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Commission des affaires étrangères

Mardi 17 janvier 2012

Séance de 16 h 45

Compte rendu n° 32

Présidence de Mme Martine Aurillac, vice-présidente

– Principauté de Monaco : approvisionnement en électricité (n° 3521) – M. Loïc Bouvard, rapporteur

– Kazakhstan : lutte contre la criminalité (n° 3261) et protection civile, prévention et élimination des situations d'urgence (n° 3390) – M. François Loncle, rapporteur

– Balkans : accords relatifs à la mobilité des jeunes avec la Macédoine (n° 3708), le Monténégro (n° 3709) et la Serbie (n° 3710) – M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur

– Nigeria : entraide judiciaire en matière pénale (n° 3316) – M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur

Principauté de Monaco : approvisionnement en électricité (n° 3521)

La séance est ouverte à seize heures quarante-cinq.

La commission examine, sur le rapport de M. Loïc Bouvard, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté de Monaco relative à l’approvisionnement de la Principauté de Monaco en électricité (n° 3521).

M. Loïc Bouvard, rapporteur. Madame la Présidente, mes chers collègues, notre commission est saisie, aujourd’hui, d’une convention signée par la France et Monaco le 25 juin 2009 et relative à l’approvisionnement de la Principauté en électricité. Avant de vous présenter, plus en détails, le dispositif de ce texte et de voir ce qu’il apporte à la relation privilégiée qui unit les Etats français et monégasque, il me semble utile de rappeler les raisons qui ont conduit à la négociation et à la signature de cette convention.

Vous n’ignorez pas, mes chers collègues, que l’exiguïté et l’enclavement du territoire monégasque ne permettent pas d’assurer de manière autonome l’approvisionnement en électricité de la Principauté. Dans ce domaine, comme dans d’autres secteurs énergétiques, Monaco a donc toujours été dépendant de la France pour subvenir à ses besoins même si ce pays a pris des initiatives louables en matière d’énergies renouvelables. Jusqu’à présent, l’approvisionnement de la Principauté a été régi par une convention signée en 1951 par EDF et la SMEG, c'est-à-dire la Société monégasque d’électricité et de gaz. La SMEG est le concessionnaire de la distribution publique d’électricité à Monaco. Aux termes de cet accord de 1951, la SMEG était considérée comme un « distributeur non nationalisé », ce qui permettait de lui fournir de l’électricité au tarif de cession prévu en France et, par conséquent, de faire bénéficier les résidents monégasques du même tarif que les consommateurs français. La concession de la SMEG, dans la Principauté, arrivant à échéance le 31 décembre 2008, EDF, à cette occasion, a souhaité rompre la convention de 1951 pour tenir compte du contexte européen lié à l’ouverture des marchés de l’électricité. A la suite de cette dénonciation, les autorités monégasques ont saisi le Gouvernement français afin d’établir un nouveau cadre juridique à la fourniture d’électricité à la Principauté. Le principe de continuer un approvisionnement aux tarifs en vigueur en France a été réaffirmé au plus haut niveau, c'est-à-dire par les chefs d’Etat français et monégasque, en avril 2008. Les négociations entre les deux pays ont alors conduit à la signature, le 25 juin 2009, du texte qui nous est aujourd’hui soumis, lequel est relativement court puisqu’il ne comprend que quatre articles.

L’article 1er pose le principe que les consommateurs finals monégasques continueront de bénéficier des mêmes tarifs réglementés que les consommateurs finals français. A cette fin, la Principauté de Monaco sera approvisionnée en électricité au tarif de cession conformément à la législation française. Comme aujourd’hui, la SMEG continuera d’être assimilée à un « distributeur non nationalisé ». A la demande de la France, cet article 1er indique expressément que les tarifs réglementés n’ont pour seul but que de « couvrir les besoins en électricité des consommateurs finals monégasques ». Est donc exclue une revente d’électricité à des sociétés étrangères, par la SMEG, au prix du marché.

L’article 2 prévoit que les conditions d’exploitation ainsi que l’accès au réseau électrique sont ceux prévus par la réglementation française.

L’article 3 indique que tout différend devra être réglé par la voie diplomatique.

Enfin, l’article 4 traite des modalités d’entrée en vigueur et d’amendement de la convention. Il stipule également que deux situations pourront mettre fin à celle-ci : soit sa dénonciation par l’une des deux Parties, soit une modification de la législation française relative aux tarifs de cession. Dans un cas comme dans l’autre, la France et Monaco seraient invitées à se rapprocher en vue de la négociation d’un nouvel accord maintenant l’égalité de traitement entre consommateurs français et monégasques.

Mes chers collègues, la convention qui nous est aujourd’hui soumise est utile et doit être approuvée. Pourquoi ?

En premier lieu, elle constitue une traduction concrète de la « communauté de destin » qui unit désormais la France et Monaco. Cette notion de « communauté de destin » a été définie par la convention franco-monégasque de 2002 qui a remplacé le traité de 1918, lequel limitait la souveraineté de la Principauté en établissant une « amitié protectrice » avec la France. Les relations étroites et privilégiées entre les deux pays justifient que la France aide Monaco dans un domaine vital pour elle : son approvisionnement en électricité.

En deuxième lieu, la France a un intérêt certain à ce qu’on applique aux résidents monégasques les mêmes tarifs qu’aux consommateurs français. Tout d’abord, cela ne peut avoir que des conséquences positives pour nos 8 000 compatriotes qui y résident. En effet, les Français vivant dans la Principauté appartiennent essentiellement aux classes moyennes. Ils sont confrontés à des loyers élevés et ne bénéficient pas d'un régime fiscal aussi favorable que les citoyens monégasques ou étrangers. Leur nombre est en constante diminution : Monaco perd près de 200 Français par an. Les conséquences de cette « érosion » de la communauté française sont négatives pour la France qui perd de l’influence dans les réseaux économiques et administratifs et dont la langue subit la concurrence croissante de l’anglais et de l’italien. Ces conséquences sont également négatives pour Monaco puisque les Français constituent, comme je l’ai dit, une classe moyenne essentielle au tissu économique local. Aussi la convention qui nous est aujourd’hui soumise contribuera-t-elle à réduire le risque d'une augmentation rapide du prix de l'électricité à Monaco et donc à y garantir une présence française aujourd'hui égale au quart de la population totale. Au delà de cet aspect, Monaco est, sur le plan économique, très intégré à notre pays et plus particulièrement à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. La Principauté forme avec les communes environnantes une agglomération de plus de 100 000 habitants et elle emploie, pour son seul secteur privé, plus de 27 000 Français à l'origine d'un nombre important de migrations quotidiennes. Très impliqué dans le tissu économique régional et ayant même participé au financement d'infrastructures autoroutières situées sur le seul territoire français, Monaco est donc devenu un véritable pôle d'activité qu’il n'est pas anormal d'approvisionner en électricité aux mêmes tarifs que ceux en vigueur en France.

De surcroît, je tiens à souligner que, dans le domaine énergétique, le manque d’autonomie de Monaco n’est pas un prétexte à l’inaction des autorités de la Principauté. Ces dernières s’intéressent vivement aux sujets environnementaux et n’entendent pas « consommer » de l’énergie sans aucune réflexion sur l’avenir. Elles sont, par exemple, parfaitement conscientes de la fragilité du réseau électrique de la Côte d’Azur – auquel Monaco est relié – et le gouvernement monégasque, a signé, il y a un an, un « contrat d’objectifs pour la sécurisation de l’alimentation électrique de l’est de la région PACA » auquel participent également l’Etat français, le conseil régional, les conseils généraux des Alpes-Maritimes et du Var mais aussi l’ADEME, RTE et un établissement public local.

Madame la Présidente, mes chers collègues, la convention du 25 juin 2009 sur l’approvisionnement de Monaco en électricité a donc pour objectif de prolonger un cadre existant depuis 1951. Elle met en œuvre, de manière concrète, dans un domaine stratégique pour la Principauté, la « communauté de destin » qui unit désormais Monaco et la France. Ces deux pays ont tout à gagner à la pérennisation d’une pratique historique conduisant à assimiler le consommateur monégasque à son homologue français. C’est donc au bénéfice de ces observations que je vous recommande d’adopter le projet de loi qui nous est soumis.

M. Michel Terrot. Merci, Monsieur le rapporteur, pour cet excellent rapport sur un sujet essentiel ! Pourriez-vous nous indiquer quelle est la procédure préalable à l’approbation d’une convention internationale de ce type à Monaco ? L’approbation relève-t-elle du Prince ou du Conseil national ?

M. Loïc Bouvard, rapporteur. La partie monégasque attend l’approbation française, elle-même conditionnée au vote par l’Assemblée du projet de loi qui a déjà été adopté par le Sénat. Il reviendra alors au Prince d’approuver cette convention par une ordonnance qui fixera aussi sa date d’entrée en vigueur. Le Conseil national est seulement saisi pour avis.

M. Robert Lecou. Le rapporteur a mentionné la « communauté de destin » entre la France et Monaco. La principauté dispose-t-elle d’autres possibilités d’alimentation électrique que la fourniture d’électricité par EDF ? Pourriez-vous nous préciser la nationalité des 100 000 habitants auxquels vous avez fait allusion ?

M. Loïc Bouvard, rapporteur. C’est l’ensemble de l’agglomération qui compte 100 000 habitants. La principauté de Monaco n’en a que 32 000 dont 8 000 Français et 7 000 Monégasques. Il y a environ 121 nationalités différentes à Monaco.

M. Pascal Clément. En tant que président du groupe d’amitié France-Monaco, je me réjouis de la conclusion de cette convention tout en observant que la précédente s’est éteinte en 2008. L’avenir de la « communauté de destin » s’annonce difficile notamment à cause de la chute du nombre de Français résidant à Monaco, conséquence du niveau très élevé des loyers et de l’application d’un régime fiscal identique à celui applicable en France, même pour ceux qui y résident depuis trente ou quarante ans.

J’ai rencontré, il y a quelques années, des membres du Conseil national, dont le pouvoir n’est pas négligeable, les avis qu’ils formulent étant presque toujours suivis. L’anglais et l’italien sont devenus des langues très pratiquées à Monaco, où elles concurrencent désormais le français. Le Prince a une double culture et une épouse anglophone. Si l’on veut que la « communauté de destin » se poursuive, il faut densifier le dialogue bilatéral et travailler à se rapprocher des autorités monégasques.

M. Loïc Bouvard, rapporteur. Vous avez tout-à-fait raison et il me semble que cette convention va dans le sens que vous jugez souhaitable.

M. Jean-Claude Guibal. L’agglomération de 100 000 habitants que vous évoquez constitue la quatrième circonscription des Alpes-maritimes, dont 30 000 habitants travaillent à Monaco. Cette agglomération forme un bassin d’emploi équivalent à celui de Sophia-Antipolis. Un ralentissement de l’activité économique monégasque ne manquerait pas de provoquer un séisme social dans les Alpes-maritimes. De la richesse privée est ainsi redistribuée à des Français et les autorités monégasques participent aussi au financement de certains équipements publics, en particulier en matière de transport.

Monsieur le rapporteur, savez-vous si la Principauté va participer au renforcement de la ligne haute-tension qui la dessert, ainsi que l’est des Alpes-maritimes ?

Par ailleurs, je partage avec notre collègue Pascal Clément l’idée qu’il faut veiller au maintien de la communauté française de Monaco qui est passée de 15 000 à 8 000 personnes au cours des dix dernières années. L’influence anglo-saxonne ne fait que s’accroître depuis le mariage du Prince Rainier et de la Princesse Grâce et la pression italienne est de plus en plus sensible, même si la francophilie du Prince Albert II ne peut pas être prise en défaut. Mais le statut fiscal des Français est moins favorable que celui dont bénéficient tous les autres résidents étrangers. L’envolée des prix de l’immobilier conduit un grand nombre des résidents français à être redevables de l’impôt sur la fortune, même s’ils ne possèdent qu’un minuscule bien immobilier. Depuis l’entrée en vigueur du nouveau traité bilatéral, le Prince n’est plus obligé de recourir exclusivement à des hauts fonctionnaires français. Les deux ministres d’Etat successivement nommés depuis lors étaient français mais ce pourrait ne plus être le cas dans l’avenir.

J’ai trois questions. Quelle est la consommation d’électricité de Monaco ? La SMEG est-elle autorisée à revendre de l’électricité à d’autres tarifs que ceux fixés par EDF ? La commission mixte chargée des relations franco-monégasques intervient-elle dans les questions de fourniture d’électricité ?

M. Loïc Bouvard, rapporteur. Il est certain que la pleine indépendance de Monaco et la possibilité pour le Prince de choisir des hauts fonctionnaires non français risque de contribuer à une perte d’influence française.

La consommation d’électricité s’est élevée à 536 gigawatts par heure en 2009, en légère diminution par rapport à 2008 (552 gigawatts par heure). Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, la revente de l’électricité à un tarif supérieur est interdite afin que le consommateur final paie toujours le même prix qu’en France. A ma connaissance, la commission mixte n’intervient pas dans ce domaine. Je ne sais pas si la Principauté contribue au financement de la ligne haute-tension.

M. Michel Vauzelle. La question du financement de la ligne haute-tension est encore l’objet de débat entre bailleurs de fonds français. La coopération entre la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur et Monaco est excellente dans de nombreux domaines au premier rang desquels l’eau, la mer et les activités maritimes et les transports ferroviaires, des trains appartenant à la région ou à Monaco circulant sur le réseau régional. J’éviterais toutefois de parler de l’exiguïté de la Principauté de Monaco alors que celle-ci finance actuellement une campagne de publicité dans laquelle elle se présente comme étant « à la taille du monde » !

M. Loïc Bouvard, rapporteur. Il n’en demeure pas moins que son territoire ne couvre que 2,02 km2.

Je voudrais revenir sur deux points importants : les rapports entre Monaco et l’Union européenne d’une part, et le fait que Monaco ne figure plus sur la liste noire des paradis fiscaux de l’OCDE d’autre part.

Monaco est pays tiers vis-à-vis de l’Union européenne. Néanmoins, et à la suite d’arrangements ad hoc, la Principauté fait partie du territoire douanier de la Communauté, est un point de passage autorisé pour l’entrée dans l’espace Schengen et l’euro a cours légal sur son territoire depuis le 1er janvier 1999.

Par ailleurs, la Principauté a signé deux accords avec l’Union européenne : le premier, sur la fiscalité des revenus et de l’épargne, établit sur tout le territoire de l’Union européenne une imposition forfaitaire des non-résidents sur les revenus de l’épargne, ainsi qu’un échange d’informations fiscales sous certaines conditions, le second porte sur l’exportation de produits pharmaceutiques et cosmétiques monégasques vers les Etats membres de l’Union européenne.

Après avoir été identifiée par l’OCDE comme paradis fiscal non-coopératif, la Principauté de Monaco a réalisé d’importants progrès en matière de transparence fiscale. En signant avec d’autres pays de nombreux accords bilatéraux en matière d’échange d’informations fiscales, Monaco a réussi à sortir de la « liste noire » de l’OCDE pour rejoindre la « liste blanche » des pays coopératifs en septembre 2009.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 3521).

*

M. Hervé de Charette. La presse vient de signaler que les consuls généraux des pays membres de l’Union européenne en poste à Jérusalem avaient remis leur rapport annuel sur la situation à Jérusalem-Est, qui dresse un tableau particulièrement alarmant et formule une série de propositions. Il me semble que ce rapport doit absolument être porté à la connaissance de la commission et que celle-ci devrait interroger le Gouvernement sur les conséquences qu’il entend en tirer.

M. Serge Janquin. La semaine prochaine je serai à Genève à l’Union interparlementaire où il sera question d’évaluer la situation. Les rapports interétatiques ne sont pas simples. Le jugement très sévère qui est porté risque en même temps de bloquer la situation, Israël s’est d'ores et déjà braqué.

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Kazakhstan : lutte contre la criminalité (n° 3261) et protection civile, prévention et élimination des situations d'urgence (n° 3390)

La commission examine, sur le rapport de M. François Loncle, le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kazakhstan relatif à la coopération en matière de lutte contre la criminalité (n° 3261) et le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kazakhstan dans le domaine de la protection civile, de la prévention et de l’élimination des situations d’urgence (n° 3390).

M. François Loncle, rapporteur. Les accords aujourd’hui soumis à l’Assemblée nationale participent de l’approfondissement des relations entre la France et le Kazakhstan qu’appelait de ses vœux le traité de partenariat stratégique signé le 11 juin 2008 par les deux pays.

Ces accords ont été signés le 6 octobre 2009, il y a donc plus de deux ans. Ce délai n’incombe d’ailleurs pas à la commission des affaires étrangères mais à un ordre du jour surchargé ou à une transmission tardive par le Quai d’Orsay. Les accords, déjà ratifiés par les autorités kazakhstanaises, visent à renforcer et à mieux encadrer la coopération en matière de lutte contre la criminalité et dans le domaine de la protection civile.

Le Kazakhstan est en effet exposé à de nombreux risques, criminels, naturels et technologiques. Si la coopération existante en matière de sécurité civile semble fructueuse, la coopération en matière de lutte contre la criminalité semble à la peine, victime d’un certain autoritarisme bureaucratique.

Pour vous familiariser avec ce pays que nous connaissons mal, je vous recommande un article de la revue Géo dont le titre, certes journalistique, est « Extravagant Kazakhstan » d’août 2011 : « Avec son pétrole, son or, son uranium et son président mégalo, cet immense pays indépendant depuis la chute de l’Union soviétique se voit comme un émirat des steppes entre Chine et Russie

Si le régime a fait avec succès le choix de l’ouverture sur le plan économique, il n’en va pas de même sur le plan politique. Le régime autocratique du Président Nazarbaev se caractérise ainsi par des atteintes répétées aux libertés fondamentales. La France semble pourtant faire fi de ces considérations pour privilégier une approche strictement commerciale.

Le Kazakhstan, cinq fois grand comme la France et peuplé de 16 millions d’habitants, est indépendant depuis le 16 décembre 1991. Fort de sa position géostratégique avantageuse et de ses nombreuses ressources naturelles, il suscite l’intérêt croissant des grandes puissances malgré une relation toujours privilégiée avec la Russie.

Le Kazakhstan détient en effet 75 % des réserves d’hydrocarbures de la mer Caspienne (3 % des réserves mondiales de pétrole, 1,7 % de gaz) et pourrait devenir d’ici 2020 le 7ème producteur mondial de pétrole, une fois le gisement géant de Kashagan entré en activité. Le Kazakhstan possède en outre les 2èmes réserves mondiales d’uranium. Il en est aujourd’hui le premier producteur.

Sur le plan politique, le Kazakhstan est dirigé de manière autoritaire par Noursoultan Nazarbaev, aujourd’hui âgé de 71 ans, depuis son indépendance. Il a été élu en avril dernier avec 95 % des voix.

Quant au multipartisme, il est purement décoratif, lors des élections parlementaires qui ont eu lieu dimanche dernier, le parti du Président, Nour Otan, a recueilli 80,74 % des voix. Deux autres partis, très proches du pouvoir, ont dépassé le seuil nécessaire de 7 %.

Les défenseurs des droits de l’Homme et les ONG dénoncent régulièrement les atteintes aux libertés fondamentales qui s’inscrivent actuellement dans un contexte de tensions sociales et de développement d’actes extrémistes.

Les célébrations du vingtième anniversaire de l’indépendance en décembre ont ainsi donné lieu à des troubles sévèrement réprimés dans l’Ouest du pays. Les protestations, d’abord organisées par des ouvriers du secteur pétrolier réclamant des hausses de salaires et s’opposant aux licenciements, ont trouvé un écho populaire en réaction à la violence de la répression qui a fait selon le bilan officiel 14 morts. Le président a décrété l’état d’urgence et a accusé les forces étrangères d’être à l’origine du mouvement de protestation.

C’est ce pays qui est le principal partenaire en Asie centrale de la France avec lequel elle a noué dès 2008 un partenariat stratégique concrétisé sur le plan politique par une commission présidentielle franco-kazakhstanaise, de nombreuses visites de haut niveau ainsi que l’ouverture en 2010 d’un consulat général à Almaty.

En matière économique, les échanges commerciaux sont déséquilibrés. Avec une part de marché de 1,6 %, la France demeure un partenaire secondaire pour le Kazakhstan alors que le pays est pour la France un partenaire stratégique dans certains secteurs : il est notamment l’un des premiers fournisseurs d’uranium pour Areva. Je regrette que dans le cas du Kazakhstan, comme dans d’autres, les visées économiques et commerciales françaises semblent interdire un dialogue critique avec le pouvoir sur les principes démocratiques.

J’en viens maintenant aux deux accords qui nous intéressent aujourd’hui dont je dois préciser la modeste portée.

L’accord relatif à la coopération en matière de lutte contre la criminalité, signé le 6 octobre 2009, vient renforcer la modeste coopération existante. Si la coopération technique fonctionne de manière satisfaisante, la coopération opérationnelle est difficile – l’obtention de renseignements est rendue particulièrement délicate par la nature du régime et la bureaucratie. L’accord signé diffère ainsi clairement des accords de coopération en matière de sécurité intérieure qui donnent un contenu bien plus dense à la coopération. En outre, au vu de l’expérience passée, il n’est pas acquis que cet accord parvienne à développer la coopération. A défaut, il a le mérite de lui apporter un cadre légal plus précis.

L’accord reprend les dispositions classiques des nombreux accords dans ce domaine que la commission des affaires étrangères a pu examiner et qui précisent les modalités de l’échange d’informations entre les deux pays et les domaines dans lesquels celui-ci peut intervenir. En outre, la portée de cet accord est particulièrement restreinte du fait des insuffisances de la législation kazakhstanaise en matière de protection des données personnel-les qui justifient l’interdiction d’échanger de telles données pour le moment.

Concernant la sécurité civile, le Kazakhstan est également exposé à de nombreux risques naturels et technologiques (séismes dans le sud, glissements de terrain et coulées de boue, feux de forêts dans les régions de montagne, inondations, risque chimiques nucléaires et industriels).

S’appuyant sur l’article 13 du traité de partenariat stratégique précité, une solide coopération en matière de sécurité civile existe depuis 2009 entre la France et le Kazakhstan.

Faisant suite à la déclaration d’intention relative au développement de la coopération entre les deux pays dans le domaine de la protection civile du 16 mai 2008, l’accord signé le 6 octobre 2009 offre à cette coopération un cadre global que réclamaient les autorités kazakhstanaises.

L’accord de coopération dans le domaine de la sécurité civile ne présente pas de particularités notables. Il vise à mettre en place un cadre général facilitant l'envoi et l'intervention d'équipes d'assistance de l'un des deux Etats en cas de catastrophe ou d'accident grave sur le territoire de l'autre Etat.

En conclusion, ces accords de facture classique et de portée modeste ne présentent pas de difficulté juridique particulière.

Ils ne semblent pas concerner des domaines dans lesquels notre attachement aux droits de l’homme pourrait se trouver en porte-à-faux, je veux néanmoins vous faire part de ma perplexité et de mon embarras. Une fois de plus, le Gouvernement nous demande d’approuver un accord dont nous ne connaissons pas les tenants et les aboutissants. On en vient à s’interroger sur les véritables motivations de ces accords : des considérations géostratégiques ou économiques, qui ne seraient d’ailleurs pas toutes condamnables, ne les expliquent-elles pas ? La coopération en matière de sécurité est un domaine très délicat qui exige une grande prudence. Cette prudence doit se muer en vigilance quand la coopération concerne un pays loin d’être respectueux des règles démocratiques et des libertés fondamentales. Les exemples de la Tunisie et de la Libye sont venus nous le rappeler récemment.

C’est pourquoi je laisserai la Commission apprécier l’opportunité de ratifier de tels accords en raison de la nature plus que contestable du régime kazakhstanais. Je fais la part des choses entre la modestie de ces accords et l’absence de difficultés juridiques d’une part, et les domaines concernés par cette coopération qui peuvent poser problème à certains d’entre nous, d’autre part.

M. Jean-Claude Guibal. Au-delà des caractéristiques du régime, y a-t-il une ambiance de criminalité particulière ? La société est-elle extrêmement violente et les taux de criminalité sont-ils très élevés ?

M. François Loncle, rapporteur. Le passé soviétique et les conséquences de la chute de l’URSS ont probablement favorisé une conception différente de l’Etat et des rapports entre les citoyens. Par ailleurs, il y a une culture propre à ce pays d’Asie centrale.

M. Jean-Pierre Dufau. Je partage l’analyse du rapporteur sur la portée de l’accord. Le premier sur la sécurité civile ne me pose pas de problème. Les échanges seront positifs dans ce domaine. Sur la criminalité, l’article 1er répond aux questions que l’on se pose et présente la liste des sujets traités. Le Kazakhstan a une position particulière en Asie centrale : c’est un point de passage de tous les trafics. Je suis donc un peu réservé sur l’aspect opérationnel de ces accords en raison des particularismes du pays. J’ai l’impression que l’on prend des risques. Les dernières élections ont montré un certain manque de démocratie. Par conséquent, je m’abstiendrai sur le second projet.

M. François Loncle, rapporteur. Je n’ai pas de réponse à apporter à l’avis qui vient d’être exprimé. J’ai la même tentation quant à la distinction que l’on peut faire entre les deux accords ; il faut prendre en considération les caractéristiques du pays et les particularités des accords.

M. Serge Janquin. Je ferai aussi le même distingo entre les deux accords. Certaines de nos entreprises s’intéressent à ce pays pour ses ressources pétrolières et en uranium. Au-delà de cet aspect, quel est notre intérêt de signer un accord avec un Etat voyou ?

M. François Loncle, rapporteur. C’est une question à la fois géopolitique et philosophique. Il faut peser le tout, mettre en balance le fait que le Kazakhstan est un pays d’une grande richesse en matières premières et que si l’on fait le tri entre les pays réellement démocratiques et les autres nous n’aurons que des coopérations limitées. Il faut être prudent s’agissant de la coopération dans les domaines de la sécurité et de la défense ; pour le reste, il faut prendre cet Etat tel qu’il est.

Mme Martine Aurillac, présidente. J’abonde dans le sens du rapporteur. Nous ne passerons pas beaucoup d’accords si nous n’en concluions qu’avec des Etats pleinement démocratiques. Néanmoins ces deux accords vont dans le bon sens.

Le Rapporteur s’en étant remis à la sagesse de la commission pour le projet de loi n° 3261 et étant favorable à l’adoption du projet de loi n° 3390, la Commission adopte sans modification ces projets de loi.

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Balkans : accords relatifs à la mobilité des jeunes avec la Macédoine (n° 3708), le Monténégro (n° 3709) et la Serbie (n° 3710)

La commission examine, sur le rapport de M. Jean-Pierre Dufau, le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Macédoine relatif à la mobilité des jeunes (n° 3708), le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Monténégro relatif à la mobilité des jeunes (n° 3709) et le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Serbie relatif à la mobilité des jeunes (n° 3710).

M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur. Les trois accords dont il est proposé d’autoriser l’approbation par le gouvernement français sont d’un type nouveau : ils visent à faciliter la mobilité des jeunes ressortissants des Etats signataires vers la France et, dans une certaine mesure, des jeunes Français vers ces pays. Ils ont été conclus avec la Macédoine, le Monténégro et la Serbie, trois Etats des Balkans issus du démantèlement de la Yougoslavie et qui sont engagés, à des stades différents, dans un processus de rapprochement de l’Union européenne.

Des accords du même type ont été négociés avec la Bosnie-Herzégovine et avec l’Albanie, mais n’ont pas encore été signés : parties, comme les trois Etats précités, d’un accord de stabilisation et d’association avec l’Union européenne, ces deux Etats bénéficient aussi, mais depuis moins longtemps, d’une dispense de visa pour leurs ressortissants effectuant des courts séjours dans l’Union européenne. Un autre Etat a signé un accord voisin de ceux qui nous occupent : il s’agit du Liban, mais cet accord ne comporte pas, contrairement à ceux négociés avec les Etats des Balkans, de stipulations relatives à l’octroi de bourses pour les étudiants.

Le but de ces accords est de faciliter la venue en France de jeunes diplômés ou actifs ressortissants de l’autre Etat partie pour y faire une expérience professionnelle ou y effectuer un stage. Le principe de réciprocité s’applique à la plupart de leurs stipulations. La France a proposé aux trois Etats un accord type identique, qui a ensuite été adapté en fonction des demandes particulières de chacun d’eux.

Je ne vais pas revenir ici sur le détail de l’avancée des trois pays signataires de ces accords dans le processus de rapprochement de l’Union européenne. Je rappellerai simplement que la Macédoine et le Monténégro ont le statut de candidat à l’Union européenne, depuis respectivement décembre 2005 et décembre 2010, et que l’accord d’association et de stabilisation conclu avec la Serbie devrait entrer en vigueur très prochainement : nous en avons discuté à l’automne dernier. Depuis le 19 décembre 2009, les ressortissants de ces trois Etats bénéficient en outre d’une dispense de visa pour les courts séjours dans la zone Schengen. Les règles de droit commun de chaque Etat s’appliquent en revanche à eux pour les longs séjours.

L’objet principal de ces trois accords est d’aménager ces règles en faveur des jeunes diplômés ou des jeunes actifs de ces pays. La crise de ces dernières années a fortement dégradé la situation économique des Balkans et se traduit notamment par un taux de chômage des jeunes très élevé : celui-ci dépasse 46 % en Serbie et est estimé à 37 % au Monténégro. Il existe déjà une coopération entre certains établissements français d’enseignement supérieur et ceux de ces Etats, et notre pays accueille un certain nombre d’étudiants qui en sont originaires : ils étaient 164 nouveaux étudiants serbes en France en 2010, une quarantaine de Macédoniens et une dizaine de Monténégrins. Ces accords ont vocation à profiter à des jeunes en cours d’études, récemment entrés dans la vie active ou jeunes professionnels.

Les trois accords reposent sur la distinction entre les étudiants, les stagiaires et les jeunes professionnels. Ils définissent ces trois catégories et énumèrent les conditions à remplir pour bénéficier des règles dérogatoires de séjour prévues par l’accord. Selon les cas et les pays, les Français pourront, ou pas, se prévaloir de la réciprocité.

Pour ce qui est des étudiants, après avoir obtenu un diplôme de niveau au moins équivalent au master ou à la licence professionnelle à l’issue d’une formation dans un établissement d’enseignement supérieur français habilité au plan national ou dans un établissement d’enseignement supérieur du pays d’origine lié à un établissement d’enseignement supérieur français par une convention de délivrance de diplôme en partenariat international, ils se verront délivrer par les autorités françaises un titre de séjour d’une durée de validité de douze mois. Ils seront autorisés à chercher et exercer un emploi qui devra lui-même répondre à une double condition : être en relation avec leur formation et assorti d’une rémunération au moins égale à une fois et demie le SMIC mensuel.

Après ces douze mois, si le jeune exerce un emploi conforme à ces conditions ou a une promesse d’embauche pour un tel emploi, il pourra continuer à travailler en France, sans que soit prise en compte la situation de l’emploi.

Les conditions à remplir sont moins contraignantes que dans le droit commun (qui exige que le diplôme ait été obtenu en France) et le traitement plus favorable : le titre de séjour est de 12 mois au lieu de 6 mois et la situation de l’emploi ne serait pas opposable au jeune à l’issue de cette première année, alors qu’elle l’est dans le droit commun.

Pour ce qui est des étudiants, seul l’accord avec la Macédoine prévoit une réciprocité, c’est-à-dire l’accueil en Macédoine de jeunes Français souhaitant acquérir une première expérience professionnelle.

Les catégories des stagiaires bénéficiaires des accords sont les mêmes pour les Macédoniens et les Monténégrins, mais elles sont plus limitées pour les Serbes.

Dans les accords avec la Macédoine et le Monténégro, il y en a trois types :

– les jeunes ressortissants de ces pays qui y suivent une formation et qui souhaitent faire un stage dans une entreprise ou un organisme public français dans le cadre de cette formation et sous couvert d’une convention de stage ;

– les mêmes jeunes qui suivent un programme européen de formation professionnelle ou de coopération requérant un stage ;

– les salariés qui travaillent dans une entreprise française installée dans leur pays ou dans une entreprise de ce pays liée par un partenariat à une entreprise française et qui viennent en France suivre un stage de formation.

Le stagiaire obtient un visa de long séjour temporaire d’une durée comprise entre trois et douze mois, sur présentation de sa convention de stage.

Les deux accords prévoient la réciprocité.

L’accord avec la Serbie ne retient que deux types de stagiaires : les étudiants et les salariés – et pas les jeunes qui suivent un programme européen de formation professionnelle ou de coopération. Les conditions à remplir pour les bénéficiaires sont les mêmes que dans les accords avec la Macédoine et le Monténégro. Il n’y a pas de mesure de réciprocité au bénéfice de certains Français.

Les conditions à remplir pour bénéficier des stipulations relatives aux jeunes professionnels sont exactement les mêmes dans les trois accords : elles ont trait à la nationalité, l’âge (entre dix-huit et trente-cinq ans) et à la situation professionnelle (ils doivent être déjà engagés ou entrant dans la vie active et être titulaires d’un diplôme correspond à l’emploi qu’ils veulent occuper ou avoir une expérience professionnelle dans ce domaine). S’ils remplissent ces conditions, ils sont autorisés à occuper un emploi sans que soit prise en considération la situation de l’emploi. La durée autorisée de travail est de douze mois renouvelable une fois. Les Français répondant aux mêmes conditions bénéficieront de la réciprocité.

Chaque accord fixe le nombre maximal de bénéficiaires potentiels de ce dispositif pour chaque Etat partie : cent par an dans l’accord avec le Monténégro, deux cents par an dans l’accord avec la Macédoine et cinq cents par an dans l’accord avec la Serbie. Ce nombre croît avec la population des différents Etats, mais pas de manière proportionnelle, les plus petits pays étant avantagés ; selon le ministère, ces contingents ont été fixés en accord avec chacun des trois pays, en fonction de leur population et des probabilités d’échanges de jeunes. Ces niveaux ne sont d’ailleurs pas acquis puisque les accords parlent de contingents qui peuvent être modifiés pour l’année suivante par simple échange de lettres entre autorités compétentes. Ils pourraient ainsi, éventuellement, être réduits à zéro.

Chacun des trois accords comporte un article consacré à la promotion des échanges de jeunes. Il fixe le montant d’une enveloppe globale qui y sera consacrée par la France sur trois ans : elle est de 150 000 euros au Monténégro, de 250 000 euros en Macédoine et de 650 000 euros en Serbie. Le montant augmente, là encore, avec la population du pays, mais d’une manière moins que proportionnelle. Pour la Macédoine et la Serbie, une partie de la somme accordée sera utilisée au titre de la participation au financement de bourses, par l’intermédiaire de CampusFrance et de fondations d’université : 90 000 euros en Macédoine, 180 000 en Serbie.

Enfin, les accords avec la Macédoine et avec le Monténégro comportent un article sur l’immigration professionnelle, dont les bénéficiaires ne sont pas spécifiquement les jeunes. Il concerne la délivrance de la carte de séjour « salarié en mission », que la France s’engage à faciliter, et celle de la carte « compétences et talents » pour laquelle les deux parties prennent le même engagement. Je trouve ces stipulations peu opérationnelles : la délivrance de la carte « salarié en mission » est de droit lorsque certaines conditions sont remplies et, si la France s’engage à la faciliter, c’est que les entreprises françaises rencontrent certainement des difficultés en la matière, ce qui est anormal ; pour ce qui est de l’octroi de la carte « compétences et talents », il relève du choix de l’administration française, sans que l’on comprenne en quoi l’autre Etat partie peut jouer un rôle.

Favoriser la mobilité des jeunes entre les pays des Balkans et la France est une excellente idée, et ces trois accords devraient y contribuer. Ils peuvent en cela être jugés comme positifs.

Mais je ne peux s’empêcher de penser que l’examen des projets de loi visant à autoriser leur approbation arrive à contre temps par rapport à l’évolution des orientations politiques défendues par le Gouvernement : alors que le président de la République a d’abord voulu développer l’immigration professionnelle et l’accueil d’étudiants étrangers en France, l’actuel ministre de l’intérieur s’est clairement engagé dans une autre voie, donnant des instructions visant à réduire l’immigration légale dans son ensemble par le durcissement des conditions que les migrants doivent remplir pour obtenir un titre de séjour.

Il est donc à craindre que la mise en œuvre de ces accords se heurte à ce changement d’orientation politique. Ils pourront en revanche s’avérer utiles en cas de retour à une politique migratoire plus ouverte, qui permettrait leur application sereine.

C’est pourquoi je vous recommande l’adoption du présent projet de loi.

M. Dominique Souchet. Les trois accords comportent toute une série de stipulations quasiment identiques tendant à faciliter la mobilité des jeunes. Cependant, seulement deux de ces accords (Macédoine et Monténégro) contiennent des dispositions plus larges relatives aux migrations professionnelles. Pourquoi ces dispositions ne figurent-elles pas dans l’accord avec la Serbie : est-ce à notre initiative ou à la demande de la Serbie, et dans ce cas pour quelle raison ?

M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur. Comme je l’ai indiqué, un accord identique a été proposé à chacun des trois pays qui ont pu demander des adaptations. C’est donc à la demande de la Serbie que les dispositions sur les migrations professionnelles ont été enlevées. Je ne connais pas les raisons de cette position.

M. Jean-Paul Bacquet. Je souhaiterais que vous rappeliez la date d’indépendance du Monténégro, notamment au regard de celle du Kosovo, le nombre de ses habitants et que vous indiquiez dans quel cadre les jeunes Yougoslaves venaient, jadis, étudier en France.

M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur. Le Monténégro comprend 640 000 habitants et il a obtenu son indépendance en juin 2006 à la suite d’un référendum à l’issue duquel son indépendance a été approuvée par plus de 55 % des suffrages exprimés, seuil fixé pour que la proposition soit considérée comme adoptée. L’indépendance unilatérale du Kosovo n’est quant à elle intervenue qu’en février 2008. Du temps de l’ex-Yougoslavie les accords conclus l’étaient avec l’Etat fédéral mais il n’existait pas d’accords particuliers organisant la mobilité des jeunes. En revanche vous avez raison de souligner que de nombreux jeunes Yougoslaves venaient en France à l’époque et qu’il s’agit donc d’un flux ancien.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification les projets de loi (n°s 3708, 3709 et 3710).

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Nigeria : entraide judiciaire en matière pénale (n° 3316)

La commission examine, sur le rapport de M. Jean-Luc Reitzer, le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale du Nigeria (n° 3316).

M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur. Jusqu’à aujourd’hui, l’essentiel de notre réseau d’accords bilatéraux d’entraide judiciaire en Afrique subsaharienne concerne des pays francophones, mis à part l’Afrique du sud. En la matière, la France n’est liée par aucun dispositif avec le Nigeria. Le texte qui nous est présenté est donc intéressant pour cette raison. Il vient compléter les dispositions du partenariat stratégique qui nous lie depuis juin 2008 avec ce très grand pays africain, avec lequel nous entretenons d’excellentes relations.

La situation intérieure du Nigeria n’a jamais été sereine : depuis son accession à l’indépendance en 1960, il a connu quatre républiques et dix coups d’Etat. L’instauration de la démocratie, depuis la fin des années 1990, est difficile dans ce pays : l’élection présidentielle en 2007, qui associait pourtant le Nord et Sud, avait été entachée de multiples fraudes et de graves violences. Le Nigeria fait face à des tensions communautaires chroniques, autour de la question de l’équilibre entre le Nord, majoritairement musulman et en déclin économique, et le Sud, majoritairement chrétien, qui fournit l’essentiel des ressources du pays. Les violences sont récurrentes et meurtrières, et les affrontements ethnico-religieux se répètent : novembre 2008, juillet 2009, janvier 2010 ou au printemps 2011. Elles sont renforcées par la montée des fondamentalismes contestataires. Le Président actuel, investi en mai 2010 suite au décès de son prédécesseur, a été réélu en avril 2011, lors d’un scrutin cette fois-ci considéré comme globalement libre et transparent malgré les quelque 500 à 800 morts que l’on a déplorés lors des violences post-électorales.

On relève aussi depuis longtemps une forte insécurité dans la zone du delta du Niger, qui se traduit par du vol de pétrole à grande échelle sur les oléoducs, des actes de piraterie, de multiples prises d’otages, des sabotages contre les installations pétrolières. Ce pays qui pourrait produire 3 millions de barils par jour, n’en produit que 1,8 million pour ces raisons.

Vous avez vu également que les communautés chrétiennes sont particulièrement visées ces jours-ci par les actes de terrorisme : un attentat contre une église chrétienne a fait 35 morts le jour de Noël près d’Abuja, d’autres ont suivi après l’expiration de l’ultimatum des terroristes qui avaient donné trois jours aux chrétiens pour quitter le nord du pays. Cette violence aveugle est porteuse d’un risque de généralisation, d’escalade.

Au-delà de ces aspects dramatiques, le Nigeria est aussi un pays dont les maux sont nombreux : clientélisme, situation précaire des droits de l’Homme, faiblesse de l’Etat de droit, corruption généralisée, violence de la police, elle-même corrompue, tout comme la justice, tortures et disparitions forcées. La période actuelle est en outre marquée par un très fort regain de tension sociale. Les prix à la pompe ont augmenté de plus de 220 % le 1er janvier dernier, suite à l’arrêt brutal des subventions étatiques, et une grève générale a paralysé le pays durant quelques jours.

Pourquoi travailler dans ces conditions, avec un pays comme le Nigeria ? Parce que, malgré ce tableau sombre, le Nigeria est un pays qui pèse d’un poids exceptionnel dans la région. C’est un géant démographique – d'ores et déjà le pays le plus peuplé du continent, 160 millions d’habitants et, d’ici à 2050, 400 millions, voire plus. C’est un géant économique aussi – la deuxième puissance du continent –, et une grande puissance diplomatique qui joue un rôle important, notamment de médiateur dans les questions régionales ces dernières années comme au sein de l’Union africaine.

Il faut tout d’abord rappeler que nous y avons une présence économique importante : plus de 100 entreprises françaises sont implantées. Total bien sûr, mais aussi Michelin, Lafarge, Peugeot, Areva, Schneider, Alcatel, Sagem, Eiffage, etc. Nous avons des échanges commerciaux supérieurs à 4 milliards d’euros et le Nigeria est depuis 2006 notre premier partenaire en Afrique subsaharienne, puisqu’il représente à lui seul près du quart de nos échanges avec cette région.

Nos relations sont aussi politiques. Elle se sont traduites par la signature du partenariat stratégique que j’évoquais et par un dialogue soutenu, comme en témoignent les nombreuses visites bilatérales. La dernière est celle d’Alain Juppé, en novembre dernier, suivie par celle du Président nigérian quelques jours plus tard. Les axes de coopération sont nombreux. Ils sont définis dans le texte du partenariat auquel je vous renvoie. L’accord qui nous est soumis en est une des déclinaisons : la coopération judiciaire figure en effet au rang des axes de travail à privilégier, notamment dans les domaines de la lutte contre la criminalité organisée, la traite des êtres humains, le trafic de drogue et la criminalité économique et financière, ainsi que pour faciliter le traitement des commissions rogatoires internationales.

Nos échanges en matière d’entraide judiciaire sont faibles. Ils portent notamment sur des faits d’atteintes aux personnes ou aux biens, ou encore de blanchiment de capitaux, tant en ce qui concerne la France que le Nigeria. Au demeurant, c’est une coopération qui fonctionne assez mal pour diverses raisons, qui tiennent notamment à la complexité et à la désorganisation, du système judiciaire nigérian qui manque de moyens. L’on retrouve cette situation dans de nombreux pays africains.

Cet accord vise par conséquent à instituer un protocole de transmission et de communication à travers la désignation d’autorités centrales. Cette convention est opportune car elle va permettre de surmonter certains obstacles. D’une part, par la pratique des relances systématiques en cas de retard dans l’exécution ou d’absence d’exécution des mandats judiciaires et, d’autre part, par l'obligation faite à l'Etat requis de motiver ses refus de coopération. Elle va aussi fournir un fondement solide aux demandes de déplacement de magistrats et enquêteurs qui pourront ainsi, sur les territoires concernés, assister à l'exécution des mandats judiciaires transmis aux autorités du pays requis.

Si l’on entre dans le détail du texte, il vise à renforcer la coopération entre les deux pays et à améliorer l’efficacité de leurs autorités judiciaires compétentes « afin de protéger leurs sociétés démocratiques respectives et leurs valeurs communes ». Les deux partenaires reconnaissent l’importance particulière de lutter contre les activités criminelles graves, y compris la corruption, le blanchiment d’argent, le trafic illicite d’armes à feu, de munitions et d’explosifs, le terrorisme et son financement.

L’article 1er prévoit que les Parties s’accordent mutuellement l’entraide judiciaire la plus large possible dans les enquêtes ou procédures visant des infractions pénales, les motifs de refus valables étant précisément définis à l’article 4 (atteintes à la souveraineté, à la sécurité, à l’ordre public ou à d’autres intérêts essentiel et infraction politique, notamment).

L’article 5 traite de la forme et du contenu des demandes. L’article 6 pose une double exigence de célérité dans l’exécution des demandes et de communication en cas de difficultés d’accomplissement dans les délais impartis, et précise que l’autorité compétente de la partie requise fait tout ce qui est en son pouvoir pour exécuter la demande sans tarder. L’autorité requise peut surseoir à l’exécution de la demande ou la subordonner à des conditions jugées nécessaires après consultation de la partie requérante, si elle estime que sa mise en œuvre gênerait une procédure en cours ou porterait atteinte à la sécurité des personnes sur son territoire.

L’article 7 est relatif à la transmission d’informations spontanées, qui pourraient notamment aider la partie bénéficiaire à engager ou à mener une enquête ou une procédure. Les articles 8, 9, 10 portent sur des questions plus procédurales : inutilité des certifications des documents transmis ; fourniture de copies des dossiers accessibles au public et non accessible au public ; prise en charge des frais. La restitution des documents et objets transmis devant être faite « dès que possible » selon l’article 17. L’article 11 prévoit la confidentialité des informations, qui ne peuvent être utilisées sans l’accord préalable de la partie requise à des fins autres que la procédure mentionnée dans la demande. Il faut préciser que le Nigeria ne dispose pas d’une législation suffisamment protectrice en matière de données à caractère personnel selon la CNIL, et les échanges porteront sur des données autres que celles-ci. Selon l’article 12, une personne qui allègue d’une immunité, d’un privilège ou d’une incapacité, n’est pas exonérée de témoignage si elle requise pour le faire. L’article 14 organise les modalités de transfèrement de personnes détenues aux fins d’entraide, dans la mesure où leur présence sur le territoire de l’autre Partie serait susceptible de fournir une aide en vertu de l’accord si ces personnes et les autorités centrales des deux Parties y consentent. Les articles 18 et 19 traitent de l’aide dans le cadre de procédure de confiscation et restitutions d’avoirs.

Voilà rapidement présentées les principales dispositions de cette convention, qui permettra d’améliorer concrètement une coopération judiciaire qui a du mal à fonctionner de manière efficace jusqu’à aujourd’hui pour les raisons que je vous ai indiquées. Je vous invite à voter en faveur de ce projet de loi qui ajoute une pierre à notre relation bilatérale déjà fort dense avec le Nigeria.

M. Jean-Paul Lecoq. Vous avez dressé le tableau du Nigeria. On aurait dû me semble-t-il regarder l’évaluation du système judiciaire. Souvent, en effet, dans des pays où règne la corruption, le système judiciaire est touché par le phénomène. On pourrait ainsi conclure un accord avec un pays dont on ne peut garantir ni la qualité ni la sincérité des actes et mettre ainsi, peut-être, des personnes victimes de cette corruption en difficulté. Il nous est présenté neuf cas où la France a fait une demande aux autorités nigérianes sans que depuis la date de signature de l’accord en 2009 elle n’ait abouti. Je mets donc en doute le fait que les choses vont bouger. Cet accord est peut-être utile pour donner un cadre acceptable à un partenaire économique et commercial, mais je ne suis pas sûr qu’on y croie et je voudrais savoir si vous y croyez vous-même pour aiguiller mon vote.

M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur. Si je n’y avais pas cru, je n’aurais pas présenté l’accord comme je l’ai fait. Il existe une corruption qui frappe la police et la justice, mais je pense qu’il faut apporter un cadre juridique plus précis, créant des procédures de contrôle et de relance pour obliger cette justice à s’améliorer et devenir plus conforme à l’idée que nous nous en faisons. L’organisation de la justice est basée sur le modèle britannique, c’est donc son fonctionnement, uniquement, qui est en cause. Ensuite, il est exact que l’absence d’acte juridique fort pour formaliser nos relations a contribué à une certaine lenteur. Vous avez évoqué les neuf demandes françaises, sept demandes nigérianes ont également été transmises et sont en cours d’examen. L’accord constituera une avancée.

M. François Loncle. Le rapporteur a eu raison de tracer le cadre de ces accords et d’évoquer l’état de ce pays. Le Nigeria est un pays clé en Afrique, mais il y a des éléments assez inquiétants que soulignent ces jours-ci de multiples articles et reportages. Un aspect nous préoccupe dans le cadre de la mission d’information sur la situation sécuritaire dans les pays de la zone sahélienne : la présence de sectes au nord du pays et de groupes qui ont manifestement des liens avec AQMI. Dès le début des travaux de la mission, on nous a indiqué qu’après les pays bien identifiés comme le Mali, le Nigeria et le Sénégal étaient menacés par l’implantation du réseau AQMI.

M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur. Vous avez raison. J’ai d’ailleurs évoqué les attentats perpétrés notamment à Noël dernier par la secte Boko Haram. La question du terrorisme est un des éléments dans notre dialogue bilatéral qui a conduit au renforcement de nos relations. C’est évidemment un des facteurs d’instabilité du pays. Mais le Nigeria est aussi intervenu de façon très positive dans la résolution de conflits locaux, il a eu un rôle positif en Côte d’Ivoire et en Libye et a participé à des opérations de maintien de la paix de l’ONU.

M. Jean-Paul Bacquet. La question est de savoir si cet accord sera applicable à l’ensemble du territoire du Nigeria, car le gouvernement légal, dans une administration calquée sur l’organisation française, ne contrôle qu’une partie du pays et pas le nord ni l’est. Le nord du Bénin est totalement annexé par le Nigeria et le port de Cotonou est aujourd’hui le port le plus important du Nigeria car ce dernier ne peut pas assurer la sécurité de ceux situés sur son territoire.

M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur. J’ajouterai la diversité qui existe dans l’application du droit. La charia s’applique notamment sur une partie du territoire. Malgré ses difficultés d’application, il me semble indispensable de ratifier l’accord pour disposer d’un cadre structuré sur lequel s’appuyer en matière judiciaire.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 3316).

La séance est levée à dix-huit heures trente.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 17 janvier 2012 à 16 h 45

Présents. - Mme Martine Aurillac, M. Jean-Paul Bacquet, M. Christian Bataille, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Chantal Bourragué, M. Loïc Bouvard, M. Hervé de Charette, M. Jean-Louis Christ, M. Pascal Clément, M. Alain Cousin, M. Michel Destot, M. Tony Dreyfus, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Michel Ferrand, Mme Marie-Louise Fort, M. Jean Grenet, M. Jean-Claude Guibal, M. Serge Janquin, M. Jean-Paul Lecoq, M. Robert Lecou, M. François Loncle, M. Jean-Luc Reitzer, M. Jean-Marc Roubaud, M. Dominique Souchet, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle, M. Gérard Voisin

Excusés. - Mme Nicole Ameline, Mme Sylvie Andrieux, M. Jacques Bascou, M. Jean-Jacques Guillet, M. Jean-Pierre Kucheida, Mme Henriette Martinez, M. Axel Poniatowski, M. Éric Raoult, M. Jacques Remiller, M. François Rochebloine, M. Rudy Salles, Mme Odile Saugues, M. André Schneider