. Alors parmi les 15 pays, quels sont ceux les plus prioritaires et quels sont les secteurs d’intervention envisagés, la contraception étant une question essentielle ?

M. Jean-Pierre Kucheida. Le plus grand pays d’Afrique, le Soudan, sera bientôt divisé en deux, que fait le ministère de la Coopération dans ce cadre ? Quelles sont les relations avec « Total » qui a un tiers de ses concessions dans le Sud-Soudan ?

Concernant la coopération décentralisée, elle sera plus difficile à mettre en œuvre car les collectivités auront moins de moyens. La coopération décentralisée ne devrait-elle pas avoir un label officiel ?

Par ailleurs, je souhaite que vous atteigniez votre objectif de créer la taxe que vous préconisiez tout à l’heure.

M. François Loncle. Nous nous félicitons d’avoir un interlocuteur aussi respectueux du Parlement. Il y aura d’ailleurs un débat sur l’Afrique le 2 mars dans l’hémicycle.

M. le président Axel Poniatowski. Je souhaite qu’il y en ait un aussi sur l’aide publique au développement.

M. François Loncle. Monsieur le Ministre, vous travaillez avec l’AFD et Proparco. On sait plus ou moins bien ce que fait l’AFD. Pour Proparco c’est beaucoup moins transparent : par exemple, que fait-il exactement à Madagascar ? J’ai envoyé une lettre au ministère des affaires étrangères à ce sujet qui n’a pas reçu de réponse. Il faudrait que cessent les opérations individuelles avec des ambassadeurs qui n’ont pas le souci de la transparence.

M. Henri de Raincourt. Concernant le commerce extérieur, travailler en collaboration avec le ministre du commerce extérieur ne me pose aucun problème. En revanche, dans le système actuel, l’aide française est déliée alors que vous semblez vouloir qu’elle ne le soit plus.

M. le président Axel Poniatowski. A titre personnel, je souhaite, vu sa faiblesse, que l’aide française soit liée.

M. Henri de Raincourt. Nous reviendrons sur ce débat. Quant à intervenir dans les pays émergents, en Amérique latine et en Asie, il n’y a aucune opposition de principe, à condition de ne pas remettre en cause les principes de l’AFD.

Pour répondre à M. Bouvard, j’ai participé à Ouagadougou à une conférence internationale dont le thème était : population et développement. Or, l’un des points fondamentaux de cette réflexion concerne toute la politique familiale y compris naturellement la régulation des naissances et la politique de santé maternelle et infantile. C’est l’une des grandes politiques que nous menons, mais elle touche à la culture et à la tradition. Ce sera donc long à mettre en œuvre ; il sera peut-être plus facile de travailler avec les jeunes générations.

En réponse à M. Kucheida concernant le Soudan, les choses semblent se dessiner de manière précise. Le référendum a bien eu lieu avec comme résultat 98 % pour le « oui ». Le Président Béchir a indiqué qu’il respectera ses engagements, en particulier pour la période transitoire jusqu’à la mi- juillet. Sans attendre les résultats de la consultation, j’ai engagé tous les services de mon ministère pour essayer d’anticiper l’évaluation des attentes du Sud Soudan comme du Nord Soudan et ce que nous pourrions leur apporter. Nous avons constitué une mission pluridisciplinaire destinée à procéder à l’examen de ce qu’il sera nécessaire de faire.

J’espère en outre que la réunion des ministres du développement qui se tiendra prochainement à Bruxelles permettra d’arrêter des projets concertés. Croisons les doigts pour que les choses continuent dans cette voie !

Rien ne s’oppose à ce que les actions de coopération décentralisée soient mieux connues par un label. Une collectivité est parfaitement fondée à faire connaître ses réalisations. Nous pouvons leur en être reconnaissants, car elles sont efficaces et relaient les autres efforts entrepris tant au plan bilatéral que multilatéral.

Je dis à M. Loncle qu’il n’y a que des avantages à respecter le Parlement. Chacun, de son côté a son rôle à jouer, dans l’intérêt général de tous.

Ma vision de l’action de Proparco à Madagascar est différente de la vôtre. Le projet de construire une brasserie à Madagascar met fin à une situation de monopole et permet de créer plusieurs centaines d’emplois. Je ne crois pas que l’on ait pu noter des interventions néfastes de la part de représentants français. Après votre première lettre, le ministère des affaires étrangères, consulté sur ce point, n’a rien trouvé à redire.

Je suis un homme passionné par ce qu’il fait et je considère avoir beaucoup de chance, car je crois en l’avenir de l’Afrique et je pense que la France n’a pas à rougir de son action. L’influence de la France a bien évidemment besoin de s’appuyer sur un soutien financier fort pour se maintenir, mais elle fonde sa légitimité sur son histoire qui n’est certainement pas un fardeau mais une chance. Nous travaillons pour l’avenir de la planète et cette perspective mérite que tout le monde s’y mette.

La séance est levée à dix-sept heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 16 février 2011 à 16 h 15

Présents. - Mme Nicole Ameline, Mme Martine Aurillac, M. Jean-Paul Bacquet, M. Christian Bataille, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Chantal Bourragué, M. Loïc Bouvard, M. Jean-Louis Christ, M. Gilles Cocquempot, M. Alain Cousin, M. Michel Destot, M. Jean-Paul Dupré, Mme Marie-Louise Fort, M. Jean Glavany, M. Jean-Pierre Kucheida, M. François Loncle, Mme Henriette Martinez, M. Axel Poniatowski, M. Michel Terrot

Excusés. - Mme Sylvie Andrieux, M. François Asensi, M. Patrick Balkany, M. Jean-Louis Bianco, M. Roland Blum, M. Alain Bocquet, M. Philippe Cochet, M. Michel Delebarre, M. Gaëtan Gorce, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, M. Serge Janquin, M. Didier Julia, M. Jacques Myard, M. Éric Raoult, M. François Rochebloine, M. Jean-Marc Roubaud, M. Rudy Salles, M. André Schneider, M. Dominique Souchet