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Commission des affaires étrangères

Mercredi 15 juin 2011

Séance de 16 h 45

Compte rendu n° 71

co-présidence de M. Axel Poniatowski, président et de M. Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes

– Audition, commune avec la commission des affaires européennes, de M. Laurent Wauquiez, ministre auprès du ministre d’Etat, ministre des affaires étrangères et européennes, en charge des affaires européennes, sur le partenariat euroméditerranéen

Audition, commune avec la commission des affaires européennes, de M. Laurent Wauquiez, ministre auprès du ministre d’Etat, ministre des affaires étrangères et européennes, en charge des affaires européennes, sur le partenariat euroméditerranéen

La séance est ouverte à seize heures quarante-cinq.

M. le président Axel Poniatowski. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Laurent Wauquiez, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes, pour cette audition consacrée à la politique méditerranéenne de l’Union européenne.

Celle-ci a engagé la redéfinition de sa politique de voisinage avec les pays méditerranéens, dans le sens d’une conditionnalité de l’assistance aux avancées de la transition démocratique, avec des stratégies différenciées en fonction des situations particulières à chaque pays.

Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous nous présentiez les décisions prises tout récemment à cet égard. Comment cette redéfinition de la politique de voisinage est-elle appréhendée par nos partenaires européens, dont certains semblent redouter que le partenariat oriental n’en fasse les frais et insistent sur la nécessité de maintenir – et même d’accroître – les moyens consacrés à l’Est de l’Europe ?

Si l’on ajoute à cela une situation économique et budgétaire peu propice à des politiques dispendieuses, comment évolueront, selon vous, les discussions au sein de l’Union ?

M. Pierre Lequiller, président de la Commission des affaires européennes. Il semble que le rapport de deux tiers à un tiers des moyens consacrés respectivement à la politique de voisinage au sud et à l’est de l’Union européenne fasse aujourd’hui l’objet de débats, la Commission européenne donnant le sentiment de vouloir revenir sur cette clé de répartition pour attribuer l’aide en fonction des progrès démocratiques. Cette conditionnalité ne risque-t-elle pas de fortement modifier l’équilibre entre les deux politiques de voisinage ? D’autre part, comment veiller à l’indispensable cohérence entre la conditionnalité à l’égard de la rive sud de la Méditerranée et les grands projets structurants de l’Union pour la Méditerranée (UpM) ?

M. Laurent Wauquiez, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes. Si elle se justifie par les champs de compétence respectifs de vos deux commissions, l’organisation de cette audition commune me semble également très riche de sens, à un moment où cherche à s’affirmer une politique étrangère de l’Union, avec des avancées mais aussi des désillusions – et le sujet qui nous occupe est particulièrement bien choisi à cet égard. En effet, ce que nous voyons se faire devant nos yeux est l’Histoire même – ce qui rend d’ailleurs difficile d’en deviner les aboutissants et d’affirmer avec certitude que notre action est à la hauteur des enjeux. C’est là, pour des responsables politiques, une école de modestie.

Lorsqu’il est question de la Méditerranée, il ne faut jamais oublier la leçon de Fernand Braudel : la prospérité de l’Europe a systématiquement été liée à la richesse de sa relation avec la Méditerranée, en particulier avec sa rive sud.

Notre politique en la matière doit éviter autant la naïveté que le défaitisme. Lors du dernier sommet européen organisé au titre du Dialogue Europe-Asie (ASEM), j’ai mesuré à quel point, face à la défiance qu’éprouvent les pays d’Asie devant les révolutions arabes, dont ils peuvent redouter l’impact sur leurs régimes, l’Europe est porteuse d’un message optimiste. Ce message ne doit cependant pas être naïf, car la réussite d’une transition démocratique n’est jamais facile – que l’on songe aux balbutiements de la démocratie en France ou aux difficultés de l’instauration d’une démocratie constitutionnelle allemande après le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale, en dépit de l’apport massif du Plan Marshall. Les révolutions arabes représentent donc à la fois une formidable chance et un formidable défi.

Ni l’Union européenne ni la France ne s’attendaient à ce qui s’est produit et la Révolution de jasmin a pris tout le monde par surprise. Cette surprise passée et quelles qu’aient été les premières réactions, l’Union européenne a eu une attitude dont elle n’a pas à rougir. Son action diplomatique n’est pas négative et a été très constante. Tout d’abord, elle a été la première à prendre des sanctions contre tous les régimes qui ont utilisé la violence contre leur population civile. Cette position, devenue la pierre de touche de notre attitude diplomatique, a été appliquée à la Tunisie, à l’Égypte et à la Libye et nous sommes les premiers à l’appliquer à la Syrie et au Yémen, en allant souvent au-delà des mesures restrictives décidées par les Nations unies – je pense en particulier à la désignation nominative du président Assad et de son entourage, qui font l’objet de sanctions très larges allant de l’interdiction de visa au gel des avoirs.

En deuxième lieu, l’Union européenne et la France continuent de maintenir une forte pression politique, notamment sur les régimes libyen et syrien. Je souligne à cet égard qu’il n’y a pas une unique révolution arabe, mais une diversité de pays cherchant chacun une voie différente. Au Maroc, la transition tente de s’inscrire le plus possible dans la continuité des réformes réalisées antérieurement. En Tunisie, la réforme a été portée par la détresse économique liée à l’explosion du coût des céréales. En Libye, les affrontements et les équilibres entre les différentes tribus ont considérablement contribué à l’affaissement du régime de Kadhafi. En Égypte, pays que je connais bien pour y avoir vécu à deux reprises, la révolution est venue de l’incapacité du régime à structurer les classes moyennes qui auraient assuré son efficacité et sa solidité. Soyons humbles dans notre diagnostic : il ne s’agit pas d’une révolution unique, mais de pays ayant des histoires différentes et voyant en même temps les contradictions qui sous-tendaient leur développement se tendre au-delà du supportable.

L’Europe est mobilisée dans la bataille engagée pour la Syrie au Conseil de sécurité des Nations unies et les deux autres membres européens du Conseil soutiennent la France et le Royaume-Uni pour permettre l’adoption d’une résolution à ce propos.

Enfin, l’Europe n’abandonne pas les populations affectées par ces mouvements de fond. Ainsi, je le rappelle, elle a été la première à organiser les opérations qui ont permis aux réfugiés égyptiens en Tunisie de regagner l’Égypte et aux Tunisiens qui avaient fui vers l’Égypte d’être rapatriés en Tunisie.

L’Europe a incontestablement été la première zone géopolitique à réagir et, bien que nous ayons été pris par surprise, nous n’avons pas, je le répète, à rougir de cette réponse, qui s’est élaborée à l’abri des compromissions.

Ces événements doivent nous amener à revoir en profondeur notre politique de voisinage. Ils nous donnent, en premier lieu, une leçon de modestie : ces pays se sont soulevés seuls et nous devons être attentifs à leurs priorités et à leurs attentes, pour nous efforcer de leur fournir les outils nécessaires, en évitant à tout prix de leur donner le sentiment que nous saurions mieux qu’eux ce qui leur convient. Il nous faut notamment contribuer à l’appropriation de cette révolution par la société civile, dans un processus de stabilisation progressive. À cet égard, nous assistons à une formidable libération de la parole dans la presse tunisienne, pour laquelle le moment est venu de domestiquer cette liberté. Il nous faut donc trouver comment l’aider à constituer des groupes de presse, à exercer un travail de critique et à prendre de la distance. L’attente et la demande sont fortes en la matière et nous devons être aux côtés des Tunisiens pour accompagner la transition démocratique.

Pour ce qui est des outils, nos moyens ne sont pas ceux dont a bénéficié la transition démocratique allemande avec le Plan Marshall. Le défi n’est pourtant pas impossible à relever si nous nous montrons quelque peu imaginatifs. Tout d’abord, il doit être clair – notamment face à la Pologne, qui va prochainement assurer la présidence de l’Union européenne – que le voisinage méditerranéen n’est pas en concurrence avec le partenariat oriental, car les deux relations ne sont pas de même nature. Mais, j’ai pu le constater la semaine dernière, nos interlocuteurs polonais ont évolué dans un sens très positif. Les tensions qui ont pu se faire sentir précédemment du fait d’intérêts géopolitiques perçus comme divergents sont désormais surmontées et, face à un enjeu historique, chacun comprend qu’il n’y a pas de place pour des querelles de chapelle. Il semble donc qu’émerge la conscience commune d’un intérêt général européen, qui est plutôt à l’honneur de la réflexion dont l’Europe est capable.

Nous sommes ainsi parvenus à maintenir inchangée la répartition des moyens affectés à nos priorités et à sanctuariser la proportion des deux tiers destinés au Sud de la Méditerranée. Nous nous sommes également efforcés d’être imaginatifs, en élargissant aux pays du Sud de la Méditerranée le mandat de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et en permettant que soient réinjectés les retours sur crédits de la Banque européenne d’investissement (BEI). Pour ce faire, l’Union européenne a mobilisé des moyens considérables – plus de 1,2 milliard d’euros – et, pour la période 2011-2013, elle apportera aux pays du voisinage Sud une aide de 3,6 milliards d'euros avec, en réunissant les efforts de la BERD et de la BEI, des prêts d’un montant de 8,5 milliards d’euros. En outre, lors du sommet de Deauville, l'Union européenne s'est efforcée de s'affirmer comme la colonne vertébrale de l'aide internationale – ce qui est conforme à sa vocation.

Nous devons veiller à ne pas accorder de prime aux pays qui ont le plus attiré l'attention des médias. On ne saurait en effet ignorer le Maroc et la Jordanie, qui se débattent pour mener à bien des réformes difficiles – comme celle du code civil marocain, que connaît bien M. Pascal Clément, visant à renforcer le statut de la femme –, au seul prétexte qu’ils n’ont pas connu de révolution ou fait la une des médias. La France a plaidé pour que le Maroc et la Jordanie ne soient pas les oubliés de notre politique de voisinage Sud et figurent dans le spectre de nos priorités au même titre que la Tunisie, l'Égypte et la Libye.

Quant à l'Union pour la Méditerranée, le fait qu'elle n'ait jusqu'à présent pas su répondre aux enjeux par anticipation ne condamne nullement la validité du projet politique, qui n’a jamais été aussi actuel. Il convient cependant de dépasser le stade des grandes déclarations pour se consacrer à des projets concrets et tangibles. Je n’en citerai que deux exemples.

Le premier est l’Office euro-méditerranéen de la jeunesse, projet porteur d’un message très positif sur notre approche de l’immigration et sur lequel nous pouvons tous nous entendre : une partie de la jeunesse méditerranéenne serait formée chez nous et ces jeunes seraient ensuite accompagnés pour mettre en œuvre chez eux des projets concrets, avec des clés de financement et des aides destinées notamment au montage d'initiatives, à la création d'entreprises, d'associations et d'ONG, à des initiatives locales… Un tel office entrerait dans une logique d’échanges équilibrés, favorisant la formation des forces vives des pays de la Méditerranée, au lieu de vendre des illusions ou de pomper à notre profit les énergies du Sud.

Le deuxième projet consiste en l'installation de gigantesques fermes solaires sur la rive sud de la Méditerranée. Des investissements de long terme sont nécessaires, car la durée d'amortissement en est souvent de vingt ans, de telle sorte qu'en finançant les premiers projets, nous pourrions produire un effet de levier considérable. Ce projet, qui suppose des infrastructures permettant de transporter l'énergie vers la rive nord, peut contribuer à notre équilibre énergétique et être, pour les pays de la rive sud, une source de profit économique.

Les opportunités sont donc nombreuses. Il nous faut trouver le bon équilibre entre la très forte attente d'Europe qui s'exprime sur la rive sud de la Méditerranée et que nous n'avons pas le droit de décevoir, et la conscience que, ces pays ne nous ayant pas attendus pour se libérer eux-mêmes, nous n'avons pas de leçons à leur donner. Une telle position, faite à la fois de responsabilité et d'écoute, est le meilleur chemin à tracer pour ce partenariat.

M. Jacques Myard. Monsieur le ministre, votre enthousiasme bien connu ne se dément pas au service de cette cause. Il ne faut cependant pas oublier que la crise qu’ont connue les pays arabes est d’abord une crise économique, liée à la crise mondiale : les économies de la Tunisie et de l'Égypte, très sensibles aux variations des flux touristiques, sont en panne. Nous mobiliser pour relancer ces économies et stabiliser la zone est, j'en conviens avec vous, un objectif primordial.

Mais il faut être efficace. Or, des mécanismes multilatéraux tels que le processus de Barcelone ou l’Union pour la Méditerranée sont très lourds et ne peuvent fonctionner que si tous les partenaires ont atteint un niveau comparable et s'entendent entre eux, ce qui ne me semble pas être le cas. Il faut donc revenir aux conceptions beaucoup plus simples d’un multi-bilatéralisme : les sommes employées à l'échelle européenne seraient bien plus efficaces dans le cadre des actions bilatérales de la France.

Relevons le défi de l’Office euro-méditerranéen de la jeunesse – chiche ! –, mais il faut surtout créer un Institut franco-méditerranéen, car la France est en train de se faire tailler des croupières par l'Allemagne et par certains autre pays qui consacrent des moyens à de telles actions. Nous devons réinvestir intellectuellement toute la Méditerranée, car nous perdons des positions dans la formation des élites et nous allons le payer très cher.

Mme Chantal Bourragué. Un calendrier a-t-il été arrêté pour la réalisation du plan solaire méditerranéen, projet très important pour l'UpM ?

D’autre part, quelle action l'Europe mène-t-elle en Méditerranée en faveur des passagers des « bateaux de la mort » et pour secourir les populations ?

M. Hervé Gaymard. Compte tenu du rôle que jouait l'Égypte dans le processus de l'Union pour la Méditerranée, comment évaluez-vous les effets sur ce processus des évolutions survenues dans ce pays ?

M. André Schneider. Certains pays d’Europe ne voient pas de la même manière que nous les relations avec les pays du sud de la Méditerranée. Pouvez-vous nous apporter encore quelque éclairage sur ce point ?

M. Jean-Pierre Dufau. Tous les partenaires européens n’ont pas la même sensibilité quant à l’Union euro-méditerranéenne, en effet. Vous avez souligné à juste titre que l’intérêt de l’Europe pour la Méditerranée ne signifie pas qu’elle se désintéresserait des pays d’Europe orientale. Or des questions se posent à leur égard aussi.

La Serbie a été dépouillée du Monténégro et du Kosovo. Son président, M. Tadić, s’est exprimé en faveur de l’adhésion à l’Union européenne et a fait acte de « repentance » pour les crimes commis durant la guerre de Bosnie. En outre, le général Mladić a été arrêté et extradé. Or, l’accord de stabilisation et d’association (ASA) nécessaire à l’adhésion de la Serbie a été ratifié par 19 pays, mais pas encore par la France, alors que nos deux pays ont de nombreux points communs et une histoire commune. Il serait paradoxal que la France ne suive pas de plus près le dossier de l’ASA de la Serbie, alors que d’autres pays soutiennent la démarche de la Croatie, qui a pourtant eu des positions et des alliés différents à certains moments de l’histoire de l’Europe.

M. le président Axel Poniatowski. Bien que les deux tiers de l’aide soient destinés à la Méditerranée et un tiers aux pays d’Europe orientale, la différence de population entre ces pays a pour effet que, pour un euro par habitant attribué à l’Égypte, ce sont 28 euros par habitant que perçoit la Moldavie. Sans doute la répartition devrait-elle donc être revue.

D’autre part, bien que le fait de commencer par des projets crédibles, comme le plan solaire ou les autoroutes de la mer, soit une excellente stratégie, ne va-t-on pas continuer de se heurter à une difficulté qui a entravé le démarrage de l’UpM : le conflit israélo-palestinien ?

M. le ministre. Monsieur le président Poniatowski, les États membres de l’Union européenne proches de la Méditerranée et partageant une sensibilité euro-méditerranéenne ne représentent pas un poids négligeable, en particulier si on compte parmi ces pays la Roumanie et la Bulgarie, ainsi que la Hongrie, qui considère qu’elle a un débouché quasi-naturel sur la Méditerranée via les Balkans. À ce socle solide s’ajoutent des pays très lucides sur l’intérêt économique de cette union et sur la sphère d’influence qu’elle leur ouvre, comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni. Quant aux pays nordiques, dont l’approche est fortement fondée sur les droits de l’homme, ils sont conscients que c’est le moment d’investir dans la démocratie. Contrairement donc à ce que nous pourrions penser, il existe un consensus assez stable au sein de l’Union européenne pour défendre l’idée d’une proximité avec la rive sud de la Méditerranée. Les Polonais ont d’ailleurs parfaitement compris qu’ils ne peuvent attaquer de front ce projet.

Il ne serait, en revanche, pas raisonnable d’aller au-delà de la répartition actuelle d’un tiers/deux tiers. La seule possibilité d’accroître les investissements consiste à réorienter les flux financiers de la BERD et de la BEI de l’est vers le sud.

Madame Bourragué, monsieur Dufau, ce sont en effet les projets concrets qui permettent de sortir des débats d’esthètes. Chercher à constituer l’UpM en rapprochant des entités géopolitiques conduit à un échec assuré, mais la création d’une ferme solaire en Tunisie ou celle d’un Office euro-méditerranéen de la jeunesse sont des projets qui peuvent aboutir.

Il est en outre évident que l’UpM ne peut fonctionner indépendamment de la politique de voisinage européenne. De fait, c’est à ce niveau que se situent les moyens et nous plaidons pour que les trois quarts au moins de l’enveloppe des programmes de coopération régionale de l’Instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP) soient consacrés aux programmes concrets de l’UpM.

Monsieur Myard, à défaut de partager une même vision des problèmes, nous avons au moins en commun l’enthousiasme avec lequel nous exprimons nos convictions. Je partage votre souci de réinvestir intellectuellement la Méditerranée. Parlant arabe, je suis convaincu que nous avons besoin de « passeurs » qui reprennent cette vision du voisinage euro-méditerranéen.

À la fin de la monarchie de Juillet, les Saint-simoniens, conscients que les lumières de l’Antiquité nous avaient été transmises par les pays arabes et méditerranéens, ont considéré qu’il était temps d’agir en retour et ont entrepris des projets de développement du côté sud de la Méditerranée, se trouvant ainsi à l’origine du percement du canal de Suez et de la modernisation de l’Égypte de Méhémet-Ali. Nous nous trouvons dans une situation comparable : sommes-nous capables d’accompagner les pays de la rive sud dans leur transition ? Il nous faut retrouver, dans nos relations avec ces pays, la ferveur des saint-simoniens.

Monsieur Gaymard, la réponse à votre question est dans la question même. Vous connaissez parfaitement l’Égypte et ses contradictions vertigineuses : songeons que l’essentiel des forces de ce pays se concentre dans l’équivalent d’une bande de vingt kilomètres de part et d’autre du Rhône entre Lyon et Marseille, tout le reste du territoire étant occupé par le désert, hormis quelques zones dans le Sinaï ou la Nouvelle Vallée projetée par le président Moubarak. L’équilibre de ce pays est très fragile et il a été sage de confier le poste de secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée à M. Youssef Amrani. L’Égypte se concentre sur ses problèmes intérieurs ; elle n’en est pas moins, sur la durée, l’un des pôles d’appui très importants de la diplomatie internationale au sud de la Méditerranée, comme elle l’a montré dans le passé par des décisions courageuses. Je ne doute pas qu’elle reprenne rapidement son rôle pivot.

Monsieur Dufau, l’ASA avec la Serbie devrait être adopté par le Sénat en juillet et, je l’espère, être examiné le plus vite possible, en fonction de l’ordre du jour, par l’Assemblée nationale.

M. Philippe Cochet. Pourriez-vous indiquer nommément quels sont les pays du sud de la Méditerranée qui expriment une véritable demande d’Europe ? Il ne sera pas possible, en effet, de travailler avec tous et il importe donc d’en privilégier deux ou trois. Cela est d’autant plus vrai que l’on a vu, dans la crise libyenne, l’Italie se démarquer assez nettement de la position d’autres pays européens – comme du reste la France l’aurait peut-être fait elle-même si elle avait été confrontée à un pays avec lequel elle avait des relations historiques aussi fortes.

M. Christophe Caresche. L’UpM s’est largement ensablée. Il ne me semble pas que la France ait, dans cette affaire, été trop européenne, mais plutôt qu’elle ne l’ait pas été assez. Les députés du Bundestag que nous avions rencontrés avaient d’ailleurs assez largement exprimé leur incompréhension face à ce projet perçu comme une initiative de la France. Le seul moyen de relancer ce processus est d’insérer l’UpM dans un cadre plus européen pour lever ces incompréhensions – vos réponses à cet égard, monsieur le ministre, me semblent aller dans ce sens.

Où en sont les discussions avec la Commission européenne, qui souhaitait que la présidence de l’UpM échoie à la Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et a produit un document dans lequel elle revient sur les principes qui organisent la politique de voisinage, s’écartant de la clé de répartition de l’aide aux pays d’Europe orientale et aux pays du Sud. Quelle est la position de la France et comment entend-elle assurer la compatibilité entre sa vision de l’UpM et les propositions de la Commission ?

Mme Marie-Louise Fort. Tout en frappant avec une insistance d’ailleurs variable à la porte de l’Europe, la Turquie joue un rôle de plus en plus marquant dans cette région de la Méditerranée. Après les élections de dimanche dernier, comment voyez-vous les relations avec ce pays, s’agissant notamment des projets de la France et de l’Europe au sein de l’UpM ?

Mme Odile Saugues. Ni Allah, ni maître, film de la cinéaste Nadia El Fani tourné durant la révolution tunisienne et projeté à Cannes, montre les Tunisiens – dont beaucoup de femmes – portant des pancartes réclamant à la fois la démocratie et un État laïc : c’est à juste titre, monsieur le ministre, que vous jugez que nous n’avons pas de conseils à leur donner. Vont-ils réussir malgré la pression exercée par les islamistes ? Si nous devons être des « passeurs », que pouvons-nous leur apporter, et sous quelle forme ?

Mme Pascale Gruny. Je suis très favorable à la transmission de compétences aux jeunes des pays de la rive sud mais, une fois formés, les jeunes de ces pays voudront-ils retourner chez eux – et y seront-ils bien accueillis ?

M. le ministre. Madame Bourragué, un pays a très bien géré la question des bateaux de la mort : c’est l’Espagne, qui est l’exemple à suivre en la matière, car elle a accompagné sa politique de fermeté d’une politique de coopération avec le Maroc et le Sénégal, en vue de régler le problème à la racine. Il est en effet déjà trop tard lorsque les bateaux arrivent à proximité des rives européennes. Outre qu’il faut montrer aux migrants qu’ils peuvent construire leur avenir dans leur pays, il convient également de les arrêter avant leur départ, afin de leur éviter toute prise de risques, y compris mortels, et de mettre fin à l’exploitation de leur détresse.

La solution réside, je le répète, dans une politique de coopération très étroite avec les pays de départ. L’Espagne a donné un message d’espoir : quand on se rappelle les images très dures d’affrontements communautaires dans le sud du pays, ou dans le sud du Portugal, il y a encore cinq ou six ans, il s’agit là d’une belle réussite.

Monsieur Philippe Cochet, votre question est délicate car il est difficile de faire un choix. N’oublions pas que le premier pays du Maghreb auquel l’Union européenne a accordé un statut avancé, c’est le Maroc. C’est lui qui entretient les relations les plus étroites avec l’Europe.

La Tunisie présente, quant à elle, un double intérêt. Elle a tout d’abord immédiatement demandé à l’Union européenne d’accélérer les négociations sur le statut avancé et c’est un devoir pour la France d’insister auprès des services de la Haute représentante, Catherine Ashton, et de la Commission européenne, pour que l’Europe respecte sa promesse de boucler les négociations avant la fin de l’année. La Tunisie a pour second avantage d’être un pays de taille modeste : les euros que nous y investissons y ont un véritable effet de levier. C’est donc là que les révolutions arabes ont la meilleure chance de réussir la transition démocratique. Il faut, indépendamment de nos liens historiques, approfondir le partenariat avec ce pays pour construire une réussite collective. Du reste, un grand nombre de nos partenaires européens – l’Italie, l’Espagne, la Grèce… – entretiennent avec lui des liens très forts.

Monsieur Caresche, les propos que j’ai déjà tenus vous auront convaincu, j’en suis certain, que, s’agissant de l’Union pour la Méditerranée, je suis favorable au renforcement de l’appareillage européen. La Haute représentante et la Commission ont donc vocation à assurer la coprésidence « nord » de l’UPM. Nous avons également intérêt à miser sur la dimension européenne en matière de financement. Toutefois, cette vocation et cette dimension européennes n’excluent nullement, comme a eu raison de le rappeler M. Myard, le maintien de notre approche bilatérale, qui est très forte notamment avec le Maroc et la Tunisie. Nous n’allons pas renoncer à notre histoire !

Il n’en reste pas moins que l’UpM, pour convaincre, ne doit pas être perçue comme un outil antieuropéen mais comme un outil profondément proeuropéen. Le temps nous a d’ailleurs permis de lever certaines incompréhensions initiales.

Madame Fort, nous avons intérêt à discuter avec la Turquie et à développer avec elle une analyse convergente. Nous ne pouvons par exemple tenir pour rien le souvenir de l’Empire ottoman, qui s’étendait jusqu’à la moitié de l’Algérie. L’histoire a donc créé des liens importants entre la Turquie et toute la rive sud de la Méditerranée. Il est vrai, cependant, que ce pays joue parfois sa propre partition et que nos analyses peuvent diverger. C’est la raison pour laquelle il faut tout faire pour que son action s’inscrive le plus possible dans une vision commune. Le fait pour lui de proclamer son attachement à la démocratie va dans la bonne direction.

Madame Saugues, j’ai apprécié votre question, qui était très directe. J’y répondrai qu’en matière de droits, tout compte : les partenariats des collectivités locales comme la mobilisation du mouvement associatif, notamment des associations qui œuvrent pour la promotion des femmes. Il ne faut pas oublier non plus l’action des parlementaires et je suis heureux que vos deux commissions montrent l’exemple. Vous avez un rôle décisif à jouer dans l’apprentissage de la démocratie. Nous sommes nous-mêmes l’aboutissement de nombreuses années d’un tel apprentissage. Il est décisif, dans cette période, de développer des liens et d’entretenir des partenariats avec les Tunisiens.

Je tiens également à insister sur le rôle du Conseil de l’Europe, que son secrétaire général essaie de conduire dans la bonne direction. Le Conseil pourrait devenir le bras armé de ce partenariat visant à favoriser les transitions démocratiques des pays arabes et je l’encourage à s’engager en ce sens. D’ailleurs, de nombreux parlementaires français en sont membres.

M. François Rochebloine. Encore faudrait-il leur donner des moyens financiers.

M. le ministre. Ils doivent également savoir les employer judicieusement.

Je crois beaucoup à cette vocation du Conseil de l’Europe, qui peut y trouver un bien utile surcroît de légitimité et de visibilité.

Enfin, madame Gruny, il faut clairement informer dès le départ les jeunes du Sud qu’il s’agit pour nous de construire un Erasmus euroméditerranéen et que nous accompagnerons leur retour au pays après leur formation. À cette fin, des crédits devront permettre à ceux qui seront passés par l’Office euroméditerranéen de la jeunesse de devenir les forces vives qui contribueront, dans leur pays, à la transition démocratique. Si, dans le cadre d’une formation dédiée, ces crédits les aident à créer des entreprises et à mener à bien des projets, alors la réussite pourra être au rendez-vous, dans le cadre d’un partenariat équilibré et respectueux où chacun trouvera sa place.

M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir répondu à nos questions.

M. le président Pierre Lequiller. Je tiens moi aussi à vous remercier, monsieur le ministre, pour cette audition sur un sujet sur lequel nous aurons certainement à revenir, la situation ne pouvant qu’évoluer au cours des prochains mois.

La séance est levée à dix-sept heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 15 juin 2011 à 16 h 45

Présents. - Mme Martine Aurillac, M. Jean-Louis Bianco, Mme Chantal Bourragué, M. Pascal Clément, M. Gilles Cocquempot, M. Alain Cousin, M. Tony Dreyfus, M. Jean-Pierre Dufau, M. Alain Ferry, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. Jean-Pierre Kucheida, M. François Loncle, M. Jacques Myard, M. Henri Plagnol, M. Axel Poniatowski, M. Jacques Remiller, Mme Odile Saugues, M. André Schneider, M. Gérard Voisin, M. Éric Woerth

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Jacques Bascou, M. Claude Birraux, M. Alain Bocquet, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Jean-Louis Christ, M. Michel Delebarre, M. Michel Destot, M. Jean Glavany, Mme Élisabeth Guigou, M. Serge Janquin, M. Didier Julia, M. Jean-Paul Lecoq, M. Lionnel Luca, M. Didier Mathus, M. Renaud Muselier, M. Rudy Salles, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle