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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 17 octobre 2007

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 9

Présidence de M. Guy Teissier, président

– Audition du général Bruno Cuche, chef d’état–major de l’armée de terre, sur le projet de loi de finances pour 2008

Audition du général Bruno Cuche, chef d’état–major de l’armée de terre, sur le projet de loi de finances pour 2008

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu le général Bruno Cuche, chef d’état–major de l’armée de terre, sur le projet de loi de finances pour 2008 (n° 189).

Après avoir rappelé que le projet de budget pour 2008 apparaît comme un budget d’attente, le président Guy Teissier a souhaité connaître les conséquences sur l’état des forces en métropole d’une nouvelle opération extérieure au Tchad.

Le général Bruno Cuche a souligné en préambule qu’il convenait de replacer ce projet de loi de finances dans son contexte : il s’agit en effet d’un projet de budget de transition qui marque la fin d’un cycle exemplaire, celui de la loi de programmation militaire 2003-2008, et qui préserve l’essentiel, dans l’attente des conclusions des travaux en cours du Livre blanc, de la revue de programme et de la revue générale des politiques publiques qui fixeront les grandes orientations stratégiques pour les années à venir.

Il a cependant considéré que ce projet de budget apparaît contrasté pour l’armée de terre, dans le prolongement d’un budget 2007 déjà tendu, confirmant ainsi la nécessité d’accélérer les réformes lancées l’année dernière afin de mieux mettre en corrélation les ambitions et les besoins.

Abordant dans un premier temps la question des effectifs et du fonctionnement, il a observé que l’armée de terre contribue significativement à l’effort gouvernemental de baisse des effectifs de la fonction publique. La relative stabilité de la masse salariale contraint en effet mécaniquement à un abattement de plus de 2 000 postes, parmi lesquels 1 800 militaires et 268 personnels civils. Cette déflation sera appliquée prioritairement aux états-majors, à l’administration et au soutien, qui enregistreront notamment une baisse de 1 000 personnels dans la fonction gestion des ressources humaines. Il sera procédé simultanément à des rééquilibrages internes, en fonction des priorités opérationnelles qui sont au cœur des missions de l’armée de Terre : le renforcement des capacités de combat débarqué sera poursuivi et de nouvelles unités de renseignement de brigade interarmes seront créées. Compte tenu du schéma d’organisation actuel de l’armée de terre, il n’est pas possible d’aller au-delà de ces efforts, d’autant plus qu’ils portent essentiellement sur des personnels contractuels. Or, seuls 20 % des personnels militaires, appartenant aux fonctions de soutien et administratives sont contractuels alors que 80 % des personnels des unités de combat sont contractuels.

L’effort public consenti au titre de la revalorisation de la condition militaire ne peut qu’être relevé : avec 23 millions d’euros prévus pour améliorer les indices de solde des sergents et des engagés volontaires, l’armée de terre bénéficie d’un retour raisonnable sur les économies générées par les abattements de postes. Il s’est félicité de ce premier pas, conforme à l’esprit des déclarations du Président de la République, qu’il a jugé être la juste reconnaissance de l’engagement quotidien des soldats pour la défense et la sécurité de nos concitoyens.

Pour autant, l’effort suivant devra porter en priorité sur la revalorisation des rémunérations des officiers de l’armée de terre, dont le haut comité d’évaluation de la condition militaire a pu constater que le niveau, en comparaison du reste de la fonction publique, n’est pas à la hauteur des responsabilités exercées. C’est en effet sur eux qu’il faudra s’appuyer pour conduire les réformes futures, pour maintenir la disponibilité opérationnelle des forces et leur cohésion, et surtout pour commander en opération dans des configurations toujours plus difficiles.

S’agissant du fonctionnement courant des forces, c’est à dire les crédits de la vie courante des unités et ceux dédiés à l’entraînement, la situation semble critique. Le général Bruno Cuche a rappelé qu’il avait déjà, lors de l’examen du budget pour 2007, alerté la commission sur les conséquences de la stagnation des crédits de fonctionnement qui doit cesser, sauf à reconsidérer l’organisation globale. Pour 2008, le projet de budget prévoit des économies de 23,5 millions d’euros sur un montant total de 770 millions d’euros consacrés au fonctionnement.

Se refusant à faire supporter exclusivement les conséquences de ces économies forcées sur les hommes et les femmes de l’armée de terre, il s’est dit prêt, en étroite coordination avec l’EMA, à réévaluer les seuils d’entraînement des forces en cours d’année, si les financements supplémentaires n’étaient pas confirmés. L’armée de terre tient, malgré ces difficultés, à conserver un objectif de 96 jours d’activité et de 160 heures de vol pour les pilotes d’hélicoptères. En outre, cette baisse des crédits de fonctionnement rend incertaine la pérennité de la politique d’externalisation dont le financement n’est plus à la hauteur des ambitions initiales et de la hausse constante des prix des services.

Il a souhaité attirer l’attention des membres de la commission sur les conséquences qu’entraînent, pour le moment, cette diminution sensible et cette rigidité du budget de fonctionnement de l’armée de terre. Le général Cuche a tenu cependant à souligner la hausse globale d’environ 0,8 % des autorisations d’engagement affectées à l’action 2 du programme 178.

Il a ensuite évoqué la situation des équipements, le projet de loi apparaissant encourageant pour les livraisons et les commandes d’équipements majeurs. L’effort consenti permettra de poursuivre la réalisation des principales capacités, tout en ménageant des marges de manœuvre nécessaires aux adaptations découlant des futures conclusions du Livre blanc. Le projet de budget traduit fidèlement les priorités opérationnelles actuelles : la commande de 22 hélicoptères NH90 en 2008, qui suivra celle de 12 appareils attendue pour la fin de l’année 2007, de 100 porteurs polyvalents terrestres et de 232 petits véhicules protégés renforcera à moyen terme les capacités duales, permettant de remplir à la fois des missions de défense et de sécurité. L’accélération tardive du programme NH90 ne compensera cependant pas l’obsolescence des Puma, dont l’âge moyen est de 33 ans. S’il n’y est pas pris garde, l’armée de terre devra faire face à une très sérieuse baisse capacitaire qui la rendrait provisoirement tributaire de ses alliés, en cas de besoin exceptionnel, en opération ou sur le territoire national.

En 2008, l’armée de terre va prendre livraison et passer commande d’équipements plus adaptés aux engagements actuels des forces permettant de combattre au milieu des populations, avec la puissance de feu et la précision requises, tout en garantissant le maximum de protection aux soldats. Les 41 premiers véhicules blindés de combat d’infanterie, qu’il conviendrait d’appeler véhicule principal de combat, auxquels vont s’associer 358 collections Félin, 57 chars AMX 10 RC rénovés, 16 canons CAESAR et 6 hélicoptères Tigre (ce qui portera leur nombre total à 20) seront ainsi mis en service en 2008. Les crédits disponibles permettront en outre de commander 5 045 Félin, 116 VBCI et 36 AMX 10 RC rénovés.

Cette dynamique positive est à mettre en perspective avec l’effort budgétaire consenti au profit du maintien en condition opérationnelle. L’arrivée de nouveaux équipements facilitera le transfert de crédits de maintenance de matériels anciens vers les matériels les plus modernes. La dotation budgétaire permettra également de mettre en œuvre la nouvelle politique d’emploi et de gestion des parcs dont le double objectif est d’améliorer la disponibilité des matériels les plus sollicités en opération et de contenir les dépenses.

Néanmoins, et malgré ce bilan positif, il est nécessaire de poursuivre le processus de modernisation des équipements, l’effort consenti au profit des programmes majeurs des autres armées n’étant pas sans conséquence. À court terme, il se fait en partie au détriment des programmes de cohérence opérationnelle et des capacités de commandement. Concrètement, cette distorsion se traduira par le report de commandes de munitions, sujet critique, d’armements légers et de moyens de communication. L’armée de terre se trouve ainsi placée dans la situation d’un consommateur qui achète un ordinateur dernier cri mais ne dispose pas des liquidités suffisantes pour payer l’imprimante, l’abonnement Internet ou les cartouches d’encre. Pour le moyen terme, il faut lever rapidement l’incertitude sur le niveau réel des autorisations d’engagement en 2008 qui sont indispensables à la poursuite du renouvellement des parcs, alors que l’on observe depuis plusieurs années une tendance au ralentissement des grands programmes. Elles conditionnent, de plus, le développement de la prochaine génération de systèmes d’armes.

Abordant l’avenir de l’armée de terre, il a souhaité réaffirmer son engagement à lancer une réforme en profondeur, répondant au double impératif de maîtrise des finances publiques et d’adaptation de l’outil militaire à l’évolution de la situation sécuritaire et stratégique, telle qu’elle sera définie par la commission du Livre blanc et acceptée par le Président de la République. Il faut saisir aujourd’hui, collectivement, l’opportunité de convergence entre le temps politique et le temps militaire.

L’axe principal de cette réforme portera sur une redéfinition de la posture de l’armée de terre sur le territoire national. Il s’agira, d’une part, de réviser le schéma des implantations, pour en limiter les coûts de fonctionnement et, d’autre part, de se repositionner au sein de l’appareil d’État, à un niveau plus conforme à la contribution, avérée et potentielle, de l’armée de terre à la sécurité de nos concitoyens sur le territoire national en particulier.

Mais au-delà de ce projet, dont les contours restent à préciser par le chef de l’État, se dégagent déjà quelques principes fondateurs de cette démarche réformatrice, quelle qu’en soit l’ampleur, permettant de mobiliser la communauté militaire. En premier lieu, il faudra contractualiser la réforme dans sa globalité, et inscrire résolument les problématiques salariales, d’effectifs et de fonctionnement dans une vision pluriannuelle, comme le prévoit d’ailleurs la LOLF ; toute réforme ayant un coût avant de générer des économies. En cas de financement de la réforme sous enveloppe, l’armée de terre subira mécaniquement une baisse de capacité alors qu’elle occupe une place centrale dans toutes les opérations extérieures en cours.

La réforme qui sera entreprise aura nécessairement un coût social que la nation devra assumer. L’armée de terre réorganisée en 1996 était une armée de conscription, tandis que celle de 2007 est une armée professionnelle, voire une communauté de soldats et de familles, tous professionnels, imposant d’accompagner socialement la mobilité exceptionnelle de milliers de militaires et de leurs familles, ainsi que d’éventuels départs.

Cette réforme devra également s’accompagner d’une nouvelle politique d’acquisition des matériels, plus réactive et assise sur un nouvel équilibre dans la nature des investissements. Depuis des années, ils ont porté essentiellement sur des équipements lourds et sophistiqués destinés au combat conventionnel classique. L’armée de terre a investi quasi exclusivement dans l’assurance vie et doit désormais diversifier son portefeuille en investissant dans l’épargne à vue, c’est-à-dire sur des matériels de technologie adaptée mais robustes, immédiatement employables. Car l’armée de Terre est confrontée à la tyrannie du présent, dont l’enjeu partagé avec le CEMA, reste bien le succès des opérations et la sécurité de ses soldats particulièrement exposés. Le général Cuche a souligné que le temps est venu de s’intéresser plus aux utilisateurs des matériels qu’à ceux qui les fabriquent ou les financent.

En conclusion, le général Cuche a insisté sur l’enjeu opérationnel des choix à faire dans les prochains mois au moment où les Israéliens, ainsi que les alliés américains ou britanniques tirent les leçons des guerres au Liban, en Irak et en Afghanistan, en renforçant significativement leurs forces terrestres. Mais plus encore, ces décisions constitueront un signal politique très fort, à l’égard des alliés, de la communauté des forces terrestres et de l’ensemble de la population.

Le président Guy Teissier a observé que les commandes d’hélicoptères NH 90 qui doivent être passées en 2007 et 2008 ne permettront pas de faire face au déficit capacitaire causé par l’épuisement des hélicoptères Puma. Pour éviter une rupture capacitaire, une rénovation des Puma est-elle envisagée ? Il a également souhaité connaître la date de mise en service opérationnel de la première escadrille d’hélicoptères de combat Tigre.

Il a par ailleurs relevé que les 16 canons Caesar qui seront livrés en 2008 ne figuraient pas dans la loi de programmation militaire et s’est interrogé sur la pertinence d’un pareil choix alors que l’artillerie est de moins en moins sollicitée en opérations.

Il s’est enfin inquiété du fait que les unités ne semblent pas disposer de suffisamment de munitions d’entraînement ni de suffisamment de munitions réelles, obérant ainsi leurs capacités opérationnelles.

Le général Bruno Cuche a tout d’abord souligné que l’hélicoptère de manœuvre offre des capacités exceptionnelles qui dépassent le seul emploi militaire puisqu’il peut également être mobilisé pour des missions de sécurité civile ou de secours à la population, y compris sur le territoire national. Les Puma sont aujourd’hui âgés de 33 ans en moyenne et, à compter de 2009, ils ne répondront plus aux normes européennes de circulation aérienne, empêchant leur utilisation sur l’ensemble du continent même s’ils pourront encore être employés en opérations extérieures. Ces difficultés devraient être compensées avec la livraison des premiers NH 90 qui, compte tenu du délai de 48 mois entre la signature de la commande et la livraison effective, devrait intervenir à la fin de l’année 2011, réduisant le déficit capacitaire lié au retrait progressif des Puma. Dans le même temps, le programme de rénovation des Cougar devrait permettre de limiter la baisse de capacités pour l’aéromobilité. Tout décalage soit des livraisons des NH 90, soit de la rénovation des Cougar conduirait à transformer le déficit en rupture capacitaire provisoire.

Les premiers Tigre, hélicoptère d’appui et de protection, sont aujourd’hui livrés dans les unités et dans les centres de formation. Les expérimentations tactiques commencent et les hélicoptères devraient être pleinement opérationnels dans le courant de l’année 2009, la première escadrille devant pour sa part être constituée à la fin de l’année 2009.

L’évolution des besoins opérationnels a conduit à remplacer l’artillerie de saturation que permettait l’AUF 1 par une artillerie de précision et d’appui à longue distance en développant le programme Caesar, qui en LPM s’est substitué de fait à la modernisation d’une partie des AUF1. Même si l’artillerie ne ’est pas fréquemment employée, elle est cependant déployée en OPEX, notamment au Liban, où elle constitue un outil majeur de dissuasion. À terme, l’armée de terre devrait disposer de 77 canons Caesar en parc, soit 72 en ligne. Par ailleurs, le lance-roquettes multiples va évoluer vers un lance-roquettes unique d’une portée de 70 kilomètres et d’une précision infra-décamétrique, en complément indispensable d’autres vecteurs de frappe dans la profondeur.

Pour les munitions, l’armée de terre doit faire face à deux difficultés qui concernent la gestion des stocks et la fabrication. Les stocks actuels ne permettent pas de fournir aux unités l’intégralité des munitions requises pour s’entraîner et intervenir dans des conditions optimales. Une réflexion est engagée avec l’état-major des armées pour mieux adapter les stocks aux besoins capacitaires. On peut s’inquiéter de voir disparaître des savoir-faire industriels en France, l’armée de terre étant aujourd’hui contrainte de se fournir en munitions auprès d’entreprises étrangères.

M. Jean-Louis Bernard a rappelé que les crédits de fonctionnement baissent de 23,5 millions en valeur brute, et de 34,5 millions d’euros en tenant compte de la non actualisation, soit une diminution de 4,5 %. Il a demandé quelles en seront les conséquences sur l’activité des forces terrestres et si ces réductions pèseront sur l’entraînement des unités.

Il a ensuite attiré l’attention du chef d’état-major de l’armée de terre sur l’importance des petits matériels qui pâtissent souvent d’arbitrages défavorables alors qu’ils jouent un rôle essentiel dans le maintien quotidien du moral des troupes.

La société Eurocopter a reçu à ce jour 495 commandes d’hélicoptères. Si les commandes françaises sont effectivement signées dans les délais prévus, compte tenu de ses capacités de production, l’industriel sera-t-il en mesure de respecter les délais de livraison ?

Il a enfin souhaité connaître les perspectives d’utilisation des drones dans l’armée de terre.

Le général Bruno Cuche a précisé que la baisse de 23,5 millions d’euros pèse sur le fonctionnement courant et les activités globales qui représentent un budget global de 770 millions d’euros, montant qui n’a pas été actualisé depuis 2004. Dans ce cadre, la priorité sera donnée à l’activité des forces et au contrat opérationnel : les objectifs de 96 jours d’activité et de 160 heures de vol pour les pilotes d’hélicoptères sont ainsi maintenus. Les efforts porteront sur le fonctionnement courant des unités même si des ajustements en gestion devraient en atténuer partiellement les effets. Il a toutefois souligné que ces ajustements en gestion se feraient sous l’autorité du responsable de programme, le chef d’état-major des armées.

Il a ensuite rappelé son attachement aux petits matériels qui, comme les programmes de cohérence opérationnelle, apportent une forte valeur ajoutée à l’ensemble des équipements. Toutefois, l’armée de terre est contrainte d’intégrer les arbitrages rendus par le responsable du programme 146 « équipement des forces » qui définit les priorités en fonction des besoins de l’ensemble des armées. Il n’en reste pas moins qu’une attention particulière est portée au sein de l’armée de terre aux moyens opérationnels des forces et notamment aux munitions.

Même si l’aéromobilité reste un sujet d’inquiétudes, la livraison des NH 90 devrait pouvoir intervenir dans les délais prévus ; il serait juste d’ailleurs qu’une attention particulière soit apportée aux besoins de la France qui a contribué à plus de 40 % des dépenses de recherche et de développement du programme.

Deux types de drones sont aujourd’hui utilisés par l’armée de terre : des drones de portée lointaine à vol rapide comme le CL 289 et des drones tactiques comme le système de drone tactique intermédiaire (SDTI) qui a été employé en opérations extérieures mais aussi sur le territoire pour assurer la sécurité des sommets d’Évian ou de Nice. Ces deux systèmes devraient être remplacés à partir de 2011 par le système de drone tactique (SDT), qui possède les mêmes caractéristiques générales. À l’avenir, l’armée de terre privilégiera aussi les petits drones tactiques de courte portée comme le drone de reconnaissance et de contact (DRAC) permettant de « voir au-delà de la vue directe ».

M. François Lamy s’est interrogé sur l’évolution de la durée des missions en OPEX, une prolongation de quatre à six mois étant régulièrement évoquée, notamment dans le cadre des diverses réflexions en cours qu’il s’agisse du Livre blanc, de la revue des programmes ou de la RGPP.

En ce qui concerne les chars Leclerc, seuls treize d’entre eux sont engagés au Liban ; où sont les autres et à quoi sont-ils employés ?

La réforme annoncée de l’armée de terre aura nécessairement un coût social ainsi qu’un coût politique, et avant de générer des économies, elle nécessite un fort investissement financier. À ce jour, aucun élément n’est venu préciser ni l’ampleur ni la méthode présidant à cette réforme. Quels seront les critères de choix ? Les recommandations du Livre blanc pèseront-elles sur les options retenues ? Alors que des annonces publiques ont déjà été faites et que semble régner une certaine confusion entre les différents groupes de travail, il a souhaité connaître l’état d’avancement de la réflexion au sein de l’état-major.

Le Général Bruno Cuche s’est montré défavorable à une prolongation à six mois des missions en OPEX pour les troupes, observant que la plupart des armées étrangères envisagent aujourd’hui de réduire cette durée. En revanche, les officiers affectés en état-major ou auprès d’autorités locales, notamment les officiers généraux et les officiers supérieurs occupant un poste stratégique, dont la durée de mission est déjà de six mois, pourraient dans certains cas la voir prolongée à un an .

En ce qui concerne les chars Leclerc, seuls deux groupes de treize chars ont été projetés, mais on ne peut considérer que trente chars suffisent pour remplir toutes les missions qui peuvent leur être confiées. Les Britanniques ont en effet déployé 116 chars en Irak pour appuyer 40 000 hommes. Le contrat opérationnel de l’armée de terre portant sur 50 000 soldats, si la France devait s’engager dans une opération similaire à celle d’Irak, elle aurait besoin d’au moins 320 chars dans ses parcs pour pouvoir en engager immédiatement un nombre suffisant. Les Israéliens ont tiré les leçons de leur engagement au Liban, et malgré des pertes de blindés, ils ont considéré qu’il fallait prioritairement revaloriser leurs chars. Par ailleurs, le chef d’état-major des armées considérant que la France n’est pas aujourd’hui à l’abri d’un conflit à caractère conventionnel, le général Cuche a rappelé que des matériels comme le Leclerc seraient alors indispensables.

Actuellement l’armée de terre dispose de 406 Leclerc dont 320 en ligne. Les principaux pays européens maintiennent un nombre de chars proche de 400, le Royaume-Uni en possédant à ce jour 394, la Turquie 406 et l’Allemagne 796 même si une réduction à 400 chars est en cours. Le Livre blanc devra déterminer plus précisément la cible à atteindre pour l’armée française compte tenu des évolutions géopolitiques.

Le général Bruno Cuche a souligné qu’actuellement, le contrat opérationnel de l’armée de terre est rempli de façon satisfaisante : les équipements fonctionnent correctement, même si certains sont vétustes, et les troupes sont convenablement entraînées et le demeureront à condition que le niveau de crédits soit suffisant. En revanche, des efforts restent à faire en ce qui concerne le fonctionnement. Le redéploiement de l’armée de terre doit donc répondre à trois objectifs. Le premier vise à la maintenir dans la nation, en métropole comme outre-mer, où on constate une augmentation des missions liées à la sécurité. Il s’agit d’une option opposée à celle retenue par les Américains qui établissent de grandes bases au milieu d’endroits désertiques. Le deuxième objectif doit consister à regrouper les unités actuellement dispersées, la dispersion se révélant coûteuse. Ainsi, la région terre Nord-Est, pour des raisons historiques, concentre par exemple 40 % des forces vives de l’armée de terre. Le troisième objectif consiste à renforcer le ratio existant entre les forces projetables et les personnels affectés au soutien général. La plupart des personnels de ce soutien général étant protégés par leur statut, ces réorganisations doivent être menées dans un esprit de concertation et de dialogue, les évolutions devant par ailleurs permettre de donner toute leur place aux 24 000 personnels civils de l’armée de terre. Dans ce cadre, même si l’externalisation ne doit pas être érigée en règle de gestion, elle peut être envisagée pour certaines fonctions.

Les conclusions du Livre blanc conduiront à des choix de rééquilibrages capacitaires même si une réflexion a d’ores et déjà été engagée avec par exemple la création au sein des brigades interarmes d’unités de renseignement. Ces modifications restent marginales et ne pourront prendre corps qu’une fois l’ensemble des réflexions achevées et les choix stratégiques clairement définis. En ce qui concerne les programmes d’armement, le général Bruno Cuche a souligné qu’à sa connaissance, la revue des programmes, conduite par le chef d’état-major des armées et le délégué général pour l’armement, cherche aujourd’hui à établir un état des lieux.

M. Yves Fromion a considéré, qu’à l’heure où s’ouvre une réflexion sur la réforme de l’armée de terre, il convient de garder à l’esprit qu’elle fournit l’effort le plus important en opérations et que sa qualité et son efficacité sont reconnues par l’ensemble de nos partenaires. C’est donc avec prudence qu’il faut envisager les perspectives d’une modification de son format.

En ce qui concerne les hélicoptères de manœuvre, il faut être extrêmement vigilant aux capacités réelles de production de l’industriel qui semble peiner à honorer ses commandes.

Il s’est enfin demandé si l’armée de terre britannique peut constituer un modèle pour la réforme à venir, d’autant que les troupes britanniques ont montré leur efficacité et leur capacité à s’engager dans des combats de haute intensité. L’armée de terre du Royaume-Uni a su améliorer son ratio entre le front office et le back office et la condition de ses militaires est meilleure que celle des soldats français. La comparaison doit néanmoins être nuancée, ne serait-ce que parce que le budget de la défense française ne représente que 75 % du budget de la défense britannique.

Le général Bruno Cuche a fait part de sa grande estime pour l’armée britannique. Il a relevé que si son ratio entre forces opérationnelles et soutien est de 70/30, ce rapport ne prend pas en compte les activités externalisées, dont le poids est considérable outre-Manche. Le budget militaire français ne représente effectivement que 75 % de l’effort britannique et le poids de la dissuasion nucléaire est plus important en France, mais il convient surtout de noter que sur les dix milliards d’euros d’écart de dépenses militaires, huit milliards portent sur le fonctionnement. L’efficacité opérationnelle britannique, qui est réelle, s’explique très largement par cette différence. Il faut toutefois observer que l’armée de terre britannique connaît de fortes tensions en raison de l’intervention en Irak, même si un redéploiement progressif des forces vers l’Afghanistan est en cours.

M. Nicolas Dhuicq a souhaité obtenir des précisions sur l’état d’avancement du projet Séquoia.

M. Jean-Pierre Soisson a estimé qu’au vu des effets de la compression continue des dépenses de fonctionnement sur les capacités opérationnelles des armées, il n’était pas concevable de continuer plus longtemps dans cette voie, sous peine notamment d’annuler les effets bénéfiques des nécessaires mesures prises pour l’amélioration de la condition militaire. L’armée semble ne plus avoir les moyens de montrer son existence à nos compatriotes, alors même qu’une présence régulière et visible permettrait sans aucun doute de renforcer leur acceptation de la nécessité des dépenses militaires.

Le général Bruno Cuche a indiqué que le projet Séquoia, déjà fort ancien, visait à éliminer les vieilles munitions présentant des risques en termes de sécurité et de pollution. Sa mise en œuvre reste entravée par des contraintes réglementaires et communautaires de protection de l’environnement et de protection des espèces végétales dans la zone où doit être construite l’usine, contraintes sur la pertinence desquelles on peut s’interroger au regard des objectifs louables du programme, notamment en matière de protection des populations.

Les budgets de fonctionnement n’ayant pas été actualisés depuis 2004, il faut aujourd’hui s’orienter vers des réformes qui permettent de limiter les coûts fixes. La situation ne doit pas être dramatisée et n’a pas par exemple conduit à la fermeture d’installations.

Il a ensuite fait part de son grand attachement à la présence des armées dans le tissu local. Il ne serait pas souhaitable de créer des « déserts militaires » dans certaines régions ni de s’aligner sur le modèle américain de bases géantes vivant en quasi autarcie. Malgré une action résolue au travers de prises d’armes et de manœuvres, des progrès doivent encore être réalisés pour améliorer la visibilité des armées dans certains départements. Il a néanmoins relevé que l’activité des centres départementaux d’information et de recrutement de l’armée de terre est soutenue.

Le président Guy Teissier a rappelé que récemment, une démonstration avait été faite à Reims et à Mourmelon qui associait pour la première fois l’armée de terre et l’armée de l’air sur les thèmes de la protection et de la projection.

Le général Bruno Cuche a souligné qu’il s’agissait de montrer à quel point la question de l’action interarmées était importante d’un point de vue opérationnel. Les préoccupations relatives à la maîtrise du coût de ce type de démonstration étaient également présentes. La prochaine manifestation de ce genre pourrait associer les trois armées, et donc avoir lieu dans le Sud de la France.

M. Loïc Bouvard a regretté que le thème de l’Europe n’ait pas été davantage abordé, et ce alors même que le défilé du 14 juillet 2007 a été marqué par la participation très symbolique d’unités de l’ensemble des États membres de l’Union européenne. Quelle est la place occupée par la dimension européenne dans les réflexions de l’armée de terre, notamment en ce qui concerne l’interopérabilité des forces ?

M. Alain Marty a fait valoir que les réflexions légitimes sur un meilleur équilibre de la répartition des implantations de l’armée de terre sur le territoire ne pouvaient être menées en faisant abstraction des implantations des industries de défense, qui sont à l’origine de nombreux emplois. De ce point de vue, si l’Est de la France dispose de nombreuses unités de l’armée de terre, il est dépourvu d’industries d’armement.

Le général Bruno Cuche a indiqué qu’il était personnellement très attaché à l’idée européenne et a rappelé qu’il était à l’origine, lorsqu’il était commandant de l’école spéciale militaire de Saint-Cyr, de la première conférence des académies militaires de l’Union européenne. La capacité à engager conjointement des forces de divers pays européens est désormais très satisfaisante, comme en témoigne la création des « groupements tactiques 1 500 », multinationaux et rapidement projetables. La réflexion sur le meilleur degré d’interopérabilité est permanente et s’exerce notamment au travers du groupe FINABEL, qui réunit la France, l’Italie, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et l’Espagne, et que le Royaume-Uni et les pays d’Europe centrale et orientale sont en train de rejoindre. Le deuxième axe d’effort pour le renforcement de l’intégration des armées européennes passe par les matériels et, de ce point de vue, l’Agence européenne de défense doit voir son rôle renforcé. Les difficultés de certains programmes menés en coopération ne doivent pas décourager mais bien au contraire inciter à aller plus loin et à progresser. Enfin, la question d’une formation européenne commune est majeure. Le ministre de la défense a fait de la formation militaire à l’échelle européenne une priorité et la présidence française de l’Union au second semestre 2008 devrait permettre de lancer une initiative s’apparentant au programme ERASMUS pour l’échange d’officiers dans les écoles et académies.

Si l’armée de terre a effectivement mené plusieurs études sur des hypothèses de redéploiement, ces travaux sont restés internes. Ils devront bien entendu être mis en cohérence avec les projets des autres armées, les arbitrages relevant de l’état-major des armées. Enfin, l’ensemble des problématiques de développement des territoires seront prises en compte grâce à l’intervention du délégué interministériel aux restructurations de défense.

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