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Commission des affaires étrangères

Mardi 12 juillet 2011

Séance de 10 h 30

Compte rendu n° 76

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Examen du rapport d’information sur la situation en Birmanie (MM. Roland Blum et Gaëtan Gorce, co-rapporteurs)

– Informations relatives à la commission 9

Examen du rapport d’information sur la situation en Birmanie

La séance est ouverte à dix-heures trente.

M. Roland Blum, rapporteur. La mission d’information a été créée par la commission des affaires étrangères au lendemain des premières élections en Birmanie depuis vingt ans et de la libération quasi simultanée d’Aung San Suu Kyi. Depuis cette date, conformément à la feuille de route pour la démocratie décidée par la junte en 2003, un Parlement a été installé qui a élu un président de la République, M. Thein Sein.

Alors que la dictature militaire semblait immuable et insensible aux pressions internationales, la Mission s’est donc interrogée sur la réalité du changement annoncé par l’ex-junte à la faveur de l’application de la Constitution adoptée en 2008 dans des conditions discutables : peut-il augurer d’un réveil démocratique ou n’est-il qu’une illusion destinée à amadouer la communauté internationale ?

Je laisserai à M. Gorce le soin de vous présenter les leçons qu’il convient de tirer de l’échec de la communauté internationale jusqu’à présent face au régime birman pour définir une politique européenne plus en phase avec l’apparente nouvelle donne en Birmanie.

Je ne reviendrai pas sur l’histoire birmane sauf pour vous rappeler que la Birmanie est marquée par la colonisation britannique et les problèmes ethniques qui l’ont toujours fragilisée et ont favorisé l’installation au pouvoir de l’armée qui se veut garante de l’unité nationale depuis près de cinquante ans.

Je pourrai développer si vous le souhaitez les souffrances qu’endure le peuple birman, victime à la fois de violations systématiques et persistantes des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’impéritie économique et sociale d’un régime replié sur lui-même et préoccupé par sa survie.

Les élections du 7 novembre 2010, qui concernaient les deux chambres du Parlement mais aussi les Parlements régionaux, ont été presque unanimement jugées ni libres, ni justes.

Par l’édiction de différentes règles électorales, la junte s’est en effet assurée la mainmise sur le processus prétendument démocratique et par voie de conséquence le succès du parti qu’elle avait créé à cette intention, l’USDP. En réaction, le parti d’Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), a refusé de participer aux élections, ce qui a conduit à sa dissolution.

Sans surprise, le parti officiel a massivement remporté les élections entachées de nombreuses irrégularités, gagnant plus de 80 % des sièges, sachant que la Constitution octroyait déjà 25 % des sièges aux militaires. Outre quelques partis ethniques, seulement deux partis d’envergure nationale, le Parti démocrate (DP) et la National democratic force (NDF) – issu d’une scission avec la LND – ont conquis les sièges restants.

En dépit du caractère anti-démocratique des élections et contestable de la Constitution, les nouvelles institutions, la pratique des détenteurs du pouvoir ainsi que la politique mise en œuvre posent question.

Certains ne voient dans le nouveau régime qu’un habillage civil et policé du précédent, dont il n’y a rien à attendre pour d’autres, la prudence commande de prendre le temps de porter un jugement plus circonstancié sur la réalité du pouvoir. Dans l’appréciation du nouveau pouvoir, il convient de garder à l’esprit la mise en garde d’Aung San Suu Kyi selon laquelle une parodie de démocratie peut être plus dangereuse qu’une dictature assumée.

Les changements institutionnels se sont au minimum traduits par un changement de style, ce qu’a pu constater la Mission, qui était la première délégation parlementaire européenne à se rendre en Birmanie depuis de nombreuses années, en rencontrant les nouveaux responsables politiques. En effet, ceux-ci ont semblé soigner la forme en se montrant ouverts à la discussion mais ils n’ont rien cédé sur le fond de leurs convictions. Le vice-ministre des affaires étrangères a dépeint la Birmanie comme un nouveau-né qu’il faut nourrir pour le faire grandir mais sans aller trop vite car on courrait le risque de l’étouffer.

Au premier abord, les nouvelles institutions ne peuvent que susciter la réprobation du démocrate, mais, à l’usage, elles pourraient révéler une fragilité qui entrouvrirait la porte à la démocratie.

Si la Constitution birmane ne prévoit pas la séparation des pouvoirs, l’effacement de l’armée, du moins officiellement, et le poids du président induisent un partage du pouvoir qui est une nouveauté pour la Birmanie avec laquelle les autorités devront apprendre à composer et qui pourrait favoriser des dissensions en leur sein.

Le discours d’intronisation du nouveau président et les bonnes intentions qu’il affiche ont été remarqués. Aung San Suu Kyi a jugé encourageant ce premier discours, tout en rappelant que tous les nouveaux chefs de gouvernement font toujours de beaux premiers discours. La disparition de l’ancien général Than Shwe de l’organigramme officiel du pouvoir a également constitué une surprise, même si personne n’imagine qu’il ne joue pas un rôle dans l’ombre.

En dépit des nombreuses imperfections de la décentralisation birmane, on peut placer quelques espoirs dans l’existence des parlements locaux, malgré la place qu’y occupent les anciens militaires ainsi que dans la concurrence entre les chiefs ministers et les militaires si les premiers parviennent à se doter d’une administration.

La première réunion du Parlement, installé à Nay Pyi Daw, la nouvelle capitale, dans un ensemble de bâtiments spectaculaire mais vide, qui pourrait symboliser la conception militaire de la démocratie birmane, s’est tenue le 31 janvier 2011 pour s’achever le 23 mars 2011. Elle a permis pour la première fois de poser des questions et de formuler des propositions au Gouvernement sans que l’on puisse qualifier ces échanges de débats démocratiques.

L’écrasante majorité dont dispose le parti créé par la junte ainsi que la présence encore massive de militaires ne peuvent que susciter le scepticisme quant aux chances de voir s’exercer le rôle de contrôle traditionnellement dévolu au Parlement.

Sur le plan politique, l’optimisme raisonnable qu’affiche le gouvernement ne résiste pas, à ce jour, à l’analyse des rares actes à mettre à son actif : l’évolution politique est d’abord fragilisée par l’absence de politique économique alternative à la prédation militaire actuelle. Sur les droits de l’homme, aucune évolution positive n’a été enregistrée.

Le signal attendu par tous que constituerait la libération de prisonniers politiques n’est pas advenu. Si une amnistie a été annoncée le 17 mai par le président, elle ne concerne que marginalement les prisonniers politiques.

Quant aux minorités ethniques, le refus de certains groupes armés de se soumettre à l’injonction constitutionnelle de rejoindre le corps des gardes-frontières sous l’autorité de l’armée birmane a provoqué une résurgence des conflits.

Face aux nouveaux pouvoirs, l’opposition semble chercher un chemin et une cohérence. Aujourd’hui, elle paraît tiraillée entre une opposition historique et intransigeante incarnée par Aung San Suu Kyi, une opposition parlementaire soupçonnée de trahison de la cause démocratique et une troisième voie poussée par la société civile. Elle semble encore démunie face à l’extraordinaire confiance qu’affiche le Gouvernement.

La liberté qu’a retrouvée Aung San Suu Kyi est loin d’être pleine et entière. Instruite par ses douloureuses expériences passées et gênée par l’absence de reconnaissance légale de son parti, la LND, elle est contrainte à une grande prudence dans son expression politique. Les autorités cherchent à lui imputer la responsabilité du refus du dialogue. Les élections ont permis à l’ancienne junte de diviser l’opposition et de marginaliser celle dont ils n’ont jamais pu accepter la légitimité de fille père de l’indépendance du pays, le Général Aung San.

Afin de sortir du piège tendu par le gouvernement, la LND souhaite devenir un acteur social majeur. Elle doit également faire face à de nombreuses critiques sur son attentisme, son isolement politique, voire son sectarisme et sa méconnaissance de la réalité du pays.

Pour les nouveaux partis politiques d’opposition, le choix de jouer le jeu de la nouvelle démocratie constitue à l’évidence un pari risqué. Les règles constitutionnelles comme la pratique gouvernementale actuelle ne permettent pas d’entrevoir la marge de manœuvre dont l’opposition parlementaire pourrait disposer. Ces partis pourraient au contraire être instrumentalisés par le régime qui les brandirait comme caution démocratique. Ils doivent en outre composer avec l’émergence de la société civile qui pourrait à terme constituer un levier démocratique.

Si le cyclone Nargis a réveillé les consciences d’une Birmanie endormie, le développement de la société civile se heurte encore à la résignation de la population et exige de ses acteurs un courage qui a impressionné la Mission. Ils ont unanimement lancé un appel à rompre l’isolement économique, social et technologique du pays et de sa population sur la scène internationale. L’Union européenne a le devoir d’entendre.

Je cède la parole à mon collègue M. Gorce qui va présenter l’attitude de la communauté internationale à l’égard de la Birmanie.

M. Gaétan Gorce, rapporteur. La description de la situation que vient de faire Roland Blum a évidemment suscité des réactions de la communauté internationale : les violations systématiques et répétées des droits de l’homme, la question des minorités ethniques et plus encore la suspension du processus démocratique depuis 1990 ont amené l’Union européenne, les Etats-Unis, le Canada et l’Australie à adopter des mesures à l’encontre du régime birman, renforcées au fur et à mesure de la dégradation de la situation. Les premières, pour l’Union européenne comme pour les Etats-Unis, ont consisté en un embargo sur les ventes d’armes et la suppression des contacts militaires. La deuxième série de sanctions, vers 2003, a étendu les mesures d’exclusion en visant les personnalités politiques et diplomatiques du régime. Surtout, à partir de 2007, et en réaction aux événements dits de la « révolution Safran », les sanctions ont été élargies au domaine économique et commercial. Si le gel des avoirs était déjà en vigueur, afin de frapper le régime birman à la source de ses revenus, des restrictions et des interdictions ont été décidées concernant l’importation des produits essentiels à l’activité économique du pays comme le bois, les métaux et pierres précieux et la fourniture d’une assistance technique et financière au développement de ces activités dans le pays.

Si les sanctions traduisent une réaction naturelle à l’attitude du régime birman et encouragée par le charisme naturel d’Aung San Suu Kyi, il est nécessaire de procéder à une évaluation du dispositif à l’occasion d’un commencement d’ébauche d’évolution du régime birman qui suscite beaucoup de scepticisme.

Le bilan est à ce jour extrêmement nuancé pour ne pas dire négatif. Si l’on considère que les sanctions ont pour objet d’imposer une condamnation morale à la Birmanie, on peut dire qu’elles ont fonctionné probablement même au-delà des espérances. En effet, le régime est unanimement décrié au sein des pays occidentaux. Si l’on considère que les sanctions ont pour objet de faire évoluer le régime, quinze après leur adoption, il est légitime de s’interroger sur leur efficacité et pas seulement sur leur dimension morale. Or, on ne peut qu’être plus prudent dans cette appréciation pour plusieurs raisons.

D’abord, en raison de leur caractère très général, les sanctions ont donné lieu à une forme d’extension qui est négative pour le pays. Le jugement réprobateur porté sur la Birmanie a conduit nombre d’entreprises à remiser leur projets d’investissements. On a vu par le passé Total pris la main dans le sac et s’empressant de la retirer puis d’autres plus hésitants à investir. Les investisseurs s’imposent une retenue allant au-delà des restrictions prévues par crainte d’être mis au ban de la communauté internationale. A titre d’exemple, Airbus refuse d’assurer l’entretien de ses avions ATR – et met donc en péril la sécurité des passagers – alors même que les sanctions interdisent pour le secteur aérien d’investir dans des entreprises liées au régime mais pas de leur fournir une assistance technique.

Plus préoccupant, les sanctions ne sont pas appliquées par tous : elles le sont par les pays que j’ai rappelés précédemment mais pas par les pays voisins qui vont parfois jusqu’à aider à les contourner. C’est vrai de la Thaïlande qui trouve un avantage économique à ce que les échanges se poursuivent. La Chine, principal soutien diplomatique de la Birmanie, développe une politique d’investissement très forte en Birmanie : la région frontalière du Yunnan est ainsi presque considérée comme sous administration chinoise ce qui ne va pas sans poser de problèmes au sein de la population qui ne voit pas nécessairement cela d’un bon oeil. L’Inde, qui dans un premier temps avait une position très critique à l’égard de la Birmanie, cherche aujourd’hui à normaliser ses relations avec le pays afin de contrer l’influence chinoise, en dépit du retard qu’elle accuse en la matière. Enfin, l’entrée de la Birmanie dans l’ASEAN et sa volonté d’occuper la présidence de l’institution en 2014 expliquent le comportement très prudent à son égard des pays membres.

Ces éléments conduisent à porter un jugement nuancé sur l’efficacité des sanctions au regard des objectifs qui leur avaient été assignés. Comment faire pour atteindre ces buts en tenant compte de l’évolution de la situation ? Peut-on envisager une évolution ?

Le sentiment de la Mission est qu’il ne faut pas relâcher la pression sur la Birmanie mais procéder à une révision générale de la politique de sanctions non pour les remettre en cause mais pour s’assurer qu’elles sont parfaitement articulées à des objectifs politiques qui font aujourd’hui défaut. La Mission préconise que la diplomatie européenne s’organise autour de trois objectifs :

Le premier, qui ne pose pas de difficulté, serait de consolider la position d’Aung San Suu Kyi. Elle se trouve aujourd’hui dans une position difficile : la présence au Parlement de partis d’opposition, issus pour certains d’entre eux d’une scission avec son parti la LND, a pour conséquence de la placer en marge du prétendument nouvel état de droit mis en place par les autorités. Si la ficelle utilisée par le régime est grossière, elle n’en a pas moins pour effet d’affaiblir sa situation. Il convient de réaffirmer à Aung San Suu Kyi le soutien extrêmement fort de la communauté internationale y compris parce que ce soutien doit permettre de lui dire un certain nombre de choses et d’accompagner son évolution sur plusieurs points. Elle connaît ainsi des difficultés à renouveler le personnel politique qui l’entoure, or ce renouvellement est indispensable si elle veut rester en phase avec la population ; elle peine à se saisir de la question du développement même si elle lui accorde une importance nouvelle ; elle aurait besoin d’une assistance technique pour l’aider à bâtir un programme économique qui soit une alternative à l’incurie du régime. Enfin, il importe d’aborder avec elle la question des minorités ethniques. Si Aung San Suu Kyi est un partenaire incontournable, elle doit participer à une réflexion associant toutes les parties prenantes sur cette question cardinale.

Ce dossier des minorités ethniques doit être le second objectif de l’Union européenne car il sert depuis toujours de prétexte à l’armée pour occuper le pouvoir. la Birmanie qui compte 135 minorités ethniques pour 51 millions d’habitants n’est jamais parvenu à trouver une solution au problème ethnique. Depuis les accords de Panglong en 1947 qui prévoyaient une forme de fédéralisme rejeté par certaines minorités – accords qui n’ont jamais été appliqués après le décès de leur initiateur, le général Aung San, père d’Aung San Suu Kyi –, la prise de pouvoir par les militaires a toujours été justifiée par la nécessité de mettre fin au désordre provoqué par les conflits ethniques. Cette question doit être traitée prioritairement et la communauté internationale devrait s’en saisir plus directement.

A cet égard, il faut également aborder le sort des Rohingya, population musulmane de 800 000 personnes à la frontière avec le Bangladesh. C’est aujourd’hui une population sans droit puisqu’ils ne sont pas reconnus comme apatrides par le Bangladesh ni comme citoyens par la Birmanie. Ils subissent le régime policier birman puisque leurs déplacements comme leurs mariages ou l’enregistrement de leurs enfants sont soumis à autorisation et à extorsion de fonds. Ils sont aussi les principales victimes du travail forcé.

Sans régler le problème ethnique, on ne pourra pas apporter de réponse durable à la question birmane. C’est la raison pour laquelle la Mission propose que la commission des affaires étrangères prolonge ces travaux en s’intéressant à la question des minorités ethniques lors de la prochaine législature.

Le troisième axe de réflexion pour l’Union européenne devrait être de veiller à une meilleure articulation entre sanctions et objectifs politiques. Ce qui ressort de la politique européenne de ces dernières années, c’est l’absence d’approche rationnelle, c’est l’addition d’approches nationales dominées par ceux des pays qui ont des liens particuliers avec la Birmanie, je pense notamment au Royaume-Uni. Cet état de fait prive l’Union européenne de toute efficacité car cela autorise le gouvernement birman à profiter de nos incohérences. Celui-ci se trouve en outre face à un interlocuteur dépourvu de volonté politique en dehors du soutien à la personnalité charismatique d’Aung San Suu Kyi.

Comment procéder ? D’abord en listant les objectifs politiques de court terme : reconnaissance de l’existence des prisonniers politiques – ce que le gouvernement refuse encore aujourd’hui –, accès aux prisons des organisations humanitaires et enfin libération de ces prisonniers qui sont aujourd’hui environ 2 200. La satisfaction de ces conditions pourrait permettre une évolution des sanctions ou à tout le moins l’ouverture d’un dialogue. Ce dialogue devrait se traduire par l’ouverture d’un bureau de l’Union européenne à Rangoun qui fait actuellement sérieusement défaut.

Les autres objectifs auxquels il faut travailler sont la prise en compte d’une évolution fédérale, la mise en œuvre de l’état de droit notamment en organisant des élections répondant aux exigences démocratiques minimales. Une opportunité pourrait se présenter en novembre à la faveur d’élections partielles provoquées par l’entrée au gouvernement de certains parlementaires en permettant au parti d’Aung San suu Kyi de participer au processus électoral. En liant l’évolution des sanctions à des évolutions politiques de plus en plus fortes, l’Union européenne retrouverait une stratégie qui fait cruellement défaut aujourd’hui : si rien ne change dans l’approche européenne, sauf événement intérieur imprévu, nous pourrons constater dans quelques années que la diplomatie européenne n’a pas contribué à faire évoluer les choses en Birmanie.

En conclusion, le dossier birman est symptomatique de ce que peut être une stratégie ou une diplomatie européenne. On peut, comme à l’heure actuelle, se contenter d’une dimension morale complétée de l’addition de différents points de vue et renouveler annuellement des sanctions. En avril dernier les sanctions ont légèrement évolué en permettant un dialogue avec certains responsables birmans grâce à l’autorisation de visites jusqu’alors interdites. Si la diplomatie européenne reste celle-là, elle ne pourra pas produire d’effet. Se pose donc la question de savoir si nous, Etats européens sommes déterminés à nous organiser d’une manière rationnelle. Cela signifie mettre en place un groupe de travail ayant pour tâche d’évaluer l’impact des sanctions, redéfinir des objectifs politiques et un calendrier réaliste au regard de la situation en Birmanie et par conséquent apporter à ce pays extrêmement attachant une réponse qui soit plus satisfaisante que les déclarations actuelles ou les tentations à laquelle nous avons nous-mêmes succombé d’un photo avec Aung San Su KYi – toutes attitudes qui ne contribuent pas à faire bouger les choses.

M. Jean-Paul Lecoq. Je n’ai pas le sentiment que Total a retiré la main du sac birman dans lequel elle a été prise. On se souvient de l’audition du PDG de Total par notre Commission, qui était resté ambigu sur cette question. Je ne suis pas en faveur d’un retrait de Total, car ils seraient remplacés par ceux-là même qui dénoncent leur présence. La question doit être posée à tous les intervenants : le secteur économique a-t-il changé d’attitude par rapport à la Birmanie ?

M. Roland Blum. Il y avait eu, il y a quelques années, une grande offensive des ONG à l’encontre de Total qui était soupçonné d’employer indirectement une main d’œuvre soumise au travail forcé. J’avais participé à une mission d’information présidée par Mme Aubert sur ce thème. De toutes nos investigations, il ressortait que ces accusations étaient très difficiles à prouver. Par ailleurs, Total a fait des efforts, en mettant en place des programmes socio-économiques qui portent notamment sur la construction d’hôpitaux et d’écoles.

Les choses ont-elles changé ? Les entreprises américaines ont pratiquement toutes quitté la Birmanie, mais de nombreux pays investissent dans le pays, notamment la Chine, l’Inde ou la Thaïlande. La Chine et la Thaïlande dans une moindre mesure sont présentes dans l’extraction de pétrole et créent des terminaux portuaires dans le pays.

La mission suggère que les entreprises françaises respectent pour leurs investissements en Birmanie un code éthique qui pourrait être défini au niveau européen. Même si peu d’entreprises envisagent désormais de s’y installer, il faut s’assurer que les entreprises françaises ne bénéficient pas du système absolument détestable mis en place par le régime, qui repose sur le travail forcé et la corruption généralisée.

M. Dominique Souchet. Quel est le nombre exact des populations exilées ? Le chiffre de deux millions a circulé : est-il exact ? Les exilés sont-ils politiquement organisés ? Quelle est l’attitude des autorités à leur endroit ?

M. Gaëtan Gorce. Il s’agit principalement des membres de l’ethnie karen. 150 000 karen vivent dans des camps de réfugiés de l’autre côté de la frontière avec la Thaïlande, dont 50 000 au statut incertain puisqu’ils ne sont pas enregistrés par les autorités. Il faut y ajouter les travailleurs illégaux dont le nombre est estimé entre 1 et 2 millions, qui constituent une main d’œuvre précieuse pour l’économie thaïlandaise.

Le problème des camps est difficile. Ils bénéficient d’une aide humanitaire massive sur laquelle les bailleurs s’interrogent d’ailleurs mais les perspectives d’évolution sont limitées. En effet, les camps sont devenus des centres importants pour l’éducation et la santé, car ils sont dotés de structures financées par l’aide. Personne n’a vraiment intérêt à voir la situation changer.

Le gouvernement thaïlandais alterne successivement entre des réactions d’autorité et un certain laxisme, mais n’a pas l’intention de régler définitivement le problème. On peut parler d’une certaine connivence entre la Thaïlande et la Birmanie, d’autant que la Thaïlande veut investir dans le Sud birman. Les échanges avec la Thaïlande sont principalement économiques.

L’organisation politique des karens existe, mais elle est bien plus structurée à Londres qu’en Birmanie, où le climat politique local n’est pas propice à l’expression de revendications.

M. Michel Terrot. Ma question porte sur les informations relatives aux minorités chrétiennes en difficultés, à l’extrême nord de la Birmanie, notamment, dans l’Etat du Kachin. Plus de 20 000 personnes ont dû quitter leurs villages, délogées par la construction de barrages, qui a entraîné leur expulsion. Les réfugiés sont aidés par les prêtres et religieux, mais la répression militaire est féroce. Qu’en est-il exactement à votre connaissance ? D’autres informations font état d’une deuxième minorité, Chin, à l’ouest de la Birmanie, également chrétienne à 90 %, victime de persécutions par les autorités, même si le gouvernement civil semble plus ouvert que le précédent.

M. Roland Blum, rapporteur. Nous n’avons pas d’informations particulières sur les persécutions que subissent les minorités chrétiennes, mais il s’agit du même système que la junte applique à l’ensemble des minorités : dès que des travaux sont décidés, des déplacements forcés sont organisés, qui s’accompagnent aussi de travaux forcés pour fournir la main d’œuvre. En cela, les chrétiens ne sont pas traités différemment des autres. Gaétan Gorce parlait tout à l’heure des karens en Thaïlande, par exemple, qui vivent dans des conditions extrêmement précaires.

M. Gaétan Gorce, rapporteur. On touche ici plus généralement une question qui est à l’origine du conflit sémantique sur l’appellation même du pays : la Birmanie est le pays de l’ethnie majoritaire Bamar, à l’exclusion des autres. L’exclusion des autres ethnies au nom de l’unité nationale est une constante de la politique des militaires birmans.

M. Jean-Pierre Kucheida. Le régime birman est intolérable à l’aune de nos critères. Je voudrais connaître votre sentiment sur Aung San Suu Kyi. Peut-on penser à ce qui s’est passé au Pakistan, où les membres des grandes familles du pays qui se sont opposées au régime un temps mais qui, arrivées au pouvoir, se sont rendus coupables des mêmes turpitudes? Voyez-vous le même risque pour demain en ce qui la concerne ? Quels sont d’autre part les rapports entre l’armée et le bouddhisme et l’hindouisme ? Y a-t-il complicité ? Tension ? Enfin, quelle est votre appréciation des sanctions ? Sont-elles utiles ? Faut-il les faire évoluer ou non, et qu’en est-il de leur application ?

M. Gaétan Gorce, rapporteur. En ce qui concerne Aung San Suu Kyi, on ne peut être certain de l’attitude qui pourrait être la sienne une fois arrivée au pouvoir, mais au vu de son histoire, de sa personnalité exceptionnelle, je dirais qu’elle mérite le statut que la communauté internationale lui a donné. Elle se situe depuis toujours dans une posture que je qualifierais de gaullienne, par son intransigeance, notamment. Elle est dans une forme d’exil intérieur, et sa maison est son Londres.

M. Jacques Myard. Le gaullisme est exportable, merci !

M. Gaétan Gorce, rapporteur. Cela étant, il n’est pas certain qu’elle veuille vraiment gouverner. Je la vois plutôt en garante des grands principes, des nouveaux équilibres, et je ne suis pas inquiet de la manière dont elle pourrait exercer le pouvoir. La seule réserve pourrait porter sur sa perception de la question des minorités, sujet sur lequel son père avait lui-même en son temps montré ses limites. Quant aux sanctions, elles ont à la fois le mérite et l’inconvénient d’exister. Les retirer reviendrait à montrer qu’elles sont inadaptées et enverrait un signal négatif et prématuré aux autorités birmanes. Il nous semble important de tenter de les réexaminer en fonction d’objectifs politiques et diplomatiques.

M. Axel Poniatowski, président. Je vous remercie pour la qualité de votre rapport.

Puis la commission autorise la publication du rapport d’information.

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Informations relatives à la commission

Au cours de sa séance du mardi 12 juillet 2011, la commission a nommé :

– Mme Chantal Bourragué, rapporteure du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Ile de Man en vue d'éviter la double imposition des entreprises exploitant, en trafic international, des navires ou des aéronefs (n° 375 (2009-2010) Sénat) ;

– M. Henri Plagnol, rapporteur du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas, au titre des Antilles néerlandaises, relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale (n° 359 (2010-2011) Sénat), du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des îles Cook relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale (n° 360 (2010-2011) Sénat), projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Costa Rica relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale (n° 511 (2010-2011) Sénat), du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Libéria relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale (n° 512 (2010-2011) Sénat), du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Sa majesté le Sultan et Yang Di-Pertuan de Brunei Darussalam relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale (n° 513 (2010-2011) Sénat), du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Belize relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale (n° 514 (2010-2011) Sénat), du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Commonwealth de la Dominique relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale (n° 515 (2010-2011) Sénat) et du projet de loi n° 516 autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement d'Anguilla relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale (n° 516 (2010-2011) Sénat) ;

– Mme Marie-Louise Fort, rapporteure du projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République libanaise (n° 3315) ;

– M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale du Nigéria (n° 3316) ;

– M. Jean-Claude Guibal, rapporteur du projet de loi autorisant l'approbation du protocole n°3 à la convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales relatif aux groupements eurorégionaux de coopération (GEC) (n° 3317) et du projet de loi autorisant l'approbation du protocole d'amendement et d'adhésion de la Principauté d'Andorre au traité entre la République française et le Royaume d'Espagne relatif à la coopération transfrontalière entre collectivités territoriales (n° 3337) ;

– M. Eric Raoult, rapporteur du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc sur l’assistance aux personnes détenues et sur le transfèrement des condamnés (n° 3520) ;

– M. Loïc Bouvard, rapporteur du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté de Monaco relative à l’approvisionnement de la Principauté de Monaco en électricité (n° 3521) ;

– M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur du projet de loi autorisant la ratification de l'accord de stabilisation et d'association entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la Serbie, d'autre part (n° 396 (2010-2011) Sénat) ;

– M. Didier Mathus, rapporteur du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales (n° 450 (2010-2011) Sénat) ;

– M. François Loncle, rapporteur du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kazakhstan relatif à la coopération en matière de lutte contre la criminalité (n° 3261) et du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kazakhstan dans le domaine de la protection civile, de la prévention et de l’élimination des situations d’urgence (n° 3390).

La séance est levée à onze heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 12 juillet 2011 à 10 h 30

Présents. - Mme Martine Aurillac, M. Jean-Paul Bacquet, M. Roland Blum, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Chantal Bourragué, M. Loïc Bouvard, M. Gilles Cocquempot, M. Alain Cousin, Mme Marie-Louise Fort, M. Paul Giacobbi, M. Gaëtan Gorce, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Jean-Paul Lecoq, M. Robert Lecou, M. François Loncle, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Éric Raoult, M. François Rochebloine, M. André Santini, M. André Schneider, M. Dominique Souchet, M. Michel Terrot

Excusés. - Mme Nicole Ameline, Mme Sylvie Andrieux, M. Patrick Balkany, M. Jean-Louis Bianco, M. Claude Birraux, M. Alain Bocquet, M. Michel Delebarre, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Paul Dupré, M. Hervé Gaymard, M. Jean Glavany, M. Jean-Claude Guibal, M. Serge Janquin, M. Didier Mathus, M. Jean-Luc Reitzer, M. Jacques Remiller, Mme Odile Saugues, M. Michel Vauzelle, M. Éric Woerth