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Commission des affaires étrangères

Mercredi 13 avril 2011

Séance de 16 h 45

Compte rendu n° 53

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition commune de M. Henri Loyrette, président-directeur du musée du Louvre, et de M. Marc Ladreit de Lacharrière, président de l’Agence France-Muséums, sur le projet du musée universel d’Abou Dabi

Audition commune de M. Henri Loyrette, président-directeur du musée du Louvre, et de M. Marc Ladreit de Lacharrière, président de l’Agence France-Muséums, sur le projet du musée universel d’Abou Dabi

La séance est ouverte seize heures quarante cinq.

M. le président Axel Poniatowski. Nous auditionnons aujourd’hui deux responsables de la mise en œuvre de l’accord entre la France et les Emirats arabes unis, examiné par notre commission le 2 octobre 2007, et qui a donné naissance au musée universel dit « Louvre d’Abou Dabi ». Cet accord permet à la France de faire valoir son expertise en matière de conservation et de mise à la disposition du public des œuvres d’art de toutes les cultures. En contrepartie, les Emirats se sont engagés à verser près d’un milliard d’euros à deux institutions, 550 millions pour l’agence France-Muséums et 425 pour le musée du Louvre (400 pour le droit d’usage de son nom et 25 au titre du mécénat). En outre, l’agence recevra 13 millions d’euros par an en moyenne pendant 15 ans pour couvrir les frais d’organisation de quatre expositions temporaires.

En tant que président du conseil d’administration de l’agence France-Muséums, M. Marc Ladreit de Lacharrière est responsable de la mise en œuvre de l’accord franco-émirien. L’agence France-Muséums est en effet chargée de faire respecter les garanties de sécurité et de conservation des œuvres et de participer à la politique muséale du Louvre d’Abou Dabi. Quel est, à ce jour, le bilan que vous tirez de ce projet de musée universel ? Les garanties prévues par l’accord sont-elles au rendez-vous ? Quelle est votre influence sur la politique muséale de la structure émirienne, qui a déjà procédé à l’acquisition de 78 pièces pour son propre compte ? L’intégralité de la compensation financière a-t-elle déjà été versée ? Quel usage votre agence a-t-elle fait de ces montants ?

La création de votre agence visait également à donner aux musées de France un soutien unique pour développer leurs partenariats avec l’étranger. Avez-vous réussi à faire adhérer d’autres musées que le Louvre à ce projet ? Avez-vous une politique de développement de long terme pour votre agence ?

M. Henri Loyrette, président-directeur général du musée du Louvre pourra, de son côté, nous indiquer comment il apprécie le respect par les partenaires émiriens des conditions auxquelles le Louvre a soumis l’utilisation de son nom pour le musée universel. Par ailleurs, nous serions intéressés de connaître les montants déjà perçus par le Louvre, qui avaient avait déjà obtenu, en 2007, 175 des 475 millions promis.

Le Louvre avait notamment suggéré que ces sommes soient en partie consacrées à la restructuration des services de restauration et conservation de ses collections, accompagné dans cette volonté par le ministère de la culture, qui a annoncé la création d’un centre unique de conservation et de restauration dans l’agglomération de Cergy Pontoise. Monsieur le président-directeur général, pouvez-vous nous dire où en est ce dernier projet ?

Voilà quelques uns des thèmes sur lesquels je vous propose de prendre la parole pour cinq à dix minutes chacun, avant d’ouvrir le débat avec les autres membres de la commission.

M. Marc Ladreit de Lacharrière. J’ai l’honneur de présenter devant vous en tant que président du conseil d’administration de l’Agence France-Muséums, un point d’étape sur le projet du Louvre Abou Dabi, véritable projet de la République.

Un « projet de la République » en raison de l’ampleur de ce projet de coopération culturelle internationale, de son ambition scientifique et culturelle, des valeurs qu’il porte et de l’implication des plus grandes institutions culturelles françaises, au premier chef desquelles le musée du Louvre, acteur central de ce projet porté par son président Henri Loyrette.

Vous le savez, le projet du Louvre Abou Dabi est issu de l’accord intergouvernemental signé le 6 mars 2007 entre la France et les Emirats Arabes Unis.

Ce cadre diplomatique est unique et rend compte de l’importance de ce projet pour la France mais aussi pour la partie émirienne, les autres projets de musées du district culturel de l’île de Saadiyat à Abou Dabi ne bénéficiant pas d’un tel niveau d’implication juridique et diplomatique. L’accord, ainsi que ses deux accords additionnels, ont été approuvés par le Parlement par la loi du 17 octobre 2007.

L’accord prévoit l’utilisation du nom du « Louvre » pendant trente ans ; des prêts d’œuvres issues des collections publiques françaises pendant dix ans à compter de l’ouverture du musée (300 œuvres au maximum pour des périodes allant de six mois à deux ans) ; l’organisation de quatre expositions par an pendant les quinze premières années suivant l’ouverture du musée. Parallèlement, une commission des acquisitions chargée d’aider le Louvre Abou Dabi à constituer sa propre collection.

Les enjeux financiers de l’accord sont importants, mais il faut souligner que le versement de ces sommes est échelonné sur trente ans, et qu’il s’agit tout de même de créer un nouveau musée de rang international. Une partie importante de ces sommes est destinée au futur musée, notamment pour constituer ex-nihilo une collection de premier plan.

Comme vous le savez, une structure dédiée au projet a été créée en juillet 2007, l’Agence France-Muséums, structure privée associant douze des plus grandes institutions culturelles dont le Musée du Louvre au premier plan.

L’Agence réunit donc : le musée du Louvre ; le Centre national d’art et de culture Georges Pompidou ; le musée d’Orsay et de l’Orangerie ; la Bibliothèque nationale de France ; le musée du quai Branly ; l’établissement public de la Réunion des musées nationaux et du Grand Palais des Champs-Elysées ; le musée et domaine national de Versailles ; le musée Guimet ; le musée Rodin ; l’Ecole du Louvre ; le domaine national de Chambord ; l’opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture, issu de la réunion en juillet 2010 de l’Etablissement public de maîtrise d’ouvrage des travaux culturels - EMOC - et du service national des travaux.

Le partenaire émirien est la société gouvernementale TDIC, présidée par Son Altesse Cheikh Sultan Bin Tahnoon Al Nahyan, président des autorités pour les arts, la culture et le tourisme d’Abou Dabi. Il faut noter que depuis la signature de l’Accord en 2007, un département culturel en charge des projets de musées de l’île de Saadiyat a été créé au sein de TDIC.

La relation entre l’Agence France-Muséums et TDIC est régie selon un contrat sur vingt ans signé en janvier 2008.

Le passage en phase opérationnelle a conduit à une implication plus directe du musée du Louvre depuis l’été 2010 qui s’appuie sur Laurence des Cars, directrice scientifique et Manuel Rabaté, secrétaire général.

En lien étroit avec le Louvre et son Président Henri Loyrette, l’Agence fédère donc l’expertise de ces institutions dans les domaines suivants : définition du projet scientifique et culturel ; assistance à la maîtrise d’ouvrage y compris pour la muséographie, la signalétique et les projets multimédia ; organisation des prêts des collections françaises et d’expositions temporaires ; conseil à la constitution d’une collection permanente ; définition de la politique des publics.

Fait important de l’année 2010, le représentant permanent de l’Agence France-Muséums, a pris son poste à Abou Dabi en juillet 2010. Le directeur de la maîtrise d’ouvrage est également présent sur place pour suivre l’avancée du chantier de construction.

Les établissements associés de l’Agence sont directement impliqués dans le projet par le biais de groupes de travail dédiés à certains enjeux logistiques ou stratégiques du futur musée comme la politique audiovisuelle ou commerciale, la gestion des collections, les publics, l’auditorium, etc.

J’insiste sur le fait que l’ampleur du projet du Louvre Abou Dabi illustre une collaboration culturelle inédite qui représente une occasion pour quelques unes des plus grandes institutions culturelles françaises de repenser leur rayonnement international à travers leur implication dans ce projet.

Je souhaiterais faire maintenant un point de situation sur l’avancée du projet.

Les Ateliers Jean Nouvel en charge du projet architectural ont remis la première version de leur dossier de consultation des entreprises au début de l’année 2010. Jean Nouvel a poursuivi en 2010 des tests, dans un prototype à échelle 1, des effets de pluie de lumière sous le dôme du Louvre Abou Dabi dont les résultats sont extrêmement satisfaisants.

La construction du Louvre Abou Dabi représente une véritable prouesse technique, notamment en raison du dôme de 180 mètres de diamètre. Les travaux d’implantation de plus de 4 500 pieux nécessaires à l’assise du bâtiment sont terminés. Les travaux de construction du musée proprement dits commenceront après l’annonce prochaine du nom de l’entreprise générale de construction par la partie émirienne.

Je vous rappelle que l’Agence France-Muséums n’est pas le maître d’ouvrage, ni le maître d’ouvrage délégué pour la construction du Louvre Abou Dabi. TDIC est le seul maître d’ouvrage du futur bâtiment. A l’instar d’un assistant à la maîtrise d’ouvrage, l’Agence France-Muséums et le Louvre formulent des avis et des recommandations à TDIC, des exigences cependant dans les domaines liés à la conservation et la sécurité des œuvres.

L’Agence et le Louvre dialoguent constamment avec la partie émirienne pour faire respecter les standards et les valeurs liés au nom du Louvre et à l’implication de la France.

M. Henri Loyrette. Je suis également honoré de venir vous présenter un état d’avancement du projet du Louvre Abou Dabi, quatre ans après la signature de l’accord intergouvernemental.

Nos partenaires émiriens ont souhaité, sur l’île de Saadiyat, créer un musée universel, porteur de l’excellence muséale française incarnée par le nom du Louvre.

Le Louvre Abou Dabi ne sera pas le Louvre à Abou Dabi mais un musée profondément original, inscrit dans la durée, permettant la constitution d’une collection nationale, associant culture française et arabe, offrant de renouveler le dialogue entre les différentes parties du monde.

Par son ampleur et sa durée, ce partenariat est exceptionnel pour le Louvre et les musées français car il s’agit, ne l’oublions pas, d’un projet collectif, comme l’a rappelé Marc Ladreit de Lacharrière, qui associe non seulement le Louvre mais également les musées d’Orsay, Pompidou, Guimet, du quai Branly et d’autres institutions.

La mise en œuvre de groupes de travail autour des grands sujets liés au projet de création du musée permet d’associer étroitement tous ces partenaires, autour de l’Agence France-Muséums.

Le Louvre Abou Dabi ainsi que les autres institutions de l’île de Saadiyat et d’Abou Dabi illustrent des valeurs de progrès et d’humanisme: le Guggenheim Abou Dabi, le Zayed National Museum conçu avec le British Museum, l’université de Paris Sorbonne Abou Dabi ou encore la New York University.

La coopération entre la partie française et la partie émirienne TDIC est très fructueuse, et a été saluée à plusieurs reprises, par le ministre de la culture et de la communication lors de son déplacement à Abou Dabi en mai 2010 et lors du dernier comité bilatéral France-Emirats Arabes Unis en octobre dernier.

L’Agence et le Louvre ont également renforcé leurs relations et leurs échanges, en lien avec TDIC, avec les autres musées impliqués dans ce district, à savoir le musée Guggenheim et le British Museum en charge de la conception du Zayed National Museum.

Premier musée universel dans cette région du monde, le Louvre Abou Dabi inaugure en terre arabe une institution culturelle dont les racines puisent à la philosophie intellectuelle de l’Europe des Lumières. Les valeurs et l’identité du nouveau musée reposent sur les notions de découverte, de rencontre et d’éducation, que porte en soi l’alliance inédite du plus grand musée du monde avec l’Arabie moderne.

Armature intellectuelle et conceptuelle du futur musée, le projet scientifique et culturel du Louvre Abou Dabi fera dialoguer l’art des différentes civilisations et cultures du monde, des plus immémoriales aux plus actuelles.

Il s’agira d’offrir aux visiteurs des grands repères pour comprendre l’histoire des arts propre aux différentes civilisations, l’Occident, le monde arabo-musulman et l’Asie, mais aussi l’Afrique, l’Amérique et l’Océanie.

La dernière version du Projet scientifique et culturel due contractuellement à TDIC a été transmise à la fin de l’année 2010.

Cette quatrième version du projet scientifique et culturel comprend une liste indicative et prévisionnelle des 300 prêts français ; conformément à l’accord intergouvernemental, la liste définitive des prêts pour la première année d’ouverture sera transmise officiellement en décembre 2011. Elle sera établie grâce à un travail associant étroitement l’Agence France-Muséums et les musées prêteurs.

Afin de prendre en compte certaines évolutions d’ici à l’ouverture du musée, la partie française transmettra à la partie émirienne des mises à jour du Projet scientifique et culturel en 2011 et 2012.

L’architecture du musée imaginée par Jean Nouvel se conçoit comme une variation de la ville arabe, sous un vaste dôme rappelant les coupoles orientales.

En revanche, ce bâtiment ne sera pas construit par des Français. On ne sait pour quelles raisons des entreprises comme Bouygues, Vinci ou Lafarge ne se sont pas portées candidates. Elles n’ont d’ailleurs même pas présenté de dossiers.

Le bâtiment de 24 000 m² comprend 6 000 m² de galeries permanentes, 2 000 m² pour les expositions temporaires, un musée des enfants et tous les équipements attendus aujourd’hui d’un musée de rang international.

Le parcours du musée décloisonnera les arts et les techniques, les civilisations et les aires géographiques, pour mettre en valeur tant les échanges que les spécificités propres à chacune.

Le processus d’acquisition est mené par la directrice scientifique de l’Agence en lien avec le musée du Louvre, et après consultation des grands départements patrimoniaux concernés, au Louvre et dans les musées partenaires. Cette consultation permet d’encadrer le processus d’acquisition et de s’assurer de la qualité des œuvres proposées. C’est la première fois que les musées français sont ainsi associés à la constitution d’une collection d’un pays étranger.

Trois commissions des acquisitions sont prévues pour l’année 2011 : une s’est tenue le 9 février 2001. Deux autres devraient avoir lieu, fin mai, et une à l’automne qui devrait se tenir à Abou Dabi.

La collection propre du Louvre Abou Dabi comprend aujourd’hui soixante dix-huit œuvres, reflétant l’ambition universelle du futur musée. La constitution de cette collection nationale est cruciale puisqu’elle devra parvenir à un équilibre, à l’ouverture du musée, avec les 300 prêts français puis occuper à elle seule l’ensemble du musée à l’issue des dix années de prêts des collections françaises.

Seules les 19 premières acquisitions ont été rendues publiques, lors de l’exposition Talking Art : Louvre Abou Dabi, organisée entre mai et août 2009 à Abou Dabi et inaugurée par le président de la République Nicolas Sarkozy et Son Altesse Cheikh Mohammed Bin Zayed AI Nahyan.

Un projet d’édition publiant les acquisitions du Louvre Abou Dabi est en cours, pour une publication fin 2011.

Le premier prêt de la collection du Louvre Abou Dabi a été accordé pour l’exposition Chefs d’œuvre ? organisée à l’occasion de l’inauguration du Centre Pompidou Metz. Un autre prêt a été accordé pour l’exposition Manet, inventeur du moderne organisée par le musée d’Orsay.

Ces prêts sont un signe positif de la reconnaissance de la collection du musée et de son intégration dans le réseau des musées de rang international.

L’article 8 de l’accord intergouvernemental du 6 mars 2007 prévoit que la partie française assiste la partie émirienne pour la formation des professionnels du Louvre Abou Dabi.

Une stratégie de formation a été élaborée par l’Agence France-Muséums avec le musée du Louvre, l’Ecole du Louvre et l’Institut national du patrimoine. La question de la formation est cruciale pour les autorités d’Abou Dabi qui promeuvent l’émiratisation de la population active.

Chaque musée devra recruter en moyenne 500 personnes. Dans le cadre de l’accord intergouvernemental, la partie française sera associée au choix du directeur du Louvre Abou Dabi et de ses conservateurs.

Un master sur les métiers des musées a ouvert à la rentrée universitaire 2010 à l’université Paris Sorbonne Abou Dabi, co-diplômé par l’Ecole du Louvre et Paris IV Sorbonne ; le musée du Louvre et l’Agence France-Muséums ont été étroitement associés à sa conception. Les cours y sont dispensés en français, anglais et en arabe sur le campus de la Sorbonne Abou Dabi et alternent formation théorique et pratique. C’est la première fois qu’une telle formation commune, associant Paris IV et l’Ecole du Louvre, est mise en place au regard des projets culturels développés à Abou Dabi. Douze étudiants sont inscrits dès cette année d’ouverture, dont neuf de nationalité émiratie.

Les autorités émiriennes travaillent actuellement à la création de la future structure de gestion du musée : le Museum Operating Body ou MOB.

Le lien avec les musées français, le musée du Louvre en particulier, et l’autonomie culturelle et financière du futur musée sont des questions essentielles, notamment au regard de la durée de l’accord, de l’ampleur du projet et de l’engagement du nom du Louvre.

La partie française a présenté ses recommandations en la matière en novembre 2010, en insistant sur l’importance pour le musée du Louvre, d’être représenté au conseil d’administration du futur Louvre Abou Dabi.

La partie française dialogue constamment avec la partie émirienne sur ce sujet. Les autorités émiriennes devraient promulguer la loi créant le Louvre Abou Dabi d’ici fin 2011, début 2012.

Les fonds procureront 1 milliard d’Euros, dont 400 millions pour le seul Louvre, sur 30 ans. Le Louvre a déjà perçu 175 millions, 150 en tant que redevance de la marque et 25 millions au titre du mécénat qui serviront à la restauration du pavillon de Flore. D’autres versements interviendront en quatre phases, pour 62,5 millions chacun, à raison d’un tous les cinq ans à partir de 2014.

Les autres 600 millions correspondent aux prêts accordés par les musées français, à l’organisation des expositions et au fonctionnement de l’Agence France-Muséums.

M. Marc Ladreit de Lacharrière. Aucun retard n’a été déploré jusqu’à maintenant malgré les troubles que connaît la région.

Il est important de souligner que l’association avec les grandes institutions culturelles françaises portera en même temps sur un projet scientifique et culturel. Chaque manifestation permettra à chacune de disposer de ressources d’autant plus importantes pour elles que l’Etat français a réduit sa participation.

M. Axel Poniatowski. On voit que le contrat est bien en cours de réalisation. On constate par ailleurs que les deux entités, l’agence France-Muséums et le Louvre travaillent ensemble, ce dernier assurant le leadership. Cet argent est devenu par ailleurs une ressource importante pour le Louvre. S’agissant de France-Muséums, peut-on savoir comment seront répartis les 550 millions annoncés ?

M. Marc Ladreit de Lacharrière. Ces 550 millions représentent l’agrégation de plusieurs montants : 164 millions étalés sur 20 ans, au titre des différentes prestations fournies auprès de nos partenaires d’Abou Dabi, au bénéfice de l’Agence France-Muséums pour son fonctionnement. Le complément proviendra notamment des prêts, à hauteur de 190 millions, qui transiteront par l’Agence.

C’est l’ensemble des musées faisant des prêts, qui sur le plan culturel, porte cette opération. L’Agence bénéficiera d’un revenu de 164 millions pour elle-même, dont 14 millions de redevance par an, qui seront indexés. Il est prévu de dégager en outre un modeste profit d’un million d’euros pour l’ensemble des musées. Il ne s’agit pas seulement de mettre en place une logique de création d’un profit, mais de dégager aussi des ressources pour les musées qui n’ont pas vocation, comme Chambord par exemple, à procéder à des prêts.

Les fonds de dotation sont inspirés des fonds de dotation américains : seuls les revenus du capital seront dépensés pour des projets précisément ciblés, de telle sorte que cela ne vienne pas en diminution de ce que doit verser l’Etat. Le centre de conservation de Cergy-Pontoise sera financé selon ce principe.

M. Robert Lecou. Je tiens à souligner l’intérêt d’une telle rencontre car la culture est le vecteur privilégié du rayonnement de la France. Connaît-on les raisons de cet accord ? Ce contrat représente beaucoup d’argent mais quelles en sont les conséquences pour les musées français, doit-on avoir des craintes pour leurs œuvres qui ont tant contribué au rayonnement français ?

M. Jacques Remiller. Comment seront faits les choix muséographiques et quelle sera l’influence des autorités politiques et religieuses d’Abou Dabi sur ces choix ?

M. Henri Loyrette. Il s’agit d’un accord intergouvernemental, entre les deux pays. Rappelons que les Emirats se sont adressé au Louvre seul dans un premier temps pour son savoir – faire qui remonte à la Révolution. Mais il était également important d’y associer d’autres activités. Le champ d’action du musée du Louvre est borné historiquement par ceux du musée d’Orsay et du musée d’art moderne et géographiquement par ceux du musée Guimet et du nouveau musée du Quai Branly. Il fallait donc que l’ensemble des musées soit inclus dans l’accord.

S’agissant des œuvres prêtées, l’accord intergouvernemental porte sur 300 prêts par an, chiffre qu’il convient de comparer aux collections du seul musée du Louvre : 400 000 oeuvres dont 35 000 sont exposées. Nous prêtons par ailleurs entre 1 500 et 2 000 œuvres par an à travers le monde, et en recevons autant pour les expositions organisées dans tous les musées de France.

Tous les domaines, toutes les civilisations, tous les sujets pourront être exposés : portraits, paysages, nus seront présentés à Abou Dabi, sans subir aucune censure. L’accord n’aurait pas pu être scellé s’il en avait été autrement. Lors de la visite du président de la République en 2009, la délégation a été accueillie par un grand Christ bavarois du XVème siècle. Il s’agissait, on s’en doute, d’une première dans la région !

M. Marc Ladreit de Lacharrière. C’est un accord intergouvernemental. C’est la première fois que la France était appelée à faire un musée généraliste hors de France et c’est extrêmement important. Abou Dabi a une stratégie à très long terme de centre de rayonnement culturel entre l’Occident et l’Orient et ambitionne quelque 30 millions de visiteurs annuels sur ses différents sites, British Museum et Guggenheim, notamment. Notre présence était fondamentale dans ce cadre et il était indispensable que le Louvre ne soit pas seul mais que l’ensemble des forces qui concourent au rayonnement culturel de la France soit présent. Cette fédération des institutions culturelles est originale et essentielle, avec le Louvre comme fer de lance. Il faut aussi ajouter les liens très étroits avec la Sorbonne et avec l’Ecole de Louvre, qui a mis en place un master en histoire de l’art, trilingue, qui fonctionne déjà.

Mme Martine Aurillac. Il faut se réjouir que la France participe à la constitution de ce musée et regretter en même temps que les entreprises françaises se soient elles-mêmes exclues de sa réalisation. Connaît-on la nationalité des entreprises qui participent finalement à l’appel d’offre et sait-on ce qui a découragé les entreprises françaises ?

M. Jacques Myard. Pour quelle raison la polémique a-t-elle surgi sur cet accord qui participe de la stratégie d’influence de notre pays ? Qu’en est-il de l’usage du français dans le musée lui-même ? A-t-on veillé, par exemple, à ce que les audioguides soient en français ? Par ailleurs, quel est le budget du Louvre et quelle politique de prêt pratiquez-vous ? Avez-vous des conventions d’échange de différents types ?

M. Marc Ladreit de Lacharrière. Il est encore trop tôt pour dire quelles seront les entreprises sur le projet car il y a un peu de retard dans la procédure. Par intuition, je dirais que, vraisemblablement, des entreprises anglo-saxonnes devraient être présentes. Dans la mesure où les entreprises françaises n’ont pas déposé de dossier, il est difficile d’apporter une réponse à votre question.

M. Axel Poniatowski, président. Le ministère n’a pas cherché à connaître les raisons de cette absence ?

M. Marc Ladreit de Lacharrière. Non. C’est un sujet qui n’a pas été évoqué lors des différentes visites ministérielles.

M. Henri Loyrette. Les ressorts de la polémique sont nombreux. Ils reposent sans doute sur une frilosité traditionnelle, car elle a commencé avant même que les contours du projet ne soient connus. Elle a été vive : on a été jusqu’à parler de bradage et d’exportation de nos chefs d’œuvre chez les Arabes, avec effectivement des sous-entendus douteux. Le français sera bien présent, à tous les niveaux, et il s’agira d’un musée trilingue. Le budget du Louvre est de 200 millions d’euros par an, dont 50 % proviennent de l’Etat et 50 % de recettes propres et du mécénat. Les entrées représentent le tiers des recettes propres et du mécénat, soit environ 30 à 33 millions d’euros. Quant à la politique de prêt, nous sommes actifs avec tous les musées et la plupart des expositions, notamment, sont organisées avec les musées étrangers. Les prêteurs dépendent des sujets des expositions, mais tous sont ouverts au prêt, en fonction de leurs propres intérêts : les plus grands prêteurs sont aussi les plus grands emprunteurs, sauf dans le cas de collections très particulières qui ne peuvent voyager, ou nécessitent des conditions de conversation très spécifiques, par exemple. Le Louvre est un grand prêteur et un grand emprunteur. On se lamente facilement de nos prêts sans se réjouir suffisamment de nos emprunts…

M. Marc Ladreit de Lacharrière. Je serais plus sévère qu’Henri Loyrette sur la polémique : elle a été honteuse. Il y a eu une auto-flagellation d’une certaine élite française en rien intéressée par le rayonnement culturel de notre pays, prête à laisser les Etats-Unis dominer le monde. Cela a été relayé dans la presse mais s’est heureusement éteint.

M. Axel Poniatowski, président. Il faut à ce propos saluer le courage d’Henri Loyrette qui a été relativement isolé dans le monde des conservateurs.

M. Philippe Cochet. On ne peut pas se réjouir du retard. Sur ce genre de projet, les questions d’intendance sont cruciales et la restauration et la conservation sont des aspects essentiels et doivent être organisées afin de pouvoir répondre aux besoins. A-t-on des détails précis sur le calendrier aujourd’hui ? Avez-vous aussi d’autres contacts avec d’autres pays ?

M. Michel Terrot. L’intérêt de cet accord est certain. Je note qu’on s’interdit de mener le même genre d’opération dans d’autres pays de la région, mais qu’en est-il d’autres zones géographiques ? Essaie-t-on de répliquer ce que font par exemple le British Museum ou le Prado ? Par ailleurs, concernant le périmètre restreint de l’agence, le musée de Lyon est significatif, c’est le deuxième de France : est-il impossible d’envisager une association avec lui ?

M. Didier Mathus. Si cette opération est un élément de la diplomatie culturelle et de la politique d’influence de la France, elle a aussi révélé la férocité du monde des conservateurs, qui n’a rien à envier à celle du monde politique. Cela étant, on peut relever qu’il y a eu un basculement de la politique muséale de notre pays, qui a correspondu à la mondialisation. La polémique a été violente, mais elle n’a pas pour autant été inintéressante. Je me rappelle de Françoise Cachin parlant de prostitution. Une stratégie culturelle s’impose. Rétrospectivement, quel est votre regard sur ce débat ?

M. Henri Loyrette. La création du centre de restauration et de conservation n’est pas prévue dans l’accord mais elle en est la conséquence. Ce projet est primordial pour le Musée du Louvre, qui prend la responsabilité de délocaliser des collections qui sont aujourd’hui en zone inondable. Ce problème se pose pour tous les musées parisiens, qu’il s’agisse du musée d’Orsay, du Centre Pompidou, du musée du quai Branly,… Des catastrophes ont déjà considérablement endommagé des collections, comme à Prague ou à Dresde. Nous ne pouvons nous permettre de prendre ce risque.

Cette impérieuse nécessité nous a conduit à réfléchir à la concentration des technologies de conservation et de restauration, que la France maîtrise. Il faut rappeler que les salles de conservation ne sont pas des mouroirs mais, au contraire, des lieux de recherche. Le président de la République a choisi un lieu d’implantation, qui sera Cergy-Pontoise. Nous attendons désormais une décision du ministère pour arrêter le projet et le nombre d’institutions que nous y associerons finalement.

M. Philippe Cochet. Vous n’avez pas de calendrier précis pour la mise en place de ce centre ?

M. Henri Loyrette. C’est un projet essentiel pour nous mais nous ne sommes pas seuls. Il y a plusieurs institutions à réunir. Ce centre se fera, c’est une certitude, mais il est difficile de dire quand précisément.

M. Marc Ladreit de Lacharrière. Concernant l’extension de l’activité de l’Agence aux musées régionaux et municipaux, ce n’était pas prévu dans l’accord intergouvernemental. Nous n’avons pas les moyens de changer cela. Ce qui ne signifie pas qu’à terme, il n’y aura pas d’implication des musées de province dans le musée universel.

Pour les autres projets, je crois qu’il faut être prudent. Quand l’Agence France-Muséums a été créée, il était prévu qu’elle soit multi-projets et multi-régions. Le nombre de collaborateurs prévu paraissait très conséquent. J’ai choisi de procéder plutôt par étapes : il nous faut commencer par prouver que nous pouvons faire un musée, plutôt que commencer plusieurs projets et les rater tous.

Il y avait ainsi un projet de création d’un petit musée en Amérique du Sud, mais nous n’avions pas les compétences en interne pour le mener à bien. Nous préférons donc finaliser notre musée universel en 2014 et voir ensuite. Il n’est pas sûr que l’agence soit en charge de futurs projets. Chaque projet pourrait à terme avoir sa propre structure pour le porter.

M. Henri Loyrette. Je voudrais revenir sur la polémique qu’a déclenché l’implication du Louvre dans le projet de musée universel à Abou Dabi. Je serai moins sévère que le directeur de l’Agence France-Muséums car je suis moi-même conservateur des musées depuis 35 ans, et j’ai constaté le mouvement phénoménal d’ouverture des musées français, qui partaient d’une situation d’origine particulièrement fermée, chaque institution vivant en quelque sorte en vase clos.

L’ouverture du centre Pompidou est sans doute une date fondamentale. Ont suivi les projets du musée d’Orsay, du grand Louvre, et d’autres. Cette évolution s’est étendue à tout le pays, notamment dans les grandes villes.

La polémique soulevée par le musée universel portait sur les prêts d’œuvres rémunérés, mais de nombreuses critiques étaient formulées par ceux-là mêmes qui avaient organisé ce type d’opérations à l’origine, notamment au Japon.

Par ailleurs, la présence de la France dans les projets muséaux de la région est très ancienne, puisque la France a bâti les musées de Damas, Beyrouth, Téhéran… Je crois que ce projet de musée universel à Abou Dabi est à la gloire de la France.

M. Jacques Remiller. Vous avez indiqué que la subvention de l’Etat couvrait 50 % du budget du Louvre, pourtant le rapport de la Cour des comptes sur les musées nationaux indique 55 %.

M. Henri Loyrette. Les 5 % correspondent à la somme versée au titre de la compensation de la gratuité.

La séance est levée à dix-sept heures cinquante.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 13 avril 2011 à 16 h 45

Présents. - Mme Martine Aurillac, M. Jean-Michel Boucheron, M. Philippe Cochet, M. Michel Destot, Mme Marie-Louise Fort, M. Jean-Claude Guibal, M. Robert Lecou, M. François Loncle, M. Didier Mathus, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Jacques Remiller, M. Dominique Souchet, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle

Excusés. - Mme Sylvie Andrieux, M. Claude Birraux, M. Roland Blum, Mme Chantal Bourragué, M. Michel Delebarre, M. Jean-Michel Ferrand, M. Hervé Gaymard, M. Paul Giacobbi, M. Serge Janquin, M. Jean-Pierre Kucheida, Mme Henriette Martinez, M. Jean-Claude Mignon, M. Henri Plagnol, M. Éric Raoult, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. Jean-Marc Roubaud, M. Rudy Salles, Mme Odile Saugues