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Commission des affaires étrangères

Mercredi 14 décembre 2011

Séance de 9 h 30

Compte rendu n° 26

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de M. Francis Delon, secrétaire général de la Défense et de la Sécurité nationale, sur l’actualisation de l’analyse stratégique du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008

Audition de M. Francis Delon, secrétaire général de la Défense et de la Sécurité nationale, sur l’actualisation de l’analyse stratégique du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008

La séance est ouverte à neuf heures trente.

M. le président Axel Poniatowski. Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin M. Francis Delon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, auditionné par les commissions compétentes des deux assemblées afin de leur présenter les réflexions interministérielles relatives à la révision de l'analyse stratégique du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008. Le contenu du Livre blanc doit être actualisé au cours du second semestre de 2012, c'est-à-dire après l'élection présidentielle et avant la prochaine loi de programmation militaire pour la période 2013-2018.

Afin de préparer au mieux cette actualisation, le Président de la République vous a chargé, monsieur le secrétaire général, de conduire une réflexion interministérielle sur l'évolution du contexte stratégique depuis 2008. Il vous a notamment demandé d'analyser les principaux événements qui se sont produits au cours de cette période dans les domaines de la défense et de la sécurité et de formuler des propositions d'orientation. Il va de soi que cette actualisation ne préjuge en rien les décisions qui pourront être prises, après l'élection présidentielle, lors de la rédaction du nouveau Livre blanc. Selon les termes du mandat que vous a confié le Président de la République, il s'agit uniquement, à ce stade, de produire un document d'orientation stratégique qui sera examiné lors d'une réunion du Conseil de défense qui se tiendra en janvier 2012.

Je vous donne donc la parole pour que vous puissiez nous donner plus de précisions sur cette mission préparatoire et faire le point sur son état d’avancement.

M. Francis Delon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. Comme vous venez de le rappeler, monsieur le président, j'ai été chargé par le Président de la République d’un travail préparatoire sur la révision du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008. Votre commission a jadis auditionné M. Jean-Claude Mallet, qui présidait alors la commission chargée de la rédaction de ce document, et vous savez donc qu’à la différence des précédents Livres blancs, celui de 2008 prévoit une actualisation régulière, selon une périodicité de quatre années. Cet élément a du reste été repris lors des débats sur la loi de programmation militaire qui a suivi.

Politiquement, la révision du Livre blanc ne peut intervenir qu'après les grandes échéances politiques de 2012 – élections présidentielle et législatives –, de sorte que ce n'est qu'au deuxième semestre de l'année prochaine que nous pourrons nous interroger sur ce qui peut et doit changer par rapport aux conclusions tirées en 2008.

Le second semestre de 2012 sera également marqué par l'élaboration d'un budget triennal pour les années 2013-2015 et d'une nouvelle loi de programmation militaire. Depuis 2009, je le rappelle, ces lois sont présentées au Parlement et votées tous les quatre ans même si leur durée est de six ans : il s’agit d’une programmation glissante. L’actualisation du Livre blanc devra donc se faire dans une période très contrainte. Afin de faciliter cette tâche après l'élection présidentielle, le Président de la République m'a demandé d'entamer dès à présent un travail destiné à planter le décor du contexte stratégique. Ce travail, qu'il était prévu de terminer pour la fin de cette année, sera plus vraisemblablement achevé en janvier prochain, compte tenu de la charge qu’il représente. Il donnera lieu à un document qui sera rendu public au début de l'année prochaine après avoir été approuvé en Conseil de défense et de sécurité nationale.

Afin de mener à bien l'exercice demandé par le Président de la République, quatre groupes de travail ont été constitués, consacrés respectivement aux recompositions géostratégiques, aux architectures de sécurité collective et outils de gestion de crise, aux risques et menaces auxquels sont confrontées nos sociétés, comme la prolifération, le terrorisme ou la cybermenace, et – chose nouvelle – aux enjeux économiques et sociétaux, concernant notamment la crise économique et financière, l'accès aux ressources, l'aide au développement et l'acceptation sociale des enjeux de sécurité et de défense.

Ces quatre groupes de travail se sont réunis jusqu'au début du mois de novembre. À la fin du mois d'octobre, nous avons organisé un séminaire international réunissant des experts français et étrangers, ces derniers nous permettant de disposer d'un regard extérieur indispensable dans un exercice de cette nature. Les groupes de travail avaient un caractère institutionnel : sollicitant les ministères concernés – principalement ceux de la défense, des affaires étrangères, de l’intérieur, et de l’économie –, ils étaient présidés par de hauts fonctionnaires et des officiers généraux issus de ces ministères. J'étais chargé de la coordination de ce travail typiquement interministériel.

Au-delà de ce travail préparatoire, des consultations ont été menées avec nos partenaires allemands et britanniques, sur la base de questionnaires et d'entretiens qui nous ont permis de recueillir leurs réactions sur diverses thématiques et sur les observations que j’avais moi-même formulées à propos des résultats de nos premières analyses.

Si le Parlement a participé à l'élaboration du Livre blanc, comme il participera, je l'espère, à sa réactualisation en 2012, la portée plus restreinte de l'exercice et la contrainte des délais n'ont pas permis d'associer des représentants de l'Assemblée nationale et du Sénat à ce travail institutionnel réalisé au sein de l'administration. En revanche, il a semblé nécessaire d'informer les commissions compétentes des deux assemblées et de recueillir leurs observations avant la finalisation du document de synthèse final. Vos remarques seront donc particulièrement bienvenues. Elles nous permettront, le cas échéant, d'infléchir certains aspects du document en préparation.

Après ces considérations de méthode, j'en viens au fond des choses.

Il faut tout d'abord signaler que l’analyse stratégique menée en 2008 est très largement confirmée. J'en citerai quelques exemples.

La mondialisation, phénomène essentiel relevé en 2008, demeure un paramètre central de la donne stratégique mondiale. Aujourd'hui encore, les revers de la mondialisation induisent des incertitudes stratégiques qui peuvent être inquiétantes pour nos intérêts, pour l'Europe et pour le monde occidental.

L'identification de quatre zones critiques pour la France, parmi lesquelles se dessinait un arc de crise allant de l'Atlantique à l'océan Indien, reste également pertinente. Cet arc de crise demeure une zone d'intérêt de sécurité prioritaire compte tenu des tensions et des incertitudes qui l'affectent – qu’il s’agisse de la zone du Sahel, déjà identifiée en 2007-2008 comme porteuse de dangers du fait de la montée d’Al-Qaida au Maghreb islamique et des événements importants qui se sont produits depuis 2008 dans cette région ou au Moyen-Orient. Cette zone proche – parfois à nos portes – et avec laquelle nous entretenons, comme en Afrique du Nord, des liens intimes, est importante pour nous.

Les vulnérabilités nouvelles identifiées en 2008 pour le territoire et les citoyens européens demeurent. C’est le cas notamment du terrorisme – sur lequel je reviendrai tout à l’heure –, de la menace balistique, de la cybermenace, des grands trafics, des risques naturels et sanitaires et des risques technologiques, illustrés par l’accident de Fukushima.

L'idée d'une continuité entre sécurité intérieure et extérieure et d'une interconnexion croissante des menaces et des risques a été validée par les faits depuis l'élaboration du Livre blanc.

Enfin, la pertinence du concept de stratégie de sécurité nationale, grande novation du Livre blanc de 2008 par rapport aux Livres blancs précédents, centrés sur la défense, nous semble confirmée. Cette stratégie reste le cadre structurant de notre politique de défense et de sécurité.

Depuis 2008, le panorama stratégique dressé par le Livre blanc a cependant évolué.

Il a tout d'abord connu des évolutions politiques et stratégiques majeures touchant le monde arabe. Le « printemps arabe » ou les révoltes arabes sont des événements considérables du fait de la proximité de ces pays avec nos intérêts. Le cycle de recomposition politique du monde arabe dans lequel nous sommes entrés représente une rupture certes souhaitable, car elle a permis à ces peuples de s’exprimer, mais également porteuse d'incertitudes en termes stratégiques : c'est là un phénomène dimensionnant pour dessiner le contexte stratégique de la politique de la France.

En deuxième lieu, la reconfiguration de l'équilibre des puissances, déjà observée en 2008, où commençait à prendre forme la notion de « pays émergents », s'est accélérée sous l'effet de la crise économique et financière. On observe notamment une consolidation de la dynamique chinoise et l'affirmation de nouvelles puissances, comme l'Inde et le Brésil. Par ailleurs, au-delà des fragilités structurelles qui continuent de l'affecter, le continent africain connaît une dynamique politique, économique et démographique qui pourrait le repositionner sur la scène internationale.

Le troisième élément marquant du paysage stratégique depuis 2008 est l'achèvement de la séquence stratégique américaine dessinée après le 11 septembre 2001et marquée par une décennie d'intervention militaire, en Afghanistan et en Irak, sur un mode essentiellement contre-insurrectionnel. L'Amérique, tirant les conséquences de la montée de la Chine, se tourne aujourd'hui davantage vers le Pacifique. Elle subit également les effets de la crise économique et financière, qui se traduisent notamment par une diminution de son budget de la défense. Cette diminution, qui sera au minimum de 450 milliards de dollars sur dix ans, pourrait être deux fois plus importante selon les divers scénarios envisagés. Pour relativiser les chiffres, il faut cependant observer qu’une telle réduction ne ferait que ramener approximativement le budget américain de la défense à son niveau des années 2000. Il n'en reste pas moins que cette évolution aura des répercussions sur l'Europe, notamment sur l'Alliance atlantique.

Un autre élément important est le terrorisme, toujours présent et parfois plus dangereux encore pour nous, notamment dans la zone sahélienne, où AQMI continue de monter en puissance, profitant d'opportunités liées à des situations qu'elle n'a pas provoquées, comme l’affaire libyenne, ou se rapprochant de Boko Haram, au Nigeria. AQMI opère dans une zone à laquelle nous nous intéressons beaucoup et dans un contexte qui l'a conduite à faire de la France l'un de ses ennemis principaux, ce qui induit pour nos ressortissants dans la région et pour le territoire français des risques contre lesquels nous devons nous protéger. Certains mouvements affiliés à Al-Qaida restent très dangereux, comme dans la péninsule arabique, en Afghanistan et au Pakistan. Cependant, ce que les spécialistes désignent comme « Al-Qaida central », noyau autrefois dirigé par Ben Laden et dessinant une stratégie qui se voulait universelle selon un « agenda » de lutte globale et de choc des civilisations, est désormais très affaiblie par la mort de Ben Laden. Il s’agit là en effet d’un événement considérable non seulement sur le plan symbolique – ce qui compte déjà beaucoup dans une lutte idéologique –, mais aussi sur le plan opérationnel, même si les effets n'en sont pas immédiatement observables. L'organisation n'est désormais plus centralisée, capable de mener des opérations telles que celle du 11 septembre, mais elle est plus fragmentée, plus diffusée sur l’ensemble des territoires et plus ancrée dans des problématiques régionales, comme c’est le cas pour le Maghreb, la péninsule arabique, le Pakistan et l'Afghanistan. Globalement, donc, l’importance stratégique de cette organisation doit être remise en perspective depuis les analyses réalisées en 2007 et 2008.

Enfin, Fukushima a des conséquences qui, au-delà des débats engagés dans plusieurs pays – dont le nôtre – sur les politiques énergétiques et la place du nucléaire, portent sur la conception de la gestion de crise. En effet, le Livre blanc de 2008 ne porte pas seulement sur la défense, mais également sur la sécurité nationale et prend donc largement en compte la dimension de la protection des populations. Il convient ainsi d'envisager non seulement les risques de nature militaire, mais également les risques naturels et technologiques.

De ces éléments se dégagent diverses conséquences en termes d'enjeux structurants pour notre politique de défense et de sécurité dans les prochaines années.

Le premier thème est celui du maintien de notre autonomie stratégique comme ligne directrice pour notre politique de défense et de sécurité. Ce principe doit être décliné sur les plans politique, militaire, économique et industriel.

En deuxième lieu, notre politique doit aussi s'exprimer en cohérence avec un cadre multilatéral en transformation, marqué par l'émergence de certains pays, laquelle se traduit également dans les forums multilatéraux, notamment à l'ONU. La réforme du Conseil de sécurité n'est toujours pas faite et n'est probablement pas pour demain. Sur cette question très compliquée, la position très avancée de la France, favorable à un élargissement de la composition du Conseil de sécurité, n'est pas partagée par tous les membres permanents de cette instance, mais le paysage change : les pays émergents se font davantage entendre et peuvent parfois même bloquer les décisions ou les rendre plus difficiles. Il faut également prendre en compte la montée des organisations régionales, comme la Ligue arabe, qui joue notamment un rôle essentiel dans la crise syrienne, ou l'Union africaine.

En troisième lieu, il convient de prendre en compte les risques et les menaces affectant les territoires et les populations. Ainsi, la cybermenace, évoquée pour la première fois par le Livre blanc de 2008, est considérablement montée en puissance et devient structurante sur le plan stratégique pour nos politiques de défense. La cybermenace ne vise pas seulement nos intérêts industriels et commerciaux car elle comporte également une dimension sécuritaire : en plus de la cybercriminalité et de l’espionnage, nous devons tenir compte des possibilités de sabotage et de l'utilisation de cette arme dans les conflits.

J'ai déjà évoqué les évolutions observées dans le domaine du terrorisme. Quant à la menace balistique, peu évoquée dans le Livre blanc de 2008, elle concerne essentiellement l'Iran et ne se limite pas au nucléaire.

Il faut également citer le développement des trafics et de la criminalité organisée, qui peut avoir une incidence très déstabilisatrice sur des pays fragiles, voire sur des pays d'une certaine taille, comme en Amérique centrale ou en Afrique de l'Ouest, avec des conséquences en chaîne sur la fiabilité de certains États.

Enfin, les risques naturels et technologiques peuvent également déclencher des crises majeures, comme je l'ai déjà indiqué en évoquant Fukushima.

La prévention des conflits continuera d'être un enjeu. Dans cette perspective, la France a substantiellement réaménagé son dispositif militaire depuis 2008. Pratiquement tous les accords de défense que nous avions conclus ont été renégociés ou sont en cours de renégociation avec les pays concernés.

La prévention des conflits, c’est une action résolue contre la prolifération et aussi l’approfondissement d’une approche sécurité-développement pour laquelle l’Union européenne dispose d’atouts indéniables.

Je conclurai en évoquant la défense européenne, structurante pour nos intérêts. Celle-ci se décline en trois volets.

Le premier est celui de la construction de la politique de sécurité et de défense commune au sein de l'Union européenne. Nous avons fait beaucoup pour faire avancer cette politique durant la présidence française de l’Union et le traité de Lisbonne a également fourni de nouveaux outils à cet égard. Force est cependant de constater que nous ne sommes pas aujourd'hui dans une phase particulièrement riante du développement de cette politique. La position de la France consiste néanmoins à pousser dans ce sens.

Le deuxième volet est celui des partenariats bilatéraux ou multilatéraux que la France a noués. Ainsi, le traité de Lancaster House conclu avec le Royaume-Uni traduit de façon très pragmatique la proximité politique, stratégique et militaire de deux pays qui n'ont pas toujours été alliés, mais qui le sont aujourd'hui et qui en tirent des conséquences pour le rapprochement de leurs outils de défense. De même, le Triangle de Weimar, qui rapproche la France, l'Allemagne et la Pologne, s'efforce de peser dans la dynamique de la construction d'une politique de sécurité et de défense commune au sein de l'Union.

Le troisième volet est celui de l’Alliance atlantique. Le Livre blanc a préconisé le retour de la France dans les structures intégrées de l'OTAN. Depuis que ce retour a eu lieu, la France bénéficie dans cette enceinte d'une plus grande influence, ses positions y sont mieux comprises et elle n'a jusqu'à présent pas eu à concéder d'abandon de souveraineté pour l'emploi de ses forces. Les réformes à venir de l'OTAN sont cruciales pour nous et devraient permettre de voir mieux prendre en compte nos positions.

M. le président Axel Poniatowski. Votre réflexion porte sur les menaces, et non pas encore sur la reconfiguration des moyens à mettre en œuvre, ce qui n’est pas, j’y insiste, ce dont il est aujourd’hui question.

Compte tenu du dossier iranien et des déclarations dont la presse faisait état ce matin et selon lesquelles l’Arabie saoudite envisagerait de se doter de l’arme atomique, pourriez-vous évoquer plus précisément l’évolution de la menace nucléaire ?

M. Jean-Marc Roubaud. De grands pays s'investissent beaucoup en Afrique et dans l'aide au développement. Quelle stratégie préconisez-vous en la matière ?

Par ailleurs, la présidence française du G20 et du G8 a-t-elle modifié les analyses de 2008 ?

Mme Élisabeth Guigou. Monsieur le secrétaire général, je vous remercie pour votre exposé.

Pour ce qui concerne le Sahel, les débuts de la coopération régionale engagée notamment entre l'Algérie et le Mali vous semblent-ils porter des fruits ?

Avez-vous par ailleurs examiné la question de la sécurité alimentaire parmi les enjeux stratégiques à venir ?

Quant à la défense européenne, il semble que la question de son existence soit posée : on fait du « libre-service », mais il n’y a aucune décision concrète ni aucune coopération renforcée au titre du traité de Lisbonne. La réintégration de la France au sein des organes intégrés de l'OTAN a par ailleurs certainement tari une source de financement – ou du moins de moyens – au service d'une défense européenne. Quel est votre sentiment à ce propos ? Quelles sont en outre les perspectives de mutualisation des efforts et des budgets nationaux de défense dans le contexte de la crise financière ?

Mme Chantal Bourragué. Pouvez-vous déjà tirer des leçons des réussites et des insuffisances de l'intervention française en Libye ?

Par ailleurs, comment le Livre blanc prendra-t-il en compte les questions économiques et financières et leur impact sur les moyens mis en place ?

M. Jean-Louis Christ. Quelles pourraient être la « voilure » et les implantations de la présence militaire française sur le continent africain ? Quel pourrait être le rôle de cette présence pour la mise en œuvre de l'architecture de paix et de défense de l'Union africaine ?

M. Michel Terrot. Monsieur le secrétaire général, je vous félicite pour la clarté de votre exposé. En Afrique, on voit bien se mettre en place la nouvelle architecture de la présence française à Libreville, Djibouti et Abou Dhabi, au détriment de Dakar et de quelques autres emplacements. Qu’en est-il, à moyen terme, de la présence française à N'Djamena, vouée à disparaître selon le Livre blanc de 2008 ? Ne faut-il pas reconnaître aujourd'hui la nécessité du maintien d'une présence française pérenne dans cette zone ?

M. Jean-Paul Lecoq. Quelle est l'enveloppe qui vous semble acceptable pour le budget de la défense français, sachant qu’il sera nécessairement en diminution ?

Par ailleurs, comment se traduira concrètement le thème nouveau de l'acceptation sociale des enjeux de défense ?

Quant à la cybermenace et à la cyberdéfense, un travail est-il engagé sur la cyberintervention ? Au lieu de viser des civils avec des armes conventionnelles, est-il possible de neutraliser des États avec de tels moyens ?

M. Jacques Myard. Monsieur le secrétaire général, la défense européenne que vous évoquez est une idée d'avenir, et qui le restera longtemps.

En 2008, l'arc de crise s'étendait jusqu'à l'Afghanistan. Est-ce à dire que votre analyse prend aujourd'hui mieux en compte la réalité de nos limites ?

Vous n'avez pas suffisamment souligné que l'enjeu des prochaines années serait la rupture démographique, notamment en Afrique, où il n'y a plus d'État et où s'installe un chaos permanent. De fait, le Nigeria, qui comptait 75 millions d'habitants lorsque j'y étais en poste et où l'on fusillait allègrement sur la plage, en compte peut-être aujourd’hui 160 millions. En Égypte, la population augmente chaque année de 1,2 à 1,3 million d'habitants. Des ruptures fondamentales se produiront nécessairement.

Quant à l'autonomie de nos moyens, elle n'est pas seulement militaire, mais également économique, avec des politiques industrielles qui font défaut tant au niveau national qu'au niveau européen, et monétaire – car nous subissons aujourd'hui l'euro étrangleur. Nous avons perdu la maîtrise de nos moyens !

M. Jean-Michel Boucheron. Il serait souhaitable que le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale vienne plus souvent devant la Commission des affaires étrangères, car ses analyses touchent des points fondamentaux qui déterminent notre politique étrangère.

Je tiens à souligner que la réduction de 450 milliards de dollars du budget de la défense des États-Unis s'accompagnera, avec le retrait d'Irak et d'Afghanistan, d'une économie de 100 milliards de dollars par an : les moyens disponibles pour l'équipement seront encore supérieurs à leur niveau d'aujourd'hui. Du reste, la recherche-développement est en augmentation permanente. Le souhait des États-Unis d'intégrer l'ensemble de la défense européenne dans leur système reste donc un défi.

J'en viens à ma question : que pouvons-nous savoir de la réalité de l'armement qui circule dans le Sahel depuis la révolution libyenne ?

M. Francis Delon. La menace nucléaire, monsieur le président Poniatowski, émane de deux pays non « dotés » au sens du traité de non-prolifération.

L’Iran, tout d’abord, n’a pas l’arme nucléaire, mais poursuit ses programmes en dépit des résolutions du Conseil de sécurité et du Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Un rapport récent de l’Agence décrit en détail les travaux que ce pays mène en ce sens. La menace se précise et grandit malgré tous les efforts pour la parer. C’est pourquoi la France soutient le durcissement de sanctions qui, contrairement à ce que l’on entend parfois, commencent à produire leurs effets, créant notamment des difficultés d’approvisionnement dans des secteurs stratégiques pour les Iraniens.

Le deuxième pays est la Corée du Nord, qui nous « promène » au fil de discussions qui s’apparentent à du chantage. Contrairement à l’Iran, ce pays possède probablement quelques engins nucléaires. Certes, il est éloigné de la France, mais il peut avoir un rôle de détonateur dans une zone très fragile, notamment vis-à-vis de la Corée du Sud et du Japon.

Par ailleurs, vous soulignez à juste titre l’effet d’entraînement que la politique menée par l’Iran peut avoir sur des pays voisins. Le prince Turki al-Fayçal a affirmé récemment – mais il l’avait déjà dit à de nombreuses reprises dans d’autres enceintes – que l’Arabie saoudite ne pourrait pas laisser l’Iran se doter de l’arme nucléaire sans réagir. On peut également penser à d’autres grands voisins. Lorsque je parle de la zone de risque allant de l’Afrique du Nord au Moyen-Orient, je prends en compte le risque iranien.

De nombreuses questions portent sur l’Afrique, que j’ai mentionnée tout à l’heure comme un continent émergent et dont la démographie, évoquée par Jacques Myard, est un élément important. Alors que l’on a longtemps considéré que ce continent était à l’écart de la croissance internationale et des grands mouvements affectant le reste du monde, on observe une certaine montée en puissance. La démographie, de ce point de vue, constitue une aide car l’Afrique est d’abord un continent sous-peuplé…

M. Jacques Myard. C’est très relatif : rendez-vous à Lagos, et vous m’en direz des nouvelles !

M. Francis Delon. Même s’il y a des zones de surpeuplement, le continent est globalement sous-peuplé.

Par ailleurs, si la menace du sida, présentée longtemps comme mortelle pour l’Afrique, n’est pas encore surmontée, il apparaît heureusement qu’elle a été sans doute surévaluée.

Sur le plan économique, donc, le continent redresse la tête. Sur le plan militaire, le Livre blanc de 2008 ne néglige nullement l’Afrique comme certains l’ont dit : son objectif est d’engager la réflexion pour redéfinir notre présence dans cette région du monde, en soulignant que les forces prépositionnées ne constituent pas forcément la bonne solution. Il existe en effet d’autres moyens pour maintenir et affermir la présence et l’influence de la France en Afrique.

Depuis 2008, nombre d’actions ont été menées pour mettre en œuvre ces recommandations. Le repositionnement de nos forces est en cours. Notre présence militaire au Sénégal a été considérablement réduite au profit d’une présence accrue au Gabon. Djibouti demeure une base importante. Reste le cas du Tchad, évoqué par M. Terrot. Le dispositif que nous y avons conservé n’a pas le même statut que celui du Gabon ou, auparavant, celui de Dakar : même si aucune décision définitive n’est encore prise, ce dispositif n’a pas vocation à être pérenne.

Au Sahel, madame Guigou, nous saluons et nous soutenons les efforts de coopération régionale. Plusieurs pays sont directement concernés, au premier rang desquels l’Algérie, le Mali, mais aussi le Niger et la Mauritanie.

Nous menons également une action de développement dans cette région en aidant à mobiliser des crédits européens. Il nous semble qu’une manière efficace de lutter contre AQMI est d’offrir aux populations locales un meilleur accès au développement afin qu’elles ne soient pas tentées par l’aventure sans lendemain que propose l’organisation terroriste.

S’agissant de la Libye, les événements récents laissent espérer la renaissance de coopérations régionales que le colonel Kadhafi avait essayé, sans succès, de promouvoir. Dans la situation actuelle, les pays de la région sont d’abord concentrés sur leurs problèmes internes, mais un rapprochement entre la Libye, la Tunisie et l’Égypte pourrait intervenir à terme.

Par ailleurs, quelle peut être l’analyse de notre intervention en Libye ? C’est la première fois que deux pays européens de l’Alliance atlantique, le Royaume-Uni et la France, se sont trouvés en première ligne – la présence américaine a été forte, certes, mais elle n’a pas été revendiquée comme telle. Il y a des leçons à en tirer au sujet de nos besoins de défense, mais aussi pour le fonctionnement futur de l’Alliance.

Nous suivons avec attention, monsieur Boucheron, le problème de la dissémination des armes. Dans les désordres qui ont accompagné les événements de Libye, des armes sont en effet sorties des arsenaux libyens. Notre plus grande crainte concerne les missiles sol-air de type MANPADS (man-portable air-defense systems), qui peuvent constituer une menace pour l’aviation civile. Nous suivons la question en liaison étroite avec les autorités libyennes, qui la prennent désormais très au sérieux et essaient de contrôler leurs frontières, et avec nos partenaires Américains et Britanniques. La menace doit néanmoins être relativisée : il s’agit soit de missiles très anciens qui pourraient ne pas être opérationnels, soit de missiles très modernes qui exigent des conditions de conservation et d’opération rendant peu vraisemblable leur utilisation effective par un groupe terroriste. Cela étant, nous prenons la question très au sérieux et nous prenons des mesures de précaution dans la zone sahélienne en liaison avec les États concernés.

Je ne crois pas, monsieur Myard, que nous ayons réduit la taille de l’arc de crise. Le dessin tracé en 2008 demeure valable aujourd'hui.

Je ne peux en revanche répondre aux questions relatives aux conséquences de la crise et des mesures budgétaires sur la défense française. Ces sujets viendront en discussion dans la deuxième phase de l’exercice, à savoir la révision proprement dite du Livre blanc. Aujourd'hui, je me borne à planter le décor et à décrire les menaces qui pourraient avoir une incidence structurante sur la stratégie de la France.

Je souscris à la remarque de M. Boucheron : l’importance de la réduction du budget de défense des États-Unis doit être relativisée.

M. Lecoq me demande si la France a une stratégie de « cyberintervention ». Je le renvoie au Livre blanc de 2008, qui évoque pour la première fois la lutte informatique offensive et indique que tout grand pays doit se poser la question. Je m’en tiendrai là sur un sujet qui est, vous le comprendrez, fortement classifié.

M. Jean-Paul Lecoq. J’ai également posé une question sur l’acceptation sociale de la politique de défense.

M. Francis Delon. Nous prenons en compte cet aspect. Le document comprendra différents points sur la relation des Français avec leur défense – une relation, à mon sens, plutôt saine – et sur l’esprit de défense.

M. le président Axel Poniatowski. Plusieurs questions portaient également sur la politique européenne de défense…

M. Francis Delon. Mme Guigou a parlé à ce sujet de « libre-service » de la part de la France. Je voudrais nuancer ce propos. Fondamentalement, la France soutient l’idée d’une défense européenne. Une politique de défense commune est indispensable à l’Union. Je ne crois pas que le retour de notre pays dans les structures intégrées de l’OTAN ait affaibli cette politique. Au contraire, on a ainsi retiré des arguments à ceux qui considéraient que la France ne soutenait la défense européenne qu’en raison de sa réserve à l’égard de l’OTAN.

M. Robert Lecou. Le Sahel est une région stratégique pour la France. Notre pays y est menacé alors qu’il n’y existe sans doute que quelques centaines de terroristes. Le lien entre ces derniers et les populations locales, notamment les Touaregs, est donc important. Cette région qui pourrait vivre du tourisme est largement classée en zone rouge. Quelle influence la France peut-elle avoir dans les relations, pas toujours constructives et partenariales, entre ces populations et leurs gouvernements, en particulier au Mali ?

M. Jean-Claude Guibal. Vous avez décrit, monsieur le secrétaire général, un monde dangereux où s’accumulent des menaces multiformes : ruptures démographiques, accumulation de pouvoirs des grands pays émergents, cybercriminalité, poids des religions, conflits régionaux... Vous avez mandat pour établir la liste de ces menaces et pour les évaluer en vue d’élaborer une stratégie. Quelle est, de toutes ces menaces, celle qui vous semble la plus préoccupante ?

Par ailleurs, comment envisagez-vous aujourd'hui l’objectif de l’Union pour la Méditerranée, qui est de faire de la Méditerranée un « lac de paix » ?

M. Philippe Cochet. Votre rôle est d’avoir un ou plusieurs malheurs d’avance. Quelle est, à cet égard, votre approche des trois grandes thématiques internationales que sont l’accès à l’eau, l’accès à la nourriture et l’accès à l’énergie ?

M. François Loncle. Les nombreuses questions posées sur le Sahel montrent que le sujet est de plus en plus préoccupant. La France est-elle capable d’assumer les conséquences des guerres qu’elle mène ? Cette question est particulièrement vive après la guerre en Libye. Se posent à la fois le problème des armes et celui des réfugiés. Faute de travail, certains de ces derniers ont rejoint différents groupes, dont, probablement, AQMI. Quelle est l’action de l’armée française sur place pour lutter contre ces dangers ?

M. Michel Vauzelle. Comment une défense européenne pourrait-elle prospérer si la défense atlantique fait l’objet d’un agrément général ? Je doute, à cet égard, qu’il puisse exister une souveraineté partagée : il y a toujours un partenaire qui est plus souverain que l’autre. C’est le cas avec l’Allemagne sur le plan européen ; c’est le cas avec les États-Unis sur le plan de l’Alliance. La France a-t-elle réellement gagné en influence en ayant un officier général à Washington ? N’assiste-t-on pas à l’abandon de souveraineté auquel s’opposaient tant la tradition gaulliste que l’action du Président Mitterrand ?

M. Hervé de Charette. Il serait souhaitable que notre commission consacre une séance entière aux conséquences de la guerre en Libye.

Dans la perspective de l’élaboration d’un nouveau Livre blanc, la question de la pertinence de notre décision de réintégrer l’ensemble des commandements militaires de l’Alliance se pose et mérite une évaluation. On nous a « vendu » cette initiative en affirmant qu’elle rendrait enfin possible la démarche européenne de défense, bloquée depuis des dizaines d’années en raison de l’isolationnisme reproché à la France vis-à-vis de l’Alliance. Or il ne s’est rien passé !

Tout cela n’est pas sans conséquences sur notre stratégie : l’idée d’une entité européenne propre en matière de défense ayant fait naufrage, il ne peut plus y avoir d’intervention militaire française en dehors de l’Alliance.

M. Jean-Paul Bacquet. Le problème de l’Afrique donne lieu à des commentaires excessifs dans un sens comme dans l’autre. Il y a une cinquantaine d’années, René Dumont écrivait L’Afrique noire est mal partie. Si son propos s’était vérifié, il n’y aurait aujourd'hui plus personne en Afrique. À l’opposé, les écrits de Jean-Michel Severino ou de Serge Michaïlof sont d’un optimisme considérable.

Ce que l’on sait, c’est que le taux de croissance actuel de l’Afrique est d’environ 7 %. C’est un élément positif pour l’avenir, même si, à l’évidence, les richesses ne sont absolument pas réparties. De plus, toutes les projections démographiques montrent que le continent comprendra 2 milliards d’habitants en 2050. Enfin, si l’évolution de l’épidémie de sida est moins dramatique que ne le laissaient prévoir les évaluations, c’est qu’il faut reconnaître quelque efficacité à l’intervention internationale en matière de prévention et de traitement.

Monsieur le secrétaire général, ne pensez-vous pas que l’aide au développement soit le vecteur principal de la sécurité en Afrique ?

Vous avez par ailleurs évoqué le budget de défense des États-Unis. Pourriez-vous nous donner des éléments sur l’évolution de celui de la Chine ?

M. François Rochebloine. Vous avez souligné la coopération étroite entre la France et le Royaume-Uni lors de l’intervention en Libye. Une intervention en Syrie est-elle souhaitable et réalisable dans le contexte actuel ?

M. Loïc Bouvard. Je regrette que le Parlement n’ait pas été associé à l’élaboration de cette « toile de fond ». Au vu du nombre des questions posées aujourd'hui, ne pensez-vous pas qu’il aurait été utile d’inviter quelques députés et sénateurs avertis à enrichir la réflexion ?

Au cours de votre exposé, vous n’avez pas mentionné une seule fois la Russie. Or j’ai pu constater, à l’occasion de la réunion de la grande commission parlementaire France-Russie, combien les Russes se tournent vers notre pays. Sans doute devriez-vous prendre davantage en compte les relations entre nos deux nations.

J’ai également participé il y a une semaine, avec plusieurs collègues, au Forum transatlantique de Washington. Il apparaît que, pour les Américains, l’Alliance atlantique représente non seulement l’avenir militaire, mais aussi l’avenir politique, et que cette évolution est souhaitée par nombre de nos partenaires européens.

Concernant l’Afrique, j’ai été étonné de vous entendre parler de « puissance émergente ». Je me permets de vous renvoyer au livre de Paul Collier The Bottom Billion, ce milliard d’individus qui n’émergeront jamais et qui, pour la plupart, sont des Africains. La population de l’Afrique doublera en vingt ans, mais il faut regarder dans quel état elle se trouve et combien de personnes vivent avec moins d’un dollar par jour ! Bref, je pense que l’Afrique n’est pas un élément de force mais un élément de grande faiblesse, et l’aide au développement que nous pouvons apporter est une goutte d’eau dans l’océan. Pour avoir participé à une mission sur le développement, j’ai été atterré par le peu d’impact de notre action. En Afrique noire, c’est une véritable catastrophe. Je pense donc que votre analyse est un peu trop optimiste.

M. Francis Delon. Je tiens à préciser que j’écoute avec beaucoup d’attention vos interventions, qui viendront nourrir le document que nous sommes en train de rédiger.

Si nous avons estimé, monsieur Bouvard, qu’il n’était pas possible de faire participer l’Assemblée nationale et le Sénat à l’exercice, c’est que celui-ci ne représente qu’une parcelle du travail préparatoire à la révision du Livre blanc. Le Parlement sera associé à la deuxième partie du travail, la plus substantielle. Se posait en outre la question des délais. Mais, comme vous, je suis persuadé que l’aide de parlementaires avisés ne peut qu’être très utile.

Notre ligne politique constante au Sahel, monsieur Lecou, est de nous appuyer sur les États. Nous évitons toute action pouvant apparaître comme une interférence dans leur politique intérieure. La question des Touaregs est éminemment sensible pour le Mali comme pour d’autres pays de la région. Nous n’avons de relations à ce sujet qu’avec les autorités de Bamako.

Vous avez raison, monsieur Guibal, d’évoquer ici l’Union pour la Méditerranée car il est évident que cette zone doit retenir toute notre attention, s’agissant de nos intérêts de sécurité

Notre analyse, monsieur Cochet, abordera les questions d’accès à l’eau, à la nourriture et à l’énergie, qui sont en effet structurantes en matière d’équilibre stratégique.

Sans doute vos interrogations au sujet du Sahel, monsieur Loncle, n’appellent-elles pas de réponse directe. La France, bien entendu, s’efforce de se donner les moyens de gérer ses interventions militaires.

Je ne crois pas, monsieur Vauzelle, que le retour de la France dans la structure intégrée de l’OTAN et la présence de militaires français dans cette structure constituent un abandon de souveraineté, et je ne pense pas que ce soit l’impression générale des Français. Notre pays a joué un rôle majeur dans l’intervention en Libye sans avoir à recevoir d’ordres de personne.

Vos interrogations, monsieur de Charette, ont également trait aux conséquences du retour de la France dans l’OTAN sur la défense européenne et sur notre autonomie stratégique, qui est pour nous l’enjeu principal des prochaines années. Même s’il y a pu avoir une inquiétude au moment où l’on a pris la décision du retour, je ne crois pas que ce processus ait affaibli notre autonomie stratégique – concept à mes yeux majeur à l’horizon 2020. Il faut d’ailleurs rappeler que la France a déjà fait partie de la structure intégrée par le passé. Aujourd'hui, dans l’équilibre des forces au niveau mondial, nous ne sommes pas en situation de dépendance stratégique.

J’en viens à votre question sur la capacité de la France de mener désormais une action en dehors d’une alliance occidentale. À la vérité, je vois assez peu de situations dans lesquelles la France pourrait être amenée à agir autrement qu’en relation étroite avec ses alliés occidentaux. Cela l’empêchera-t-elle de dire non à certaines interventions comme elle l’a fait par le passé, notamment au sujet de l’Irak ? Je ne le crois pas !

L’aide au développement, évoquée par M. Bacquet et M. Bouvard, est insuffisante et, d’une certaine façon, le sera toujours. Elle peut néanmoins jouer un rôle. Je le répète, un des moyens de lutter contre AQMI passe par cette aide combinée à l’action militaire.

La Chine, monsieur Bacquet, occupe désormais une place de tout premier plan dans le paysage stratégique mondial. Les États-Unis la considèrent comme leur principal concurrent et compétiteur – je ne dirai pas « ennemi », tant les relations de coopération sont importantes. La Chine augmente régulièrement ses budgets militaires, avec des ambitions à la mesure de son poids croissant sur la scène politique. Dans les années 1990, au Conseil de sécurité de l’ONU, elle s’intéressait essentiellement à son environnement proche. Aujourd'hui, elle se comporte comme un acteur mondial ayant une approche globalisée.

Cela étant, ses dépenses de défense représentent de façon relativement stable 2 % de son PIB.

Une intervention en Syrie, monsieur Rochebloine, devrait tirer sa légitimité d’une résolution du Conseil de sécurité. Or celui-ci, selon toute probabilité, ne bougera pas. La Russie, en particulier, s’oppose vigoureusement à toute idée d’intervention. En tout état de cause, le sujet n’est pas à l’ordre du jour.

Nous avons accru nos relations avec la Russie, monsieur Bouvard, comme l’atteste, entre autres, l’autorisation de la vente de BPC (bâtiments de projection et de commandement) à ce pays. Cela étant, la Russie n’a plus le même rôle dans le paysage stratégique international que celui qu’elle a pu jouer jusqu’aux années 1990. Sa démographie déclinante, par exemple, constitue une faiblesse structurelle.

M. Jacques Myard. L’OTAN, nous dit-on, est un outil technique. Comme le disait Donald Rumsfeld, c’est la mission qui commande la coalition. On a d’ailleurs pu le constater récemment. Il n’en demeure pas moins un problème d’affichage diplomatique. C’est sur ce point que j’ai été le plus critique lors de la réintégration – outre le fait que l’idée selon laquelle il fallait revenir dans l’OTAN pour réaliser la politique de défense européenne a échoué.

M. le président Axel Poniatowski. Ce n’est pas pour cette raison que nous sommes revenus dans la structure intégrée…

M. Jacques Myard. Rappelez-vous les déclarations d’alors !

M. le président Axel Poniatowski. Il s’agissait d’arguments à l’appui du retour, nullement de motifs !

M. Jacques Myard. Quoi qu’il en soit, je persiste à penser que l’affichage qui s’en est suivi ne renforce pas la position diplomatique de la France.

M. Francis Delon. Les personnes réticentes ou hostiles au retour dans les structures intégrées tenaient en effet ce raisonnement il y a une dizaine d’années : notre image, disaient-elles, risquait d’être affectée. Mais, que je sache, les populations libyennes qui appelaient au secours n’ont manifesté aucun refus de l’OTAN, non plus que les pays du Golfe qui se sont associés à l’opération.

M. le président Axel Poniatowski. S’il est clair que l’Europe de la défense est un échec – la seule coopération qui fonctionne bien est la coopération franco-britannique –, notre réintégration dans les principaux organes de l’OTAN est en revanche un réel succès et nous y avons une influence grandissante. À cet égard, je rejoins l’opinion exprimée par M. Vauzelle. On peut se poser des questions sur notre volonté, à moyen terme, de poursuivre à la fois notre implication dans l’OTAN et une politique européenne de défense.

M. Jacques Myard. Envoyer 800 officiers en Afrique au titre de la coopération militaire est plus efficace pour la stabilité du continent que d’avoir 800 officiers à Bruxelles et à Washington.

M. le président Axel Poniatowski. D’un autre côté, nous n’aurions jamais pu mener les opérations en Libye de cette façon si nous n’avions pas réintégré l’OTAN.

Monsieur le secrétaire général, nous vous remercions. Nous vous entendrons de nouveau lorsque vous remettrez votre document, en janvier ou en février de l’année prochaine.

La séance est levée à onze heures cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 14 décembre 2011 à 9 h 30

Présents. - Mme Nicole Ameline, Mme Sylvie Andrieux, Mme Martine Aurillac, M. Jean-Paul Bacquet, M. Jacques Bascou, M. Christian Bataille, M. Claude Birraux, M. Roland Blum, M. Alain Bocquet, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Chantal Bourragué, M. Loïc Bouvard, M. Hervé de Charette, M. Jean-Louis Christ, M. Philippe Cochet, M. Gilles Cocquempot, M. Pierre Cohen, Mme Geneviève Colot, M. Michel Destot, M. Jean-Paul Dupré, M. Jean-Michel Ferrand, M. Alain Ferry, Mme Marie-Louise Fort, M. Jean Glavany, M. Jean Grenet, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, M. Serge Janquin, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Patrick Labaune, M. Jean-Paul Lecoq, M. Robert Lecou, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Jacques Myard, M. Jean-Marc Nesme, M. Henri Plagnol, M. Axel Poniatowski, M. Jacques Remiller, M. François Rochebloine, M. Jean-Marc Roubaud, M. Rudy Salles, Mme Odile Saugues, M. André Schneider, M. Dominique Souchet, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle, M. Gérard Voisin, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Jean-Louis Bianco, Mme Danielle Bousquet, M. Pascal Clément, M. Alain Cousin, M. Tony Dreyfus, M. Jean-Pierre Dufau, M. Paul Giacobbi, Mme Henriette Martinez, M. Didier Mathus, M. Jean-Luc Reitzer, M. André Santini, Mme Christiane Taubira