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Commission des affaires étrangères

Mercredi 8 février 2012

Séance de 8 h 30

Compte rendu n° 37

co-présidence de M. Axel Poniatowski, président et de M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées

– Audition, conjointe avec la commission de la défense nationale et des forces armées, de M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, et de M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, sur la situation en Afghanistan (ouverte à la presse)


Audition, conjointe avec la commission de la défense nationale et des forces armées, de M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, et de M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, sur la situation en Afghanistan

La séance est ouverte à huit heures trente
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M. le président Axel Poniatowski.  Messieurs les ministres, je vous remercie au nom de nos deux commissions d’avoir accepté cette audition conjointe, ouverte à la presse, dont l’objet est de faire le point sur la situation en Afghanistan et d’expliquer les décisions qui ont été prises après l’assassinat, le 20 janvier dernier, de quatre de nos soldats lors d’un entraînement à l’intérieur de la base de Gwan.

Les circonstances dans lesquelles ces hommes ont été tués appelaient de la part des autorités françaises une réflexion approfondie et des décisions rapides. Le Président de la République a annoncé dès le 27 janvier, après s’en être entretenu avec le Président Karzaï et nos alliés, que les troupes françaises combattantes auront quitté l’Afghanistan à la fin de l’année 2013, soit avec un an d’avance sur le calendrier initialement prévu. Réussir ce désengagement militaire alors que les conditions de la stabilisation de l’Afghanistan ne sont pas encore réunies est une entreprise délicate. Vous nous expliquerez les différentes options qui ont été envisagées et pourquoi celle-ci a été retenue.

Plus généralement, votre audition est l’occasion d’examiner les chances de réussite de la stratégie des Alliés, qui consiste à combattre les talibans par des actions militaires résolues dans les régions où ils sont les mieux implantés, tout en préparant les autorités afghanes à prendre le relais sur le plan militaire, mais aussi – et peut-être surtout – sur celui de la gouvernance du pays, ce qui suppose de nets progrès dans la construction de l’armée et de la police afghanes et la consolidation de l’appareil d’État. Le succès dépend aussi de l’environnement régional, en particulier de l’attitude du Pakistan. Il convient, enfin, de réfléchir à l’avenir de l’économie afghane après le départ des forces alliées, celle-ci étant aujourd’hui largement sous perfusion.

Nous vous proposons d’intervenir tour à tour pour un propos liminaire. Nos collègues vous poseront ensuite leurs questions, qui porteront exclusivement sur l’Afghanistan.

M. le président Guy Teissier. Je suis heureux de coprésider cette séance et d’entendre Alain Juppé et Gérard Longuet sur la situation en Afghanistan, qui est un objet de constante préoccupation pour nos deux commissions.

Je tiens d’abord à rendre à nouveau hommage aux soldats qui ont perdu la vie pour faire triompher ou, à tout le moins reconnaître, les valeurs de liberté et de démocratie de la République. Nous nous sommes rendus plusieurs fois sur place et je crois que nous avons pu contribuer, après le drame d’Uzbin, à renforcer la sécurité des soldats.

Mais, et nous l’avons évoqué récemment avec le ministre de la défense, il faut maintenant parler de véritables assassinats pour les derniers drames. Nous sommes, comme l’ensemble des Français, très touchés mais je voudrais que l’on mesure ce que pourrait signifier un retrait précipité : il ne pourrait être interprété que comme un signe de faiblesse par nos adversaires, les talibans.

Je me félicite que le secrétaire américain à la défense, Leon Panetta, envisage que les forces américaines en Afghanistan passent d’ici à la fin 2013 « d’un rôle de combat à un rôle de formation, de conseil et d’assistance ». Voilà qui bat en brèche l’opinion selon laquelle nous serions à la remorque des Américains. Nous pouvons donc envisager, avec le Président de la République, un départ ordonné des troupes de la coalition.

Vous revenez, monsieur le ministre de la défense, d’Afghanistan, où vous avez pu, avec le chef d’état-major des armées, mesurer le degré de sécurité supplémentaire qu’il convient d’assurer à nos troupes. Pouvez-vous nous en faire une présentation détaillée et nous préciser les mesures à prendre ?

Vous avez également participé le 3 février au sommet des ministres de la défense de l’OTAN. Pouvez-vous nous donner quelques informations sur cette réunion ? Avez-vous été entendu par nos alliés ? D’une façon générale, j’estime que notre participation aux opérations en Afghanistan a contribué au renforcement de notre poids dans l’Alliance. Partagez-vous ce sentiment ?

Enfin, Monsieur le ministre des affaires étrangères, peut-on parler de l’Afghanistan sans évoquer son grand voisin, le Pakistan, dont le rôle dans le conflit est assurément trouble et ne laissera pas d’inquiéter lorsque nous aurons quitté la région ?

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes. Permettez-moi de vous rappeler les grands axes de la politique de la France en Afghanistan et dans la région.

L'engagement de la France et de ses partenaires a depuis l’origine deux objectifs, qui sont intimement liés : combattre le foyer terroriste qu'Al Qaida s'était constitué en Afghanistan à la faveur du règne des talibans, et recréer les conditions de sécurité nécessaires pour permettre aux Afghans de vivre en paix et de se consacrer pleinement au développement de leur pays. La mort d'Oussama Ben Laden en 2011 a illustré les progrès de la lutte contre le terrorisme d'Al Qaida.

La mission n'est cependant pas terminée. Un nouveau chapitre a été ouvert : celui du retrait progressif et ordonné des forces de la coalition, décidé lors du sommet de l’Alliance Atlantique qui s’est tenu à Lisbonne en novembre 2010. Nous avons défini, avec nos partenaires et alliés, une stratégie de transfert graduel des responsabilités de sécurité aux autorités afghanes. La montée en puissance des forces afghanes doit leur permettre d’assurer seules la sécurité de l'Afghanistan, notamment dans la perspective des élections présidentielles de 2014 : nul pays ne saurait dépendre durablement des forces étrangères pour sa sécurité, et nous n’avons pas vocation à assumer indéfiniment des responsabilités de sécurité en Afghanistan.

C'est une juste cause que servent nos soldats, avec un professionnalisme et un courage que nous saluons tous.

Nous voulons offrir aux Afghans et aux Afghanes un avenir, et empêcher le retour sur cette terre de menaces qui concernent aussi l’ensemble de nos sociétés. Nous voulons un retrait ordonné, pas une retraite précipitée qui ne serait ni à la hauteur de nos responsabilités, ni à l’honneur de nos forces armées.

Dans la mise en œuvre de cette stratégie adoptée lors du sommet de Lisbonne, le Président de la République et le Gouvernement ont pris les mesures nécessaires pour renforcer la sécurité de nos soldats et réussir le transfert des responsabilités aux forces afghanes. Je ne peux manquer de m’associer à l’émotion qu’a suscitée, le 20 janvier dernier, la mort de quatre de nos soldats, assassinés par un taliban infiltré. Ce drame a révélé le risque, jusqu'ici sous-évalué par la coalition internationale, que représente l'infiltration de talibans dans les rangs de l'armée afghane. Même si ces actes isolés ne doivent pas conduire à douter de l'intégrité de l'ensemble de l’armée afghane, nous ne pouvons accepter que nos hommes soient tués par des soldats qu'ils sont venus former et soutenir dans le combat au service du peuple afghan.

Les forces afghanes sont rapidement montées en puissance. Elles comptent aujourd'hui 330 000 policiers et militaires à l'échelle du pays ; plus de 110 000 Afghans ont déjà été formés par la mission de formation de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS). Les deux premières tranches de la transition ont été engagées : les zones en cours de transfert représentent déjà plus de la moitié de la population. La troisième, qui sera annoncée au printemps, fera passer cette proportion à 80  %. S'agissant des zones sous notre responsabilité, le district de Surobi a déjà commencé sa transition ; et lors de sa visite en France le 27 janvier, le Président Karzaï a confirmé que la province de Kapisa serait appelée à le faire au printemps.

Le Président de la République en a tiré toutes les conséquences dans les décisions annoncées le 27 janvier.

Afin de répondre à la menace que représente l'infiltration de talibans dans l'armée afghane, les conditions d'exécution de la mission de formation seront révisées – le ministre de la défense y reviendra – pour renforcer la sécurité de nos troupes.

La France poursuit par ailleurs la transition et le transfert graduel des responsabilités de combat. Le ministre de la défense vous détaillera la programmation de ce retrait des troupes combattantes d’ici à la fin 2013. Le processus a commencé : 400  de nos soldats sont déjà rentrés en France, et d’ici la fin de l'année, 1 000 autres quitteront l'Afghanistan.

Enfin, la France a proposé à ses alliés de l'OTAN de lancer une réflexion sur les différents aspects de la transition – comment accélérer la responsabilisation des forces afghanes avec une prise en charge totale des missions de combat de la FIAS par l'armée afghane dès la fin de 2013 ? Comment sécuriser les troupes de la coalition face au risque d'infiltration par des talibans ? Comment s'engager sur le long terme aux côtés de l'Afghanistan pour la formation de ses forces ? Le ministre de la défense, qui participait à la réunion ministérielle de l’OTAN il y a quelques jours, vous donnera tous éclaircissements sur ces points.

Je voudrais maintenant évoquer avec vous le cadre politique de notre stratégie. Cette politique repose sur trois piliers.

Le premier est celui de l’aide à la reconstruction et au développement du pays. Nous y avons déjà largement contribué, mais nous montrons la voie dans ce domaine, avec le traité d'amitié et de coopération signé par les présidents français et afghan le 27 janvier. Ce traité couvre une période de vingt ans, avec un premier plan d’action de cinq ans. Conformément à l'engagement pris par le Président de la République à Kaboul en juillet dernier, il se concrétisera par une augmentation importante de notre engagement civil. Nos projets sont concentrés dans les domaines de la santé, de l'éducation, de la culture, de l'agriculture, des ressources minières et des infrastructures. Mme Françoise Hostalier a d’ores et déjà sensibilisé les entreprises françaises et identifié les domaines dans lesquels elles pourraient intervenir.

Comme le président Karzaï l'a souligné lors de sa venue à Paris, il s'agit du premier traité signé par l'Afghanistan avec un pays extérieur à la région. Il sera sans doute suivi d'autres partenariats bilatéraux et multilatéraux, notamment avec l'Union européenne et l'OTAN. Cette dernière avait en effet clairement indiqué à Lisbonne que la coalition resterait engagée dans la formation et le développement du pays au-delà de 2014. Notre objectif est de mobiliser l'ensemble de la communauté internationale. La conférence qui s’est tenue à Bonn le 5 décembre dernier a réaffirmé cet engagement, et une nouvelle conférence sur le développement économique de l'Afghanistan aura lieu à Tokyo en juillet.

Le deuxième pilier de notre politique est la recherche d'une solution politique, avec l’encouragement au processus de réconciliation inter-afghane, ouvert aux insurgés prêts à rompre tout lien avec Al Qaida et le terrorisme international, à renoncer à la violence et à respecter la Constitution afghane. Ce processus est engagé, mais reste fragile. L'ouverture annoncée d'un bureau des talibans au Qatar devrait aider au lancement de négociations visant à mettre un terme au conflit inter-afghan. Ce processus n’en est pour l’instant qu’à ses prémisses. Nous appuyons ces efforts, encourageons le dialogue et insistons plus particulièrement sur la nécessité d'un processus inclusif, dirigé par les autorités afghanes et associant l'ensemble des composantes de la société afghane. Nous avons ainsi organisé à Paris, en novembre, un colloque associant ces différents acteurs pour favoriser leur dialogue sur les perspectives à long terme de l'Afghanistan.

Le troisième pilier consiste à promouvoir une approche régionale dans le domaine de la sécurité et dans le domaine économique. L'attitude des Etats de la région, tout particulièrement du Pakistan, est un facteur essentiel, qui a une influence majeure sur la situation intérieure de l'Afghanistan. Une dynamique régionale a été lancée sur les questions de sécurité lors de la conférence d'Istanbul du 2 novembre. La France a avancé l’idée d’une zone de sécurité collective autour de l’Afghanistan, et les États de la région ont pris des engagements – notamment de non-ingérence dans les affaires intérieures de l'Afghanistan. Le rôle du Pakistan est évidemment central. Ce pays entretient avec l’Afghanistan des liens complexes. Il redoute un Afghanistan sous influence indienne. Des liens forts existent par ailleurs entre les talibans et l’ISI, le service de renseignement pakistanais. La relation entre le Pakistan et les Etats-Unis est aujourd’hui très tendue – survol du territoire pakistanais par des drones, bombardement américain du poste-frontière le 25 novembre, évocation de liens entre l’ISI et des mouvements terroristes. Le Pakistan conserve néanmoins un rôle central aux yeux des Américains, tant sur le plan logistique que sur le plan politique et militaire. Sa situation interne est par ailleurs difficile : la Cour suprême vient de lancer une nouvelle offensive contre le Président Zardari et le Premier ministre Gilani, et la situation économique et sociale est profondément dégradée. Nous essayons de développer un dialogue politique et de sécurité. Nous avions l’idée d’un accord de sécurité, qui pour l’instant n’a pas abouti ; nous souhaitons associer le Pakistan à la construction d’un système de sécurité collective, et nous appuyons également le dialogue entre l’Inde et le Pakistan et entre l’Afghanistan et le Pakistan, avec des résultats contrastés.

Nous veillons au suivi du processus sur la sécurité collective et la coopération régionale lancé à Istanbul. L'objectif est d'obtenir, comme l'attendent les Afghans et conformément à nos propositions, des engagements concrets et contraignants afin de développer une sécurité collective dans cette zone. C’est un vaste programme.

L'action que nous poursuivons en Afghanistan n'est possible que grâce à l’engagement total, au courage et à la conviction que nos soldats apportent à l’accomplissement de la mission qui leur a été confiée dans cette délicate période de transition. Je tiens donc une nouvelle fois à saluer leur engagement.

M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants. Dans sa configuration actuelle, la présence militaire française en Afghanistan remonte au début de l’année 2006. La conférence de Londres avait alors conduit à renforcer de manière significative la force internationale pour assurer la protection de l’État afghan, mais surtout à concevoir une politique de moyen terme tendant à passer le relais à l’armée nationale afghane.

Le dispositif français a évolué à partir de cette date. Nous avions la responsabilité de la province de Kaboul ; nous l’avons assumée pendant un an, avant de la transmettre aux autorités afghanes, relayées par le contingent turc. Depuis 2008, nous avons la responsabilité d’un district de la province de Kaboul, le district de Surobi, et de la province de Kapisa. D’une superficie de 1 500 kilomètres carrés pour plus de 450 000 habitants, cette dernière est une région extrêmement sensible. La vallée de la Kapisa permet en effet de contourner l’agglomération de Kaboul pour se diriger vers le nord de l’Afghanistan lorsqu’on vient du Pakistan. C’est donc un secteur stratégique. Beaucoup d’entre vous connaissent ce paysage montagneux et désertique, semé dans le fond des vallées d’oasis à la végétation très dense durant sept à huit mois de l’année. Les conditions de combat y sont donc extrêmement difficiles pour nos soldats, et donnent un avantage au terroriste qui frappe avant de se fondre dans la population locale.

Soutenue par une montée en puissance progressive, significative et somme toute rassurante de l’armée nationale afghane, l’armée française a pu assurer la sécurité totale dans l’ensemble du district de Surobi, qui a été présenté à la transition et dont la responsabilité incombe depuis l’automne 2011 aux seules forces afghanes.

L’essentiel de notre effort se concentre donc sur la province de Kapisa, dont deux des cinq districts – le district de Tagab et celui d’Alasay – présentent assurément des problèmes de sécurité. Notre objectif consiste à ce que l’armée nationale afghane prenne le relais. L’évolution la plus importante est la montée en puissance de sa troisième brigade, commandée par un Ouzbek, le général Nazar, qui a su quadrupler ses effectifs en trois ans et assurer une bonne formation et une bonne coordination de l’intervention de ses bataillons avec les unités françaises. Depuis l’été 2011 et après les moments difficiles que vous avez tous en mémoire, l’armée nationale afghane est, sur les cinq districts de la province de Kapisa, en situation de combattre en première ligne – avec le soutien de l’armée française – en organisant ses propres opérations. Notre soutien porte essentiellement sur quatre points : les appuis-feu, terrestres ou aériens ; l’évacuation sanitaire ; le soutien aux états-majors, car la manœuvre d’unités importantes n’est pas un savoir-faire inné, et l’armée nationale afghane commence seulement à le maîtriser – je parle de la troisième brigade et des manœuvres au niveau du bataillon, l’objectif étant de pouvoir faire manœuvrer la brigade ; l’intervention rapide, enfin, c’est-à-dire la capacité à intervenir en force pour dégager une unité afghane en situation difficile.

Depuis le mois d’août, l’armée nationale afghane est donc en mesure de tenir ses positions. Il en va de même dans les territoires des deux premières tranches soumises à la transition, qui représentent aujourd’hui 50 % de la population afghane. Un indicateur est à cet égard particulièrement intéressant : les forces de réaction rapide de la coalition n’ont pas été mobilisées au service de l’armée nationale afghane sur ces territoires. On note également une baisse de plus de 11 % du nombre des accrochages entre les forces de la coalition – au sens large – et les insurgés. Il est toujours cruel d’utiliser les statistiques de décès, mais il reste que le nombre des décès au combat dans la coalition a été très inférieur en 2011 à ce qu’il avait été en 2010. Ce n’est, hélas, pas le cas dans le secteur français de la Kapisa, où l’année 2011 - marquée par le passage de la responsabilité française à la responsabilité afghane – a été extrêmement difficile. Depuis le mois d’août, nous avons eu à déplorer un mort au combat, et six décès par tirs d’infiltrés – quatre dans les conditions que vous connaissez le 20 janvier dernier, et deux en décembre. J’ai évoqué le problème à l’occasion d’un déplacement à Kaboul avec le chef d’état-major. Il a été traité, dès les 23 et 24 janvier, par les mesures dont a parlé le ministre d’État. Elles ont d’abord consisté à demander à l’armée nationale afghane de travailler avec le service de sécurité de la défense. Ce n’était pas le cas jusqu’à présent : pour des raisons culturelles et historiques, l’armée se méfiait du service de renseignement afghan, le National directorate of security (NDS), héritage de la période russe. Nous avons obtenu la mise en œuvre effective d’un décret pris il y a plus d’un an par le gouvernement afghan, qui permet au NDS d’intervenir dans les bataillons. Nous avons également obtenu que les officiers et sous-officiers que nous formons à Kaboul, dans le Wardak ou dans notre centre de formation de Mazar-e-Shariff soient affectés en priorité aux unités de la troisième brigade, afin d’avoir le plus souvent possible à nos côtés des bataillons afghans encadrés par des officiers et des sous-officiers que nous avons nous-mêmes formés. J’ai enfin obtenu que les services de la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) soient « binômés » avec les responsables des unités afghanes qui combattent avec nous. Ces mesures de riposte immédiate ont été mises en œuvre sur le théâtre d’opérations géré par la troisième brigade, elle-même placée sous l’autorité du 201corps d’armée engagé dans le secteur le plus difficile, à savoir entre Kaboul et la frontière pakistanaise, à la limite des populations pachtounes au sud et tadjikes au nord. La sensibilité de la Kapisa tient notamment à sa situation de frontière ethnique entre les deux principales populations afghanes.

Lors des récentes réunions à Bruxelles des ministres de la défense de l’OTAN et des représentants des États contribuant à la FIAS, j’ai obtenu que le commandement allié place la sécurité interne au premier rang de ses préoccupations. Compte tenu du taux d’évaporation des effectifs dans l’armée nationale afghane, estimé à 20 % en moyenne nationale, la montée en puissance de cette armée se traduit depuis quelques mois par des recrutements spectaculaires – 5 000 hommes par mois, avec des pointes à 8 000 –, mais qui méritent d’être mieux contrôlés car leur ampleur empêche un suivi méthodique des recrues. Les ministres de la coalition ont donc demandé au général Allen et au ministre afghan de la défense, le général Wardak, de maîtriser cette évolution. Dans la perspective de la définition du format de la future armée nationale afghane au sommet de l’OTAN qui se tiendra à Chicago le 20 mai prochain, il convient d’autre part de se demander si la montée en puissance des effectifs totaux jusqu’à 352 000 est pertinente, sachant que le format définitif et durable des forces nationales de sécurité afghanes – armée et forces de police – sera nettement inférieur. Le premier objectif est donc de ralentir le recrutement et d’en assurer la qualité, en mettant en place – ce qui est techniquement possible – un suivi individuel des recrues et de leur parcours. Tel est le mandat qui a été donné par la coalition à son chef d’état-major, qui a les moyens de le mettre en œuvre.

L’objectif pour la France est de concentrer cet effort sur le territoire dont elle a la charge. Le Président Karzaï a confirmé au Président de la République le 27 janvier qu’une troisième tranche de transition serait annoncée le 31 mars prochain et devrait être opérationnelle à compter du 1er juillet. La totalité de la province de la Kapisa sera présentée à la transition. Nos soldats y maintiendront leur fonction de support jusqu’à la fin de l’année 2013. Cette fonction ne les place plus en position de responsables du combat, même s’ils peuvent être conduits à exercer l’autodéfense ou à participer à la force de réaction rapide en soutien.

En août 2011, nous avions environ 2 800 combattants de la task force La Fayette sur le district de Surobi et la province de la Kapisa. Quatre cents au total ont été retirés en octobre et en décembre. Le Président de la République a décidé le retrait de 1 000 combattants supplémentaires pour l’année 2012. Il en restera donc 1 400. Il est évidemment impensable de « garder le plus dur pour la fin », à savoir de renvoyer le transfert de responsabilité à l’armée nationale afghane à la fin 2014 ou, pour chaque phase de transition, à la fin de cette dernière. La transition doit mettre le plus rapidement possible l’armée nationale afghane en situation de responsabilité effective dans les territoires, les forces françaises – dans le cas de la Kapisa – demeurant en soutien tout au long de l’année 2012 et jusqu’à la fin 2013, à effectifs réduits à partir du deuxième semestre 2013. Le mouvement de transition a déjà commencé. Si nous avons gardé nos trois grandes bases opérationnelles avancées (en anglais forward operating base, ou FOB) de Nijrab, Tagab et Surobi, nous avons transmis à l’armée nationale afghane six postes extérieurs de combat (en anglais combat outpost, ou COP), unités plus réduites qui comportent en moyenne 20 % de soldats français en mission d’operational mentoring and liaison team (OMLT) et d’entraînement ainsi qu’une centaine de combattants afghans. Nous avons transféré des positions, en conservant celles qui sont stratégiquement indispensables pour protéger nos trois principales bases. L’armée nationale afghane assume aujourd’hui la responsabilité de douze des seize FOB et COP du secteur dont nous avons la charge. La transition est donc bien engagée, et elle fonctionne. C’est là un aspect important, que j’ai évoqué en conclusion de la réunion de Bruxelles : cette transition voulue et acceptée par l’ensemble des forces de la coalition ne doit pas donner lieu à une surenchère – course de vitesse ou, au contraire, présence indéfinie. Elle doit être commandée par les réalités du terrain. Or, la réalité du terrain en Kapisa permet aujourd’hui ce transfert à l’armée nationale afghane. Je souhaite qu’il en soit de même dans les secteurs gérés par les autres forces de la coalition.

Après les États-Unis, qui avaient encore 90 000 soldats en Afghanistan au 31 décembre 2011, la Grande-Bretagne, avec 9 500, et l’Allemagne – en charge du secteur nord, à population ouzbèke et tadjike, qui ne pose pas les mêmes problèmes que le nôtre – avec 4 800, la France, avec 3 900 soldats, est le quatrième contributeur étranger à la coalition, à égalité avec l’Italie. Près de 1 200 de ces 3 900 soldats sont affectés à Kaboul et sa région à des missions de formation ou encore de logistique et de soutien sans lesquelles une armée ne peut combattre.

La position française est une position de bon sens. La transition sera totalement achevée à la fin de 2014 ; mais pour garantir son succès, il faut mettre l’armée nationale afghane en situation de responsabilité de combat principale pour l’été 2013, comme l’ont envisagé les États-Unis. Cette décision sera évoquée au sommet de Chicago de mai, qui s’inscrit dans la ligne des grandes réunions de Londres, de Bucarest et de Lisbonne qui ont rythmé la vie de la coalition, dont nous sommes un partenaire important, mais non le partenaire principal.

M. le président Axel Poniatowski. Nous vous remercions pour cette information très complète. Compte tenu du nombre important de demandes d’intervention, je demande à tous d’être concis afin que chacun puisse s’exprimer.

Mme Françoise Hostalier. J’ai été étonnée de l’irresponsabilité de certains propos tenus sur la situation en Afghanistan, après les tragiques événements du 20 janvier, notamment par des personnes qui ne s’y sont jamais rendues. La France n’a pas à rougir de ce qu’elle a fait. Le travail a été réalisé ; il est temps maintenant d’entamer la transition. Comment consolider l’État de droit en Afghanistan, et quel rôle nos gendarmes joueront-ils dans cette transition, monsieur le ministre de la défense ?

Vous avez, monsieur le ministre des affaires étrangères, parlé du Pakistan. Un autre grand voisin de l’Afghanistan n’est pas neutre dans la situation : l’Iran. Ne faut-il pas redouter une « irakisation » de la situation après le retrait des troupes de la coalition ?

M. Jean Glavany. Je voudrais d’abord parler de civilisations. Je vais essayer de le faire sans soulever de remous…

Nous ne sommes évidemment pas en Afghanistan pour mener une guerre de civilisations ; mais sommes-nous sûrs que ce n’est pas ainsi qu’une partie de la population afghane perçoit la situation ? Le succès politique des talibans dans la population n’est-il pas fondé sur le sentiment d’une guerre de civilisations, menée par une armée d’occupation occidentale ? Peut-être devrions-nous en prendre conscience.

A l’origine de notre engagement, il y a notre solidarité envers les Etats-Unis et le double objectif de renverser le régime taliban – ce qui a été fait – et de porter des coups à Al Qaida – ce qui a été fait plus qu’on ne le pense, mais moins qu’on ne l’espérait. L’élimination de Ben Laden a cependant montré que ce n’est pas la présence militaire qui permet maintenant de porter ces coups, mais le renseignement et les frappes civiles. Ajoutons à ces raisons celle que vient d’évoquer le ministre d’État – permettre aux Afghans de vivre en paix. Cela permettra t-il un jour de mettre un terme à notre présence en Afghanistan ? Quand nous avons commencé à parler de retrait, on nous a qualifiés d’irresponsables – aujourd’hui, tout le monde en parle ! Quand nous avons parlé de retrait accéléré, on nous a encore qualifiés d’irresponsables – et aujourd’hui, on accélère le retrait ! N’y a-t-il pas là un train systématique de retard, que nos soldats payent du prix de leur sang ?

Quant au Pakistan, voilà des années que les observateurs attentifs du conflit dénoncent son double jeu, en particulier celui de ses puissants services secrets, l’ISI. Peut-on vraiment concevoir dans ces conditions un Afghanistan en paix ?

Mme Patricia Adam. Je partage totalement les propos qui viennent d’être tenus par Jean Glavany. Je rappelle que nous avions déposé une motion de censure en 2008, lorsque notre pays a changé de posture. Il y avait jusque-là un consensus sur l’Afghanistan. Dès que nous avons réintégré le commandement intégré de l’OTAN, nous avons augmenté le nombre de nos soldats et sommes entrés dans une opération de guerre en Kapisa. En quoi les conditions d’un retrait seraient-elles davantage réunies en 2014 ou en 2013 qu’en 2012 ? La corruption ne va pas disparaître ; la situation économique et sociale du pays ne va pas s’améliorer. Il est donc plus que temps de partir.

Mes courriers étant restés sans réponse, je souhaiterais également interroger M. le ministre de la défense sur un point précis. À l’heure où des hommes se font tuer, leurs familles ne perçoivent pas leur solde en France. Certaines d’entre elles en sont réduites à s’adresser au Secours catholique ; elles n’ont reçu aucune réponse de la part de la hiérarchie sur le versement de ces soldes.

M. Philippe Vitel. Un des candidats à l’élection présidentielle a considéré qu’aujourd’hui, notre mission en Afghanistan était terminée. Je ne sais sur quels critères il se fonde pour faire une déclaration aussi péremptoire.

Le 5 décembre, à la conférence de Bonn, les Vingt-sept sont convenus de prolonger le mandat de la mission européenne de police en Afghanistan – Eupol – jusqu’à la fin 2014, et même au-delà, afin de soutenir les efforts déployés par le pays pour renforcer le maintien de l’ordre et les structures de l’État. Les événements récents remettent-ils cet engagement en question ?

On évoque régulièrement les risques d’infiltration dans l’armée afghane. Quarante cas ont été recensés depuis le début, dont dix-huit en 2011 – qui n’ont pas seulement touché les Français, mais aussi les Américains et les Australiens. Avons-nous connaissance également d’infiltrations dans la police ? Les mesures anti-infiltration – biométrie, suivi historique des individus – qui vont s’appliquer dans l’armée afghane s’appliqueront-elles aussi à la police ?

M. Jean-Paul Lecoq. On parle de l’armée nationale afghane comme si l’Afghanistan était une nation une et indivisible. Or, l’Afghanistan est constitué d’une multitude de peuples, presque autant qu’il compte de vallées, ayant chacun leur culture et leur organisation politique. Or, nous essayons d’y plaquer un système démocratique pour y construire un pays sur le modèle occidental, et ce alors même que le personnel politique est largement corrompu, jusqu’au plus haut niveau de l’État. Je ne pense pas, monsieur le ministre de la défense, que l’on soit parvenu à éradiquer la corruption. Nous nous apprêtons à passer le relais alors que rien n’a permis d’améliorer vraiment les conditions de vie des Afghans.

Notre armée est maintenant perçue comme une armée d’occupation et ceux qui attaquent l’occupant sont tenus par le peuple afghan pour des résistants. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que les Afghans cherchent aujourd’hui à libérer leur pays de ceux qui prétendaient en être les libérateurs. Messieurs les ministres, pensez-vous qu’à l’avenir on réfléchira davantage avant d’engager nos forces armées au prétexte de libérer d’autres pays et d’y aller défendre la démocratie ?

M. Jean-Michel Boucheron. Nous finissons de payer les énormes erreurs de politique étrangère du président américain George Bush dans cette région du monde. Il faut absolument que l’Occident cesse d’y faire n’importe quoi, au risque d’un embrasement général. J’y insiste, au moment où on entend certains bruits de botte et où il se dit qu’Israël s’apprêterait à attaquer l’Iran.

Alors que nous n’étions allés en Afghanistan que pour éradiquer Al Qaida, nos objectifs ont dérivé. Nous sommes restés trop longtemps et notre dispositif n’est aujourd’hui pas le bon. Le retrait de nos troupes va s’accélérer, il faut s’en féliciter, même s’il aurait pu démarrer plus tôt, notamment juste après l’assassinat de Ben Laden. Quel sera le rôle des forces résiduelles – car il y en aura ? Lutter contre Al Qaida, notamment vérifier que le pouvoir en place à Kaboul, demain comme aujourd’hui, ne laisse pas l’organisation réinstaller de camps d’entraînement dans le pays, doit être leur seul rôle. Tout autre serait « hors sujet ».

M. Jacques Myard. Je ne pense pas qu’après le retrait des troupes de la coalition, le régime afghan pourra résister à l’instabilité de l’ensemble de la région.

Vous envisagez, à juste titre, messieurs les ministres, un retrait ordonné de nos troupes. Celui-ci passe par la route pakistanaise. Lorsque j’y pense, une image me hante l’esprit, celle du départ des troupes américaines de Saïgon. Comment organiser de manière ordonnée ce retrait, dans une région aussi instable ?

M. le ministre d’État. Vous avez raison, madame Hostalier, d’évoquer le rôle de l’Iran. C’est une puissance régionale déterminante pour l’avenir de l’Afghanistan. Vous connaissez les difficultés que nous rencontrons actuellement avec l’Iran. Lorsque nous avons lancé l’idée d’un dispositif de sécurité collective autour de l’Afghanistan, notre objectif était d’associer les pays voisins, dont l’Iran, à ce processus. Ce ne sera pas facile.

Vous évoquez un risque « d’irakisation ». Pour ma part, je ne dirai pas qu’en 2014, après le retrait de nos troupes combattantes, l’Afghanistan deviendra un pays tranquille et prospère. Je mesure parfaitement les risques de déstabilisation. Mais je me refuse à toute prospective risquant d’être caricaturale sur l’évolution du pays. Il appartiendra aux Afghans de construire leur pays après l’aide que nous leur avons apportée.

Monsieur Glavany, je ne crois pas que la population afghane éprouve de sentiment de rejet vis-à-vis de l’armée française. Depuis 2002, nous avons beaucoup fait au profit des Afghans : nous avons construit des écoles, des hôpitaux, des routes, et une large partie de la population en a pleinement conscience. On ne peut pas dire en tout cas qu’elle serait plus enthousiaste à l’égard des talibans qu’à l’égard des troupes de la FIAS.

Nous aurions, selon vous, un train de retard. D’autres nous reprochent d’avoir un train d’avance. J’y vois la preuve que nous devons être sur la bonne ligne, à savoir en parfaite cohérence avec les décisions prises collectivement. L’idée de passer progressivement le relais aux troupes afghanes pour qu’elles assurent à terme seules la sécurité de leur pays, est une décision collective, qui a été prise d’un commun accord. Le retrait a commencé, il se poursuivra en 2012 et 2013.

Que la corruption ne soit pas absente d’Afghanistan est clair.. Mais si nous devions cesser d’être présents partout où sévit de la corruption, il est à craindre que nous ne soyons cantonnés à l’Hexagone, du moins à l’Union européenne.

M. Jacques Myard. Et encore !

M. le ministre d’État. Nous ne cessons d’encourager les autorités afghanes à lutter contre la corruption et le trafic de drogue. Mais nous ne pourrons pas, au-delà de 2014, nous substituer aux Afghans et au gouvernement qu’ils auront choisi.

Monsieur Vitel, décision a été prise à la conférence de Bonn de prolonger jusqu’en 2014 la mission d’Eupol. Les Vingt-Sept travaillent à définir de manière plus précise le mandat de cette force et à revoir son organisation interne dans le cadre de la prolongation de son mandat.

Je ne crois pas que l’on puisse dire que le peuple afghan se mobilise aujourd’hui pour se libérer d’une occupation étrangère. Il a subi la tyrannie des talibans qui interdisaient, ne l’oublions pas, qu’on scolarise les filles ou bien encore qu’on écoute de la musique. Il a vécu sous leur chape de plomb rétrograde. C’est aussi de cela que nous aidons les Afghans à se libérer. Je ne partage donc pas totalement l’avis de M. Boucheron lorsqu’il dit que le seul but de notre intervention en Afghanistan était d’éradiquer Al Qaida. C’était bien sûr l’un de nos objectifs et notre intérêt bien compris car ce foyer terroriste nous menaçait directement – il suffit de voir aujourd’hui comment Al Qaida progresse au Maghreb. Mais nous sommes aussi intervenus pour aider le peuple afghan à se doter d’une armée lui permettant d’éviter le risque de subir à nouveau ce qu’il a enduré au cours des décennies passées. Y avons-nous réussi ? L’Histoire le dira.

Je laisse le ministre de la défense répondre à M. Myard sur l’organisation du retrait de nos troupes.

M. le ministre. Le retrait des troupes françaises d’Afghanistan sera complexe sur le plan logistique. Nous y avons en effet 1 200 véhicules, dont plus de 500 blindés – ce qui représente entre 1 500 et 1 800 conteneurs.

M. Jacques Myard. La route pakistanaise est-elle obligatoire ?

M. le ministre. Non. Il existe trois solutions. La première serait une évacuation aérienne de bout en bout, que nous écartons car elle serait très coûteuse. La deuxième est en effet la route pakistanaise, avec deux passages possibles. La troisième est l’évacuation par voie ferrée par le Nord à travers l’Ouzbékistan ou le Tadjikistan. La FIAS a engagé une négociation avec les pays voisins, qui souhaitent la stabilisation de l’Afghanistan et craignent l’arrivée d’islamistes au pouvoir à Kaboul, et dont la coopération sera indispensable pour l’organisation du retrait des moyens matériels considérables concentrés par la Coalition.

J’en viens à la préoccupation, exprimée de deux manières différentes, par MM. Lecoq et Glavany, sur la réalité de la République d’Afghanistan. La situation est paradoxale. Je le pense sincèrement et les rapports, militaires comme diplomatiques, en attestent : un sentiment national afghan est en train de refaire surface. En réalité, il a toujours existé, en dépit de l’extrême diversité du pays. Les Anglais en ont fait les frais par le passé, les soviétiques également. L’Afghanistan n’a certes que peu à voir avec un pays fortement centralisé comme le nôtre, héritage de la monarchie capétienne puis de la République. Mais la convoitise de ses puissants voisins, couplée à l’existence d’une monarchie, y a conduit, en dépit du fonctionnement tribal, de l’extrême parcellisation géographique et des diversités ethniques, à forger un sentiment national qui se fait de nouveau jour et que l’on perçoit dans l’armée nationale afghane. Celle-ci est en effet composée à 44 % de Pachtounes, 25 % de Tadjiks, 8 % d’Ouzbeks et 10 % d’Hazaras, qui combattent aujourd’hui côte à côte et reflètent assez fidèlement la composition ethnique du pays.

La même observation vaut d’ailleurs pour la police nationale afghane (ANP). Je dois ici préciser qu’elle joue davantage un rôle de gendarmerie que de police à proprement parler. Quelque 180 gendarmes français forment les policiers afghans à conduire des opérations civilo-militaires, par exemple à effectuer des contrôles parmi la population dans le respect des personnes, ou bien encore à mener des procédures judiciaires dans le but d’établir la vérité. C’est là un métier différent de celui des armes. Si l’armée vise à détruire un adversaire, la gendarmerie vise, elle, à protéger la population.

Que se passera-t-il après 2014 ? Indépendamment des décisions de la coalition, qui ne sont pas encore connues, la France a décidé de signer un traité de coopération qui permettra de garder sur place quatre à cinq cents militaires pour former des soldats et des policiers investis de missions de gendarmerie. Une armée nationale est en train d’émerger dont, en dépit des différences culturelles que la population peut avoir avec les troupes de la coalition, la cohésion naît de l’opposition aux éléments inféodés à des forces extérieures. Il existe, comme le prouve le lieu de négociation ouvert par les talibans à Doha, une demande de débat politique afghano-afghan, y compris avec les talibans, dès lors que ceux-ci sont indépendants de pouvoirs extérieurs. Enfin, et c’est peut-être le plus important, les grandes puissances ont intérêt à ce que l’Afghanistan soit protégé de voisins trop envahissants et que la situation soit consolidée par des traités de coopération. La France en a signé un, l’Italie également. L’Australie, qui est plus important contributeur à la coalition hors pays de l’OTAN, est en passe d’en conclure un elle aussi. Les Afghans savent qu’ils pourront après 2014 compter sur des partenaires. On n’est pas du tout dans la situation de 1989, lors du départ des soviétiques, venus proprio motu et dont la présence n’était désirée par personne. Les talibans n’ont à l’époque pris le pouvoir que lorsque l’armée gouvernementale n’a plus eu les moyens de payer ses soldats, lesquels ont alors cherché un autre employeur – si je puis m’exprimer ainsi. Une coopération de long terme en matière de formation et d’encadrement, mais aussi financière, est le meilleur moyen de garantir durablement la sécurité. Comme on l’a vu lors des conférences d’Istanbul et de Bonn, les grands voisins de l’Afghanistan, qui ont parfois été ses adversaires par le passé, ne remettent plus en question l’indépendance de ce pays.

Nous sommes aujourd’hui dans une phase de transition, où nous passons le relais à l’armée nationale afghane. Dans les secteurs dont elle a la responsabilité, cette armée n’a pas failli et elle ne faillira pas si elle a l’assurance d’être durablement soutenue. Ceux qui ont choisi de s’engager dans ses rangs sont quinze fois plus nombreux que les talibans : cela ne laisse aucun doute sur le choix de la population afghane.

Je réponds enfin à Mme Adam. Le nouveau logiciel de paie Louvois – logiciel unique à vocation interarmées de la solde – est opérationnel à 99 %. Mais ne subsisterait-il que 1 % de difficultés, comme il est désormais utilisé pour payer les 120 000 hommes de l’armée de terre, cela fait 1 200 cas où un problème a pu se poser. Il reste une cinquantaine de cas difficiles et beaucoup trouvent leur origine dans des erreurs sur les informations administratives, notamment sur les relevés d’identité bancaire. Tous les problèmes individuels sont réglés par les chefs de corps dès lors qu’ils sont identifiés. Le problème plus général de paramétrage du logiciel est en cours de résolution. Je ne nie pas qu’il ait pu y avoir des difficultés mais soyez assurés que nul n’est abandonné.

M. Yves Vandewalle. Notre politique a consisté, à juste titre, à former l’armée nationale afghane pour permettre à ce pays, à terme, d’assurer seul sa sécurité. Vous nous avez, messieurs les ministres, dressé un tableau précis et encourageant de la situation dans les secteurs d’intervention confiés à la France. Mais qu’en est-il dans les autres secteurs puisque, bien évidemment, tout se joue à l’échelle du pays ?

M. Jacques Desallangre. Monsieur le ministre d’État, notre puissant allié américain négocie actuellement, nous dit-on, avec les talibans modérés. Mais qu’est-ce donc qu’un taliban modéré ? Un polygame modéré ? Quelqu’un qui ne lapidera que modérément une femme infidèle ou qui participera à l’élaboration d’une charia modérée ? Reconnaissez-vous ces talibans modérés comme une composante de la société afghane ?

Puisque les Américains tentent de convaincre les talibans de s’exercer à la démocratie en vue de leur participation à la gouvernance future du pays, le maintien jusqu’à la fin 2013 de nos forces militaires sur le sol afghan et le sacrifice de la vie de nos soldats ont-ils encore un sens ? Pourquoi serait-il « insensé » de quitter l’Afghanistan dès aujourd’hui ?

Je vous prie enfin, madame Hostalier, de m’excuser de poser ces questions alors que je n’ai « jamais mis les pieds » en Afghanistan.

M. Jean-Pierre Dufau. Chacun convient que la solution en Afghanistan n’a jamais pu être militaire et ne peut être que politique. De ce point de vue, certains rendez-vous ont été manqués, comme en 2008 ou encore en mai dernier après l’élimination de Ben Laden, alors même que les activités terroristes d’Al Qaida avaient été à l’origine de notre intervention dans le pays. Le ministre d’État a bien posé le cadre politique de notre action. Pourquoi ne pas avoir accéléré le processus politique au lieu de persister à penser qu’une action militaire pouvait présenter des aspects bénéfiques ?

Ce sont les actes d’individus infiltrés dans l’armée afghane qui ont rendu la situation insupportable pour notre opinion publique et explique pour partie l’accélération du retrait, chacun s’accordant désormais à reconnaître qu’il doit avoir lieu le plus vite possible. Ne pourrait-on pas dresser, sans polémique, le bilan de ce qui s’est passé depuis dix ans en Afghanistan pour, d’une manière générale, mieux comprendre ce que peuvent ressentir les peuples des pays où l’on est amené à intervenir mais aussi ceux des pays qui interviennent. Comment se fait-il ainsi qu’au bout de dix ans, on commence d’être désavoués ?

M. Alain Marty. Un départ précipité d’Afghanistan serait ressenti par nos militaires comme une forme de capitulation, en tout cas peu digne pour ceux de nos soldats tombés sur ce sol.

Qu’arrivera-t-il après 2014 ? Il y a des éléments clés dont l’armée afghane ne dispose pas pour assurer la sécurité, comme le renseignement, les moyens de reconnaissance, les moyens d’évacuation sanitaire, l’appui de forces d’intervention rapide… Qui assurera ces fonctions indispensables ? Quels moyens faudrait-il mettre en œuvre ? Ces éléments font-ils d’ores et déjà partie de la transition, de façon que celle-ci se passe de façon satisfaisante ?

Mme Chantal Bourragué. La résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies souligne l’importance du rôle des femmes dans la prévention des conflits ainsi que la consolidation de la paix et de la sécurité. Comment permettre que les femmes participent davantage aux décisions sur le processus de paix en Afghanistan et qu’elles soient mieux représentées ?

M. Jean-Paul Bacquet.  Si je ne suis pas allé en Afghanistan, j’ai rencontré des familles de militaires y servant, qui sont aujourd’hui sans ressources. Votre réponse, monsieur le ministre, à notre collègue Patricia Adam sur la question des soldes a été bien légère. Vous n’avez pas indiqué clairement quand le problème serait réglé.

M. le ministre d’État. M. Desallangre demande ce qu’est un « taliban modéré ». Une question semblable peut se poser de manière plus large pour l’ensemble des printemps arabes. J’ai déjà eu l’occasion de m’expliquer sur ce point. Notre position est claire : nous sommes disposés à nous associer à un processus de réconciliation nationale avec les partenaires qui le souhaitent, à condition qu’ils s’engagent à rompre tout lien avec le terrorisme, à renoncer à la violence et à respecter la Constitution afghane, notamment en matière de libertés fondamentales et de respect des droits de l’homme.

Pourquoi ne pas quitter l’Afghanistan dès aujourd’hui ? Partir en bon ordre n’a rien à voir avec prendre la poudre d’escampette, ce qui serait déshonorant pour nos soldats et la coalition tout entière.

Nous ne laisserons pas tomber l’Afghanistan après 2014, les pays de la coalition en ont pris l’engagement. Tout d’abord, une présence militaire, non combattante mais de formation, sera maintenue. Ensuite, l’aide au développement sera poursuivie. La France a déjà signé un traité d’amitié et de coopération, d’autres pays vont nous emboîter le pas. L’effort multilatéral sera également renforcé avec une augmentation de plus de 40 % de l’aide. C’est dans cette voie que l’on poursuivra, sans précipitation mais avec détermination.

Faut-il accélérer le processus politique ? Bien sûr. L’ouverture par les talibans d’un bureau à Doha est un premier pas. Il faut maintenant qu’ils acceptent de se mettre autour de la table. Ils posent pour l’instant certaines conditions qui ne sont pas acceptables, relatives notamment à la libération de criminels de guerre et de prisonniers.

Nous n’avons pas à rougir de ce que nous avons fait en Afghanistan depuis dix ans. Tous ceux qui s’y sont rendus peuvent en témoigner. La population afghane en est d’ailleurs parfaitement consciente. Mais c’est vrai, monsieur Boucheron, une erreur a peut-être été commise en 2001 lorsque M. Chirac et M. Jospin ont décidé d’engager la France en Afghanistan, sans que l’horizon auquel boucler l’opération n’ait été préalablement fixé. C’est peut-être là la faiblesse originelle de notre intervention. A l’avenir, le Président de la République en a le souci, nous ne devrons plus nous engager dans ce type d’opérations pour une période indéterminée.

M. François Loncle. C’est scandaleux ! Vous déformez la réalité.

M. le ministre d’État. Je ne déforme rien. C’est un simple constat. Est-il vrai ou non que l’engagement de la France en 2001 a fait l’objet d’une décision conjointe ?

M. le ministre. Je reviens d’un mot sur les difficultés de mise en œuvre du logiciel Louvois, qui vise à une gestion centralisée de la paye pour l’ensemble du ministère de la défense et dont le déploiement n’a bien sûr rien à voir avec l’intervention en Afghanistan. Après le passage d’autres unités à ce dispositif, cela a été le tour cet été de l’armée de terre. Je ne nie pas qu’il y ait eu des problèmes, mais leur nombre est inférieur à 1 % du nombre de soldes. Toutes les anomalies recensées – en avoir connaissance est l’une des difficultés – à la date du 25 janvier étaient résolues le 3 février. Il existe une très forte solidarité au sein des unités de l’armée de terre, et les chefs de corps sont très attentifs à la situation des hommes et de leurs familles. Si certaines d’entre elles rencontrent encore des difficultés, qu’elles nous le fassent savoir.

Mme Patricia Adam. Elles ne se sont pas toujours manifestées.

M. le ministre. Qu’elles n’hésitent pas à le faire car, par définition, un militaire n’est jamais seul. Le corps auquel il appartient ne l’abandonne jamais.

Monsieur Dufau, les forces armées n’interviennent jamais que sur décision politique. C’est en application d’une résolution des Nations unies que nous avons engagé l’opération Licorne en Côte d’Ivoire. Et c’est de même parce que le ministre d’État est parvenu le 26 février 2011 aux Nations unies à faire voter la résolution 1970 qu’a pu être lancée l’opération Harmattan en Libye. La solution militaire ne fait jamais qu’appuyer une volonté politique, elle ne saurait s’y substituer. L’usage de la force n’est jamais une fin en soi.

C’est d’ailleurs aussi parce qu’il existe une volonté politique en ce sens, Monsieur Marty, que nous n’abandonnerons pas l’armée afghane. Si nous sommes engagés à ses côtés, c’est que nous sommes mandatés pour faire émerger un État de droit dans ce pays, véritable projet politique qui perdurera bien au-delà de 2014. Lorsqu’on demande à des hommes – et à des femmes, madame Bourragué – de s’engager dans une armée, on a le devoir d’assurer un suivi. On ne peut du jour au lendemain les laisser se débrouiller seuls. Le traité d’amitié et de coopération qui a été signé avec l’Afghanistan et qui comporte un important volet formation est particulièrement bien perçu par nos soldats, qui mesurent ainsi mieux combien leur action s’inscrit dans une perspective de long terme. Je précise à l’intention de Mme Bourragué que la police afghane compte des femmes dans ses rangs et que le Parlement afghan compte 30 % de femmes, preuve que celles-ci ont bien été réintégrées dans la vie publique, comme d’ailleurs en de nombreux autres domaines, comme l’hôpital et l’école, ce dont il faut se réjouir. Le meilleur investissement que puisse faire un pays pour son développement futur réside dans l’alphabétisation des femmes.

M. Michel Grall. Monsieur le ministre de la défense, l’Afghanistan était un pays sans État. L’intervention de la coalition, à laquelle notre pays est le quatrième contributeur, a permis qu’y existe aujourd’hui un embryon d’État. La voix de la France s’est-elle renforcée vis-à-vis de ses alliés depuis notre engagement en Afghanistan ?

M. Yves Fromion. Monsieur le ministre de la défense, comment les forces afghanes, quels que soient le niveau de formation et le mérite individuel des hommes qui les composent, pourraient-elles, dans cette phase de transition extrêmement délicate, réussir à maintenir un équilibre tactique sur le terrain dès lors qu’elles ne disposent ni d’hélicoptères, ni de drones, ni d’appui aérien et logistique, ni de moyens satellitaires de renseignement ? La formation que nous leur dispensons ne pourra jamais pallier cette absence de matériel.

Certaines familles de militaires tués lors de l’embuscade d’Uzbin ont engagé une procédure judiciaire. Que compte faire votre ministère face à cette situation potentiellement lourde de conséquences sur l’ensemble du fonctionnement de nos forces armées, notamment en opération ?

M. Jean-Pierre Kucheida. Monsieur le ministre d’État, la mission de la France en Afghanistan a été à l’époque définie par le Président de la République, Chef des armées, Jacques Chirac. Elle devait se réduire à une mission aérienne contre Al Qaida. C’est ensuite que la situation a largement dérivé. Il n’est pas correct de mettre en cause Lionel Jospin, comme vous l’avez encore fait aujourd’hui pour la quatrième fois…

Monsieur le ministre de la défense, un vote du Parlement ne serait-il pas nécessaire sur ce qui va se passer maintenant pour nos forces en Afghanistan ? Quel aura été le coût de cette occupation – j’utilise à dessein le terme « occupation » – et quel sera celui de notre départ ? Enfin, si nous connaissons le nombre de soldats morts, pouvez-vous nous indiquer le nombre de blessés ? Certains l’ont été très gravement. J’ai déjà posé des questions à ce sujet, auxquelles je n’ai jamais obtenu de réponse.

M. Paul Giacobbi. L’objectif de notre intervention en Afghanistan était d’y éradiquer Al Qaida. Ben Laden est mort, le mollah Omar se trouve au Pakisan. Que reste-t-il aujourd’hui d’Al Qaida en Afghanistan ? Et qu’en est-il de la menace terroriste dans les zones tribales du Pakistan, les FATA (Federal administrative tribal areas) ?

Enfin, comment s’articule notre action diplomatique en Afghanistan avec celle de l’Inde ? Le secrétaire indien aux affaires étrangères, M. Mathai, ancien ambassadeur d’Inde en France, qui rencontre en ce moment même, à Washington, la secrétaire d’État Hillary Clinton, traitera aussi avec elle de l’Afghanistan.

M. Daniel Garrigue. Pourquoi ne prend-on pas mieux en compte toutes les ambiguïtés de la réalité afghane ? Le terme « taliban » lui-même recouvre une réalité diverse. Du temps de la présence soviétique, il y avait plusieurs groupes de résistance, en général fondés sur une base ethnique. La France était alors fortement engagée derrière le Jamiat-e-Islami du président Burhanuddin Rabbani et du commandant Massoud. Mais la principale force de résistance, soutenue par les Etats-Unis et qui ne passait pas pour faire partie des modérés, était alors le Hezb-e-Islami. Or, aujourd’hui, l’essentiel des membres de ce mouvement et son principal leader, Gulbuddin Hekmatyar, sont du côté des talibans. Il y a ensuite toute l’ambiguïté du Pakistan, liée à des raisons géopolitiques. Il y a enfin l’ambiguïté du gouvernement du président Karzaï lui-même, qui dialogue – ou que l’on fait dialoguer – avec ceux qu’on appelle les talibans. Pourquoi ne réévalue-t-on pas plus sérieusement la situation au vu de toutes ces données ?

S’il existait en 2001 un consensus fort entre Jacques Chirac et Lionel Jospin sur l’intervention en Afghanistan, onze ans ont passé. Onze ans, c’est trois ans de plus que la guerre d’Algérie ! Lorsqu’il existe une détermination, on ne laisse pas les situations s’enliser.

M. Jean-Michel Ferrand. Monsieur le ministre de la défense, nous avons, hélas, assisté ensemble aux funérailles de deux soldats du deuxième régiment étranger de génie stationné dans ma circonscription, tués en Afghanistan par des éléments infiltrés dans l’armée nationale afghane. L’incorporation de nouvelles recrues devrait se ralentir, a-t-on annoncé. Au-delà, de quels moyens efficaces disposons-nous pour détecter les éléments infiltrés dans l’armée nationale ?

M. le ministre d’Etat. Monsieur Kucheida, je redis simplement que le 12 septembre 2001, M. Chirac et M. Jospin ont pris ensemble la décision d’intervenir en Afghanistan. J’ai en mains une interview de M. Jospin en septembre 2011 où à la question « Avec le recul, regrettez-vous cette initiative, qui a ouvert la voie à la légitimation internationale de la guerre en Afghanistan ? », il répondait « Non, cette décision s’imposait ». Je ne fais que rappeler les faits et ne comprends pas que cela puisse déclencher de polémique. L’intervention en Afghanistan a été engagée, dans la plus stricte neutralité politique, le Chef de l’État, chef des armées, et le Chef du gouvernement s’étant tous deux impliqués.

Monsieur Giacobbi, nous entretenons bien sûr avec l’Inde un dialogue et un partenariat stratégique. Ce grand pays doit lui aussi s’engager pour la sécurité collective dans cette région du monde.

Monsieur Garrigue, vous avez tout à fait raison de rappeler la question pakistanaise, je l’ai moi-même évoquée.

S’agissant de la durée des opérations, je le redis, il faudra à l’avenir veiller à définir un calendrier dès le départ, avant même de nous lancer. Pour ce qui est de l’Afghanistan, ce calendrier est fixé depuis le sommet de Lisbonne de 2010. Il est respecté. Le retrait de nos troupes est engagé et d’ici à la fin de 2013, l’ensemble de nos forces combattantes aura regagné le territoire national.

M. le ministre. Monsieur Grall, la voix de la France est entendue et respectée. C’est une fierté que de représenter notre pays après que nos armées sont intervenues pour faire appliquer des résolutions du Conseil de sécurité, dont le vote a été obtenu par le ministre d’État, ministre des affaires étrangères.

Monsieur Fromion, il faudra maintenir en Afghanistan des appuis aériens, des appuis-feu, des moyens d’information. Les États-Unis sont décidés à le faire. Nous, nous interviendrons en matière de coopération et de formation. À cet instant, il n’est pas prévu de maintenir après 2014 d’appuis de l’armée française aux forces combattantes afghanes.

Il me faudrait beaucoup plus de temps pour vous répondre en détail sur le sujet des familles ayant engagé une action en justice après l’embuscade d’Uzbin. Un pourvoi en cassation a été introduit par le parquet général de la cour d’appel de Paris après la décision de la cour d’appel. La procédure en référé qui a été demandée devrait permettre à la Cour de cassation de s’exprimer rapidement. Attendons sa décision et laissons ce débat juridique majeur aller à son terme. Je dis simplement qu’un militaire ne combat pas un code à la main, ses adversaires non plus d’ailleurs, et qu’il faut tenir compte de cette réalité.

Monsieur Kucheida, je vous communiquerai tous éléments d’information sur le nombre des blessés. Vous avez raison, même quand ils ont bénéficié des meilleurs soins, les soldats blessés voient leur vie bouleversée. Nous leur devons reconnaissance et considération. La solidarité qui existe au sein des corps, couplée à celle de leurs familles, a heureusement permis que de nombreux blessés, y compris des amputés, puissent occuper d’autres fonctions au sein des unités.

Monsieur Garrigue, vous avez raison, la situation en Afghanistan est très compliquée. Il est impossible d’en traiter tous les aspects dans le temps bref qui nous est imparti.

Monsieur Ferrand, nous constatons depuis deux semaines que les autorités afghanes mettent en œuvre, unité après unité, les conseils que nous leur prodiguons, en tout cas dans les secteurs dont nous avons la responsabilité. Un chef de bataillon a ainsi récemment fait saisir tous les téléphones portables des membres de son unité, afin qu’ils ne puissent servir d’outils d’information.

La séance est levée à dix heures.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 8 février 2012 à 8 h 30

Présents. - Mme Martine Aurillac, M. Jean-Paul Bacquet, M. Claude Birraux, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Chantal Bourragué, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Jean-Louis Christ, M. Alain Cousin, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Michel Ferrand, Mme Marie-Louise Fort, M. Paul Giacobbi, M. Jean Glavany, Mme Élisabeth Guigou, M. Serge Janquin, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Patrick Labaune, M. Jean-Paul Lecoq, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Jacques Myard, M. Jean-Marc Nesme, M. Axel Poniatowski, M. Jacques Remiller, M. François Rochebloine, M. Jean-Marc Roubaud, M. Dominique Souchet, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle

Excusés. - Mme Nicole Ameline, Mme Sylvie Andrieux, M. Roland Blum, Mme Danielle Bousquet, M. Hervé Gaymard, M. Jean Grenet, M. Didier Julia, M. Didier Mathus, M. Éric Raoult, M. André Schneider

Assistaient également à la réunion. - M. Gérard Charasse, M. Daniel Garrigue, M. Jack Lang, M. Lionel Tardy